La SARL [C] et Madame [G] [Z] veuve [P] ont assigné en référé la SARL Finance Concepts le 3 octobre 2023, demandant une expertise sur divers aspects des services d’investissement fournis par cette société, ainsi que la communication de documents et la condamnation de Finance Concepts à des dommages et intérêts. Lors de l’audience du 28 juin 2024, les demanderesses ont maintenu leur demande d’expertise tout en se désistant de la demande de communication de pièces sous astreinte. Finance Concepts a contesté l’intérêt à agir de Madame [P] et a demandé le rejet des demandes des demanderesses. Le tribunal a finalement déclaré irrecevables les demandes de Madame [G] [Z], rejeté la demande d’expertise, et condamné les demanderesses à payer des frais à Finance Concepts.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NICE
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 23/01772 – N° Portalis DBWR-W-B7H-PFX4
du 13 Septembre 2024
M.I
N° de minute
affaire : S.A.R.L. [C], [G] [Z] veuve [P]
c/ S.A.R.L. FINANCE CONCEPTS La SARL FINANCE CONCEPTS,
Société à responsabilité limitée au capital de 7 622,45 €
Immatriculée au RCS de Nice sous le numéro 421 835 455
Ayant son siège social situé [Adresse 3]
Prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
Grosse délivrée
à Me BELFIORE
Expédition délivrée
à Me SAMAK
le
l’an deux mil vingt quatre et le treize Septembre à 16 H 15
Nous, Corinne GILIS,
Assistée de Mme Delphine CHABERT, Greffier, avons rendu l’ordonnance suivante :
Vu l’assignation délivrée par exploit en date du 03 Octobre 2023,
A la requête de :
S.A.R.L. [C]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Philippe SAMAK, avocat au barreau de NICE
Mme [G] [Z] veuve [P]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Philippe SAMAK, avocat au barreau de NICE
DEMANDERESSES
Contre :
S.A.R.L. FINANCE CONCEPTS La SARL FINANCE CONCEPTS,
Société à responsabilité limitée au capital de 7 622,45 €
Immatriculée au RCS de Nice sous le numéro 421 835 455
Ayant son siège social situé [Adresse 3]
Prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Laurent BELFIORE, avocat au barreau de NICE
DÉFENDERESSE
Après avoir entendu les parties en leurs explications à l’audience du 28 Juin 2024 au cours de laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 13 Septembre 2024
Par acte de commissaire de justice en date du 3 octobre 2023, la SARL [C] et Madame [G] [Z] veuve [P] ont fait assigner en référé la SARL Finance Concepts aux fins de voir :
Ordonner une expertise ;
Désigner tel expert qu’il plaira avec mission de :
Convoquer les parties ;
Se faire remettre tous documents et pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission ;
Entendre les parties ;
Donner son avis sur l’étendue et la nature de la prestation de services d’investissement fournies par la société Finance Concepts ;
Donner son avis sur le profil de risque de la société [C] et Madame [P], ainsi que son évolution dans le temps ;
Donner son avis sur l’adéquation dans le temps des investissements objets du litige avec le profil de l’investisseur, et les diligences effectuées en ce sens par la société Finance Concepts ;
Donner son avis sur les conseils fournis postérieurement à l’investissement et, notamment, sur leur adéquation avec le profil de l’investisseur et les données financières accessibles à la société Finance Concepts ;
Donner son avis sur les préjudices subis en proposant une analyse du gain manqué, correspondant à tout investissement adapté à l’investisseur ;
Fournir tous éléments permettant d’éclairer le tribunal sur la solution du litige ;
Ordonner la communication des éléments sollicités à la société Finance Concepts dans la lettre de mise en demeure du 18 septembre 2023 ;
Assortir ces obligations s’agissant des coordonnées de l’assureur d’une astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 6 mois ;
Condamner la société Finance Concepts à payer à la société [C] et Madame [G] [P] la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Finance Concepts aux entiers dépens.
Dans leurs conclusions déposées à l’audience du 28 juin 2024, la SARL [C] et Madame [G] [Z] maintiennent les termes de leur acte introductif d’instance concernant la demande d’expertise et se désistent de leur demande tendant à la communication de pièces sous astreinte.
La SARL Finance Concepts a conclu aux fins de voir :
Sur l’intérêt à agir de Madame [P],
Juger que l’action engagée par Madame [P] est irrecevable faute d’intérêt à agir à l’encontre de Finance Concepts ;
Débouter en conséquence Madame [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Sur la demande d’expertise judiciaire,
Juger mal fondée l’action des demanderesses aux fins de désignation d’un expert ;
Débouter en conséquence Madame [P] et [C] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Sur la demande de communication des coordonnées de l’assureur et lettres de mission de Finance Concepts,
Constater que Finance Concepts a précisé aux termes des présentes conclusions l’identité de son assureur ;
Constater que Finance Concepts a versé aux débats la lettre de mission afférente aux investissements litigieux ainsi que les deux autres lettres de mission ;
Débouter en conséquence Madame [P] et [C] de leur demande de production de pièces ;
En tout état de cause,
Condamner Madame [P] et [C] in solidum à payer à Finance Concepts la somme de 10000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
L’ensemble des parties a comparu à l’audience du 28 juin 2024, de sorte que l’ordonnance sera rendue de façon contradictoire, en application de l’article 467 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à l’assignation et aux conclusions qui ont été oralement soutenues.
Sur l’intérêt à agir de Madame [G] [Z] :
Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».
Selon l’article 122 du même code, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
En l’espèce, la SARL Finance Concepts indique dans ses écritures que la SARL [C] a souscrit, le 14 juin 2016, par son intermédiaire, aux offres d’investissement BCBB Rendement 2 en acquérant 3500 actions de la société Bio Dynamique pour un montant de 70000 euros et ICBS Rendement Patrimoine en acquérant 700 parts sociales de la SCS Maginvest pour un montant de 70000 euros.
La défenderesse soutient que, si Madame [G] [Z] a signé les documents de souscription des investissements précités en sa qualité de représentante légale de la SARL [C], seule cette dernière est actionnaire de la société Bio Dynamique et associée de la SCS Maginvest. La SARL [C] serait donc la seule à pouvoir se prévaloir d’un préjudice résultant d’éventuelles pertes en capital au titre desdits investissements puisqu’elle serait la seule souscriptrice et que seul son patrimoine serait engagé et impacté par d’éventuelles pertes. Les défenderesses étant deux personnes juridiques distinctes, le préjudice invoqué par Madame [G] [Z] ne serait que le corollaire de celui subi par la société puisqu’elle n’est ni actionnaire de la société Bio Dynamique ni associée de la SCS Maginvest.
Madame [G] [Z] réplique que son action en tant qu’associée de la SARL [C] est recevable concernant la transmission d’informations financières erronées. Elle allègue qu’il serait prématuré de préjuger de l’absence de tout préjudice, y compris moral, résultant du comportement de la SARL Finance Concepts.
En conséquence, au regard de l’absence d’engagement financier personnel de Madame [G] [Z] dans les investissements précités, souscrits par la SARL [C] dont elle est la gérante, les demandes formulées par Madame [G] [Z] seront déclarées irrecevables pour défaut d’intérêt à agir contre la SARL Finance Concepts.
Sur la demande d’expertise :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé.
L’article L 541-8-1 du code monétaire et financier dispose que « Les conseillers en investissements financiers doivent :
4° Se procurer auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, avant de formuler un conseil mentionné au I de l’article L. 541-1, les informations nécessaires concernant leurs connaissances et leur expérience en matière d’investissement en rapport avec le type spécifique d’instrument financier, d’opération ou de service, leur situation financière et leurs objectifs d’investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments financiers et services d’investissement adaptés à leur situation. Lorsque les clients ou les clients potentiels ne communiquent pas les informations requises, les conseillers en investissements financiers s’abstiennent de leur recommander les opérations, instruments et services en question. Lorsque les conseillers en investissements financiers fournissent le conseil mentionné aux 1° ou 3° du I de l’article L. 541-1, ils doivent également se procurer, auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, les informations nécessaires concernant leur capacité à subir des pertes et leur tolérance au risque de manière à pouvoir leur recommander les instruments financiers et services d’investissement adéquats et, en particulier adaptés à leur tolérance au risque et à leur capacité à subir des pertes. Lorsque le conseil mentionné aux 1° ou 3° du I de l’article L. 541-1 conduit à recommander une offre groupée au sens de l’article L. 533-12-1, les conseillers en investissements financiers veillent à ce que l’offre groupée dans son ensemble corresponde aux besoins de leurs clients ;
5° Communiquer en temps utile aux clients des informations appropriées en ce qui concerne le conseiller en investissements financiers et ses services, le cas échéant la nature juridique et l’étendue des relations entretenues avec les établissements promoteurs de produits mentionnés au 1° de l’article L. 341-3, les informations utiles à la prise de décision par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment la tarification de leurs prestations ;
6° Veiller à comprendre les instruments financiers qu’ils proposent ou recommandent, évaluer leur compatibilité avec les besoins des clients auxquels ils fournissent un conseil mentionné au I de l’article L. 541-1, notamment en fonction du marché cible défini, et veiller à ce que les instruments financiers ne soient proposés ou recommandés que lorsque c’est dans l’intérêt du client ».
En l’espèce, les demanderesses allèguent qu’un conseiller en investissements financiers doit proposer des placements en adéquation avec leur situation et objectifs. Cela supposerait qu’une analyse du profil investisseur et de la sécurité du placement choisi soit faite. La SARL [C] et Madame [G] [Z] soutiennent que la défenderesse avait pour rôle d’assurer le suivi de leur portefeuille en proposant régulièrement la vente et le rachat d’actifs, outre la proposition ponctuelle d’investissements. Ce suivi supposerait une surveillance de l’adéquation entre les risques connus et le profil de l’investisseur pour lequel la SARL Finance Concepts aurait été déficiente. Ils soutiennent que les investissements étaient réservés à des investisseurs avertis, catégorie dont ne feraient pas partie Madame [G] [Z] et la SARL [C], selon l’article D 533-11 du code monétaire et financier.
Madame [G] [Z] et la SARL [C] arguent qu’un tel degré d’implication de la SARL Finance Concepts dans le projet d’investissement depuis 2016 ne permettrait pas d’exclure l’hypothèse de l’engagement de sa responsabilité pour manquement à son obligation de conseil et constituerait un intérêt légitime au référé expertise.
La défenderesse réplique que le contenu de la mission d’expertise sollicitée visant à demander à l’expert de se prononcer sur la qualité des diligences effectuées et des conseils donnés par la SARL Finance Concepts par rapport au profil de risques de la SARL [C] serait assimilable à l’appréciation de l’existence d’une éventuelle carence ou d’un manquement commis à son obligation de conseil et d’information. Or, cela reviendrait à demander à l’expert de porter une appréciation d’ordre juridique sur la situation litigieuse, ce qui est prohibé par l’article 238 du code de procédure civile selon lequel « Le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis.
Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties.
Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique ».
La SARL Finance Concepts ajoute que le profil investisseur versé aux débats par les demandeurs ne constituerait pas une preuve de l’existence d’un motif légitime à l’expertise puisque ce document a été signé par Madame [G] [Z], représentante légale de la SARL [C]. En outre, l’appréciation de l’éventuel manquement au devoir de conseil de la SARL Finance Concepts ne serait pas tributaire d’une expertise technique mais une appréciation juridique. Il est avancé qu’une réponse judiciaire a déjà été apportée dans une centaine de dossiers similaires concernant les produits Bio C’Bon et ICBS sans qu’aucune expertise judiciaire n’ait été jugée nécessaire.
De surcroît, la défenderesse allègue que l’appréciation du caractère averti de la SARL [C] ne relèverait pas d’une appréciation technique mais juridique sur le fondement d’une définition et d’un faisceau d’indices précis tels que le niveau d’études, la profession, le nombre et la nature des investissements réalisés. Il est également soulevé par la défenderesse que la mission sollicitée dépasse le strict cadre probatoire de l’article 145 du code de procédure civile en ce que celle-ci, du fait de sa généralité, aurait pour effet de substituer l’expert aux demanderesses dans l’administration de la preuve.
A cela s’ajoute que la SARL Finance Concepts argue que son devoir de conseil et d’information ne s’analyse qu’en une obligation de moyens compte tenu du caractère intellectuel de la prestation et de l’aléa propre à toute gestion de patrimoine. La défenderesse soutient ne pouvoir être garante de la rentabilité du produit conseillé ni de la stratégie patrimoniale adoptée. Elle ajoute qu’elle ne serait tenue par aucune obligation légale de suivi de l’investissement conseillé de sorte que la défaillance ultérieure de l’un des participants à cet investissement ne pourrait lui être reprochée. Son intervention se limiterait à l’aide à la souscription de l’opération.
Madame [G] [Z] et la SARL [C] invoquent également à l’appui de leur demande d’expertise un article de presse en date du 29 novembre 2017 et un courrier de l’Autorité des Marchés Financiers du 27 juillet 2018 qui alerteraient des conditions de commercialisation des produits BCBB et ICBS. Toutefois, cet argument est inopérant en ce que lesdits documents sont postérieurs à la date de souscription des investissements litigieux, soit le 14 juin 2016. La SARL Finance Concepts ne pouvait donc pas avoir connaissance des avertissements publiés.
La SARL Finance Concepts allègue également que l’expertise judiciaire sollicitée porterait sur l’obligation de suivi de la SARL Finance Concepts dont le juge devrait préalablement vérifier l’existence sans que les demanderesses ne rapportent la preuve d’un commencement de faute ou d’un préjudice. En effet, il serait impossible aux demanderesses de justifier d’une perte en capital certaine tant que la société n’a pas été indemnisée par les organes de la procédure collective, le préjudice étant jusqu’alors qu’hypothétique.
A supposer une faute établie, les demanderesses n’apportent aucun élément permettant d’établir et d’évaluer l’existence d’un préjudice résultant d’une perte de chance qui ne saurait être équivalent à la totalité d’une perte financière en présence d’un investissement financier comportant nécessairement un aléa. A cela s’ajoute qu’il n’appartient pas à un expert, technicien dans une spécialité précise, de se livrer à une appréciation juridique des faits de la cause en se prononçant sur la question des responsabilités encourues résultant d’un potentiel manquement à un devoir de conseil, la mission ainsi sollicitée ne constituant pas une mesure légalement admissible au sens de l’article 145 du code de procédure civile.
En conséquence, la demande d’expertise sollicitée par Madame [G] [Z] et la SARL [C] sera rejetée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Il sera alloué à la SARL Finance Concepts la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Madame [G] [Z] et la SARL [C], qui succombent, seront condamnés aux dépens.
Nous, juge des référés, statuant publiquement par ordonnance contradictoire, en premier ressort et prononcée par mise à disposition au greffe, avis préalablement donné,
Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront ; vu les articles 31, 122 et 145 du code de procédure civile,
Au provisoire ;
DECLARONS irrecevables les demandes formulées par Madame [G] [Z] pour défaut d’intérêt à agir contre la SARL Finance Concepts ;
REJETONS la demande d’expertise sollicitée par Madame [G] [Z] et la SARL [C] ;
CONDAMNONS Madame [G] [Z] et la SARL [C] à payer à la SARL Finance Concepts la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETONS les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNONS Madame [G] [Z] et la SARL [C] aux entiers dépens ;
RAPPELLONS que la présente décision est exécutoire de droit en vertu de l’article 514 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE JUGE DES REFERES