Contexte du LitigeLe syndicat professionnel FORCE OUVRIERE a assigné l’Institut [4] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, reprochant la suppression d’un usage établi depuis 2014 concernant la récupération des heures excédentaires stockées dans un compteur Récupération Heures Exercice antérieur (RHE) sans application de la prescription triennale, lors d’une réunion du Comité Social et Economique le 20 septembre 2022. Demandes du SyndicatLe syndicat demande principalement au tribunal de condamner l’Institut [4] à rétablir l’usage de récupération des heures excédentaires sans prescription triennale et à communiquer aux salariés concernés les compteurs RHE intégrant les heures antérieures à 2019. En cas de rejet de cette demande principale, il demande subsidiairement la même chose mais sur la base d’un engagement unilatéral. De plus, il réclame 20 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession. Réponse de l’Institut [4]L’Institut [4] conteste l’action du syndicat, la déclarant irrecevable, et demande des dommages et intérêts de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il soutient que le syndicat n’a pas d’intérêt à agir pour la régularisation des situations individuelles des salariés, qui relèvent de la liberté personnelle de chaque salarié. L’Institut argue également que la demande de communication des compteurs n’a pas de fondement juridique. Arguments du Syndicat en RépliqueEn réponse, le syndicat FORCE OUVRIERE affirme que son action est recevable car elle vise à défendre l’intérêt collectif de la profession. Il soutient que les syndicats peuvent agir pour faire respecter un usage ou un engagement de l’employeur si cela cause un préjudice à l’intérêt collectif. Le syndicat précise que sa demande de communication des compteurs RHE ne vise pas à régulariser des situations individuelles, mais à mettre fin à une irrégularité constatée. Décision du Juge de la Mise en ÉtatLe juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l’Institut [4], considérant que l’action du syndicat est recevable. Il a condamné l’Institut à verser 1 000 euros au syndicat au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 9 janvier 2025, tout en réservant les dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
INCIDENT
RME
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
1ERE CHAMBRE CIVILE
N° RG 23/10129 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YPNQ
N° de Minute : 2024/00
AFFAIRE :
Syndicat FORCE OUVRIERE DU PERSONNEL DE L’INSTITUT [4]
C/
Etablissement DE SANTE PRIVE D’INTERET COLLECTIF INSTITUT [4]
Exécutoire Délivrée
le :
à
Avocats : Me Elise DELROT
la SELARL ELLIPSE AVOCATS
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
Le VINGT HUIT OCTOBRE DEUX MIL VINGT QUATRE
Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente
Juge de la Mise en Etat de la 1ERE CHAMBRE CIVILE,
Assistée de David PENICHON, Greffier.
ORDONNANCE :
Contradictoire, susceptible d’appel dans les conditions prévues à l’article 795 du Code de Procédure Civile,
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,
Vu la procédure entre :
DEMANDEUR A L’INCIDENT
INSTITUT [4]
Dont le siège social est :
[Adresse 2]
[Localité 3]
Pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au dit siège
Représenté par Maître Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
DEFENDEUR A L’INCIDENT
Le Syndicat Force Ouvrière du Personnel de l’Institut [4]
Syndicat professionnel pris en la personne de son représentant légal, Monsieur [W] [E], es qualité de secrétaire général demeurant en cette qualité au siège social sis :
[Adresse 1]
Représentée par Maître Elise DELROT, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Reprochant à l’Institut [4] d’avoir supprimé lors d’une réunion du Comité Social et Economique du 20 septembre 2022, l’usage ou l’engagement unilatéral de l’employeur existant depuis 2014 relatif à la possibilité pour les salariés de récupérer les heures excédentaires stockées dans un compteur Récupération Heures Exercice antérieur (RHE) sans application de la prescription triennale, le syndicat professionnel FORCE OUVRIERE l’a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Bordeaux par acte du 1er décembre 2023, sur le fondement de l’article L 2132-3 du code du travail.
Au termes de son assignation, le syndicat Force OUVRIER demande, notamment, au tribunal de :
A titre principal
– condamner l’Institut [4] à appliquer l’usage consistant en la récupération des heures exécédentaires et supplémentaires stockées sur le compte RHE par les salariés sans application de la prescription triennale,
– condamner l’Institut [4] à maintenir en vigueur cet usage et à communiquer aux salariés concernés le compteur RHE intégrant les heures excédentaires et supplémentaires antérieures à 2019, soit depuis 2011, sous astreinte,
A titre subsidiaire,
– condamner l’Institut [4] à appliquer l’engagement unilatéral consistant en la récupération des heures exécédentaires et supplémentaires stockées sur le compte RHE par les salariés sans application de la prescription triennale,
– condamner l’Institut [4] à maintenir en vigueur cet engagement unilatéral et à communiquer aux salariés concernés le compteur RHE intégrant les heures excédentaires et supplémentaires antérieures à 2019, soit depuis 2011, sous astreinte,
En tout état de cause,
– condamner l’Institut [4] à verser au Syndicat Force Ouvrière du personnel de l’Institut [4] la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession,
Par conclusions notifiées par RPVA le 05 août 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, l’Institut [4] demande au juge de la mise en état de :
– déclarer irrecevable l’action du syndicat FORCE OUVRIERE ;
– condamner le syndicat professionnel FORCE OUVRIERE à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner le syndicat professionnel FORCE OUVRIERE aux dépens.
Il soulève, au visa de l’article L. 2132-3 du code du travail, une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir du syndicat professionnel FORCE OUVRIERE alors que son action a pour objectif d’obtenir la régularisation de la situation individuelle des salariés, prétendument irrégulière, au regard de leur compteur d’heures.
Or, il est conclu que les syndicats professionnels ne peuvent agir que pour défendre l’intérêt collectif de la profession et qu’il résulte de la jurisprudence de la cour de cassation (notamment Cass. Soc., 22 nov. 2023, n°22-14.807) que la demande du syndicat tendant à condamner l’employeur à régulariser la situation individuelle des salariés relève de la liberté personnelle de chaque salarié et non pas de la défense de l’intérêt collectif de la profession ; qu’en l’espèce, la demande tend à cette régularisation de situation individuelle , peu importe la façon dont la demande est présentée.
L’institut [4] ajoute que le demande de communication d’un solde de compteur n’a, en outre, aucun fondement juridique et est parfaitement inutile, chaque salarié ayant librement accès à ses informations individuelles.
Il précise que le syndicat professionnel FORCE OUVRIERE n’a pas d’intérêt à agir pour demander des dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt de la profession en ce que cette demande n’est que le corrolaire de la demande principale en régularisation de la situation individuelle des salariés.
Il ajoute que l’appréciation de la prescription triennale des salaires, qui est d’ordre public, est une question individuelle dont l’application ne peut être écartée par un usage ou un engagement unilatéral. Il en conclut que l’intérêt collectif de la profession n’est nullement en jeu dans ce dossier.
Par conclusions notifiées par RPVA le 04 septembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, le syndicat professionnel FORCE OUVRIERE demande au juge de la mise en état de :
– déclarer recevable son action ;
En conséquence,
– débouter l’Institut [4] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions d’incident ;
– condamner l’Institut [4] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Il conclut, au visa des articles 31 du code de procédure civile et L. 2132-3 du code du travail, que son action pour demander le rétablissement de l’usage ou de l’engagement unilatéral qui était en vigueur jusqu’au 20 septembre 2022 et le versement de dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession relève de l’intérêt collectif et est par conséquent recevable.
Il plaide que les syndicats professionnels ont intérêt à agir pour demander l’exécution d’une convention, d’un accord collectif de travail, même non étendu, ou d’un engagement de l’employeur si son inapplication cause un préjudice à l’intérêt collectif de la profession et non à l’intérêt individuel des salariés.
Il ajoute que sa demande de communication aux salariés concernés du compteur RHE ne constitue pas une demande de régularisation d’une situation individuelle des salariés en leur réglant les éventuels rappels de salaires dus au titre des heures excédentaires non décomptées et supprimées, ce qui relève de la compétence du Conseil de prud’hommes. Il fait valoir qu’il s’agit d’ une demande tendant à voir enjoindre à l’employeur de mettre fin à l’irrégularité constatée et qu’il ne s’agit que de la conséquence de l’action en reconnaissance de l’engagement unilatéral pour mettre fin à l’irrégularité dénoncée.
Il conclut, par ailleurs, que l’appréciation de son intérêt à agir n’est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de son action de sorte que le développement de son adversaire portant l’existence d’un usage ou d’un engagement unilatéral ou encore sur la renonciation à la prescription triennale des créances salariales est indifférent au stade de l’incident.
Il conclut enfin que si sa demande tendant à la communication du compteur RHE était déclarée irrecevable, cette irrecevabilité n’emporterait pas celle de ses autres demandes.
En application de l’article 789 1° et 6° du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.
L’article L. 2132-3 du code du travail dispose que les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice : “ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.”
Si un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l’existence d’une irrégularité commise par l’employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d’égalité de traitement et demander, outre l’allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l’intérêt collectif de la profession, qu’il soit enjoint à l’employeur de mettre fin à l’avenir à l’irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte, il ne peut prétendre obtenir du juge qu’il condamne l’employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts (Cass. Soc., 22 nov. 2023, n°22-14.807).
En l’espèce, la demande du syndicat tendant à voir maintenir en vigueur un prétendu usage ou en engagement unilatéral de l’employeur relatif à la récupération d’heures exécdentaires sans application de la prescription triennale, dont le juge du fond aura à apprécier la réalité de l’existence qui est contestée, tend à la défense d’un intérêt collectif et non individuel.
La demande de communication aux salariés sous astreinte des compteurs temps intégrant les heures qui auraient été écrétées en contravention à ce prétendu usage ou engagement unilatéral consistant à écarter la prescription triennale des créances salariales, peut s’analyser comme une mesure tendant à enjoindre à l’employeur de mettre fin à l’irrégularité constatée, sans consituer pour autant une demande tendant à une régularisation de la situation individuelle des salariés. A ce stade, il n’y a pas lieu de d’apprécier ni le bien fondé de cette demande, ni sa pertinence.
Il y a donc lieu de rejeter l’irrecevabilité de l’action du syndicat.
L’Institut [4] sera condamné à payer au syndicat FO la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le juge de la mise en état,
– REJETTE la fin de non recevoir tiré de l’irrecevabilité de l’action du syndicat Force Ouvrière du personnel de l’Institut [4];
-CONDAMNE L’Institut [4] à payer au syndicat Force Ouvrière du personnel de l’Institut [4] la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état du 9 janvier 2025 avec injonction de conclure au fond au défendeur,
– RESERVE les dépens.
La présente décision est signée par Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et David PENICHON, Greffier.
LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT