Le 3 juin 2013, M. [V] [N] et Mme [F] [X] ont signé un contrat de construction avec la société Cdr constructions, assurée par la Smabtp. La réception de l’ouvrage a eu lieu le 25 juillet 2014. Le 18 novembre 2016, les maîtres d’ouvrage ont déclaré un sinistre à la Smabtp, mentionnant divers désordres, notamment l’inutilisabilité de l’accès au garage, des problèmes d’implantation, d’humidité excessive dans le sous-sol, des dimensions non conformes des pièces et des fissurations sur le crépi. La Smabtp a refusé la garantie le 14 avril 2017.
Le 23 novembre 2018, M. [N] et Mme [X] ont assigné Cdr constructions et la Smabtp pour une expertise judiciaire. Un expert a été désigné, et son rapport a été déposé le 27 novembre 2020. Le 3 août 2021, les maîtres d’ouvrage ont assigné à nouveau les deux parties devant le tribunal judiciaire de Rouen. Le jugement du 13 mars 2023 a condamné Cdr constructions à verser 1 500 euros pour les fissurations et a débouté les demandeurs de leurs autres demandes, y compris celles contre la Smabtp. M. [N] et Mme [X] ont interjeté appel le 24 mars 2023. Le 27 mars 2024, Cdr constructions a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire le 24 avril 2024. Le 7 mai 2024, la présidente de la chambre a constaté l’interruption de la cause et a ordonné la disjonction de la procédure d’appel. Dans leurs conclusions du 18 avril 2024, M. [N] et Mme [X] demandent l’infirmation du jugement et la reconnaissance de la responsabilité de Cdr constructions pour l’ensemble de leurs préjudices, ainsi que la mobilisation des garanties de la Smabtp. Ils réclament des indemnités pour divers désordres et préjudices, y compris des dommages et intérêts pour préjudice moral. La Smabtp, dans ses conclusions du 8 septembre 2023, demande la confirmation du jugement et conteste la nature décennale des vices allégués, affirmant que certains désordres étaient apparents à la réception. Elle souligne également que les maîtres d’ouvrage n’ont pas prouvé l’existence de préjudices immatériels et conteste les montants réclamés. L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 AOUT 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Tribunal judiciaire de Rouen du 13 mars 2023
APPELANTS :
Monsieur [V] [N]
né le 25 juillet 1977 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté et assisté par Me Florence DELAPORTE, avocat au barreau de Rouen
Madame [F] [X]
née le 15 mars 1973 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée et assistée par Me Florence DELAPORTE, avocat au barreau de Rouen
INTIMEE :
SAMCV SMABTP – SOCIETE MUTUELLE D’ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS
RCS de Paris 775 684 764
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Laure VALLET de la SELARL CAULIER VALLET, avocat au barreau de Rouen substituée par Me Frédéric CAULIER
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 13 mai 2024 sans opposition des avocats devant Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT
DEBATS :
A l’audience publique du 13 mai 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 août 2024.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 août 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 3 juin 2013, M. [V] [N] et Mme [F] [X] ont signé avec la Sas Cdr constructions, assurée auprès de la Smabtp, un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan.
La réception de l’ouvrage est intervenue le 25 juillet 2014.
Le 18 novembre 2016, les maîtres de l’ouvrage ont établi une déclaration de sinistre auprès de la Smabtp en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage en visant les désordres suivants :
– accès garage et sous-sol inutilisable,
– problème d’implantation de la maison,
– humidité excessive dans le sous-sol,
– dimension des pièces habitables non respectée,
– fissurations sur le crépi.
Un refus de garantie a été notifié le 14 avril 2017 par la Smabtp.
Par acte d’huissier en date du 23 novembre 2018, M. [N] et Mme [X] ont assigné la société Cdr constructions et la Smabtp devant le juge des référés aux fins de solliciter l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire.
Par ordonnance en date du 29 janvier 2019, le juge des référés a désigné M. [R] en qualité d’expert, lequel a déposé son rapport le 27 novembre 2020.
Par acte d’huissier en date du 3 août 2021, M. [N] et Mme [X] ont assigné la société Cdr constructions et la Smabtp devant le tribunal judiciaire de Rouen.
Par jugement du 13 mars 2023, le tribunal judiciaire de Rouen a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– condamné la société Cdr constructions à payer à M. [N] et Mme [X] la somme de 1 500 euros au titre du désordre relatif aux fissurations de l’enduit, et ce avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
– ordonné la capitalisation des intérêts,
– débouté M. [N] et Mme [X] du surplus de leurs demandes indemnitaires au titre des préjudices matériels et immatériels formées à l’encontre de la société Cdr constructions,
– débouté M. [N] et Mme [X] de leurs demandes formées à l’encontre de la Smabtp,
– condamné la société Cdr constructions à payer à M. [N] et Mme [X] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les autres demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Cdr constructions aux entiers dépens, en ce compris ceux de référé et les frais d4expertise judiciaire, qui seront recouvrés par Me Delaporte Janna conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 24 mars 2023, M. [N] et Mme [X] ont interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 27 mars 2024 du tribunal de commerce de Rouen, la société Cdr constructions a été placée en redressement judiciaire. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 24 avril 2024, Me [H] ayant été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par ordonnance du 7 mai 2024, la présidente de la chambre chargée de la mise en état, a :
– constaté l’interruption de la cause enregistrée au répertoire général de la cour d’appel de Rouen sous le RG 23/01125,
– invité les parties à informer la cour de la reprise éventuelle de la procédure par la mise en cause du liquidateur de la Sas Cdr constructions,
– ordonné la disjonction de la procédure d’appel dirigée à son encontre qui se poursuivra sous le RG 24/01669,
– renvoyé le dossier disjoint à la mise en état électronique.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions récapitulatives notifiées le 18 avril 2024, M. [N] et Mme [X] demandent à la cour, au visa des articles 369 et 373 du code de procédure civile, 1137, 1150 et 1151 (ancien) du code civil, à titre principal, 1792 et suivants du code civil, L. 124-3, L. 242-1 et suivants du code des assurances, à titre subsidiaire, 1147 (ancien) du code civil, de :
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
– juger la société Cdr constructions responsable de l’ensemble de leurs préjudices,
– juger que les garanties de la Smabtp en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage et en sa qualité d’assureur de la société Cdr constructions sont mobilisables pour indemniser les préjudices subis,
– débouter la société Cdr constructions et la Smabtp de toutes leurs demandes,
à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale ou à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun,
– condamner in solidum Me [H] en qualité de mandataire judiciaire de la société Cdr constructions et la Smabtp à leur payer les sommes suivantes :
. 26 683,93 euros Ttc au titre du lot ‘métallerie’ (entreprise Buray) pour le désordre ‘accessibilité au sous-sol’ et non-respect des prescriptions d’urbanisme, avec intérêts de droit à compter du dépôt du rapport d’expertise, soit le 27 novembre 2020,
. 48 762 euros Ttc au titre du devis de gros oeuvre de l’entreprise Mg Construction et non respect des prescriptions d’urbanisme, avec intérêt de droit à compter du 27 novembre 2020,
. 2 000 euros au titre du désordre ‘altimétrie du pavillon’ (pénétration d’eau en sous-sol) avec intérêt de droit à compter du 27 novembre 2020,
. 5 000 euros au titre du non respect des dimensions des plans des surfaces habitables, avec intérêt de droit à compter du 27 novembre 2020,
. 3 000 euros au titre du désordre ‘humidité en sous-sol’ avec intérêts de droit à compter du 27 novembre 2020,
. 3 000 euros au titre du désordre ‘fissurations d’enduit’ avec intérêts de droit à compter du 27 novembre 2020,
. 6 935 euros Ttc au titre des honoraires de maîtrise d’oeuvre concernant les travaux de reprise, avec intérêts de droit à compter du 27 novembre 2020,
. 3 600 euros au titre de l’assurance dommages-ouvrage, avec intérêt de droit à compter du 27 novembre 2020,
. les frais d’assistance technique exposés,
. 59 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi depuis leur entrée dans les lieux, sauf à parfaire pour la période postérieure au 30 avril 2024,
. 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance pendant les travaux de reprise dont la durée est fixée à quatre mois,
. 60 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi sur perte de valeur du bien et préjudice en cas de revente,
. 6 296 euros au titre des taxes d’aménagement,
. 3 634 euros au titre des taxes foncières,
. 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,
– fixer au passif du redressement judiciaire de la société Cdr constructions toutes ces créances,
– débouter Me [H], ès qualité et la Smabtp de toutes leurs demandes,
– confirmer le jugement en ce qu’il a alloué la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum Me [H], ès qualité et la Smabtp à leur payer la somme de 32 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris ceux de la procédure de référé expertise, les frais d’expertise de M. [R], les dépens de première instance, et les dépens d’appel, avec distraction au profit de Me Delaporte Janna.
Les appelants reprochent aux premiers juges d’avoir considéré que le désordre affectant la rampe d’accès au garage en sous-sol caractéristique d’un non-respect des prescriptions d’urbanisme était apparent à la réception, de sorte qu’en l’absence de réserve, il était couvert. Ils rappellent qu’ils sont profanes en matière de construction, que le désordre ne s’est révélé qu’à l’usage et postérieurement à la réception en ce que la rampe d’accès n’était pas utilisable par des véhicules automobiles et qu’elle présentait un caractère dangereux. Ils n’avaient pas les connaissances nécessaires pour examiner la conformité de la construction aux normes d’urbanisme, au PLU, au permis de construire.
À titre subsidiaire, ils entendent mettre en oeuvre la responsabilité civile de la société Cdr constructions et estiment, à ce titre, que la Smabtp ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle ne garantit pas cette responsabilité, de sorte que leur recours contre elle est bien fondé.
Sur le problème d’implantation de la maison et la pénétration des eaux de pluie, M. [N] et Mme [X] entendent engager la responsabilité contractuelle de la société Cdr constructions au motif que l’expert a relevé que les sorties de ventilation du garage en Pvc n’étaient ni recouvertes d’un chapeau pare-pluie, ni placées à plus de 15 cm du sol et que des pénétrations de fourreaux n’étaient pas étanches. De même, au visa des conclusions expertales, ils recherchent la responsabilité contractuelle de droit commun de leur cocontractant au titre de l’humidité excessive dans le sous-sol, des dimensions des pièces habitables non respectées par rapport au plan.
Concernant les fissurations sur crépis au niveau des pignons de façade, les appelants sollicitent l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a rejeté leur action sur le fondement de la garantie décennale. Ils font valoir que contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, l’expert a précisé que l’enduit était destiné à imperméabiliser la façade et que l’enduit est ponctuellement défaillant et impropre à sa destination. À titre subsidiaire, ils entendent mobiliser la responsabilité contractuelle de droit commun de la société Cdr constructions.
Sur le montant de leurs préjudices matériels et immatériels, ils affirment que les critiques sont vaines et infondées. Plus particulièrement, ils rappellent que leur sol-sol ne pourra jamais être affecté à sa destination initiale, à savoir servir de garage à deux véhicules, ce qui les contraints à réaménager l’intégralité de leur terrain pour respecter les règles d’urbanisme. Cette situation leur occasionne d’importants préjudices financiers, de jouissance et moral.
Par dernières conclusions notifiées le 8 septembre 2023, la Smabtp demande à la cour, au visa de l’article 1792 du code civil, de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
en conséquence,
– débouter les consorts [N]-[X] de toute demande de condamnation à son encontre sur le fondement de l’article 1147 du code civil ancien,
– dire que le désordre relatif à l’impraticabilité de l’accès au garage était apparent à la réception et a été purgé en raison de l’absence de réserve, et en conséquence débouter les consorts [N]-[X] de leurs demandes de condamnation au titre des travaux relatifs à l’accessibilité au sous-sol à hauteur de 26 683,93 euros pour le lot métallerie et de 48 762 euros pour le lot gros oeuvre, 6 935 euros au titre des honoraires et 3 600 euros au titre de l’assurance dommages-ouvrage,
– débouter les consorts [N]-[X] de leurs demandes au titre de l’humidité du sous-sol, de la fissuration d’enduit, au titre de la perte sur la valeur du bien et préjudice de revente, au titre du préjudice fiscal, au titre du préjudice moral, de leur demande d’intérêt à faire courir à compter du dépôt du rapport d’expertise judiciaire,
– débouter les consorts [N]-[X] de leur demande au titre du préjudice de jouissance, ou, à titre subsidiaire, si la cour considérait que les appelants ont subi un préjudice de jouissance, le réduire à de plus justes proportions et l’arrêter à la date du 6 avril 2021,
– débouter les consorts [N]-[X] de leur demande au titre des frais irrépétibles, à tout le moins, réduire leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les consorts [N]-[X] à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de la Selarl Gray Scolan conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Smabtp fait valoir qu’en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage et responsabilité civile décennale, sa garantie ne peut être recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun de son assurée.
En outre, sur le fondement de l’action en garantie décennale, elle demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que le désordre affectant l’accès au garage était apparent et avait été couvert par la réception sans réserve, rappelant de surcroît que les maîtres de l’ouvrage ne se sont plaints de cette situation que plus de deux ans après la réception de l’ouvrage.
Concernant le désordre allégué au titre de l’humidité en sous-sol et celui relatif à la fissuration d’enduit, l’intimée conclut à l’absence de nature décennale de ces deux vices, de sorte que sa garantie est exclue.
À titre subsidiaire, si la cour devait retenir la mise en oeuvre de la garantie décennale pour le désordre relatif à l’accès au garage, elle sollicite que les demandes des appelants soient drastiquement réduites, faisant observer que sans reconnaissance de responsabilité, ni de garantie, elle leur avait proposé, dans un courrier du 6 avril 2021, de transiger moyennant le paiement d’une somme forfaitaire de 75 000 euros conformément au chiffrage retenu par l’expert. Ils ont refusé cette possibilité. Elle estime, qu’en conséquence, ils ne peuvent valablement réclamer l’indemnisation de préjudices immatériels postérieurement à cette date.
En outre, elle conteste l’existence de tout préjudice de jouissance et estime que la preuve de l’existence du préjudice de perte sur la valeur du bien et sur le prix de revente n’est pas rapportée. Il en est de même du préjudice en matière fiscale. Enfin, elle relève que la demande au titre du préjudice moral est exorbitante.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.
À titre liminaire, il convient de faire observer qu’en raison de la disjonction prononcée le 7 mai 2024, la présente instance RG 23/01125 concerne désormais uniquement le litige opposant M. [N] et Mme [X] à la Smabtp. Aussi, la cour examinera uniquement les demandes présentées par les appelants contre cette dernière.
Sur la nature de la garantie de la Smabtp
Aux termes de l’article L. 124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré.
En l’espèce, M. [N] et Mme [X] entendent rechercher la garantie de la Smabtp à la fois sur le terrain de la responsabilité décennale de la société Cdr constructions mais également sur celui de sa responsabilité contractuelle de droit commun.
Or, contrairement à ce que soutiennent les appelants, la Smabtp rapporte la preuve, en versant aux débats les conditions particulières et générales de la police d’assurance souscrite par la société Cdr constructions le 10 février 1995, que le contrat ainsi conclu porte uniquement sur l’assurance dommage-ouvrage et l’assurance de responsabilité décennale obligatoire, outre la responsabilité civile de l’assurée envers ses préposés ou les tiers mais qu’il ne couvre aucunement la responsabilité civile de droit commun de la société Cdr constructions.
Aussi, la cour n’examinera que les demandes présentées par M. [N] et Mme [X] sur le fondement de l’article 1792 du code civil, la garantie de la Smabtp sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil n’étant pas due.
Sur la mise en oeuvre de la responsabilité décennale de la société Cdr constructions
Aux termes de l’article 1792 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipements, le rendent impropre à sa destination.
Conformément à l’application de l’article 1792-6 du même code, la mise en oeuvre de cette garantie suppose la réception de l’ouvrage expresse, tacite ou judiciaire.
La réception couvre les vices de construction et de conformité apparent, de sorte que la garantie décennale ne peut être mobilisée.
– Sur le désordre au titre de la rampe d’accès au sous-sol
La nature du désordre n’est pas contestée. Les parties s’opposent sur le caractère apparent ou non de ce désordre lors de la réception intervenue le 25 juillet 2014, étant précisé que si la réception expresse de l’ouvrage a été prononcée avec réserves, ces dernières n’ont pas de lien avec ce désordre.
En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise judiciaire que le désordre litigieux est décrit comme suit : la pente de la rampe d’accès au sous-sol est inaccessible à tout véhicule, alors que la destination de cette partie de l’habitation était destinée à accueillir le stationnement de deux véhicules et d’une motocyclette, outre une voiture stationnable dans la pente. L’expert précise que la pente est suffisamment prononcée pour rendre l’accès à pied dangereux et interdire l’entreposage de tout matériel de jardinage pour un usage courant.
Au vu de cette description et des photographies présentes dans le rapport d’expertise judiciaire, les appelants ne peuvent valablement soutenir que l’inaccessibilité n’a pu être découverte qu’à l’usage après la réception de l’ouvrage, cette difficulté et l’inclinaison très importante de la pente étant visible à l’oeil nu.
En outre, c’est à juste titre que les premiers juges ont relevé que contrairement à ce qu’indiquent M. [N] et Mme [X], l’expert n’affirme aucunement ‘qu’il n’était pas possible, pour des profanes en matière de construction de relever ce désordre à la réception’ (page 21 des conclusions des demandeurs). En effet, l’expert expose uniquement que ‘Madame [X] et Monsieur [N], profanes en matière de construction, ne pouvaient conclure des plans produits par leur constructeur que la rampe d’accès au garage serait inaccessible’ (page 28 du rapport d’expertise). À l’opposé de leur interprétation, il y a lieu de considérer que l’expert a implicitement considéré que ce désordre était apparent lors de la réception, puisqu’il s’est étonné qu’il n’avait pas été relevé en indiquant la phrase suivante : ‘ce point particulièrement important n’est même pas évoqué dans le procès-verbal de réception des travaux’.(page 28 du rapport d’expertise).
Enfin, contrairement à l’affirmation de l’expert reprise à titre d’argument par M. [N] et Mme [X], le fait que le constructeur soit tenu d’une obligation de résultat est un élément totalement indifférent pour retenir ou non le caractère apparent du vice.
Surabondamment, il sera fait observer qu’il ressort de la notice descriptive du contrat de construction conclu entre les parties produit aux débats que les maîtres de l’ouvrage s’étaient expressément réservés l’édification du mur extérieur de soutènement et les travaux de viabilisation de la descente de garage qui devait donc être livrée uniquement en terre brute. Aussi, et quand bien même, il n’est pas contesté que M. [N] et Mme [X] ne sont pas des professionnels de la construction, ils se devaient, en recevant le terrain, support des travaux qu’ils s’étaient gardés, de porter une attention particulière à la configuration de la rampe d’accès, étant rappelé que son caractère très pentu était parfaitement décelable à l’oeil nu.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [N] et de Mme [X] présentées contre la Smabtp au titre de ce désordre ainsi que toutes les demandes indemnitaires subséquentes.
– Sur les fissurations sur crépis au niveau des pignons de façade
Dans son rapport, l’expert décrit ce désordre comme suit : ‘les fissures constatées au niveau des pignons de la façade sont apparues après réception de l’ouvrage probablement à la suite d’une différence de dilatation des matériaux non anticipée par le ravaleur. Les pannes sablières sur les pignons Nord-est et sud ouest provoquent des décollements de l’enduit extérieur suite à de légères poussées horizontales non anticipées. Aucune infiltration d’eau n’est observée en raison du débord de toit important.’
Les appelants ne versent aucune pièce établissant que depuis le dépôt du rapport d’expertise judiciaire, des infiltrations d’eau seraient survenues au niveau de ces fissures.
Aussi, et peu important la destination de l’enduit, à défaut de rapporter la preuve de l’existence d’infiltration d’eau au niveau de ces enduits, l’étanchéité est toujours assurée et le caractère décennal du désordre n’est donc pas établi.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de M. [N] et Mme [X] présentée contre la Smabtp à ce titre.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande au titre des frais irrépétibles sollicités en première instance par la Smabtp.
M. [N] et Mme [X] succombant, ils seront condamnés aux dépens d’appel avec distraction au profit de la Selarl Gray Scolan conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’équité et la solution du litige commandent qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la Smabtp à concurrence de la somme de 3 000 euros.
La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Statuant dans les limites de sa saisine au vu de l’ordonnance de disjonction du 7 mai 2024,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
Condamne M. [V] [N] et Mme [F] [X] à payer à la Smabtp la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
Condamne M. [V] [N] et Mme [F] [X] aux entiers dépens de la présente instance d’appel, avec distraction au profit de la Selarl Gray Scolan.
Le greffier, La présidente de chambre,