La publicité neutre en faveur de l’alcool est-elle possible ? Affaire Kronenbourg

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La publicité neutre en faveur de l’alcool est-elle possible ? Affaire Kronenbourg

La publicité neutre en faveur de l’alcool est difficilement conciliable avec les objectifs de vente des fabricants.

Affaire Grimbergen

Poursuivant une nouvelle fois la société Kronenbourg, l’ANPAA a fait valoir avec succès que la fonction de la publicité “Le Phenix” (Bière Grimbergen) est bien d’inciter à l’achat d’un produit et d’en donner une image valorisante.

L’origine historique du produit

La société Kronenbourg a répliqué en vain que le lien avec l’origine historique du produit, de la devise et du Phénix est expressément rappelé par une mention explicative parfaitement lisible sur l’affiche litigieuse, la mention et la flamme évoquant à la fois les incendies qui ont ravagé l’abbaye à plusieurs reprises, la résistance et la persistance de l’abbaye qui n’a pas été consumée par ces événements, qu’elle ne conteste pas que la bière est produite en dehors de l’abbaye mais que les Pères veillent au respect de la filiation de la bière actuelle avec sa tradition de brassage et attestent eux-mêmes des liens très étroits qui existent et qu’il est inconcevable de penser que les consommateurs pourraient s’imaginer « renaître de leurs cendres » parce qu’ils ont bu de la bière Grimbergen.

Selon elle, la devise en latin se traduirait par la mention « la flamme ne s’éteint jamais ».

L’ANPAA réplique que toute publicité qui présente une boisson alcoolisée de manière valorisante ou incitative est interdite, que la loi n’admet que les publicités purement descriptives et informatives, fonction première de la publicité, que cette restriction est un levier de la lutte contre l’alcoolisme, et que les slogans ‘la flamme ne s’éteint jamais’ ,« Ardet nec Consumitur » et l’utilisation de l’image du phénix sont illicites.

La publicité pour les boissons alcooliques

Aux termes de l’article L. 3323 ‘ 4 du code de la santé publique issu de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Evin, modifié par la loi du 23 février 2005 :

‘La publicité pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.

Les références autorisées

Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine telles que définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés.

Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Le conditionnement d’une boisson alcoolique ne peut être reproduit que s’il est conforme aux dispositions précédentes.(…)’.

Il en résulte que si la publicité pour les boissons alcooliques est licite, elle demeure limitée aux seules indications et références mentionnées à l’article L. 3323-4 précité, doit présenter un caractère objectif et informatif et ne pas être incitative.

L’emploi du terme ‘indication’

L’emploi du terme ‘indication’ démontre en effet la volonté du législateur de limiter la publicité des boissons alcooliques à une information objective sur l’origine, le degré volumique d’alcool, la dénomination, la composition du produit, le nom et l’adresse du fabricant.

L’objectivité est également prévue pour les caractéristiques olfactives, gustatives ainsi que la couleur.

Les possibilités d’expression des annonceurs sont donc restreintes par la loi Evin dont l’esprit n’a pas été modifié par l’adoption de la loi du 23 février 2005.

La position du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel avait déclaré les dispositions de la loi Evin conformes à la Constitution, en énonçant notamment “que les restrictions apportées par le législateur à la propagande ou à la publicité en faveur des boissons alcooliques ont pour objectif d’éviter un excès de consommation d’alcool, notamment chez les jeunes ; telles restrictions reposent sur un impératif de protection de la santé publique, principe de valeur constitutionnelle ; le législateur qui a entendu prévenir une consommation excessive d’alcool, s’est borné à limiter la publicité en ce domaine, sans la prohiber de façon générale et absolue’ (Conseil constitutionnel 8 janvier 1991 DC n° 90-283 §29).

Publicité de l’alcool : le symbolisme est déterminant

L’affiche critiquée, reproduite par le constat d’huissier en date du 10 avril 2018 dressé par Me [S], huissier de justice à [Localité 6], est constituée pour l’essentiel d’un verre de bière plein sur lequel est gravé un phénix, son pied étant entouré d’un halo de feu. En haut de l’affiche et en gros caractères figure le slogan ‘la flamme ne s’éteint jamais’ suivie d’un astérisque qui renvoie à un texte en plus petits caractères, et sur fond plus sombre, figurant à droite de la base du pied.

Il résulte de ce constat que ce texte est le suivant : « au cours de son histoire, l’abbaye de [Localité 5] a été détruite et reconstruite trois fois. Depuis 1629, le phoenix est son emblème et « Ardet nec Consumitur » sa devise qui signifie «la flamme ne s’éteint jamais en latin ».

Le lien de la devise ‘la flamme ne s’éteint jamais’ et de l’image du Phénix avec l’origine historique du produit est susceptible d’échapper au consommateur moyen, le texte figurant sur l’affiche étant écrit en caractères « très peu lisibles » selon le constat d’huissier et sur fond plus sombre, de sorte que son attention n’est pas attirée.

Cette illisibilité est encore accentuée sur la publicité identique diffusée dans le magazine M Le Magazine du Monde en quatrième de couverture en raison de son format plus petit.

Comme relevé par le premier juge, le slogan ‘la flamme ne s’éteint jamais’ n’est pas une traduction littérale de la devise latine de l’abbaye ‘Ardet nec Consumitur’ se traduisant par ‘il brûle et ne se consume pas’ en référence à la résistance de l’abbaye et de ses moines en dépit des incendies et non avec la permanence des flammes qui évoque pour sa part les propriétés magiques du phénix.

L’utilisation du visuel du phénix vise à valoriser la boisson alcoolique ainsi que cela résulte de l’article intitulé : « Grimbergen de nouvelles ailes’ » publié dans la revue des marques n° 74 d’avril 2011 qui reproduit les explications de Monsieur [Z] [F], directeur de la communication consommateurs et marques brasseries Kronenbourg :

« Notre objectif est de rajeunir la cible vers les 20 ‘ 35 ans en développant davantage l’axe émotionnel qui lui correspond. Il s’agit pour celui qui déguste la bière, de se réinventer dans son monde à soi, de s’évader de son quotidien pour aller dans son propre univers ».

Cet article précise aussi que « d’origine éthiopienne selon Hérodote et Plutarque, le phénix, héron pourpré d’une splendeur sans égale, est doué d’une extraordinaire longévité. Il a également le pouvoir, quand l’heure de sa mort approche, après s’être consumé sur un bûcher, de renaître de ses cendres. Résurrections, immortalité, résurgence cyclique sont trois thèmes clés du symbolisme du phénix aussi bien chez les perses, les Grecs et les Romains’ ».

Cette image du phénix peut faire naitre chez le consommateur l’idée que la bière Grimbergen pourrait lui être utile pour surmonter ses difficultés et comme l’oiseau imaginaire ‘renaitre de ses cendres’. Elle fait appel à ses émotions en valorisant la consommation de cette boisson alcoolisée associée à un oiseau aux pouvoirs exceptionnels.

Elle ne se limite pas aux indications objectives et informatives énumérées par la loi.

Dès lors, le visuel de cet animal mythique associé au slogan ‘la flamme ne s’éteint jamais’ avec une flamme entourant un verre de bière a un caractère incitatif et non purement objectif et cette publicité contrevient donc aux restrictions législatives imposées par l’article L. 3323 ‘ 4 du code de la santé publique précité.

Il y a lieu par conséquent de déclarer illicite cette publicité.


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