La preuve des travaux supplémentaires et la responsabilité contractuelle dans le cadre d’un contrat de construction

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La preuve des travaux supplémentaires et la responsabilité contractuelle dans le cadre d’un contrat de construction

Le Gaec de la Cadotterie a engagé la société Fautrat Frères pour la construction d’une stabulation, avec un devis accepté de 270 000 euros. Les travaux ont été réalisés et payés. En juillet 2015, Fautrat Frères a demandé le paiement d’une facture pour des travaux supplémentaires, contestés par le Gaec en raison de désordres. Un expert judiciaire a été désigné, et son rapport a été établi en septembre 2017. En septembre 2018, Fautrat Frères a assigné le Gaec pour obtenir le paiement des travaux supplémentaires, s’élevant à 22 138,75 euros. Le tribunal a rejeté les demandes de Fautrat Frères et celles du Gaec en septembre 2021. Fautrat Frères a fait appel de ce jugement en novembre 2021, demandant la reconnaissance d’un contrat pour les travaux supplémentaires et le paiement de la somme due. Le Gaec a également formé un appel incident, contestant les demandes de Fautrat Frères et réclamant des sommes pour des travaux de reprise. L’instruction a été clôturée en mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 septembre 2024
Cour d’appel de Caen
RG
21/03176
AFFAIRE : N° RG 21/03176 –

N° Portalis DBVC-V-B7F-G4AN

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : Décision du Président du TJ de COUTANCES du 09 Septembre 2021 – RG n° 18/01491

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2024

APPELANTE :

La S.A.R.L. FAUTRAT FRERES

N° SIRET : 780 930 509

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

INTIMÉE :

Le G.A.E.C. DE LA CADOTTERIE

[Adresse 5]

[Localité 2]

pris en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Estelle DARDANNE, avocat au barreau de COUTANCES

DÉBATS : A l’audience publique du 30 mai 2024, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAUBIER, Conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme COLLET

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme VELMANS, Conseillère,

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 24 Septembre 2024 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier

* * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le Gaec de la Cadotterie a confié à la société Fautrat Frères la construction d’une stabulation suivant devis accepté du 4 février 2014 moyennant le prix de 270 000 euros.

Les travaux devisés ont été réalisés et intégralement réglés.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 6 juillet 2015, la société Fautrat Frères a sollicité le paiement d’une facture de travaux supplémentaires établie le 30 juin 2015.

Contestant ces travaux et invoquant la survenance de désordres, le Gaec de la Cadotterie a sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance de Coutances une mesure d’expertise (ordonnance du 10 novembre 2016).

M. [B] [K], expert judiciaire ainsi désigné, a établi son rapport le 19 septembre 2017.

Sur la base de ce rapport et par acte du 13 septembre 2018, la société Fautrat Frères a assigné le Gaec de la Cadotterie devant le tribunal de grande instance de Coutances aux fins de voir constater que les travaux supplémentaires ont fait l’objet d’un contrat et, en conséquence, obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 22 138,75 euros au titre de l’exécution du contrat et subsidiairement de l’enrichissement injustifié ce, avec intérêts au taux légal du jour de la délivrance de l’assignation.

Par ordonnance du 5 décembre 2019, le juge de la mise en état a rejeté la demande d’expertise sollicitée par le Gaec de la Cadotterie aux fins de vérifier les désordres allégués résultant d’un constat d’huissier de justice du 1er septembre 2015, déterminer leur cause et en chiffrer les remèdes.

Par jugement du 9 septembre 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Coutances a :

– débouté la société Fautrat Frères de ses demandes au titre des travaux supplémentaires ;

– débouté le Gaec de la Cadotterie de ses demandes reconventionnelles ;

– dit y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Fautrat Frères aux dépens ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

– rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 24 novembre 2021, la société Fautrat Frères a formé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 25 janvier 2022, la société Fautrat Frères demande à la cour, au visa des articles 1101, 1710, 1780, 1303 et 1792 du code civil, de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

* l’a déboutée de ses demandes au titre des travaux supplémentaires ;

* a dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;

* l’a condamnée aux dépens ;

* a dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

* a rejeté toutes autres demandes à savoir :

¿ la déclarer recevable et bien fondée dans son action ;

à titre principal,

– constater que les travaux supplémentaires ont fait l’objet d’un contrat ;

– condamner en conséquence le Gaec de la Cadotterie à lui payer la somme de 22 138,75 euros au titre de l’exécution du contrat ;

subsidiairement,

– condamner le Gaec de la Cadotterie à lui payer la somme de 22 138,75 euros au titre de l’enrichissement injustifié ;

En tout état de cause,

– assortir les condamnations des intérêts au taux légal ayant commencé à courir au jour de la délivrance de l’assignation ;

– condamner le Gaec de la Cadotterie à lui payer la somme de 3 000,00 euros au titre des articles 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

– ordonner l’exécution provisoire de la décision ;

– débouter le Gaec de la Cadotterie de ses demandes reconventionnelles ;

– débouter le Gaec de la Cadotterie du surplus de ses demandes ;

Statuant à nouveau,

– la déclarer recevable et bien fondée dans son action ;

A titre principal :

– constater que les travaux supplémentaires ont fait l’objet d’un contrat ;

– condamner en conséquence le Gaec de la Cadotterie à lui payer la somme de 22 138,75 euros au titre de l’exécution du contrat ;

Subsidiairement :

– condamner le Gaec de la Cadotterie à lui payer la somme de 22 138,75 euros au titre de l’enrichissement injustifié ;

En tout état de cause :

– assortir les condamnations des intérêts au taux légal ayant commencé à courir au jour de la mise en demeure du 6 juillet 2015 ;

– condamner le Gaec de la Cadotterie à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 avril 2022, le Gaec de la Cadotterie demande à la cour, au visa des articles 1792, 1101, 1147 devenu 1231-1 du code civil, de :

– déclarer la société Fautrat Frères infondée en son appel ;

– en conséquence, la débouter de l’ensemble de ses demandes ;

– à titre subsidiaire, déclarer partiellement fondées les demandes formées par la société Fautrat Frères ;

– en conséquence, dire que les sommes qui lui seraient accordées ne sauraient excéder la somme de 12 048,32 euros HT ;

En toutes hypothèses,

– le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident ;

– en conséquence, le déclarer fondé en ses demandes reconventionnelles, et ;

– condamner la société Fautrat Frères à lui payer la somme de 1 539 euros TTC au titre des travaux de reprise relatifs au caniveau en ciment ;

– condamner la société Fautrat Frères à lui payer la somme de 72 386,88 euros TTC au titre des travaux de reprise relatifs au silo ;

– ordonner en tant que de besoin la compensation des sommes qui seraient dues de part et d’autre par application des dispositions de l’article 1348 du code civil ;

– condamner la société Fautrat Frères au paiement d’une somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 2 mai 2024.

Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

– Sur les travaux supplémentaires :

La société Fautrat Frères fait valoir à titre principal que le Gaec de la Cadotterie lui a commandé l’exécution de travaux supplémentaires, non prévus lors de l’établissement du devis du 4 février 2014, ce qui n’avait pas été contesté devant l’expert, l’intimé soutenant uniquement et à tort qu’une partie de ces travaux était comprise dans le marché initial.

Elle reproche au premier juge d’avoir rejeté sa demande en paiement des dits travaux au motif qu’elle ne rapportait pas la preuve d’un accord écrit au sens de l’article 1341 du code civil, alors qu’un contrat de louage d’ouvrage, présumé onéreux en l’absence d’écrit, n’est soumis pour sa validité à aucune forme particulière. Elle ajoute que les travaux supplémentaires, nécessités par l’évolution du projet du Gaec, s’inscrivaient dans le cadre du devis signé à l’origine, lequel n’était pas un marché à forfait. Elle assure que la preuve du consentement du Gaec est parfaitement rapportée, notamment par l’expertise. De surcroît, elle souligne que la facture correspondant aux travaux litigieux a été contestée par le Gaec en son seul montant dans un courrier du 7 septembre 2015, lequel constitue en tout état de cause un commencement de preuve par écrit corroboré par d’autres éléments tels que le constat des travaux réalisé par huissier de justice.

Enfin, elle indique que l’accord a été passé dans les faits entre son salarié M. [R], qui avait en charge le marché de travaux, et M. [G], gérant du Gaec, lesquels sont amis, ce qui caractérise une impossibilité morale de se constituer une preuve littérale, devant conduire à écarter l’exigence de preuve par écrit.

En conséquence, la preuve du contrat étant apportée, elle demande à la cour, en l’absence de contrat écrit, de fixer le montant du prix des travaux litigieux, à la somme de 22 138,75 euros correspondant à la réalité des dépenses engagées pour leur réalisation.

Le Gaec de la Cadotterie réplique qu’en suite du contrat originaire, aucun accord n’est intervenu quant à d’éventuels travaux supplémentaires. Il fait valoir qu’il revient à l’appelant d’apporter la preuve par écrit de l’avenant eu égard à la valeur des travaux alléguée, l’exécution des prestations ne pouvant suppléer l’absence d’écrits. Il relève que la société Fautrat Frères n’établit pas que les travaux dont elle demande le paiement ont été commandés par son client, les constatations matérielles faites sur les lieux par huissier ne pouvant caractériser un tel accord.

Il conclut à la confirmation du jugement s’en rapportant à l’exacte motivation du tribunal.

Sur ce,

Il est de principe que, quelle que soit la qualification du marché retenue, il est nécessaire de constater que les travaux dont un entrepreneur demande le paiement ont été soit commandés, soit acceptés sans équivoque après leur exécution.

En l’espèce, il est constant que les travaux devisés le 4 février 2014 par la société Fautrat Frères pour la construction d’une stabulation et acceptés par le Gaec de la Cadotterie ont été exécutés et payés, le dernier règlement correspondant au récapitulatif de situation n°6 établi par l’entrepreneur étant intervenu le 2 avril 2015.

Il n’est pas davantage contesté que les travaux supplémentaires dont la réalisation a été constatée suivant procès-verbal d’huissier de justice le 12 juin 2015 et listés par l’expert judiciaire n’ont fait l’objet, avant leur exécution par la société Fautrat Frères, d’aucun avenant signé au devis susvisé.

Le contrat originaire ne saurait établir l’accord du Gaec pour l’exécution des travaux supplémentaires dont la société Fautrat Frères prétend par ailleurs qu’ils ne faisaient pas l’objet du devis du 4 février 2014.

Dès lors, le Gaec de la [Adresse 4] qui conteste avoir commandé ces travaux n’étant pas commerçant, les dispositions de l’article 1341 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, par lui invoquées, sont applicables alors que la somme réclamée au titre des travaux supplémentaires dépasse le montant de 1500 euros de sorte que la preuve de la commande doit être rapportée par écrit.

Cependant, cette règle reçoit exception si, notamment, il est justifié d’un commencement de preuve par écrit émanant du maître de l’ouvrage et rendant vraisemblable le fait allégué, en application de l’article 1347 ancien du code civil dont les dispositions ont été reprises par les articles 1361 et 1362 du même code.

En l’occurrence, la cour relève qu’à la suite des deux lettres recommandées adressées par la société Fautrat Frères pour réclamer le paiement des travaux supplémentaires, et réceptionnées les 14 juillet et 2 septembre 2015 par le Gaec, ce dernier, après être demeuré silencieux, a adressé à l’entrepreneur un courrier daté du 7 septembre 2015 faisant état des travaux ‘qui se sont terminés le 15 juin 2015″, comprenant en conséquence sans équivoque possible les travaux supplémentaires réalisés postérieurement au 2 avril 2015 et ce sans aucune contestation de leur commande, le Gaec se limitant exclusivement à invoquer l’existence de malfaçons se rapportant à l’exécution des travaux visés au devis initial.

Il doit être considéré que ce courrier émanant du maître d’ouvrage, au vu du contexte entourant l’envoi de cet écrit, rend vraisemblable l’accord préalable allégué par la société Fautrat Frères, lequel est corroboré par la note n°1 rédigée par l’expert suite à la réunion du 20 janvier 2017 par laquelle ‘il était demandé aux parties d’y apporter toutes corrections qu’elles jugeraient utiles, précisant qu’à défaut, la note serait considérée comme fidèle aux échanges entre les parties’. En effet, la dite note, qui n’a fait l’objet d’aucun dire des parties, mentionne que les travaux supplémentaires ayant fait l’objet de la facture n° 15 005 pour ‘avenant de travaux supplémentaires suite au relevé fait sur site’ sont ‘liés au fait que l’implantation du bâtiment a été modifiée’ et que ‘ces travaux supplémentaires ne sont pas contestés par le Gaec’, ajoutant plus loin que ‘le Gaec indique que selon lui les travaux supplémentaires en cause faisaient partie du devis initial’. Il apparaît ainsi que devant l’expert, le Gaec n’a jamais contesté avoir donné son accord pour l’exécution des travaux dont la société Fautrat Frères réclame présentement le paiement, considérant uniquement et tout au plus que certains étaient inclus dans le devis initial.

La cour observe également qu’en page 2 de ses conclusions, le Gaec a exposé que ‘M. [R], en qualité de salarié de la société Fautrat Frères acceptera de réaliser les travaux supplémentaires (réalisés en avril et mai 2015) à la demande de M. [G], membre du Gaec, mais sans l’accord de M. [F] gérant de la société’ ajoutant qu’il ‘ne nie pas que M. [R] et M. [G] sont amis’, étant indiqué par ailleurs que M. [R] était aussi associé de la société Fautrat Frères.

Du tout, il peut être retenu que la preuve est rapportée de l’accord donné par le Gaec et par suite d’un contrat passé entre les parties pour l’exécution des travaux supplémentaires, travaux que l’expert judiciaire a décrit en page 16 et 17 de son rapport ce, après avoir tenu compte des observations faites par celui-ci et ci-dessus rappelées.

En tout état de cause, il doit aussi être considéré que l’exécution avérée des travaux supplémentaires par la société Fautrat Frères, ajoutée à l’envoi de la facture correspondant aux dits travaux au Gaec de la Cadotterie, et au courrier adressé par ce dernier le 7 septembre 2015 faisant état de l’ensemble des travaux réalisés en ce compris les travaux ajoutés sans contestation sur l’exécution de ces derniers, manifeste leur acceptation sans équivoque du maître d’ouvrage.

Enfin, il sera noté que si le Gaec sollicite la confirmation du jugement ayant considéré que la preuve de son accord n’était pas valablement rapportée selon les exigences de l’article 1341 du code civil, il ne formule subsidiairement aucune contestation quant à la consistance de ces travaux tels que repris par l’expert judiciaire dans son rapport.

En l’absence d’écrit établissant l’accord des parties sur leur prix, il revient au juge de le fixer.

L’expert judiciaire chiffre les travaux supplémentaires litigieux, facturés par la société Fautrat Frères pour un montant de 21 380,54 euros HT, à celui de 12048,32 euros HT, ‘d’après la valeur habituellement pratiquée en pareille matière’.

Pour justifier le montant supérieur de sa demande en paiement, la société Fautrat Frères produit une facture d’achat des murs de séparation des logettes dont rien n’indique toutefois qu’elle se rapporte même partiellement au chantier du Gaec, étant observé que le montant devisé par M. [K] n’a pas été critiqué en son temps par l’appelante.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce que la société Fautrat Frères a été déboutée de sa demande en paiement de travaux supplémentaires et le Gaec de la Cadotterie sera condamné à lui payer la somme de 12 048,32 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. En effet, le montant de cette créance ne résultant pas de l’accord des parties, il n’est pas justifier d’assortir la condamnation au paiement du prix des travaux non fixé par les parties à compter de la lettre de mise en demeure du 6 juillet 2015 tel que demandé par l’appelante.

Enfin, la dite condamnation prononcée HT sera assortie de la TVA au taux légalement applicable à la date de l’arrêt.

– Sur les travaux de reprise :

– Concernant le silo :

Le Gaec de la Cadotterie invoque l’existence de divers désordres constatés par huissier de justice le 1er septembre 2015, lesquels se sont depuis lors aggravés ainsi que l’huissier a pu le constater le 30 juillet 2019, les murs Ouest et Est du silo penchant anormalement. Il considère que l’ouvrage est devenu impropre à sa destination et se trouve fragilisé de ce fait, ce, alors que le plan initial qui prévoyait une dalle en béton armé entre les voiles ayant pour fonction d’opérer une résistance à la poussée des murs, n’a pas été réalisée par la société Fautrat Frères. Il considère que la responsabilité de la société Fautrat Frères est dès lors engagée sur le fondement des dispositions des articles 1792 du code civil et subsidiairement sur celui de l’article 1147 ancien du même code.

Au surplus, il mentionne la présence de fers apparents et dangereuse non conforme aux règles de l’art et fait valoir que la société Fautrat Frères était tenue au titre de sa responsabilité décennale comme au titre de son devoir de conseil de réaliser un ouvrage comprenant une dalle pour résister à la poussée, ou de refuser d’édifier cet ouvrage nonobstant une éventuelle opposition du maître d’ouvrage au demeurant non démontrée.

En conséquence, le Gaec demande la condamnation de la société Fautrat Frères au paiement des travaux de la reprise de l’ensemble de l’ouvrage qu’il a fait chiffrer à un montant de 60 322,40 euros HT.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1792 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.

Liminairement, la cour relève que le Gaec de la Cadotterie, qui agit à titre principal sur le fondement décennal, ne dit rien sur les conditions de sa mise en oeuvre en particulier s’agissant de la réception des travaux.

Il n’est pas contestable que les travaux confiés à la société Fautrat Frères ont porté sur l’édification d’une stabulation, le devis initial comprenant celle d’un silo avec fouilles en tranchées pour semelles, mise en dépôt de terres de terrassement sur le site, semelles filantes avec voile de béton banché, la semelle filante étant destinée à recevoir les murs en béton du silo. Au regard de ces éléments, révélant un ancrage au sol et une fixité, la construction relative au silo peut être qualifiée d’ouvrage.

Par ailleurs, il sera constaté que ces travaux ont été intégralement exécutés et payés et le courrier adressé le 7 septembre 2015 faisant état de l’ensemble des travaux qui se sont terminés le 15 juin 2015 et mentionnant des réserves s’agissant des travaux objet du devis initial peut être considéré comme étant la date à laquelle le Gaec de la [Adresse 4] a accepté l’ensemble de l’ouvrage avec réserves, lesquelles ne faisaient pas obstacle à sa prise de possession. Enfin, il convient d’observer que la construction relative au silo n’a pas fait l’objet de réserves.

L’expert judiciaire a relevé qu’à l’extérieur du silo, les voiles ont une embrase coulée reprise sur des massifs en béton à la jonction des voiles, précisant que ces dernières sont simplement posées sur une semaine filante, que leur résistance à la poussée lorsqu’on charge un silo jusqu’en haut des murs, se fait par ancrage dans la dalle du silo par les fers en base de voile. Il a estimé que les voiles utilisés étaient conformes à la mise en oeuvre attendue initialement.

Si M. [K] a noté que le plan du permis de construire prévoyait une dalle en béton armé entre les voiles, il a aussi souligné le choix du Gaec de ne pas faire de dalle, dès lors que de fait, ce poste figurait sur le devis initial comme ‘option non comptabilisée’, et que le Gaec n’avait pas commandé son exécution et ne l’avait pas réalisée. De même, l’expert a précisé que le fait que les fers soient aujourd’hui apparents et effectivement dangereux, était dû à ce choix, et ne constituait pas une malfaçon.

Il ne résulte pas de ces éléments l’existence de désordres de nature à compromettre la solidité du silo ni à le rendre impropre à sa destination, telle que voulue par le Gaec de la Cadotterie ayant accepté le devis excluant la réalisation de la dalle en béton armé entre les voiles.

Certes, le procès-verbal de constat d’huissier du 30 juillet 2019 postérieur à l’expertise judiciaire révèle que le mur Ouest du silo penche anormalement en direction de l’Ouest, et qu’il en est de même pour le mur Est en direction de l’Est.

Le tribunal a considéré au regard de l’expertise ayant évoqué la question de l’aplomb des murs du silo, que le défaut d’aplomb constaté le 30 juillet 2019 révélant une poussée anormale des murs, résultait du choix du Gaec de ne pas faire réaliser de dalle entre les voiles, laquelle, ainsi que le rappelle ce dernier, avait pour fonction d’opérer une résistance à la poussée des murs.

Il sera ajouté que le seul constat d’huissier est insuffisant à établir l’impropriété de l’ouvrage à sa destination telle que voulue et commandée par le Gaec de la Cadotterie alors que les conditions de son utilisation conformes ou non à cette destination demeurent inconnues.

Il en ressort que la responsabilité de la société Fautrat Frères ne saurait être engagée sur le fondement de l’article 1792 du code civil.

La responsabilité de la société Fautrat Frères invoquée par le Gaec de la Cadotterie subsidiairement sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil ne saurait être retenue, sauf à caractériser une faute prouvée en présence d’un dommage intermédiaire.

Or, la preuve d’une faute dans l’exécution de ces travaux objet du devis accepté n’a pas été relevée par l’expert. En tout état de cause, il ne pourrait être reproché à l’entrepreneur un manquement à son obligation de résultat sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil alors que le coulage d’une dalle entre les voiles n’avait pas été prévu contractuellement et que l’absence de réalisation de cette dalle résultant du choix du Gaec était en lien avec le défaut d’aplomb reproché.

Enfin, il est constant que l’entrepreneur était tenu à un devoir de conseil à l’égard du Gaec de la Cadotterie. Il devait à ce titre s’assurer que le devis estimatif était en concordance avec la construction autorisée par le permis de construire et à défaut renseigner le maître d’ouvrage des risques présentés par la réalisation de l’ouvrage tel qu’in fine envisagé.

En l’espèce, le devis accepté a expressément exclu la réalisation de la dalle en béton armé entre les voiles pourtant prévue sur le plan du permis de construire autorisé.

La seule mention ‘option non comptabilisée’ figurant expressément au devis ne permet pas de présumer que la société Fautrat Frères a rempli son devoir de conseil en informant le Gaec de la Cadotterie des risques encourus préalablement à son acceptation du devis.

Il reste que le tribunal a exactement rappelé que le manquement au devoir de conseil allégué ne pouvait réparer qu’une perte de chance alors que le Gaec de la Cadotterie sollicitait en l’occurrence la réparation complète des désordres pour un montant de 72 386,88 euros sans invoquer la moindre perte de chance, ce qu’il ne fait pas davantage en cause d’appel.

Il n’est ainsi pas même allégué que le Gaec de la Cadotterie, dûment informé, n’aurait pas accepté le devis en l’état avec exclusion de la dalle litigieuse.

En définitive, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande formée par le Gaec de la Cadotterie au titre des travaux de reprise du silo.

– Concernant le caniveau en ciment :

Le Gaec de la Cadotterie fait valoir qu’à la suite du constat d’huissier réalisé le 1er septembre 2015 révélant l’existence de désordres concernant le caniveau en ciment, une reprise est intervenue, laquelle n’a pas été satisfactoire conduisant l’expert à chiffrer le coût de reprise du ragréage à un montant de 1282,50 euros HT. Il estime que la société Fautrat Frères a manqué à son obligation de résultat et doit être condamnée au paiement de cette somme en application de l’article 1147 du code civil.

La société Fautrat Frères ne développe aucun moyen à ce titre alors que le dispositif de ses conclusions ne comporte aucune demande de débouté de l’appel incident formé par le Gaec.

Sur ce,

L’expert a relevé que la chaîne de raclage circulait dans une réservation, que celle-ci a été faite en plaçant des gabarits avant de couler la dalle du couloir et que ces gabarits ont probablement été calés avec un béton gâché sur site ce qui explique sa moins bonne résistance au frottement de la chaîne. Il a précisé que le couloir Est devant les cornadis avait été refait à la fin du mois d’août 2015, et constatait désormais la dégradation du couloir ouest desservant notamment les 3 robots de traite. Il retient la responsabilité de la société Fautrat Frères et chiffre les travaux de réfection consistant à détendre la chaîne pour la sortir de son logement et à faire un ragréage avec durcisseur en fond de réservation, à un montant de 1282,50 euros HT.

Il reste à préciser que ces détériorations du système de raclage ont fait l’objet de réserves selon courrier du 7 septembre 2015 adressé par le Gaec à la société Fautrat Frères.

Il en résulte que le Gaec de la Cadotterie est fondé à voir la responsabilité de la société Fautrat engagée sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil, laquelle, employant un béton gâché pour caler les gabarits à l’origine de la résistance amoindrie constatée, n’a pas respecté son obligation d’exécuter un travail exempt de tout vice de sorte que le manquement fautif doit être retenu.

Dès lors, les travaux de réfection préconisés par l’expert tels que rappelés et chiffrés pour un montant de 1282,50 euros HT, devront être mis à la charge de la société Fautrat Frères.

Le jugement ayant débouté le Gaec de la Cadotterie de sa demande en paiement sera infirmé et la société Fautrat Frères condamnée à lui payer la somme de 1282,50 euros HT au titre des travaux de reprise relatifs au caniveau en ciment avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La dite condamnation prononcée HT sera assortie de la TVA au taux légalement applicable à la date de l’arrêt.

Enfin, il sera fait droit à la demande formée par le Gaec de la [Adresse 4] en application de l’article 1348 du code civil, et la compensation entre les créances respectives des parties sera ordonnée.

– Sur les demandes accessoires :

Les dépens de première instance et d’appel seront partagés par moitié entre les parties. Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.

Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

La solution apportée au présent litige et l’équité ne commandent pas davantage de faire application de ces dispositions en cause d’appel de sorte que les parties seront déboutées de leur demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Coutances le 9 septembre 2021 en ce qu’il a débouté le Gaec de la Cadotterie de sa demande en paiement au titre des travaux de reprise du silo  et en ce qu’il a rejeté les demandes formées par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’infirmant pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne le Gaec de la Cadotterie à payer à la société Fautrat Frères la somme de 12 048,32 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt au titre des travaux supplémentaires ;

Condamne la société Fautrat Frères à payer au Gaec de la Cadotterie la somme de 1282,50 euros HT au titre des travaux de reprise relatifs au caniveau en ciment avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les condamnations prononcées HT seront assortie de la TVA au taux légalement applicable à la date de l’arrêt ;

Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties ;

Rejette toutes autres demandes des parties ;

Partage par moitié les dépens de première instance et d’appel entre la société Fautrat Frères et le Gaec de la Cadotterie ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par chaque partie en première instance comme en cause d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. COLLET G. GUIGUESSON


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