La Prescription et le Droit au Paiement des Commissions : Analyse des Obligations Contractuelles et des Justifications Comptables

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La Prescription et le Droit au Paiement des Commissions : Analyse des Obligations Contractuelles et des Justifications Comptables

[W] [T] a été engagé par la SARL Tradibat construction le 11 mai 2016 en tant qu’attaché commercial, avec un salaire brut de 1 498,50€ et des commissions. Il a démissionné le 26 février 2018. Le 19 août 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier en référé, mais l’affaire a été radiée le 28 mai 2020. Le 13 janvier 2021, il a déposé une nouvelle demande au fond, estimant ne pas avoir reçu toutes ses commissions, mais a été débouté le 17 mai 2022. Il a interjeté appel le 28 juin 2022, réclamant 20 161,65€ en commissions, 2 500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et la remise de documents de fin de contrat rectifiés. En réponse, la SELARL BRMJ, mandataire liquidateur de la SARL Tradibat construction, et l’Unédic ont demandé la confirmation du jugement, une allocation de 2 000€ pour leurs frais, et une compensation entre les sommes dues et celles trop-perçues par [W] [T]. L’AGS-CGEA a également revendiqué des droits relatifs aux créances des salariés.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 septembre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
22/03425
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/03425 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PO65

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 MAI 2022

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG 21/00673

APPELANT :

Monsieur [W] [T]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Denis BERTRAND, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEES :

La S.E.L.A.R.L. BRMJ, prise en la personne de MAÎTRE [S] [O], en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL TRADIBAT CONSTRUCTION

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Delphine ANDRES de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES

Association L’UNEDIC (DÉLÉGATION AGS, CGEA DE TOULOUSE)

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Delphine ANDRES de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES

Ordonnance de clôture du 05 Juin 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Juin 2024,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

M. Jean-Jacques FRION, Conseiller

Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Véronique ATTA-BIANCHIN

ARRET :

– contradictoire;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Véronique ATTA-BIANCHIN, Greffière.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

[W] [T] a été engagé le 11 mai 2016 par la SARL Tradibat construction, actuellement en liquidation judiciaire. Il exerçait en dernier lieu les fonctions d’attaché commercial avec un salaire mensuel brut de 1 498,50€, augmenté de commissions.

Il a démissionné le 26 février 2018.

Le 19 août 2019, le salarié a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par ordonnance du 28 mai 2020, a procédé à la radiation de l’affaire.

Le 13 janvier 2021, estimant ne pas avoir été réglé de l’ensemble de ses commissions, il a saisi au fond le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement en date du 17 mai 2022, l’a débouté de ses demandes.

Le 28 juin 2022, [W] [T] a interjeté appel. Dans ses conclusions déposées au RPVA le 29 août 2022, il conclut à l’infirmation, à l’octroi des sommes de 20 161,65€ à titre de commissions et de 2 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à la remise des documents de fin de contrat rectifiés.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 mai 2024, la SELARL BRMJ, ès-qualités de mandataire liquidateur de la SARL Tradibat construction, et l’Unédic délégation AGS-CGEA de [Localité 7] demandent de confirmer le jugement et d’allouer à la SELARL BRMJ la somme de 2 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elles demandent d’opérer une compensation entre la somme de 6 832,63€ trop-perçue par [W] [T] et celle de 2 650,04€ au titre des commissions dont la société lui est redevable, de condamner [W] [T] au paiement de la somme de 4 182,59€ à titre de trop-perçu et de rejeter les autres demandes.

L’AGS-CGEA demande de lui donner acte de ce qu’elle revendique le bénéfice des textes légaux et réglementaires relatifs aux garanties de la créance des salariés.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la prescription de l’action :

Aux termes de l’article L. 3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Il résulte de l’article 2241 du code civil que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Si en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à l’autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

L’article 2243 du même code dispose que l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.

En l’espèce, le 19 août 2019, [W] [T] a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes d’une demande de communication de pièces aux fins d’obtenir les éléments lui permettant de procéder aux calculs des commissions qu’il estimait lui être dues.

Le 22 novembre 2019, il a formé une demande additionnelle tendant au paiement provisionnel des commissions non versées.

En l’absence de décision constatant la péremption d’instance de la procédure de référé, cette demande en justice a produit un effet interruptif de prescription à compter du 22 novembre 2019, sans que la décision de radiation du 28 mai 2020, qui ne fait que suspendre l’instance, ait affecté l’interruption.

La demande formulée lors de la saisine du conseil de prud’hommes le 13 janvier 2021, qui tend au même but que celle engagée devant la formation de référé, est donc recevable.

Lorsque le contrat est rompu, ce qui est le cas, le salarié est fondé, par application de l’article L. 3245-1 du code du travail, à réclamer les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat, soit à partir du 11 mai 2016, compte de son embauche à cette date.

Sur le bien fondé de la demande :

En l’espèce, le contrat de travail prévoit, outre une rémunération de base, une commission et un « bonus » dont il précise les modalités.

Il résulte de l’article 1353 du code civil que c’est à l’employeur qu’il incombe d’établir qu’il a effectivement payé au salarié les commissions qu’il lui doit. Lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire.

– sur les dossier [X] et [C] :

Le mandataire liquidateur, qui se borne à critiquer les calculs réalisés par le salarié, ne produit qu’un tableau établi par ses propres soins, qui n’est corroboré par aucune pièce comptable.

En outre, le contrat de travail prévoyait que « le règlement des commissions se fera après validation de chaque vente par la Direction et à raison de 100% à l’ouverture du chantier », de sorte, que contrairement à ce que les intimés soutiennent, le versement intégral des commissions était conditionné à l’ouverture des chantiers et non à leur achèvement.

N’étant pas discuté que ces chantiers étaient ouverts à la date de la démission et à défaut pour le mandataire liquidateur de fournir les éléments permettant le calcul exact des commissions dues au salarié, il y a lieu, vu des tableaux produits par celui-ci, de faire droit à la demande à ce titre.

– sur les dossiers [R], [J] [N], [V], [L], [M], [Z], [G], [U], [B], [K], [P] et [I] :

Il résulte tant du contrat de travail que de l’avenant du 2 janvier 2018 que la commission est calculée en fonction de la marge brute déterminée par « la différence entre le prix de vente hors taxe et hors assurance » et le « déboursé sec hors taxe », c’est-à-dire les frais prévisionnels nécessaires à la réalisation du chantier.

Pour ces dossiers, outre un tableau sans valeur probante, le mandataire liquidateur fournit les fiches des clients sur lesquelles figurent les différents prix payés par eux et par conséquent les prix de revient des chantiers.

Cependant, ces prix de revient ne correspondent pas au « déboursé sec » qui est prévisionnel.

Dès lors qu’aucune régularisation des commissions n’était prévue en fonction de la marge réelle réalisée, et a fortiori du prix de revient, il apparaît que le mandataire liquidateur ne produit aucun élément comptable pertinent pour justifier de la marge brute permettant le calcul exact des commissions dues au salarié

Il y a donc lieu de faire droit à la demande.

– sur le dossier [A] :

Il a déjà été dit que le versement des commissions n’était pas conditionné à l’achèvement du chantier mais à son ouverture et qu’aucune régularisation n’était prévue.

Il n’est pas discuté que la signature de la vente résulte de l’activité du salarié, de sorte que la commission, non autrement discutée, lui est due.

*

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que [W] [T] est fondé à solliciter un rappel de commissions à hauteur de

20 161,65€ et que le trop-perçu allégué par le liquidateur n’est pas justifié.

Sur les autres demandes :

Il convient de condamner la SELARL BRMJ, ès-qualités de liquidatrice judiciaire de la SARL Tradibat construction, à reprendre les sommes allouées à titre de créance salariale sous forme d’un bulletin de paie ainsi qu’à délivrer au salarié une attestation destinée à France Travail, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes au présent arrêt.

S’il est constant que la garantie de l’AGS est subsidiaire, il résulte de l’article L. 3253-20 du code du travail qu’en cas de liquidation judiciaire, l’AGS doit avancer les sommes sur présentation du relevé des créances salariales établi par l’organe de la procédure, sans que cette avance ne soit conditionnée à la preuve de l’absence de fonds disponibles.

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Infirmant le jugement et statuant à nouveau :

Fixe la créance de [W] [T] au passif de la SARL Tradibat Construction à la somme de 20 161,65€ ;

Condamne la SELARL BRMJ, ès-qualités de liquidatrice judiciaire de la SARL Tradibat construction, à reprendre les sommes allouées à titre de créance salariale sous forme d’un bulletin de paie ainsi qu’à délivrer au salarié une attestation destinée à France Travail, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes au présent arrêt ;

Rejette toute autre demande ;

Dit que la créance de [W] [T] comportera les dépens de première instance et d’appel ;

Déclare le présent arrêt opposable à l’Unédic délégation AGS-CGEA de [Localité 7] en application des articles L. 3253-6 et suivants du code du travail, dans les limites fixées par l’article

D. 3253-5, cette garantie ne s’étendant pas aux dépens.

La greffière Le président


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