En 2003, la commune de Dunkerque a confié à la société Maintenance Génie Climatique (MGC) la mise en place de systèmes de chauffage et de ventilation dans le cadre de la rénovation du palais des congrès ‘le Kursaal’. Les panneaux de protection des centrales de traitement d’air ont été fournis par LGL France. En novembre 2008, des problèmes d’oxydation des panneaux ont été constatés. En 2014, un tribunal a ordonné une expertise judiciaire, et la commune a ensuite engagé des poursuites contre MGC, LGL, et Dalkia pour obtenir réparation. En 2020, la cour administrative d’appel a condamné M. [Z], Edeis, et MGC à verser une indemnité à la commune.
MGC a ensuite assigné en garantie ses assureurs, Generali et Chubb, ainsi que LGL. Plusieurs jugements ont été rendus, notamment en mai 2022, où Generali a été condamnée à garantir MGC, et LGL à garantir solidairement MGC et Generali. LGL a fait appel, demandant la péremption de l’instance et contestant sa responsabilité. Generali et Dalkia ont également contesté les jugements, invoquant des exceptions de péremption et des clauses d’exclusion de garantie. Les parties ont présenté des conclusions variées, notamment sur la responsabilité décennale, les obligations contractuelles, et les montants des indemnités. L’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoiries prévue pour avril 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 26/09/2024
N° de MINUTE :
N° RG 22/02883 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UKVR
& N° RG 22/03002 (procédures jointes par ordonnance de jonction en date du 24.11.2024)
Jugement n° 2015J01743 rendu le 16 mai 2022 par le tribunal de commerce de Dunkerque
APPELANTE
aux deux procédures
SASU LGL France exerçant sous l’enseigne Lennox prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 3]
représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Gilles Piot-Mouny, avocat au barreau de Lyon, avocat plaidant
INTIMÉES
à la procédure RG 22/02883
SAS Maintenance Génie Climatique ‘M.G.C’ prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 6]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Valérie Delacour-Penazzo, avocat au barreau d ‘Arras , avocat plaidant
SA Generali Iard agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Kérène Rudermann, avocat plaidant, substitué par Me Mathieu Jean-Baptiste-Altbuch, avocats au barreau de Paris
Société Chubb European Group SE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Catherine Popineau-Dehaullon, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
à la procédure RG 22/03003
SA Dalkia prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Brigitte Beaumont, avocat plaidant substitué à l’audience par Me Mathilde Brun, avocats au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Aude Bubbe, conseiller
———————
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
DÉBATS à l’audience publique du 11 avril 2024 après rapport oral de l’affaire par Pauline Mimiague, conseiller.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 Mars 2024
En 2003, dans le cadre de travaux de rénovation du palais des congrès ‘le Kursaal’, situé en bord de mer, la commune de Dunkerque a confié, suivant marché de travaux signé le 12 juillet 2002, le lot n° 14 ‘chauffage ‘ ventilation ‘ désenfumage froid’ à la société Maintenance Génie Climatique (MGC), qui avait en charge la mise place des centrales de traitement d’air (CTA) et de quinze panneaux de protection des CTA (‘roof-top’) sur la toiture du bâtiment. Les panneaux de protection ont été fournis par la société LGL France (LGL, enseigne Lennox). Les travaux ont été réceptionnés le 19 mai 2005. La maintenance des installations a été confiée à la société Dalkia par l’association Dunkerque Congrès qui exploite le palais des congrès pour le compte de la commune de Dunkerque.
Au mois de novembre 2008 la commune de [Localité 4] a constaté une oxydation des panneaux métalliques protégeant la structure interne des appareils de climatisation.
Par ordonnance du 14 février 2014, le tribunal administratif de Lille a ordonné une mesure d’expertise judiciaire à la demande de la commune de Dunkerque, au contradictoire de la société MGC et de son assureur la société Generali IARD, de la société LGL ainsi que de la société Dalkia France (Dalkia) et son assureur. Le 4 août 2014 les opérations d’expertise ont été étendues au bureau d’études techniques exerçant sous l’enseigne Pingat Ingénierie et au maître d’oeuvre, M. [S] [Z], architecte, puis le 28 novembre 2016 à l’assureur de la société LGL, la compagnie Chubb european group SE (Chubb, anciennement Ace Europe). Par ordonnance du 22 octobre 2014 un sapiteur a été désigné pour assister l’expert qui a déposé son rapport le 8 décembre 2017.
Parallèlement aux opérations d’expertise, la commune de Dunkerque a, le 4 mai 2015, saisi au fond le tribunal administratif de Lille pour obtenir réparation contre la maîtrise d’oeuvre (M. [Z] et la société Edeis venant aux droits de la Pingat Ingénierie, devenue SNC Lavalin), la société MGC et la société Dalkia.
Par arrêt du 16 juin 2020 la cour administrative d’appel de Douai a annulé le jugement du tribunal administratif rendu le 20 novembre 2018 qui avait rejeté la requête de la commune, et a décidé que :
– M. [Z], la société Edeis et la société MGC sont condamnés solidairement à verser à la commune une indemnité de 2 479 444,56 euros TTC assorti des intérêts au taux légal courant à compter du 4 mai 2015 ainsi que la capitalisation des intérêts,
– la société MGC garantira la société Edeis à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à son encontre et la société Edeis garantira M. [Z] à hauteur de 100 % de la condamnation prononcée à son encontre,
et a mis les frais d’expertise et une indemnité de procédure au profit de la commune à la charge de M. [Z] et des sociétés Edeis et MGC, conjointement.
Par ailleurs, par actes des 3 et 6 août 2015 la société MGC a assigné devant le tribunal de commerce de Dunkerque son assureur la société Generali IARD et la société LGL France, aux fins de les voir condamner à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre dans le cadre de l’instance initiée devant la juridiction administrative.
Le 8 mars 2017, la société MGC a assigné en intervention forcée la compagnie d’assurance Chubb, assureur de LGL. Les deux affaires ont été jointes par ordonnance du 27 novembre 2017.
Le 25 mars 2021 la société Generali IARD a appelé en garantie la société Dalkia ; cette instance a été jointe aux deux autres par décision du 19 avril 2021.
Par jugement contradictoire rendu le 16 mai 2022, le tribunal judiciaire de Dunkerque a :
– rejeté l’exception de péremption d’instance soulevée par les sociétés LGL et Generali,
– condamné la société Generali à garantir la société MGC de toutes ses condamnations partiellement exécutées et à venir en exécution complémentaire à son encontre selon l’arrêt de la cour administrative d’appel du 16 juin 2020, ce sous franchise limitée à 4 573 euros et le tout dans la limite du plafond contractuel et à lui payer la somme de 3 000 euros pour indemnité procédurale,
– condamné la société LGL à garantir solidairement entre elles les sociétés MGC et Generali à hauteur de la moitié de ces condamnations,
– condamné la société MGC à payer à la société Chubb la somme de 1 000 euros pour indemnité procédurale,
– condamné la société Generali à payer à la société Dalkia la somme de 1 000 euros pour indemnité procédurale,
– rejeté les demandes d’autres garanties, de limitations, d’intérêts supplémentaires, de communication de police et d’astreinte,
– prononcé l’exécution provisoire de la décision,
– condamné solidairement entre elles les sociétés Generali et LGL aux entiers dépens, incluant ceux de l’ordonnance du 27 novembre 2017 ainsi que du jugement du 19 avril 2021 et dont frais de greffe liquidés pour débours et formalités sur la présente décision à la somme de 151,32 euros TTC.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 15 juin 2022, enrôlée sous le numéro RG 22/2883, la société LGL a relevé appel aux fins d’annulation ou d’infirmation du jugement déférant à la cour l’ensemble de ses chefs, intimant les sociétés MGC, Generali et Chubb. Par déclaration reçue au greffe de la cour le 22 juin 2022, enrôlée sous le numéro RG 22/3003, elle a relevé appel aux mêmes fins, intimant la société Dalkia. Les deux instances ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise du 24 novembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 février 2024 la société LGL demande à la cour de :
à titre principal,
– réformer le jugement du 16 mai 2022,
– prononcer la péremption de l’instance,
– débouter en conséquence les sociétés MGC et Generali de leurs demandes,
subsidiairement,
– réformer le jugement en ce qu’il l’a condamnée sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil,
– rejeter toutes demandes à son encontre fondées sur les articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 du code civil,
– rejeter toutes demandes fondées sur les dispositions de l’article 1792-4 du code civil inapplicable,
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la garantie contractuelle de la société LGL tant en raison de la prescription que du défaut d’entretien que du non-respect des conditions contractuelles de garantie, fautes qui l’exonèrent de toute responsabilité,
– débouter la société MGC de son appel incident,
– débouter la société Generali de son appel incident,
– condamner la société Dalkia à la relever et garantir de toute condamnation,
en conséquence,
– débouter les sociétés MGC et Generali de leur demande de condamnation en ce compris celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
très subsidiairement, dès lors que la condamnation aurait un motif contractuel,
– condamner la société Chubb à la relever et garantir de toute condamnation,
à titre infiniment subsidiaire,
– limiter la réparation du préjudice au remplacement des machines jugées défectueuses soit la somme de 454 798,52 euros,
– condamner la société Dalkia à la relever et garantir de toute condamnation,
– condamner la société MGC à la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les sociétés MGC, Generali et Dalkia aux entiers dépens.
L’appelante conclut à la péremption de l’instance, faisant valoir que le délai de péremption, qui a commencé à courir par la remise de l’assignation au greffe le 19 octobre 2015, n’a pu être interrompu ni par l’assignation délivrée à la société Chubb, l’appel en garantie n’interrompant pas le délai de péremption de l’instance en principal en l’absence de lien de dépendance direct et nécessaire entre ces instances, ni par une demande de jonction, ni par les diligences accomplies devant la juridiction administrative car pour être interruptif de la péremption un acte doit faire partie de l’instance et être destiné à la continuer. Elle rappelle que l’acte interruptif doit exprimer la volonté de faire progresser l’instance.
Sur le fond, la société LGL fait valoir que :
– les articles 1792 et suivants relatifs à la responsabilité décennale ne lui sont pas opposables dans la mesure où elle n’a pas de rapport contractuel avec le maître de l’ouvrage, qu’en outre il n’a pas été constaté des désordres de nature décennale,
– les dispositions de l’article 1792-4 du code civil, seules susceptibles de s’appliquer à un fournisseur, ne peuvent lui être opposées dès lors que le matériel fourni ne répond pas à la qualification d’élément spécialement conçu et produit pour être intégré à un ouvrage spécifique et déterminé (EPERS),
– le manquement à un devoir de conseil ne peut être invoqué dès lors que l’action en responsabilité contractuelle se heurte à la prescription quinquennale de l’article 110-4 du code de commerce,
– la garantie anti-corrosion de vingt ans prévue au contrat ne trouve pas à s’appliquer dans le cas où le nettoyage et la maintenance de l’installation n’ont pas été assurés,
– les fautes de la commune, de la société MGC et de la société Dalkia sont seules à l’origine des désordres et sont exclusives de sa responsabilité, à savoir, l’arrêt de la maintenance et du nettoyage des installations à l’initiative de la commune, le défaut de réalisation de l’entretien par la société Dalkia et l’absence de transmission par la société MGC, qui bénéficiait d’une garantie anti corrosion, des conditions de la garantie à sa cliente,
– le juge judiciaire n’est pas lié par l’évaluation du préjudice retenue par la juridiction administrative et qui n’est pas justifié dès lors que le remplacement complet de l’installation n’était pas indispensable et que la réparation des ‘roof-top’ était possible,
– le montant demandé par la société LGL France ne correspond pas au montant qu’elle doit finalement supporter en vertu de l’arrêt de la cour administrative d’appel et du partage de responsabilité retenu,
– en cas de condamnation prononcée contre elle, la garantie de son assureur sur les frais de dépose-repose trouve à s’appliquer.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 mars 2023 la société Chubb demande à la cour de :
A titre liminaire,
– lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à justice concernant la demande formée au titre de la péremption de l’instance,
– lui donner acte de ce que les effets extinctifs de la péremption s’étendraient nécessairement à elle, le cas échéant,
Par ailleurs,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Generali à garantir la société MGC de toutes ses condamnations partiellement exécutées et à venir en exécution complémentaire à son encontre selon l’arrêt susvisé de la cour administrative d’appel, ce sous franchise limitée à 4 573 euros et le tout dans la limite du plafond contractuel, et à lui payer la somme de 3 000 euros pour indemnité procédurale et en ce qu’il a rejeté les demandes d’autres garanties, de limitations, d’intérêts supplémentaires, de communication de police, et d’astreintes,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société LGL à garantir solidairement entre elles les sociétés MGC et Generali à hauteur de la moitié de ces condamnations,
Statuant à nouveau,
À titre principal,
– rejeter toute demande d’allocation de dommages et intérêts fondée sur la responsabilité civile de la société LGL,
– rejeter, en conséquence, toute demande formée contre elle en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société LGL,
À titre subsidiaire,
– limiter le quantum des préjudices allégués à la somme de 454 798,52 euros au titre du remplacement des ‘roof-top’ livrés par la société LGL,
À titre très subsidiaire,
– prendre acte des exclusions de garantie prévues dans la police souscrite par LGL auprès d’elle,
– rejeter, en conséquence, toute demande formée contre elle en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société LGL,
À titre infiniment subsidiaire,
– limiter toute condamnation contre elle à la somme de 305 000 euros, sous la déduction d’une franchise de 7 622 euros,
– prendre acte de ce qu’en application des stipulations de la Police, tous frais, honoraires et indemnités engagés par elle au titre du sinistre en cause viendront à hauteur de 17 178,83 euros en déduction de tout montant éventuellement dû par elle au titre du sinistre objet de l’action,
et condamner solidairement les sociétés MGC et Generali à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, rejeter toutes demandes formées contre elle au titre des frais de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, condamner solidairement les sociétés MGC et Generali aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La société Chubb s’en rapporte sur le moyen tiré de la péremption, rappelant seulement que les effets de la péremption sont indivisibles et s’étendent à toutes les parties. Sur le fond, elle s’en remet sur l’éventuelle responsabilité décennale de la société LGL et elle conteste que la responsabilité contractuelle de cette dernière puisse être engagée, considérant que le tribunal a manifestement retenu un manquement au devoir de conseil de la société LGL alors que la société MGC n’a pas invoqué la responsabilité contractuelle de droit commun mais s’est fondée uniquement sur la garantie anti-corrosion. Selon elle, l’action contractuelle serait prescrite et la garantie spécifique anti corrosion ne s’applique pas en l’espèce du fait de l’absence de nettoyage et entretien régulier des matériels litigieux. Enfin elle fait valoir que la cour n’est pas liée par l’arrêt de la juridiction administrative qui n’a pas autorité de la chose jugée sur les décisions du juge judiciaire compte tenu du principe de la séparation des ordres de juridiction et, en tout état de cause, que l’autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée dès lors qu’elle (ainsi que LGL) n’était pas partie à la procédure administrative. Sur le préjudice, elle relève que la demande de la société MGC excède la part réelle qui lui revient en application de l’arrêt de la cour administrative d’appel, qu’elle ne justifie pas du paiement des sommes mises à sa charge, et elle estime que le préjudice doit être limité au coût de remplacement des ‘roof-top’ et non de l’ensemble de l’installation qui reste fonctionnelle selon l’expert. Elle conteste en tout état de cause sa garantie à l’égard de la société LGL au regard des clauses d’exclusion prévue au contrat quelle que soit la responsabilité de son assurée qui pourrait être retenue.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 février 2024 la société MGC demande à la cour de :
– dire et juger la société LGL mal fondée en son appel, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce compris la demande tendant à voir constater la péremption d’instance,
– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception de péremption et en ce que la société Generali a été condamnée à la garantir solidairement des entières condamnations qui ont été prononcées à son encontre par la cour administrative d’appel et reformuler ce chef de condamnation en ce sens,
– faisant doit à son appel incident, infirmer le jugement en ce qu’il a limité la garantie de la société LGL et exclu la garantie de la compagnie d’assurance Chubb et de la société Dalkia, en ce qu’elle a été condamnée à payer 1 000 euros à la société Chubb et en ce que seules les sociétés Generali et LGL ont été condamnées aux dépens de première instance,
– dire que son action en responsabilité à l’encontre des sociétés LGL, Chubb et Dalkia n’est pas prescrite,
– statuant à nouveau, condamner les sociétés LGL, Chubb et Dalkia à la garantir solidairement des entières condamnations prononcées à son encontre par la cour administrative d’appel, à savoir : indemnité de 2 479 44,56 euros TTC assortis des intérêts au taux légal courant à compter du 4 mai 2015 avec capitalisation des intérêts, frais d’expertise taxés à la somme de 40 346,09 euros et 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative,
– débouter la compagnie Chubb de son appel incident et de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– débouter la société Generali de son appel incident et de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner les sociétés LGL, Chubb et Dalkia avec la société Generali aux entiers dépens de première instance,
– les débouter de toutes leurs demandes,
– pour le surplus, confirmer le jugement de première instance, condamner les sociétés LGL, Chubb, Dalkia et Generali, chacune, au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d’appel.
Au moyen tiré de la péremption d’instance, la société MGC oppose que :
– l’assignation en intervention forcée de la société Chubb, dont elle n’a eu connaissance que tardivement à raison de la communication tardive par la société LGL de l’identité de son assureur, a un lien de dépendance direct et nécessaire avec l’instance introduite contre la société LGL, a interrompu le délai de péremption qui a couru à compter de l’enrôlement de l’assignation le 19 octobre 2015,
– après avoir soulevé la péremption de l’instance la société LGL avait abandonné ce moyen dans ses conclusions récapitulatives n° 3 de sorte qu’elle n’est plus recevable à le soulever après avoir conclu au fond,
– les nombreuses diligences accomplies devant le tribunal administratif, dans une procédure ayant un lien de dépendance direct et nécessaire avec la présente instance, ont interrompu le délai de péremption de la procédure devant le tribunal de commerce.
Sur le fond, la société MGC soutient que la responsabilité de la société LGL est mise ne cause sur le fondement de la garantie décennale, notamment en application de l’article 1792-4 du code civil (en qualité de fabricant) considérant que les ‘roof-top’ constituent des EPERS et que les désordres rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, peu importe le caractère dissociable de l’élément d’équipement en cause, précisant qu’un désordre évolutif permet la mise en oeuvre de la responsabilité décennale. Elle considère qu’aucune faute ne peut lui être reprochée de sorte que la garantie de la société LGL à son égard doit être pleine et entière. Subsidiairement, elle conclut à la responsabilité contractuelle de la société LGL, qui n’est pas prescrite, dans la mesure où son action initiale engagée sur le fondement de la garantie décennale, qui tend aux mêmes fins, a interrompu la prescription. Elle rappelle que l’expert a retenu que c’était la conception même de l’ouvrage qui était inadaptée alors que la société LGL connaissait parfaitement les contraintes prévues au cahier des charges et liées à la situation de l’ouvrage et elle se prévaut de la garantie anti-corrosion de vingt ans de la société LGL.
Sur l’application de la garantie de son assureur, elle fait valoir que l’appréciation de sa responsabilité relevait de la seule juridiction administrative dès lors qu’était en cause un marché public et s’impose en conséquence à la compagnie d’assurance qui ne peut plus contester la nature décennale des désordres. Sur la garantie de la société Dalkia, elle estime qu’elle devra être retenue sur le fondement des articles 1213, 1382 et suivants et 1384 anciens du code civil.
Enfin, la société MGC fait valoir que limiter le montant de l’indemnisation au coût des réparations ne correspond pas aux préconisations de l’expert et serait contraire au dispositif de l’arrêt de la cour administrative d’appel qui ont retenu que la seule solution envisageable était un remplacement intégral de l’installation.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 mars 2024 la société Generali demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception de péremption d’instance, l’a condamnée à garantir la société MGC de toutes ses condamnations partiellement exécutées et à venir et à lui payer la somme de 3 000 euros pour indemnité procédurale, à payer à la société Dalkia la somme de 1 000 euros pour indemnité procédurale, a rejeté les demandes d’autres garanties, de limitations, d’intérêts supplémentaires, de communication de police et d’astreinte et a l’a condamnée solidairement avec la société LGL aux entiers dépens,
statuant à nouveau,
à titre principal,
– prononcer la péremption de l’instance,
à titre subsidiaire,
– rejeter toute demande de condamnation à son égard,
– en conséquence, débouter toutes les parties de leurs demandes, fins et conclusions présentées à son encontre,
à titre infiniment subsidiaire,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société LGL à garantir solidairement entre elles les sociétés MGC et Generali à hauteur de la moitié des condamnations,
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit applicables les plafonds et franchises contractuels tels qu’établis dans le contrat d’assurance liant la société MGC à la compagnie Generali, ceux-ci étant opposables erga omnes s’agissant des garanties facultatives,
– limiter toute condamnation à la somme de 454 798,52 euros HT correspondant au montant des travaux strictement nécessaires à la reprise du désordre constaté,
– condamner en tout état de cause, outre la société LGL, les sociétés Chubb et Dalkia à la garantir et la relever indemne de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre, tant en principal qu’en accessoires, frais, indexation, intérêts et anatocisme,
en tout état de cause,
– débouter toutes les parties de leurs demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,
– condamner tous succombants à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Catherine Camus-Demailly, avocat aux offres de droit.
La société Generali conclut à la péremption de l’instance, expliquant que le délai de péremption, qui court à compter de l’assignation du 6 août 2015, tout au plus à compter de l’enregistrement de la procédure le 19 octobre 2015, n’a pu être interrompu par une demande de jonction ou une demande de renvoi, ni par l’appel en garantie de la société Chubb qui constitue l’introduction d’une nouvelle instance sans lien de dépendance direct et nécessaire avec la procédure initiale, ni par les conclusions de la société MGC aux fins de sursis à statuer signifiées le 25 juin 2018 qui sont intervenues alors que la péremption était acquise, rappelant que pour être interruptifs les actes doivent avoir pour objet des diligences procédurales de nature à faire progresser l’affaire ; la diligence peut relever d’une autre instance à la condition qu’il existe un lien de dépendance direct et nécessaire entre les deux procédures.
Sur le fond, la société Generali conteste la mobilisation de sa garantie décennale en l’absence de désordres répondant aux exigences des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil ; elle conteste en particulier le caractère décennal des désordres quant à leur apparition dans le délai de dix ans. Elle considère à ce titre que l’arrêt de la cour administrative d’appel (au demeurant critiquable sur le fond selon elle) est sans incidence sur la décision du juge judiciaire. Par ailleurs, elle invoque une clause d’exclusion du contrat d’assurance relative aux dommages résultant d’un défaut d’entretien qui est l’une des causes des désordres identifiées par l’expert. Subsidiairement, s’il était retenu que ses garanties étaient mobilisables, elle invoque, d’une part, la garantie de la société LGL et de son assureur, considérant que la société LGL engage sa responsabilité à raison de l’inadaptabilité du matériel fourni, invoquant tant les dispositions de l’article 1792-4 du code civil que la responsabilité contractuelle et la garantie anti-corrosion, et, d’autre part, la garantie de la société Dalkia au titre de l’action récursoire à l’encontre du tiers fautif sur le fondement de l’article 1240 du code civil, sa responsabilité pouvant être retenue à raison de lacune dans l’entretien de l’installation et d’un défaut de conseil.
Sur la garantie de la société Chubb, la société Generali estime que celle-ci ne peut se prévaloir des conditions générales qu’elle invoque et dont la preuve d’une acceptation n’est pas rapportée, et, notamment, qu’elle ne peut se prévaloir d’une exclusion des désordres de nature décennale (clause ambiguë qui doit s’interpréter en faveur de l’assuré). Elle estime en outre que la garantie est bien applicable aux dommages en cause.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 mars 2023 la société Dalkia demande à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Dunkerque,
– déclarer que les désordres résultent exclusivement de l’inadaptation des matériaux fournis par la société LGL,
– déclarer qu’elle n’a commis aucun manquement en lien avec les désordres,
– en conséquence, débouter toutes parties de leurs demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à son encontre,
– et condamner tous succombants à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
La société Dalkia fait valoir qu’il ne peut lui être reproché aucun manquement à ses obligations contractuelles et que le sinistre est sans lien avec un défaut d’entretien mais résulte uniquement de la mise en oeuvre de matériaux inadaptés à l’environnement. Elle relève que la commune de [Localité 4] s’était désistée devant la juridiction administrative de toute demande à son encontre.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé du surplus de leurs moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 mars 2024 et l’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoiries du 11 avril 2024.
Sur la péremption d’instance
Il résulte de l’article 386 du code de procédure civile que l’instance est périmée si aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.
Le tribunal de commerce a estimé que l’instance n’était pas périmée ‘vu la nature de l’action et les appels en garantie successifs, l’expertise judiciaire et l’instance devant la juridiction administrative jusqu’à l’arrêt du 16 juin 2020’ qui auraient empêché toute péremption de l’instance.
A titre liminaire, la cour relève que, si la société LGL a, devant le premier juge, renoncé un temps à soulever la péremption de l’instance, et si la péremption doit, à peine d’irrecevabilité, selon l’article 388 du code de procédure civile, être demandée ou opposée avant tout autre moyen, le premier juge en était régulièrement saisi par la société Generali, comme la cour, qui est donc tenue de statuer sur ce moyen.
En principe, pour être interruptif de péremption, un acte doit faire partie de l’instance et la continuer, toutefois, en cas de lien de dépendance direct et nécessaire entre deux instances, les diligences accomplies par une partie dans une instance interrompent la péremption de l’autre instance.
En l’espèce, l’instance a été introduite par l’assignation délivrée à la demande de la société MGC, remise au greffe le 19 octobre 2015 (date indiquée par les parties), aux fins de voir ‘dire que la société LGL France et la compagnie d’assurances Generali IARD seront tenues de garantir la société MGC de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre par le tribunal administratif de Lille dans le contentieux qui l’oppose à la ville de Dunkerque’.
L’instance devant le tribunal administratif, introduite par requête du 4 mai 2015, et l’instance devant le tribunal de commerce se rattachent entre elles par un lien de dépendance direct et nécessaire dès lors que l’issue de l’instance devant le tribunal administratif commande l’issue de l’instance introduite devant le tribunal de commerce. La mise en oeuvre de la garantie de l’assureur de MGC et l’appel en garantie contre la société LGL dépendent en effet directement d’une condamnation qui serait prononcée contre la société MGC par la juridiction administrative, seule compétente pour statuer sur la responsabilité de l’assuré, et, à défaut, l’instance engagée contre eux devenait sans objet.
Dès lors les actes accomplis dans le cadre de l’instance devant le tribunal administratif ont interrompu le délai de péremption de l’instance introduite contre l’assureur de MGC et la société LGL.
Sur les demandes de la société MGC contre la société Generali
La cour administrative d’appel, considérant que les appareils de climatisation litigieux fixés sur le toit du palais des congrès et destinés à assurer la climatisation de l’ensemble du bâtiment constituaient des éléments d’équipement indissociables de celui-ci et que, eu égard à la non-conformité de la carrosserie dès l’origine (inadaptée aux conditions climatiques de bord de mer) et à l’évolution constante des corrosions conduisant à terme à une impossibilité de fonctionner, les désordres constatés engageaient la responsabilité décennale des maîtres d’oeuvre et de la société MGC.
Le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé (TC, 8 juin 2009, n° 3678, Communauté de communes Jura Sud c/ Société Safege SA) ; s’il appartient aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé ou entre deux personnes liées par un contrat de droit privé, elles ne sont toutefois pas autorisées à trancher la question de l’existence et de l’étendue de la responsabilité de l’auteur du dommage, ainsi que celle du montant de la créance de réparation et sont donc sur ces points tenues par la décision du juge administratif.
En outre, la décision de justice condamnant l’assuré à raison de sa prestation constitue pour l’assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est, dès lors, opposable, à moins d’une fraude à son encontre.
Il en résulte que la société Generali ne peut, en contestant la nature décennale des désordres, remettre en cause la responsabilité décennale de son assurée, admise par la décision de la cour d’administrative d’appel, et la compétence du juge judiciaire est limitée à l’étude la garantie due par l’assureur en considération de la police d’assurance, peu importe qu’elle n’ait pas été partie dans l’instance devant la juridiction administrative.
Par ailleurs, la société Generali invoque une clause d’exclusion de la garantie décennale en cas de dommages résultant du défaut d’entretien, considérant que les désordres sont liés à l’inadaptation du matériel au site mais aussi à un entretien inefficace du matériel, défaut d’entretien qui a participé à la survenance des désordres et à leur aggravation au cours de la mesure d’expertise.
L’article 10 des conditions générales de la police d’assurance de la société Generali (‘MULTIBAT’ assurance responsabilité civile des entreprises du bâtiment), relatif aux dommages survenus après réception de l’ouvrage, prévoit en son paragraphe 10.1 : ‘nous garantissons le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage que vous avez exécuté ou à la réalisation duquel vous avez contribué (y compris les travaux de démolition) lorsque votre responsabilité est engagée sur le fondement des articles 1792, 1792-2 et 2270 du code civil à propos des travaux de bâtiment’.
L’article 11 relatif aux exclusions stipule que ‘pour l’ensemble des garanties définies aux articles ‘9’ et ’10’, ci-dessus, nous ne garantissons jamais les dommages résultant (…) des effets de l’usure normale, du défaut d’entretien ou de l’usage normal’.
Toutefois la responsabilité de la société MGC n’a pas été retenue à raison d’un défaut d’entretien qui lui serait imputable, mais à raison de l’installation d’un dispositif inadapté, seule cause retenue par la cour administrative d’appel, de sorte que la clause d’exclusion de la garantie décennale invoquée par l’assureur ne s’applique pas.
La société Generali invoque les plafonds et franchises prévus au contrat d’assurance opposables à l’assurée selon elle pour l’ensemble des garanties, sans d’ailleurs remettre en cause les limites retenues par le premier juge qui a estimé qu’il avait lieu de retenir la franchise contractuelle plafonnée à 4 573 euros et qui a prononcé une condamnation ‘dans la limite du plafond contractuel’.
Il convient dès lors de confirmer le jugement qui a retenu l’application de la garantie, le chef du jugement étant toutefois infirmé, la cour prononçant une condamnation contre la société Generali à garantir la société MGC des condamnations prononcées à son encontre par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 16 juin 2020 dans les proportions de responsabilité retenue par cet arrêt, ce sous franchise limitée à 4 573 euros et dans la limite du plafond contractuel.
Sur les demandes contre la société LGL et son assureur
Le premier juge, au visa des articles 1134 et suivants anciens du code civil, après avoir considéré que le désordre constaté sur les ‘roof-top’ rendait l’ouvrage impropre à sa destination, à l’égard de l’entreprise principale (MGC) comme de son assureur et du fournisseur, la société LGL, que cette dernière avait été informée des exigences de tenue à la corrosion sur une durée de vingt ans, que ses prescriptions générales prévoyaient une installation du matériel en cause à plus d’un kilomètre de la mer, ce qui avait été négligé par la société MGC et le fournisseur, et ‘compte tenu de la qualité de professionnel dans le domaine du bâtiment de la société MGC comme de la société LGL, et vu leurs relations techniques durant la préparation détaillée du marché’, a considéré qu’il convenait de retenir un partage de responsabilité par moitié, excluant toute responsabilité de la société Dalkia.
La société MGC ne peut opposer à la société LGL les dispositions de l’article 1792 du code civil, qu’elle invoque incidemment en se prévalant d’une jurisprudence qui en a étendu l’application aux désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71), dès lors que le vendeur n’est pas tenu des garanties légales des articles 1792 et suivants qui incombent au locateur d’ouvrage.
Les sociétés MGC et Generali font valoir que la société LGL engage sa responsabilité décennale en sa qualité de fabricant d’élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS) sur le fondement de l’article 1792-4 alinéa 1 du code civil qui dispose, par exception au principe rappelé ci-dessus, que le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré.
Elles soutiennent que les panneaux de protection des appareils de climatisation ont été conçus et produits pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l’avance, que les spécifications du cahier des charges s’imposaient à la société LGL France, qui était en contact direct avec la maîtrise d’oeuvre qui l’a associée au choix du matériel de climatisation, et qui, dans ce cadre, a proposé un matériel différent de celui prévu au cahier des charges.
S’il ressort des pièces versées aux débats que les panneaux de protection commandés auprès de la société LGL devaient répondre à un ensemble de spécifications, énoncées dans le cahier des clauses techniques particulières, lui-même mentionné dans le bon de commande (‘ensemble de roof top complets suivant CCTP’), aucun élément ne permet de déterminer si, pour autant, les ‘roof-top’ ont été spécialement conçus et produits pour le chantier du palais des congrès et spécifiquement adaptés aux exigences particulières de la construction en cause, alors que la société LGL soutient qu’il s’agit de produits’ catalogue’. Or cette allégation est confirmée par la production par la société LGL de manuels d’installation et de maintenance relatifs à différents modèles de ‘roof top’, et dont l’on retrouve la désignation (comme ‘FXK 170’) sur les factures et les historiques de commandes versés par cette société. Il peut être relevé en outre à cet égard que le CCTP présente en page 24 un ‘listing de matériel’ avec mention de la marque, précisant que ‘les marques sont données à titre indicatif’ et que ‘tout autre marque, équivalent techniquement, pourra être proposée au maître d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre’ ; s’agissant des ‘roof-top’ il est mentionné dans ce listing les marques’PACARE, LENNOX’, laissant entendre qu’il s’agit de matériel générique, non spécifiquement conçus et produit pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l’avance.
Il n’est dès lors pas établi que les panneaux de protection fournis par la société LGL constituaient des EPERS relevant de l’article 1792-4 du code civil.
Les sociétés MGC et Generali invoquent par ailleurs la responsabilité contractuelle de droit commun de la société LGL.
La cour relève que cette dernière évoque dans ses conclusions la prescription de cette action mais force est de constater qu’elle ne formule aucune demande d’irrecevabilité dans le dispositif de ses conclusions, se bornant à demander à la cour de ‘réformer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la garantie contractuelle de la société LGL France tant en raison de la prescription que du défaut d’entretien que du non-respect des conditions contractuelles de garantie, fautes qui l’exonèrent de toute responsabilité’. Dès lors la cour, vu les dispositions de l’article 954, 3ème alinéa, du code de procédure civile, n’est pas saisie de la fin de non-recevoir formulée dans la discussion qui ne peut être relevée d’office s’agissant de la prescription.
L’expert judiciaire a conclu que :
– les causes et origines des désordres sont dues :
– d’une part à l’inadaptabilité des carrosseries des matériels installés aux conditions atmosphériques connues et notables du site où ces matériels devaient être installés.
Le CCTP demandait d’ailleurs dès l’origine en page 26/99 (article 3.4 relatifs aux roof tops) que les roof tops seront de type double flux réversible, monobloc aluminium avec garantie de 20 ans, anticorrosion sur châssis, caisson et plancher et 2 ans sur le matériel.
Ce n’est pas ce type de matériel qui a été installé en définitive pour des raisons restées inconnues à ce stade avec l’assentiment des intervenants à l’acte de construire.
– à un entretien vraisemblablement inefficace de ces carrosseries. La fréquence (annuelle) de ces entretiens n’a pu être établi formellement, et il est loin d’être prouvé que son efficacité, si les entretiens ont bien été effectués conformément aux spécifications du constructeur, aurait été pleine et entière, compte tenu de ce qui précède.
A noter que le CETIM n’a pas retrouvé de traces de produits lessiviels dans ses analyses, ce qui tendrait à prouver dans un premier temps que les entretiens aient été relativement inexistants. Par contre, Dalkia a indiqué ne pas entretenir les zones dégradées de peur de les aggraver, ce qui pourrait expliquer dans un deuxième temps l’absence de traces de produits lessiviels dans les analyses.
L’expert précise par ailleurs que :
Au sens de CETIM, ce type de revêtement n’est pas suffisant dans un environnement marin.
Les épaisseurs de peinture varient de 65 à 85 ‘m. Les forces de rupture mesurées d’adhérence de la peinture sur le support acier ne sont pas très élevées, sans que cela nuise inopportunément à la fonction.
Et relève que :
Bien que la protection soit adaptée à un environnement extérieur, il apparaît qu’elle n’est pas suffisante pour un environnement en bord de mer. Le CETIM recommande pour les futures pièces de revoir les épaisseurs de protection de la couche métallique mais aussi celle de la peinture.
La protection des roof tops litigieux fabriqués en 2004 est insuffisante pour assurer une garantie anticorrosion en front de mer. Le guide technique de Lennox de juillet 2004 le précise d’ailleurs en déconseillant l’installation des appareils à moins de 1 000 m de la mer.
S’agissant en premier lieu de la garantie anti-corrosion de vingt ans consentie par la société LGL, laquelle oppose une exclusion du fait de l’insuffisance de la maintenance de l’installation, le ‘certificat de garantie anti-corrosion 20 ans’ est ainsi rédigé :
LGL offre une garantie de 20 ans (de la machine) contre la corrosion par perforation de la carrosserie d’habillage des ROOF-TOPS FLEXY, attribuable à des défauts de matière ou de traitement.
Cette garantie ne s’applique pas dans les cas suivants :
1. Le processus de corrosion de la carrosserie est dû des dommages extérieurs (…)
2. La carrosserie d’habillage n’est pas maintenue constamment propre par un service ou une entreprise spécialisée et compétente.
3. Le nettoyage et la maintenance de la carrosserie d’habillage ne sont pas effectués suivant les règles de l’art. L’entretien courant consiste en un lavage à l’eau additionnée d’un détergent doux (pH compris entre 5 et 8) suivi d’un rinçage soigné à l’eau claire et un essuyage avec un chiffon doux et absorbant.
Pour éliminer certains salissures ou tâches on peut employer un solvant adapté (alcool, essence, pétrole, white-spirit) suivi d’un essuyage avec un chiffon doux et absorbant.
4. Les unités de toiture ROOF-TOPS FLEXY sont installées sur un site ou l’atmosphère est notoirement reconnue comme corrosive. (industries chimiques, etc…).
5. Si l’appareil n’est pas associé à un contrat de maintenance garantissant à la machine ses performances d’origine.
La cour relève que la société Generali, tout en évoquant la garantie de vingt ans ainsi consentie par la société LGL soutient par ailleurs que l’expert a constaté que l’entretien avait été inefficace si ce n’est inexistant et que le défaut d’entretien a participé à la survenance des désordres.
Selon la société MGC les constatations de l’expert ne révèlent nullement un défaut d’entretien de l’ouvrage, mais son inefficacité, et elle soutient que les prescriptions du cahier des clauses techniques particulières relatif au marché de maintenance et de dépannage confié à la société Dalkia (à savoir : vérifier l’état de corrosion intérieur et extérieur, nettoyage des parois intérieures, retouches de peinture) sont conformes aux préconisations du manuel d’installation de la société LGL.
Toutefois, à supposer même qu’un entretien ait été effectué conformément à ces préconisations, il n’est pas établi que les conditions relatives à l’entretien telles que précisément mentionnées dans le certificat de garantie aient été respectées. La cour relève que ni l’acte d’engagement confiant à la société Dalkia la maintenance et le dépannage des installations de génie climatique, ni le cahier des clauses administratives particulières, ni le cahier des clauses techniques particulières relatifs au marché de maintenance et de dépannage, ne reprennent les préconisations concernant l’entretien qui sont mentionnées dans le certificat de garantie ou ne font référence à ce certificat.
Il en résulte que la garantie anti-corrosion consentie par la société LGL ne trouve pas à s’appliquer.
S’agissant par ailleurs d’une faute contractuelle de la société LGL, les sociétés MGC et Generali font valoir que :
– la société LGL n’a pas respecté les spécifications du CCTP alors qu’elle connaissait les particularités liées à la localisation des panneaux de protection en bord de mer et a été associée au choix du matériel par la maîtrise d’oeuvre,
– les désordres résultent exclusivement d’une protection anti-corrosion des panneaux de protection insuffisante et la conception même de l’ouvrage était inadaptée à l’environnement de l’ouvrage,
– l’inadaptabilité de la carrosserie lui est imputable, l’expert ayant relevé que la société LGL ne pouvait ignorer la destination des produits et aurait dû proposer un produit adaptée de type C5 ou C5 M, mais elle a proposé la mise en oeuvre d’un matériel autre que celui prévu au cahier des charges et qu’elle estimait plus adéquat,
– elle devait procéder à une fabrication spécifique des matériels au regard des certifications requises et de la situation géographique et adapté son offre aux besoins formulés par son contractant,
– elle a manqué à son devoir de conseil et ce, d’autant que ses propres recommandations indiquent de ne pas poser le matériel à moins de 1 000 mètres du trait de côte et qu’elle accorde une garantie pour cet ouvrage pour vingt ans.
Le contrat entre la société MGC et la société LGL est un contrat de vente de matériel or, il n’est nullement soutenu un défaut de conformité du matériel livré par la société LGL au regard de la commande passée par la société MGC. Si le bon de commande mentionne un ‘ensemble de roof top complets suivant CCTP’, il y est également mentionné tout un ensemble de caractéristiques, notamment une ‘isolation double peau 25 MM’ et il n’est pas démontré que les ‘roof-top’ ne seraient pas conformes à cette commande. Il peut être relevé que l’expert a constaté que ce n’est pas le type de matériel prévu au CCTP qui avait été installé et ce ‘avec l’assentiment des intervenants à l’acte de construire’, ce qui n’est pas remis en cause par les parties. Il n’est en outre pas démontré que la société LGL aurait participé de manière effective au choix du matériel commandé et aurait joué un quelconque rôle dans la décision ayant conduit au choix de panneaux non conformes au CCTP. Dès lors aucune faute de la société LGL ne saurait être retenue dans la fourniture de matériel non conforme au CCTP et aux propriétés anti-corrosion insuffisantes.
Il n’est par ailleurs ni soutenu, ni démontré que les panneaux fournis seraient atteints d’un vice ou d’une malfaçon.
Enfin, la société LGL ne saurait être tenue à un devoir de conseil à l’égard de la société MGC s’agissant d’un contrat conclu entre deux professionnels, dans la mesure où la société MGC était elle-même soumise au CCTP et où le matériel objet du bon de commande a été validé par la maîtrise d’oeuvre et confirmée par le maître de l’ouvrage.
Aucune faute de nature contractuelle ne peut être en conséquence retenue à l’encontre de la société LGL et le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a retenu sa responsabilité, et les demandes en garantie dirigées contre elle seront rejetées.
Par voie de conséquence les demandes contre son assureur, la société Chubb, seront également rejetées.
Sur les demandes formées contre la société Dalkia
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a mis hors de cause la société Dalkia, le lien de causalité entre un éventuel défaut d’entretien et les désordres constatés n’étant pas établi, même au regard des éléments relevés dans le rapport d’expertise au sujet d’un éventuel défaut d’entretien ou d’un entretien inefficace.
Sur les demandes accessoires
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement s’agissant des condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, à mettre les dépens d’appel à la charge des sociétés MGC et Generali, qui succombent, et d’allouer aux autres parties une somme en application de l’article 700 du code de procédure civile dans les conditions fixée au dispositif du présent arrêt.
La cour,
Réforme le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société Generali IARD à garantir la société MGC de toutes ses condamnations partiellement exécutées et à venir en exécution complémentaire à son encontre selon l’arrêt de la cour administrative d’appel du 16 juin 2020, ce sous franchise limitée à 4 573 euros et le tout dans la limite du plafond contractuel et à lui payer la somme de 3 000 euros pour indemnité procédurale,
– condamné la société LGL France à garantir solidairement entre elles les sociétés MGC et Generali IARD à hauteur de la moitié de ces condamnations,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la société Generali IARD à garantir la société Maintenance Génie Climatique (MGC) des condamnations prononcées à son encontre par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 16 juin 2020 dans les proportions de responsabilité retenue par cet arrêt, ce sous franchise limitée à 4 573 euros et dans la limite du plafond contractuel ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
y ajoutant,
Condamne in solidum la société Maintenance Génie Climatique (MGC) et la société Generali IARD aux dépens d’appel ;
et, au titre de l’article 700 du code de procédure civile du code de procédure civile :
Condamne la société Maintenance Génie Climatique (MGC) à payer à la société LGL France la somme de 10 000 euros ;
Condamne in solidum la société Maintenance Génie Climatique (MGC) et la société Generali IARD à payer la somme de 2 000 euros à la société Chubb European Group SE et la somme de 5 000 euros à la société Dalkia France ;
Rejette les autres demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles