Aucun texte n’impose de recourir à un avocat pour conclure une transaction entre associés. La transaction peut être annulée pour dol ou violence.
Selon l’article 2044 du code civil, « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. La transaction, contrat librement conclu entre les parties, est soumise, pour sa validité, à la réunion des conditions posées à l’article 1128 du code civil : 1° Le consentement des parties ; En vertu des articles 1130 et 1131 du code civil, l’erreur, le dol et la violence constituent des vices du consentement, causes de nullité relative du contrat, lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie alors eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. Par ailleurs, selon l’article 1353 du même code, « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Selon l’article 1137 du code civil, « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ». L’article 1138 du même code ajoute que : « Le dol est également constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant. Enfin, en vertu de l’article 1139 de ce code, « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ». En vertu de l’article 1140 du code civil, « Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ». L’article 1141 de ce code ajoute que : « La violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers ». Selon l’article 1142 du code, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». |
Résumé de l’affaire : Au début de 2019, M. [I] [J], M. [X] [P] et M. [D] ont décidé de créer la SAS KG Groupe pour exploiter un fonds de commerce de restauration. M. [J] et M. [D] détenaient respectivement 80% et 20% des parts, et M. [P] a été nommé directeur général. Un pacte d’actionnaires a été signé, prévoyant une rémunération pour M. [P] et des cessions d’actions conditionnelles. En mai 2021, M. [J] et M. [D] ont cédé le fonds de commerce. En juin 2021, une transaction a été conclue entre M. [J], la société et M. [P], stipulant que ce dernier ne contesterait pas les relations d’affaires en échange d’une somme de 2.400 euros. En octobre 2021, M. [P] a formé opposition à la libération du prix de vente du fonds, invoquant le pacte d’actionnaires, et a assigné M. [J] et la société en justice. En mai 2022, le tribunal a déclaré M. [P] irrecevable en raison de la transaction. En novembre 2022, M. [P] a cité à nouveau M. [J] et la société pour annuler la transaction. En août 2023, M. [P] a demandé l’annulation de la transaction, la production de documents comptables et des indemnités, arguant que la transaction avait été conclue sans son consentement éclairé. M. [J] et la société ont contesté ces demandes, affirmant la validité de la transaction et demandant la mainlevée de l’opposition ainsi que des dommages-intérêts pour procédure abusive. La clôture de l’affaire a été ordonnée fin octobre 2023.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/04243
N° Portalis 352J-W-B7G-CYHUY
N° MINUTE :
Assignations des :
07, 09 et 10 Novembre 2022
JUGEMENT
rendu le 24 Septembre 2024
DEMANDEUR
Monsieur [X] [P]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Olivier JESSEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0811
DÉFENDEURS
S.A.S. KG GROUPE
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Laure BOISSONNAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0106
Monsieur [I] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Laure BOISSONNAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0106
Décision du 24 Septembre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/04243 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYHUY
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 11 Juin 2024 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort
Au début de l’année 2019, M. [I] [J] et M. [X] [P] ont décidé, en commun avec M. [D], de créer une société pour l’exploitation d’un fonds de commerce de restauration situé [Adresse 3] à [Localité 5].
La SAS KG Groupe a ainsi été immatriculée le 21 mai 2019, M. [J] et M. [D] en détenant respectivement 80% et 20% des parts. Suivant procès-verbal d’assemblée générale du 22 mai 2019, M. [P] a été désigné directeur général de la société.
En parallèle, par acte daté du 19 avril 2019, M. [J] et M. [P] ont conclu un pacte d’actionnaires, prévoyant :
– une rémunération de M. [P] à hauteur de 2.500 euros nets pendant le premier exercice fiscal,
– une prime de 1.800 euros pour ce dernier, à la moitié de l’exercice fiscal,
– la cession à titre gratuit par M. [J] au bénéfice de M. [P] de :
* 10% des actions si le prévisionnel est atteint à l’issue du premier exercice fiscal,
* 5% d’actions supplémentaire si le prévisionnel est atteint à l’issue du deuxième exercice fiscal, ou,
* 10% des actions si seul le prévisionnel pour le deuxième exercice fiscal est atteint.
Les statuts de la société ont fixé pour premier exercice fiscal celui clôturé au 31 décembre 2020.
Au cours de la première moitié de l’année 2021, M. [P] s’est rapproché, directement et par l’intermédiaire de son conseil, de M. [J] afin d’obtenir les éléments comptables et financiers nécessaires pour l’éventuelle levée des conditions prévues au pacte d’actionnaires.
Le 19 mai 2021, M. [J] et M. [D], en qualité d’associés de la société KG Groupe, ont cédé le fonds de commerce de cette dernière.
Le 21 juin 2021, M. [J], la société KG Groupe et M. [P] ont conclu une transaction portant sur leurs « relations d’affaires » de 2019 à cette date, aux termes de laquelle M. [P] s’est engagé à ne pas contester ces relations ainsi que celles de travail avec la société KG Groupe, en contrepartie du règlement d’une somme totale de 2.400 euros.
Par courrier recommandé daté du 17 octobre 2021 adressé à la société KG Groupe, M. [P], par la voie de son conseil, a déclaré former opposition à la libération du prix de la vente du fonds de commerce à hauteur de la somme de 104.800 euros, invoquant les stipulations du pacte d’actionnaires.
Suivant exploit d’huissier en date du 21 octobre 2021, M. [P] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Bobigny M. [J] et la société KG Groupe, sollicitant leur condamnation à lui payer différentes indemnités en lien avec l’absence d’exécution du pacte d’actionnaires.
Par ordonnance du 10 mai 2022, le juge de la mise en état de ce tribunal a déclaré M. [P] irrecevable en ses demandes en raison de la transaction conclue le 21 juin 2021.
C’est dans ce contexte que, par actes d’huissier de justice en date des 7, 9 et 10 novembre 2022, M. [P] a fait citer M. [J] et la société KG Groupe devant le tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir notamment l’annulation de cette transaction.
Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 8 août 2023, M. [P] demande au tribunal de :
« Vu l’article 133 du Code de procédure civile,
Vu l’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution,
Vu l’article 1188 du Code civil,
Vu l’article 1217 du même code,
(…)
En premier lieu :
– ANNULER la transaction du 21 juin 2021 ;
Avant dire droit :
– ENJOINDRE à Monsieur [J] et à la société KG GROUPE de produire les pièces suivantes :
o Bilan(s) comptable(s) de la société depuis sa création ,
o Relevés de compte de la société depuis sa création,
o Procès-verbaux des assemblées générales et des décisions du Président de la société depuis sa création,
o Acte de vente du fond de commerce du 18 mai 2021 s’il existe,
Décision du 24 Septembre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 23/04243 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYHUY
o Éléments relatifs aux formalités liées à cette vente,
o Échanges d’e mails entre Monsieur [J] (notamment depuis les boîtes mails [Courriel 7] et [Courriel 6]) et Monsieur [G] [R], se présentant comme l’acquéreur du fonds de commerce ;
– CONDAMNER Monsieur [J] à produire ces pièces sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision avant dire droit à intervenir ;
– CONDAMNER la société KG GROUPE à produire ces pièces sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification de la décision avant dire droit à intervenir ;
– SE RESERVER la liquidation de l’astreinte ;
A titre principal :
– CONDAMNER Monsieur [J] à payer à Monsieur [P] la somme de 100.000 € en réparation de son préjudice ;
A titre subsidiaire :
– CONDAMNER Monsieur [J] à payer à Monsieur [P] la somme de 66.667 € en réparation de son préjudice ;
Et en tout état de cause :
– DEBOUTER les défendeurs de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
– CONDAMNER Monsieur [J] à payer à Monsieur [P] la somme de 4.800 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER Monsieur [J] aux entiers dépens ».
Au soutien de sa demande en nullité de la transaction, M. [P] expose en substance que cet accord a été conclu dans des conditions n’assurant pas son consentement libre et éclairé dès lors que :
– il n’a été ni conseillé, ni assisté lors de cette transaction,
– cet acte a été rédigé par son ancien conseil, lequel s’est en réalité comporté comme l’avocat de M. [J],
– il existe un déséquilibre manifeste entre les contreparties, pouvant espérer la somme de 8.000 euros à l’encontre de la société et n’ayant alors obtenu que 1.000 euros,
– il était en grande difficulté psychologique et financière au moment de signer la transaction,
– il a conclu la transaction sans connaître le prix de vente du fonds de commerce et sans ainsi savoir la part qu’il aurait pu revendiquer sur ce prix, dans l’hypothèse où sa qualité d’associé était reconnue,
– l’acquéreur du fonds de commerce ayant fait immatriculer son propre établissement à l’adresse du fonds dès le 2 novembre 2020, c’est par malice et suivant un comportement dolosif que M. [J] avait organisé, bien avant la cession opérée le 19 mai 2021, la fin de l’activité de la société KG Groupe.
Il sollicite ensuite la communication de différents éléments comptables et financiers de la société, nécessaires selon lui à la bonne exécution du pacte d’actionnaires.
Au soutien de ses demandes indemnitaires, il revendique qu’il aurait dû se voir attribuer 15 % des parts de la société KG Groupe et prétend à cette fin qu’il a rempli les conditions du pacte et qu’à défaut de mention précise dans ce dernier, il y a lieu d’interpréter les termes « premier exercice fiscal » comme faisant référence au 31 décembre 2019 et non au 31 décembre 2020.
Il estime alors avoir été injustement privé de tous ses droits d’associé pendant presqu’un an et six mois, des dividendes liés à l’activité de la société et du boni de la probable liquidation à venir suite à la vente du fonds de commerce.
A titre subsidiaire, il estime à tout le moins qu’il aurait été en mesure d’obtenir la propriété de 10 % des actions de la société et réduit en conséquence l’indemnisation qu’il entend obtenir.
Il s’oppose enfin à toute main-levée de l’opposition à la libération du prix de la vente du fonds de commerce, invoquant l’absence de garantie quant au paiement de l’indemnité réclamée.
Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 19 juin 2023, la société KG Groupe et M. [J] demandent au tribunal de :
« Vu les dispositions des articles 1104, 1112 alinéa 2, 1112-1, alinéas 1, 3, 5 et 6, 1128, 1130, 1131, 1137 alinéas 1 et 2, 1138, 1139, 1140, 1142 et 1143 du Code Civil
Vu les dispositions des articles 1240 du Code Civil
Constatant le caractère abusif de la procédure initiée à l’encontre des défendeurs tenant la régularisation d’une transaction entre les parties en date du 21 juin 2021
Rejetant toutes conclusions contraires comme étant injustes et infondées
(…)
– Dire et juger que la transaction régularisée entre les parties en date du 21 juin 2021 ne souffre d’aucune cause de nullité
– En tant que de besoin DEBOUTER Monsieur [P] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions
– ORDONNER mainlevée de l’opposition au prix de cession de vente de fonds de commerce régularisée par Monsieur [P] entre les mains de la séquestre, Me Virginie MARTEILL
– CONDAMNER Monsieur [P] à payer à la société KG GROUPE et à Monsieur [J], chacun, la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts
– CONDAMNER Monsieur [P] à payer à la société KG GROUPE et à Monsieur [J], chacun, la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– CONDAMNER Monsieur [P] aux entiers dépens d’instance dont distraction au profit de Me BOISSONNAT sur ses offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile ».
Ils contestent en substance tout dol, erreur ou violence au moment de la conclusion de la transaction, faisant valoir que :
– l’erreur alléguée quant à la valeur de la contrepartie obtenue ne peut fonder une demande en nullité au regard de l’article 1136 du code civil,
– aucune manoeuvre dolosive n’est établie au moment de transiger, alors que M. [P] était assisté de son conseil habituel, la qualité des prestations de ce dernier étant une question différente de l’objet du présent litige,
– le prix envisagé pour la cession du fonds de commerce est explicitement mentionné dans la transaction,
– aucune violence n’est caractérisée par le demandeur.
Ils en déduisent la parfaite validité de la transaction, celle-ci ayant été signée en toute connaissance de ses conséquences par M. [P] et partant, concluent au débouté de l’ensemble de ses demandes.
A titre reconventionnel, ils sollicitent la main-levée de l’opposition formée par M. [P] sur la libération du prix de la cession du fonds de commerce ainsi que des dommages-intérêts pour procédure abusive.
La clôture a été ordonnée le 31 octobre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
A titre liminaire, le tribunal observe que, dans les moyens développés au sein de ses dernières écritures, le conseil de M. [P] fait état de pièces communiquées sous les numéros 19 à 23. Ces pièces ne sont pas rappelées dans le bordereau communiqué avec ces mêmes écritures et elles ne sont pas davantage versées au dossier transmis par le conseil du demandeur à la juridiction à l’occasion de l’audience des plaidoiries.
Or, conformément aux dispositions de l’article 766 alinéa 2 du code de procédure civile, « La communication des pièces produites est valablement attestée par la signature de l’avocat destinataire apposée sur le bordereau établi par l’avocat qui procède à la communication ».
L’article 850 alinéa 1er ajoute que : « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe, les actes de procédure à l’exception de la requête mentionnée à l’article 840 sont remis à la juridiction par voie électronique ».
Du tout, il y a lieu de considérer que seules les pièces numérotées 1 à 18 listées dans le bordereau du demandeur remis par la voie électronique le 8 août 2023, et incluses dans son dossier de plaidoirie, ont été régulièrement communiquées et ont ainsi pu faire l’objet d’un débat contradictoire.
Sur la nullité de la transaction conclue le 21 juin 2021
Selon l’article 2044 du code civil, « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
La transaction, contrat librement conclu entre les parties, est soumise, pour sa validité, à la réunion des conditions posées à l’article 1128 du code civil :
« Sont nécessaires à la validité d’un contrat :
1° Le consentement des parties ;
2° Leur capacité de contracter ;
3° Un contenu licite et certain ».
En vertu des articles 1130 et 1131 du code civil, l’erreur, le dol et la violence constituent des vices du consentement, causes de nullité relative du contrat, lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie alors eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
Par ailleurs, selon l’article 1353 du même code, « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
Plus généralement, il résulte de l’article 9 du code de procédure civile qu’ « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
En l’espèce, aux termes de ses écritures, M. [P] invoque la violation par les défendeurs des dispositions des articles 1128 et suivants du code civil, leur reprochant en substance la commission d’un dol ou l’exercice d’une violence afin de tromper son consentement au moment de conclure leur transaction le 21 juin 2021.
Il y a lieu d’analyser successivement l’existence de ces vices, dont il revient à M. [P] de rapporter la preuve.
Sur le dol reproché à la société KG Groupe et à M. [J]
Selon l’article 1137 du code civil, « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
L’article 1138 du même code ajoute que : « Le dol est également constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant.
Il l’est encore lorsqu’il émane d’un tiers de connivence ».
Enfin, en vertu de l’article 1139 de ce code, « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».
En l’espèce, pour conclure à une erreur volontairement provoquée par les défendeurs lors de la conclusion de la transaction, M. [P] souligne ne pas avoir été correctement conseillé ou assisté à cette occasion. Toutefois, outre qu’aucun texte n’impose de recourir à un avocat pour conclure une transaction, le demandeur évoque de lui-même qu’il était assisté à cette occasion, soulignant que l’acte argué de nullité a été rédigé par son précédent conseil.
S’il déclare alors que « son Conseil s’est très rapidement comporté comme l’avocat de Monsieur [J] et non comme le sien », aucune preuve n’est produite au soutien de cette allégation, la seule saisine déontologique du bâtonnier par le demandeur, en l’absence de toute réponse de cette instance disciplinaire, ne pouvant utilement confirmer le manquement reproché.
Par ailleurs, M. [P] souligne le profit tiré par les défendeurs de ses compétences en restauration et partant, le caractère selon lui dérisoire de la contrepartie qu’il a acceptée aux termes de la transaction par rapport à ce qu’il aurait dû obtenir en exécution du pacte d’actionnaires.
Pour autant, ce seul moyen relève de l’appréciation faite par chacune des parties de la valeur et de la portée des contreparties réciproques dans lesquelles elles se sont librement engagées. Il ne caractérise donc pas, en lui-même, une quelconque manoeuvre de la société KG Groupe ou de M. [J] afin de tromper le consentement librement donné de M. [P].
Aucun élément mis aux débats ne vient davantage établir que les défendeurs auraient eu connaissance et auraient donc pu, d’une quelconque manière, abuser de la « dépression passagère » dans laquelle M. [P] déclare s’être trouvé au moment de la transaction.
M. [P] ne peut non plus être suivi lorsqu’il expose ne pas avoir disposé des informations relatives à la cession du fonds de commerce de la société KG Groupe, nécessaires à l’appréciation de la contrepartie qu’il pouvait obtenir. En effet, outre l’historique de l’activité de la société, la transaction rappelle, en bas de sa deuxième page, le prix exact de la cession envisagée pour le fonds de commerce. De plus, M. [P], directeur général de la société KG Groupe, disposait, de par ses fonctions, des informations lui permettant d’apprécier la valeur de ce fonds, le tribunal observant à cet égard qu’il produit de lui-même aux débats différents documents comptables et financiers relatifs à la société.
Enfin, M. [P] n’expose pas en quoi la prétendue manoeuvre réalisée par les défendeurs avec l’acquéreur du fonds de commerce, afin, selon lui, d’en précipiter la cession, aurait eu une quelconque influence sur les négociations ayant précédé la conclusion de la transaction et partant, sur son consentement.
Dans ces conditions, M. [P] échoue à caractériser, de la part de la société KG Groupe et/ou de M. [J], une quelconque manoeuvre dolosive préalable à la conclusion de la transaction en vue de tromper son consentement.
Sa demande en nullité sera rejetée de ce premier chef.
Sur la violence reprochée à la société KG Groupe et à M. [J]
En vertu de l’article 1140 du code civil, « Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ».
L’article 1141 de ce code ajoute que : « La violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers ».
Selon l’article 1142 du code, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».
En l’espèce, c’est par des moyens identiques à ceux précédemment évoqués au titre du dol que M. [P] conclut à la nullité de la transaction sur le fondement de la violence.
Pour les motifs ci-avant adoptés, il ne ressort alors ni des explications données par M. [P], ni des pièces qu’il communique une quelconque violence de la part de la société KG Groupe et/ou de M. [J] à son encontre, ou encore une quelconque situation de dépendance le concernant dont ces derniers auraient abusé, étant de nouveau souligné que rien n’établit que l’état dépressif dont il fait état dans ses écritures, à le supposer démontré, ait été connu des défendeurs.
En conséquence, sa demande en nullité de la transaction sera rejetée de ce second chef.
Sur les autres demandes principales et subsidiaires de M. [P]
Les demandes de M. [P] tendant :
– avant dire-droit, à la communication de différents documents,
– à une indemnisation correspondant selon lui à 15% de la valeur des actions de la société KG Groupe,
– à titre subsidiaire, une indemnisation correspondant à 10% de cette même valeur,
supposent que la transaction, dont l’objet est de mettre fin à tout litige entre les parties dans le cadre de leurs relations avec la société KG Groupe, ait été en premier lieu annulée par le tribunal.
Compte tenu alors du sens de la présente décision, ces demandes seront rejetées.
Sur la demande reconventionnelle en main-levée de l’opposition sur le prix de vente
L’article L. 141-14 du code de commerce dispose que : « Dans les dix jours suivant la dernière en date des publications prévues à l’article L.141-12, tout créancier du précédent propriétaire, que sa créance soit ou non exigible, peut former au domicile élu, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, opposition au paiement du prix. L’opposition, à peine de nullité, énonce le chiffre et les causes de la créance et contient une élection de domicile dans le ressort de la situation du fonds. Le bailleur ne peut former opposition pour loyers en cours ou à échoir, et ce, nonobstant toutes stipulations contraires. Aucun transport amiable ou judiciaire du prix ou de partie du prix n’est opposable aux créanciers qui se sont ainsi fait connaître dans ce délai ».
En vertu de l’article L. 141-16 du même code, « Si l’opposition a été faite sans titre et sans cause ou est nulle en la forme et s’il n’y a pas instance engagée au principal, le vendeur peut se pourvoir en référé devant le président du tribunal, à l’effet d’obtenir l’autorisation de toucher son prix, malgré l’opposition ».
Il se déduit de ces dispositions que si le président du tribunal a compétence exclusive pour statuer sur l’ opposition formée sur le prix en l’absence de saisine du juge du fond, le tribunal, dès lors qu’il se trouve régulièrement saisi au fond, retrouve sa compétence pour ordonner la main-levée de l’opposition s’il constate que celle-ci a été faite sans titre ou sans cause, ou encore si elle est nulle en la forme.
En l’espèce, compte tenu du rejet de l’intégralité des demandes, notamment indemnitaires, formées par M. [P] en lien avec le pacte d’actionnaires en date du 19 avril 2019 et une éventuelle nullité de la transaction conclue le 21 juin 2021, l’opposition qu’il avait formée à la libération du prix de vente du fonds de commerce de la société KG Groupe, laquelle reposait sur ces fondements, se trouve désormais sans titre et sans cause.
En conséquence, la main-levée de cette opposition sera ordonnée.
Sur les demandes pour procédure abusive
L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur équipollente au dol.
En l’espèce, l’appréciation inexacte que M. [P] a faite de ses droits n’est pas en soi constitutive d’une faute et la société KG Groupe ainsi que M. [J] ne rapportent la preuve ni de sa mauvaise foi, ni d’un préjudice qu’ils auraient subi en lien causal.
En conséquence, ils seront déboutés de leurs demandes indemnitaires.
Sur les demandes accessoires
M. [P], succombant, sera condamné aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par la société KG Groupe ainsi que par M. [J] à l’occasion de la présente instance. Il sera ainsi condamné à leur payer, à chacun, la somme de 2.000 euros à ce titre.
L’exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l’espèce à compter du 1er janvier 2020. Il n’y a pas lieu de l’écarter.
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
Déboute M. [X] [P] de sa demande en nullité de la transaction conclue le 21 juin 2021 avec la SAS KG Groupe et M. [I] [J],
Rejette en conséquence les autres prétentions de M. [X] [P], formulées en cas d’annulation de la transaction,
Ordonne la main-levée de l’opposition formée par M. [X] [P] suivant courrier du 17 octobre 2021 à la libération du prix de la cession du fonds de commerce de la SAS KG Groupe conclue le 19 mai 2021,
Déboute la SAS KG Groupe et M. [I] [J] de leurs demandes indemnitaires pour procédure abusive,
Condamne M. [X] [P] à payer à la SAS KG Groupe et à M. [I] [J], à chacun, la somme de 2.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles,
Condamne M. [X] [P] aux dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties,
Rappelle que la présente décision est, de droit, exécutoire par provision.
Fait et jugé à Paris le 24 Septembre 2024.
Le Greffier La Présidente
Nadia SHAKI Géraldine DETIENNE