M. [P] a engagé la société la Bernayenne de couverture pour des travaux d’isolation et de réfection de toiture pour un montant total de 72 314,27 euros TTC, dont il a payé deux acomptes de 21 694,36 euros. Un devis complémentaire pour le remplacement des gouttières a été signé pour 1 667,34 euros. Les relations entre M. [P] et la société se sont détériorées, M. [P] refusant de réceptionner les travaux et de payer le solde de 30 857,37 euros. En mars 2019, la société a assigné M. [P] en justice pour obtenir le paiement. Une expertise a été ordonnée, et le rapport a été déposé en août 2022.
La société la Bernayenne de couverture demande la réception judiciaire des travaux et le paiement du solde, arguant qu’elle a respecté ses obligations contractuelles et que les défauts allégués par M. [P] sont infondés. M. [P], de son côté, conteste la qualité des travaux, soutenant que des malfaçons ont été constatées par l’expert, et réclame des indemnités pour les travaux de réfection de la couverture et de la charpente, ainsi que pour son préjudice de jouissance et d’autres frais. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ EVREUX
AUDIENCE PUBLIQUE – CHAMBRE CIVILE
MINUTE N° : 2024/
N° RG 22/04146 – N° Portalis DBXU-W-B7G-HEDS
NAC : 54C Demande en paiement du prix formée par le constructeur contre le maître de l’ouvrage ou son garant
CONTENTIEUX – Chambre 1
JUGEMENT DU 24 SEPTEMBRE 2024
DEMANDEUR :
SARL LA BERNAYENNE DE COUVERTURE
Immatriculée au RCS d’Evreux sous le numéro 323 190 934
Dont le siège social est sis [Adresse 3]
[Localité 2]
Sur requête et diligences de son gérant
Représentée par Me Olivier JOLLY, membre de la SCP BALI COURQUIN JOLLY PICARD, avocat au barreau de l’EURE
DÉFENDEUR :
Monsieur [I] [P]
né le 20 Juin 1982 à [Localité 4]
Profession : Chef d’entreprise,
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Claudine LEBORGNE, membre de la SELARL LEVY-CHEVALIER LEBORGNE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS (plaidant) et par Me Jean-yves PONCET, membre de la SCP PONCET DEBOEUF, avocat au barreau de l’EURE(postulant)
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats : Madame Marie LEFORT, Présidente, qui a entendu les plaidoiries comme juge rapporteur, sans opposition des parties et en a rendu compte lors du délibéré à la collégialité constituée de :
– Madame Marie LEFORT, présidente
– Madame Béatrice THELLIER, juge
– Madame Anne-Caroline HAGTORN, juge
en présence de :
[F] [Y], auditrice de justice
lesquelles ont délibéré conformément à la loi
GREFFIER : Madame Aurélie HUGONNIER
N° RG 22/04146 – N° Portalis DBXU-W-B7G-HEDS – jugement du 24 septembre 2024
en présence de :
[J] [M], greffier stagiaire
DÉBATS :
En audience publique du 11 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 24 septembre 2024.
JUGEMENT :
– au fond,
– contradictoire,
– mis à disposition au greffe,
– rédigé par Madame Béatrice THELLIER ,
– signé par Madame Marie LEFORT, première vice-Présidente et Madame Aurélie HUGONNIER, greffier
Copie exécutoire délivrée le :
Copie délivrée le :
Suivant devis en date du 31 octobre 2017, M. [P] a confié à la société la Bernayenne de couverture la réalisation de travaux d’isolation et de réfection de la toiture de sa maison d’habitation située [Adresse 1] pour un montant de 72 314,27 euros TTC.
Le 20 décembre 2017, M. [P] a réglé une première facture d’acompte d’un montant de 21 694,36 euros TTC.
Par devis complémentaire en date du 29 mai 2018, M. [P] a également confié à la société la Bernayenne de couverture, le remplacement des gouttières pour un montant de 1.667,34 euros TTC.
Le 15 juin 2018, M. [P] a réglé une seconde facture d’acompte d’un montant de 21 694,36 euros TTC.
Par la suite, les relations contractuelles se sont dégradées, la société la Bernayenne de couverture reprochant à M. [P] une surveillance outrancière des travaux et ce dernier lui reprochant réciproquement la mauvaise qualité de ses prestations exécutées.
Le 3 octobre 2018, M. [P] a refusé de réceptionner les travaux la société la Bernayenne de couverture et de régler la facture concernant le solde desdits travaux d’un montant de 30 857,37 euros TTC.
C’est dans ce contexte que par acte d’huissier en date du 20 mars 2019, la société la Bernayenne de couverture a fait assigner M. [P] aux fins notamment d’obtenir sa condamnation au paiement du solde des travaux.
Par ordonnance en date du 2 décembre 2019, le juge de la mise en état, saisi à l’initiative de M. [P], a ordonné une expertise et a désigné pour y procéder M. [E]. Puis, par ordonnance en date du 8 février 2021, M. [D] a été désigné en remplacement de M. [E].
Par la suite, l’expert judiciaire a déposé son rapport le 29 août 2022.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 février 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 23 janvier 2024, la société la Bernayenne de couverture demande au tribunal de prononcer la réception judiciaire des travaux qu’elle a réalisés sur l’immeuble de M. [P] avec effet au 3 octobre 2018 et de condamner ce dernier à lui payer la somme principale de 30 857,37 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2018 et capitalisation des intérêts. Elle sollicite également que M. [P] soit débouté de l’ensemble de ses demandes et condamné à lui payer la somme de 5 500 euros au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir au visa des articles 1104 et 1792-6 du code civil, qu’elle a réalisé l’ensemble des travaux commandés par M. [P] et que le refus de celui-ci de voir prononcer la réception des ouvrages et de régler le solde des sommes restant dues à ce titre n’est pas justifié. A cet égard, elle soutient que les inachèvements ou défauts d’exécution dont M. [P] s’est prévalu une fois le chantier terminé « n’existent que dans son imagination » et que les conclusions de l’expert judiciaire « sont pareillement inopérantes ».
Plus précisément, elle fait valoir :
s’agissant de la pose des panneaux isolants « sarking » Terreal, qu’à l’époque des travaux (en 2018) aucune prescription technique n’était applicable (le cahier des charges n’étant valable que jusqu’en mai 2016 et l’avis technique n’a été applicable qu’à partir du mois de janvier 2019) de telle sorte que l’expert judiciaire ne peut retenir une « non-conformité »et qu’elle justifie d’un avis de chantier émis par la société Terreal aux termes duquel cette dernière indique « aucune anomalie de pose décelée » (courriel de M. [T] du 18 juin 2018),s’agissant de la réfection de la couverture, que le DTU applicable à l’époque des travaux pour la fixation des ardoises laissait le libre choix de cette fixation au couvreur ; qu’en tout état de cause en l’absence de désordre constaté, le non-respect des normes qui ne sont pas rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur ; que la circonstance que Qualibat communique de manière unilatérale sur le respect par ses adhérents des normes techniques est sans incidence dès lors que le « règlement » Qualibat n’a aucune valeur normative dans les rapports entre l’entreprise et ses donneurs d’ordre et que M. [P] n’a jamais demandé la justification de cette qualification, preuve que celle-ci n’a pas été déterminante dans son choix de l’entreprise,s’agissant des descentes d’eaux pluviales, que c’est M. [P] qui a refusé la mise en œuvre d’une descente d’eaux pluviales supplémentaire.
Elle en conclut que les ouvrages commandés par M. [P] ont été entièrement réalisés et « ne souffrent d’aucune malfaçon ni désordres » de telle sorte qu’ils étaient « réceptionnables » à la date du 5 octobre 2018.
Elle ajoute qu’en tout état de cause :
le solde du marché lui reste dû et ce « quand bien même M. [P] pourrait de son côté et par impossible prétendre à une indemnisation s’agissant des non-conformités alléguées » faisant valoir que l’allocation de dommages-intérêts au maître de l’ouvrage au titre de reprises ainsi qu’une dispense de paiement des travaux exécutés aboutirait à un enrichissement sans cause,les demandes au titre de la charpente ne sont pas justifiées dans la mesure où l’examen de la charpente ne faisant pas partie de la mission de l’expert, la charpente n’a pas été réalisée par elle et l’expert précise bien n’avoir pas constaté de dommage à la suite de son intervention sur celle-ci,la demande au titre du préjudice de jouissance n’est également pas justifiée, la maison étant encore en travaux et non habitable en raison notamment « des multiples litiges opposant le maître de l’ouvrage et les entreprises qu’il a missionnées consécutifs à ses retards et défauts de paiement récurrents »,les frais engagés, notamment en termes d’échafaudage, doivent rester à la charge de M. [P], ce dernier étant à l’origine des opérations d’expertise et aucune non-conformité ne pouvant être retenue s’agissant de la couverture mise en œuvre.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 1er décembre 2023, M. [P] demande au tribunal de débouter la société la Bernayenne de couverture de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer les sommes suivantes avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts :
79 848,56 euros au titre des travaux de réfection de la couverture avec actualisation selon l’indice BT01 entre la date du dépôt du rapport et la date du jugement à intervenir, et TVA applicable au jour du prononcé du jugement,55 958,21 euros au titre des travaux de réfection de la charpente,40 000 euros au titre de son préjudice de jouissance,7 033,61 euros au titre des frais d’investigations et d’échafaudage,15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles outre les entiers dépens comprenant les frais d’expertise.
Il fait valoir, au visa de l’article 1231-1 du code civil et des conclusions du rapport d’expertise judiciaire, que les non finitions, malfaçons, désordres ou non-conformité affectant les ouvrages réalisés par la société la Bernayenne de couverture sont établis. Il précise que l’expert judiciaire en a imputé la responsabilité à la société la Bernayenne de couverture et ajoute qu’au regard de leur nombre et de leur importance il a, en outre, considéré que les ouvrages n’étaient pas réceptionnables en l’état.
En réponse aux conclusions adverses, il fait valoir :
s’agissant des panneaux isolants « sarking » Terreal, que le DTU ne faisait que regrouper les bonnes pratiques et les règles de l’art que l’entreprise se devait d’appliquer ; qu’ainsi au-delà même du respect des DTU il est manifeste que les travaux exécutés par la société sont totalement contraires aux règles de l’art et ne respectent pas davantage le cahier des charges initial,qu’il a conclu avec la société la Bernayenne de couverture en raison de sa qualification de couvreur et parce qu’elle se prévalait de la certification « Qualibat », certification qui impose aux entreprises qui en bénéficient de respecter les règles techniques en vigueur et notamment les DTU,que les ouvrages réalisés par la société la Bernayenne de couverture « sont totalement impropres à destination » de par la multiplicité et la généralisation des malfaçons et qu’ils n’ont pas été réceptionnés, la société étant alors tenue d’une obligation contractuelle de résultat lui imposant de livrer un ouvrage conforme à ce qui a été commandé et répondant aux règles de l’art.
Il estime ainsi que la société la Bernayenne de couverture a commis une faute en livrant un ouvrage non-conforme et qu’en application du principe de réparation intégrale de son préjudice il est légitime à solliciter, outre le montant des travaux de réfection de la couverture, le montant des travaux de réfection de la charpente, la société étant intervenue sur celle-ci pour poser et fixer la couverture ayant accepté ce support et l’a par ailleurs endommagé en le perçant « de multiples vis inadaptées ».
1. Sur la réception judiciaire des travaux litigieux
Aux termes de l’article 1792-6 alinéa 1er du code civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
Il convient de rappeler qu’une réception judiciaire implique que l’ouvrage concerné soit en état d’être reçu.
En l’espèce, il est établi par les pièces versées aux débats que M. [P] a expressément refusé de prononcer la réception des travaux le 8 octobre 2018 en raison du nombre et de l’importance des défauts affectant, selon lui, les travaux réalisés par la société la Bernayenne de couverture. La réception judiciaire étant sollicité par cette dernière, il convient de rechercher si les travaux effectués étaient en état d’être reçus et, dans l’affirmative, à quelle date.
A cet égard, l’expert judiciaire relève aux termes de son rapport :
-s’agissant des « gouttières pendantes » que la pente de la « gouttière de la tour » pour le tronçon reprenant le versant Sud-Ouest « est en contre pente très nette avec une rétention d’eau constatée de plus de 10mm » ; que la pente de la « gouttière du versant [nord-ouest] du bâtiment principal » « n’a pas été mesuré mais elle est très faible, voire nulle », ce qui est confirmé par les rétentions d’eau constatées à partir des châssis de l’étage, et donc non conforme aux prescriptions du DTU 60.11 ;
-s’agissant du « chéneau entre tour et bâtiment principal » que la partie côté façade Sud-Est présente une contre pente assez marquée engendrant une rétention d’eau significative ainsi qu’une « rupture d’une soudure au niveau du fil d’eau » pouvant engendrer des infiltrations et que la partie côté façade Nord-Ouest « est sensiblement à pente nulle » ;
-s’agissant des « descentes des eaux pluviales » que les deux descentes d’eaux pluviales du bâtiment principal ne sont manifestement pas terminées et leur verticalité peut être « améliorée » ; l’expert ajoute que même en faisant abstraction de la divergence entre les parties sur la réalisation des regards en pied de descente « ces deux descentes ne sont pas acceptables en l’état » ;
-s’agissant des « arêtiers fermés : raccordement des ardoises / support / collage » que les ardoises ne se croisent pas ; que certaines ardoises sont tenues par des clous dont la distance au bord est nettement inférieure à 3 cm ; qu’en plusieurs endroits il a été relevé des distances entre liaisons nettement inférieures à 3 cm ; que certaines ardoises sont tenues par un clou et un point de colle ce qui, sauf à justifier d’un avis technique pour le collage d’ardoises, n’est pas admissible ; que pour l’arêtier de l’angle Sud-Est, le liteaux sont « flottants » et qu’un porte à faux de 21 cm a été relevé pour les liteaux du versant Sud ; ces arêtiers ne sont donc pas conforme aux prescriptions du DTU 40.11 ;
-s’agissant de l’« écart au feu au niveau des deux souches de cheminée » que pour le conduit Est il a été constaté dans le comble une pièce de bois qui est directement contre le conduit de cheminée en briques de 11 ne respectant ainsi pas l’écart au feu ;
-s’agissant de la « fixation des panneaux isolans » que ce type de support de couverture ne relève pas des ouvrages traditionnels et doit donc, de ce fait, disposer soit d’un avis technique en cours de validité, soit d’un cahier des charges validé par un bureau de contrôle ; que l’ATEX n°267_V1 n’était pas applicable au moment des travaux et qu’il convient donc de se référer au cahier des charges établis en avril 2013 en l’absence de tout autre référentiel en vigueur en 2018 ; que compte tenu de l’épaisseur des chevrons pour le versant Nord de la partie maison et l’ensemble des versants de la partie tour, l’ancrage de 6 cm des vis dans l’ossature n’est pas assuré constituant une non-conformité par rapport au cahier des charges ; qu’en outre les pointes de vis qui dépassent dans le comble « présentent un risque certain, y compris actuellement en phase travaux » ; que l’« avis de chantier » de la société Terreal auquel la société la Bernayenne de couverture fait référence « n’est pas localisé », « les points de contrôle indiqués ne sont pas les points pour lesquels une non-conformité a été relevée » et la société Terreal ne précise pas le référentiel sur la base duquel elle effectue son « contrôle » ;
-s’agissant « du solin au-dessus de l’auvent » que celui-ci est fissuré sur pratiquement toute sa longueur et s’est même décollé sur environ 30 cm ;
-s’agissant du « raccordement au faîtage » que celui-ci n’est pas conforme au DTU en ce qui concerne le sens des recouvrements mais aussi la longueur des couvres joints.
L’expert judiciaire indique s’agissant des désordres (à savoir le décollement du solin au-dessus de l’auvent et la rupture de la soudure au niveau du chéneau) et des non-conformités (à savoir la pente et section des gouttières, la pente et mise en œuvre du chéneau, la réalisation des arêtiers, le respect de l’écart au feu, la fixation des panneaux isolants et la réalisation du faîtage de la maison) que ceux-ci sont imputables à la société la Bernayenne de couverture.
L’expert judiciaire précise que le second étage de la maison ne peut pas être terminé compte tenu des anomalies relevées. Il signale enfin que ces désordres et non-conformités n’engendrent pas, à ce jour, de désordres, notamment d’infiltrations, et qu’« il n’y a aucune certitude qu’ils en génèrent ».
Or, il convient de rappeler qu’en l’absence de désordre le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur.
A cet égard, les règles de l’art que tout professionnel doit observer dans le cadre des réalisations relevant de son domaine d’activité sont constituées de règles de bonne pratique non écrites, et diffèrent en cela des normes NF DTU, qui ne sont quant à elles ni règlementaires, ni d’application obligatoire.
Pour autant, il est établi par les pièces produites par la société la Bernayenne de couverture que, sur ses documents contractuels, et notamment les devis établis au bénéfice de M. [P], la société se prévaut de la qualification « Qualibat ». Or, ainsi que l’établit le défendeur par la production du règlement général de Qualibat (annexes I – II – III) « les entreprises qualifiées ou certifiées s’engagent à respecter les obligations définies dans les présentes règles de conduite. Elles concernent leurs rapports avec leurs clients et l’organisme. […] Les entreprises qualifiées ou certifiées sont tenues de réaliser les travaux de leur(s) spécialité(s) conformément aux prescriptions techniques applicables à ceux-ci. Ces prescriptions résultent notamment des documents ci-après : règlements ou cahiers des charges techniques reconnus : [NF DTU], Documents Techniques d’Application (DTA), Avis Techniques (ATEC), Appréciations Techniques d’Expérimentation (ATEX) […] ». Ainsi, cette qualification ne constitue pas seulement, comme le soutient la société la Bernayenne de couverture, « une reconnaissance des compétences de l’entreprise, de sa capacité à réaliser des travaux dans une activité donnée, à un niveau de technicité défini suivant les nomenclatures d’activités définies par Qualibat », mais dès lors que cette qualification apparait sur ses documents contractuels un engagement de sa part à réaliser les travaux de sa spécialité conformément aux prescriptions techniques applicables et notamment aux DTU.
La société la Bernayenne de couverture ne peut donc s’exonérer de sa responsabilité s’agissant des désordres et non-conformités relevés par l’expert judiciaire au seul motif qu’aucun désordre, notamment d’infiltration, n’a été constaté par l’expert.
Il apparait ainsi qu’à la date proposée de réception des travaux litigieux, soit au 3 octobre 2018, l’ouvrage était affecté de nombreuses non-conformités ne permettant notamment pas l’aménagement des combles de la maison ce que l’expert confirme d’ailleurs dans son rapport en indiquant que l’ouvrage n’était pas réceptionnable compte tenu du « […] nombre important de réserves dont certaines nécessitant des interventions conséquentes et longues de l’entreprise »
Dès lors, les conditions du prononcé d’une réception judiciaire des travaux litigieux, même avec réserves, ne sont pas réunies et il y a lieu de débouter la société la Bernayenne de couverture de sa demande à ce titre.
2. Sur les demandes d’indemnisation de M. [P] au titre des désordres et non-conformités
Sur la responsabilité de la société la Bernayenne de couverture
Il résulte des dispositions combinées des articles 1103 et 1104 du code civil que les contrats tiennent lieu de loi à ceux qui les ont fait et doivent être exécutés de bonne foi.
En application de l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut notamment : refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation, poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat, demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.
Cette responsabilité suppose la démonstration d’un manquement à une obligation contractuelle et du préjudice en résultant. A cet égard, la charge de la preuve de la faute contractuelle et du préjudice pèse sur les demandeurs.
Il convient, par ailleurs, de rappeler que, avant réception l’entrepreneur est tenu envers le maître d’ouvrage d’une obligation de résultat consistant à réaliser des travaux conformes à la commande et aux normes en vigueur.
Comme exposé précédemment, en se prévalant de la qualification « Qualibat » sur les devis établis au bénéfice de M. [P], la société la Bernayenne de couverture s’est engagée envers celui-ci à réaliser les travaux commandés conformément aux prescriptions techniques applicables et notamment aux DTU.
Or, il est établi par le rapport d’expertise judiciaire que :
les désordres constatés (à savoir le décollement du solin au-dessus de l’auvent et la rupture de la soudure au niveau du chéneau) ont pour origine des défauts d’exécution imputables à la société la Bernayenne de couverture,
les non-conformités constatées « ont pour origine le non-respect des textes de référence, à savoir les DTU pour tout ce qui concerne les travaux de couverture à proprement parlé et le cahier des charges des panneaux isolants mis en œuvre » imputables également à la société la Bernayenne de couverture.
Dès lors, il y a lieu de déclarer la société la Bernayenne de couverture entièrement responsable des conséquences dommageables de sa mauvaise exécution et du préjudice en découlant pour M. [P].
Sur l’indemnisation des préjudices
Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
L’article 9 du code de procédure civile précise qu’« il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
En l’espèce, M. [P] sollicite la condamnation de la société la Bernayenne de couverture à lui indemniser les préjudices qu’il estime avoir subi du fait les désordres et les non-conformités affectants les travaux litigieux et qui sont les suivants :
la somme de 79 848,56 euros au titre des travaux de réfection de la couverture avec indexation sur l’indice BT 01 connu au jour du jugement à intervenir et TVA applicable au jour du prononcé du jugement :
A cet égard, l’expert judiciaire indique que la solution pour remédier aux désordres et non-conformités constatés est de procéder à la dépose complète des ouvrages concernés et les refaire.
S’agissant de l’évaluation du coût de ces travaux de reprise, l’expert judiciaire retient le devis établi par la société la Bernayenne de couverture, elle-même, en date du 14 avril 2022 qui prévoit la dépose des ouvrages et une reprise complète (avec réemploi partiel des ardoises) pour un montant de 73 812,17 euros HT, soit 79 848,56 euros TTC.
Dès lors, le coût des travaux de reprise s’établit à la somme de 73 812,17 euros HT, somme que la société la Bernayenne de couverture sera condamnée à payer à M. [P] et laquelle sera indexée sur l’indice du coût de la construction entre le 29 août 2022 date du rapport d’expertise judiciaire et la date du présent jugement, et augmentée de la TVA applicable à la date du présent jugement. Cette somme due indexation incluse fera courir l’intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement.
La capitalisation des intérêts sera, par ailleurs, ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
la somme de 55 958,21 euros au titre des travaux de réfection de la charpente :
S’il est exact que l’expert judiciaire a rappelé dans son rapport (en page 26) que quel que soit l’entreprise retenue pour la réalisation des travaux de reprise « il est indispensable qu’il soit réalisé au préalable une reprise de la charpente existante pour permettre un ancrage satisfaisant des vis » pour la fixation des panneaux isolants et que « ces travaux de reprise devront nécessairement être réalisés en coordination avec les travaux de couverture, ne serait-ce que pour la protection aux intempéries », il convient toutefois de relever que :
-non seulement ce n’est pas la société la Bernayenne de couverture qui a réalisé la charpente, l’ouvrage étant préexistant au jour de son intervention,
-mais surtout l’expert judiciaire a expressément indiqué ne pas avoir constaté de dommages sur la charpente du fait de l’intervention de la société la Bernayenne de couverture.
Dans ces conditions, il n’apparait pas justifié de mettre à la charge de la société la Bernayenne de couverture le coût des travaux de réfection de la charpente. Dès lors, M. [P] sera débouté de sa demande à ce titre.
la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice de jouissance :
Au soutient de sa demande M. [P] fait valoir que les travaux auraient dû être terminés au mois de septembre 2018, qu’il n’a pas pu s’installer dans sa maison en raison des nombreuses malfaçons et qu’il n’a pas pu bénéficier d’un crédit d’impôt de 30%TTC du montant des travaux (soit environ 22 000 euros).
Il convient toutefois de relever que M. [P] ne produit aucune pièce concernant le crédit d’impôt dont il estimait pouvoir bénéficier à l’issue des travaux et que l’expert a relevé que seul le second étage de la maison (c’est-à-dire les combles) ne peut être terminé compte tenu des non-conformités relevées. Le reste de la maison, à savoir le rez-de-chaussée et le premier étage, n’est donc pas impacté par les non-conformités affectant les travaux d’isolation et de couverture et ce d’autant plus que l’expert n’a constaté aucun désordre, notamment d’infiltrations, en lien avec lesdites non-conformités et qu’« il n’y a aucune certitude qu’ils en génèrent ».
Dès lors, au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de condamner la société la Bernayenne de couverture à payer à M. [P] la somme de 8 000 euros à ce titre avec intérêt légal à compter du jour du présent jugement jusqu’au paiement.
La capitalisation des intérêts sera, par ailleurs, ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
la somme de 7 033,61 euros au titre des frais d’investigations et d’échafaudage :
A l’appui de sa demande M. [P] verse aux débats la facture n°FE80101303 en date du 30 novembre 2021 de la société Entrepose d’un montant de 3 286,80 euros TTC et la facture n°20220125 en date du 21 mai 2022 de la société LeCouvreurduplessis d’un montant de 3 746,81 euros TTC.
Il convient de relever que la pose de ces échafaudages était nécessaire aux investigations de l’expert judiciaire. Il apparait ainsi justifié de mettre à la charge de la société la Bernayenne de couverture le coût correspondant.
Dès lors, au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de condamner la société la Bernayenne de couverture à payer M. [P] la somme de 7 033,61 euros à ce titre avec intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement outre la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
3. Sur la demande en paiement du solde des travaux
La somme allouée à M. [P] au titre des travaux de reprise a pour objet de le replacer en possession d’un ouvrage complet et conforme, de sorte qu’il n’est pas fondé à s’opposer au paiement du solde des prestations fournies par la société la Bernayenne de couverture.
A l’appui de sa demande en paiement, la société la Bernayenne de couverture verse notamment aux débats le devis n°B17-337 en date du 31 octobre 2017 d’un montant de 72 314,27 euros TTC, la facture d’acompte n°17-12-548 en date du 7 décembre 2017 d’un montant de 21 694,36 euros TTC (réglée par virement le 20 décembre 2017), le devis n°B18-130 en date du 2 mai 2018 d’un montant de 1 667,34 euros TTC, la facture d’acompte n°18-05-788 en date du 29 mai 2018 d’un montant de 21 694,36 euros TTC (réglée par virement le 15 juin 2018) et la facture n°18-09-912 en date du 21 septembre 2018 correspondant au solde des travaux d’un montant de 30 857,37 euros TTC.
M. [P] ne conteste pas ne pas avoir réglé cette dernière facture.
Dès lors, au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de condamner M. [P] à payer à la société la Bernayenne de couverture la somme de 30 857,37 euros TTC au titre du solde des travaux avec intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement outre la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
4. Sur les frais du procès
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La société la Bernayenne de couverture, partie perdante sur les demandes reconventionnelles formées à son encontre dans le cadre de la présente instance, sera condamnée aux entiers dépens incluant notamment le coût de l’expertise judiciaire.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Au regard de la solution apportée au litige, la société la Bernayenne de couverture sera condamnée à verser à M. [P] la somme de 8 000 euros à ce titre.
Il convient, par ailleurs, de débouter la société la Bernayenne de couverture de sa demande formulée à ce même titre à l’encontre de M. [P].
Le Tribunal,
DEBOUTE la société la Bernayenne de couverture de sa demande de prononcé d’une réception judiciaire des travaux litigieux qu’elle a réalisés sur l’immeuble de M. [I] [P],
CONDAMNE la société la Bernayenne de couverture à payer à M. [I] [P] la somme de 73 812,17 euros HT au titre des travaux de reprise, laquelle sera indexée sur l’indice du coût de la construction entre le 29 août 2022 date du rapport d’expertise judiciaire et la date du présent jugement, et augmentée de la TVA applicable à la date du présent jugement,
DIT que cette somme due, indexation incluse, fera courir l’intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement,
CONDAMNE la société la Bernayenne de couverture à payer à M. [I] [P] la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice de jouissance avec intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement,
CONDAMNE la société la Bernayenne de couverture à payer M. [I] [P] la somme de 7 033,61 euros au titre des frais d’investigations et d’échafaudage avec intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement,
DEBOUTE M. [I] [P] de sa demande d’indemnisation au titre des travaux de réfection de la charpente formée à l’encontre de la société la Bernayenne de couverture,
CONDAMNE M. [I] [P] à payer à la société la Bernayenne de couverture la somme de 30 857,37 euros TTC au titre du solde des travaux avec intérêt légal depuis le jour du présent jugement jusqu’au paiement,
ORDONNE la capitalisation annuelle des intérêts sur ces sommes conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
CONDAMNE la société la Bernayenne de couverture aux entiers dépens, incluant notamment le coût de l’expertise judiciaire,
CONDAMNE la société la Bernayenne de couverture à payer à M. [I] [P] la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la société la Bernayenne de couverture de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
En foi de quoi, le présent jugement a été signé par la Présidente et le greffier.
Le greffier La Présidente
Aurélie HUGONNIER Marie LEFORT