La Sarl Irmak a signé un contrat de travaux avec la société SCCV De [Localité 6] pour un montant de 859 645,55 euros TTC, dans le cadre d’un projet immobilier. La Communauté de communes Pays d’Evian-Vallée d’Abondance (CCPEVA) a acquis trois lots de ce projet pour 505 744 euros TTC, avec des paiements échelonnés. Trois factures de la société Irmak, totalisant 190 293,52 euros, sont restées impayées, entraînant une mise en demeure sans réponse. Irmak a alors résilié le contrat et a demandé une saisie conservatoire sur les fonds dus à SCCV De [Localité 6].
Le juge a autorisé cette saisie, mais celle-ci a été déclarée caduque en janvier 2020. Un expert a été désigné pour évaluer l’état d’achèvement du projet. Irmak a de nouveau demandé une saisie conservatoire, qui a été accordée, mais SCCV De [Localité 6] a contesté cette mesure. Le juge a rejeté les demandes de caducité et de mainlevée, confirmant la validité de la saisie. Irmak a obtenu un jugement en août 2021 condamnant SCCV De [Localité 6] à payer les montants dus, ainsi que des dommages et intérêts. En novembre 2021, Irmak a converti la saisie conservatoire en saisie attribution, mais la CCPEVA a refusé de payer, invoquant que les travaux devaient être financés par un garant. Irmak a saisi la chambre régionale des comptes, qui a déclaré la demande irrecevable. En juillet 2022, SCCV De [Localité 6] a été placée en liquidation judiciaire, et Irmak a déclaré sa créance. En avril 2023, Irmak a assigné la CCPEVA pour obtenir un titre exécutoire. Le jugement du 14 novembre 2023 a rejeté les demandes d’Irmak et ordonné la mainlevée de la saisie attribution, condamnant Irmak à payer des frais à la CCPEVA. Irmak a interjeté appel, demandant la réformation du jugement. La CCPEVA a demandé la confirmation du jugement et des condamnations supplémentaires. La cour a confirmé le jugement initial, condamnant Irmak aux dépens d’appel et à payer 5 000 euros à la CCPEVA. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 17 Octobre 2024
N° RG 23/01684 – N° Portalis DBVY-V-B7H-HL2Q
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l’exécution de THONON-LES -BAINS en date du 14 Novembre 2023, RG 23/01020
Appelante
S.A.R.L. ENTREPRISE IRMAK dont le siège social est sis [Adresse 1] – [Localité 2] – prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Richard DAMIAN, avocat au barreau de CHAMBERY
Intimée
La COMMUNAUTE DE COMMUNES DU PAYS D’EVIAN – VALLEE D’AB ONDANCE (CCPEVA) dont le siège social est sis [Adresse 4] – [Localité 3] – prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL CABINET ALCALEX, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL AVIM Avocats, avocat plaidant au barreau de LYON
-=-=-=-=-=-=-=-=-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 18 juin 2024 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l’appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sarl Irmak, spécialisée dans les travaux de bardage et de couverture a conclu le 30 janvier 2018 , avec la société civile de construction vente De [Localité 6] (ci-après la société SCCV De [Localité 6]), un marché de travaux d’un montant total, après avenant de 859 645,55 euros TTC. Ce marché s’inscrit dans la réalisation d’un ensemble immobilier comprenant 5 bâtiments situés à [Localité 5].
Par acte authentique du 10 novembre 2017 la Communauté de communes Pays d’Evian-Vallée d’Abondance (ci-après la CCPEVA) avait acquis en l’état futur d’achèvement auprès de la société SCCV De [Localité 6] 3 lots au sein de l’ensemble immobilier à construire, pour un prix de 505 744 euros TTC. Le paiement devait intervenir par tranche au fur et à mesure de l’achèvement des travaux et la livraison était prévue au cours du deuxième trimestre 2018.
Trois factures émises par la société Irmak à l’endroit de la société SCCV De [Localité 6] en juillet, août et octobre 2018 sont demeurées impayées pour un montant total de 190 293,52 euros. La mise en demeure de novembre 2018 est restée sans réponse. La société Irmak s’est alors prévalu de l’exception d’inexécution et a, le 9 janvier 2019, notifié à la société SCCV De [Localité 6] la résolution du marché de travaux.
Le 7 février 2019, la CCPEVA a fait constater par huissier de justice l’arrêt des travaux.
Le 12 avril 2019, la société Irmak a saisi le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains d’une requête en saisie conservatoire sur les fonds dus à la société SCCV De Montigny par les acquéreurs de l’ensemble immobilier, dont la CCPEVA.
Le 16 avril 2019, le juge de l’exécution autorisait la mesure par ordonnance signifiée à la CCPEVA par acte du 23 mai 2019. Elle déclarait à l’huissier instrumentaire devoir encore à la société SCCV De [Localité 6] la somme de 252 872 euros TTC. La mesure sera déclarée caduque le 21 janvier 2020 par le juge de l’exécution.
Le 2 juillet 2019, un expert était désigné par ordonnance du juge des référés afin de constater l’état d’achèvement du projet immobilier.
La société Irmak saisissait à nouveau le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains afin d’être autorisée à procéder à une saisie conservatoire auprès de la CCPEVA pour un montant en principal de 191 000 euros. L’autorisation était accordée par ordonnance du 6 novembre 2019. Le procès-verbal de saisie était signifié le 8 novembre 2019 à la CCPEVA. Celle-ci déclarait que le montant de sa dette à l’endroit de la société SCCV De [Localité 6] était le même que lors de la mesure précédente.
La société SCCV De [Localité 6] contestait la mesure de saisie conservatoire et par jugement du 5 janvier 2021, le juge de l’exécution rejetait les demandes de caducité et de mainlevée estimant réunies les conditions de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution.
La société SCCV De [Localité 6] sollicitait alors la rétractation de l’ordonnance du 6 novembre 2019. Par jugement du 5 octobre 2021 le juge de l’exécution a déclaré irrecevables ses demandes estimant qu’elles se heurtaient à l’autorité de la chose jugée par le jugement du 5 janvier 2021 et qu’un débat contradictoire avait déjà eu lieu à l’occasion de cette instance.
Par jugement du 31 août 2021, la société Irmak obtenait la condamnation de la société SCCV De [Localité 6] au paiement de la somme de 190 293,52 euros TTC, outre intérêts au taux légal et dommages et intérêts de 5 000 euros pour rupture abusive et 5 000 euros pour résistance abusive.
Sur le fondement de ce jugement et du procès-verbal de saisie conservatoire du 8 novembre 2019, la société Irmak a fait convertir la saisie conservatoire en saisie attribution par procès-verbal du 26 octobre 2021 signifiée à la CCPEVA par remise à personne morale et à la société SCCV De [Localité 6] selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile le 5 novembre 2021.
Par courrier du 4 novembre 2021 la CCPEVA a fait savoir à la société Irmak qu’elle n’honorerait pas la saisie aux motifs que les travaux devaient être repris et financés par le garant de leur achèvement, la société Casualy et Genaral Insurance Compagnie Europe Limited.
Le 22 novembre 2021 un certificat de non contestation a été delivré et signifié à la CCPEVA le 24 novembre 2021.
La société Irmak saisissait alors la chambre régionale des comptes de la région Auvergne Rhône Alpes afin que la somme qu’elle réclame soit inscrite aux dépenses du budget de la CCPEVA. Par avis du 3 mai 2022, la chambre régionale des comptes a déclaré irrecevable cette demande expliquant qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur l’exécution d’une décision de justice laquelle appartenait exclusivement au juge de l’exécution.
Le 2 juillet 2022 une procédure de liquidation judiciaire de la société SCCV De [Localité 6] était ouverte et la société Irmak déclarait sa créance le 8 septembre 2022.
Par acte du 21 avril 2023 la société Irmak assignait la CCPEVA devant le juge de l’exécution afin d’obtenir l’émission d’un titre exécutoire à son encontre.
Par jugement contradictoire du 14 novembre 2023, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
– rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société Irmak contre la demande de mainlevée de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie attribution formée par la CCPEVA,
– débouté la société Irmak de l’ensemble de ses demandes,
– ordonné la mainlevée de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie attribution du 26 octobre 2021 faute de créance exigible de la société SCCV De [Localité 6] à l’égard de la CCPEVA pouvant être saisie par la société Irmak,
– condamné la société Irmak à payer à la CCPEVA la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Irmak aux dépens incluant les frais de la saisie conservatoire.
Par déclaration du 1er décembre 2023, la société Irmak a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Irmak demande à la cour de :
– déclaré recevable et bien fondé son appel,
– réformé le jugement entrepris sur tous les chefs de jugement à savoir :
– rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée à l’encontre de la demande de mainlevée de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution formée par la CCPEVA,
– débouté de la société Irmak de l’ensemble de ses demandes,
– mainlevée de l’acte de conversion de la saisie-conservatoire en saisie-attribution en date du 26 octobre 2021,faute de créance exigible de la société SCCV De [Localité 6] à l’égard de la CCPEVA pouvant être saisie par elle,
– condamnation à payer à la CCPEVA la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamnation aux dépens comprenant les frais de procédure de saisie-conservatoire,
En conséquence,
– déclarer irrecevable la demande de mainlevée de l’acte de conversion formulée par la CCPEVA,
– rejeter l’ensemble des demandes de la CCPEVA,
A titre principal,
– lui délivrer un titre exécutoire à l’encontre de la CCPEVA à hauteur des sommes obtenues à l’encontre de la SCCV DE [Localité 6] par les jugements du Tribunal Judiciaire de Thonon les bains du 31 août 2021 et juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains du 5 janvier 2021,
En conséquence,
– condamner la CCPEVA à lui payer les sommes suivantes :
Principal et intérêts :
‘ solde facture : 190 293,52 euros
‘ intérêts légaux s/190 293,52 euros à compter du 27 novembre 2018 et capitalisation,
‘ dommages et intérêts : (5 000 euros x2) = 10 000 euros,
‘ intérêts légaux s/10 000 euros à compter du 31.08.21 et capitalisation,
Article 700 du code de procédure civile (jugement tribunal judiciaire du 31 août 2021) : 2 500 euros,
Article 700 du code de procédure civile (jugement JEX du 05.01.2021) : 2 000 euros,
Dépens : frais assignation : 69,35 euros, droits de plaidoiries (x2) 26,00 euros
– assortir la condamnation au paiement de la somme de 190 293,52 euros aux intérêts à taux légal à compter du 27 novembre 2018, date de la mise en demeure, et les autres condamnations aux intérêts légaux à compter du jugement qui les a rendus (31 août 2021 ou 05 janvier 2021),
– ordonner la capitalisation des intérêts,
A titre subsidiaire,
– condamner la CCPEVA à lui payer les sommes suivantes :
Principal et intérêts :
‘ solde facture : 190 293,52 euros
‘ intérêts légaux s/190 293,52 euros à compter du 27 novembre 2018 au 30 juin 2022 : 5 629,72 euros,
‘ dommages et intérêts : (5 000 euros x2) = 10 000 euros,
‘ intérêts légaux s/10 000 euros à compter du 31 août 2021 au 30 juin 2022 : 63,30,
Article 700 du code de procédure civile (jugement tribunal judiciaire du 31 août 2021) : 2 500 euros,
Article 700 du code de procédure civile (jugement JEX du 05.01.2021) : 2 000 euros,
Dépens : frais assignation : 69,35 euros, droits de plaidoiries (x2) 26,00 euros
pour un total de 210 581,89 euros
En tout état de cause,
– condamner la CCPEVA à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la CCPEVA aux entiers dépens d’instance et d’exécution.
Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 13 février 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la CCPEVA demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et ce faisant :
Y ajoutant,
– condamner la société Irmak à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions
de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers frais et dépens, comprenant les frais de la saisie.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2024.
1. Sur la recevabilité de la demande de mainlevée de l’acte de conversion
La société Irmak explique que la demande de mainlevée qui lui est opposée par la CCPEVA est irrecevable. Elle avance qu’une conversion de saisie conservatoire en saisie attribution n’est pas une nouvelle saisie mais l’attribution au créancier d’une créance déjà saisie et dont les conditions d’existence s’apprécient au jour où la saisie attribution est pratiquée. Elle ajoute qu’elle a obtenu contre son débiteur un titre exécutoire par jugement du 31 août 2021 signifié le 17 septembre 2021 et que, dès lors, sa créance est bien liquide, certaine et exigible lors de la conversion signifiée au débiteur le 5 novembre 2021 et au tiers saisi le 26 octobre 2021. Elle dit encore que la CCPEVA a déjà tenté de contester, sans succès, la saisie conservatoire le juge de l’exécution l’ayant déboutée de sa demande par décision du 5 octobre 2021. Elle oppose ainsi le principe de l’autorité de la chose jugée. Elle précise encore qu’à défaut de contestation avant l’acte de conversion, la déclaration du tiers est réputée exacte pour les besoins de la saisie et souligne que la CCPEVA s’était bien reconnue débitrice du débiteur.
La CCPEVA expose, pour sa part, que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée que s’agissant deux instances avec les mêmes parties, sur un objet identique et un fondement similaire. Selon elle ces conditions ne sont pas réunies dans la mesure où la précédente procédure portait sur l’annulation de la mesure de saisie conservatoire pratiquée entre ses mains et que, dans la présente procédure, elle demande la mainlevée de la mesure de conversion en arguant de l’absence de créance exigible : les demandes ne seraient donc pas les mêmes, ne viseraient pas le même acte de saisie ni la même créance. Elle ajoute, concernant la contestation que le texte visé par l’appelante ne prévoit de délai qu’à l’égard du débiteur et non du tiers saisi.
Sur ce :
1.1 Sur l’autorité de la chose jugée
L’article 1355 du code des procédures civiles d’exécution dispose que : ‘L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.’.
En l’espèce l’identité de parties entre celles opposées dans l’affaire ayant donné lieu au jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 5 octobre 2021 et celles opposées dans la présente affaire est constante. Dans la première procédure, la CCPEVA sollicitait la rétractation de l’ordonnance du 6 novembre 2019 (autorisant la société Irmak à procéder à une saisie conservatoire entre les mains de la CCPEVA pour un montant de 191 000 euros en principal), la nullité de la mesure de saisie conservatoire et, par conséquent sa mainlevée. Dans la présente procédure, en revanche, la CCPEVA demande la mainlevée de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie attribution, acte qu’elle dit avoir préalablement contesté en arguant du défaut d’existence d’une créance liquide et exigible. Il en résulte que la chose demandée dans la présente procédure (mainlevée d’une conversion) n’est pas la même que dans la précédente procédure (nullité d’une saisie conservatoire), de même que la cause est différente puisque, dans la présente instance, la CCPEVA oppose l’absence de créance liquide et exigible alors que, dans la précédente affaire, elle opposait la non réunion des conditions de l’article L. 511-1 code des procédures civiles d’exécution (créance paraissant fondée en son principe et menace de recouvrement de la créance).
Par conséquent, c’est à bon droit que le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a jugé que la société Irmak ne pouvait pas opposer à la CCPEVA l’autorité de la chose jugée tirée du jugement en date du 5 octobre 2021. La décision sera confirmée sur ce point.
2.1 Sur la contestation de la conversion
L’article R. 523-7 du code des procédures civiles d’exécution dispose que le créancier qui obtient un titre exécutoire constatant l’existence de sa créance signifie au tiers saisi un acte de conversion contenant un certain nombre de mentions à peine de nullité. L’article R. 523-8 du code des procédures civiles d’exécution ajoute qu’une copie de cet acte de conversion est signifiée au débiteur. A compter de cette signification, le débiteur dispose, selon l’article R. 523-9 code des procédures civiles d’exécution d’un délai de 15 jours pour contester l’acte de conversion. Si le débiteur ne le fait pas, le tiers saisi doit procéder au paiement sur présentation d’un certificat de non contestation. Il est constant que le délai de contestation de 15 jours ne concerne que le débiteur et non le tiers saisi. Il ne peut donc pas être opposé en l’espèce à la CCPEVA.
En ce qui concerne le débiteur saisi, l’article R. 211-9 code des procédures civiles d’exécution auquel renvoie l’article R. 523-10 du même code dispose que, en cas de refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu’il a reconnu devoir ou dont il a été jugé débiteur, la contestation est portée devant le juge de l’exécution qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi.
Il en résulte que, en l’espèce la CCPEVA est parfaitement recevable à contester la conversion et à en demander la mainlevée dès lors qu’elle a été attraite par la société Irmak en délivrance d’un titre exécutoire contre elle. En effet, le juge de l’exécution ainsi saisi n’a qu’une possibilité de délivrance du titre et peut donc la refuser sur contestation.
Par conséquent, c’est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande d’irrecevabilité de la demande de mainlevée de l’acte de conversion. La décision sera confirmée sur ce point.
2. Sur le refus de paiement par le tiers saisi et la mainlevée de la conversion
La société Irmak précise que, lors de la saisie conservatoire du 8 novembre 2019, la CCPEVA a déclaré qu’il lui restait à devoir au débiteur une somme de 252 872 euros TTC et qu’elle s’est donc reconnue débitrice de sorte que son refus de payer est abusif. Elle rappelle que le tiers saisi était tenu non seulement de faire connaître le montant de sa créance mais également les modalités pouvant l’affecter par application de l’article L. 211-3 code des procédures civiles d’exécution. Or elle constate que la CCPEVA n’a jamais indiqué que la créance n’était due que si les travaux étaient achevés. Elle estime que l’acte de saisie a ainsi emporté attribution immédiate au profit du saisissant de la créance disponible entre les mains du tiers dans la limite de sa propre obligation. Elle estime que pour obtenir son titre exécutoire il lui suffit donc de démontrer le refus de paiement opposé par le tiers saisi et le fait que ce dernier s’est reconnu débiteur. La société Irmak rappelle encore que la CCPEVA a déjà vainement tenté de soulever la question de l’absence d’achèvement du chantier pour obtenir la mainlevée de la saisie conservatoire devant le juge de l’exécution et qu’elle n’a émis aucune réserve sur la créance que le débiteur avait sur elle alors que la saisie conservatoire est intervenue bien après le délai de livraison prévue (8 novembre 2019 pour le 30 juin 2018) ce qui constitue une négligence fautive. Elle estime que l’obligation du débiteur envers la CCPEVA est né de l’acte de vente en état futur d’achèvement prévoyant le calendrier d’appel de fonds. Selon elle, le défaut d’appel de fond ne rendrait pas la créance éventuelle. La société Irmak souligne enfin la mauvaise foi de la CCPEVA.
La CCPEVA pour sa part expose que la société Irmak ne pouvait pas procéder à la conversion faute d’existence d’une créance dont elle serait titulaire contre le débiteur ou faute d’une créance de la société Irmak sur elle. Elle rappelle le calendrier de paiement tel qu’il était prévu dans le contrat de vente en l’état futur d’achèvement en soulignant que les paiements étaient conditionnés à l’appel de fonds et précise qu’après le versement initial lors de la signature aucun appel de fonds n’a eu lieu. Elle impute cet état de fait à l’absence de réalisation des travaux par la SCCV De [Localité 6]. Elle dit encore que, alors qu’elle avait mobilisé le garant d’achèvement, ce dernier a finalement refusé de mobiliser ses garanties de sorte que le chantier n’a jamais repris, les fondations n’ayant même pas débuté. Elle en conclut que la SCCV De [Localité 6] ne détenait contre elle aucune créance avant sa mise en liquidation judiciaire. Elle ajoute que la signature de l’acte authentique ne rend pas exigible le solde du prix de vente, l’exigibilité étant conditionnée à la réalisation des travaux. Enfin elle explique qu’elle ne s’est pas reconnue débitrice rappelant que, selon la loi, le débiteur saisi ne reste tenu que dans la limite de ses propres obligations, lesquelles sont donc, selon elle, inexistantes en l’espèce. Elle ajoute n’avoir jamais opéré de déclaration inexacte ni fait preuve de négligence fautive ayant clairement déclaré lors de la saisie conservatoire l’existence d’une créance à échoir et non d’une créance échue.
Sur ce,
L’article L. 523-2 du code des procédures civiles d’exécution dispose que : ‘Si la saisie conservatoire porte sur une créance, le créancier, muni d’un titre exécutoire, peut en demander le paiement. Cette demande emporte attribution immédiate de la créance saisie jusqu’à concurrence du montant de la condamnation et des sommes dont le tiers saisi s’est reconnu ou a été déclaré débiteur.’.
L’article R. 523-10 alinéa 4 du code des procédures civiles d’exécution ajoute que : ‘En l’absence de contestation, le tiers saisi procède au paiement sur la présentation d’un certificat délivré par le greffe ou établi par l’huissier de justice qui a procédé à la saisie attestant qu’aucune contestation n’a été formée dans les quinze jours suivant la dénonciation de l’acte de conversion.’.
L’article R. 211-9 du code des procédures civiles d’exécution précise que : ‘En cas de refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu’il a reconnu devoir ou dont il a été jugé débiteur, la contestation est portée devant le juge de l’exécution qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi.’.
Enfin, l’article L. 123-1 alinéas 1 et 2 du code des procédures civiles d’exécution expose que : ‘Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l’exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu’ils en sont légalement requis.
Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts.’.
Il résulte de ces textes que, quand bien même la demande de conversion emporte, en théorie, attribution immédiate de la créance saisie à titre conservatoire, le tiers saisi peut refuser de payer obligeant alors le créancier à saisir le juge de l’exécution pour obtenir un titre exécutoire, procédure au cours de laquelle ce magistrat peut ne pas délivrer ce titre. Ainsi, le tiers saisi est bien admis à justifier son refus de payer par l’existence d’un motif légitime que le juge de l’exécution devra apprécier.
Il est, en outre, constant en jurisprudence que la condamnation ne s’impose pas au juge lequel doit rechercher si le tiers saisi qui le dénie est bien débiteur du débiteur (cass. civ. 2, 5 juillet 2000, n°98-12.738).
En l’espèce, il est constant, et d’ailleurs non contesté par la société Irmak, au regard notamment des procès verbaux de constat versés, que les travaux concernant l’ensemble immobilier dont la CCPEVA s’était portée acquéreur en l’état futur d’achèvement n’ont pas été terminés et que, pour le lot concernant l’intimé, les fondations étaient à peine entamées.
L’article 1601-3 du code civil, tel que repris par l’article L. 261-3 du code de la construction et de l’habitation dispose que : ‘La vente en l’état futur d’achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution; l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.’.
En l’espèce l’acte authentique de vente (pièce intimé n°3) rappelle cette disposition légale et expose que les sommes dues seront appelées au fur et à mesure de l’avancement des travaux selon les modalités définies lesquelles ont été rappelées dans le jugement déféré auquel il est renvoyé sur ce point. L’acte authentique précise également que la seule somme exigible au moment de la signature est celle de 177 010,40 euros tenant compte de l’état d’avancement des travaux au moment de la signature.
Par conséquent, il résulte tant des textes applicables que du contenu de l’acte authentique portant sur la vente litigieuse, que l’exigibilité des sommes restant dues par l’acheteur est conditionnée à la réalisation des travaux et à l’appel de fonds. Ainsi, si le principe de la créance est bien né à la signature du contrat, la créance en question n’était pas pour autant ipso-facto exigible. A cet égard le fait que la justice a autorisé la saisie conservatoire est indifférent dans la mesure où les seuls éléments qui sont alors à caractériser, sont la présence d’une créance paraissant fondée en son principe et l’existence d’une menace pesant sur le recouvrement. L’exigibilité de la créance ne fait pas partie des conditions aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution.
La cour relève encore qu’au moment de l’établissement du procès-verbal de saisie conservatoire le 8 novembre 2019 (pièce appelant n°22), la CCPEVA a pu, sans rien omettre et sans négligence, déclarer à l’huissier de justice ‘A ce jour, il nous reste à devoir à la SCCV de [Localité 6] la somme de 252 872 euros TTC’. En effet, si à cette époque, la date de livraison des bâtiments était déjà dépassée, comme étant initialement prévue au cours du second semestre 2018, la CCPEVA ne pouvait pas encore être totalement assurée que le chantier ne reprendrait pas et ne serait jamais achevé. En effet :
– elle a déclaré le sinistre concernant l’arrêt des travaux à l’assureur couvrant le bon achèvement le 13 décembre 2018 (pièces intimé n°10 et 11) ;
– l’assureur lui a répondu que le chantier allait se poursuivre (pièce intimé n°12) ;
– la CCPEVA a dû faire procéder à des constats d’huissier les 3 janvier et 7 février 2019 afin de faire établir que le chantier n’avait pas repris (pièces intimé n°13 et 14) ;
– la CCPEVA a ensuite été contrainte de saisir, avec d’autres acquéreurs, en mars 2019 le juge des référés, afin de voir ordonner une expertise judiciaire notamment en vue de constater l’arrêt des travaux et de chiffrer le coût de leur achèvement à l’encontre du vendeur et de son assureur ; la décision n’a été rendue que le 2 juillet 2019 (pièce intimé n°19), avant sur appel du vendeur d’être confirmée par arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 16 juin 2020 (pièce intimé n°20).
Il en résulte qu’au temps de sa déclaration d’une dette envers la SCCV De [Localité 6] qui ne pouvait être que conditionnelle, ce que la société Irmak ne pouvait pas ignorer compte tenu de la nature du contrat de vente en l’état futur d’achèvement unissant le débiteur au tiers saisi, la CCPEVA n’a rien omis ni dissimulé au créancier saisissant, le chantier pouvant encore à ce moment être repris sous l’égide de l’assureur en bon achèvement. Il en résulte encore que la CCPEVA disposait d’un motif légitime pour ne pas s’exécuter.
Il résulte de ce qui précède que c’est par une exacte analyse des éléments de droit et de fait de la cause que le juge de l’exécution a pu considérer qu’il convenait de prononcer la mainlevée de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie attribution et a débouté la société Irmak de l’ensemble de ses demandes. Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
3. Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la société Irmak qui succombe sera tenue aux dépens de première instance et d’appel. Elle sera, dans le même temps, déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile comme n’en remplissant pas les conditions d’octroi.
Il n’est pas inéquitable de faire supporter par la société Irmak partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par la CCPEVA en première instance et en appel. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il l’a condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée à lui verser une somme complémentaire de 5 000 euros au même titre en cause d’appel.
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Irmak aux dépens d’appel,
Déboute la société Irmak de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Irmak à payer à la Communauté de communes Pays d’Evian-Vallée d’Abondance la somme de 5 000 euros en cause d’appel.
Ainsi prononcé publiquement le 17 octobre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente