Une nouvelle proposition de loi portant sur la lutte contre le Plomb dans l’environnement a été déposée au Sénat.
Le plomb est un matériau notoirement toxique, sans effet de seuil, c’est-à-dire toxique y compris à très faible dose. Il cause des pathologies cardiovasculaires, neurologiques, rénales, hépatiques, hématologiques et des cancers. Il est particulièrement dangereux pour les femmes enceintes (la substance est considérée comme reprotoxique dans plusieurs classifications internationales) et pour tous les jeunes enfants, chez qui il produit des retards psychomoteurs et des pertes de quotient intellectuel irréversibles.
Enfin, il pollue l’environnement, où il est largement présent, en ville comme à la campagne. À forte dose, il est responsable d’une maladie appelée saturnisme, un enjeu originel de la santé publique aux XIXe et XXe siècles et qui subsiste. Selon une étude pilotée par la Banque mondiale, publiée le 12 septembre 2023 dans The Lancet Planetary Health, le plomb serait responsable de cinq millions de décès liés aux maladies cardio-vasculaires chaque année dans le monde.
« Toxique familier utilisé dès l’Antiquité et dont l’emploi industriel s’est considérablement accru depuis le début du XIXe siècle », le plomb participe, selon l’historienne Judith Rainhorn, à « l’empoisonnement ordinaire dans la société contemporaine (…) et en particulier dans le monde du travail où ce métal est employé à de nombreux usages. »
Le plomb tue, sous toutes ses formes : comme le proclamait Georges Clemenceau à la tribune du Sénat en 1904, le plomb dans notre environnement de travail et de vie ne tue pas moins que la balle de révolver ou la mitraille guerrière.
S’il fut reconnu comme poison dans l’espace de travail et premier toxique à faire l’objet d’une telle caractérisation avec la loi du 25 octobre 1919 sur les maladies d’origine professionnelle, le plomb n’a commencé à disparaître des peintures et donc des environnements qu’après la seconde guerre mondiale.
Et si le règlement du Conseil européen n° 2455/92/CEE du 23 juillet 1992 relatif au transport et à la mise sur le marché de certains produits chimiques dangereux a enfin permis en France l’interdiction de la vente et de l’importation de peintures contenant de la céruse, de la cérusite et de sulfates de plomb, le plomb subsiste dans nombre de foyers tandis que quelques usages persistent.
En effet, la lutte sociale, environnementale et juridique contre la présence de plomb ne s’arrête pas avec le règlement européen de 1992 ; pour preuve, la décision du 7 mars 2019 de la Cour européenne de justice annulant l’autorisation donnée en 2016 de commercialisation de peintures contenant des produits toxiques à base de plomb.
Le 27 juin 2018 encore, l’Agence européenne des produits chimiques inscrivait le plomb (ECHA) sur la liste des substances extrêmement préoccupantes candidates en vue d’une autorisation. Le 12 avril 2023, l’ECHA recommandait l’inscription du plomb sur cette liste des substances soumises à autorisation (annexe XIV du règlement REACH).
Si l’interdiction de ce matériau notoirement toxique a pris autant de temps, l’absence d’intérêt des décideurs et l’absence de volonté politique n’y sont pas étrangères. Comme Judith Rainhorn le remarquait : « entre 1823 et 1993, une série de textes législatifs et réglementaires ont accompagné, plus qu’ils n’ont suscité, la disparition de la céruse [de plomb] sur le marché de la peinture en bâtiment. »
Une étape supplémentaire doit être entamée dans la lutte contre la présence du plomb, à l’aune des dernières connaissances scientifiques, des combats locaux contre la contamination de lieux d’habitation et des controverses liées à la présence de plomb dans l’environnement urbain.
En effet, en France en 2014, le plomb était encore responsable de 126 cas déclarés de saturnisme infantile, qui touche surtout les enfants de moins de sept ans en raison de la prégnance du geste main-bouche et de la présence notable de poussières de plomb au sol dans l’habitat dégradé.9(*) Sans aller jusqu’à l’intoxication aiguë, le plomb continue de contaminer les Françaises et les Français : le taux moyen de plomb dans le sang des adultes (18-74 ans) était de 18,5 ug/L en 2014-2016.
Rappelons que ce toxique est sans effet de seuil et que ses symptômes, souvent non spécifiques (maux de ventre et de tête, agitation et nervosité, constipation, etc.), sont mal identifiés par les médecins généralistes : beaucoup de cas de saturnisme chronique (mais néanmoins grave) échappent à la vigilance des médecins et, donc, aux statistiques.
Et la lutte contre le plomb représente un enjeu majeur pour les collectivités locales, investies depuis le XXesiècle dans ce cadre. En effet, après le ministère des Travaux publics, 900 communes posent la première pierre de la prohibition du plomb en substituant à la céruse le blanc de zinc au cours de l’année 1901, après d’intenses campagnes ouvrières.
Les rapporteurs de la proposition de loi entendent poursuivre la sortie du plomb de la « cuisine des poisons », en renforçant la lutte contre sa présence dans l’espace domestique comme dans l’espace public.
L’article premier de la proposition de loi modifie en conséquence les dispositions relatives à la lutte contre la présence de plomb du code de la santé publique.
D’abord, cette proposition de loi entend renforcer le dispositif de prévention de l’intoxication infantile au plomb et la détection de sources d’exposition.
En France, l’analyse du taux de plomb dans le sang (plombémie) est réalisée sous prescription d’un médecin lorsque des facteurs de risque l’exigent. Les données dont nous disposons sur la contamination de la population sont donc parcellaires, en contraste avec les États-Unis où, par exemple dans l’État de New-York, depuis 1993, tous les enfants sont testés à l’âge de 1 ou 2 ans, ce qui a amené l’administration Biden à financer massivement la suppression de peintures au plomb des habitats et le remplacement des tuyaux d’eau.
Dans l’état du droit français, les cas de saturnisme infantile, caractérisés par un taux de plomb dans le sang supérieur à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé de la santé et défini depuis 2015 à 50 ug/L, font l’objet d’une déclaration obligatoire par le médecin prescripteur de la plombémie à l’agence régionale de santé et au médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile. L’agence régionale de santé ou le service communal d’hygiène et de santé, à la demande du préfet, réalise ensuite une enquête sur l’environnement du mineur, afin de déterminer l’origine de l’intoxication.
Le Haut Conseil de la santé publique, dans un rapport de 2014, recommandait d’assortir ce seuil de déclaration obligatoire de 50 ug/L d’un autre seuil dit « de vigilance », de 25 ug/L.12(*) Comme le justifie le Haut Conseil : « [le dépassement de ce seuil indique] l’existence probable d’au moins une source d’exposition au plomb dans l’environnement et justifie une information des familles sur les dangers du plomb et les sources usuelles d’imprégnation, ainsi qu’une surveillance biologique rapprochée accompagnée de conseils hygiéno-diététiques visant à diminuer l’exposition ». Cette politique publique, expérimentée depuis 2019 par la Ville de Paris, a montré son intérêt dans la détection de sources d’exposition au plomb et la formation des médecins aux risques du plomb.
Il est proposé d’inscrire dans le code de la santé publique ce dispositif lorsque le résultat d’une plombémie est compris dans un intervalle « de vigilance ».
Ensuite, cette proposition de loi invite à recentrer sur des enjeux sanitaires la définition des seuils déclenchant les mesures de police administrative, définies au titre Ier du livre V du code de la construction et de l’habitation.
Concrètement, après des travaux dans des locaux, un prélèvement de poussières au sol doit être réalisé. Lorsque ce prélèvement révèle la présence d’une concentration surfacique en plomb supérieure au seuil de 1 000 ug/m² pour l’un des échantillons prélevés, « le propriétaire, le syndicat de copropriétaires ou l’exploitant du local d’hébergement fait procéder à un nouveau nettoyage minutieux des locaux traités, préalablement à de nouveaux prélèvements de poussières ».
Or, ce seuil réglementaire fixé à 1 000 ug/m² depuis 1999 n’a aucune signification sanitaire, comme le remarquait le Haut Conseil de la santé publique en 2021 qui recommandait, après le comité technique plomb en 2007, d’abaisser cette valeur.
Ainsi, il est aussi proposé de préciser la nécessité de consulter le Haut Conseil de la santé publique avant de fixer ce seuil règlementaire.
Enfin, il est proposé d’encadrer les politiques conduites lorsque du plomb est détecté dans l’environnement extérieur – un angle mort pour l’heure de la législation et de la réglementation, questionné à de multiples reprises lors de la découverte de présences significatives de plomb dans l’espace public. Pourtant, dans les années 1910, lors de la discussion du projet de loi sur l’emploi des composés du plomb dans les travaux de peinture en bâtiment, la prise en compte des environnements extérieurs interrogeait déjà. Et au fil de huit années de débat parlementaire, les adversaires de la céruse étaient finalement parvenus à en interdire l’utilisation pour les peintures extérieures des bâtiments.
Il est proposé de renforcer la démocratie sanitaire en prévoyant la communication au directeur général de l’agence régionale de santé de résultats de prélèvements de plomb réalisés dans l’environnement extérieur et leur publication. Ensuite, il est proposé la définition d’une valeur repère de la contamination au plomb des environnements extérieurs devant conduire à la recherche de cas de saturnisme infantile. Une harmonisation nationale fondée sur les travaux du Haut Conseil de la santé publique permettrait de renforcer la place de la santé dans la gestion de cette présence de plomb.
Deuxièmement, pour renforcer la gestion du risque plomb, parfois inégale en fonction de l’engagement des agences régionales de santé, des exploitants industriels et du bâtiment qui présentent une contamination au plomb, il est proposé d’encadrer systématiquement la saisine des agences régionales de santé et des collectivités locales afin qu’elles donnent leur avis sur les mesures à prendre pour protéger la population de cette pollution évitable. Ces mesures pourraient inclure la réalisation de plombémies et d’analyses obligatoires de présence de plomb dans les peintures, les poussières, les eaux et les sols, ciblées sur des territoires et des populations jugées à risque d’être exposées à la substance.
L’article 2 interdit l’emploi de plomb laminé dans les travaux bâtimentaires, comme le Haut Conseil de la santé publique l’a recommandé.
Le Haut Conseil juge en effet que les plaques de plomb laminé placées en toiture représentent une source de pollution importante (entre 2,5 et 25 g/m2 par an). Il remarque également que « lorsque le plomb est présent dans le bâti, il apparait en concentrations élevées dans les eaux de ruissellement, dans la cour des immeubles, sur la voirie, dans les caniveaux et les égouts, autrement dit qu’il est responsable d’une pollution de l’environnement ».
Cette pollution, transférée aux habitats par la présence de plomb laminé sur les balcons et les terrasses, participe à l’intoxication de la population et à l’élévation de la plombémie de la population générale et des enfants : « entre 2011 et 2019, à Paris, 12,9 % des enfants atteints de saturnisme infantile pour lesquels une enquête environnementale est disponible étaient exposés à du plomb laminé ».
Ainsi, il convient de renforcer notre législation par une mesure de restriction à l’échelle nationale. Cette interdiction permettrait de réduire encore la présence de plomb dans l’espace public, dans l’attente de la procédure d’inscription du plomb dans l’annexe XIV de REACH, c’est-à-dire le contrôle strict de la fabrication, de l’importation et de l’utilisation de la substance qui fera l’objet d’une procédure d’autorisation de la Commission européenne pour chaque emploi. Source : Sénat