La commercialisation d’une contrefaçon de produit breveté (machine agricole) sur un site internet (agriaffaires.com) expose à une condamnation pour contrefaçon de revendications.
Toutefois, l’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, la détention en vue de l’utilisation ou la mise sur le marché d’un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. La présentation à la vente du produit en même sans son prix, constitue bien une offre au sens du Code de la propriété intellectuelle. En la cause, sur les photographies présentes sur le site Internet, telles que reproduites par le constat d’huissier, figurent une machine d’origine ukrainienne dont le fonctionnement apparaît décrit de façon suffisamment claire pour vérifier la reproduction alléguée des revendications du brevet. Il résulte de ces circonstances que les revendications numéro 1, 9, 10, 12 et 13 sont reproduites par l’offre précitée constatée par huissier. Aux termes de l’article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle » sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet : a) La fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, l’importation, l’exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ; b) L’utilisation d’un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l’utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l’offre de son utilisation sur le territoire français ; c) L’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, l’importation, l’exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet « . Aux termes de l’article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle : 1. est également interdite, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la livraison ou l’offre de livraison, sur le territoire français, à une personne autre que celles habilitées à exploiter l’invention brevetée, des moyens de mise en oeuvre, sur ce territoire, de cette invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ces moyens sont aptes et destinés à cette mise en oeuvre. 2. Les dispositions du 1 ne sont pas applicables lorsque les moyens de mise en oeuvre sont des produits qui se trouvent couramment dans le commerce, sauf si le tiers incite la personne à qui il livre à commettre des actes interdits par l’article L. 613-3. 3. Ne sont pas considérées comme personnes habilitées à exploiter l’invention, au sens du 1, celles qui accomplissent les actes visés aux a, b et c de l’article L. 613-5 . Selon l’article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle » toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu’ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon. / La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur. |
Résumé de l’affaire : Au cours des années 2021 et 2022, la société Einböck a constaté que la société Le Roch Distribution proposait à la vente une machine agricole susceptible de violer son brevet EP 2 997 803. Malgré une mise en demeure et des engagements de ne pas commercialiser la machine, Einböck a découvert que l’offre de vente persistait en ligne. En conséquence, Einböck a assigné Le Roch Distribution en contrefaçon devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant diverses mesures, y compris une interdiction de vente et des indemnités pour préjudice. Le Roch Distribution a contesté les accusations, affirmant qu’elle n’avait pas réalisé de vente et que les preuves de contrefaçon n’étaient pas suffisantes. Le tribunal a finalement interdit à Le Roch Distribution d’importer ou de vendre des machines en lien avec le brevet d’Einböck, a accordé une indemnité provisionnelle pour contrefaçon et a condamné Le Roch Distribution à verser des sommes pour résistance abusive et frais de justice, tout en déboutant les autres demandes des parties.
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Q/R juridiques soulevées :
Sommaire Quelles sont les implications juridiques de la contrefaçon de brevet dans ce cas ?La contrefaçon de brevet est régie par le Code de la propriété intellectuelle, notamment par les articles L. 613-3 et L. 615-1. L’article L. 613-3 stipule que sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, l’importation, l’exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet. Ainsi, la société Einböck a démontré que la société Le Roch Distribution a proposé à la vente une machine qui reproduit plusieurs revendications de son brevet EP 2 997 803. L’article L. 615-1 précise que toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet constitue une contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur. Dans ce cas, la société Einböck a pu établir que la société Le Roch Distribution a commis des actes de contrefaçon en offrant à la vente une machine qui reproduit les caractéristiques de son brevet, ce qui a conduit à une décision de justice en sa faveur. Quels sont les recours possibles en cas de contrefaçon de brevet ?Les recours possibles en cas de contrefaçon de brevet sont principalement définis par le Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 615-3 prévoit que le titulaire du brevet peut demander l’interdiction de l’acte de contrefaçon, ce qui a été fait par la société Einböck. Elle a demandé au tribunal d’interdire à la société Le Roch Distribution d’importer, de détenir, d’offrir à la vente ou de vendre des machines reproduisant son brevet, sous astreinte. De plus, l’article L. 615-1 permet au titulaire du brevet de demander des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi en raison de la contrefaçon. Dans ce cas, la société Einböck a obtenu une indemnisation de 5 000 euros pour les actes de contrefaçon, ainsi qu’une somme de 2 000 euros pour résistance abusive, ce qui illustre les recours disponibles en cas de violation des droits de brevet. Comment est évalué le préjudice en cas de contrefaçon de brevet ?L’évaluation du préjudice en cas de contrefaçon de brevet repose sur plusieurs éléments, comme le stipule l’article 1240 du Code civil, qui impose à celui qui cause un dommage de le réparer. Dans le cas présent, la société Einböck a évalué son préjudice en se basant sur le prix de vente de sa machine, fixé à 19 000 euros hors-taxes, et une marge estimée à 5 000 euros. Elle a également mentionné des publications sur Facebook indiquant la disponibilité de plusieurs exemplaires de la machine, bien que la preuve de leur vente n’ait pas été établie. Le tribunal a retenu que, faute d’autres éléments de preuve, il convenait d’indemniser la société Einböck à hauteur de 5 000 euros pour les actes de contrefaçon, illustrant ainsi la manière dont le préjudice est évalué dans ce contexte. Quelles sont les conséquences d’une résistance abusive dans le cadre d’un litige de contrefaçon ?La résistance abusive est définie par l’article 1240 du Code civil, qui stipule que tout fait causant un dommage oblige son auteur à le réparer. Dans ce cas, la société Einböck a dénoncé une politique de « double langage » de la société Le Roch Distribution, qui a continué à proposer des machines à la vente malgré des engagements de ne pas le faire. Le tribunal a constaté que la société Le Roch Distribution avait été avertie de la contrefaçon et s’était engagée à ne plus commercialiser la machine litigieuse, mais avait tout de même publié une offre postérieure. Cette situation a conduit à la reconnaissance d’une résistance abusive, entraînant une indemnisation de 2 000 euros pour la société Einböck, ce qui démontre les conséquences juridiques d’une telle résistance dans le cadre d’un litige de contrefaçon. Quels sont les critères pour établir la concurrence déloyale dans ce contexte ?La concurrence déloyale est régie par l’article 1240 du Code civil, qui impose la réparation du dommage causé par la faute d’un tiers. Dans le cas présent, la société Einböck a allégué que la société Le Roch Distribution avait commercialisé une machine qui était une copie servile de la sienne, en utilisant des photographies promotionnelles similaires. Cependant, le tribunal a jugé que les seules photographies présentées n’étaient pas suffisantes pour établir l’identité et la reproduction servile entre les deux machines. De plus, il a noté que les faits allégués ne présentaient pas de distinctions significatives par rapport à ceux développés au titre de la contrefaçon. Ainsi, l’acte de concurrence déloyale n’a pas été démontré, illustrant que pour établir une telle action, il est nécessaire de prouver des éléments distincts et concrets de la concurrence déloyale. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
– Maître BOURGEOIS #K82
– Maître LEGUEVAQUES #B494
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3ème chambre 1ère section
N° RG 22/11448
N° Portalis 352J-W-B7G-CXZPC
N° MINUTE :
Assignation du :
19 septembre 2022
JUGEMENT
rendu le 26 septembre 2024
DEMANDERESSE
Société EINBÖCK BETEILINGUNGS-GmbH
[Adresse 4]
[Localité 1] (AUTRICHE)
représentée par Maître Jean-Baptiste BOURGEOIS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0082
DÉFENDERESSE
S.A.S. LE ROCH DISTRIBUTION
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Maître Christophe LEGUEVAQUES de la SELEURL CHRISTOPHE LEGUEVAQUES, AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0494, par Maître Romain SINTES de L’AARPI METIS AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant,
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère vice-présidente adjointe
Madame Elodie GUENNEC, vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, juge,
assistée de Madame Caroline REBOUL, greffière lors des débats et de Madame Laurie ONDELE, greffière lors de la mise à disposition.
A l’audience du 27 Février 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 30 mai 2024.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu le 26 septembre 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
1. Au cours des années 2021 et 2022, la société Einböck a relevé qu’une société Le Roch Distribution, se présentant comme importateur, a proposé à la vente une machine agricole pouvant reproduire plusieurs revendications de son brevet. EP 2 997 803 B1 (EP 803′).
2. Après mise en demeure, et par plusieurs courriers, la société Le Roch Distribution a indiqué qu’elle ne commercialiserait pas cette machine d’origine ukrainienne pour laquelle elle ne disposait que d’un seul exemplaire retourné.
3. Pourtant, le 29 avril 2002 la société Einböck a constaté qu’une offre de vente pour cette machine était toujours visible sur un site spécialisé dans la vente de machines agricoles.
4. Par acte du 19 septembre 2022, la société Einböck a assigné la société Le Roch Distribution devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de plusieurs revendications de son brevet EP 803′.
5. Par conclusions du 28 juin 2023 la société Einböck demande au tribunal de :
– faire interdiction à la société Le Roch Distribution d’importer, détenir, offrir à la vente ou à la location sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, vendre ou louer, toutes machines reproduisant ou intégrant tout ou partie des revendications du brevet EP 2 997 803 sous astreinte de 9000 euros par infraction constatée à compter de 10 jours après la signification de la décision à intervenir,
– condamner la société Le Roch Distribution à verser à titre provisionnel la société Einböck à parfaire selon l’évolution du litige la somme de : 200 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant des actes de contrefaçon, et 50 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,
– condamner la société Le Roch Distribution à verser à la société Einböck la somme de 21 700 euros pour résistance abusive,
– ordonner la publication intégralité du dispositif la décision à intervenir : dans trois journaux au choix de la société Einböck sans que le total de ces insertions excède la somme de 45 000 euros hors-taxes, aux frais avancés par la société Le Roch Distribution, sur la page d’accueil du site Internet de la société Le Roch Distribution à l’adresse www.leroch-distribution.net à l’exclusion de tout autre mention, en particulier sans aucune mention du renvoi vers une autre adresse, ce pour une durée de trois mois, dans le délai de cinq jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
– dans le but d’une bonne administration de la justice, se réserver la liquidation des différentes astreintes,
– dire que les sommes dues quelques soient leur nature produiront des intérêts au taux légal et seront capitalisés à compter de la date de l’assignation en application des dispositions de l’article 1343 – 2 du Code civil,
– condamner la société Le Roch Distribution à payer à la société Einböck la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à parfaire selon l’évolution du litige,
– condamner la société Le Roch Distribution aux entiers dépens de recouvrement au profit de Maître Bourgeois avocat au barreau de Paris en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
6. La société Einböck soutient que son activité est la conception et la fabrication de machines agricoles pour le désherbage mécanique, le travail du sol, l’entretien des prairies et semoirs et l’épandage d’engrais ; que le brevet EP 2 997 803 a pour objet d’équiper un véhicule agricole tel un tracteur, et pour fonction de désherber les surfaces cultivées, en optimisant cette opération par une force modulable qui désherbait en préservant les plantations ; qu’en juin 2021, lors d’un salon professionnel et, antérieurement, par une publication le 3 avril 2021 sur Facebook, la société Le Roch Distribution a proposé une machine agricole, qu’elle qualifie de contrefaisante, à la vente ; que malgré plusieurs échanges de courriers et engagements de la société Le Roch Distribution celle-ci a, selon la demanderesse, continué de proposer la machine à la vente sur un site Internet, dans un journal professionnel et sur un réseau social, indiquant que plusieurs exemplaires étaient disponibles.
7. S’agissant de la contrefaçon, la société Einböck expose que la société Le Roch Distribution est importatrice de la machine au sens de l’article L. 615- 1 du code de la propriété intellectuelle ; que les arguments fondés sur le modèle d’utilité ukrainien présentés en défense ne sont pas pertinents selon elle ; que la machine a été offerte à la vente à quatre occasions : le 10 juin 2021 lors d’un salon, le 24 juin 2021, au mois de septembre 2021 dans le journal professionnel » Entraid’ « , et le 11 avril 2022 sur le site » www.agriaffaires.com » ; que » l’oubli fautif » allégué en défense est contredit par le constat d’huissier du 9 mars 2023 qui constate la persistance de la publication Facebook ; qu’elle détaille les faits justifiant la contrefaçon des revendications 1, 3, 4, 5, 8 à 14 du brevet EP 2 997 803 dans le corps de ses écritures auxquels il est renvoyé ; qu’elle retient pour évaluer son préjudice un prix de vente de 19 000 euros hors-taxes, un chiffre d’affaires en 2021 pour la société Le Roch Distribution de 3 457 156 euros et un stock de marchandises de 851 335 euros, une marge estimée à 5000 euros pour 32 exemplaires soit 160 000 euros ; qu’elle critique l’absence de documents certifiés par un expert-comptable de la société Le Roch Distribution, mais refuse de communiquer à cette société qu’elle désigne comme contrefactrice ses propres éléments comptables ; qu’elle entend voir réparés les actes de contrefaçon par des mesures d’interdiction, outre la confiscation des machines détenues et la publication de la décision afin selon elle, de rétablir les faits dans leur vérité quant à la titularité de ses droits, et de faire savoir qu’elle est attentive à leur défense.
8. S’agissant de la concurrence déloyale, la société Einböck explique que la société Le Roch Distribution commercialise une machine qui est une copie servile de la sienne, reprenant une configuration de repli, un empattement de repli de 3 m, les tailles des toiles de 500 mm qui sont identiques ; que les photographies promotionnelles reprennent en outre un choix de positionnement et de cadrage profitant ainsi de ses efforts et investissements commerciaux ; que son préjudice est consécutif à ses frais de promotion pour sa machine et à la notoriété de ses machines, ce qui justifie de l’indemniser à hauteur de 50 000 euros selon sa demande.
9. Au soutien de sa demande fondée sur la résistance abusive, la société Einböck dénonce ce qu’elle nomme une politique » de double langage » de la société Le Roch Distribution qui, d’après elle, a multiplié les déclarations rassurantes sans pour autant s’abstenir de proposer les machines à la vente ; que plusieurs échanges de courrier ont eu lieu entre juillet 2021 et juillet 2022 aboutissant à des engagements de la part de la société Le Roch Distribution que celle-ci n’a finalement pas respecté ; qu’elle évalue son préjudice à la somme de 21 700 euros.
10. Par conclusions du 24 mai 2023, la société Le Roch Distribution demande au tribunal de :
-débouter la société Einböck de l’ensemble de ses demandes,
-condamner la société Einböck au paiement de la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société Einböck aux entiers dépens, en distraction au profit de Maître Sintès, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
11. La société Le Roch Distribution soutient que son activité porte sur l’achat et la distribution de matériel agricole ; qu’elle s’est essayée en 2021 à la commercialisation d’une machine de désherbage mécanique, qui n’est pas sa spécialité, et a publié le 23 février 2021, le 6 avril 2021 puis le 6 juin 2021 des annonces sur l’arrivée de ce matériel et sa présence à un salon agricole sur le réseau social Facebook ; qu’à la suite d’un courrier de la société Einböck du 1er juillet 2021, elle s’est engagée à suspendre toutes les ventes mais a refusé de payer ses frais de conseil ; qu’une publication ancienne et isolée selon elle a proposé le matériel à la vente depuis les mois d’avril ou mars 2021 et n’a pas été retirée en date du 13 mai 2022 à la suite d’un oubli de sa part ; qu’elle estime la demande infondée, ayant désigné au plus tôt le fabricant du matériel et retourné la seule machine qu’elle détenait sans réaliser de vente et alors que la preuve de la contrefaçon n’est pas rapportée selon elle.
12. La société Le Roch Distribution conteste avoir réalisé une offre au sens de l’article L. 613 – 3 sous a) du code de la propriété intellectuelle. Elle soutient que les faits du 10 juin 2021 doivent avoir été commis en connaissance de cause au sens de l’article L. 615 – 1 du code de la propriété intellectuelle, ce qui selon elle ne pouvait être le cas avant la mise en demeure du 1er juillet 2021 à la suite de laquelle elle s’est engagée à retirer ces publications ; que les faits du 24 juin 2021 ne sont pas prouvés alors que l’offre n’existe pas selon elle ; que les faits de septembre 2021 font référence à un prospectus reproduit dans le magazine » Entraid’ » qui ne vise pas spécifiquement le matériel litigieux, mais constitue une image d’illustration qui ne précise ni la disponibilité ni les caractéristiques techniques du produit ; que les faits du 11 avril 2022 visent d’anciennes annonces constituant un oubli fautif sans intention de nuire ni de vendre alors qu’elle avait retourné le seul matériel en sa possession et qu’aucun préjudice n’est démontré selon son argument ; que les publications Facebook du 23 février 2021 du 3 avril 2021 du 6 avril 2021 et des 5 et 11 juin 2021 ne constituent pas des offres et ne peuvent caractériser une importation ; que ses arguments sur la reproduction de plusieurs revendications du brevet sont détaillés dans le corps de ses écritures et développées ci-après ; que s’agissant du préjudice, les sommes de 100 000 euros et 50 000 euros sont forfaitaires car leur mode de calcul n’est pas détaillé ce qui justifie le rejet des demandes afférentes ; que les éléments financiers versés aux débats sont insuffisants pour démontrer le préjudice dont la société Einböck, défaillante dans l’administration de la preuve selon son argument, se prévaut.
13. La société Le Roch Distribution soutient qu’elle n’a commis aucun acte de concurrence déloyale ; que les photos proviennent du fabricant et présentent des machines différentes sous un point de vue identique, comme pour une voiture, sans que cela soit sanctionnable ; que s’agissant du préjudice, aucun élément chiffré sur son étendue n’étant apporté, il convient de rejeter la demande afférente alors aucune demande de mesures d’instruction n’a été faite et qu’elle est donc défaillante dans l’administration de la preuve.
14. Il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions qui sont contenues.
15. L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 novembre 2023.
Présentation du brevet
16. Le brevet EP 803 intitulé » Outillage agricole » (Landwirtschaftliches Arbeitsgerät) présente une invention destinée au travail du sol au moyen d’un outil agricole : rateau, dent, roue, étoile à doigts, tracté par un tracteur (0001).
17. La description du brevet rappelle que l’état de la technique connaît des machines agricoles travaillant le sol au moyen d’une herse reliée à un ressort de traction. La herse rejoint le sol en déroulant une corde enroulée autour de son arbre. La tension entre la herse et le sol dépend alors : du ressort de traction, de la corde déroulée mécaniquement, et du poids de la herse (0002 ; 0003).
18. Le brevet constate toutefois qu’il peut être nécessaire d’effectuer un travail du sol » doux « , en particulier lors de l’entretien des plantes, et qu’il est dès lors nécessaire d’ajuster la tension éloignant ou rapprochant la herse du sol en fonction de la force de pression souhaitée (0004 ; 0021).
19. Afin d’ajuster cette force de pression, le brevet décrit plusieurs éléments mécaniques présentés comme des » unités de travail » : éléments porteurs, outils travail, points pivots, ressorts de tension, point d’arrêt. Il précise que c’est la combinaison de ces éléments qui ajuste la pression souhaitée (0006- 001).
20. Le brevet indique en particulier » pour atteindre l’objet de l’invention, la présente invention propose en variante un outil agricole dans lequel un élément à ressort de tension est utilisé pour solliciter l’outil de travail autour du point de pivotement en direction du sol et un élément à ressort de compression est utilisé pour solliciter l’outil de travail » (0019).
21. La description mentionne ensuite plusieurs alternatives à la combinaison de ces éléments synthétisés sous la forme de schéma qualifié d’exemple de réalisation (0024-0041).
22. Le brevet comporte une revendication principale rédigée comme suit ainsi que 14 revendications dépendantes exposées dans le corps de la motivation :
« 1. Dispositif de travail agricole (1), comprenant
* au moins un élément de support (2) supportant un outil de travail agricole (3) pour travailler la terre, l’élément de support (2) étant arrangé de manière pivotante autour d’un point de pivot (4), et
* au moins un premier élément de ressort de traction (5), engageant un premier point d’engagement (6) de l’élément de support (2) de telle manière que l’outil de travail agricole (3) peut être précontraint autour du point de pivot (4) en direction de la terre,
caractérisé par
* au moins un deuxième élément de ressort de traction (7) engageant un deuxième point d’engagement (8) de l’élément de support (2) de telle manière que l’outil de travail agricole (3) peut être précontraint autour du point de pivot (4) en direction éloignée de la terre, et
* un dispositif de réglage (9) pour régler une force de pression de l’outil de travail agricole (3) vers la terre, par laquelle les précontraintes du premier et du deuxième élément de ressort de traction (5, 7) peuvent être réglées « .
Sur la contrefaçon
23. Aux termes de l’article 64 » droits conférés par le brevet » de la convention sur le brevet européen : » (1) Sous réserve du paragraphe 2, le brevet européen confère à son titulaire, à compter de la date à laquelle la mention de sa délivrance est publiée au Bulletin européen des brevets et dans chacun des États contractants pour lesquels il a été délivré, les mêmes droits que lui conférerait un brevet national délivré dans cet État.
(2) Si l’objet du brevet européen porte sur un procédé, les droits conférés par ce brevet s’étendent aux produits obtenus directement par ce procédé.
(3) Toute contrefaçon du brevet européen est appréciée conformément à la législation nationale « .
24. Aux termes de l’article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle » sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet :
a) La fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, l’importation, l’exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;
b) L’utilisation d’un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l’utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l’offre de son utilisation sur le territoire français ;
c) L’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, l’importation, l’exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet « .
25. Aux termes de l’article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle » 1. est également interdite, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la livraison ou l’offre de livraison, sur le territoire français, à une personne autre que celles habilitées à exploiter l’invention brevetée, des moyens de mise en oeuvre, sur ce territoire, de cette invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ces moyens sont aptes et destinés à cette mise en oeuvre.
2. Les dispositions du 1 ne sont pas applicables lorsque les moyens de mise en oeuvre sont des produits qui se trouvent couramment dans le commerce, sauf si le tiers incite la personne à qui il livre à commettre des actes interdits par l’article L. 613-3.
3. Ne sont pas considérées comme personnes habilitées à exploiter l’invention, au sens du 1, celles qui accomplissent les actes visés aux a, b et c de l’article L. 613-5 « .
26. Aux termes de l’article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle » toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu’ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon. / La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur. / Toutefois, l’offre, la mise sur le marché, l’utilisation, la détention en vue de l’utilisation ou la mise sur le marché d’un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause « .
27. En l’espèce, la société demanderesse dénonce quatre faits qu’elle présente comme des actes de contrefaçon des revendications de son brevet.
28. Les premiers faits sont datés du 10 juin 2021, lors d’un salon de matériel agricole. Les faits ne sont pas utilement contestés en défense. La défenderesse explique toutefois qu’elle n’a pas agi en connaissance de cause. En l’état des pièces produites, seule une attestation d’un préposé de la demanderesse, de faible valeur probante, justifie d’une photo imprécise des faits dénoncés, qui peut tout aussi bien désigner un matériel qu’une affiche sans offre de vente. La société Einböck, à qui incombe la charge de la preuve de la connaissance de la défenderesse au moment de l’offre alléguée échoue, par ce seul document, à la démontrer.
29. S’agissant des faits du 10 juin 2021, la contrefaçon n’est pas établie.
30. Les deuxièmes faits sont datés du 24 juin 2021. Ils sont contestés en défense. En l’état des écritures de la demanderesse, aucune autre précision permettant de les caractériser n’est rapportée de sorte que l’existence de l’offre dont celle-ci se prévaut ne peut être démontrée.
31. S’agissant des faits du 24 juin 2021, la contrefaçon n’est pas établie.
32. Les troisièmes faits sont datés du mois de septembre 2021. Ils sont contestés en défense. L’examen de la pièce 14 – 2 de la demanderesse permet d’établir qu’ils sont constitués d’un encart publicitaire dans le journal professionnel » Entraid’ « , regroupant sur une surface modeste une dizaine de photographies d’équipements agricoles, notamment une herse. L’imprécision de la photographie ne permet pas d’établir que ce document constitue une offre au sens des dispositions précitées.
33. S’agissant des faits de septembre 2021, la contrefaçon n’est pas établie.
34. Les quatrièmes faits sont datés du 29 avril 2022, date d’un constat de Maître [R], huissier de justice, décrivant l’état du site Internet www.agriaffaires.com. Ce site, dont il n’est pas contesté qu’il porte sur la commercialisation de matériel agricole propose à la vente une machine décrite sous le nom » NC ROTO ETRILLE 9.50 M REPLIBLE « . Son vendeur est la société défenderesse dont l’adresse figure sur l’annonce présente sur le site ainsi que sa qualité d’importateur. Le prix n’est pas affiché mais figure la mention » prix sur demande « . Cette présentation constitue bien une offre au sens des dispositions précitées.
35. Les photographies présentes sur le site Internet, telles que reproduites par le constat d’huissier, figurent une machine d’origine ukrainienne dont le fonctionnement apparaît décrit de façon suffisamment claire pour vérifier la reproduction alléguée des revendications du brevet.
36. Ainsi, s’agissant de la revendication 1 : la machine figure un élément de support autour d’un pivot, un outil de travail du sol, un dispositif de réglage pour régler une force de pression, deux ressorts de traction reliés par des points d’engagement à un élément de support de telle manière que l’outil de travail agricole soit précontraint. Il résulte de ces circonstances que les caractéristiques de la revendication 1 sont reproduites.
37. S’agissant de la revendication 2, celle-ci décrit le fonctionnement mécanique de l’invention, en particulier la circonstance que le deuxième élément de ressort n’est pas précontraint lorsque le premier élément de ressort l’est. Alors que l’invention n’est décrite que par des photographies statiques, la reproduction alléguée n’est pas vérifiable en l’état. La revendication 2 ne peut donc être considérée comme reproduite.
38. S’agissant de la revendication 3, les photographies présentées à l’appui de la démonstration de la demanderesse ne permettent pas d’identifier le vérin objet de la revendication ni sa connexion à l’extrémité de la traction alléguée. La revendication 3 ne peut donc être considérée comme reproduite en l’état.
39. S’agissant de la revendication 4, de la même manière que pour la revendication 3, l’extrémité de traction et sa connexion au point support n’est pas photographié de façon suffisamment claire pour être identifiable. La revendication 4 ne peut donc être considérée comme reproduite en l’état.
40. S’agissant de la revendication 5, celle-ci reprend les éléments de la revendication 1 dont elle est dépendante, ainsi que leur alignement sur une traverse. En l’état des photographies il n’est toutefois pas possible de dire que celles-ci sont déplaçables sur la traverse. La revendication 5 ne peut donc être considérée comme reproduite en l’état.
41. S’agissant de la revendication 8, la photographie ne permet pas d’identifier les modalités d’actionnement du membre de réglage ni le pivotement de la traverse allégués. La revendication 8 ne peut donc être considérée comme reproduite en l’état.
42. S’agissant de la revendication 9, plusieurs unités travail sont bien agencées le long d’un axe pivot. La revendication est donc reproduite.
43. S’agissant de la revendication 10, l’axe d’éléments de support et bien parallèle à l’axe du point de support. La revendication est donc reproduite.
44. S’agissant de la revendication 12, il est établi qu’il y a bien plusieurs groupes de travail, plusieurs unités de travail, la traverse et les membres de réglage. La revendication est donc reproduite.
45. S’agissant de la revendication 13, les deux bras d’engagement sont bien arrangés aux points d’engagement afin de supporter l’outil de travail. La revendication est donc reproduite.
46. S’agissant de la revendication 14, il n’est pas établi que les deux ressorts de traction sont situés dans un seul plan. La revendication n’est donc pas reproduite.
47. S’agissant de la revendication 15, il n’est pas établi que les deux bras et l’élément de ressort de traction sont situés dans un seul plan. La revendication n’est donc pas reproduite.
48. Il résulte de ces circonstances que les revendications numéro 1, 9, 10, 12 et 13 sont reproduites par l’offre précitée constatée par huissier le 29 avril 2022.
49. Le préjudice allégué peut être estimé au regard du prix de vente non contesté d’une machine de la société demanderesse fixé à 19 000 euros hors-taxes dont une marge de 5000 euros.
50. Des publications sur Facebook du 6 avril 2021 et du 23 février 2022 mentionnent respectivement 7 et 25 exemplaires de la machine disponible. En l’absence d’autres mesures d’instruction, il n’est toutefois pas possible d’établir que ces exemplaires ont effectivement été vendus.
51. Il convient donc de retenir à défaut d’autres éléments de preuve la seule offre au sens des dispositions précitées. L’argumentation en défense tendant à assimiler l’insuffisance de preuves à une demande d’indemnité forfaitaire est écartée alors que le dispositif des écritures en demande ne sollicite aucune somme forfaitaire.
52. Il y a donc lieu d’indemniser la société demanderesse à hauteur de 5 000 euros au titre des actes de contrefaçon.
53. L’existence d’une offre unique et la spécificité de la machine litigieuse justifie d’exclure la publication demandée du présent jugement. Il sera en revanche fait droit à la mesure d’interdiction demandée sous astreinte.
Sur la concurrence déloyale
54. Aux termes de l’article 1240 du Code civil » tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer « .
55. En l’espèce, la faute alléguée en demande repose sur la juxtaposition de photographies non circonstanciées et non datées de la machine que la société Einböck revendique comme étant la sienne, avec des photographies de la machine objet de l’offre présentée par la défenderesse.
56. Ces seules photographies apparaissent insuffisantes à caractériser l’identité et la reproduction servile entre les deux machines. En outre, le moyen ne présente pas de faits distincts à ceux développés au titre de la contrefaçon.
57. Il résulte de ces circonstances que l’acte de concurrence déloyale allégué n’est pas démontré.
Sur la résistance abusive
58. Aux termes de l’article 1240 du Code civil » tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer « .
59. Il est démontré, à la lecture des courriers échangés entre les parties, que la société Le Roch Distribution a été averti de la reproduction par la machine qu’elle a offerte à la vente de revendications du brevet.
60. Depuis le 19 juillet 2021 à titre conservatoire, puis le 9 septembre 2021, la société Le Roch Distribution s’est engagée à ne plus commercialiser la machine litigieuse.
61. Pour autant, ainsi qu’il a été exposé au titre de l’examen de la contrefaçon, à tout le moins une offre postérieure a été publiée sur un site Internet spécialisé. Ces circonstances caractérisent une résistance abusive de la société défenderesse qui cause un préjudice à la société Einböck.
62. En tenant compte des nombreux courriers échangés et de la nécessité, pour la société demanderesse, d’engager la présente procédure, il y a lieu d’indemniser ce préjudice à hauteur de 2 000 euros.
Sur les demandes accessoires
63. La société Le Roch Distribution, partie perdante, et condamnée aux dépens et à payer à la société demanderesse la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal,
Fait interdiction à la société Le Roch Distribution d’importer, détenir, offrir à la vente ou à la location sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, vendre ou louer, toutes machines reproduisant ou intégrant tout ou partie des revendications du brevet EP 2 997 803 sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de 10 jours après la signification de la décision à intervenir,
Se réserve la liquidation de l’astreinte,
Condamne la société Le Roch Distribution à payer à titre provisionnel à la société Einböck à parfaire selon l’évolution du litige la somme de : 5 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant des actes de contrefaçon des revendications 1, 9, 10, 12 et 13 du brevet EP 2 997 803, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
Condamne la société Le Roch Distribution à payer à la société Einböck la somme de 2 000 euros pour résistance abusive, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343 – 2 du code civil,
Déboute chacune des parties de leurs autres demandes,
Condamne la société Le Roch Distribution à payer à la société Einböck la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Le Roch Distribution aux dépens, dont distraction au profit de Maître Bourgeois dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 26 Septembre 2024
La Greffière La Présidente
Laurie ONDELE Anne-Claire LE BRAS