La concurrence déloyale par détournement de clientèle

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La concurrence déloyale par détournement de clientèle
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Le recours à l’article 145 du CPC pour établir une concurrence déloyale par détournement de clientèle, ne peut être admis en l’absence de baisse du chiffre d’affaires de la victime.

En l’espèce, les pièces produites n’établissent pas la baisse du chiffre d’affaires de la société Grand champs, la fin des contrats de clients historiques, le départ de vingt-trois intérimaires, la suppression de données commerciales et d’informations stratégiques, ou encore le refus de restitution d’une puce téléphoniqu

Aucune des pièces produites par la société Grand champs n’apporte la moindre consistance à ses doléances relatives au détournement de clientèle et à l’utilisation d’informations commerciales et de fichiers pour accaparer sa clientèle. En effet, la société Grand champs ne procède que par déductions et affirmations, qui ne reposent sur aucun fait précis, objectif et vérifiable. Elle ne démontre donc pas l’existence d’un litige plausible, crédible, bien qu’éventuel et futur, dont le contenu et le fondement seraient cernés, approximativement au moins, et sur lesquels pourrait influer le résultat de la mesure d’instruction critiquée.

Pour rappel, en vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée.

Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

Résumé de l’affaire : La société Grand champs, spécialisée dans le travail temporaire, a accusé Mmes [G] et [C] de concurrence déloyale en détournant sa clientèle, avec l’aide des sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim. En avril 2023, Grand champs a demandé des mesures d’instruction au tribunal de commerce de Paris, qui a autorisé une intervention d’un commissaire de justice. En juin 2023, les sociétés Groupe JTI et [F] ont contesté cette ordonnance en référé, mais leur demande a été jugée mal fondée en novembre 2023. Elles ont ensuite interjeté appel, arguant que Grand champs n’avait pas justifié de raisons suffisantes pour déroger au principe du contradictoire. En février 2024, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance de référé, rétracté la décision du tribunal de commerce, annulé les saisies effectuées et ordonné la restitution des documents saisis, tout en condamnant Grand champs à verser des indemnités aux sociétés Groupe JTI et [F].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
24/00095
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2024

(n° 311 , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/00095 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CIVMG

Décision déférée à la cour : ordonnance du 24 novembre 2023 – président du TC de Paris – RG n° 2023031692

APPELANTES

S.A.S. GROUPE JTI INTERIM, RCS de Lyon n°824333769, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

S.A.S. [F] INTERIM, RCS de Lyon n°92904199, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentées par Me Audrey KALIFA de la SELEURL AUDREY KALIFA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0942

Ayant pour avocat plaidant Me Gérard BENOIT de la SELARL BENOIT-LALLIARD-ROUANET, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE

S.A.R.L. GRAND CHAMPS, RCS de Créteil n°450992052, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie JANET de la SCP SCP BLUMBERG & JANET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0249

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SCHAPIRA de l’AARPI SCHAPIRA ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 juin 2024, en audience publique, rapport ayant été fait par Jean-Christophe CHAZALETTE, président de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Jean-Christophe CHAZALETTE, président de chambre

Anne-Gaël BLANC, conseillère

Valérie GEORGET, conseillère

Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Anne-Gaël BLANC, conseillère, le président de chambre empêché et par Jeanne PAMBO, greffier, présent lors de la mise à disposition.

********

La société Grand (sic) champs est une société de travail temporaire qui a pour activité le recrutement et le placement de personnel pour le compte de tiers. La société Groupe JTI intérim est spécialisée dans la même branche d’activité, concurrente de la société Grand champs. La société [F] intérim, créée en décembre 2022, a le même directeur général que la société Groupe JTI intérim.

Mme [F] [G] a été salariée de la société Grand champs en qualité de responsable d’agence du 1er février 2004 au 31 décembre 2022. Elle était secondée par Mme [C], qui a occupé le poste d’assistante commerciale de janvier 2014 à mars 2023.

Faisant état de faits de concurrence déloyale par détournement de clientèle commis par Mmes [G] et [C] avec l’assistance des sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim, par requête adressée au président du tribunal de commerce de Paris le 11 avril 2023, la société Grand champs a demandé à être autorisée à faire pratiquer des mesures d’instruction in futurum.

Par ordonnance du 18 avril 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à la requête et a désigné un commissaire de justice avec pour mission de se rendre aux sièges et établissement des sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim à Lyon (69). La mesure a été exécutée par commissaire de justice le 9 mai 2023.

Par acte extrajudiciaire en date du 9 juin 2023, les sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim ont fait assigner en référé la société Grand champs devant le président du tribunal de commerce de Paris en lui demandant à titre principal de rétracter l’ordonnance sur requête du 18 avril 2023, avec les conséquences de droit.

Par ordonnance de référé du 24 novembre 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a :

dit recevable mais mal fondée les SAS Groupe JTI intérim et [F] intérim en leur demande de rétractation de l’ordonnance du 18 avril 2023 ;

en conséquence,

débouté SAS Groupe JTI intérim et [F] intérim de leur demande de rétractation de l’ordonnance du 18 avril 2023 ;

dit l’ordonnance du 18 avril 2023 conforme aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ;

dit que la procédure de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après, même s’il est fait appel de la présente décision, tout en préservant les intérêts des SAS Groupe JTI intérim et [F] intérim jusqu’à décision définitive ;

dit que les pièces qui pourraient être retenues comme communicables lors de l’éventuelle levée de séquestre à intervenir seront maintenues sous séquestre entre les mains du commissaire de justice instrumentaire et séquestre jusqu’à décision définitive ;

dit que la levée de séquestre éventuelle à intervenir de pièces saisies lors des opérations de constat du commissaire de justice instrumentaire désigné doit se faire conformément aux dispositions des articles R 153-3 à R 153-8 du code de commerce ;

dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

demande aux SAS Groupe JTI intérim et [F] intérim de faire le tri sur le(s) fichier(s) de pièces saisies qui leur a(ont) été remis en trois catégories :

– Catégorie « A » : pièces qui pourront être communiquées en l’état, sans examen ;

– Catégorie « B » : pièces concernées par le secret des affaires et que la(es) SAS Groupe JTI intérim et/ou [F] intérim refuse(ent) de communiquer ;

– Catégorie « C » : pièces que la(es) SAS Groupe JTI intérim et/ou [F]  intérim refuse(ent) de communiquer et qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

dit que ce tri, où chaque pièce sera numérotée, sera communiqué à Me [P], ès qualités de commissaire de justice instrumentaire et séquestre, pour un contrôle de cohérence avec le(s) fichier(s) initial(aux) séquestré(s) ;

dit que, pour ce qui a trait aux pièces, à classer en catégorie « B », concernées par le secret des affaires conformément aux dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, la(es) SAS Groupe JTI intérim et/ou [F] intérim nous communiquera(ont), ainsi qu’au commissaire de justice instrumentaire et séquestre, un « mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère de secret des affaires » ;

dit que, pour ce qui a trait aux pièces classées en catégorie « C », par la(es) SAS Groupe JTI intérim et/ou [F] intérim, celle(es) dernière(s) nous communiquera(ont), ainsi qu’au commissaire de justice instrumentaire et séquestre, un mémoire justifiant de son(leur) refus de communication, totale ou partielle, de chacune des pièces qui ne relèvent pas du secret des affaires ;

fixé le calendrier suivant :

communication à Me [P], ès qualité de commissaire de justice instrumentaire et séquestre et à nous-même des tris demandés avant le vendredi 2 février 2024 à 12 h ;

renvoyé l’affaire, après contrôle de cohérence préalable par le commissaire de justice instrumentaire et séquestre, en audience en cabinet le jeudi 8 février 2024 à 15 h pour examen de la fin de préparation de la levée de séquestre éventuelle à intervenir ;

dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

condamné, in solidum, les SAS Groupe JTI intérim et [F] intérim aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration du 11 décembre 2023, les sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim ont interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif, sauf en ce qu’elle a rejeté les demandes de la SARL Grand champs autres, plus amples ou contraires.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 2 février 2024 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, elles demandent à la cour de :

infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 24 novembre 2023 ;

statuant à nouveau,

juger que la société Grand champs n’a pas, dans sa requête, justifié de raisons spécifiques ni de circonstances précises pour qu’il soit dérogé au principe du contradictoire ;

juger que la seule référence à l’existence d’un risque de déperdition des preuves à conserver et de leur nature informatique sont insuffisants à caractériser les circonstances propres au litige justifiant qu’il soit dérogé au principe du contradictoire ;

juger que la société Grand champs intérim ne justifie pas d’un motif légitime ;

en conséquence,

rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 18 avril 2023 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

ordonner la levée des séquestres et de l’intégralité des pièces saisies ;

ordonner aux commissaires de justice instrumentaires de leur restituer tous les documents saisis lors des constats réalisés et de procéder à la destruction de toutes copies en leur possession ;

à titre subsidiaire,

juger que les documents saisis lors du procès-verbal de constat dressé à [Localité 5] porte sur 3 fichiers (registres du personnel et 94 courriels) ;

juger que le registre du personnel de la société Groupe JTI intérim n’a révélé aucun résultat commun ;

juger que sur les 94 courriels / mails, seuls les numéros 4, 7, 21, 25, 26, 51 et 57 révèlent un résultat commun susceptible de concerner des clients et/ou anciens employés de la société Grand champs ;

juger que les 87 autres courriels / mails n’ont aucun lien avec le litige, ne sont pas susceptibles de concerner des clients et/ou anciens employés de la société Grand champs et qu’ils ne peuvent être transmis à la société Grand champs au risque d’entraîner la violation du secret des affaires et/ou du RGPD ;

en conséquence,

limiter au titre du procès-verbal de constat dressé à [Localité 5] la transmission des documents saisis aux seuls registres du personnel de la société [F] intérim et mails n° 4, 7, 21, 25, 26, 51 et 57 ;

en tout état de cause,

condamner la société Grand champs à leur payer la somme de 5 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Grand champs aux entiers dépens ;

débouter la société Grand champs de l’intégralité de ses prétentions, fins et moyens plus amples et/ou contraires.

La société Grand champs, aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 février 2024 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

débouter les sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim de leur appel ;

confirmer l’ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 24 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;

en conséquence,

ordonner la levée de la mesure de séquestre mise en place par l’ordonnance du 18 avril 2023 ;

ordonner la transmission à elle de l’ensemble des éléments saisis lors des opérations du 9 mai 2023 par la SELARL [P]-Duhamel à l’exception des courriels saisis dans la messagerie de M. [J] pour lesquels la transmission sera limitée aux courriels n° 4, 7, 21, 25, 26, 51 et 57 ;

condamner in solidum les sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner in solidum les sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2024.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Sur ce,

En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

En l’espèce, dans la requête soumise le 11 avril 2023 au président du tribunal de commerce de Paris, la société Grand champs exposait qu’elle avait constaté une baisse de son chiffre d’affaires de plus de 65 % entre mars 2022 et mars 2023.

Elle indiquait que le chiffre d’affaires de Mme [G] avait subi une baisse continuelle entre mars et août 2022, avant de se stabiliser à 50 % de son niveau habituel, et ajoutait que le chiffre d’affaires de Mme [C] avait également chuté.

Elle affirmait que cette diminution du chiffre d’affaires correspondait aux fins de missions de ses clients historiques, certains étant actifs depuis plus de quinze ans. La société Grand champs citait différents noms de clients à titre d’exemple (CN Europe, Dagstaff, DBS, Entreprise Pougat, etc.) et soulignait que les dates de départ des clients coïncidaient de manière troublante avec celles des démissions de Mmes [G] et [C].

La société Grand champs précisait que la liste des contrats arrêtés en mars 2023 comprenait exclusivement des clients et des missions suivis par Mmes [G] et [C], et prétendait que le départ des intérimaires avait été préparé en amont, puisque vingt-trois intérimaires avaient cessé simultanément leurs missions le 3 mars 2023 alors même qu’ils enchaînaient jusqu’alors les missions pour elle.

La société Grand champs expliquait qu’elle avait sélectionné dix clients pour lesquels la concomitance entre les velléités de départ de Mme [G] et la baisse du chiffre d’affaires de ses clients était patente. La société Grand champs citait différents noms de clients à titre d’exemple, avec les pourcentages de baisse allégués (CN Europe ‘ 136 000 euros en 2021, 76 000 euros en 2022 ; TM Staff ‘ 262 000 euros en 2021, 165 000 euros en 2022, etc.).

La société Grand champs faisait valoir qu’à son départ, Mme [C] avait refusé de « restituer dans le système informatique » les « informations stratégiques » sur les clients, intérimaires et missions en cours. Elle ajoutait qu’elle avait ultérieurement constaté que d’importantes données avaient été supprimées de l’environnement informatique de Mme [C], notamment les coordonnées des intérimaires, et que la puce avait été retirée de son téléphone professionnel. Selon elle, Mme [C] n’avait pas répondu à sa demande d’explication du 20 mars 2023.

La société Grand champs soutenait que la conjonction de l’ensemble de ces faits ‘ chute soudaine du chiffre d’affaires, démissions coordonnées, suppression de données ‘ la conduisait à soupçonner l’existence de man’uvres de la part de ses anciennes salariées. Selon elle, ces man’uvres caractérisaient « sans nul doute l’existence d’un détournement de clientèle, et du courant d’affaires associé, au bénéfice de la société Groupe JTI intérim », puisque le directeur général de celle-ci avait créé la société Arya intérim, devenue [F] intérim, concomitamment avec la fin des contrats de travail de Mmes [G] et [C].

En conclusion, la société Grand champs énonçait qu’elle considérait que le détournement de sa clientèle par Mmes [G] et [C] et l’utilisation de ses informations confidentielles, au profit de sa concurrente la société Group JTI intérim, justifiait qu’elle intente une action en responsabilité délictuelle à l’encontre de Mmes [G] et [C], et en concurrence déloyale à l’encontre de la société Group JTI intérim.

Cependant, il y a lieu de constater que, sur un total de dix-neuf pièces produites par la société Grand champs, seules quatre pièces sont de nature à justifier des griefs formulés, les autres pièces concernant des faits non discutés (extraits Kbis, contrats de travail, courriers en relation avec la rupture des contrats de travail, statuts de société, etc.).

Trois des quatre pièces pertinentes sont de simples feuilles de calcul établies par les soins de la société Grand champs et contenant des données dont ni l’existence ni l’exactitude ne sont établies à l’aide de pièces supplémentaires (pièce 4, « tableau synoptique de l’évolution du chiffre d’affaires sur les 12 derniers mois » ; pièce 5, « tableau synoptique des clients gérés par Mmes [G] et [C] » ; pièce 6 « liste des contrats clients et missions résiliés fin février et début mars 2023 »). S’agissant de données comptables et commerciales, il convient en effet d’observer que la société Grand champs ne produit aucun élément comptable original établissant indiscutablement le niveau de son chiffre d’affaires et sa baisse éventuelle, la portion générée par les salariées critiquées, ni aucun élément permettant de vérifier ses relations avec les clients qu’elle cite (contrats, livre journal, journal des ventes, etc.) et leur ancienneté.

La quatrième pièce (pièce 10) est un courrier du 20 mars 2023 de la gérante d’une société Sad’s intérim, paraissant appartenir au même groupe que la société Grand champs, adressé à Mme [C] et reprochant à celle-ci d’avoir refusé de transmettre les coordonnées des salariés intérimaires dont elle avait la gestion, de restituer la puce de son téléphone professionnel, ainsi que d’avoir supprimé des données de son environnement informatique. Outre que cette pièce n’a pas de valeur probante pour établir les faits qu’elle se borne à dénoncer, il y a lieu de constater que Mme [C] y a répondu en rejetant la véracité des faits allégués, par courrier du 17 avril 2023 (pièce 6 Group JTI intérim).

Les quatre pièces produites n’établissent donc pas la baisse du chiffre d’affaires de la société Grand champs, la baisse du chiffre d’affaires de Mmes [G] et [C], la fin des contrats de clients historiques, le départ de vingt-trois intérimaires, la suppression de données commerciales et d’informations stratégiques, ou encore le refus de restitution d’une puce téléphoniqu

En définitive, aucune des pièces produites par la société Grand champs n’apporte la moindre consistance à ses doléances relatives au détournement de clientèle et à l’utilisation d’informations commerciales et de fichiers pour accaparer sa clientèle. En effet, la société Grand champs ne procède que par déductions et affirmations, qui ne reposent sur aucun fait précis, objectif et vérifiable. Elle ne démontre donc pas l’existence d’un litige plausible, crédible, bien qu’éventuel et futur, dont le contenu et le fondement seraient cernés, approximativement au moins, et sur lesquels pourrait influer le résultat de la mesure d’instruction critiquée.

Dans ces conditions, l’ordonnance entreprise sera infirmée et l’ordonnance sur requête du 18 avril 2023 sera rétractée, sans qu’il soit utile d’examiner les autres moyens formulés à l’appui de la demande de rétractation.

Compte tenu du sens de la présente décision, la société Grand champs sera tenue aux entiers dépens de première instance et d’appel, et condamnée à payer une somme de 5 000 euros à chacune des intimées sur le fondement de l’article 700 du code

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Rétracte l’ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris du 18 avril 2023 (RG 2023020915) et annule par voie de conséquence les opérations de constat et de saisies qui ont été opérées sur son autorisation ;

Ordonne la restitution aux sociétés Groupe JTI intérim et [F] intérim des pièces et documents saisis ou copiés ainsi que des copies des disques durs et fichiers, séquestrés ou archivés par les commissaires de justice instrumentaires, dont il ne pourra être fait aucun usage, ainsi que la destruction de toutes autres copies en possession des commissaires de justice instrumentaires ;

Condamne la société Grand champs à payer à la société Groupe JTI intérim une somme de 5 000 euros et à la société [F] intérim une somme de 5 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Grand champs aux entiers dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LA CONSEILLÈRE


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