En défense d’une actioin en contrefaçon (intervention forcée du fournisseur en cas d’action contre le client distributeur), même si une clause attributive de juridiction n’est pas clairement acceptée par le distributeur, l’usage et les relations commerciales habituelles avec le fournisseur peuvent parer à cette absence de formalisme.
En la cause, la clause de compétence invoquée par la société Ago (fournisseur) doit être regardée comme valide, ce qui crée une compétence exclusive au profit du tribunal de Venise, le principe d’une bonne administration de la justice et de l’indivisibilité entre la demande originaire et la demande en garantie incidente étant inefficaces à écarter l’application de cette clause. En conséquence, le tribunal judiciaire de Paris est incompétent pour statuer sur l’assignation en intervention forcée de la société Ago. La facture éditée par la société Ago établissant la vente à la société Homyz studio (client distributeur) du canapé argué de contrefaisant, comporte des conditions générales de vente parmi lesquelles figure une clause d’élection de for stipulant “All disputes shall be exclusiveley and finally settled by the competent Courts of Venice (Italy)” qui peut être librement traduit par: “tous les litiges seront exclusivement et définitivement réglés par les tribunaux compétents de Venise (Italie)”. Cette clause est claire et précise, ne laissant aucun doute sur la prétention de la société Ago de vouloir accorder une compétence exclusive au tribunal de Venise (Italie) pour tout litige survenant entre elles. Par ailleurs, la clause attributive de juridiction invoquée par la société Ago n’étant stipulée que sur sa facture sans qu’il soit établi qu’elle ait fait l’objet d’un accord verbal antérieur et sans preuve de consentement écrit de la société Homy studio, ne satisfait pas aux conditions de validité formelle posées par l’article 25, paragraphe 1, sous a), du Règlement Bruxelles I bis. Toutefois, la société Ago établit avoir entretenu avec la société Homyz studio des relations commerciales depuis septembre 2015, laquelle ne conteste pas s’être acquittée tout au long de ces années des factures envoyées par la société Ago contenant systématiquement ses conditions générales de vente et comportant de manière apparente une clause attributive de juridiction écrite dans les mêmes termes que la clause stipulée sur la facture du 15 novembre 2022, ce sans contestation, ce dont il se déduit son consentement tacite à cette clause. Il en résulte que la clause attributive de juridiction dont se prévaut la société Ago a été conclue sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles et remplit ainsi les conditions de forme posées par l’article 25 b) du Règlement Bruxelles I bis. Par ailleurs, la clause litigieuse désignant les juridictions italiennes, la validité substantielle de la clause doit, conformément aux exigences de l’article 25, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I bis précité, être appréciée au regard des dispositions du droit italien et non du droit français tel qu’invoqué par la société Homyz studio. Le moyen en défense tiré de l’application de l’article 1171 du code civil est par conséquent inopérant. La mise en cause d’un fournisseur italien présente un caractère international et relève en conséquence, dans le temps comme dans l’espace, du champ d’application du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit « Bruxelles I bis », concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ce que les parties ne contestent pas. Selon l’article 25 du même Règlement: »1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naitre à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue: a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite; b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles; ou c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. Une convention attributive de juridiction faisant partie d’un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat. La validité de la convention attributive de juridiction ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable. S’agissant de la prévisibilité rappelée par le considérant 15 du règlement, il y a lieu de préciser que si elle constitue l’un des objectifs du législateur européen, de pouvoir déterminer facilement les juridictions devant lesquelles un demandeur doit pouvoir intenter son action et un défendeur anticiper raisonnablement devant quelles juridictions il peut être attrait, il est constant que l’impératif de prévisibilité est satisfait avec une clause d’élection de for suffisamment précise pour qu’il n’y ait pas de doute sur la juridiction choisie. Une clause attribuant compétence aux juridictions d’un Etat membre prime la compétence spéciale prévue à l’article 8, § 1du Règlement Bruxelles I bis, dès lors qu’elle est valable au regard de l’article 25 du même règlement (en ce sens, voir CJCE, [Localité 10] [Localité 9], affaire 71/83, point 14 et Cass. Civ.1ère, 14 mars 2018, pourvoi n° 16-28.302), et ce même en présence d’une indivisibilité. A cet égard, la Cour de Justice de l’Union européenne a dit pour droit que “le juge saisi a l’obligation d’examiner, in limine litis, si la clause attributive de juridiction a effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties, qui doit se manifester d’une manière claire et précise, les formes exigées par l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 ayant, à cet égard, pour fonction d’assurer que le consentement soit effectivement établi (…)” (CJUE 8 mars 2018, Saey Home & Garden, aff. C-64/17 point 25). Dans cette affaire, la Cour a par ailleurs jugé qu’une clause attributive de juridiction ne satisfait pas aux exigences de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du Règlement Bruxelles I bis, lorsque le contrat a été conclu verbalement, sans confirmation ultérieure par écrit, et que les conditions générales contenant cette clause attributive n’ont été mentionnées que dans les factures émises par l’une des parties, ce qui n’exclut pas la validité de la clause par application des articles 25, paragraphe 1, sous b) ou c) (voir, en ce sens, points 28, 29 et 31). |
Résumé de l’affaire : Madame [J] [R], veuve du designer [E] [R], est légataire universelle de ses droits moraux et patrimoniaux. La société [R], [R] & [R] édite et commercialise des meubles, y compris des modèles de [E] [R]. La société MWP valorise et protège les actifs de la succession de [E] [R]. La société Homyz Studio vend des meubles et objets de décoration, tandis que la société Ago fournit des meubles sous le nom « Abhika ». Le 18 janvier 2023, Mme [R] et les sociétés MWP et [R], [R] & [R] constatent que Homyz Studio propose à la vente un canapé jugé quasi-identique au canapé Alpha de [E] [R]. Le 16 février 2023, ils assignent Homyz Studio en contrefaçon de droit d’auteur. Le 28 août 2023, Homyz Studio appelle en garantie la société Ago. Le 11 décembre 2023, Ago soulève une exception d’incompétence du tribunal. L’affaire est plaidée le 6 juin 2024, avec une décision prévue pour le 11 septembre 2024.
La société Ago demande au tribunal de déclarer son incompétence au profit du tribunal de Venise, tandis que Mme [R] et les sociétés MWP et [R], [R] & [R] s’opposent à cette demande. Homyz Studio conteste également l’exception d’incompétence. Le juge déclare finalement le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître de la demande de garantie de Homyz Studio contre Ago, renvoyant les parties à mieux se pourvoir et condamnant Mme [R] et les sociétés MWP et [R], [R] & [R] ainsi que Homyz Studio à verser des sommes à la société Ago. |
Q/R juridiques soulevées :
Sommaire Quelle est la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris dans cette affaire ?La compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris est régie par le Code de procédure civile, notamment par l’article 42 qui stipule que « le tribunal est territorialement compétent pour connaître des instances lorsque le défendeur y a son domicile ». Dans le cas présent, la société Ago, ayant son siège en Italie, a soulevé une exception d’incompétence, arguant que la clause attributive de juridiction présente dans ses conditions générales de vente désigne le tribunal de Venise comme compétent. L’article 8, alinéa 1 du Règlement (UE) n° 1215/2012, dit « Bruxelles I bis », précise que « une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente ». Ainsi, la compétence du tribunal judiciaire de Paris pourrait être contestée si la clause attributive de juridiction est jugée valide, ce qui a été confirmé par le juge de la mise en état dans sa décision. Quelles sont les implications de la clause attributive de juridiction dans cette affaire ?La clause attributive de juridiction est un élément clé dans la détermination de la compétence des tribunaux. Selon l’article 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012, « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes ». Dans cette affaire, la société Ago a invoqué une clause stipulant que « tous les litiges seront exclusivement et définitivement réglés par les tribunaux compétents de Venise (Italie) ». Le juge a constaté que cette clause était claire et précise, et qu’elle avait été acceptée tacitement par la société Homyz studio, qui avait entretenu des relations commerciales avec Ago depuis plusieurs années. Ainsi, la clause attributive de juridiction a été jugée valide, ce qui a conduit à la déclaration d’incompétence du tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur l’assignation en intervention forcée de la société Homyz studio contre la société Ago. Quels sont les effets de l’exception d’incompétence soulevée par la société Ago ?L’exception d’incompétence soulevée par la société Ago a pour effet de remettre en question la compétence du tribunal saisi. Selon l’article 81 du Code de procédure civile, « lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir ». Dans ce cas, la société Ago a demandé au juge de déclarer le tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit du tribunal de Venise. Le juge a accepté cette demande, considérant que la clause attributive de juridiction était valide et que la compétence exclusive du tribunal de Venise devait être respectée. Cela signifie que les parties doivent désormais se pourvoir devant le tribunal de Venise pour résoudre le litige, ce qui a des implications sur la stratégie juridique et les coûts pour les parties impliquées. Comment la nullité du contrat de vente peut-elle affecter la clause attributive de juridiction ?La question de la nullité du contrat de vente est distincte de celle de la validité de la clause attributive de juridiction. Selon l’article 25, paragraphe 5 du Règlement (UE) n° 1215/2012, « une convention attributive de juridiction faisant partie d’un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat ». Ainsi, même si la société Homyz studio soutient que le contrat de vente est nul, cela n’affecte pas nécessairement la validité de la clause attributive de juridiction. Le juge a précisé qu’il n’était pas compétent pour statuer sur la nullité du contrat de vente, et que cette question ne faisait pas partie des demandes formulées. En conséquence, la validité de la clause attributive de juridiction demeure intacte, et le tribunal de Venise est le seul compétent pour traiter les litiges découlant de cette relation contractuelle. Quelles sont les conséquences financières pour les parties suite à la décision du juge ?Suite à la décision du juge de la mise en état, plusieurs conséquences financières ont été établies. Selon l’article 700 du Code de procédure civile, « le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ». Dans cette affaire, la société Homyz studio, ainsi que Madame [J] [R] et les sociétés [R], [R] & [R] et MWP, ont été condamnées in solidum à verser à la société Ago la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700. De plus, elles ont été condamnées aux dépens, ce qui signifie qu’elles doivent également couvrir les frais de justice engagés par la société Ago. Ces conséquences financières peuvent avoir un impact significatif sur les ressources des parties et leur stratégie juridique future. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Le
Expédition exécutoire délivrée à :
– Maître Cortesi, vestiaire P291
Copie certifiée conforme délivrée à :
– Maître Godefroy, vestiaire R259
– Maître Porlon, vestiaire E2010
■
3ème chambre
3ème section
N° RG 23/02263 –
N° Portalis 352J-W-B7H-CZC2O
N° MINUTE :
Assignation du :
16 février 2023
incident incompétence
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 11 septembre 2024
DEMANDERESSES
Madame [J] [R]
[Adresse 8]
[Localité 4]
S.A.S. MWP
[Adresse 2]
[Localité 6]
S.A.R.L. [R], [R] & [R]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentées par Maître Nicolas GODEFROY de l’AARPI GODIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0259
DEFENDERESSES
S.A.S. HOMYZ STUDIO
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maitre Sadry PORLON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2010
Décision du 11 septembre 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 23/02263 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZC2
Société AGO S.R.L.
intervenante forcée
[Adresse 11]
[Localité 3] (ITALIE)
représentée par Maître Giulia CORTESI de l’AARPI KERN & WEYL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0291
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Anne BOUTRON, vice-présidente
assistée de Lorine MILLE, greffière
DEBATS
A l’audience sur incident du 06 juin 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 11 septembre 2024.
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Madame [J] [R], veuve du designer [E] [R], est légataire universelle de ses droits moraux et patrimoniaux.
La société [R], [R] & [R] a pour activité l’édition et la commercialisation de meubles, et notamment certains modèles créés par [E] [R].
La société MWP a pour activité la valorisation et la protection des actifs qui lui ont été apportés et notamment les droits patrimoniaux sur les œuvres et les marques issus de la succession de [E] [R].
La société Homyz Studio a pour activité la vente de mobiliers et objets de décoration. Ses produits sont vendus sur son site internet www.homyzparis.com et dans une boutique du [Localité 7].
La société Ago est l’un des fournisseurs de la société Homyz. Elle commercialise des meubles sous le nom » Abhika « .
Le 18 janvier 2023, Mme [R] et les sociétés MWP et [R], [R] & [R] ont fait constater que la société Homyz Studio exposait et proposait à la vente dans sa boutique un canapé qu’ils estiment quasi-identique au canapé Alpha conçu par [E] [R].
Par acte de commissaire de justice du 16 février 2023, Mme [R] et les sociétés MWP et [R], [R] & [R] ont fait assigner la société Homyz Studio en contrefaçon de droit d’auteur.
Par une assignation en intervention forcée du 28 août 2023, la société Homyz studio a appelé en garantie son fournisseur, la société Ago, en demandant notamment sa substitution et sa mise hors de cause.
Par conclusions d’incident du 11 décembre 2023, la société Ago a saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence du tribunal.
L’affaire a été fixée et plaidée à l’audience du 6 juin 2024 pour une mise à disposition de la décision au 11 septembre 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions d’incident, notifiées par voie électronique le 3 juin 2024, la société Ago demande au juge de la mise en état de :
REJETANT toutes fins, moyens et conclusions contraires,
A titre principal,
DECLARER l’incompétence du tribunal judiciaire de Paris au profit du tribunal de Venise (Italie) pour statuer sur l’appel en garantie formé par la société HOMYZ contre la société AGO ;
RENVOYER la société HOMYZ à mieux se pourvoir devant le tribunal de Venise ;
METTRE hors de cause la société AGO ;
A titre subsidiaire,
RENVOYER à la mise en état pour qu’il soit conclu et plaidé ce qu’il appartiendra.
En tout état de cause,
DÉBOUTER Madame [J] [R] et les sociétés [R] [R] & [R] et MWP ainsi que la société HOMYZ de toutes leurs demandes, fins et conclusions y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER Madame [J] [R] et les sociétés [R] [R] & [R] et MWP ainsi que la société HOMYZ in solidum à payer à la société AGO la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER Madame [J] [R] et les sociétés [R] [R] & [R] et MWP ainsi que la société HOMYZ in solidum aux dépens, dont le recouvrement sera assuré par Maître Giulia CORTESI conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par leurs dernières conclusions d’incident, notifiées par voie électronique le 28 février 2024, Mme [R] et les société MWP et [R], [R] & [R] demandent au juge de la mise en état de :
DEBOUTER la société AGO S.R.L de son exception d’incompétence;
DECLARER le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur les demandes formées à l’encontre de la société AGO S.R.L ;
CONDAMNER la société AGO S.R.L. à verser à Madame [J] [R] et aux sociétés [R], [R] & [R] et MWP, la somme de 500 € chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la société AGO S.R.L. aux entiers dépens de l’incident.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 27 mai 2024, la société Homyz Studio demande au juge de la mise en état de:
A titre principal,
DECLARER la clause attributive de juridiction présente dans les Conditions générales annexées à la facture du 15 novembre 2022 réputée non écrite au regard de l’article 1171 du code civil
A titre subsidiaire,
DECLARER qu’il relève d’une bonne administration de la justice de rejeter l’exception d’incompétence.
En tout état de cause,
DEBOUTER la société ABHIKA AGO S.R.L de toutes ses demandes
REJETER l’exception d’incompétence
DECLARER le tribunal judiciaire de Paris compétent pour se prononcer sur l’appel en garantie formulé par la société HOMYZ STUDIO
Moyens des parties
La société Ago conclut à l’incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris au profit du tribunal de Venise par application de la clause attributive de compétence de ses conditions générales de vente qui est selon elle valide dès lors qu’elle régit les rapports commerciaux habituels entre les parties qui s’inscrivent dans la durée.
La société Homyz studio oppose que la clause attributive de juridiction invoquée par la société Ago doit être réputée non écrite dès lors qu’elle ne l’a ni négociée, ni acceptée, entraînant un déséquilibre significatif entre les parties et une nécessaire requalification en contrat d’adhésion. Elle ajoute que le contrat de vente conclu entre la société Homyz studio et Ago doit être considéré comme résolu compte tenu de son objet illicite. Elle fait également valoir que l’indivisiblité entre la demande principale et la demande de garantie justifie la compétence du tribunal saisi pour une bonne administration de la justice.
Les sociétés [R], [R] & [R], MWP et Madame [J] [R] concluent à la compétence du tribunal judiciaire de Paris dès lors que les demandes s’inscrivent dans une même situation de droit et portent sur le même objet, à savoir la vente et la mise en vente d’au moins un exemplaire du canapé argué de contrefaçon.
Réponse du juge de la mise en état
Aux termes de l’article 789 alinéa 1 du code de procédure civile » Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance »
Selon l’article 81 du même code:“Lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.”
L’assignation en intervention forcée a été engagée par la société de droit français Homyz studio contre la société de droit italien Ago, ayant son siège en Italie, aux fins d’engager sa responsabilité civile contractuelle devant les juridictions françaises à raison de la vente le 15 novembre 2022 d’un canapé argué de contrefaisant. Cette mise en cause présente ainsi un caractère international et relève en conséquence, dans le temps comme dans l’espace, du champ d’application du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit « Bruxelles I bis », concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ce que les parties ne contestent pas.
Selon l’article 8, 1° du Règlement Bruxelles I bis, »Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :(…)
2) s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente ».
Selon l’article 25 du même Règlement: »1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naitre à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue:
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
(…)
4. Une convention attributive de juridiction faisant partie d’un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat.
La validité de la convention attributive de juridiction ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable. »
S’agissant de la prévisibilité rappelée par le considérant 15 du règlement, il y a lieu de préciser que si elle constitue l’un des objectifs du législateur européen, de pouvoir déterminer facilement les juridictions devant lesquelles un demandeur doit pouvoir intenter son action et un défendeur anticiper raisonnablement devant quelles juridictions il peut être attrait, il est constant que l’impératif de prévisibilité est satisfait avec une clause d’élection de for suffisamment précise pour qu’il n’y ait pas de doute sur la juridiction choisie.
Une clause attribuant compétence aux juridictions d’un Etat membre prime la compétence spéciale prévue à l’article 8, § 1du Règlement Bruxelles I bis, dès lors qu’elle est valable au regard de l’article 25 du même règlement (en ce sens, voir CJCE, [Localité 10] [Localité 9], affaire 71/83, point 14 et Cass. Civ.1ère, 14 mars 2018, pourvoi n° 16-28.302), et ce même en présence d’une indivisibilité.
A cet égard, la Cour de Justice de l’Union européenne a dit pour droit que “le juge saisi a l’obligation d’examiner, in limine litis, si la clause attributive de juridiction a effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties, qui doit se manifester d’une manière claire et précise, les formes exigées par l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 ayant, à cet égard, pour fonction d’assurer que le consentement soit effectivement établi (…)” (CJUE 8 mars 2018, Saey Home & Garden, aff. C-64/17 point 25).
Dans cette affaire, la Cour a par ailleurs jugé qu’une clause attributive de juridiction ne satisfait pas aux exigences de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du Règlement Bruxelles I bis, lorsque le contrat a été conclu verbalement, sans confirmation ultérieure par écrit, et que les conditions générales contenant cette clause attributive n’ont été mentionnées que dans les factures émises par l’une des parties, ce qui n’exclut pas la validité de la clause par application des articles 25, paragraphe 1, sous b) ou c) (voir, en ce sens, points 28, 29 et 31).
En l’espèce, la facture éditée par la société Ago datée du 15 novembre 2022 (pièce Ago n°5) établissant la vente à la société Homyz studio du canapé argué de contrefaisant, comporte des conditions générales de vente parmi lesquelles figure une clause d’élection de for stipulant “All disputes shall be exclusiveley and finally settled by the competent Courts of Venice (Italy)” qui peut être librement traduit par: “tous les litiges seront exclusivement et définitivement réglés par les tribunaux compétents de Venise (Italie)”.
Contrairement à ce que soutient la société Homyz studio, cette clause est claire et précise, ne laissant aucun doute sur la prétention de la société Ago de vouloir accorder une compétence exclusive au tribunal de Venise (Italie) pour tout litige survenant entre elles.
La clause attributive de juridiction invoquée par la société Ago n’étant stipulée que sur sa facture sans qu’il soit établi qu’elle ait fait l’objet d’un accord verbal antérieur et sans preuve de consentement écrit de la société Homy studio, ne satisfait pas aux conditions de validité formelle posées par l’article 25, paragraphe 1, sous a), du Règlement Bruxelles I bis.
Toutefois, la société Ago établit avoir entretenu avec la société Homyz studio des relations commerciales depuis septembre 2015 (pièces Ago n°9-1 et 9-2), laquelle ne conteste pas s’être acquittée tout au long de ces années des factures envoyées par la société Ago contenant systématiquement ses conditions générales de vente et comportant de manière apparente une clause attributive de juridiction écrite dans les mêmes termes que la clause stipulée sur la facture du 15 novembre 2022, ce sans contestation, ce dont il se déduit son consentement tacite à cette clause.
Il en résulte que la clause attributive de juridiction dont se prévaut la société Ago a été conclue sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles et remplit ainsi les conditions de forme posées par l’article 25 b) du Règlement Bruxelles I bis.
Par ailleurs, la clause litigieuse désignant les juridictions italiennes, la validité substantielle de la clause doit, conformément aux exigences de l’article 25, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I bis précité, être appréciée au regard des dispositions du droit italien et non du droit français tel qu’invoqué par la société Homyz studio. Le moyen en défense tiré de l’application de l’article 1171 du code civil est par conséquent inopérant.
En outre, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état de statuer sur la nullité du contrat de vente invoquée par la société Homyz studio, étant souligné qu’en tout état de cause le juge n’est pas saisi de cette question en l’absence de demande à cette fin dans le dispositif de ses écritures en application de l’article 768 du code de procédure civile. En tout état de cause, la nullité du contrat alléguée par la société Homyz studio, si tant est qu’elle soit établie, est sans influence sur la validité de la clause attributive de juridiction en vertu du principe d’autonomie de la clause prévu à l’article 25 §5) du Règlement Bruxelles I bis.
Il résulte de ce qui précède que la clause de compétence invoquée par la société Ago doit être regardée comme valide, ce qui crée une compétence exclusive au profit du tribunal de Venise, le principe d’une bonne administration de la justice et de l’indivisibilité entre la demande originaire et la demande en garantie incidente étant inefficaces à écarter l’application de cette clause.
En conséquence, le tribunal judiciaire de Paris est incompétent pour statuer sur l’assignation en intervention forcée de la société Ago et il y a lieu de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Parties perdantes au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la société Homyz studio ainsi que Madame [J] [R] et les sociétés [R] [R] & [R] et la société MWP seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu’à payer à la société Homyz studio la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le juge de la mise en état,
Dit le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître de la demande de garantie formée par la société Homyz studio contre la société Ago;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Rejette le surplus des demandes
Condamne Madame [J] [R] et les sociétés [R] [R] & [R] et la société MWP ainsi que la société Homyz studio in solidum à verser à la société Ago la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame [J] [R] et les sociétés [R] [R] & [R] et la société MWP ainsi que la société Homyz studio aux dépens.
Faite et rendue à Paris le 11 septembre 2024
La greffière Le juge de la mise en état
Lorine Mille Anne Boutron