Justification de la prolongation de la rétention administrative pour menace à l’ordre public

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Justification de la prolongation de la rétention administrative pour menace à l’ordre public

Résumé de l’affaire

M. [V], de nationalité libyenne, a été placé en rétention administrative en vue de son éloignement du territoire français. Le juge des libertés et de la détention a ordonné à deux reprises la prolongation de sa rétention, décisions confirmées par la cour d’appel de Douai. Le préfet a ensuite demandé une troisième prolongation de quinze jours, contre laquelle M. [V] a fait appel en soutenant que cette prolongation ne respectait pas les critères légaux.

L’essentiel

Motifs de la décision

Sur la situation générale de l’appelant

A titre liminaire, il est relevé que les diligences ont été parfaitement accomplies. M. [V] étant dépourvu de passeport, les autorités libyennes ont été saisies d’une demande de laissez-passer consulaire le 18 mars 2024 avec relances les 02 avril, 15 mai, 24 mai, 10 juin, 21 juin, 04 juillet et 15 juillet 2024. En parallèle, une demande de laissez-passer a été transmise aux autorités consulaires marocaines le 18 mars 2024, aux autorités algériennes le 24 mai 2024 et aux autorités tunisiennes le 02 avril 2024 avec pour toutes ces demandes, plusieurs relances.

Un relevé d’empreintes a été effectué le 22 juillet 2024 après des refus de l’intéressé en date du 30 mai, 07 juin et 20 juin 2024. L’autorité administrative n’ayant aucun pouvoir d’injonction à l’égard des autorités consulaires, elle est en attente d’une réponse de la part des différentes autorités saisies.

L’appelant indique ne pas disposer de ressources pour financer un voyage retour vers son pays d’origine, et que les amis qui pourraient l’héberger (à [Localité 2], en Italie ou en Espagne où il a travaillé dans l’agriculture) sont également en situation irrégulière, de sorte qu’il ne sait pas combien de temps ils vont rester.

Sur la légalité de la prorogation

L’article L.742-5 1° du CESEDA dispose que :

« A titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours ».

En vertu de cet article, trois critères alternatifs peuvent justifier une prolongation exceptionnelle de quinze jours. Néanmoins, il appartient à l’administration de démontrer qu’au moins un de ces critères est satisfait.

Il convient de rappeler que lorsque la procédure se situe dans le cadre des articles précités et concerne une demande de troisième ou de quatrième prorogation exceptionnelle du placement en rétention administrative :

Il n’existe aucune obligation de justification d’une arrivée ‘bref délai’ des documents et titres en attente pour exécuter l’éloignement dès lors que l’étranger a fait obstruction à la mesure d’éloignement, dans les 15 jours précédents la demande, notamment par des demandes dilatoires d’asile ou de protection.

En revanche, lorsqu’aucune obstruction ne peut être invoquée à l’encontre de l’étranger, une troisième prorogation exceptionnelle du placement en rétention administrative ne peut être ordonnée que si l’administration française est en mesure de justifier que les obstacles administratifs la mise en ‘uvre de l’éloignement peuvent être levés ‘ bref délai ‘.

Le texte n’exige pas, pour la troisième prolongation, que la circonstance prévue par son septième aliéna corresponde des faits commis dans les 15 derniers jours de la période précédente.

En l’espèce, la troisième prolongation a été ordonnée par le juge des libertés et de la détention au regard de la menace à l’ordre public que constitue l’intéressé compte tenu de sa condamnation par jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Valenciennes le 1er mars 2024 à une peine de 4 mois d’emprisonnement pour des faits de refus par conducteur de déférer aux injonctions d’un agent des douanes, détention de tabac sans document justificatif régulier et détention de marchandise dangereuse pour la santé publique.

En outre, il sera relevé que l’article précité n’impose pas à l’administration de caractériser la menace à l’ordre public par des faits intervenus dans les quinze derniers jours, le texte faisant mention à la survenance de la circonstance mentionnée au septième alinéa survenant dans les quinze derniers jours. La menace, à la différence de l’obstruction, est une situation qui peut se fonder sur des actes antérieurs, aux fins d’apprécier le risque de dangerosité future. La recherche porte sur la réalité de la menace pour l’avenir.

Cette précédente condamnation récente constitue une menace pour l’ordre public justifiant à elle seule la prolongation de la rétention de l’intéressé.

En conséquence, la troisième prolongation de la rétention administrative de M. [P] [O] [V] pour menace à l’ordre public est justifiée et il convient d’y faire droit.

La décision entreprise sera confirmée.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

26 juillet 2024
Cour d’appel de Douai
RG
24/01504
COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre des Libertés Individuelles

N° RG 24/01504 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VWGT

N° de Minute : 1470

Ordonnance du vendredi 26 juillet 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

APPELANT

M. [P] [O] [V]

né le 12 Juin 2005 à [Localité 3]

de nationalité Libyenne

dûment avisé, comparant en personne

assisté de Me Justine DUVAL, avocat au barreau de DOUAI, avocat commis d’office et de M. [Y] interprète assermenté en langue arabe, tout au long de la procédure devant la cour, serment préalablement prêté ce jour

INTIMÉ

M. LE PREFET DU NORD

dûment avisé, absent non représenté

PARTIE JOINTE

M. le procureur général près la cour d’appel de Douai : non comparant

MAGISTRATE DELEGUEE : Camille COLONNA, conseillère à la cour d’appel de Douai désignée par ordonnance pour remplacer le premier président empêché, assisté de Gaëlle LEMAITRE, greffière

DÉBATS : à l’audience publique du vendredi 26 juillet 2024 à 09 h 00

ORDONNANCE : prononcée publiquement à Douai le vendredi 26 juillet 2024 à

Le premier président ou son délégué,

Vu les articles L.740-1 à L.744-17 et R.740-1 à R.744-47 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et spécialement les articles L 743-21, L 743-23, R 743-10, R 743-11, R 743-18 et R 743-19 ;

Vu l’ordonnance rendue le 24 juillet 2024 notifiée à 16h15 par le Juge des libertés et de la détention de LILLE prolongeant la rétention administrative de M. [P] [O] [V] ;

Vu l’appel interjeté par M. [P] [O] [V], ou son Conseil, par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel de ce siège le 25 juillet 2024 à 15h06 ;

Vu l’audition des parties, les moyens de la déclaration d’appel et les débats de l’audience ;

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [O] [V] né le 12 juin 2005 à [Localité 3] (LIBYE), de nationalité libyenne a fait l’objet d’un placement en rétention administrative ordonné par M. Le préfet du Nord le 25 mai 2024 à 11h00 pour l’exécution d’un éloignement au titre d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français délivrée le 20 septembre 2023 par la même autorité.

Par décision rendue le 26 mai 2024, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention administrative de M. [V] pour une durée maximale de vingt-huit jours.

 

Par décision rendue le 24 juin 2024, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention administrative de M. [V] pour une durée maximale de trente jours, décision confirmée par la cour d’appel de Douai le 26 juin 2024. 

 

Par requête du 23 juillet 2024, le Préfet a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention pour une durée supplémentaire de quinze jours.

– Vu l’article 455 du code de procédure civile,

– Vu l’ordonnance du  juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lille en date du 24 juillet 2024 notifié à 16h15,ordonnant la troisième prolongation du placement en rétention administrative de l’appelant pour une durée de 15 jours,

– Vu la déclaration d’appel du 25 juillet 2024  à 15h06 sollicitant la main-levée du placement en rétention administrative.

Au soutien de sa déclaration d’appel, l’appelant soutient que la prorogation de la rétention ne répond pas aux critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

Sur la situation générale de l’appelant

A titre liminaire, il est relevé que les diligences ont été parfaitement accomplies. M. [V] étant dépourvu de passeport, les autorités libyennes ont été saisies d’une demande de laissez-passer consulaire le 18 mars 2024 avec relances les 02 avril, 15 mai, 24 mai, 10 juin, 21 juin, 04 juillet et 15 juillet 2024. En parallèle, une demande de laissez-passer a été transmise aux autorités consulaires marocaines le 18 mars 2024, aux autorités algériennes le 24 mai 2024 et aux autorités tunisiennes le 02 avril 2024 avec pour toutes ces demandes, plusieurs relances.

Un relevé d’empreintes a été effectué le 22 juillet 2024 après des refus de l’intéressé en date du 30 mai, 07 juin et 20 juin 2024. L’autorité administrative n’ayant aucun pouvoir d’injonction à l’égard des autorités consulaires, elle est en attente d’une réponse de la part des différentes autorités saisies.

L’appelant indique ne pas disposer de ressources pour financer un voyage retour vers son pays d’origine, et que les amis qui pourraient l’héberger (à [Localité 2], en Italie ou en Espagne où il a travaillé dans l’agriculture) sont également en situation irrégulière, de sorte qu’il ne sait pas combien de temps ils vont rester.

Sur la légalité de la prorogation

 

L’article L.742-5 1° du CESEDA dispose que :

« A titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours ».

 

En vertu de cet article, trois critères alternatifs peuvent justifier une prolongation exceptionnelle de quinze jours. Néanmoins, il appartient à l’administration de démontrer qu’au moins un de ces critères est satisfait.

Il convient de rappeler que lorsque la procédure se situe dans le cadre des articles précités et concerne une demande de troisième ou de quatrième prorogation exceptionnelle du placement en rétention administrative :

Il n’existe aucune obligation de justification d’une arrivée   ‘bref délai’ des documents et titres en attente pour exécuter l’éloignement dès lors que l’étranger a fait obstruction à la mesure d’éloignement, dans les 15 jours précédents la demande, notamment par des demandes dilatoires d’asile ou de protection.

‘ En revanche, lorsqu’aucune obstruction ne peut être invoquée à l’encontre de l’étranger, une troisième prorogation exceptionnelle du placement en rétention administrative ne peut être ordonnée que si l’administration française est en mesure de justifier que les obstacles administratifs la mise en ‘uvre de l’éloignement peuvent être levés ‘ bref délai ‘.

Le texte n’exige pas, pour la troisième prolongation, que la circonstance prévue par son septième aliéna corresponde des faits commis dans les 15 derniers jours de la période précédente.

 

En l’espèce, la troisième prolongation a été ordonnée par le juge des libertés et de la détention au regard de la menace à l’ordre public que constitue l’intéressé compte tenu de sa condamnation par jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Valenciennes le 1er mars 2024 à une peine de 4 mois d’emprisonnement pour des faits de refus par conducteur de déférer aux injonctions d’un agent des douanes, détention de tabac sans document justificatif régulier et détention de marchandise dangereuse pour la santé publique.

En outre, il sera relevé que l’article précité n’impose pas à l’administration de caractériser la menace à l’ordre public par des faits intervenus dans les quinze derniers jours, le texte faisant mention à la survenance de la circonstance mentionnée au septième alinéa survenant dans les quinze derniers jours. La menace, à la différence de l’obstruction, est une situation qui peut se fonder sur des actes antérieurs, aux fins d’apprécier le risque de dangerosité future. La recherche porte sur la réalité de la menace pour l’avenir.

Cette précédente condamnation récente constitue une menace pour l’ordre public justifiant à elle seule la prolongation de la rétention de l’intéressé.

En conséquence, la troisième prolongation de la rétention administrative de M. [P] [O] [V] pour menace à l’ordre public est justifiée et il convient d’y faire droit.

La décision entreprise sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE l’appel recevable ;

 

CONFIRME l’ordonnance entreprise.

DIT que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public par les soins du greffe ;

DIT que la présente ordonnance sera notifiée dans les meilleurs délais à M. [P] [O] [V] par l’intermédiaire du greffe du centre de rétention administrative par truchement d’un interprète en tant que de besoin, à son conseil et à l’autorité administrative ;

LAISSE les dépens à la charge de l’État.

Gaëlle LEMAITRE,

greffière

Camille COLONNA, conseillère

N° RG 24/01504 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VWGT

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE 1470 DU 26 Juillet 2024 ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS (à retourner signé par l’intéressé au greffe de la cour d’appel de Douai par courriel – [Courriel 1]) :

Vu les articles 612 et suivants du Code de procédure civile et R. 743-20 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Pour information :

L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Reçu copie et pris connaissance le 26 juillet 2024

– M. [P] [O] [V]

– interprète :

– décision transmise par courriel au centre de rétention de pour notification à M. [P] [O] [V] le vendredi 26 juillet 2024

– décision transmise par courriel pour notification à M. LE PREFET DU NORD et à Maître Justine DUVAL le vendredi 26 juillet 2024

– décision communiquée au tribunal administratif de Lille

– décision communiquée à M. le procureur général

– copie au Juge des libertés et de la détention de LILLE

Le greffier, le vendredi 26 juillet 2024

N° RG 24/01504 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VWGT


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