Journalisation des adresses IP : un traitement de données personnelles

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Journalisation des adresses IP : un traitement de données personnelles

Adresses IP dans les ordonnances sur requête

Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de parties adverses.

Faire état d’intrusions d’origine inconnue dans son réseau informatique interne par utilisation frauduleuse de codes administrateurs, et requérir une mesure (une ordonnance sur requête) aux fins d’identifier les auteurs de la fraude et les personnes qui s’en sont rendues complices, avec un listing d’adresses IP est une option mais attention à respecter le délai de conservation des adresses IP.

Durée de conservation des adresses IP

En effet, un fichier rassemblant des adresses IP dont copie est fournie dans le corps de la requête peut constituer un acte illicite (collecte non autorisée de données personnelles) si la durée de conservation de ces adresses IP excède les seuils réglementaires.   

Il ressort des législations et jurisprudences nationales et européennes que les adresses IP, qu’elles soient fixes ou dynamiques, doivent être considérées comme des données à caractère personnel puisque, de manière indirecte, elles peuvent donner lieu à l’identification de leur utilisateur, personne physique. Les moyens technologiques modernes facilitent cette identification notamment par les fournisseurs d’accès.

La CNIL reconnaît le droit de tenir un fichier de journalisation des connexions destinés à identifier et enregistrer toutes les connexions ou tentatives de connexion à un système automatisé d’informations, ce qui est vu comme une mesure de sécurité. Toutefois, la durée de conservation de ces données ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.  

En l’occurrence, la durée de conservation par les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft des données IP présentait un caractère illicite car allant au-delà d’un délai de six mois. Le fichier en question comportait des traces de connexion, le mot de passe et l’adresse IP associée depuis plus de 10 ans.

Ordonnance sur requête illicite

Y compris pour le fournisseur d’accès et d’hébergeur pour les extranets, l’article 3 du décret d’application n°2011-219 du 25 février 2011 relatif à la conservation et à la communication des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne prescrit la conservation des données pendant une année.

Compte-tenu de la date de la requête, soit le 18 janvier 2013, la détention de l’historique des connexions du 18 mai 2010 au 17 janvier 2012 contrevient à la durée de conservation prescrite par les dispositions réglementaires. D’autre part, ces dispositions n’autorisent pas la société C-Invest à contrevenir aux règles relatives à l’obligation de déclaration auprès de la CNIL lorsque cette obligation s’impose.

La collecte des adresses IP constitue un traitement de données à caractère personnel, lequel ne pouvait intervenir sans l’autorisation préalable de la CNIL et ce, nonobstant le caractère frauduleux des connexions en cause. Il n’est pas contesté en l’espèce que cette autorisation n’avait pas été sollicitée.

En conséquence, l’ordonnance entreprise autorisant l’identification des adresses IP a été rétractée et, par voie de conséquence, les éléments d’information obtenus des fournisseurs d’accès internet en exécution de cette ordonnance ont été déclarés illicites.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL D’ANGERS

CHAMBRE A – COMMERCIALE

ARRÊT DU 15 JUIN 2021

AFFAIRE N° RG 16/03170 –��N° Portalis DBVP-V-B7A-EAYQ

Ordonnance du 01 Juillet 2014 du Tribunal de Commerce de NANTES

n° d’inscription au RG de première instance : 2014/04304

Arrêt de la Cour d’Appel de RENNES du 28 avril 2015

Arrêt de la Cour de Cassation du 3 novembre 2016

APPELANTE, DEMANDERESSE AU RENVOI :

LA SOCIETE PETERSON anciennement dénommée SARL CABINET PETERSON prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Benoit GEORGE substitué par Me Inès RUBINEL de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 161567, et Me François THOMAS-BELLIARD, avocat plaidant au barreau de RENNES

INTIMEES, DEFENDERESSES AU RENVOI :

SARL C INVEST agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

SARL EUROPEAN SOFT agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

SAS GROUPE LOGISNEUF agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège Parignac

[…]

Représentées par Me Philippe LANGLOIS substitué par Me Vincent JAMOTEAU de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71140073

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 13 Octobre 2020 à 14 H 00, M. LENOIR, Conseiller ayant été préalablement entendu en son rapport, devant la Cour composée de :

Mme Z, Présidente de chambre

Mme ROBVEILLE, Conseiller

M. LENOIR, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme X

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 15 juin 2021 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine Z, Présidente de chambre, et par Sophie X, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

[…]

FAITS ET PROCÉDURE

Le groupe Logisneuf est constitué de trois sociétés exerçant leurs activités à travers la commercialisation de biens immobiliers neufs sur internet, à savoir :

— la SARL Groupe Logisneuf, société holding ;

— la SARL YInvest, société qui exerce une activité d’agent immobilier et anime un réseau d’agents commerciaux indépendants qui traitent les demandes provenant du site internet ‘Logineuf.com’ et utilisent l’extranet du groupe nommé ‘Logisneufs Privilièges’ sur lequel figurent les biens à vendre ;

— la SARL European Soft, société de service informatique qui assure le développement logiciel et la maintenance technique au bénéfice du groupe à la fois en interne mais également comme prestataire informatique pour des sociétés externes pour lesquelles elle développe des sites internet et systèmes extranet pour la gestion et la présentation de stocks immobiliers via internet.

La SAS Peterson, anciennement dénommée SARL Cabinet Peterson, exerce principalement une activité de transactions sur immeubles et fonds de commerce, promotion immobilière, représentation commerciale de tous produits, conseils en stratégie patrimoniale, formation et toutes activités similaires ou connexes.

Ces sociétés agissent ainsi sur le même marché.

Après avoir été licenciés par des sociétés du groupe Logisneuf ou en avoir démissionné, plusieurs salariés ont rejoint la société Cabinet Peterson.

Le 3 janvier 2013, à la suite d’un contrôle de sécurité, le web master de la société European Soft constatait de nombreuses connexions sur le réseau informatique interne (site extranet ‘Logisneuf Privilèges’) à partir d’ordinateurs extérieurs à l’entreprise, au moyen d’un usage frauduleux de codes d’accès réservés aux administrateurs du site.

Au vu de ces intrusions et se prévalant d’une baisse significative de son activité en 2012, les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft déposaient, le 18 janvier 2013, une requête auprès du président du tribunal de commerce de Nantes afin que les fournisseurs d’accès internet Orange France, Bouygues Télécom France, SFR et Completel soient enjoints de communiquer aux sociétés demanderesses, dans les 48 heures de la signification de l’ordonnance à intervenir, l’identité des titulaires des adresses IP ayant permis les différentes connexions illégales, listées.

Le président du tribunal de commerce de Nantes faisait droit à cette requête par ordonnance du 18 janvier 2013.

Le 24 avril 2014, la SARL Cabinet Peterson, devenue SAS Peterson, assignait les sociétés Logisneuf, C-Invest et European Soft devant le président du tribunal de commerce de Nantes aux fins de rétracter l’ordonnance précitée, de leur interdire de produire ou utiliser les éléments en cause, et d’ordonner la remise de la copie exécutoire de l’ordonnance crtiquée sous astreinte.

En réponse, les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft concluaient principalement au maintien de l’ordonnance attaquée.

Par ordonnance du 1er juillet 2014, le président du tribunal de commerce de Nantes :

— déboutait la SARL Cabinet Peterson de ses demandes, fins et conclusions ;

— confirmait et maintenait en tous points l’ordonnance du 18 janvier 2013 ;

— condamnait la SARL Cabinet Peterson à payer à la société Groupe Logisneuf, tant pour elle-même que pour le compte de ses deux filiales, la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamnait la SARL Cabinet Peterson aux entiers dépens dont les frais de greffe.

La SARL Cabinet Peterson interjetait appel de cette décision.

Par arrêt rendu le 28 avril 2015, la Cour d’appel de Rennes :

— confirmait l’ordonnance attaquée dans toutes ses dispositions ;

— condamnait la SARL Cabinet Peterson à payer aux intimées une somme totale de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d’appel recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, l’arrêt retenait notamment que l’adresse IP, constituée d’une série de chiffres, se rapportait à un ordinateur et non à l’utilisateur, et ne constituait pas, dès lors, une donnée même indirectement nominative. Il en déduisait que le fait de conserver les adresses IP des ordinateurs ayant été utilisés pour se connecter, sans autorisation, sur le réseau informatique de l’entreprise, ne constituait pas un traitement de données à caractère personnel.

La SARL Cabinet Peterson formait un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par déclaration reçue au greffe le 21 décembre 2016, la SAS Peterson a saisi la Cour d’appel d’Angers, désignée Par arrêt du 3 novembre 2016, la première Chambre civile de la Cour de cassation cassait et annulait, en toutes ses dispositions, l’arrêt précité, au visa des articles 2 et 22 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978, au motif que ‘les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, de sorte que leur collecte constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL’. comme cour de renvoi, en intimant les sociétés Logisneuf, C-Invest et European Soft.

La SAS Peterson, d’une part, et la SARL Logisneuf, la SARL C-Invest et la SARL European Soft, d’autre part, ont conclu.

L’affaire a été débattue à l’audience du 3 juillet 2018 et mise en délibéré qui s’est trouvé prorogé à plusieurs reprises. Par arrêt avant dire droit du 17 décembre 2019, la Cour d’appel d’Angers, précisant ne pas avoir été en mesure de délibérer dans la composition qui était la sienne lors des débats, a ordonné la réouverture des débats, renvoyant successivement l’affaire jusqu’à l’audience du 13 octobre 2020.

Dans ses dernières conclusions remises le 29 janvier 2018, la SAS Peterson demande à la Cour, de :

— infirmer la décision entreprise ;

— rétracter l’ordonnance rendue sur requête le 18 janvier 2013 ;

— annuler l’ensemble des éléments procédant de la notification de l’ordonnance rendue sur requête et notamment les réponses apportées par les fournisseurs d’accès ;

— ordonner la remise de la copie exécutoire de l’ordonnance ainsi que de l’ensemble des éléments récoltés sur la base de ladite ordonnance en original et copie, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 3e jour suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, étant précisé que, passé le délai de trois mois l’astreinte définitive pourra être requise ;

— interdire aux sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft de produire ou utiliser les éléments en cause sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée ;

— débouter les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

à titre infiniment subsidiaire,

— réduire en de notables proportions les sommes allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;

en tout état de cause,

— condamner in solidum les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft à lui verser la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel exposés tant devant la cour d’appel de Rennes que devant la cour de céans, et dire qu’ils seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions remises le 23 janvier 2018, les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft demandent à la Cour de :

— dire la SAS Peterson non fondée en son appel, ainsi qu’en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; l’en débouter,

— confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

— condamner la SAS Peterson à leur verser la somme de 9 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, et rejetant toutes prétentions contraires comme non recevable, en tout cas non fondées,

— condamner la SAS Peterson aux dépens de première instance et d’appel, lesquels seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale

Sur l’incompétence du juge des requêtes du tribunal de commerce

Les mesures prévues aux articles 812 alinéa 2 et 875 du code de procédure civile relèvent des pouvoirs conférés respectivement au président de tribunal de grande instance et au président du tribunal de commerce, ce dernier, dans la limite des compétences de cette juridiction.

La société Peterson soutient que la demande tendant à l’obtention de données IP, qui sont des données à caractère personnel dont le traitement administratif et judiciaire est soumis à des garanties extrêmement strictes, relève de la protection de la vie privée et, par suite, de la compétence exclusive du juge du tribunal de grande instance et que cette compétence doit être d’autant plus retenue que la requête comporte des allégations d’atteinte aux droits d’auteur ainsi qu’une contrefaçon de base de données.

Les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft contestent cette analyse en considérant que l’adresse IP ne permet pas d’identifier directement une personne physique et soutiennent que le litige est de nature commerciale, la mesure sollicitée n’ayant pas vocation à identifier des personnes physiques, bénéficiant des dispositions protectrices de la loi du 6 janvier 1978, mais d’obtenir des éléments dans le cadre de soupçons d’actes de concurrence déloyale à leur détriment.

Mais la cour d’appel, saisie du litige par l’effet dévolutif de l’appel et investie de la plénitude de juridiction, connaît des appels des décisions rendues tant par le président du tribunal de commerce que le président du tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire, de sorte qu’il est indifférent pour la solution du litige de déterminer s’il relevait initialement de la compétence de l’une ou l’autre de ces juridictions.

Sur l’absence de motivation de la requête et la violation du principe du contradictoire

Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de parties adverses.

La société Peterson soutient que l’ordonnance sur requête doit être rétractée au motif qu’elle ne caractérise pas les circonstances justifiant une dérogation au principe du contradictoire et ne vise aucun texte, en méconnaissance des dispositions de l’article 493 du code de procédure civile. Elle fait valoir que la requête faisait fréquemment référence à la société Peterson, dont l’adresse IP était connue, et qu’aucune urgence particulière ne légitimait le recours à cette procédure dérogatoire, les données recherchées se trouvant en possession des fournisseurs d’accès et ne pouvant être piratées ou altérées.

Toutefois, dans leur requête, les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft faisaient état d’intrusions d’origine inconnue dans leur réseau informatique interne par utilisation frauduleuse de codes administrateurs, et requeraient la mesure aux fins d’identifier les auteurs de la fraude et les personnes qui s’en sont rendues complices, justifiant ainsi de déroger au principe du contradictoire.

L’ordonnance critiquée a été rendue au visa de la requête, ce qui vaut adoption des motifs de celle-ci. L’ordonnance répond ainsi aux exigences de l’article 495 du code de procédure civile.

S’il est constant que cette requête se réfère expressément à la société Perterson, puisque des adresses IP apparaissaient liées directement ou indirectement à cette société, l’absence d’identification certaine du ou des auteurs des intrusions ne permettait pas la mise en oeuvre d’une procédure contradictoire. Le recours à une procédure non contradictoire, conformément aux dispositions de l’article 493 du code de procédure civile, était donc justifié.

Les moyens soulevés par la société Peterson seront ainsi rejetés.

Sur la légalité du traitement des données IP

La société Peterson fait valoir que le fichier rassemblant les adresses IP dont copie a été fournie dans le corps de la requête constitue un acte illicite qui vicie nécessairement la demande présentée par les sociétés requérantes puisqu’il ne saurait exister de motifs légitimes à une demande de mesure portant sur l’exploitation d’un fichier non déclaré à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL).

Elle expose que, pendant plusieurs années, les sociétés intimées ont collecté des informations à caractère nominatif, en l’occurrence des adresses IP, qu’elles ont spécifiquement corrélé dans le cadre du traitement non automatisé des données en question avec des mots de passe et autres éléments nominatifs et ce, afin de les rapprocher de la société Cabinet Peterson, de sorte qu’il s’agit bien là d’un traitement de données à caractère personnel qui aurait dû donner lieu à déclaration à la CNIL.

L’article 2 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dispose que :

«La présente loi s’applique aux traitements automatisés de données à caractère personnel, ainsi qu’aux traitements non automatisés de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans des fichiers, à l’exception des traitements mis en ‘uvre pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles, lorsque leur responsable remplit les conditions prévues à l’article 5. Constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres. Pour déterminer si une personne est identifiable, il convient de considérer l’ensemble des moyens en vue de permettre son identification dont dispose ou auxquels peut avoir accès le responsable du traitement ou toute autre personne.

Constitue un traitement de données à caractère personnel toute opération ou tout ensemble d’opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction.

Constitue un fichier de données à caractère personnel tout ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés.

La personne concernée par un traitement de données à caractère personnel est celle à laquelle se rapportent les données qui font l’objet du traitement.»

Selon l’article 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, les traitements automatisés de données à caractère personnel font l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL.

Les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft soutiennent qu’une adresse IP, qui correspond au numéro d’un poste informatique et ne permet pas d’identifier directement une personne physique, ne constitue pas une donnée à caractère personnel. Elles soulignent que, dans le cas présent, la société Peterson sera la première identifiée et que les démarches pour parvenir à accéder aux informations se sont avérées particulièrement complexes, voire impossibles au regard de la position adoptée par les fournisseurs d’accès à Internet. Elle fait valoir que, conformément à la décision de la CJUE du 19 octobre 2016, la qualification de données à caractère personnel n’a pas à être retenue en l’espèce dans la mesure où, à l’analyse de critères objectifs (coût d’accès à la justice, probabilité à ce que le juge fasse droit à la requête, probabilité à ce que le FAI défère à l’ordonnance du juge, coût des démarches facturées par les FAI, la capacité de déduire d’autres informations à partir des données collectées et enfin le temps d’y accéder dans la mesure où les données ne sont conservées qu’un an), la difficulté à accéder auxdites informations est parfaitement établie, rendant insignifiant le «risque» d’identification. Elles en concluent qu’il est faux d’affirmer que les adresses IP constituent des moyens certains d’identifier des individus, d’autant moins que l’adresse IP n’établit pas, à elle seule, la correspondance avec un internaute.

Toutefois, il ressort des législations et jurisprudences nationales et européennes que les adresses IP, qu’elles soient fixes ou dynamiques, doivent être considérées comme des données à caractère personnel puisque, de manière indirecte, elles peuvent donner lieu à l’identification de leur utilisateur, personne physique. Les moyens technologiques modernes facilitent cette identification notamment par les fournisseurs d’accès, sans que les difficultés avancées par les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft n’apparaissent d’une complexité et d’un coût disproportionnés.

Les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft font valoir que, même à considérer que les adresses IP pourraient être qualifiées de données à caractère personnel, encore faudrait-il que leur traitement soit illicite, ce qu’elles contestent en invoquant le droit reconnu par la CNIL de tenir un fichier de journalisation des connexions destinés à identifier et enregistrer toutes les connexions ou tentatives de connexion à un système automatisé d’informations, ce qui est vu comme une mesure de sécurité.

La société Peterson répond, à juste titre, que la durée de conservation par les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft des données IP présente un caractère illicite en soulignant que la CNIL ne valide pas le recours, pour le fonctionnement interne aux sociétés, au système de journalisation des activités des utilisateurs dont l’historique excède six mois. Or, en l’espèce, le fichier en question comporte des traces de connexion, le mot de passe et l’adresse IP associée depuis 2011 et sur bien plus d’un an.

La société European Soft ajoute qu’en qualité de fournisseur d’accès et d’hébergeur pour les extranets

de la société C-Invest, elle était tenue de conserver les données de connexion, lesquelles incluent les adresses IP, en application des dispositions de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, pour en déduire que la société C-Invest était bien fondée à collecter les adresses IP litigieuses.

Mais, d’une part, l’article 3 du décret d’application n°2011-219 du 25 février 2011 relatif à la conservation et à la communication des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne prescrit la conservation des données pendant une année. Compte-tenu de la date de la requête, soit le 18 janvier 2013, la détention de l’historique des connexions du 18 mai 2010 au 17 janvier 2012 contrevient à la durée de conservation prescrite par les dispositions réglementaires. D’autre part, ces dispositions n’autorisent pas la société C-Invest à contrevenir aux règles relatives à l’obligation de déclaration auprès de la CNIL lorsque cette obligation s’impose.

Enfin, les sociétés Groupe Logisneuf, C-Invest et European Soft soutiennent que les adresses IP pouvaient être collectées car seuls les employés étaient autorisés à se connecter sur le site extranet de LOGISNEUF et le traitement de ces adresses était parfaitement justifié par l’existence de man’uvres frauduleuses tendant à la connexion à un intranet privé, à la contrefaçon d’une base de données ainsi qu’à la concurrence déloyale du groupe Logisneuf. Elles invoquent également la liberté de la preuve qui régit la matière commerciale.

Toutefois la collecte des adresses IP constitue un traitement de données à caractère personnel, lequel ne pouvait intervenir sans l’autorisation préalable de la CNIL et ce, nonobstant le caractère frauduleux des connexions en cause. Il n’est pas contesté en l’espèce que cette autorisation n’avait pas été sollicitée.

En conséquence, l’ordonnance entreprise sera infirmée, l’ordonnance du 18 janvier 2013 sera rétractée et, par voie de conséquence, les éléments d’information obtenus des fournisseurs d’accès internet en exécution de cette ordonnance seront déclarés illicites.

Les demandes de la société Peterson tendant à la remise de la copie exécutoire de l’ordonnance en cause et à l’interdiction d’utilisation des «éléments en cause», lesquels ne sont pas précisément déterminés, ne sont pas fondées, du moins en ce qu’ils concerneraient des éléments autres que les éléments d’information obtenus des fournisseurs d’accès internet en exécution de l’ordonnance du 18 janvier 2013, et seront donc rejetées.

Sur les demandes accessoires

Les sociétés Groupe Logisneuf, YInvest et European Soft, succombant, seront condamnées in soldium aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande que la société Peterson conserve à sa charge ses frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

Infirme l’ordonnance du 1er juillet 2014 ;

Statuant à nouveau,

Rétracte l’ordonnance du 18 janvier 2013 et, par voie de conséquence, dit que les éléments d’informations obtenus des fournisseurs d’accès internet en exécution de cette ordonnance ne peuvent valoir élément de preuve ;

Rejette les autres demandes de la société Peterson tendant à la remise de la copie exécutoire de l’ordonnance annulée et à l’interdiction d’utilisation des ‘éléments en cause’ par les sociétés Groupe Logisneuf, YInvest et European Soft ;

Condamne in solidum les sociétés Groupe Logisneuf, YInvest et European Soft aux dépens de première instance et d’appel ;

Rejette les demandes présentées par la société Peterson et par les sociétés Groupe Logisneuf, YInvest et European Soft sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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