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3 octobre 2023
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
22/01759
ARRET
N°
[F]
C/
S.A. FRANCAISE DES JEUX
MS/VB
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU TROIS OCTOBRE
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/01759 – N° Portalis DBV4-V-B7G-INCQ
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS DU TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT DEUX
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [V] [F]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Paul SOUBEIGA, avocat au barreau d’AMIENS
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/001411 du 10/03/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle d’AMIENS)
APPELANT
ET
S.A. FRANCAISE DES JEUX SA à conseil d’administration au capital social de 76.400.000 euros, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 315 065 292, agissant poursuites et diligences de ses Président et Administrateurs domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Xavier PERES de la SELARL MAESTRO AVOCATS, avocat au barreau d’AMIENS
Plaidant par Me Vanessa BENICHOU du Cabinet KING & SPALDING INTERNATIONAL LLP, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
DEBATS :
A l’audience publique du 27 juin 2023, l’affaire est venue devant Mme Myriam SEGOND, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 03 octobre 2023.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Pascal BRILLET, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L’ARRET :
Le 03 octobre 2023, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
*
* *
DECISION :
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Se plaignant de l’absence de caractère aléatoire du jeu ‘Le millionnaire’, dont il alléguait avoir acquis deux tickets en 2013 et 2015, M. [F] a, par acte du 9 avril 2015, assigné la société Française des jeux (la société FDJ) devant le tribunal de grande instance de Beauvais aux fins d’indemnisation sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Un jugement du 23 novembre 2020 a déclaré irrecevable son action au titre du tirage du jeu ‘Le millionnaire’ du 12 février 2013 et invité les parties à présenter leurs observations sur l’éventuelle irrecevabilité de l’action au titre d’autres tirages du jeu ‘Le millionnaire’ en 2015 pour défaut de qualité à agir.
Par le jugement dont appel, du 31 janvier 2022, le tribunal judiciaire a :
– déclaré irrecevable l’action de M. [F] au titre du tirage ‘Le millionnaire’ en 2015 pour défaut de qualité à agir,
– rejeté la demande de dommages-intérêts de la société FDJ,
– condamné M. [F] aux dépens avec paiement direct au profit de Me Peres et à payer à la société FDJ la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 23 mars 2022, M. [F] a fait appel.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 mars 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 17 novembre 2022, M. [F] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement,
– à titre principal, de condamner la société FDJ à lui payer la somme de 2 000 000 euros à titre de dommages-intérêts,
– de condamner la société FDJ à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– à titre subsidiaire, d’ordonner une mesure d’expertise afin de vérifier le caractère aléatoire du jeu.
Il soutient que :
– son action est recevable en ce qu’il a qualité à agir, étant titulaire du ticket code 33962166513 émission n°2 du code jeu 554, acquis en 2015 et qu’aucun texte à l’époque de l’assignation en 2018 n’érigeait le défaut de tentative de règlement amiable en fin de non-recevoir,
– la société FDJ a méconnu les règles du jeu, mentionnées dans le règlement du 16 juillet 2012,
– plusieurs indices permettent de conclure que le jeu ‘Le millionnaire’, dans sa partie ‘tirage’, est dénué de caractère aléatoire : d’abord, si le jeu était vraiment aléatoire, chacun des 120 000 joueurs accédant au tirage spécial auraient une chance égale de gagner 1 000 000 euros et le jeu ne serait pas rentable pour la FDJ ; l’anticipation par la FDJ du montant des lots à redistribuer constitue un deuxième indice de l’absence de hasard ; le refus de communiquer la liste des gagnants est un troisième indice ; l’ancien directeur de la FDJ a lui-même contesté le caractère aléatoire des jeux de grattage,
– ce manquement contractuel lui a fait perdre une chance de gagner le jeu, qui doit être estimée à 2 000 000 euros.
Par conclusions du 27 février 2023, la société FDJ demande à la cour de :
– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages-intérêts,
– à titre subsidiaire, débouter M. [F],
– condamner M. [F] à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– condamner M. [F] aux dépens avec paiement direct au profit de Me Devraigne et à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle réplique que :
– l’action de M. [F] est irrecevable pour défaut de qualité à agir, le ticket produit ne permettant pas son identification, et pour défaut de mise en oeuvre de la procédure de conciliation obligatoire,
– elle a appliqué les règles prévues par le règlement particulier du jeu ‘Le millionnaire’ alors en vigueur : le caractère aléatoire de la répartition des lots entre les 120 000 joueurs accédant au tirage spécial est assuré par un générateur comportant 97 188 segments, dont un seul d’un montant de 1 000 000 euros, de sorte que la probabilité pour que les 120 000 joueurs gagnent 1 000 000 euros est inexistante ; l’anticipation du montant des lots à redistribuer ne contredit pas le caractère aléatoire du jeu, le hasard jouant au moment de l’impression du ticket ; l’anticipation de la part affectée aux gagnants est fondée sur un calcul de probabilités de gain et sur l’expérience statistique ; le montant total des lots de 21 590 320 euros est une valeur théorique correspondant à la moyenne arithmétique des lots accessibles lors du tirage ; si la machine est programmée pour distribuer un bloc de lots prédéfini, la répartition des lots est, elle, aléatoire,
– le montant du préjudice n’est pas justifié, la chance de gagner 2 000 000 euros n’étant pas sérieuse,
– les accusations téméraires et répétées de M. [F], constitutives d’un abus du droit d’agir en justice, lui ont causé un préjudice d’atteinte à son image et à sa réputation.
MOTIVATION
A titre liminaire, il sera indiqué que le jugement du 23 novembre 2020 ayant déclaré irrecevable l’action au titre du tirage du jeu ‘Le millionnaire’ du 12 février 2013 est devenu irrévocable, de sorte que la cour n’est pas saisie concernant ce tirage.
1. Sur les fins de non-recevoir
M. [F] produit l’original du ticket de jeu code 33962166513 émission n°2 du code jeu 554, acquis en 2015, le code jeu permettant son identification. M. [F] prouve donc qu’il a acquis le ticket, de sorte qu’il a qualité à agir en responsabilité contre la société FDJ du chef du tirage en résultant.
L’article 56 du code de procédure civile qui prévoit, dans sa version issue du décret n°2015-287 du 11 mars 2015, que sauf exception, l’assignation précise les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, ne prévoit pas de sanction à l’absence de mise en oeuvre de la procédure amiable préalable.
L’action de M. [F] est recevable. Le jugement est infirmé.
2. Sur le fond
Selon l’article 1134 devenu 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l’article 146 du code de procédure civile, une mesure d’instruction ne peut pas être ordonnée pour suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
Le règlement particulier du jeu de loterie instantanée de La Française des jeux dénommé ‘Millionnaire’ du 16 juillet 2012, alors applicable, prévoit que :
– chaque émission de tickets est répartie en blocs de 12 000 000 tickets (article 2),
– le tableau des lots est prédéfini, soit 2 lots de 1 000 000 euros, 2 lots de 100 000 euros, 2 lots de 50 000 euros, 42 lots de 5 000 euros, 2 900 lots de 1 000 euros, 8 000 lots de 500 euros, 120 000 lots de 179,92 euros, 150 000 lots de 60 euros, 1 610 000 lots de 20 euros et 1 200 000 lots de 10 euros (article 3),
– le jeu se divise en deux surfaces, une 1ère surface de jeu ‘Grattage’, non concernée par le présent litige, et une 2ème surface de jeu ‘Tirage’,
– l’article 4.3 dudit règlement décrit cette 2ème partie du jeu ‘Tirage’. Les joueurs ayant découvert, après grattage, 3 symboles identiques représentant un sac d’or, remportent le droit de participer à un tirage au sort appelé ‘Tirage spécial’, effectué au choix du joueur en point de vente ou sur internet. Cela concerne 120 000 joueurs sur le bloc des 12 000 000 tickets. Le tirage spécial permettant de déterminer le montant du lot s’effectue de manière aléatoire grâce à un générateur comportant 97 188 segments répartis dans la proportion de : 1 segment de 1 000 000 euros, 1 segment de 100 000 euros, 586 segments de 1 000 euros, 1 600 segments de 500 euros, 5 000 segments de 300 euros, 30 000 segments de 200 euros, 30 000 segments de 150 euros et 30 000 segments de 100 euros. La 2ème surface de jeu ne peut être gagnante que si la 1ère surface est perdante.
Il résulte de ce règlement que si le nombre et le montant des lots sont prédéterminés au sein d’un bloc de 12 000 000 tickets, l’attribution des lots aux gagnants reste déterminée par le hasard. S’agissant d’un jeu de grattage, l’intervention du hasard se fait au moment de l’impression du ticket. M. [F] ne démontre pas de manipulation de la part de la société FDJ pour exclure tout gain. Les anomalies relevées par celui-ci ne sont d’ailleurs pas pertinentes. L’argument relatif au risque financier pour la société FDJ est mathématiquement inexact. En effet, selon le mode de répartition des lots visée par le règlement, la probabilité de gagner 1 000 000 euros au tirage spécial est minime, soit 1/97 188. La probabilité que les 120 000 joueurs ou même 15 000 gagnent chacun cette somme est inexistante. La prétendue anomalie mathématique contenue à l’article 3 qui vise 120 000 lots de 179,92 euros constitue une moyenne des lots accessibles lors du tirage spécial définis à l’article 4.3, la somme finale de 21 590 320 euros correspondant à cette moyenne multipliée par 120 000 joueurs (179,92 x 120 000). Les autres éléments fournis, attestations ou articles de journaux, ne permettent pas de douter du caractère aléatoire de l’attribution des lots. Au regard de l’insuffisance de ces éléments, le refus de la société FDJ de produire la liste des gagnants est légitime, l’atteinte au droit au respect de la vie privée que cette production es susceptible d’entraîner étant disproprotionnée eu égard au droit à la preuve de M. [F]. De même, la mesure d’expertise sollicitée n’est pas justifiée.
M. [F] est débouté.
3. Sur la demande d’indemnisation de la société FDJ
Si l’argumentaire de M. [F] se fonde pour l’essentiel sur des allégations, la témérité de son action n’a pas causé de préjudice à la société FDJ, l’atteinte à l’image et à la réputation de cette société n’étant pas établie. Le jugement est confirmé.
4. Sur les frais du procès
La disposition du jugement relative aux dépens sera confirmée, celle relative aux frais irrépétibles infirmée.
Partie perdante, M. [F] sera condamné aux dépens d’appel et à payer à la société FDJ la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action de [V] [F] et l’a condamné au paiement d’un certain montant au titre des frais irrépétibles,
Déclare recevable la demande de [V] [F] et la rejette,
Condamne [V] [F] aux dépens d’appel avec paiement direct au profit de Me Devraigne,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne [V] [F] à payer à la société Française des jeux la somme de 2 000 euros.
LE GREFFIER LE PRESIDENT