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16 mars 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
22/02391
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 16/03/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/02391 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UI5X
Jugement n° 19/00001 rendu le 02 décembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
Ordonnance de jonction rendue le 10 septembre 2020 prononçant la jonction des procédures RG 20/00259 et RG 20/01708 sous le RG 20/00259 par le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Douai
Arrêt n° 22/01( RG 20/00259) rendu le 05 janvier 2022 par la cour d’appel de Douai
APPELANTE
Société CCC agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Delphine Chambon, avocat plaidant, substitué par Me Lucile Capellari, avocats au barreau de Lille
INTIMÉS
Monsieur [K] [Z] exerçant l’activité de papèterie, vente de cartes, journaux et publications, acticles de fumeurs, avec bureau de validation du loto national, gérance tabac, selon le mode d’exploitation directe
né le 21 février 1963 à [Localité 3], de nationalité française
&
Madame [U] [V] exerçant l’activité de papèterie, vente de cartes, journaux et publications, acticles de fumeurs, avec bureau de validation du loto national, gérance tabac exploité par M. [K] [Z], selon le mode d’exploitation directe
née le 15 février 1966 à [Localité 3], de nationalité française
demeurant ensemble [Adresse 2]
représentés par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistés de Me Aymeric Antoniutti, avocat plaidant, substitué par Me Julie Baur, avocats au barreau de Lille
DÉBATS à l’audience publique du 23 novembre 2022, tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023 après prorogation du délibéré initialement prévu au 09 février 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 novembre 2023
****
Vu le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Lille le 02 décembre 2019, entre la SCI CCC bailleur de locaux à usage mixte d’habitation et commercial, d’une part, et M. [K] [Z] et Mme [U] [V], preneurs, d’autre part ;
Vu l’appel interjeté le 14 janvier 2020 par la SCI CCC contre ce jugement, intimant M. [Z] et Mme [V], enregistré sous le numéro RG : 20/00259 ;
Vu l’appel interjeté le 20 mars 2020 par M. [K] [Z] et Mme [U] [V], contre ce même jugement, intimant la société CCC, enregistré sous le numéro RG : 20/01708 ;
Vu la jonction de ces deux appels, par ordonnance du 10 septembre 2020, l’instance étant poursuivie sous l’unique numéro RG : 20/00259 ;
Vu le retrait de rôle demandé par les parties et prononcé par ordonnance du 5 janvier 2022 ;
Vu les conclusions déposées et notifiées par M. [Z] et Mme [V] (sic) le 15 avril 2022, ensemble la demande de remise au rôle formée par courriel leur conseil ;
Vu la remise au rôle, l’instance des deux appels se poursuivant sous le numéro RG : 22/02391 ;
Vu les dernières conclusions de la société CCC , déposées et notifiées par la voie électronique le 31 octobre 2022, demandant à la cour de :
– dire irrecevable et subsidiairement mal fondé l’appel des preneurs sur la durée du bail renouvelé et les débouter de leur demande en fixation de la durée du bail renouvelé à 9 années ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
. fixé à 28 675 euros hors taxes et hors charges le loyer du bail renouvelé,
. dit que le rappel des loyers échus produira intérêts au taux légal à compter de l’assignation introductive d’instance,
. débouté les parties de leurs autres demandes,
. dit que les dépens seront partagés par moitié en ce compris les frais d’expertise ;
– et statuant à nouveau,
– fixer le loyer du bail à la valeur locative, le bail ayant été conclu pour dix ans, soit la somme de 44 000 euros hors taxes et hors charges par an (HTHC/an) à compter du 6 avril 2016 et, subsidiairement, à la valeur expertale de 31 500 euros HTHC/an ;
– condamner M. [Z] et Mme [V] à lui payer :
. le rappel des loyers à compter du 6 avril 2016, date d’effet de la demande ;
. les intérêts de plein droit à compter du 6 avril2016 et, subsidiairement du mémoire introductif du 4 mai 2016, et à défaut, à compter de l’assignation, avec anatocisme ;
– dire n’y avoir lieu à statuer sur l’article L.145-34 dernier alinéa et débouter les preneurs de ce chef ;
– débouter les preneurs de leurs prétentions ;
– les condamner à lui payer 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
– les condamner en tous les dépens, y compris les frais d’expertise ;
Vu les dernières conclusions de M. [Z] et Mme [V] (sic) déposées et notifiées par la voie électronique le 1er novembre 2022, demandant à la cour de :
– vu les articles 5 du code de procédure civile, L.145-12, L.145-33 et L.145-34 du code de commerce ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
. dit que le renouvellement du bail interviendra pour 10 ans à compter du 6 avril 2016 ;
. fixé le loyer annuel du bail renouvelé à 28 675 euros HTHC ;
. débouté les concluants de leurs demandes ;
. statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile ;
– et statuant à nouveau
– à titre principal :
– dire que le bail est renouvelé à compter du 6 avril 2016 pour une durée de 9 années ;
– fixer le loyer de renouvellement à 22 200 euros HTHC par an ;
– condamner la société CCC à leur rembourser les loyers trop-perçus à compter du 6avril 2016, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance ;
– ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
– débouter la société CCC de ses demandes ;
– à titre subsidiaire :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé le loyer de renouvellement à compter du 6 avril 2016 ;
– dire que l’augmentation annuelle de loyer n’excédera pas 10 % du montant acquitté l’année précédente, en application de l’article L.145-34 alinéa 4 du code de commerce
– l’infirmer pour le surplus ;
– en tout état de cause :
– lui allouer 5 000 euros au titre de l’article700 du code de procédure civile ;
– condamner la société CCC aux dépens y compris les frais d’expertise.
L’ordonnance de clôture est du 2 novembre 2022.
SUR CE
LA COUR
La cour observe que c’est à la suite d’une erreur matérielle que le jugement entrepris et certains actes susvisés orthographient le patronyme de Mme [V] sans son « s » final.
La SCI CCC a consenti, par acte sous seings privés du 19 avril 2006 un bail à usage mixte commercial et d’habitation pour des locaux dépendant d’un ensemble immobilier en copropriété sis [Adresse 2], à savoir un local commercial en rez-de-chaussée avec une cave en sous-sol et un appartement au premier étage.
Ce bail a été consenti pour 10 ans à compter du 6 avril 2006, moyennant un loyer annuel de 22 200 euros HTHC, les parties ayant stipulé une clause d’échelle mobile.
Le fonds de commerce exploité dans les lieux a été cédé deux fois et en dernier lieu, par acte sous seings privés du 17 avril 2010, à M. [K] [Z] et Mme [U] [V].
L’enseigne est « La Boutique du fumeur ».
Par acte extrajudiciaire du 6 mars 2015, la société CCC a donné congé aux preneurs pour le 5 avril 2016, avec offre de renouvellement moyennant un loyer porté à 44 000 euros, les autres conditions du bail demeurant inchangées.
Les preneurs désirant rester dans les lieux, ont alors estimé, sur le fondement de l’avis amiable non contradictoire d’un technicien qui a évalué la valeur locative à 29 000 euros, que les prétentions du bailleur excédaient la valeur locative.
A défaut d’accord, la société CCC, maintenant sa prétention, a assigné les preneurs devant le juge des loyers commerciaux. Celui-ci, par jugement du 12 juin 2017, a ordonné une expertise sur les éléments déterminants de la valeur locative et sur le loyer de renouvellement applicable à compter du 6 avril 2016, fixant en outre le loyer provisionnel au montant du loyer actuel.
L’expert judiciaire désigné, M. [N], a évalué la valeur locative annuelle à 31 500 euros HTHC, dont 25 500 euros HTHC pour la partie commerciale et 6 000 euros pour la partie habitation.
Le jugement entrepris a dit que le bail était renouvelé pour 10 ans à compter du 6 avril 2016, fixant le loyer annuel de renouvellement à 28 675 euros HTHC. Il a en outre dit que le rappel des loyers échus produira intérêts au taux légal à compter de l’assignation introductive d’instance, dit que les intérêts échus depuis plus d’une année produiront eux-mêmes intérêts au taux légal et seront capitalisés , débouté les parties de leurs autres demandes et ordonné l’exécution provisoire.
S’agissant de la durée du bail renouvelé, le juge des loyers commerciaux, en l’absence d’accord exprès des parties sur la durée du bail renouvelé, ne pouvait pas se prononcer ainsi qu’il l’a fait sur cette durée, ce pour un motif d’ordre public.
En effet, non seulement l’article L.145-12 du code de commerce est une disposition d’ordre public aux termes de laquelle la durée du bail renouvelé est de neuf années, sauf accord des parties pour une durée plus longue mais encore, et surtout, l’article R.145-23 réserve au tribunal judiciaire toute autre contestation que celle sur le prix du bail révisé ou renouvelé, ce qui comprend en particulier les contestations sur la durée du bail renouvelé. Or, contrairement à ce que soutient le bailleur, alors que le silence ne vaut jamais acceptation, l’accord des preneurs pour la durée de 10 années du bail renouvelé ne peut pas se déduire des énonciations du bailleur dans ses conclusions de première instance, ni du défaut d’opposition exprès des preneurs sur ce point devant le premier juge. L’accord des preneurs ne peut pas davantage se déduire de leur silence sur ce point après réception du congé selon lequel l’offre de renouvellement était faite, hormis le montant du loyer, aux mêmes clauses et conditions que le bail renouvelé.
La cour doit infirmer le jugement entrepris sur ce point, au besoin d’office, le juge des loyers commerciaux ayant excédé ses pouvoirs en disant que la durée du bail renouvelé était de dix ans.
Cependant la discussion soulevée par le bailleur sur la recevabilité de cette demande des preneurs est mal fondée, dès lors que leur déclaration d’appel a expressément déféré à la cour le chef du jugement entrepris relatif à la durée du renouvellement, et que leurs premières conclusions d’appelant ont demandé la réformation sur ce point, tout comme leurs premières conclusions d’intimés, étant observé que ces dernières ont été déposées et notifiées par la voie électronique moins de trois mois après les premières conclusions d’appelant. Par conséquent, la demande d’irrecevabilité du bailleur formée sur ce point est rejetée ; elle permet d’infirmer le jugement.
S’agissant de la fixation du prix du bail renouvelé, il est constant que puisque le bail à renouveler est d’une durée supérieure à 9 ans, en l’espèce 10 ans, la règle du plafonnement énoncée à l’article L.145-34 du code de commerce ne s’applique pas.
Les parties ne s’opposent que sur la valeur locative au 6 avril 2016, à laquelle doit être fixé le loyer de renouvellement, en vertu de l’article L.145-33 du code de commerce.
En réalité, les parties étant d’accord sur la part de loyer afférente à la partie habitation, à hauteur de 6 000 euros par an, leur opposition ne concerne que la partie à usage commercial, à savoir, au rez-de-chaussée: une entrée avec vitrine, une pièce principale, une pièce annexe à la suite, une cuisine et un WC et, au sous-sol une cave accessible par un escalier intérieur privatif et les 260/1000èmes des parties communes.
Ce local est à destination exclusive de «vente de cartes postales, journaux, jeux de la Française des jeux, papeterie, cadeaux articles de fumeurs, débit de tabac».
S’agissant de la valeur locative et, en premier lieu, des caractéristiques du local, celui-ci est situé [Adresse 2] ; la vitrine, l’entrée et des espaces d’affichage publicitaire de part et d’autre sont dans l’alignement de l’immeuble du [Adresse 1] et de la salle d’un établissement de restauration, mais en retrait de la terrasse couverte de celui-ci qui avance sur la place. L’immeuble contigu du 6 de la même place forme un angle saillant et est également occupé, en rez-de-chaussée, par un autre établissement de restauration. L’expert judiciaire et le premier juge après lui ont exactement considéré que le local commercial, en raison de cet emplacement et de son environnement, ne dispose d’aucune visibilité d’angle. La visibilité est d’autant plus réduite que la linéarité de façade est faible et que seule l’enseigne peut signaler le commerce. Si les lieux sont stratégiques dans le centre-ville dense de [Localité 4] ce qui les rend attractifs, la clientèle ne peut accéder en voiture, ce qui est certes le lot de tous les petits commerces dans ce secteur, mais ce qui est aussi un inconvénient pour un commerce attirant d’ordinaire, plus qu’un autre, des clients qui s’arrêtent en passant pour s’approvisionner en tabac ou en journaux. L’expert judiciaire a justement considéré, par conséquent, que l’activité du secteur était très forte mais que la qualité de l’emplacement était seulement forte.
Le premier juge a repris la détermination de la surface pondérée effectuée par l’expert, sauf à abaisser de 0,9 à 0,7 le coefficient de pondération de la zone 2, allant de 5 mètres à10 mètres de la vitrine et d’une superficie utile de 13,11 mètres carrés. Il a considéré que la caisse se trouve dans cet espace où la circulation est malaisée, se trouvant peu adapté à la recherche de magazines, qui est l’un des objets essentiels du commerce, de sorte qu’il n’est pas justifié de retenir la fourchette haute des coefficients proposés par la charte de l’expertise.
Si le bailleur soutient que la zone 2 se trouve immédiatement après la porte d’entrée de la boutique, cela est mal fondé, car la zone 2 ne commence que 5 mètres après la vitrine.
En outre, c’est sans remettre en question le caractère globalement adapté des locaux à l’activité malgré la configuration du local « en couloir » que le premier juge a tenu compte de l’inconvénient lié à la présence de la caisse dans cette zone qui, en cas d’affluence, limite à ce niveau l’accès aisé à une partie de la zone d’exposition des magazines. Cet inconvénient, lié à configuration « en couloir » et limité à la zone de la caisse ne concerne effectivement pas la distribution du tabac qui s’effectue depuis derrière la caisse.
Si le bailleur soutient que la zone 3, à 10 mètres et plus de la vitrine, doit faire l’objet d’un coefficient supérieur à celui de 0,5 proposé en définitive par l’expert, au moyen que les clients à la recherche d’un magazine particulier iront jusqu’à la zone 3 pour le trouver sans s’arrêter aux 5 premiers mètres ni se limiter à la zone de caisse, il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas lieu d’écarter les préconisations de la charte de l’expertise sur ce point.
En effet, il n’est nullement établi que la moindre attractivité de cette zone, eu égard à la configuration « en couloir », serait sans effet sur les clients, dont rien ne démontre que tous se rendent au lieu de présentation de magazines qu’ils ont préalablement décidé d’acheter, sans que leur comportement d’achat ne soit influencé par le défaut d’attrait particulier du fond la boutique toute en longueur, à 10 mètres et plus de l’entrée.
Rien ne justifie, par conséquent, de sortir des préconisations de la charte suivie par l’expert judiciaire, ni même de retenir pour la zone 3 la pondération de 0,6 qui est le maximum proposé.
Cependant, si pour la zone 3 les preneurs demandent le coefficient de 0,4, qui correspond à la proposition minimum de la charte de l’expertise, aucune raison de le faire n’est pour autant démontrée, de sorte que le coefficient médian de 0,5 sera donc maintenu.
C’est sans égard pour les préconisations de la charte de l’expertise dont ils se prévalent par ailleurs que les preneurs soutiennent que les WC ne devraient pas être pris en considération, au moyen qu’ils ne sont pas accessibles au public, alors que, peu important cette circonstance, se sont au contraire des locaux annexes de la surface commerciale, qui permettent son exploitation au même titre que le débarras. Par conséquent, le premier juge doit être approuvé d’avoir retenu le même coefficient de pondération.
Le bailleur qui, à un moment de ses conclusions, conteste le principe de l’application de la méthode de la surface pondérée, et demande la détermination de la valeur locative par comparaison avec des biens de même type, se trouve mal fondé à le faire, dès lors que la configuration des lieux « en couloir » affecte l’intérêt commercial de la boutique de manière différente selon l’éloignement de l’entrée, de sorte que la pondération est adaptée pour rendre le local commercial comparable à d’autres, afin d’en déterminer la valeur locative.
Il résulte de ce qui précède que le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu que la valeur locative est déterminée par la méthode de la surface pondérée et en ce qu’il a retenu une surface pondérée de 36,02 mètres carrés.
S’agissant de la destination des lieux, le premier juge doit être approuvé d’avoir retenu que la clause de destination des lieux était habituelle et qu’elle n’entraînait en l’espèce ni majoration ni abattement pour la détermination de la valeur locative. En outre, il n’est pas démontré que l’activité de relais colis également exercée dans les lieux ait accru en l’espèce la valeur locative du local commercial, contrairement à ce qu’affirme le bailleur, qui allègue sans l’étayer une augmentation de la fréquentation de 10 à 30 %. Cette question n’a d’ailleurs ni été abordée par l’expert judiciaire ni même soumise à ce technicien. Par conséquent, la demande de majoration de 5 % au moins de la valeur locative est mal fondée.
S’agissant des obligations respectives des parties, le premier juge a retenu que l’imputation au locataire de la taxe foncière tel que prévu dans le bail justifie, en l’absence de contrepartie, une décote de 5% de la valeur locative ; le bailleur s’y oppose aux moyens que la clause est conforme à l’usage de la région « Nord-Pas-de-Calais » et invoque également les prévisions de l’article R.145-35 du code de commerce qui permettent expressément ce transfert de charge sur le locataire.
Sur ce point, selon l’article R. 145-8 du code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative.
En l’espèce, l’impôt foncier mis à la charge des preneurs par le bail sans contrepartie constitue bien un facteur de diminution de la valeur locative. Les arguments du bailleur pris, d’une part, de l’usage régional selon lequel les baux commerciaux prévoient, comme en l’espèce, que le preneur s’acquittera de la taxe foncière, et d’autre part, de l’article R.145-35 du code de commerce, sont sans emport pour la détermination de la valeur locative.
Le premier juge a justement apprécié qu’il y avait lieu en l’espèce d’appliquer une décote de 5% pour la détermination de la valeur locative.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
S’agissant des facteurs locaux de commercialité, l’appréciation de l’expert judiciaire et du premier juge n’est nullement remise en question par les arguments échangés par les parties qui n’en tirent aucune demande de majoration ou de diminution de la valeur locative.
S’agissant des prix couramment pratiqués dans le voisinage, le premier juge a retenu cinq termes de comparaison situés [Adresse 2] : Sogood restauration, Gur Kebab, restaurant le Broc, King Tacos et SushiShop, outre trois tabac-presse sauf cigarette électronique: le Rallye [Adresse 6], le Sabasto [Adresse 7] et Mix Bonbons [Adresse 5].
Alors que les prix couramment pratiqués dans le voisinage s’entendent de locaux équivalents y compris selon le critère de la destination (l’article R.145-7 du code de commerce renvoie bien à l’article R.145-5), et alors que l’activité réglementée de buraliste présente une forte spécificité de nature à étendre la notion de voisinage pertinente jusqu’à la [Adresse 7] ou la [Adresse 6], le bailleur ne critique pas utilement le premier juge pour avoir intégré les commerces d’activité semblable constitués par Le Rallye et Le Sébasto. Cette manière de faire permet de procéder à la comparaison voulue par la loi, contrairement à la demande du bailleur qui tend d’une part à obtenir une majoration globale de la valeur locative pour tenir compte de la situation de monopole née de l’activité réglementée, tout en privilégiant des termes de comparaison pris dans la zone de chalandise la plus attractive du voisinage, à savoir la [Adresse 5], mais dans lesquels sont exercés des commerces de spécialités toutes autres et sans rapport. La différence de nature de clientèle pour un commerce de tabac-presse entre celle de la [Adresse 7] et celle de la [Adresse 6], d’une part, et celle de la [Adresse 2], d’autre part, n’est pas établie.
C’est à juste titre que le premier juge a écarté la valeur 2018 de la Crêperie Beaurepaire qui est hors période de référence. Il en va de même de l’expertise judiciaire pour Gur Kebab dont le bailleur demande la prise en compte à la valeur d’un bail signé en 2018.
Il résulte de ce qui précède que la valeur locative de renouvellement par mètre carré pour la partie commerciale ressortit à 662,63 euros tel que retenu par le premier juge, outre la décote de 5 %.
662,63 x 36,02 ‘ 5 % = 22 674,5 arrondi à 22 675 euros.
Compte tenu de la partie habitation, le montant du loyer annuel du bail renouvelé est donc de 28 675 euros HTHC.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur le montant du loyer du bail renouvelé.
Il sera rappelé que les preneurs demandaient la fixation du prix du bail renouvelé à titre principal à 22 200 euros et le bailleur à 44 000 euros.
Les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer fixé antérieurement courent par le seul effet de la loi, à compter de la délivrance de l’assignation introductive d’instance en fixation du prix lorsque le bailleur est à l’origine de la procédure. Cette question fait l’objet d’une jurisprudence constante de la cour de cassation depuis un arrêt du 3 octobre 2012 (Cass. civ. 3ème, 3oct.2012, pourvoi n° 11-17.17.177).
C’est donc vainement que le bailleur demande la réformation du jugement entrepris sur ce point.
S’agissant de l’application du mécanisme du lissage du loyer en vertu de l’article L.145-34 du code de commerce, il est désormais établi (Cass. civ. 3ème, 25 janvier 2023) que, par application combinée de ce texte et de l’article R.145-23 déjà mentionné, le dispositif de lissage prévu au premier texte est distinct de celui de la fixation du loyer, de sorte qu’il n’entre pas du tout dans l’office du juge des loyers commerciaux de statuer sur son application.
Le jugement entrepris a exactement statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile. Il sera confirmé sur ces points.
En équité, la société CCC sera condamnée à payer aux preneurs une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
La société CCC sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable la contestation sur la durée du bail renouvelé,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le renouvellement du bail interviendra pour une durée de dix années,
Statuant à nouveau,
Dit n’y avoir lieu pour le juge des loyers commerciaux à fixer la durée du bail renouvelé,
Pour le surplus,
Confirme le jugement entrepris et, y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu pour le juge des loyers commerciaux à statuer sur l’application de l’article L.145-34 du code de commerce,
Condamne la société CCC à payer 4 500 euros aux preneurs, pris ensemble, au titre de l’article 700 du code de procédure en appel,
Condamne la société CCC aux dépens d’appel,
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Le greffier Le président
Valérie Roelofs Dominique Gilles