Your cart is currently empty!
16 décembre 2022
Cour d’appel de Douai
RG n°
20/02344
ARRÊT DU
16 Décembre 2022
N° 2039/22
N° RG 20/02344 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TKBS
VCL/AL
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DUNKERQUE
en date du
20 Octobre 2020
(RG F19/00310 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 16 Décembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [N] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE substitué par Me Chloé MARUQUE, avocat au barreau de DUNKERQUE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 591780022021003045 du 23/03/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.R.L. LV PRESSE
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Yann LEUPE, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l’audience publique du 10 Novembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaetan DELETTREZ
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 Octobre 2022
EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :
La SARL LV PRESSE a engagé Mme [N] [E] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 juin 2015 en qualité de vendeur niveau 1, coefficient 140 de la convention collective papeterie, librairie, fournitures de bureau, commerce de détail.
Le 12 juillet 2019, Mme [E] a signé un avenant à son contrat de travail comportant un unique article 14 supplémentaire ainsi rédigé :
« Article 14 : Caisse et stock :
Madame [E] est responsable de sa caisse ainsi que du stock physique des cartes de jeux de grattage. Un comptage de la caisse doit être fait à la fin de chaque service ainsi que l’inventaire
des cartes de jeux de grattage. Cet inventaire de la caisse des espèces et des cartes de jeux de grattage sera réalisé en présence de la direction et sous le contrôle du cabinet d’expertise comptable. Tout écart devra être justifié et sera susceptible d’entrainer des sanctions.»
Le 18 juillet 2019, la société LV PRESSE a remis à Madame [E] une lettre contre décharge l’informant de ce qu’elle faisait l’objet d’une mise à pied conservatoire dans l’attente d’une décision à intervenir et de poursuites pénales pour avoir dérobé des jeux de grattage au préjudice de l’employeur.
Par courrier du 2 septembre 2019, la société LV PRESSE a convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement prévu le 12 septembre 2019.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 16 septembre 2019, Mme [N] [E] s’est vue notifier son licenciement pour faute grave motivé par le vol de jeux à gratter.
La lettre de licenciement se trouvait libellée de la façon suivante :
« Nous vous avons convoqué à l’entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec AR le 2 septembre 2019. Cette convocation était assortie d’une mise à pied conservatoire. Au cours de l’entretien préalable qui s’est déroulé jeudi 12 septembre 2019, nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés et qui, nous vous le rappelons, sont les suivants :
La subtilisation de jeux à gratter. En effet, le 1er juin 2019, l’expert-comptable nous a informés que l’entreprise achète plus de jeux à gratter qu’elle n’en vend.
Ainsi, des jeux à gratter disparaissent.
Sur les mois d’avril et mai 2019, le préjudice pour l’entreprise s’élève à 9 242 €.
Au vu de ce préjudice, nous avons décidé d’amplifier nos contrôles de stock.
Courant juillet, nous nous sommes aperçus que les écarts de stocks se produisaient
lorsque vous étiez en poste.
Suite à cette découverte, une plainte PV n°00048/2019/008979 a été déposée au commissariat de Police de [Localité 4] le 18 juillet 2019.
Faisant suite à cette dernière, nous vous avons remis en main propre, ce même jour, une mise à pied à titre conservatoire. Nous vous rappelons que conformément à votre contrat de travail, vous êtes
responsable de votre caisse ainsi que du stock physique des cartes de jeux à gratter.
Force est de constater que cette obligation n’est pas respectée. Nous vous rappelons, conformément à l’article L1222-1 du Code du Travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
Il nous est donc impossible de vous maintenir dans l’entreprise.
Cette conduite met en cause la bonne marche de l’entreprise. Les explications recueillies auprès de vous au cours de l’entretien préalable du 12 septembre 2019, nous ne ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour
faute grave.(…) ».
Contestant la légitimité de son licenciement pour faute grave et réclamant divers rappels de salaire et indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Mme [N] [E] a saisi le 8 octobre 2019 le conseil de prud’hommes de Dunkerque qui, par jugement du 20 octobre 2020, a rendu la décision suivante :
– déboute Mme [N] [E] de l’ensemble de ses demandes,
– déboute la SARL LV PRESSE en la personne de son représentant légal de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– laisse aux parties la charge de leurs propres dépens éventuels.
Mme [N] [E] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 4 décembre 2020.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 février 2022 au terme desquelles Mme [N] [E] demande à la cour de :
-REFORMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de DUNKERQUE en date du 20 octobre 2020 en ce qu’il a débouté Mme [N] [E] de l’ensemble de ses demandes tendant à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-DIRE le licenciement de Mme [E] sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence :
-CONDAMNER la société LV PRESSE à payer à Mme [E] :
– Mise à pied conservatoire du 18 au 31 juillet 2019 : 832,49 €
– Mise à pied conservatoire août 2019 : 1 521,25 €
– Mise à pied conservatoire du 1er au 16 septembre 2019: 772,31 €
– Indemnité de préavis de deux mois : 2 x 1 521,25 €
– Congés payés sur préavis : 2 x 152 €
– Indemnité de licenciement : 1 521,25 €
– Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans une entreprise de moins de 11 salariés, huit mois de salaire, soit 8 x 1 521,25 € = 12 170 €.
-CONDAMNER la société LV PRESSE aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, Mme [N] [E] expose que :
– La mise à pied dont elle a fait l’objet à compter du 18 juillet 2019 a épuisé le pouvoir disciplinaire de l’employeur, en ce que la procédure de licenciement n’a été engagée que le 2 septembre 2019, avec un licenciement pour faute grave intervenu le 16 septembre suivant.
– Or, pour revêtir un caractère conservatoire, la mise à pied doit être préalable ou concomitante à la procédure disciplinaire, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, la procédure de licenciement n’ayant pas été engagée immédiatement.
– En outre, aucune enquête interne n’a été réalisée et aucune poursuite pénale n’a été engagée dans ce délai.
– Le licenciement est , par conséquent, sans cause réelle et sérieuse, Mme [E] ne pouvant être sanctionnée deux fois pour les mêmes faits.
– Par ailleurs, la faute grave n’est pas établie par l’employeur, dans la mesure où l’avenant au contrat de travail signé quelques jours avant la mise à pied prévoyait un comptage de la caisse et du stock de cartes de jeux de grattage à la fin de chaque service en présence d’un membre de la direction et sous contrôle du cabinet d’expertise comptable, ce qui n’a jamais été fait.
– Les pièces produites sont, en outre, incomplètes en ce qu’elles ne comprennent aucun état des stocks et ne reprennent pas les tickets distribués automatiquement par le biais d’un DAT, sans intervention de la caissière, uniquement chargée de l’alimenter, système qui induit un décalage entre l’activation des tickets et leur vente.
– Des disparitions de jeux à gratter sont également relevées par l’employeur concernant des périodes au cours desquelles Mme [E] n’était pas présente.
– L’absence de vols postérieurs à la mise à pied de la salariée n’est pas un élément déterminant, les autres salariés de l’établissement ayant pu cesser leurs agissements, dans ce contexte.
– En outre, la prescription est acquise, l’employeur évoquant dans la lettre de licenciement des faits reprochés dont il a eu connaissance le 1er juin 2019, alors que la procédure de licenciement a été initiée le 2 septembre suivant, soit au-delà du délai de deux mois.
– L’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement justifie de l’octroi à Mme [E] d’un rappel de salaire, suite à la mise à pied, de l’indemnité de préavis, des congés payés, d’une indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 mars 2022, dans lesquelles la SARL LV PRESSE, intimée, demande à la cour de :
-DIRE bien jugé, mal appelé,
-CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil des Prud’hommes de DUNKERQUE en date du 20 octobre 2020 en toutes ses dispositions,
– DEBOUTER l’appelante de ses demandes fins et conclusions,
– CONDAMNER l’appelante à verser une indemnité de 2.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civil pour les frais exposés en cause d’appel,
– CONDAMNER l’appelante aux entiers frais et dépens.
A l’appui de ses prétentions, la SARL LV PRESSE soutient que :
– Elle a été alertée le 2 juillet 2019 d’une perte financière de l’ordre de 38 000 euros suite au constat d’un décalage anormal entre le 1er avril 2018 et le 31 mars 2019 correspondant à un achat de tickets non revendus. Ce décalage s’est poursuivi au cours du premier trimestre de l’exercice 2019-2020 et un lien a été fait entre les périodes de présence en caisse de Mme [E] et les disparitions de jeux.
– Une plainte a été déposée à l’encontre de la salariée avec mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire.
– Le délai entre la mise à pied conservatoire et la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire se justifie par la nécessité de mettre en oeuvre une enquête et de procéder à la vérification de sa comptabilité et de ses stocks de jeux à gratter, de sorte que cette mesure ne présente pas de caractère disciplinaire.
– Les faits ne sont pas non plus prescrits, dans la mesure où le délai de deux mois concerne le déclenchement des poursuites disciplinaires et non le prononcé de la sanction, la mise à pied conservatoire du 18 juillet 2019 constituant le point de départ de la procédure disciplinaire, suite au signalement porté à la connaissance de l’employeur par son expert comptable le 2 juillet 2019.
– La preuve de la faute grave est, par ailleurs, établie, dans la mesure où le système de facturation par la FDJ est quasi-instantané et permet de comparer l’état de son stock avec les relevés FDJ que les ventes proviennent du distributeur automatique ou d’un achat en caisse.
– Or, les jeux ne figurant pas sur la feuille manuscrite renseignée par les salariés ont été activés lorsque Mme [E] se trouvait en poste, ce conformément au planning fourni et aux rares échanges entre cette dernière et une autre salariée, la société LV PRESSE n’employant sur ledit poste que l’appelante et une autre employée en rotation.
– La responsabilité de l’appelante dans les faits de vol est établie, la SARL LV PRESSE ayant subi un préjudice cumulé de 69 544 euros entre avril 2018 et juillet 2019 et connaissant des difficultés financières consécutives à ces pertes.
– Le licenciement pour faute grave de Mme [E] présente donc une cause réelle et sérieuse.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 20 octobre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le licenciement pour faute grave :
– Sur la mise à pied et l’exercice par la SARL LV PRESSE de son pouvoir disciplinaire :
Il résulte des dispositions de l’article L. 1332-3 du code du travail que le salarié peut être mis à pied à titre conservatoire si les faits reprochés ont rendu cette mesure indispensable.
Toutefois, lorsque la mise à pied n’a pas été suivie immédiatement de l’engagement d’une procédure de licenciement ou que sa durée dépasse la durée nécessaire à l’accomplissement de cette procédure, cette mesure devient alors disciplinaire, malgré la qualification que lui a donnée l’employeur, lequel a alors épuisé son pouvoir de sanction concernant des faits identiques qu’il ne peut sanctionner deux fois.
Par exception, lorsque les faits fautifs commis par le salarié font l’objet de poursuites pénales ou encore s’il est indispensable à l’employeur de mener des investigations sur les faits reprochés et déterminer, ainsi, la nécessité ou non d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de ce salarié, l’employeur peut prononcer la mise à pied conservatoire du salarié et différer la convocation à l’entretien préalable jusqu’à l’issue de la procédure pénale ou des investigations sur les faits reprochés.
En l’espèce, la mise à pied à titre conservatoire a été notifiée à Mme [N] [E] par lettre du 18 juillet 2019. Puis, celle-ci s’est vu adresser le 2 septembre 2019 une convocation à l’entretien préalable, lequel s’est tenu le 12 septembre suivant. Enfin, Mme [N] [E] s’est vu notifier son licenciement pour faute grave le 16 septembre 2019.
Un délai de six semaines s’est, ainsi, écoulé entre la mise à pied conservatoire et la convocation à l’entretien préalable.
Il résulte, toutefois, des pièces produites par la société LV PRESSE que celle-ci a été alertée par son expert comptable le 2 juillet 2019 d’un décalage anormal de l’ordre de 38 000 euros entre le montant des jeux à gratter facturés par la Française Des Jeux et le montant des recettes perçues par le bureau de tabac à cet égard, sous déduction des jeux à gratter en stock, et correspondant donc à un achat de tickets non revendus.
Le cabinet d’expertise comptable C3F BERA atteste, ainsi, avoir invité l’employeur à mener des investigations notamment au moyen de la mise en place d’un suivi journalier afin de déterminer l’origine du vol, ce qui a été mis en oeuvre, à compter dudit signalement.
La société LV PRESSE démontre, par ailleurs, les investigations qu’elle a dû mener afin de comparer les extraits des livrets en stock sur la période litigieuse, les listes manuscrites renseignées par chaque caissier, la liste FDJ des livrets activés, vendus et non vendus, le relevé des opérations de grattage délivré par la FDJ et les plannings de travail de ses deux salariées caissières.
Il est également justifié d’un dépôt de plainte réalisé par la gérante de la société LV PRESSE, cette procédure étant toujours en cours, selon document émanant du procureur de la république près le tribunal judiciaire de Dunkerque.
Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, la société intimée justifie que ce délai d’attente lui était indispensable et a été mis en oeuvre afin de mener à bien des investigations sur les faits reprochés portant sur des faits de vol, ce avant de se déterminer sur l’opportunité ou non d’engager une procédure de licenciement pour faute grave.
Dans ces circonstances, la durée de la mise à pied conservatoire n’a pas pour effet de lui conférer un caractère disciplinaire.
Cette demande est rejetée, de sorte que l’employeur n’avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire lorsqu’il a engagé la procédure de licenciement.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
– Sur la prescription :
L’article L1332-4 du code du travail indique qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires, au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance.
Ce délai de prescription concerne le déclenchement des poursuites disciplinaires et non le prononcé de la sanction. Dans le cas d’une mise à pied conservatoire, la notification de celle-ci constitue l’engagement des poursuites disciplinaires et interrompt, dès lors, la prescription des faits fautifs
En l’espèce, la société LV PRESSE a eu connaissance de l’existence de certains faits fautifs suite au signalement de son expert comptable en date du 2 juillet 2019 puis a notifié à Mme [E] une mise à pied conservatoire le 18 juillet 2019 et l’a convoquée à un entretien préalable par lettre du 2 septembre suivant.
Ainsi, il s’évince de ces constatations l’absence de prescription des faits fautifs, faute d’écoulement d’un délai de deux mois entre la connaissance des faits et la mise à pied conservatoire puis entre cette mise à pied et la convocation à l’entretien préalable au licenciement.
Les faits fautifs ne sont donc pas prescrits.
Cette demande est rejetée et le jugement entrepris confirmé.
– Sur la faute grave :
Il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
La faute grave est, par ailleurs, entendue comme la faute résultant d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Les juges du fond, pour retenir la faute grave, doivent, ainsi, caractériser en quoi le ou les faits reprochés au salarié rendent impossible son maintien dans l’entreprise. Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre des parties, il revient en revanche à l’employeur d’apporter la preuve de la faute grave qu’il reproche au salarié ; en cas de doute il profite au salarié.
En l’espèce, Mme [N] [E] a été licenciée pour avoir manqué à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail, suite à la constatation de la subtilisation de jeux à gratter lorsqu’elle se trouvait à son poste de caissière.
Il résulte des pièces produites par la société LV PRESSE que le système de facturation des jeux de grattage par la Française des Jeux implique, tout d’abord , que les tickets à gratter sont remis aux bureaux de tabac puis stockés par ces derniers sous forme de livrets dits « inactifs » et que ceux-ci doivent être activés par le buraliste lors de leur mise en vente. Une fois activé, le livret peut être vendu soit directement en caisse soit dans le cadre d’un DAT, distributeur automatique de tickets.
Les tickets vendus sont, en outre, répertoriés sur le terminal du bureau de tabac qu’ils proviennent d’une vente directe ou d’un distributeur automatique. Puis, le livret se trouve répertorié en statut vendu pour facturation par la FDJ dès lors qu’un certain nombre de tickets du livret ont été contrôlés par le terminal. Enfin, les livrets considérés comme vendus sont facturés le lundi suivant par la FDJ.
Ainsi, ce système exclut une absence de comptabilisation des tickets vendus en DAT qui sont également répertoriés, ce contrairement aux allégations de la salariée.
En complément de ce dispositif, l’employeur avait également mis en place un relevé journalier manuscrit établi par le salarié en charge de la caisse et reprenant le nom du livret/ jeux, les trois chiffres dits CAB permettant son identification, l’heure de la vente et le nom du vendeur.
Par ailleurs, il n’est pas contesté que la SARL LV PRESSE employait lors des faits reprochés deux caissières, Mme [N] [E] et Mme [X] [T], lesquelles travaillaient en alternance par rotation mais jamais ensemble.
Les pièces comptables produites et l’attestation du cabinet comptable C3F BERA démontrent un décalage, au cours de l’exercice 2018-2019, de l’ordre de 38 000 euros et entre le 1er avril 2018 et le 13 juillet 2019 de l’ordre de 69 544 euros, entre le montant facturé par la FDJ correspondant aux livrets et tickets validés et le montant des recettes de ticket de grattage.
Et si un léger décalage peut s’expliquer par le système de validation du livret dès qu’un certain nombre de tickets est répertorié comme vendu par le terminal, il ne peut, pour autant , nullement justifier un différentiel d’une telle ampleur correspondant à des tickets validés mais non revendus.
Surtout et plus précisément, au cours de la période située entre le 9 et le 15 juillet 2019, il ressort de la comparaison entre l’état journalier des livrets en stock de la société LV PRESSE (répertoriés en trois catégories : vendu/actif/inactif), la liste manuscrite journalière des ventes de livrets/ tickets à gratter (mentionnant le nom du jeu, son numéro, l’heure de vente et l’identité du vendeur au moyen de son initiale [N] pour [N] ou [X] pour [X]), le listing fourni par la Française des Jeux concernant les livrets activés ( avec le nom du jeu , le numéro d’émission, le numéro du livret et la date et heure d’activation) et le planning de travail des caissières au cours de cette période que plusieurs livrets ont été activés sur chaque jour de cette période, pendant les plages de travail de Mme [N] [E] mais n’ont pas fait l’objet du versement d’une recette au profit de la SARL LV PRESSE.
Ainsi, le mercredi 10 juillet 2019, un livret CASH a été validé mais n’a pas été payé à 17h37, alors que Mme [N] [E] travaillait sur cette période de 14h30 à 19h.
En outre, ont été validés le jeudi 11 juillet 2019, un livret Super 500 (à 9h39), un livret Cash (à 15h03) et un Black Jack (à 15h30), sans, toutefois, se retrouver dans le listing des ventes, et alors que la salariée, seule caissière présente, travaillait ce jour-là de 7h30 à 13h00 et de 14h30 à 19h30.
De la même façon, le vendredi 12 juillet 2019, alors que l’appelante avait échangé sa période de travail avec sa collègue (cf échanges de SMS du mercredi 10 juillet avec la gérante de l’établissement LV PRESSE) et travaillait l’après midi, deux livrets CASH ont été validés à 16h51 et 17h23, sans faire l’objet d’un encaissement.
Enfin, le samedi 13 juillet 2019 au cours duquel Mme [N] [E] avait également effectué un changement d’horaires avec sa collègue afin de travailler le matin en lieu et place de l’après midi, un livret CASH et un livret SUPER 500 ont été validés (à 9h31 et 11h43) mais n’ont pas fait l’objet du versement d’une quelconque recette.
Il résulte également de l’attestation établie par le cabinet d’expertise comptable qu’aucun décalage ni aucune validation de livret non suivie de la perception d’une recette n’ont été constatés au cours de la période du 24 au 30 juin 2019, alors que l’appelante se trouvait en congés au cours de cette période, conformément à son bulletin de salaire du mois de juin 2019 dont elle ne conteste pas le contenu.
Ainsi, la preuve se trouve rapportée de ce que Mme [N] [E] a, entre le 9 et le 15 juillet 2019 validé des livrets de tickets à gratter sans que ceux-ci ne fassent l’objet de la perception d’une recette au profit de la SARL LV PRESSE, occasionnant à cette dernière une perte financière chiffrée par le cabinet d’expertise comptable sur cette période à 2808 euros, peu important que l’inventaire de la caisse n’ait pas été réalisé conformément à l’avenant signé, le système automatisé de validation des livrets et de détermination de leur statut inactif/ validé/ vendu permettant d’en démontrer le statut précis sans que la réalisation d’un comptage manuel quotidien ne soit nécessaire.
Et s’il n’est pas démontré que la totalité de la perte financière chiffrée à 69 544 euros est imputable à Mme [E], les agissements précités ayant conduit à une perte financière de 2808 euros constituent, à eux seuls, une violation grave des obligations découlant du contrat de travail à l’égard de l’employeur, d’une importance telle qu’elle a rendu impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise, y compris pendant la durée du préavis, ce d’autant que l’appelante avait, par le passé déjà été sanctionnée d’un avertissement pour avoir commis des manipulations sur le système de caisse sans autorisation de son employeur et manqué de vigilance, conduisant alors à une escroquerie de 2500 euros.
La faute grave est, par suite, établie et le licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire est justifié.
Mme [N] [E] est, par suite, déboutée de ses demandes financières relatives à l’indemnité de préavis et des congés payés y afférents, au rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, à l’indemnité de licenciement et aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles sont confirmées.
Succombant à l’instance, Mme [N] [E] est condamnée aux dépens d’appel.
L’équité commande de ne pas faire droit aux demandes respectives d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour d’appel statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Dunkerque le 20 octobre 2020 dans l’ensemble de ses dispositions ;
ET Y AJOUTANT,
CONDAMNE Mme [N] [E] aux dépens d’appel ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que de leurs demandes plus amples et contraires.
LE GREFFIER
Gaetan DELETTREZ
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL