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Les associations qui propagent (en ligne ou non) des idées et théories tendant à justifier et encourager la discrimination, la haine et la violence envers des groupes de personnes à raison de l’appartenance à une nation, des convictions religieuses, du sexe et de l’orientation sexuelle, peuvent être dissoutes par le gouvernement sur le fondement de l’article 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
Le Conseil d’Etat a validé le décret du 5 janvier 2022 prononçant la dissolution des associations islamistes Al Qalam et le Juste Milieu.
Les principaux dirigeants des associations, l’imam de la mosquée et la personne qui animait alors l’école ont, selon le cas, justifié l’assassinat de Samuel Paty à Eragny en 2020 et celui de Stéphanie Monfermé à Rambouillet en 2021, et énoncé, en écho à la nouvelle publication de caricatures du prophète Mahomet dans le journal Charlie Hebdo, que toute personne qui se moque du prophète doit mourir.
Ont également été tenus à de multiples reprises, par des responsables de la mosquée, des propos encourageant au djihad armé et valorisant la participation à une telle lutte et la mort en « martyr ».
Etait régulièrement propagée au sein de la mosquée d’Allonnes, par le président et le vice-président ainsi que par l’imam de la mosquée et des prédicateurs, une conception de l’islam reposant sur la distinction entre les musulmans salafistes et les « mécréants français », considérés comme « pires que des animaux » et ayant vocation à « aller en enfer ».
Y était défendue l’idée que la France est « islamophobe » et qu’elle « fait la guerre à l’islam », justifiant, au titre du djihad, d’« unir les forces de l’islam pour se préparer à combattre les islamophobes » et demandant à Allah de « donner la victoire aux musulmans ».
Les notes blanches de la sécurité intérieure ont également fait état de relations étroites entre certains membres des associations requérantes, officiant au sein de la mosquée, et des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, ainsi que de la diffusion sur les réseaux sociaux de publications propageant les mêmes théories et de projets de départ en Syrie en vue de se livrer au djihad armé, témoignant d’une radicalisation de fidèles fréquentant la mosquée.
Enfin, des propos violents à caractère antisémite et homophobe ont été tenus à plusieurs reprises par une personne qui exerçait des fonctions d’enseignant au sein de l’école abritée par la mosquée, de même que, par l’imam de celle-ci, des propos discriminatoires à l’égard des femmes, justifiant les violences conjugales par le fait que l’époux peut « disposer de sa femme à sa guise », qualifiant le viol conjugal d’« invention de l’Occident » et appelant à l’instauration de la charia.
Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure :
” Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (…)
6° (…) qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;
7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger » .
Selon l’article L. 212-1-1 du même code :
« Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ».
Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 8 février 2023, 462120, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 mars, 7 juin, 20 juin 2022 et 19 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Al Qalam et l’association allonnaise pour le Juste Milieu demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 janvier 2022 portant dissolution de l’association allonnaise pour le Juste Milieu et de l’association Al Qalam ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
— le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,
— les conclusions de Mme A… de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de l’association Al Qalam et de l’association allonnaise pour le Juste Milieu ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : ” Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (…) 6° (…) qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger « . Selon l’article L. 212-1-1 du même code : » Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient “.
2. Par un décret du 5 janvier 2022 pris sur le fondement des 6° et 7° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, l’association Al Qalam et l’association allonnaise pour le Juste Milieu, qui assuraient la gestion du lieu de culte « mosquée d’Allonnes » et de l’école qu’il abritait, ont été dissoutes. Ces associations demandent l’annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les associations requérantes ont été informées, le 20 décembre 2021, de l’engagement d’une procédure de dissolution à leur encontre et de ce qu’elles disposaient de la possibilité de présenter leurs observations dans un délai de dix jours, ce qu’elles ont fait, par la voie de leur conseil, par un courrier du 28 décembre 2021. Elles ne soutiennent pas qu’elles auraient été dans l’impossibilité de produire des éléments utiles à leur défense dans le délai imparti. Dans ces conditions, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure contradictoire préalable prévue à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, en raison du délai insuffisant qui leur aurait été laissé pour présenter leurs observations, doit être écarté.
4. En second lieu, le décret attaqué expose les circonstances de fait ayant motivé la dissolution des deux associations sur le fondement des dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, qu’il vise et cite. Les associations requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que ce décret serait insuffisamment motivé.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des notes blanches précises et circonstanciées des services de renseignement que ne suffisent pas à démentir les attestations de fidèles produites par les requérantes ou la reconnaissance alléguée dont bénéficiait le président des associations auprès des autorités locales, qu’était régulièrement propagée au sein de la mosquée d’Allonnes, par le président et le vice-président ainsi que par l’imam de la mosquée et des prédicateurs, une conception de l’islam reposant sur la distinction entre les musulmans salafistes et les « mécréants français », considérés comme « pires que des animaux » et ayant vocation à « aller en enfer ». Y était défendue l’idée que la France est « islamophobe » et qu’elle « fait la guerre à l’islam », justifiant, au titre du djihad, d’« unir les forces de l’islam pour se préparer à combattre les islamophobes » et demandant à Allah de « donner la victoire aux musulmans ». Les notes blanches font également état de relations étroites entre certains membres des associations requérantes, officiant au sein de la mosquée, et des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, ainsi que de la diffusion sur les réseaux sociaux de publications propageant les mêmes théories et de projets de départ en Syrie en vue de se livrer au djihad armé, témoignant d’une radicalisation de fidèles fréquentant la mosquée. Enfin, des propos violents à caractère antisémite et homophobe ont été tenus à plusieurs reprises par une personne qui exerçait des fonctions d’enseignant au sein de l’école abritée par la mosquée, de même que, par l’imam de celle-ci, des propos discriminatoires à l’égard des femmes, justifiant les violences conjugales par le fait que l’époux peut « disposer de sa femme à sa guise », qualifiant le viol conjugal d’« invention de l’Occident » et appelant à l’instauration de la charia. Il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les dirigeants de l’association auraient condamné les propos litigieux tenus par des membres de l’association ou auraient entrepris de les exclure.
6. Il ressort ainsi des éléments versés au dossier que les associations dissoutes ont propagé des idées et théories tendant à justifier et encourager la discrimination, la haine et la violence envers des groupes de personnes à raison de l’appartenance à une nation, des convictions religieuses, du sexe et de l’orientation sexuelle. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le décret attaqué, qui ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, aurait fait une inexacte application du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
7. En deuxième lieu, il ressort de l’ensemble des éléments versés au dossier que les principaux dirigeants des associations, l’imam de la mosquée et la personne qui animait alors l’école ont, selon le cas, justifié l’assassinat de Samuel Paty à Eragny en 2020 et celui de Stéphanie Monfermé à Rambouillet en 2021, et énoncé, en écho à la nouvelle publication de caricatures du prophète Mahomet dans le journal Charlie Hebdo, que toute personne qui se moque du prophète doit mourir. Ont également été tenus à de multiples reprises, par des responsables de la mosquée, des propos encourageant au djihad armé et valorisant la participation à une telle lutte et la mort en « martyr ». Enfin, des propos et publications multiples de fidèles ayant fréquenté la mosquée d’Allonnes relevant de l’apologie du terrorisme, notamment en ce qu’ils se réjouissent de l’attaque dans les locaux de Charlie Hebdo et des attentats du Bataclan, ou appelant à prendre les armes « pour faire couler le sang », confirment le caractère incitatif à la commission d’actes de terrorisme des agissements constatés au sein de la mosquée. Dans ces conditions, les associations dissoutes doivent être regardées comme s’étant livrées à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le décret attaqué, qui ne repose pas davantage à cet égard sur des faits matériellement inexacts, procèderait d’une erreur d’appréciation dans l’application du 7° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
8. En troisième lieu, eu égard à la nature, à la gravité et au caractère réitéré des propos et agissements précédemment mentionnés, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que leur dissolution porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’association et à la liberté de religion ni qu’elle serait discriminatoire en ce qu’elle viserait un lieu de culte musulman.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l’association Al Qalam et de l’association allonnaise pour le Juste Milieu doit être rejetée, y compris les conclusions qu’elles présentent au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’association Al Qalam et de l’association allonnaise pour le Juste Milieu est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association Al Qalam, à l’association allonnaise pour le Juste Milieu et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l’issue de la séance du 23 janvier 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Alexandre Lallet, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Arno Klarsfeld, Mme Rozen Noguellou, conseillers d’Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.
Rendu le 8 février 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana