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Désireux de réaliser des investissements susceptibles de leur faire bénéficier d’avantages fiscaux, un couple a, par l’intermédiaire d’une société de conseil en gestion, réalisé divers investissements par souscription de parts sociales de PME de production audiovisuelle éligibles au dispositif de défiscalisation de la loi Tepa.
Prétendant que ces placements leur avait fait subir des pertes financières, notamment du fait de la liquidation judiciaire des sociétés de production et faisant grief à la société d’avoir manqué à ses obligations d’information et de conseil, les époux l’ont fait assigner en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance.
Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Pour une action en responsabilité, le fait permettant à la victime d’exercer son action est la manifestation du dommage, de sorte que le délai de prescription court à compter de la réalisation du celui-ci ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu précédemment connaissance.
En l’occurrence, le dommage résultant de manquements de la société de conseil en gestion à son obligation d’information et de conseil consiste, pour ses clients, dans la perte d’une chance de mieux investir leurs capitaux, de sorte que cette perte de chance s’est réalisée dès les investissements litigieux, c’est à dire au moment de la souscription, réalisée.
Cependant, ce dommage ne s’est manifesté et n’a été révélé aux époux qu’au moment où leur préjudice est devenu certain, c’est à dire après la réalisation d’une moins-value ou même de la perte définitive de valeur de ces titres du fait de la liquidation judiciaire des sociétés dans le capital desquelles ils ont investi, étant auparavant dans l’impossibilité d’agir avec succès en réparation de pertes seulement latentes et, partant, d’un préjudice hypothétique.
Or, les sociétés de production n’ont été respectivement mises en liquidation judiciaire que les 17 septembre 2015 et 12 avril 2018, compromettant ainsi gravement la valeur des parts détenues par les associés et provoquant même la disparition pure et simple de ces parts en cas de clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.
Il en résulte donc que les époux ont pu légitimement ignorer jusqu’au prononcé de ces liquidations judiciaires le fait dommageable leur permettant d’exercer l’action en responsabilité contre le conseil en gestion par l’intermédiaire duquel ils ont souscrit les actions, de sorte que le délai de la prescription quinquennale n’a commencé à courir qu’à compter de ces dates et qu’en conséquence, leur action, exercée n’était pas prescrite.
Le dispositif TEPA ou ISF-PME a été mis en place par l’article 16 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Bien qu’elles ne soient pas spécifiquement réservées au secteur cinématographique et audiovisuel, deux dépenses fiscales visant à encourager l’investissement des particuliers dans le capital des petites et moyennes entreprises (PME) au travers d’une réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune (article 885-0-V bis du CGI) ou d’une réduction d’impôt sur le revenu (article 199 terdecies-0 A du CGI) sont couramment utilisées dans le financement d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles.
Elles permettent à des particuliers de souscrire au capital de PME qui interviennent dans la production ou la distribution d’un film et de bénéficier : i) des gains dégagés par les éventuelles recettes d’exploitation des œuvres financées ; ii) des réductions d’impôt sur le revenu (18 % du montant de la souscription) ou de l’impôt de solidarité sur la fortune (50 % du montant de la souscription).
Les PME qui utilisent ces deux dispositifs fiscaux investissent dans la production et la distribution de nouveaux films et viennent ainsi compléter le plan de financement du producteur ou du distributeur. Si certaines sociétés sont des structures ad hoc créées en vue de la production ou de la distribution d’un seul film, d’autres minimisent le risque commercial en investissant dans un portefeuille de films qui présentent des perspectives de recettes moins aléatoires que la moyenne des films français (films produits par des circuits intégrés, films à budgets élevés, etc.). Il arrive également que ces PME soient directement créées par des producteurs ou des distributeurs, qui se servent de ces sociétés comme fonds d’investissement.
Certaines sociétés investissent dans l’acquisition de droits d’exploitation et de distribution de films de catalogue (déjà produits et financés) auprès des producteurs étrangers et revendent les différents droits audiovisuels ainsi acquis aux éditeurs vidéo, internet et télévisuels français. Cette organisation se rencontre notamment dans le financement de films qui se rattachent à une catégorie particulière (« films de genre » : policier, thrillers, fantastique, documentaires, etc.) et dans le domaine audiovisuel.
Ces deux dispositifs présentent plusieurs caractéristiques qui les rendent plus attractifs que les SOFICA : i) le plafonnement de l’investissement, porté à 50 000 € pour la réduction d’impôt sur le revenu et à 45 000 € pour la réduction d’impôt de solidarité sur la fortune est supérieur à celui des SOFICA (18 000 €) ; ii) le mécanisme de l’adossement n’y est pas limité.
À l’image du dispositif fiscal en vigueur en Belgique appelé tax shelter, les investisseurs peuvent ne conserver que pour une durée moyenne (cinq ans) les droits détenus dans les films
avant que ceux-ci ne soient rachetés par le groupe d’adossement. Cependant, tant en termes de maîtrise des finances publiques que d’efficacité des investissements, ces deux dépenses fiscales ne présentent pas les mêmes garanties que les SOFICA :
− leur enveloppe n’étant pas normée, le coût de la dépense fiscale n’est ni clairement identifiable, ni maîtrisé. Le CNC comme l’administration fiscale ne disposent d’aucune vision d’ensemble sur les montants en jeu ou les sociétés bénéficiaires ;
− en l’absence de système d’agrément, il n’existe aucun contrôle sur la destination des fonds défiscalisés.
Ainsi, les investissements ne sont pas orientés prioritairement vers les productions en besoin de financement, mais poursuivent un seul objectif de rentabilité financière, en limitant au maximum la prise de risque ;
− bien que ces dispositifs soient jugés non « pas redondants, mais complémentaires » avec les SOFICA par le CNC, sur un plan de financement de dix films ayant recours à ces dispositifs, sept d’entre eux ont également bénéficiaires d’un financement de SOFICA.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
2e Chambre
ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2021
N° RG 21/00902
N° Portalis DBVL-V-B7F- RKXF
M. D-E C
Mme B C
C/
S.A.R.L. X Y
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
Assesseur : Madame Marie-Odile GELOT-BARBIER, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Z A, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 1er juillet 2021, devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 8 octobre 2021 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
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APPELANTS :
Monsieur D-E C
né le […] à LOPEREC
Madame B C
née le […] à TREGUNC
Représentée par Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
La S.A.R.L. X Y
dont le siège social est […]
Représentée par Me Valérie POSTIC de la SELARL ATHENA AVOCATS ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
Représentée par Me Anne-Sophie PIA de la SELEURL WKIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
EXPOSÉ DU LITIGE
Désireux de réaliser des investissements susceptibles de leur faire bénéficier d’avantages fiscaux, les époux C ont, par l’intermédiaire de la société X Y exerçant l’activité de conseil en gestion de Y, réalisé divers investissements par souscription de parts sociales de PME de production audiovisuelle éligibles au dispositif de défiscalisation de la loi Tepa, notamment :
• le 20 décembre 2011, à hauteur de 3 000 euros au capital de la société X Film,
• le 23 décembre 2014, à hauteur de 10 000 euros au capital de la société Plein feu Productions,
• le 15 décembre 2015, à hauteur de 7 500 euros au capital de la société 3 +,
• le 6 décembre 2016, à hauteur de 4 995 euros au capital de la société Cinéastre.
Prétendant que ces placements leur avait fait subir des pertes financières, notamment du fait de la liquidation judiciaire des sociétés X Film et Plein feu Productions, et faisant grief à la société X Y d’avoir manqué à ses obligations d’information et de conseil, les époux C
l’ont fait assigner en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance de Quimper.
Par conclusions d’incident du 21 octobre 2020, la société X Y a saisi le juge de la mise en état à l’effet de faire déclarer l’action des époux C au titre des investissements des 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014 irrecevable car prescrite, et celle exercée au titre des investissements des 20 décembre 2011, 15 décembre 2015 et 6 décembre 2016 irrecevables pour défaut d’intérêt à agir en l’absence de préjudice actuel et certain.
Par ordonnance du 5 février 2021, le juge de la mise en état a :
• rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de ‘qualité’ à agir, s’agissant des investissements faits au sein des sociétés X Films, 3 + et Cinéastre,
• déclaré irrecevable comme étant prescrite l’action des époux C portant sur les investissements réalisés les 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014 au sein des sociétés X Films et Pleins Feux productions,
• réservé les dépens de l’incident qui suivront le même sort que ceux de l’instance au fond.
Les époux C ont relevé appel de cette décision le 8 février 2021, pour demander à la cour de :
• infirmer l’ordonnance attaquée s’agissant de la prescription et de l’irrecevabilité de l’action portant sur les investissements réalisés les 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014 au sein des sociétés X Films et Pleins Feux productions,
• débouter la société X Y de ses demandes,
• condamner la société X Y à verser aux consorts C la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Ayant formé appel incident, la société X Y demande quant à elle à la cour de :
• confirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré irrecevable comme étant prescrite l’action des époux C portant sur les investissements réalisés les 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014 au sein des sociétés X Films et Plein Feux productions,
• l’infirmer en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de ‘qualité’ à agir au titre des investissements faits au sein des sociétés X Films, 3 + et Cinéastre,
• déclarer irrecevable car dénuée d’intérêt à agir l’action exercée par les époux C au titre des investissements réalisés dans les sociétés X Films, 3+ et Cinéastre,
• débouter les époux C de leurs demandes,
• condamner les époux C au paiement d’une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour les époux C le 23 mars 2021 et pour la société X Y le 18 mai 2021, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 27 mai 2021.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la prescription
Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Pour une action en responsabilité, le fait permettant à la victime d’exercer son action est la manifestation du dommage, de sorte que le délai de prescription court à compter de la réalisation du celui-ci ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu précédemment connaissance.
En l’occurrence, le dommage résultant de manquements de la société de conseil en gestion de Y à son obligation d’information et de conseil consiste, pour ses clients, dans la perte d’une chance de mieux investir leurs capitaux, de sorte que cette perte de chance s’est réalisée dès les investissements litigieux, c’est à dire au moment de la souscription, réalisée les 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014, des actions des sociétés X Films et Plein Feux productions.
Cependant, ce dommage ne s’est manifesté et n’a été révélé aux époux C qu’au moment où leur préjudice est devenu certain, c’est à dire après la réalisation d’une moins-value ou même de la perte définitive de valeur de ces titres du fait de la liquidation judiciaire des sociétés dans le capital desquelles ils ont investi, étant auparavant dans l’impossibilité d’agir avec succès en réparation de pertes seulement latentes et, partant, d’un préjudice hypothétique.
Or, les sociétés X Films et Plein feu productions n’ont été respectivement mises en liquidation judiciaire que les 17 septembre 2015 et 12 avril 2018, compromettant ainsi gravement la valeur des parts détenues par les associés et provoquant même la disparition pure et simple de ces parts en cas de clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.
Il en résulte donc que les époux C ont pu légitimement ignorer jusqu’au prononcé de ces liquidations judiciaires le fait dommageable leur permettant d’exercer l’action en responsabilité contre le conseil en gestion de Y par l’intermédiaire duquel ils ont souscrit les actions, de sorte que le délai de la prescription quinquennale n’a commencé à courir qu’à compter de ces dates et qu’en conséquence, leur action, exercée par assignation du 28 mai 2020, n’est prescrite en aucune de ses prétentions.
L’ordonnance attaquée sera donc réformée en ce sens.
Sur l’intérêt à agir
La société X Y soutient par ailleurs qu’en dehors de l’investissement réalisé par souscription de parts sociales de la société Plein Feu productions dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actifs depuis le 18 décembre 2019 et pour laquelle le liquidateur a délivré aux époux C un certificat d’irrecouvrabilité de leur créance, les pertes invoquées ne seraient que latentes, de sorte que le préjudice allégué n’est qu’hypothétique et que les demandes formées au titre des investissements réalisés par souscription de parts sociales dans le capital des sociétés X Films, 3 + et Cinéastre seraient par conséquent irrecevables pour défaut d’intérêt à agir.
Il est cependant de principe que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l’action, et que l’existence du préjudice invoqué par les demandeurs n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès.
Il appartiendra donc au tribunal statuant au fond de déterminer si le préjudice invoqué au titre des investissements réalisés par souscription de parts sociales, dont les époux C sont toujours détenteurs, dans le capital de la société X Films, dont la liquidation judiciaire est toujours en cours, et des sociétés 3 + et Cinéastre, qui sont in boni, est bien certain et indemnisable, et non simplement hypothétique.
L’ordonnance attaquée sera par conséquent de ce chef confirmée, sauf à la rectifier en précisant que la fin de non-recevoir rejetée est tirée du défaut d’intérêt à agir, et non du défaut de qualité à agir.
Sur les frais irrépétibles
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge des époux C l’intégralité des frais exposés par eux à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il leur sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme l’ordonnance rendue le 5 février 2021 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Quimper en ce qu’elle a déclaré irrecevable comme prescrite l’action des époux C portant sur les investissements réalisés les 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014 au sein des sociétés X Film et Pleins Feux productions ;
Déclare recevables les demandes formées par les époux C au titre des investissements réalisés les 20 décembre 2011 et 23 décembre 2014 par souscription de parts sociales des sociétés X Film et Pleins Feux productions ;
Confirme l’ordonnance attaquée en ses autres dispositions, sauf à la rectifier en précisant que la fin de non-recevoir rejetée est tirée du défaut d’intérêt à agir, et non du défaut de qualité à agir ;
Condamne la société X Y à payer aux époux C une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société X Y aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT