M. [K] et Mme [F] ont contracté un prêt de 500 000 euros auprès de la BANQUE POPULAIRE pour un investissement immobilier locatif en 2007. Ils ont acquis des lots dans une résidence pour personnes âgées et signé un bail commercial avec la société gérant la résidence. Cette société a été placée en redressement judiciaire en juillet 2023. En septembre 2023, les époux [K] ont assigné la banque pour obtenir des dommages-intérêts, invoquant une perte de chance d’investissement. La banque a soulevé une fin de non-recevoir pour prescription, tandis que les époux contestaient cette fin de non-recevoir et demandaient des frais de procédure. Le juge a déclaré la banque recevable dans sa demande de prescription, a rejeté la fin de non-recevoir, et a condamné la banque à payer des dépens et des frais aux époux. L’affaire a été renvoyée à une audience ultérieure.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le 08/10/2024
A Me COHEN
Me HENRY
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9ème chambre 2ème section
N° RG 23/13932 –
N° Portalis 352J-W-B7H-C2XZG
N° MINUTE :
Assignation du :
11 Septembre 2023
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 08 Octobre 2024
DEMANDEURS
Monsieur [V] [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Maître Mickael COHEN de la SELEURL SELARLU CABINET COHEN, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #
Madame [U] [F] épouse [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Mickael COHEN de la SELEURL SELARLU CABINET COHEN, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #
DEFENDERESSE
Ste coopérative banque Po BANQUE POPULAIRE RIVES DE [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Maître Marc HENRY de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #J0013
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint
assisté de Alise CONDAMINE-DUCREUX, Greffière lors des débats, et de Camille CHAUMONT, Greffière lors de la mise à disposition.
A l’audience de plaidoirie sur incident du 27 août 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe le 08 Octobre 2024.
ORDONNANCE
Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
Dans le cadre d’un investissement immobilier locatif défiscalisé, M. [K] et Mme [F], son épouse (les époux [K]), ont souscrit le 27 décembre 2007 un prêt d’un montant de 500 000 euros, au taux d’intérêt de 4,65%, auprès de la BANQUE POPULAIRE RIVES DE [Localité 6] (la BANQUE POPULAIRE).
Par acte authentique du 29 décembre 2007, les époux [K] ont acquis les lots n°16, l7 et 18 au sein d’une résidence pour personnes âgées située à [Localité 5], pour un prix de 402 454,41 euros HT.
Un bail commercial d’une durée de neuf ans, renouvelable, a été signé avec la société [Localité 5], gérant la résidence.
La société [Localité 5] a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 24 juillet 2023.
Par acte du 11 septembre 2023, les époux [K] ont fait assigner la BANQUE POPULAIRE devant le présent tribunal, afin qu’elle soit condamnée à leur payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la somme de 350 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de leur perte de chance d’avoir pu réaliser un investissement pérenne, outre celle de 10 000 euros au titre de ses frais de procédure.
Par conclusions d’incident du 22 août 2024, la BANQUE POPULAIRE demande au juge de la mise en état de dire irrecevables pour cause de prescription les demandes des époux [K] et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions d’incident du 22 juillet 2024, les époux [K] demandent au juge de la mise de déclarer qu’il n’est pas valablement saisi au regard de l’absence de prétentions de la BANQUE POPULAIRE. Subsidiairement, ils s’opposent à la fin de non-recevoir et entendent que la banque soit condamnée à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par la banque :
Contrairement à ce que soutiennent les époux [K], le juge de la mise en état a été régulièrement saisi d’une fin de non-recevoir. En effet, le dispositif des conclusions d’incident de la banque demande qu’il soit dit et jugé que : « l’action de Monsieur [V] [K] et Madame [U] [F] à l’encontre de la société Banque Populaire Rives de [Localité 6] est prescrite », peu important à cet égard que l’expression « dire et juger » ait été employée.
Cette fin de non-recevoir est donc recevable.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action des époux [K] :
La BANQUE POPULAIRE rappelle qu’il est invoqué à son encontre un manquement à l’obligation d’information et de conseil, lors de la signature de l’acte de vente et du contrat de bail commercial et, plus précisément, le fait de ne pas avoir suffisamment informé et conseillé les époux [K] au moment de la signature de ces actes, quant aux risques de l’investissement, soit des fautes commises au moment de la réalisation dudit investissement.
Elle en conclut que c’est à la date de la signature de ces actes que des fautes sont alléguées, ce qui détermine le point de départ du délai quinquennal de prescription. Dans la mesure où l’investissement a été réalisé le 29 décembre 2007, soit avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, mais près de 13 ans avant l’assignation qui date du 11 septembre 2023, le délai de 5 ans avait entièrement couru lors de la délivrance de cet acte.
La banque ajoute que l’ouverture de la procédure collective concernant l’exploitant de la résidence est postérieure aux fautes alléguées, outre que la diminution du loyer qui constituerait une partie du préjudice est intervenue avant la mise en redressement judiciaire, sans qu’une date exacte ne soit alléguée par les demandeurs au fond.
Les époux [K] répliquent qu’en matière d’investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l’acquéreur ne peut résulter que des faits susceptibles de lui révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.
Or, ils relèvent qu’en l’espèce la société [Localité 5], preneur à bail, a été placée en redressement judiciaire le 24 juillet 2023 et que c’est à la suite de l’ouverture de cette procédure collective qu’ils ont fait état de leurs difficultés à la banque, qui les avait conseillés et leur avait permis de financer les biens immobiliers en cause.
Ceci étant rappelé.
Dans leur assignation qui seule détermine leurs demandes, en l’absence de conclusions au fond, les époux [K] soutiennent que la BANQUE POPULAIRE n’a pas respecté son obligation de mise en garde, d’alerte, d’information et de conseil, alors qu’elle devait, a minima, les informer du risque de cet investissement en cas de défaillance de l’exploitant de la résidence ou encore de l’absence de paiement des loyers ou d’une diminution de ces loyers, rappelant avoir réalisé cet investissement sur les conseils de leur banque.
Ils précisent que les avantages fiscaux attendus de l’investissement imposent une exploitation de la résidence pendant une durée minimale de vingt ans.
Sur leur préjudice, ils font valoir que la pérennité de l’exploitation de la résidence ne peut plus être assurée, à la suite de la mise en redressement judiciaire de la société [Localité 5], de sorte qu’ils ont subi une perte de chance de ne pas investir dans une opération sécurisée.
Il n’appartient pas au juge de la mise en état de se prononcer sur le rôle exact de la banque dans cet investissement.
Pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, il est relevé que les époux [K] font valoir que la BANQUE POPULAIRE leur a conseillé l’investissement litigieux et n’a pas respecté son obligation de mise en garde, d’alerte, d’information et de conseil.
Les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
S’agissant d’un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l’acquéreur, qui constitue le point de départ du délai de prescription, ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l’impossibilité d’atteindre la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.
En l’espèce, cette circonstance ne s’est révélée qu’au moment de l’ouverture de la procédure collective concernant la société [Localité 5], exploitant la résidence dans laquelle les époux [K] ont acquis trois lots, et remettant en cause la pérennité et donc la rentabilité du projet.
Ce n’est donc à compter du 24 juillet 2023 qu’a commencé à courir le délai quinquennal de prescription.
L’action engagée par les époux [K], en ce qu’ils auraient perdu une chance de réaliser un investissement sécurisé, n’est pas donc pas irrecevable pour cause de prescription.
Sur les autres demandes :
Au titre des frais irrépétibles, la banque sera condamnée à payer aux époux [K] la somme globale de 1 000 euros.
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, susceptible d’appel, par mise à disposition au greffe,
DIT la BANQUE POPULAIRE RIVES DE [Localité 6] recevable en sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de M. [V] [K] et Mme [U] [F], épouse [K] ;
REJETTE cette fin de non-recevoir ;
CONDAMNE la BANQUE POPULAIRE RIVES DE [Localité 6] aux dépens de l’incident, qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer à M. [V] [K] et à Mme [U] [F], épouse [K] la somme globale de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état du 19 novembre 2024, 9h30, afin que la BANQUE POPULAIRE RIVES DE [Localité 6] conclue au fond.
Faite et rendue à Paris le 08 Octobre 2024
La greffière Le juge de la mise en état