Intimidations et blagues douteuses au travail : licenciement de droit

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Intimidations et blagues douteuses au travail : licenciement de droit

Le comportement agressif du salarié, accompagné d’actes d’intimidation, d’humiliation et des propos irrespectueux, insultants et attentatoires à la dignité commis ou tenus à l’encontre de l’un de ses collègues justifient sans difficulté un licenciement pour faute grave.

Dans l’affaire soumise, compte tenu de la nature des faits en cause, et au regard de l’obligation qui pèse sur l’employeur d’assurer la protection de ses salariés, les manquements du salarié rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, y compris durant l’exécution d’un préavis, quand bien même le salarié fautif disposait d’une grande ancienneté et qu’il n’est justifié ni invoqué aucun précédent disciplinaire le concernant.

Le licenciement pour faute grave étant justifié, le salarié ne peut prétendre ni à une indemnité compensatrice de préavis, ni à une indemnité de licenciement, ni à un rappel de salaire pour la

période de mise à pied conservatoire, laquelle était fondée, ni à une indemnisation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail. Le jugement du conseil de prud’hommes est infirmé en ce qu’il a alloué au salarié ces diverses indemnités, et le salarié est débouté des demandes indemnitaires.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

21e chambre

ARRET DU 14 JANVIER 2021

N° RG 18/04609 –��N° Portalis DBV3-V-B7C-SYGV

AFFAIRE :

SELARL ML CONSEILS prise en la personne de Maître X Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « CVA CHARTRES »

C/

L Y

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Octobre 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : I

N° RG : F 18/00082

LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SELARL ML CONSEILS prise en la personne de Maître X Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « CVA CHARTRES »

[…]

[…]

Représentant : Me Christel ROSSE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 67

APPELANTE

****************

Monsieur L Y

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentant : Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU de l’AARPI BEZARD GALY COUZINET CONDON, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000002

Association AGS CGEA IDF OUEST

[…]

[…]

Représentant : Me Claude-marc BENOIT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953

INTIMES

Association AGS CGEA ORLÉANS UNEDIC

N° SIRET : 158 024 505 8

16 ruede la république

[…]

Représentant : Me Claude-marc BENOIT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953

PARTIE INTERVENANTE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 Novembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. L Y a été engagé le 18 septembre 1990 en qualité de spécialiste d’entretien, monteur en

menuiserie aluminium, ouvrier qualifié 2e échelon, par la société Somussy, selon contrat de

travail à durée déterminée.

La relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, au

sein de la société VFA, après cession de son activité menuiserie aluminium par la société Somussy,

puis de la société CVA ( Création Vérandas Aluminium) Chartres.

Au dernier état de la relation de travail, M. Y exerçait ses fonctions ( depuis le 1er avril 2015) au

sein de l’établissement de Chartres, situé à Fontenay sur Eure. Il occupait les fonctions de technicien

d’atelier, niveau III.

L’entreprise, qui avait pour activité la fabrication de vérandas, employait plus de dix salariés et

relevait de la convention collective de la Métallurgie d’Eure et Loir.

Le 6 décembre 2017, M. Y a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement

pour faute grave, fixé au 13 décembre 2017, et mis à pied à titre conservatoire . Le 18 décembre

2017, il a été licencié pour faute grave.

Par jugement en date du 14 décembre 2017, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une

procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société CVA Chartres, puis par jugement en

date du 8 février 2018, il a converti la procédure en liquidation judiciaire, et désigné la SELARL ML

Conseils, prise en la personne de M. X, ès qualités de liquidateur.

Par requête reçue au greffe le 22 février 2017, M. Y a saisi le conseil de prud’hommes de

Chartres d’une contestation de la rupture de son contrat de travail. Il a demandé au conseil de :

— fixer sa créance aux sommes suivantes : 7 626,18 euros à titre d’indemnité compensatrice de

préavis, outre 762,61 euros au titre des congés payés afférents, 31 264,77 euros à titre d’indemnité

conventionnelle de licenciement, 1 060,32 euros à titre de rappel de salaire durant la mise à pied à

titre conservatoire, outre 106,03 euros au titre des congés payés afférents, 1 143,92 euros à titre de

rappel de congés payés, à titre principal 102 448 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans

cause réelle et sérieuse, et subsidiairement, 72 448,71 euros à titre d’indemnité pour licenciement

sans cause réelle et sérieuse et 30 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de

son licenciement, 2 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, – ordonner la

remise des bulletins de salaire afférents au salaire durant la mise à pied à titre conservatoire, congés

payés et préavis, ainsi que des documents afférents à la rupture du contrat de travail rectifiés,

— déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA Île de France Ouest,

— dire que l’intégralité des sommes sus énoncées sera augmentée des intérêts au taux légal et ce à

compter du jour de l’introduction de la demande,

— ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

— condamner la société aux entiers dépens.

Par jugement rendu le 16 octobre 2018, le conseil (section industrie) a :

— fixé la créance de M. Y dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SAS CVA Chartres aux

sommes suivantes :

7 626,18 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

762,61 euros à titre des congés payés afférents,

31 264,77 euros à titre d’indemnité de licenciement,

1 060,32 euros à titre de rappel de salaire de mise à pied conservatoire,

106,03 euros au titre des congés payés afférents,

1 143,92 euros à titre de rappel d’indemnité de congés payés,

72 448,71 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

15 200 euros à titre de dommages et intérêts de préjudice subi liés à l’âge,

2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné la remise à M. Y des bulletins de salaire afférents au salaire durant la mise à pied à

titre conservatoire, congés payés et préavis ainsi que les documents afférents à la rupture du contrat

de travail rectifiés (certificat de travail, attestation destinée à Pôle Emploi),

— ordonné à la SELARL ML Conseils, prise en la personne de Maître X ès qualité de

mandataire liquidateur de la SAS CVA Chartres de diligenter les procédures tendant au paiement de

ces sommes et à la remise des documents,

— débouté M. Y du surplus de ses demandes,

— dit que le présent jugement est opposable à l’AGS représentée par le CGEA Ile de France Ouest

dans la limite de sa garantie légale,

— dit que les dépens feront partie des frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la SAS CVA

Chartres.

Le 7 novembre 2018, la Selarl ML Conseils, ès qualités de mandataire liquidateur de la société CVA

Chartres, a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance du 7 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de

l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 9 novembre 2020.

Par dernières conclusions écrites du 2 février 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé

de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la Selarl ML

Conseils ès qualités de mandataire liquidateur de la société CVA Chartres demande à la cour de :

— infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chartres en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

— dire et juger que le licenciement pour faute grave est fondé,

En conséquence,

— débouter M. Y de ses demandes au titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés

afférents, indemnité de licenciement, rappel de salaires au titre de la mise à pied à titre conservatoire

et congés payés afférents, indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour considérait que la faute grave n’était pas caractérisée,

— requalifier le licenciement en licenciement causé

— et ainsi débouter M. Y de sa demande au titre d’indemnités pour licenciement sans cause réelle

et sérieuse,

A titre infiniment subsidiaire, ‘conformément aux ordonnances Macron’, réduire la demande au titre

d’indemnités pour licenciement abusif à de plus justes proportions à savoir trois mois de salaires,

En tout état de cause,

— débouter M. Y de sa demande complémentaire pour préjudice subi,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. Y de sa demande au titre d’indemnité

des congés payés.

Par dernières conclusions écrites du 30 avril 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé

de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. Y

demande à la cour de :

— déclarer mal fondée la SELARL ML CONSEILS prise en la personne de Maître X ès qualité

de mandataire liquidateur de la société CVA Chartres en son appel,

— l’en débouter,

— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement et en conséquence a fixé sa créance

dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société CVA Chartres aux sommes de :7 626,18 euros

à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 762,01 euros au titre des congés payés afférents, 31

264,77 euros à titre d’indemnité de licenciement, 1 060,32 euros à titre de rappel de salaire durant la

mise à pied à titre conservatoire, 106,03 euros au titre des congés payés afférents, 1 143,92 euros au

titre des congés payés, 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonné la remise des bulletins de salaire afférents au salaire durant la mise à pied à titre

conservatoire, congés payés et préavis ainsi que des documents afférents à la rupture du contrat de

travail rectifiés (certificat de travail, attestation destinée à Pôle Emploi)

déclaré la décision à intervenir opposable au CGEA IDF Ouest,

— le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident,

— fixer sa créance dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société CVA Chartres aux sommes

de :

faisant droit à l’exception d’inconventionnalité en application des dispositions de l’article L.1235-3 du

code du travail :

à titre principal, 102 448 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

subsidiairement, en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail : 72 448,71

euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 30 000 euros de

dommages intérêts pour préjudice subi du fait du licenciement (préjudices notamment liés à son âge,

à sa situation vis à vis de l’emploi, préjudice moral),

3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause

d’appel.

— condamner la société CVA Chartres aux entiers dépens.

Par dernières conclusions écrites du 22 octobre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample

exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile,

l’UNEDIC, Délégation AGS CGEA d’Orléans est intervenu volontairement à l’instance et demande à

la cour de :

— débouter M. Y de ses demandes relatives aux congés payés et à l’indemnité liée à l’âge,

— réduire à 3 mois l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

— fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

— dire le ‘jugement’ opposable à l’AGS dans les termes et conditions de l’article L 3253-19 du code du

travail et dans la limite du plafond 6 de sa garantie, toutes créances brutes confondues,

— exclure l’astreinte de la garantie de l’AGS,

— exclure de l’opposabilité à l’AGS la créance éventuellement fixée au titre de l’article 700 du code de

procédure civile,

— rejeter la demande d’intérêts légaux,

— dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.

L’UNEDIC Délégation AGS CGEA IDF Ouest s’est constituée le 26 novembre 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’intervention de l’UNEDIC Délégation AGS CGEA d’Orléans.

L’UNEDIC Délégation AGS CGEA d’Orléans est intervenue volontairement à l’instance, par le dépôt

de conclusions. Elle sera reçue en son intervention volontaire.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :

‘ (…) Nous avons récemment été alertés d’agissements et de comportements particulièrement

inappropriés et graves de votre part envers certains salariés de la Société.

En premier lieu, jeudi 30 novembre, Monsieur A a été interpellé par un salarié qui lui a fait part

de votre agressivité à son égard.

Dans ces conditions, Monsieur A est venu vous voir afin d’échanger avec vous et de comprendre

les raisons de votre comportement.

Vous vous êtes inscrit dans le déni et avez rejeté tout grief qui vous était formulé en adoptant une

attitude immédiatement agressive.

Monsieur A a donc décidé de vous confronter à vos propres contradictions et a demandé à un

autre salarié de lui faire part de son sentiment.

Lors de cet entretien, Monsieur A a été frappé par la violence de vos propos à l’égard de ce

salarié et a été contraint de vous demander à plusieurs reprises de vous calmer.

Sentant que cette confrontation improvisée prenait une tournure qu’il ne souhaitait pas, Monsieur

A vous a laissé réintégrer votre poste de travail pour s’enquérir de la santé du salarié qui

semblait sous le choc.

Le salarié, bouleversé, a déclaré être votre souffre-douleur et subir une pression permanente de

votre part.

Le lendemain, il est revenu vers Monsieur A pour se confier sur la réalité de la situation. Il a

alors expliqué qu’il faisait l’objet de traitements et propos humiliants et dégradants de votre part, et

que, terrorisé, il faisait tout son possible pour ne plus avoir à vous croiser.

Après avoir recueilli son témoignage, nous avons été stupéfaits par la gravité des faits qui nous ont

été rapportés.

Ne pouvant nous satisfaire de la position de ce seul salarié, qui s’est présenté comme victime de vos

agissements, nous avons, en second lieu, procédé à une enquête interne.

Cette enquête avait pour objet de déterminer si d’autres salariés avaient été témoins ou victimes de

ces comportements.

Force est de constater que l’ensemble des salariés interrogés ont tenu un discours similaire à celui

qui nous avait été rapporté par le premier salarié.

Tout semble indiquer que votre comportement à l’égard de vos collègues correspond en tout point à

la définition du harcèlement moral.

En effet, il ressort de l’ensemble de nos investigations que vous maniez régulièrement à l’égard de

nombre d’entre eux l’intimidation, que vous cherchez à humilier certains de vos collègues et que les

propos extrêmement outranciers que vous tenez sont irrespectueux, insultants et attentatoires à leur

dignité.

Vos propos sont d’une violence psychologique et d’une vulgarité telles que nous nous refusons à en

faire écho dans ce courrier.

Il apparaît évident que votre comportement a un impact majeur sur les conditions de travail au

quotidien de vos collègues et que certains d’entre eux craignent de vous rencontrer dans les locaux.

Par ailleurs, nos entretiens ont mis en lumière votre caractère :

– Colérique : vous n’hésitez pas à chercher querelle à vos collègues pendant ou hors de votre temps

de travail.

– Immature : à titre d’exemple, plusieurs collègues nous ont rapporté que vous tentiez de les piéger à

l’aide d’un verre d’eau placé au-dessus d’une porte et que vous filmiez votre mise en scène avec un

portable.

– Irrespectueux et vulgaires : les propos qui nous ont été rapportés sont d’une telle vulgarité que

nous ne pouvons les écrire.

Enfin, nous sommes particulièrement inquiets quant aux conséquences de l’acharnement dont vous

avez fait preuve à l’égard d’un de vos collègues que vous avez identifié comme psychologiquement

plus faible et qui n’a pas su vous tenir tête comme l’ont fait les autres.

Nous avons en effet découvert à cette occasion l’état de souffrance de ce salarié, directement causé

par votre comportement.

Compte tenu de tout ce qui précède, nous sommes contraints de vous licencier pour faute grave.

En effet, il est totalement inenvisageable pour la santé et la sécurité des autres salariés que vous

continuiez à travailler ne serait-ce qu’un jour de plus dans notre entreprise.

Les explications que vous nous avez fournies au cours de l’entretien étaient contradictoires et

révélaient votre refus de mesurer la gravité et les conséquences de vos agissements. Nous ne

pouvons donc modifier notre appréciation des faits. »

Le liquidateur considère que le licenciement pour faute grave de M. Y est fondé, les faits

reprochés au salarié, qui sont établis, caractérisant un manquement de celui-ci aux obligations

résultant de son contrat de travail.

Il soutient que c’est à tort que les déclarations faites par les salariés dans le cadre de l’enquête interne

ont été écartées par le conseil de prud’hommes au motif que l’identité de leurs auteurs ne pouvait être

vérifiée, alors qu’il ne s’agissait pas d’attestations mais de déclarations écrites faites dans le cadre de

l’enquête interne diligentée par l’employeur. Il souligne que les attestations produites par le salarié

émanent de personnes qui ne sont pas salariées de l’entreprise, ou ne travaillaient pas dans les ateliers

de Chartres. Il fait valoir que l’ancienneté de M. Y n’excuse en rien le comportement agressif et

humiliant adopté à l’égard de ses collègues, et que l’employeur, qui a l’obligation de protéger la santé

de ses salariés, ne pouvait en conséquence poursuivre une relation de travail avec une personne qui

commettait des actes de harcèlement moral sur un autre salarié.

Le salarié conteste la réalité des faits qui lui sont reprochés. Il souligne que son contrat de travail

s’est exécuté sans la moindre difficulté depuis le mois de septembre 1990, quel que soit le site sur

lequel il a été amené à travailler, qu’il n’a jamais fait l’objet de la moindre remarque ou critique quant

à la qualité de son travail ou de son comportement, ni d’une quelconque sanction, et qu’il s’est au

contraire vu gratifier de plusieurs promotions. Il conteste tout particulièrement avoir fait preuve

d’agressivité à l’égard d’un salarié et que d’autres aient pu considérer avoir été victimes de

harcèlement de sa part, et soutient qu’il s’est toujours comporté de manière courtoise et polie et

agréable avec l’ensemble de ses collègues et n’a jamais adopté un comportement ni irrespectueux ni

vulgaire.

Il critique les pièces produites par l’employeur, relevant qu’il s’agit de simples courriers, et non pas

des témoignages, et qu’aucun d’eux n’est conforme aux dispositions du code de procédure civile, et

qu’en outre, ces éléments sont totalement contredits par les pièces qu’il verse aux débats. Il considère

qu’il a été victime d’un règlement de comptes, après avoir fait observer le 30 novembre 2017 à M.

B une difficulté sur une huisserie qu’il convenait de refaire, ce que M. B n’a pas supporté, de

sorte que la conversation s’est envenimée. Il fait valoir, par ailleurs, qu’aucun fait précis n’est relaté

par M. B. Il souligne que MM. C et D, auteurs de courriers produits par l’employeur,

sont deux salariés choisis par M. A, directeur d’exploitation, pour prendre en charge une partie de

ses fonctions, en ses lieu et place, étant précisé que M. A, son supérieur hiérarchique, nommé

directeur d’exploitation en juin 2017, alors qu’il était auparavant commercial, a toujours déclaré qu’il

ne l’aimait pas, et a dès son arrivée décidé de le mettre à l’écart.

Enfin, l’employeur se prévaut d’une enquête interne, mais ne fournit aucune précision sur les

conditions dans lesquelles elle se serait déroulée ; seuls quelques salariés auraient été entendus, et

lui-même ne l’a jamais été.

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être

justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui

constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail

d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur

doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.

A titre liminaire, il convient de rappeler que les règles édictées par l’article 202 du code de procédure

civile, relatives à la forme des attestations en justice, ne sont pas prescrites à peine de nullité. En

conséquence, il n’y a pas lieu d’écarter les courriers produits par le liquidateur au seul motif qu’ils ne

répondent pas aux prescriptions légales, alors au surplus que le liquidateur fait valoir qu’il ne s’agit

pas d’attestations mais de déclarations écrites faites dans le cadre de l’enquête interne diligentée par

l’employeur, ce qui est corroboré par la mention de la date à laquelle ils ont été établis. Il

appartiendra en revanche à la cour d’en apprécier la valeur probante.

Par ailleurs, les témoignages fournis par l’employeur ne peuvent être considérés comme étant faits

par complaisance au seul motif qu’ils émanent de personnes ayant des liens avec celui-ci, sans

éléments objectifs de nature à pouvoir suspecter leur sincérité. En l’occurrence, le seul fait que MM.

D et C, comme le relate M. N O, aient été formés à la gestion de commandes, et

même, selon le salarié, qu’ils auraient été destinés à prendre en charge une partie de ses fonctions, ne

suffit pas à discréditer leur témoignage comme ayant été établi, ainsi que le soutient le salarié,

conformément à des instructions qu’ils auraient reçus de M. A.

Le liquidateur verse aux débats, à l’appui de la faute grave invoquée, un courrier électronique M.

G de K en date du 5 décembre 2017, adressé à son supérieur hiérarchique, complété ensuite

par un second en date du 7 décembre 2017. M. G de K y rapporte, notamment :

‘ – (…) L parle plus fort que les autres… une sorte d’autorité inapproprié sans réellement écouté

les autres. De voir les autres complexés, gêner, déstabilisé ou se faire intimidé le rend plus fort et

bien sûr fait rire tout le monde.

– Parfois le matin en arrivant sur le parking, toujours dans son véhicule il me vise le visage avec un

laser à grande portée, la 1re fois cela est peut être marrant mais c’est surprenant car inhabituel.

(…)

– Une fois il me prend des mains la clé du Showroom et la balance de l’autre côté du mur

périphérique du bâtiment, cela fait rire tout le monde.

– Une fois, Steeve m’appel dans mon bureau en me disant que L voulait me voir entre temps je

suppose selon sa grandeur, L a positionné un verre d’eau au dessus de la porte séparant

l’atelier/showroom, bien entendu en poussant la porte le verre est tombé sur la tête (…). Vu mon

mécontentement L et Steeve m’ont dit que c’était une blague et qu’il l’avait fait aussi à F

C.’

– Un matin j’étais à la photocopieuse, L me sert la main et me dit en me désignant du doigt ‘ Toi

tu vas voir je vais te casser la gueule’ Alberto était là il rigolait.

– Un matin j’étais dans mon bureau, L vient me voir comme s’il était au téléphone ‘Allo H

nous pouvons plus continuer comme ça, il faut virer moi ou G mais nous ne pouvons pas

continuer comme ça, il y en a 1 de trop’ puis il est retourné à l’atelier. (…)

– Un matin je rentre dans la cuisine/vestiaire et L me dit en me désignant du doigt : ‘Toi arrêt de

dire des conneries’ et oui tout le monde Q.

– Parfois L ne jette des vises [ lire vis] quand je traverse l’atelier, tout le monde voient mon

mécontentement mais ça leur fait Q. Et L me dit ‘ vas y frappe moi/ Frappe moi!’.

– Parfois L me fait des croches-pieds, ferme à clefs la porte entre Atelier et showroom ou mets la

benne à poubelle devant la porte ou silicone sur la poignée de porte quand je traverse l’atelier, tous

le monde voient mon mécontentement mais ça leur fait Q.

– Parfois L me demande ce que je fais de mes journées, à quoi je sert.

– Parfois quand L est de mauvaise humeur ou nous embêtes nous détournons le bâtiment par

l’extérieur pour ne pas être embêter et éviter l’atelier. (…)

– Parfois quand L se repose ( dans l’heure du déjeuné) sur l’un des canapés au showroom, en

écartant les jambes, il me dit vient Ancré, tu viens me sucé. ( Steeve et P Q).

– Une fois tu m’as dit que j’étais un sale Juif et que j’aime sucer la bite des Arabes.

– Parfois il me dit si ma femme me sucé.

– Une fois il ma dit si je me suis fait enculer par un mec, encore une fois tout le monde Q.

– Une fois il m’a dit qu’il souhaiterait être le premier à m’enculer.

– Parfois nous embauchons des nouveaux poseurs….Un jour il a dit à un nouveau poseur en me

désignant du doigt ‘ tu vois lui, il aime qu’on lui suce’.

– Une fois lors d’un repas au showroom de Fontenay en fin juillet avant de partir en vacance il était

fière de dire à tout le monde ‘regarder je touche mes couilles et je vais serrer les mains à H’.

Comme d’habitude tout le monde Q. Désolé mais cela n’ai pas un signe de respect envers un

gérant. (…)

– La semaine dernière ( dans l’heure du déjeuné) sur l’un des canapés au showroom L visionné

un film pornographique sur son téléphone avec son au maximum, puis nous a rejoint à la

photocopieuse pour nous montrer cela, très fière (…)’

F C confirme en ces termes les faits le concernant, dans un témoignage écrit du 11

décembre 2017 : ‘ L a effectivement tenté la ‘blague’ du verre d’eau au dessus de la porte mais ça

n’a pas marcher, heureusement pour tous les deux. Je ne suis pas du genre à me laisser faire mais il

est parfois très lourd et veut toujours avoir raison. Je l’ai déjà vu insulter G pour soit-disant

rigoler. Il est le seul que ça fait rire.’

Dans son témoignage écrit du même jour, R D indique quant à lui, que le salarié ‘cherche

sans arrêt le conflit ou à créer des histoires avec moi ou d’autres personnes de l’entreprise mais son

souffre douleur favori est surtout G S. A plusieurs reprises il m’a traité de bon à rien et

m’a dit que j’allais me faire virer. J’ai tout de suite répliqué en l’envoyant balader mais je comprends

qu’une personne plus faible comme G puisse être déstabilisée. (…)

Je l’ai vu plusieurs fois s’énerver contre quelqu’un pour rien et hurler pour tenter de déstabiliser la

personne et voir comment elle réagit. Il fait ça surtout sur G qui a quelquefois les larmes aux

yeux. Je pense que le plus dur pour G finalement est de voir les autres rigoler bêtement pour

éviter de mettre les pieds dans le plat et ne pas avoir affaire à L.’

Est également produit par l’employeur un courrier établi par M. A, le 11 décembre 2017, en ces

termes : ‘M. I U est venu me voir le jeudi 30 novembre 2017 vers 16 H 30 pour se plaindre du

comportement agressif qu’L a envers lui. Ce n’est pas la première fois qu’un collaborateur

m’informe de son agressivité. Je suis de ce pas allé voir L pour tenter de régler le problème mais

il s’est tout de suite braqué et a commencé à hausser le ton avec moi. Je l’ai immédiatement remis à

sa place mais j’ai pu constater que mes collaborateurs n’exagéraient pas quant à son comportement

agressif. Je lui a demandé s’il n’allait pas bien en ce moment et [illisible] il était toujours sur les

nerfs mais ma question est restée sans réponse. L m’affirme que c’est faux et qu’il ne s’est jamais

emporté vis à vis de ses collègues. Afin de lui prouver le contraire, nous avons de ce pas été voir

G S dans son bureau car ce dernier avait déjà fait état de difficultés avec lui. G a

maintenu sa version devant L et c’est là que le ton est monté. L est devenu très agressif envers

lui pour tenter de le faire taire j’imagine, il a fallu que je lui demande de se calmer plusieurs fois car

G était de plus en plus mal et j’ai senti qu’il allait craquer et pleurer. Suite à ça L est

retourné travailler et moi je suis allé voir G pour m’excuser de les avoir fait se confronter sans

prévenir. Je ne m’attendais pas à ce qu’il allait m’avouer. Il était bouleversé de ce qu’il s’était passé,

il m’a dit qu’L lui mettait une pression permanente et qu’il était devenu son souffre-douleur. J’ai

immédiatement tenté de le rassurer et de l’apaiser. Le lendemain G s’est lâché et m’a avoué par

écrit ce qu’il se passait dans mon dos. Je suis tombé des nues quand j’ai lu son courrier car je ne

pouvais pas m’imaginer qu’il se comportait de cette façon. J’ai été choqué par les agissements

d’L envers lui car en ma présence il se tenait toujours correctement.’

Enfin, M. U I indique, dans un courrier du 8 décembre 2017, subir ‘régulièrement des

agressions verbales sur un ton très agressif de la part de M. Y L’, que ‘ dernièrement encore

une fois ces agressions se sont renouvelées pour un différend dont l’origine ne méritait pas cette

réaction non contrôlée de ce monsieur.’

La cour relève qu’à l’égard de M. de K, M. Y ne fait état d’aucune difficulté dans l’exécution

d’un travail, qui aurait conduit son collègue à vouloir ‘régler ses comptes’, ses explications à cet égard

concernant le seul M. I et n’étant au demeurant confirmées par aucun élément objectif, et

n’invoque non plus aucun enjeu concernant la répartition de leurs tâches respectives.

La cour relève également que M. P J, dont le témoignage est produit par le salarié, dément ‘beaucoup de faits écrits dans [le] courrier’ de M. de K, qu’il précise avoir lu, et non pas

l’intégralité des faits rapportés, et qu’il ne cite que trois exemples des faits qu’il réfute, rapportant

qu’il n’a ‘jamais vu M. G de K passer à l’extérieur pour éviter l’atelier façade ou L

travaillait’, qu’il n’a ‘jamais vu tout le monde Q des ‘conneries’ de L’, et que ‘lors du repas de

fin n’année, L en aucun cas m’a dit : Regarde, je me touche mes couilles et je vais serrer les

mains à M. H AA’.

Enfin, si M. J témoigne que ‘M. G de K est une personne sensible et influençable’,

qu’il a vu à plusieurs reprises ‘presque pleurer sans raison particulière’, ceci ne permet pas pour

autant de remettre en cause la sincérité des dires de M. G de K.

Les autres éléments versés aux débats par le salarié, et notamment les attestations, ne permettent pas

de contredire les témoignages produits par le liquidateur à l’appui du licenciement, qui pour certains

font état de faits très précis.

Les éléments concordants produits par le liquidateur établissent la réalité du comportement agressif

de M. Y que lui reproche son employeur, à l’égard de plusieurs salariés de l’entreprise, et la

réalité des actes d’intimidation, d’humiliation et des propos irrespectueux, insultants et attentatoires à

la dignité commis ou tenus à l’encontre de M. de K, qui était son ‘souffre-douleur’.

Compte tenu de la nature des faits en cause, et au regard de l’obligation qui pèse sur l’employeur

d’assurer la protection de ses salariés, les manquements de M. Y rendaient impossible la

poursuite du contrat de travail, y compris durant l’exécution d’un préavis, quand bien même le salarié

fautif disposait d’une grande ancienneté et qu’il n’est justifié ni invoqué aucun précédent disciplinaire

le concernant.

Le licenciement pour faute grave étant justifié, le salarié ne peut prétendre ni à une indemnité

compensatrice de préavis, ni à une indemnité de licenciement, ni à un rappel de salaire pour la

période de mise à pied conservatoire, laquelle était fondée, ni à une indemnisation du préjudice

résultant de la rupture du contrat de travail. Le jugement du conseil de prud’hommes est infirmé en

ce qu’il a alloué au salarié ces diverses indemnités, et le salarié est débouté des demandes

indemnitaires plus amples formées en cause d’appel.

Sur la demande d’indemnités de congés payés :

Le liquidateur sollicite l’infirmation de la décision sur ce point également. Il fait valoir que le salarié,

qui disposait de 20 jours au titre de ses congés payés, a été rempli de ses droits, qui s’élevaient à 3

519,36 euros bruts, les sommes nettes de 2 774,99 euros correspondant aux congés payés du 1er juin

2015 au 5 décembre 2017 et de 20,94 euros correspondant aux congés payés du 6 décembre 2017 au

18 décembre 2017, lui ayant été versées.

L’AGS conclut également au rejet de cette demande.

Selon le salarié, il ressort de ses bulletins de salaire qu’il a été privé du règlement de 9 jours de

congés payés. Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement qui a fixé sa créance à ce titre

à 1 143,92 euros.

Comme le fait justement valoir le liquidateur, il ressort des bulletins de paie de M. Y, qui ne

produit ni n’invoque aucun élément contredisant les mentions y figurant, que celui-ci disposait d’un

solde de 6 jours de congés payés au titre de la période écoulée, et d’un solde de 13,48 jours au titre de

la période en cours, soit 20 jours acquis.

Il est justifié par les différents éléments produits par les parties, et notamment l’attestation Pôle

emploi, le courrier du liquidateur en date du 28 décembre 2017 et le courrier de réclamation établi

par le salarié le 12 janvier 2018 que le salarié a été indemnisé de ces 20 jours de congés payés.

Le salarié, qui se borne à affirmer qu’il a été privé du règlement de 9 jours de congés payés, ce qui

contrairement à ce qu’il indique ne résulte pas de ses bulletins de salaire, ne donne aucune

explication à l’appui de ses dires.

En conséquence, il y a lieu de retenir qu’il a été rempli de ses droits. Le jugement du conseil de

prud’hommes est donc infirmé également en ce qu’il lui a alloué une somme de 1 143,92 euros à titre

d’indemnité de congés payés.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les dépens de première instance et d’appel sont à la charge de M. Y, qui succombe en ses

demandes.

Aucune considération d’équité ni tirée de la situation économique des parties ne justifie de faire

application, à son bénéfice, des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement

déféré est donc infirmé en ce qu’il lui a alloué une somme à ce titre, et le salarié est débouté de sa

demande en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Reçoit l’UNEDIC Délégation AGS CGEA d’Orléans en son intervention volontaire,

Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 16 octobre 2018 par le conseil de

prud’hommes de Chartres,

Déboute M. Y de toutes ses demandes,

Condamne M. Y aux dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été

préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de

procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier,

auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


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