Intervention et Expertise : Éclaircissements sur les Liens Juridiques et Techniques dans un Conflit de Construction

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Intervention et Expertise : Éclaircissements sur les Liens Juridiques et Techniques dans un Conflit de Construction

Mme [C] [P] et M. [I] [N] sont propriétaires d’un terrain à [Adresse 5] et ont confié à la SASU AD PROJET DESIGN la maîtrise d’œuvre pour la construction d’une maison pour un montant de 34 999,50 euros. L’architecte M. [V] [E] a conçu le projet et obtenu un permis de construire le 21 avril 2021. Le chantier a débuté le 6 septembre 2021, avec la SARL MATIAS CONSTRUCTION en charge de la maçonnerie.

Le 11 janvier 2024, la mairie a mis les consorts [P]-[N] en demeure de mettre leur construction en conformité, constatant des dépassements de hauteur par rapport au permis. En avril 2024, les consorts ont assigné plusieurs parties, dont la SASU AD PROJET DESIGN et M. [V] [E], devant le tribunal judiciaire de Versailles, demandant une expertise immobilière et une provision de 50 000 euros pour leurs préjudices.

Des assignations supplémentaires ont été faites contre M. [V] [E] et la société d’assurance de la SASU AD PROJET DESIGN. Lors de l’audience du 6 août 2024, la jonction des instances a été ordonnée, et les défenderesses ont contesté les demandes de provision et d’expertise. La SASU AD PROJET DESIGN a également demandé à ce que l’expertise se concentre sur les travaux réellement exécutés.

Le tribunal a ordonné une expertise, désignant un expert pour évaluer les désordres et malfaçons, et a fixé une provision de 4 000 euros pour la rémunération de l’expert. Les autres demandes ont été rejetées, et les demandeurs ont été condamnés aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Versailles
RG
24/00506
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU
12 SEPTEMBRE 2024

N° RG 24/00506 – N° Portalis DB22-W-B7I-R7EK
Code NAC : 54G

DEMANDEURS

Madame [C] [P]
née le 22 Avril 1973 à [Localité 13],
demeurant [Adresse 5]

Monsieur [I] [N]
né le 16 Janvier 1981 à [Localité 11],
demeurant [Adresse 5]
tous deux représentés par Me Audrey ALLAIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 344

DEFENDEURS

Monsieur [V] [E]
né le 11 Juillet 1961 à [Localité 10] (SYRIE),
demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Florence FAURE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 146

La Société A.D PROJET,
Société par actions simplifiée, inscrite au R.C.S VERSAILLES sous le n° 829 482 074, dont le siège social est [Adresse 3], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Lorine PEREZ, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633, avocat postulant et par Me Pierre MURY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A 593, avocat plaidant,

La Société MIC INSURANCE COMPANY,
Société anonyme, inscrite au R.C.S PARIS sous le n° 885 241 208, dont le siège social est [Adresse 8], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Banna NDAO, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 667, avocat postulant et par Me Fabien GIRAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D 697, avocat plaidant,

La Société MATIAS CONSTRUCTIONS,
Société à responsabilité limitée, inscrite au R.C.S CHARTRES sous le n° 498 755 990, dont le siège social est [Adresse 6], prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Vanessa BARTEAU, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000034

La Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES,
Société d’assurances mutuelles, inscrite au R.C.S LE MANS sous le n°775 652 126, dont le siège social est [Adresse 4], prise en la personne de son président, domicilié en cette qualité audit siège,
Représentée par Me Aliénor DE BROISSIA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 135

La Société MUTUELLE BRESSE BUGEY,
Société d’assurance mutuelle, immatriculée au RCS sous le n° 779 389 972, dont le siège social est sis [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
(Assureur AD PROJET DESIGN – police n° PROW-60765-Z)
défaillante,

PARTIE INTERVENANTE :

La Société MMA IARD,
Société anonyme à conseil d’administration, inscrite au R.C.S LE MANS sous le n°440 048 882, dont le siège social est [Adresse 4], prise en la personne de son président, domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Aliénor DE BROISSIA, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant

Débats tenus à l’audience du : 06 Août 2024

Nous, Bertrand MENAY, Président du Tribunal Judiciaire de Versailles, assisté de Virginie DUMINY, Greffier,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 06 Août 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 12 Septembre 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [C] [P] et M. [I] [N] (les consorts [P]-[N]) sont propriétaires d’un terrain sis [Adresse 5] enregistré au cadastre sous les références C982, C983, C977.

Par acte sous seing privé du 27 octobre 2020, les consorts [P]-[N] chargeaient la SASU AD PROJET DESIGN de la maitrise d’œuvre pour la construction d’une maison d’habitation sur leur terrain pour un montant de 34 999,50 euros.

Monsieur [V] [E], architecte, a été chargé de la conception de la maison et a établi le dossier de demande permis de construire conjointement avec la SASU AD PROJET DESIGN.

Par arrêté N° PC 0780307 21 C0002 du 21 avril 2021, la mairie d’[Localité 12] octroyait un permis de construire.

La déclaration d’ouverture du chantier a été déposée le 6 septembre 2021.

La SARL MATIAS CONSTRUCTION était chargée du lot de maçonnerie par le maitre d’œuvre suivant devis du 18 juin 2021 validé par les maitres d’ouvrage par mail du 03 août 2021.

Par arrêté du 11 janvier 2024, la mairie d’[Localité 12] mettait les consorts [P]-[N] en demeure de mettre en conformité leur construction avec les autorisations d’urbanisme octroyées dans un délai de six mois suite à un procès-verbal d’infraction au code l’urbanisme du 5 octobre 2023 constatant que la hauteur de la maison était de 6,5 mètres et 3,62 mètres au lieu des 5,95 mètres et 3,20 mètres autorisés dans le permis de construire. Par décision du 11 avril 2024, la mairie d’[Localité 12] fixait le montant de l’astreinte à défaut de mise en conformité de leur construction par les consorts [P]-[N] à 200 euros par jour de retard.

Par actes de commissaire de justice des 08, 09, 12, 17 avril, et 06, 21 mai 2024, les consorts [P]-[N] ont assigné la SASU AD PROJET DESIGN, M. [V] [E], la SA MIC INSURANCE, la SARL MATIAS CONSTRUCTION et son assureur la société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles aux fins d’ordonner une expertise immobilière et de voir condamner les défenderesses in solidum à leur payer la somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur leurs préjudices. L’instance a été enrôlée sous le numéro RG 24/0506.

Par actes de commissaire de justice des 25 juin et 01 juillet 2024, les consorts [P]-[N] ont assigné M. [V] [E] et la SOCIETE D’ASSURANCE MUTUELLE BRESSE BUGEY en sa qualité d’assureur de la SASU AD PROJET DESIGN, devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Versailles aux fins de :
ordonner une expertise immobilière, leur rendre commune l’ordonnance d’expertise à venir,ordonner la jonction de l’instance ainsi introduite et enrôlée sous le numéro RG 24/ 931 avec l’instance n° RG 24/0506, voir condamner les défenderesses à leur payer la somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur leurs préjudices in solidum avec la SASU AD PROJET DESIGN et son assureur la SOCIETE D’ASSURANCE MUTUELLE BRESSE BUGEY, M. [V] [E], la SARL MATIAS CONSTRUCTION et son assureur la société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES.
A l’audience du 06 juin 2024 la SA MMA IARD est intervenue volontairement à l’instance et l’affaire RG n° 24/506 a été renvoyée à l’audience du 06 août 2024.

Les affaires ont été appelées à l’audience du 06 août 2024.

Lors de cette audience, la jonction des instances n° RG 24/0506 et n° RG 24/0931 a été ordonnée et les consorts [P]-[N] se sont opposés aux demandes de mises hors de causes de la SA MIC INSURANCE, la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la SA MMA IARD.

La SA MIC INSURANCE s’est opposée à la demande de provision des consorts [P]-[N] et a sollicité sa mise hors de cause et le paiement de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. A titre subsidiaire, elle demande de limiter sa condamnation au paiement d’une provision aux demandeurs à hauteur de 2 000 euros et formule protestations et réserves quant à la demande d’expertise. Elle expose que la demande de provision se heurte à des contestations sérieuses faute de preuve de la responsabilité de la SASU AD PROJET DESIGN et du quantum sollicité et que son défaut de qualité d’assureur de la SASU AD PROJET DESIGN au jour de l’ouverture du chantier fait obstacle tant à la demande de provision qu’à sa mise en cause dans les opérations d’expertise.

La SARL MATIAS CONSTRUCTION a formulé protestations et réserves sur la demande d’expertise et s’est opposée à la demande de provision des consorts [P]-[N] exposant que le juge des référés n’avait pas pouvoir pour examiner les conséquences de la délivrance d’un permis de construire. Elle sollicite 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle indique également avoir assigné les consorts [P]-[N] devant le tribunal judiciaire de Versailles par actes de commissaires de justice du 11 mars 2024 pour rupture abusive de son marché de travaux et paiement du solde complet du marché.

M. [V] [E] a demandé à titre principal sa mise hors de cause indiquant qu’il ne s’est jamais vu confier une mission d’exécution et de suivi de chantier par les demandeurs alors que les désordres allégués relèvent selon lui d’une mauvaise exécution des travaux. A titre subsidiaire, il a formulé protestations et réserves et sollicité la limitation de la mission d’expertise aux désordres allégués dans l’assignation des demandeurs. Il s’est opposé, en tout état de cause, à la demande de provision faute de preuve de sa responsabilité dans les dommages allégués. Il sollicite également 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la SA MMA IARD ont sollicité le rejet de la demande de provision des consorts [P]-[N] faute de preuves et leur mise hors de cause exposant que leur garantie ne couvre pas les désordres résultant d’un abandon de chantier par leur assuré et qu’en l’absence de réception des ouvrages la garantie décennale ne pouvait pas être mise en œuvre. Elles ont formulé à titre subsidiaire protestations et réserves et sollicitent en tout état de cause 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

La SASU AD PROJET DESIGN a formulé protestations et réserves sur la demande d’expertise et a demandé l’insertion des missions suivantes dans la mesure d’expertise :
« Se prononcer sur l’étendue des travaux qui ont été réellement exécutés par les maîtres d’ouvrages avec le concours de la société AD PROJET DESIGN et constater les travaux qui ont été exécutés sans accord, ni avis de la société AD PROJET DESIGN ;Constater les travaux qui ont été exécutés à la seule initiative des maîtres d’ouvrages sans information, ni concours, ni intervention de la société AD PROJET DESIGN ;Préciser l’état d’avancement des travaux à la date de suspension de la mission de la société AD PROJET DESIGN ;Se prononcer sur le compte entre les parties ».
Elle s’est opposée à la demande de provision des consorts [P]-[N] alléguant que les désordres étaient le fruit d’immixtions fautives dans la tenue de travaux et de retards de paiement des demandeurs et que les demandeurs étaient intervenus de leur propre initiative pour terminer les travaux sans la prévenir. Elle indique avoir assigné les demandeurs par acte de commissaire de justice du 17 avril 2024 en paiement de factures impayées et de dommage et intérêts pour résistance abusive.

Bien qu’assignée par actes remis à personne, la SOCIETE D’ASSURANCE MUTUELLE BRESSE BUGEY n’a pas constitué avocat.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à l’assignation et aux conclusions visées à l’audience, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens respectifs.

La décision a été mise en délibéré au 12 septembre 2024.

MOTIFS

Sur l’intervention volontaire

Il y a lieu d’accueillir l’intervention volontaire de la SA MMA IARD.

Sur la jonction

En application de l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les juger ensemble.

En l’espèce il convient de constater la jonction des deux instances détaillées au dispositif de la présente décision.

Sur la demande d’expertise

L’article 143 du code de procédure civile dispose que “Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible.”

L’article 232 du code de procédure civile ajoute que “Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert la lumière d’un technicien.”

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : “S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.”.

Justifie d’un motif légitime au sens de ce texte, la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Le motif légitime est un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, et présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Si la partie demanderesse dispose d’ores et déjà de moyens de preuve suffisants pour conserver ou établir l’existence des faits litigieux, la mesure d’instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.

En l’espèce, la mesure demandée est légalement admissible. Le litige potentiel a un objet et un fondement suffisamment caractérisés et la prétention des demandeurs n’est pas manifestement vouée à l’échec.

Les demandeurs, dont les allégations ne sont pas imaginaires et présentent un certain intérêt, justifient, par de multiples devis, courriels et mail, factures, constats d’huissiers, arrêté de mise en demeure de la mairie d’[Localité 12], procès-verbaux d’infraction et de séance du conseil municipal de la commune, du caractère légitime de leur demande.

Il y a également lieu de faire droit à la demande de M. [V] [E] de voir limiter mission d’expertise aux désordres allégués dans l’assignation des demandeurs.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande d’expertise, dans les conditions détaillées dans le dispositif.

Sur les demandes de mise hors de cause

*de M. [V] [E]

Les consorts [P]-[N] versent aux débats le permis de construire contenant des plans sur lesquels figurent très nettement le logo de AJ ARCHITECTURE, nom de l’enseigne de M. [V] [E]. Sa signature figure également sur les plans. Les consorts [P]-[N] justifient ainsi la mise en cause de M. [V] [E] dans les opérations d’expertise en ce qu’il était chargé, par la SASU AD PROJET DESIGN, de la conception de la maison et de l’élaboration de plans versés au dossier de permis de construire. Ils allèguent que les désordres trouveraient peut-être leur cause dans la conception de la maison.
Dans la mesure où en l’état des éléments produits, l’origine des désordres, dans la conception, ou dans l’exécution des travaux, ou les deux, n’est pas encore établie et que sa détermination est une question technique qui ne pourra être tranchée qu’après l’accomplissement de sa mission par l’expert désigné, la mise hors de cause de M. [V] [E] est prématurée et il doit participer à ces opérations.

*de la société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la SA MMA IARD

Les consorts [P]-[N] versent aux débats l’attestation de responsabilité décennale souscrite par la SARL MATIAS CONSTRUCTION auprès de la société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la SA MMA IARD dont il ressort que la garantie courait du 01 janvier 2021 au 31 décembre 2021, un constat de commissaire de justice du 09 mars 2023 attestant qu’aucun représentant de la SARL MATIAS CONSTRUCTION n’était présent sur le site lors des constatations et que les consorts [P]-[N] avaient indiqué que la SARL MATIAS CONSTRUCTION avait abandonné le chantier, et un courrier du 05 avril 2023 de leur conseil, indiquant que certains postes du lot de maçonnerie ont été abandonnés en raison du changement de solution technique de fondations.

La société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la SA MMA IARD versent aux débats des conventions spéciales d’assurance n°344c dont il ressort que les dommages résultant de l’absence de travaux ne sont pas couverts par leur garantie. Elles exposent également que leur garantie ne peut être mobilisée en l’absence de réception.

D’abord, la notion d’abandon de chantier est une notion juridique et de fait dont les contours ont été définis avec précision par une jurisprudence abondante et exhaustive. En s’appuyant sur le constat d’huissier versé par les consorts [P]-[N] du 09 juillet 2023, lequel se borne simplement à retranscrire les indications des consorts [P]-[N], la société d’assurance mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la SA MMA IARD échouent à démontrer l’abandon de chantier par la SARL MATIAS CONSTRUCTION au sens des définitions rappelées, la simple absence de représentant de la SARL MATIAS CONSTRUCTION sur les lieux le jour des constatations étant insuffisamment probante pour caractériser cet état.

Par ailleurs, il n’appartient pas au juge des référés de se prononcer sur l’existence d’une réception des travaux conditionnant la mobilisation de la garantie décennale alors que l’article 145 du nouveau code de procédure civile n’a pour objet que d’attraire, avant tout litige, les défendeurs à des opérations d’expertise et non de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues, mission qui relève du juge du fond lequel sera amené éventuellement à statuer sur les différentes garanties qui devront s’appliquer en examinant l’existence d’une réception ou en la prononçant. La mise hors de cause des assureurs est donc prématurée et ils doivent prendre part aux opérations d’expertise.

* de la SA MIC INSURANCE

Les consorts [P]-[N] versent aux débats l’attestation de responsabilité civile et décennale souscrite par la SASU AD PROJET DESIGN auprès de la SA MIC INSURANCE dont il ressort que la garantie ne courait que du 01 octobre 2020 au 31 décembre 2020, ainsi qu’un formulaire de déclaration d’ouverture de chantier tamponné par la mairie d’[Localité 12] attestant de l’ouverture du chantier au 06 septembre 2021.

La SA MIC INSURANCE conteste sa qualité d’assureur de la SASU AD PROJET DESIGN à la date d’ouverture du chantier en versant aux débats l’attestation d’assurance civile et décennale souscrite par la SASU AD PROJET DESIGN auprès de la SOCIETE D’ASSURANCE MUTUELLE BRESSE BUGEY dont il ressort que la garantie courait du 01 janvier 2021 au 31 décembre 2021.

S’il apparaît que la SA MIC INSURANCE n’était plus assureur de la SASU AD PROJET DESIGN à la date d’ouverture du chantier soit le 6 septembre 2021, les consorts [P]-[N] allèguent notamment que l’origine des désordres se trouve peut-être dans un défaut de conception. Or à la date de la conception de la maison la SA MIC INSURANCE était encore l’assureur de la SASU AD PROJET DESIGN comme en atteste le permis de construire en date du 27 octobre 2020.

En l’état des autres éléments versés aux débats l’origine des désordres dans la conception, ou dans l’exécution des travaux, ou les deux, n’est pas encore établie. Sa détermination est une question technique qui ne pourra être tranchée que par l’expert désigné. L’origine des désordres une fois établie, les demandeurs pourront mobiliser les garanties des personnes responsables. La mise hors de cause de la SA MIC INSURANCE est donc prématurée.

Sur la demande de provision

Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire peut, « même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » et « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

En l’espèce, il résulte des pièces du dossier, et notamment du contrat de maitrise d’œuvre du 27 octobre 2020, que la SASU AD PROJET DESIGN avait une obligation de résultat d’achever la construction de la maison. Il résulte des pièces du dossier et notamment du devis du 18 juin 2021 de la SARL MATIAS CONSTRUCTION, qu’elle était tenue par une obligation de résultat d’achever le gros œuvre de la maison.

Il résulte des pièces du dossier que les consorts [P]-[N] n’ont pas payé la totalité des factures litigieuses émises par la SARL MATIAS CONSTRUCTION et la SASU AD PROJET DESIGN, lesquelles ont introduit des instances distinctes aux fins de recouvrer les sommes litigieuses, et que la SARL MATIAS CONSTRUCTION et la SASU AD PROJET DESIGN ont indiqué cesser l’exécution des travaux faute de paiement.

Il résulte des pièces du dossier que les consorts [P]- [N] ont, par courrier en date du 05 avril 2023, résilié le contrat de maîtrise œuvre de la SASU AD PROJET DESIGN et qu’alléguant un abandon de chantier par la SARL MATIAS CONSTRUCTION, ils lui ont notifié, par courrier du 05 avril 2023, avoir fait appel à un autre maçon pour terminer la maison et ont emménagé dans la maison en août 2023.

Il résulte de l’arrêté de mise en demeure de la mairie d’[Localité 12] et des procès-verbaux d’infraction et de séance du conseil municipal de la commune que l’ouvrage érigé dans ces circonstances n’est pas conforme aux autorisations d’urbanismes octroyées.

Les consorts [P]-[N] versent aux débats un plan du permis de construire modificatif du 26 janvier 2024 destiné à régulariser la construction. Cependant ce plan étant établi après l’achèvement de la construction par l’entreprise tierce mandatée par les consorts [P]-[N], et non avant, ils échouent à démontrer suffisamment l’entière responsabilité de la SARL MATIAS CONSTRUCTION et de la SASU AD PROJET DESIGN dans la non-conformité de l’ouvrage. L’expertise aura en effet pour objet de démontrer, dans le déroulement de l’acte de bâtir, l’enchainement des différentes interventions, en ce compris, celles du fait des maitres d’ouvrage, pour en dégager les responsabilités adaptées.

L’établissement de la responsabilité de chacun repose sur des questions techniques qui nécessitent d’être soumise à l’appréciation d’un expert. Dès lors l’obligation d’indemnisation de la SARL MATIAS CONSTRUCTION et de la SASU AD PROJET DESIGN demeure sérieusement contestable et la demande de provision des consorts [P]-[N] sera rejetée.

Sur les frais irrépétibles

L’équité et la situation économique des parties ne commandent pas l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront à la charge des demandeurs.

PAR CES MOTIFS

Nous, Bertrand MENAY, statuant en qualité de Juge des référés, par ordonnance réputée contradictoire, en premier ressort, mise à disposition au greffe le jour du délibéré après débats en audience publique,

Accueillons la SA MMA IARD en son intervention volontaire ;

Constatons la jonction des deux instances RG 24/0506 et RG 24/0931 ;

Ordonnons une expertise ;

Commettons pour y procéder :
M. [H] [T],
[Adresse 14]
[Adresse 14]
Tél : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX02]
Mèl : [Courriel 15]

expert, inscrit sur la liste de la cour d’appel de Versailles, avec mission de :
* convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,
* se faire remettre toutes les pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,
* se faire préciser les liens contractuels entre les parties,
* se rendre sur les lieux et en faire la description,
* relever et décrire les désordres, malfaçons et inachèvements affectant l’immeuble litigieux, en considération des documents contractuels liant les parties et de l’assignation de Mme [K] [P] et M. [I] [N] en date des 08, 09, 12, 17 avril, et 06, 21 mai 2024,
* en détailler les causes, l’origine et l’étendue et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels fournisseurs ou intervenants ces désordres, malfaçons et inachèvements sont imputables, dans quelle proportion,
* indiquer les conséquences de ces désordres, malfaçons et inachèvements quant à la solidité, l’habitabilité, l’esthétique du bâtiment, et, plus généralement quant à l’usage qui peut en être attendu ou quant à la conformité à sa destination,
* indiquer les solutions appropriées pour y remédier,
* préciser et évaluer les préjudices et coûts induits par ces désordres, malfaçons et inachèvements et par les solutions possibles pour y remédier,
* rapporter toutes autres constatations utiles à l’examen des prétentions des parties,
* décrire les travaux supplémentaires s’il y a lieu ; dire s’ils ont fait l’objet d’un accord écrit du maître de l’ouvrage ou s’ils ont fait l’objet d’une acceptation expresse et non équivoque ; dire si les modifications entraînées par ces travaux supplémentaires ont eu une incidence sur les termes du contrat initial ;
* donner son avis sur les conditions dans lesquelles le chantier a été interrompu, et le cas échéant, rechercher et indiquer le rôle respectif des parties dans cette situation de fait; donner son avis sur la valeur des travaux ayant déjà été effectivement exécutés, ainsi que sur la valeur des travaux restant encore à faire – s’agissant ici des non-façons, à l’exclusion des malfaçons ;
* donner, le cas échéant, son avis sur les comptes entre les parties ;
* mettre, en temps utile, au terme des opérations d’expertise, par le dépôt d’un pré-rapport, les parties en mesure de faire valoir, dans le délai qu’il leur fixera, leurs observations qui seront annexées au rapport,

Disons que l’expert pourra, si besoin est, se faire assister de tout sapiteur de son choix,

Fixons à 4000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, qui sera versé par le demandeur, au plus tard le 1er décembre 2024, entre les mains du régisseur d’avance de recettes de cette juridiction,

Impartissons à l’expert, pour le dépôt du rapport d’expertise, un délai de 6 mois à compter de l’avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision,

DISONS qu’en cas de refus ou d’empêchement de l’expert, il sera procédé à son remplacement par le magistrat chargé du contrôle des expertises qui est par ailleurs chargé de la surveillance des opérations d’expertise,

Rejetons les autres prétentions

Disons n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons les demandeurs aux dépens.

Prononcé par mise à disposition au greffe le DOUZE SEPTEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE par Bertrand MENAY, Président, assisté de Virginie DUMINY, Greffier, lesquels ont signé la minute de la présente décision.

Le Greffier Le Président

Virginie DUMINY Bertrand MENAY


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