La SA caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne – Pays de la Loire a accordé à la SARL Ambulances Noyennaises deux prêts en décembre 2011, garantis par un engagement de caution de M. [N] [E] et M. [Y] [V]. La SARL a été placée en redressement judiciaire en décembre 2015, puis en liquidation judiciaire en janvier 2016. La caisse d’épargne a déclaré sa créance, qui a été admise au passif de la liquidation. En août 2020, la caisse d’épargne a mis en demeure M. [N] [E] de régler une somme due, et en août 2023, elle l’a assigné en justice pour obtenir le paiement. M. [N] [E] a contesté cette action en invoquant la prescription quinquennale, arguant que l’action était prescrite depuis juillet 2023. La caisse d’épargne a rétorqué que la prescription avait été interrompue par la déclaration de créance et les paiements effectués par M. [Y] [V]. Les deux parties ont présenté leurs arguments respectifs devant le juge de la mise en état.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ORDONNANCE DU : 19 Septembre 2024
DOSSIER N° : RG 23/02339 – N° Portalis DB2N-W-B7H-H2OE
AFFAIRE : S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE – PAYS DE LOIRE C/ [N] [E]
TRIBUNAL JUDICIAIRE DU MANS
1ère Chambre Civile
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
Nous, Marie-Michèle BELLET, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire du MANS, juge de la mise en état, dans l’instance pendante,
ENTRE :
DEMANDERESSE au principal
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE – PAYS DE LOIRE, prise en la personne de son représentant légal
immatriculée au RCS de NANTES sous le n° 392 640 090
dont le siège social est situé [Adresse 3]
représentée par Maître Virginie CONTE, membre de la SCP PIGEAU – CONTE – MURILLO – VIGIN, avocate au Barreau du MANS
DEFENDEUR au principal
Monsieur [N] [E]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Etienne BONNIN, avocat au barreau du MANS
Avons rendu le 19 Septembre 2024 l’ordonnance ci-après, assistée de Patricia BERNICOT, greffière, présente aux débats le 6 juin 2024, et à qui la minute de l’ordonnance a été remise.
Selon acte sous seing privé en date du 12 décembre 2011, la SA caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne – Pays de la Loire, ci-dessous la caisse d’épargne, a consenti à la SARL Ambulances Noyennaises deux prêts PCM à taux fixe, l’un de 269 000 euros et l’autre de 68 000 euros afin de financer l’acquisition d’un fonds de commerce. Ces deux prêts ont été garantis par un engagement de caution personnelle, solidaire et indivisible de M. [N] [E] et de M. [Y] [V] par acte sous seing privé en date du 15 décembre 2011, tous deux à hauteur des sommes de 87 425 euros et 22 100 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, frais et accessoires, pénalités ou intérêts de retard.
La SARL Ambulances Noyennaises a été placée en redressement judiciaire le 1er décembre 2015 par le tribunal de commerce du Mans, puis en liquidation judiciaire pour insuffisance d’actifs par jugement du 12 janvier 2016. La caisse d’épargne a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au mandataire judiciaire en date du 11 janvier 2016. Cette créance a été admise au passif de la SARL Ambulances Noyennaises.
RG 23/02339 – N° Portalis DB2N-W-B7H-H2OE
Par lettre recommandé avec accusé de réception en date du 26 août 2020, la Caisse d’épargne a mis en demeure M. [N] [E] en sa qualité de caution personnelle, solidaire et indivisible de la SARL Ambulances Noyennaises de procéder au règlement des sommes dues soit 48 293.90 euros arrêtées au 21 août 2020 outre les intérêts de retard.
En absence de règlement, la caisse d’Epargne a assigné par acte de commissaires de justice en date du 03 août 2023 M. [N] [E] afin d’obtenir le paiement de la somme de 48 293.90 euros avec les intérêts au taux contractuel.
Par conclusion d’incident en date du 13 décembre 2023, M. [N] [E] a saisi le juge de la mise en état aux fins d’irrecevabilité des demandes formées par la caisse d’épargne.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident (2), notifiées par RPVA le 15 avril 2024, M. [N] [E] demande au juge de la mise en état de :
Déclarer irrecevable l’action en paiement de la caisse d’épargne pour prescription quinquennale,Débouter la caisse d’épargne de l’ensemble de ses demandesCondamner la caisse d’épargne au paiement d’une indemnité de 2 400 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Au soutien de sa demande à voir déclarer l’assignation de la caisse d’épargne irrecevable, M. [N] [E] se fonde sur les dispositions de l’article 32 du code de procédure civile, L110-4 du code de commerce et 2224 du Code civil afin de faire valoir la prescription quinquennale de l’action en paiement dirigée par la caisse d’épargne à son encontre. Au soutien de cette prétention, M. [N] [E] fait valoir qu’au regard des dispositions des articles L 622-28 et L641-3 du code de commerce, le jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire n’empêche pas les poursuites à l’encontre de la caution. Or la liquidation a été ouverte en janvier 2016, l’action en paiement introduite en août 2023 est prescrite depuis au moins 2 ans. M. [N] [E] précise également que si la prescription avait été suspendue comme le soutient la banque jusqu’au terme de la procédure de liquidation le 10 juillet 2018, et, dès lors, l’action à son encontre serait prescrite depuis le 10 juillet 2023, donc antérieurement à l’assignation. En réponse, au moyen soulevé par la caisse d’épargne qui argue que la prescription à l’égard de l’action dirigée à son encontre a été interrompue par la reconnaissance de sa dette par M. [Y] [V], autre caution solidaire, M. [N] [E] précise qu’il n’a plus de contact avec M. [Y] [V] depuis 12 ans, que cette reconnaissance de dette lui est strictement personnelle et qu’elle ne peut lui être opposée.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident notifiées par RPVA le 14 février 2024, la caisse d’épargne demande au juge de la mise en état de :
Déclarer recevable son action intentée contre M. [N] [E] comme n’étant pas prescrite,Débouter M. [N] [E] de ses demandesJoindre les dépens du présent incident au fond
Au soutien de sa demande à voir écarter la fin de non-recevoir pour prescription de l’action en paiement dirigée contre M. [N] [E], la caisse d’épargne fait valoir, au visa de l’article 2224 du code civil, que la prescription en l’espèce est quinquennale et court à compter de la date de déchéance du terme pour le capital et à la date de leurs exigences successives pour les mensualités impayées. Au visa des articles 2231 et 2240 et suivants du code civil et L622-25-1 du code de commerce, la caisse d’épargne précise que le délai de prescription à l’égard de la caution est interrompu par la déclaration de créance au passif du débiteur principal jusqu’à la clôture de la procédure collective. En outre, la caisse d’épargne ajoute que l’interruption de la prescription à l’égard d’une caution solidaire produit effet à l’encontre du débiteur principal, et, le cas échéant des autres cautions solidaires. La caisse d’épargne fait ainsi valoir que le premier incident de paiement non régularisé concernant les deux prêts date du 05 décembre 2015, que le délai de 5 ans de la prescription a été interrompu jusqu’à la clôture de la procédure collective le 10 juillet 2018. Parallèlement, la caisse d’épargne précise qu’un échéancier de paiement a été mis en place avec M. [Y] [V] le 07 novembre 2020 suite à une demande de sa part du 21 septembre 2020, et, que cet accord s’est poursuivi à partir d’août 2021 jusqu’au 31 août 2023. Ainsi pour la banque, chaque règlement effectué par M. [Y] [V] interrompt de nouveau le délai de prescription, et, par conséquent l’action introduite par la caisse d’épargne le 03 août 2023 n’est pas prescrite.
RG 23/02339 – N° Portalis DB2N-W-B7H-H2OE
– Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription et la suspension du délai de prescription par l’ouverture de la procédure collective
Par application de l’article 789 6° du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le Juge de mise en état est jusqu’à son déssaisissement, seul compétent à l’exclusion, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal , pour statuer sur les fins de non recevoir.
Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 2224 du code civil dispose que Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
L’article L622-25-1 du code de commerce dispose La déclaration de créance interrompt la prescription jusqu’à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuites.
L’article L 641-3 du code de commerce précise que le jugement qui ouvre une liquidation a les mêmes effets que ceux prévus en matière de sauvegarde et renvoie aux dispositions de la première phrase de l’article L622-28 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde
L’article L622-28 alinéa 1 du code de commerce dispose dans sa 1ère phrase que Le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu’il ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus. Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa.
L’article L622-28 alinéa 2 du code de commerce dispose que Le jugement d’ouverture suspend jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans.
Le point de départ du délai de prescription à l’égard de la caution correspond au jour du 1e incident de paiement non régularisé. En l’espèce, la date du 1e incident de paiement non régularisée est indiquée par la banque dans ses dernières écritures au 05 décembre 2015, ainsi qu’en atteste la déclaration de créance effectuée par la caisse d’épargne au mandataire judiciaire Maître [B] dans le cadre de la procédure collective ouverte à l’encontre de la SARL Ambulances Noyennaises. Par un jugement en date du 1e décembre 2015, le tribunal de commerce du Mans a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SARL Ambulances Noyennaises. Ainsi en application de l’article L 622-25-1 du code de commerce, la prescription à l’égard de la caution est interrompue le 1er décembre 2015.
Par jugement en date du 12 janvier 2016, la procédure de redressement a été convertie en liquidation judiciaire.
Or par application des articles L641-3 L622-28 du code de commerce, l’ouverture de la liquidation permet la reprise des poursuites par le créancier à l’égard de la caution du débiteur faisant l’objet d’une procédure de liquidation.
Le débiteur principal a été placé en liquidation judiciaire le 12 janvier 2016. A compter de cette date la prescription quinquennale court de nouveau pour être acquise le 12 janvier 2021 à défaut de nouvelle suspension ou interruption.
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Sur la suspension du délai de prescription par la reconnaissance de dette de la caution solidaire
L’article 2245 al 1 du code civil dispose que L’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.
L’article 2246 du même code précise que L’interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.
En l’espèce, M. [Y] [V] caution solidaire avec M. [N] [E] du prêt consenti par la caisse d’épargne à la SARL Ambulances Noyennaises a adressé un courrier en recommandé avec accusé de réception à la banque reçu le 21 septembre 2020, par lequel il sollicite un règlement échelonné de la dette due. Un protocole d’accord a été conclu le 07 novembre 2020 et cet accord s’est poursuivi à partir d’août 2021 jusqu’au 31 août 2023. Ce protocole correspond à une reconnaissance de dette par une caution solidaire et suspend ainsi le délai de prescription quinquennale. Par effet de la solidarité, l’interruption de prescription à l’égard d’une caution solidaire produit effet à l’égard du débiteur principal et des autres cautions solidaires. La solidarité a pour effet de rendre la dette une et indivisible entre les débiteurs et les cautions solidaires à l’égard du créancier. Si les cautions solidaires peuvent ainsi opposer au créancier les exceptions communes à toutes les cautions, inversement l’interruption de la prescription à l’encontre d’une caution solidaire est opposable à l’ensemble des cautions solidaires.
Ainsi, le règlement progressif par M. [Y] [V] envers la caisse d’épargne le 07 novembre 2020 intervient alors que la prescription de la dette n’était pas encore acquise, en l’espèce au 12 janvier 2021. Cet accord est donc venu interrompre la prescription à l’encontre de l’ensemble des cautions solidaires garantissant la même dette. L’action en paiement engagée par la caisse d’épargne à l’encontre de M. [N] [E] en garantie de la dette pour laquelle il est caution solidaire avec M. [Y] [V] n’est donc pas prescrite au jour de l’assignation soit le 03 août 2023. L’action en paiement de la caisse d’épargne sera jugée recevable.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de l’incident suivront le sort des dépens au fond.
Monsieur [E] sera débouté de sa demande de paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’affaire est renvoyée à la mise en état du 14 novembre 2024-9H pour conclusions de Maître BONNIN.
La Juge de la mise en état, statuant publiquement par mise à disposition au greffe par ordonnance contradictoire, susceptible de recours dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile,
REJETONS la fin de non recevoir tirée de la prescription présentée par Monsieur [N] [E] ;
DECLARONS recevable l’action formée par la SA caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne- Pays de la Loire à l’encontre de Monsieur [N] [E] ;
DISONS que les dépens de l’incident suivront le sort de ceux du fond ;
DEBOUTONS Monsieur [N] [E] de sa demande de paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RENVOYONS l’affaire à la mise en état du 14 novembre 2024-9H pour conclusions de Maître BONNIN.
Et avons signé la présente ordonnance avec la greffière.
La Greffière La Juge de la mise en état