Sommaire Prêt immobilier et commandement de payerLa société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc a consenti un prêt immobilier à M. [M] [Y], Mme [O], M. [N] [Y] et M. [J] [Y]. En conséquence, la banque a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière aux consorts [Y] le 22 novembre 2012 et les a assignés devant le juge de l’exécution. Suspension de la procédure judiciaireLe 17 janvier 2014, le juge de l’exécution a décidé de surseoir à statuer en attendant une décision définitive sur des poursuites pénales, qui a été rendue par la cour d’appel le 20 septembre 2018. Parallèlement, une commission de surendettement a déclaré recevables M. [M] [Y] et Mme [O] dans leur demande de traitement de surendettement, imposant un moratoire de vingt-quatre mois, confirmé par un jugement du tribunal d’instance le 16 novembre 2017. Commandement aux fins de saisie-venteLe 15 janvier 2021, la banque a délivré un commandement aux fins de saisie-vente aux consorts [Y], qui ont contesté cette action en invoquant la prescription de la créance. Arguments de la banque et réponse de la CourLa banque a fait valoir que le commandement de payer valant saisie immobilière conservait son effet interruptif jusqu’à l’extinction de l’instance qu’il introduisait. Cependant, la cour d’appel a annulé le commandement de payer en considérant que l’effet interruptif ne s’appliquait que jusqu’à l’issue de la procédure de traitement de surendettement. Interruption de la prescriptionLa Cour a rappelé que, selon le code civil, le délai de prescription est interrompu par une mesure conservatoire ou un acte d’exécution forcée. En matière de saisie immobilière, l’effet interruptif de la prescription produit ses effets jusqu’à l’extinction de la procédure de saisie immobilière. Conclusion de la CourLa cour d’appel a conclu que la prescription était acquise au 17 septembre 2020, en se basant sur des interruptions de délai liées à la saisie immobilière et à la procédure de surendettement. Toutefois, la Cour a estimé que l’effet interruptif du commandement de saisie immobilière devait perdurer jusqu’à l’extinction de l’instance, ce qui a conduit à une violation des textes applicables. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelle est la nature de l’effet interruptif de la prescription en matière de saisie immobilière ?L’effet interruptif de la prescription en matière de saisie immobilière est régi par les articles 2241, 2242 et 2244 du Code civil. Selon l’article 2241, alinéa 1er, « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ». Cet article précise que l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, comme l’indique l’article 2242. L’article 2244, quant à lui, stipule que « le délai de prescription ou le délai de forclusion est interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée ». Ainsi, en matière de saisie immobilière, l’effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l’assignation à comparaître à l’audience d’orientation consécutive à un commandement valant saisie immobilière produit ses effets jusqu’à l’extinction de la procédure de saisie immobilière, sauf anéantissement de ce commandement ou de cette assignation. Quelles sont les conséquences de la décision de surendettement sur la prescription de la créance ?La décision de surendettement a des conséquences significatives sur la prescription de la créance, notamment en ce qui concerne le délai de prescription. Dans le cas présent, la commission de surendettement a déclaré recevables M. [M] [Y] et Mme [O] en leur demande de traitement de leur situation financière, imposant un moratoire de vingt-quatre mois. Cette décision a été confirmée par un jugement du tribunal d’instance, ce qui a eu pour effet de suspendre le cours de la prescription. En effet, selon l’article 2242 du Code civil, l’interruption de la prescription produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance. Ainsi, le délai de prescription a été suspendu pendant la durée du moratoire, ce qui a conduit à un nouveau calcul du délai de prescription. Dans cette affaire, la cour d’appel a considéré que la prescription était acquise au 17 septembre 2020, en tenant compte des interruptions et suspensions liées à la procédure de surendettement. Comment la cour d’appel a-t-elle justifié l’annulation du commandement de payer ?La cour d’appel a justifié l’annulation du commandement de payer en se fondant sur la prescription de la créance de la banque. Elle a retenu que le délai biennal de prescription avait été interrompu par la délivrance d’un commandement de payer valant saisie immobilière le 22 novembre 2012. À partir de cette date, un nouveau délai de deux ans a couru, mais ce délai a ensuite été suspendu par plusieurs décisions. D’une part, le juge de l’exécution a rendu un sursis à statuer le 17 janvier 2014, et d’autre part, la commission de surendettement a déclaré recevables deux des co-débiteurs, imposant un moratoire jusqu’au 17 novembre 2019. La cour a donc conclu que la prescription était acquise au 17 septembre 2020, en raison de ces interruptions et suspensions. Cependant, cette analyse a été contestée, car l’effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l’assignation à comparaître à l’audience d’orientation aurait dû produire ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, ce qui n’a pas été pris en compte par la cour d’appel. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.862
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 décembre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1198 F-D
Pourvoi n° V 22-17.862
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 22-17.862 contre l’arrêt rendu le 12 avril 2022 par la cour d’appel de Reims (chambre civile), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. [N] [Y],
2°/ à M. [J] [Y],
3°/ à M. [M] [Y],
4°/ à Mme [D] [O], épouse [Y],
tous quatre domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chevet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc, et l’avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l’audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Chevet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Reims, 12 avril 2022), la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque) a consenti, par acte notarié, un prêt immobilier à M. [M] [Y], Mme [O], M. [N] [Y] et M. [J] [Y] (les consorts [Y]).
2. Sur le fondement de cet acte, la banque a fait délivrer, le 22 novembre 2012, un commandement de payer valant saisie immobilière aux consorts [Y] et les a assignés devant le juge de l’exécution d’un tribunal judiciaire.
3. Par jugement du 17 janvier 2014, le juge de l’exécution a sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive sur des poursuites pénales sur lesquelles une cour d’appel a statué par un arrêt du 20 septembre 2018.
4. Le 17 juillet 2016, une commission de surendettement des particuliers a déclaré recevables M. [M] [Y] et Mme [O] en leur demande de traitement de leur situation financière, et le 15 décembre 2016, a imposé des mesures prévoyant un moratoire de vingt-quatre mois. Cette dernière décision a été confirmée par jugement d’un tribunal d’instance du 16 novembre 2017.
5. Le 15 janvier 2021, la banque a fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente aux consorts [Y], qui ont saisi un juge de l’exécution d’une contestation tirée de la prescription de la créance.
Enoncé du moyen
6. La banque fait grief à l’arrêt d’annuler le commandement de payer valant saisie-vente qu’elle a fait délivrer le 15 janvier 2021 aux consorts [Y], alors « que le commandement de payer valant saisie immobilière conserve son effet interruptif jusqu’à l’extinction de l’instance qu’il introduit ; que la cour d’appel constate que le commandement de payer valant saisie immobilière que la banque a délivré aux consorts [Y] a interrompu le cours du délai de la prescription applicable ; qu’elle considère que l’effet interruptif de ce commandement de payer valant saisie immobilière s’est conservé, non jusqu’à l’extinction de l’instance qu’il a introduite, mais seulement jusqu’à l’issue de la procédure de traitement de leur situation de surendettement que M. [M] [Y] et Mme [O] ont engagée parallèlement à la procédure de saisie immobilière diligentée contre eux ; qu’en statuant ainsi, elle a violé l’article 2242 du code civil. »
Vu les articles 2241, alinéa 1er, 2242 et 2244 du code civil :
7. Selon le dernier de ces textes, le délai de prescription ou le délai de forclusion est interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée.
8. Selon le premier, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Selon le deuxième, l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance.
9. Il résulte de la combinaison de ces textes, qu’en matière de saisie immobilière, l’effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l’assignation à comparaître à l’audience d’orientation consécutive à un commandement valant saisie immobilière produit ses effets, en l’absence d’anéantissement de ce commandement ou de cette assignation, jusqu’à l’extinction de la procédure de saisie immobilière.
10. Pour annuler le commandement de payer aux fins de saisie-vente au motif de la prescription de la créance de la banque, l’arrêt retient que le délai biennal de prescription a été interrompu par la délivrance par la banque d’un commandement de payer valant saisie immobilière le 22 novembre 2012, date à compter de laquelle, un nouveau délai de deux ans a couru, et ensuite suspendu, d’une part, par la décision de sursis à statuer rendue par le juge de la saisie immobilière le 17 janvier 2014 sur l’orientation de la vente jusqu’à la décision définitive rendue le 20 septembre 2018 sur les poursuites pénales, et, d’autre part, par la décision rendue le 12 juillet 2016 par une commission de surendettement déclarant recevables deux des quatre co-débiteurs au traitement de leur situation financière, jusqu’au 17 novembre 2019, date de la fin du moratoire imposé par la même commission, et en déduit que la prescription était acquise au 17 septembre 2020.
11. En statuant ainsi, alors que l’effet interruptif de la prescription attachée à la délivrance de l’assignation à comparaître à l’audience d’orientation, consécutive au commandement valant saisie immobilière du 22 novembre 2012, produisait ses effets, en l’absence d’anéantissement de ce commandement ou de cette assignation, jusqu’à l’extinction de l’instance introduite par cette assignation, la cour d’appel a violé les textes susvisés.