Interdiction préalable d’une marque par les autorités de santé
Interdiction préalable d’une marque par les autorités de santé
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Ce n’est pas parce qu’une marque n’a fait l’objet d’aucune interdiction d’utilisation par les autorités de santé, qu’elle ne saurait être considérée comme contraire à l’ordre public

Aux termes des articles L. 711-3, b), et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, est déclaré nul par décision de justice l’enregistrement d’une marque contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite.

Lorsque le nom d’un médicament vétérinaire est un nom de fantaisie, celui-ci ne peut se confondre avec une dénomination commune.

Pour débouter la société Merial de sa demande d’annulation de la marque « Fiproline », l’arrêt énonce que cette marque n’a fait l’objet d’aucune interdiction d’utilisation par les autorités de santé, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme contraire à l’ordre public et que la société Merial est irrecevable à se prévaloir des dispositions combinées des articles R. 5141-1-1 du code de la santé publique et L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle.

En statuant ainsi, alors que la recevabilité d’une action en annulation d’une marque fondée sur les articles L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle et R. 5141-1-1 du code de la santé publique n’est pas subordonnée à l’interdiction préalable de la marque par les autorités de santé.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour de cassation

Chambre commerciale

27 mai 2021

Pourvoi n° 19-17.676

Demandeur(s) : Boehringer Ingelheim Animal Health France, anciennement dénommée société Merial, société en commandite simple

Défendeur(s) : Virbac, société anonyme à directoire et conseil de surveillance et Alfamed, société par actions simplifiée

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 12 mars 2019, rectifié le 30 avril 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 31 janvier 2018, pourvoi n° 15-20.796), la société Merial, société pharmaceutique diffusant des médicaments destinés aux animaux, est titulaire de la marque verbale « Frontline », déposée le 3 mars 1994, sous le numéro 94 509 301, et renouvelée le 8 décembre 2003, pour désigner, en classe 5, les « insecticides et produits anti-parasitaires à usage vétérinaire », sous laquelle elle commercialise un antiparasitaire à base d’un principe actif dénommé « fipronil ».

2. La société Virbac, qui exerce la même activité, a déposé, le 17 juillet 2008, sous le numéro 3 588 921, la marque française « Fiproline » pour désigner, en classe 5, les « préparations vétérinaires, en particulier un anti-parasitaire externe ». Depuis que le brevet qui couvrait le fipronil est tombé dans le domaine public, en mai 2009, elle commercialise sous cette marque un antiparasitaire pour chiens et chats à base de ce principe actif, fabriqué par la société Alfamed.

3. La société Merial, devenue Boehringer Ingelheim Animal Health France (la société Boehringer), a assigné les sociétés Virbac et Alfamed en paiement de dommages-intérêts et annulation de la marque « Fiproline » pour atteinte à la renommée de sa marque « Frontline », subsidiairement, pour contrefaçon de celle-ci, ainsi qu’en annulation de la marque « Fiproline » sur le fondement des articles L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle et R. 5141-1-1 du code de la santé publique.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, le deuxième moyen et le quatrième moyen, ci-après annexés

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

5. La société Boehringer fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande pour atteinte à la renommée de sa marque « Frontline » sur le fondement de l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, alors « que la protection conférée aux marques jouissant d’une renommée n’est pas subordonnée à la constatation d’un risque de confusion ; qu’en affirmant qu’il convient, pour apprécier l’existence d’une atteinte à la renommée d’une marque, sur le fondement de l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, de rechercher “l’existence d’éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle avec la marque « Fiproline » de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public concerné par les produits”, et en déduisant ensuite l’absence d’une telle atteinte du constat de l’absence de risque de confusion entre les deux marques, la cour d’appel a violé l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

6. L’usage d’un signe qui ne présente aucune similitude avec une marque n’est pas de nature à permettre de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque ou à leur porter préjudice, au sens de l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019.

7. L’arrêt retient que la comparaison des signes selon une approche globale écarte toute similitude entre les marques « Frontline » et « Fiproline », qu’elle soit visuelle, auditive ou intellectuelle.

8. Il en résulte que l’usage de la marque « Fiproline » n’a pas pu porter atteinte à la renommée, à la supposer établie, de la marque « Frontline ».

9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Énoncé du moyen

10. La société Boehringer fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande d’annulation de la marque française « Fiproline », alors « que tout tiers intéressé est recevable à solliciter la nullité d’une marque, sur le fondement des articles R. 5141-1-1 du code de la santé publique et L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle ; que la recevabilité d’une telle action, qui n’est pas réservée aux seules autorités de santé, ne suppose pas que la marque en cause ait préalablement fait l’objet d’une interdiction d’utilisation ; qu’en retenant que la société Merial serait irrecevable à se prévaloir des dispositions susvisées, parce que la marque « Fiproline » n’a fait l’objet d’aucune interdiction d’utilisation par les autorités de santé, la cour d’appel, qui n’a pas constaté que la société Merial ne justifierait d’aucun intérêt à obtenir la nullité de cette marque, a violé les articles 31 du code de procédure civile, L. 711-3, L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle et R. 5141-1-1 du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 711-3, b), et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, et R. 5141-1-1 du code de la santé publique :

11. Aux termes des deux premiers textes, est déclaré nul par décision de justice l’enregistrement d’une marque contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite.

12. Il résulte du dernier que, lorsque le nom d’un médicament vétérinaire est un nom de fantaisie, celui-ci ne peut se confondre avec une dénomination commune.

13. Pour débouter la société Merial de sa demande d’annulation de la marque « Fiproline », l’arrêt énonce que cette marque n’a fait l’objet d’aucune interdiction d’utilisation par les autorités de santé, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme contraire à l’ordre public et que la société Merial est irrecevable à se prévaloir des dispositions combinées des articles R. 5141-1-1 du code de la santé publique et L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle.

14. En statuant ainsi, alors que la recevabilité d’une action en annulation d’une marque fondée sur les articles L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle et R. 5141-1-1 du code de la santé publique n’est pas subordonnée à l’interdiction préalable de la marque par les autorités de santé, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute la société Merial de sa demande d’annulation de la marque française « Fiproline », en tant que celle-ci est fondée sur les articles L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle et R. 5141-1-1 du code de la santé publique, l’arrêt rendu le 12 mars 2019 et rectifié le 30 avril 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Président : Mme Mouillard

Rapporteur : Mme Michel-Amsellem

Avocat général : Mme Beaudonnet

Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret – SCP Waquet, Farge et Hazan


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