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La sanction pécuniaire de 6 millions d’euros prononcée contre le groupe Stihl par l’Autorité de la concurrence au titre de l’interdiction des ventes en ligne opposée à ses distributeurs, a été confirmée par la Cour de cassation.
Jusqu’à la fin de l’année 2013, toutes les modalités de vente à distance, dont la vente sur Internet, de produits de marque Stihl et Viking étaient, en droit comme en pratique, assorties d’importantes restrictions, liées pour l’essentiel à l’obligation de « mise en main » posée par le contrat de distribution sélective et à son suivi par Stihl.
Les sociétés Stihl ont ainsi enfreint les dispositions des articles 101 paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce, en restreignant les ventes à distance sur internet depuis les sites de leurs distributeurs agréés, dans le cadre du réseau de distribution sélective qu’elles avaient mis en place.
L’Autorité a, en conséquence, infligé à la société Andreas Stihl une sanction pécuniaire, solidairement avec sa société mère, et enjoint à la société Andreas Stihl de procéder à la modification de ses contrats.
Conformément aux enseignements des arrêts de la CJUE du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-cosmétique (C-439/09) et du 6 décembre 2017, Coty Germany (C-130/16), sont interdites les clauses ou comportements excluant de facto la distribution de certains produits par internet.
L’obligation de mise en main imposée aux distributeurs a été interprétée par la direction de la société Stihl ainsi que par les distributeurs agréés comme conduisant à interdire la vente sur internet et a été appliquée comme telle, de manière générale pour tous les produits de marques Stihl et Viking jusqu’à la fin de l’année 2013.
Le seul fait que le contrat de distribution sélective qui liait Stihl et ses distributeurs de 2006 à 2013 ne comporte pas de disposition interdisant expressément les ventes par Internet ne suffit pas pour exclure l’existence d’une telle interdiction (voir notamment, en ce sens, arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 mars 2014, société Bang & Olufsen, n° 2013/00714, page 13).
A l’opposé, les concurrents du groupe Stihl, les sociétés Husqvarna et Honda, n’interdisaient pas les ventes sur internet sur les sites de leurs distributeurs agréés, mais adaptaient leur politique commerciale afin de garantir que le consommateur ait accès à toutes les informations nécessaires à sa sécurité.
L’interdiction de vente en ligne imposée par la société Stihl à ses distributeurs allait donc au-delà de ce qui est apparu nécessaire à ses concurrents pour préserver la sécurité du consommateur.
L’Autorité a, au surplus, relevé une différence entre les prestations imposées par la société Stihl aux grandes surfaces de bricolage et aux distributeurs spécialisés et en a déduit que ce constat affaiblissait la thèse selon laquelle l’obligation litigieuse et l’interdiction subséquente de vente sur internet seraient indispensables à la réalisation de l’objectif de sécurité.
Elle a également relevé que l’obligation de mise en main lors d’un contact direct et l’interdiction de vendre sur internet étaient imposées aux profanes comme aux professionnels, cependant que certains concurrents comme la société Husqvarna opèrent une distinction entre les usagers.
L’Autorité a déduit de l’ensemble de ces éléments que, si la nature de certains produits concernés par l’interdiction peut justifier l’édiction de réglementations et d’obligations particulières, l’interdiction des ventes en ligne imposée par la société Stihl n’apparaissait ni appropriée ni proportionnée pour atteindre les objectifs de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage, de sorte que cette interdiction est constitutive d’une restriction de concurrence.
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R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 janvier 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 70 FS-D
Pourvoi n° J 19-24.464
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 JANVIER 2022
1°/ la société Stihl Holding AG & Co. KG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 2]),
2°/ la société Andreas Stihl, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° J 19-24.464 contre l’arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant :
1°/ à la présidente de l’Autorité de la concurrence, domiciliée [Adresse 1],
2°/ au ministre de l’économie et des finances, domicilié direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), [Adresse 3]
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat des sociétés Stihl Holding AG & Co. KG et Andreas Stihl, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la présidente de l’Autorité de la concurrence, et l’avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l’audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mme Poillot-Peruzzetto, M. Mollard, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 17 octobre 2019), par décision n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de matériels de motoculture, l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) a retenu qu’il était établi que la société Andreas Stihl et sa société mère Stihl Holding AG & Co. KG (les sociétés Stihl) avaient, entre le 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017, enfreint les dispositions des articles 101 paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce, en restreignant les ventes à distance sur internet depuis les sites de leurs distributeurs agréés, dans le cadre du réseau de distribution sélective qu’elles avaient mis en place. Elle a, en conséquence, infligé à la société Andreas Stihl une sanction pécuniaire, solidairement avec sa société mère, et enjoint à la société Andreas Stihl de procéder à la modification de ses contrats.
2. L’Autorité a notamment considéré que conduisait à interdire, de facto, les ventes en ligne de ces produits et était constitutive d’une pratique anticoncurrentielle par objet l’obligation dite de « mise en main », réservée à certains produits après 2014, figurant dans le contrat liant la société Stihl à ses distributeurs, par l’article 2.1 qui précise qu’« [u]n contact direct et personnel entre les Partenaires Commerciaux Spécialisés Stihl et le client est nécessaire pour que le client puisse recevoir le conseil relatif aux éléments indispensables au choix d’un produit adapté et l’assistance à une prise en main sécurisée, propre à éviter les risques. Par conséquent, la distribution par vente à distance n’est envisagée que pour les produits Stihl et Viking mentionnés dans l’Annexe A. Les produits Stihl et Viking non mentionnés dans l’Annexe A sont exclus de la vente à distance. Pour ces produits, la réservation ou l’achat en ligne sont possibles, sans distribution à distance sauf si le Partenaire Commercial Spécialisé se charge de la livraison par l’un de ses conseillers de vente habilités. Le Partenaire Commercial Spécialisé doit en informer le client de façon claire. »
3. Saisie d’un recours par les sociétés Stihl, la cour d’appel a réformé partiellement la décision de l’Autorité sur le montant de la sanction, qu’elle a réduit.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième, troisième et septième branches, et le quatrième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, quatrième, cinquième, sixième branches et en ses huitième à treizième branches
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Stihl font grief à l’arrêt de rejeter leur demande tendant à la réformation de l’article 1er de la décision de l’Autorité n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 ayant dit qu’elles ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en restreignant les ventes à distance sur internet depuis les sites de leurs distributeurs agréés dans le cadre du réseau de distribution sélective entre le 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017, et de ne réformer en conséquence que partiellement l’article 3 de cette décision leur ayant infligé une sanction pécuniaire et les articles 4 à 7 faisant différentes injonctions à la société Andreas Stihl, alors :
« 1°/ que la notion de restriction de concurrence « par objet », qui doit être interprétée de manière stricte, ne peut être appliquée qu’à certaines pratiques collusoires entre entreprises révélant, en elles-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’elles visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire ; qu’en retenant que tel serait le cas, en l’espèce, de la clause d’un contrat de distribution sélective qui n’interdit pas la vente sur internet, mais l’autorise en encadrant les modalités de livraison de produits dangereux commercialisés par le biais d’un tel canal en imposant une « mise en main » par le distributeur lors de cette livraison quand, en l’absence d’expérience acquise permettant de caractériser sa nocivité à l’égard de la concurrence, un tel mécanisme avait fait l’objet de « discussions écrites et orales » entre le groupe Stihl et le Bundeskartellamt au cours des années 2013 à 2016 au terme desquelles l’autorité de concurrence allemande n’avait « vu aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité au droit de la concurrence allemande et/ou européen », ce qui contredisait que l’obligation de « mise en main » par le distributeur lors de la livraison présente un degré de nocivité suffisant rendant inutile l’examen de ses effets, la cour d’appel a méconnu le principe d’interprétation stricte de la notion de restriction de concurrence « par objet » et a ainsi violé les articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
4°/ que la notion de restriction de concurrence « par objet », qui doit être interprétée de manière stricte, ne peut être appliquée qu’à certaines pratiques collusoires entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire ; qu’en se fondant sur la présomption, contestée par les sociétés Stihl, que l’obligation de « mise en main » prévue par le contrat de distribution spécialisée de la société Stihl conduirait nécessairement à reconstituer des zones de chalandise physique et réduirait la concurrence par les prix, la cour d’appel a, en l’absence d’expérience acquise, méconnu le principe d’interprétation stricte de la notion de restriction de concurrence « par objet » et a ainsi violé les articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
5°/ que pour déterminer si un type de coordination entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour constituer une restriction de concurrence « par objet », il convient de tenir compte de l’expérience acquise ; que le fait que d’autres autorités de concurrence aient examiné une pratique sans formuler aucune objection à son encontre exclut que cette pratique puisse être considérée comme présentant, par nature, un degré suffisant de nocivité pour que l’examen de ses effets ne soit pas nécessaire, peu important que ces autres autorités ne soient pas compétentes pour prendre une décision négative ; que la cour d’appel a constaté que « les autorités de concurrence allemande, suédoise et suisse ont relevé en l’état de leurs investigations, l’absence d’indices les incitant à poursuivre l’enquête préalable ouverte par leurs services » ; qu’en refusant néanmoins de tenir compte de la position adoptée par ces autres autorités, motif pris qu’elles n’étaient pas compétentes pour prendre une décision négative, la cour d’appel a violé les articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
6°/ que la cour d’appel a constaté que l’élaboration du dispositif contractuel de la société Stihl avait fait l’objet de « discussions écrites et orales » entre le groupe Stihl et le Bundeskartellamt au cours des années 2013 à 2016 et qu’au terme de ces échanges, l’autorité de concurrence allemande n’avait « vu aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité au droit de la concurrence allemande et/ou européen » et avait ainsi « décidé de ne pas intervenir, au sens de l’article 5 du règlement n° 1/203 » ; qu’elle a également relevé que le Bundeskartellamt avait indiqué qu’il “continuerait à observer le fonctionnement du système de distribution en pratique, mais qu’en aucun cas il n’imposera[it] une amende à raison des restrictions en question” ; qu’en retenant néanmoins, pour refuser de tenir compte, au titre de l’expérience acquise, de la position clairement adoptée par cette autorité de concurrence qu’ ” il ne [pouvait] en être déduit que ces éléments étaient identiques à ceux que l’Autorité a recueillis au terme de la procédure d’instruction ouverte sur saisine d’office”, cependant qu’il n’était pas contesté que le dispositif contractuel en vigueur en France était identique à celui qui avait été soumis au Bundeskartellamt, la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
8°/ que pour apprécier si un type de coordination entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour constituer une restriction de concurrence « par objet », il faut notamment s’attacher au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, ce qui suppose de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question ; que, devant la cour d’appel, les sociétés Stihl faisaient valoir que tant le contexte économique, et en particulier l’existence d’une forte concurrence inter et intra-marque et la part résiduelle de la vente sur internet, que le contexte juridique, tenant à la persistance d’une incertitude juridique concernant la vente en ligne de produits dangereux dans un réseau de distribution sélective et aux exigences de protection de la santé et de la sécurité des utilisateurs de tels produits, excluaient que l’obligation de « mise en main » prévue par leurs contrats de distribution sélective en cas de vente sur internet de produits dangereux puisse être considérée comme une restriction de concurrence « par objet » ; que la cour d’appel a admis qu’il fallait prendre en compte ce contexte économique et juridique pour apprécier si la pratique litigieuse présentait un degré suffisant de nocivité pour être considérée comme une restriction de concurrence « par objet », mais n’a nullement procédé à l’analyse de ce contexte ; que ce faisant, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
9°/ qu’en tout état de cause les restrictions de concurrence peuvent échapper à la prohibition prévue par l’article 101 § 1, du TFUE si elles poursuivent de manière proportionnée un objectif légitime de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage ; que cette exigence de proportionnalité est satisfaite lorsque l’interdiction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ; que si le vendeur d’un produit dangereux est dispensé de mettre en garde les acheteurs qui, par leur expérience, disposent des compétences techniques requises pour l’utilisation du produit, c’est à la condition qu’il puisse s’assurer de ces compétences ; que, comme le faisaient valoir les sociétés Stihl, une telle vérification est impossible pour la vente de produits de motoculture, en l’absence de tout registre et de tout élément objectif permettant d’attester les compétences de l’acheteur ; qu’en retenant que l’obligation de « mise en main », en ce qu’elle s’applique indifféremment aux profanes et aux professionnels, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité des professionnels, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l’impossibilité pour les distributeurs de s’assurer des compétences techniques des clients ne faisait pas obstacle à la dispense de cette obligation de « mise en main » à l’égard des clients professionnels, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ensemble l’article 1147 du code civil ;
10°/ qu’une clause restreignant les ventes sur internet doit être considérée comme poursuivant un objectif légitime de sécurisation de l’utilisation du produit si elle est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu’une telle nécessité ne peut être écartée que si d’autres moyens moins attentatoires au libre jeu de la concurrence auraient permis d’atteindre l’objectif poursuivi ; que pour juger que l’obligation pour le distributeur d’exécuter personnellement l’obligation de « mise en main » des machines dangereuses serait excessive, la cour d’appel a retenu que cette « mise en main » pouvait être faite par un sous-traitant sans augmentation significative des coûts pour l’acheteur ; qu’en ne recherchant pas si une telle sous-traitance, qui reposerait par hypothèse sur une décision individuelle et volontaire des distributeurs, permettrait de pallier la restriction des ventes sur internet reprochée aux sociétés Stihl, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
11°/ qu’une clause restreignant les ventes sur internet doit être considérée comme poursuivant un objectif légitime de sécurisation de l’utilisation du produit si elle est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu’une telle nécessité ne peut être écartée que si d’autres moyens moins attentatoires au libre jeu de la concurrence auraient permis d’atteindre l’objectif poursuivi ; qu’en affirmant péremptoirement que l’objectif de sécurisation de l’usage du produit pourrait être atteint « par d’autres moyens, notamment au moyen d’une assistance à distance », sans expliquer en quoi ces autres moyens permettraient d’assurer une mise en garde effective des acheteurs sur la dangerosité des produits et les risques liés à leur utilisation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
12°/ que la cour d’appel a constaté que la société Husqvarna obligeait ses distributeurs « à assembler et tester chaque produit et à fournir au client des explications et une démonstration du fonctionnement du produit avant livraison » (§ 228 et 229 de l’arrêt attaqué) et leur imposait « des contraintes similaires » à celles de la société Stihl (§ 231 et 232) ; qu’il en résultait que l’assistance en ligne « proposée » par cette société n’était qu’un moyen d’information complémentaire, ne remplaçant pas l’exigence d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur lors de la livraison ; qu’en relevant pourtant que la société Husqvarna proposait une formation sur internet pour juger que l’objectif de sécurisation du produit pourrait être atteinte au moyen d’une assistance en ligne, la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
13°/ que les risques d’accidents liés à l’utilisation d’une machine dangereuse sont nécessairement réduits si des consignes de sécurité et d’utilisation sont fournies oralement à l’acheteur dans le cadre d’une démonstration physique du produit ; que le principe de prévention des risques, qui commande de prendre toutes mesures appropriées en vue de prévenir les risques potentiels pour la santé et la sécurité, recommande donc une telle démonstration, quand bien même le lien entre l’absence de démonstration physique et la survenance d’accidents ne serait pas établi avec certitude ; qu’en relevant toutefois, pour juger qu’un contact physique entre le distributeur et l’acheteur ne serait pas nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurisation de l’usage du produit, qu’ « aucun élément de la procédure n’établit que les accidents recensés sont plus fréquents lorsque l’utilisateur n’a pas bénéficié d’une démonstration physique du produit en magasin », la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et a ainsi violé les articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. L’arrêt énonce, d’abord, qu’ainsi que la Cour de justice l’a rappelé dans ses arrêts des 3 mai 2011, Tele2 Polska (C-375/09, points 19 à 30) et 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a. (C-681/11, point 42), les autorités nationales de concurrence ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de l’article 101 TFUE, et en déduit que les sociétés Stihl ne sont pas fondées à reprocher à l’Autorité d’avoir commis une erreur de droit en retenant l’existence d’une restriction de concurrence par objet, cependant que cette analyse n’aurait pas, selon elles, été retenue par les autorités de concurrence allemande, suédoise et suisse. Il retient que le fait que les autorités chargées de faire respecter les règles de concurrence n’aient pas, dans le passé, connu d’un mécanisme similaire et jugé qu’il était, de par son objet même, restrictif de concurrence n’est pas de nature, en soi, à empêcher une autorité de concurrence de le faire à l’avenir, à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte. Il retient encore que l’appréciation provisoire portée par une autorité de concurrence sur une situation factuelle n’est pas susceptible de constituer une « expérience acquise », au sens de la jurisprudence des juridictions de l’Union, de nature à faire échec à l’examen individuel et circonstancié des mêmes mesures par une autre autorité de concurrence. Il retient également qu’il ressort de la jurisprudence des juridictions de l’Union, comme de la pratique décisionnelle nationale, que l’interdiction de vente sur internet au sein d’un réseau de distribution sélective, qui peut résulter d’exigences conduisant de facto à une telle interdiction, sans pour autant faire l’objet d’une stipulation contractuelle explicite, est susceptible de constituer une restriction de concurrence par objet, en ce qu’elle réduit la possibilité des distributeurs de vendre des produits aux clients situés hors de leur zone d’activité, limite le choix des acheteurs finals désireux d’acheter sans se déplacer et restreint, par voie de conséquence, la concurrence dans le secteur considéré. Il ajoute qu’il n’est pas requis que les produits concernés par cette jurisprudence et cette pratique décisionnelle soient identiques aux produits en cause dans la présente affaire pour permettre de tenir compte des grands principes qui s’en dégagent. Il constate que l’obligation imposée aux distributeurs d’effectuer eux-mêmes l’assistance à la mise en main du matériel, qui implique un contact direct entre l’acheteur et le distributeur effectuant la vente, exclut la possibilité de livraison à distance par un tiers au réseau de distribution, comme par un autre distributeur que celui qui procède à la vente, et estime qu’elle est ainsi de nature à dissuader l’acheteur ou le distributeur de réaliser la vente selon qu’elle implique un déplacement du premier au magasin pour retirer le produit ou l’intervention du second à domicile, et en déduit qu’elle engendre une restriction de concurrence en ce qu’elle conduit à reconstituer des zones de chalandise physiques. Il retient enfin que cette obligation, comprise et appliquée comme interdisant la vente sur internet pour les produits qu’elle concerne, entraîne une restriction de concurrence en ce qu’elle réduit la stimulation effective de concurrence intra et inter-marques pour les produits concernés, en supprimant, pour ce qui les concerne, un mode de distribution, à savoir internet. Il observe que si les clients peuvent consulter à distance les différents sites des distributeurs pour comparer les offres de vente, ce qui est susceptible de générer à leur bénéfice une réduction de prix, cette transparence ne produit pas ses pleins effets dès lors que le retrait en magasin imposé pour la vente en ligne de certains produits est de nature à les dissuader de concrétiser leur achat, et que, par ailleurs, les distributeurs ne sont pas incités à offrir des tarifs plus attractifs s’ils ne peuvent compenser la baisse de leurs prix par une augmentation du volume de leurs ventes, ce que l’obligation litigieuse vient compromettre, en réduisant de facto leur périmètre de vente sur internet ou en leur imposant un surcoût pour réaliser eux-mêmes la prestation au point de livraison.
7. Ensuite, l’arrêt constate, s’agissant du cadre juridique, que la fabrication et la commercialisation des produits du secteur de la motoculture relèvent du champ d’application de la directive 2006/42 du Parlement européen et du Conseil du 12 mai 2006 relatives aux machines et modifiant la directive 95/16/CE (refonte), transposée en droit national par le décret n° 2008-1156 du 7 novembre 2008, et que cette directive prévoit essentiellement la communication d’une notice d’utilisation écrite dans la langue de l’Etat d’achat, laquelle, pour les produits dangereux, doit comporter des informations spécifiques, et qu’elle n’interdit aucun type de vente, notamment à distance, pas plus qu’elle n’impose que les ventes soient réalisées dans un espace physique et soient accompagnées d’un conseil et/ou d’une démonstration par un vendeur spécialisé, à la différence du dispositif mis en oeuvre au sein du réseau Stihl. Il observe que, de même, aucune disposition nationale fondée sur un objectif de sécurité du consommateur n’a subordonné la commercialisation de produits dangereux à une prise en main lors d’un contact direct entre le distributeur revendeur et l’utilisateur. Il relève que le contexte législatif et jurisprudentiel, qui met à la charge du vendeur un devoir de mise en garde impliquant une information effective tenant compte des spécificités et de la dangerosité du produit, ne limite pas les mesures susceptibles d’être prises et qu’il n’est pas démontré que les sociétés Stihl soient dans l’obligation juridique d’imposer au distributeur réalisant la vente une prise en main physique pour atteindre l’objectif de sécurité qu’elles recherchent. S’agissant du contexte économique, il relève que la position, sur le marché général de la motoculture, de la société Stihl, de 18,6 %, est particulièrement significative compte tenu du nombre de marques, s’élevant à la cinquantaine, qui y sont présentes et relève la notoriété et l’importance de la position de la société Stihl sur les deux produits phares que sont les tronçonneuses et les débroussailleuses, pour lesquelles cette entreprise détient une part de marché de respectivement 57 % et 47,4 %, parts particulièrement pertinentes dès lors que ces machines concernent les produits plus spécifiquement touchés par l’entente en cause après 2014. Il estime que ces éléments sont de nature à renforcer la présomption d’effets nocifs sur la concurrence, dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre d’un système de distribution sélective qui est, par définition, fermé.
8. Enfin, l’arrêt retient que l’obligation de prise en main imposée par le contrat de distribution du réseau Stihl s’applique, sans distinction, au bénéfice des profanes comme des professionnels du secteur, cependant que les seconds ont, en principe, une meilleure connaissance, voire une expérience déjà acquise, du maniement de ces produits et que l’analyse de la politique de vente de la société Husqvarna dont l’annexe 9 du contrat et plus particulièrement de sa clause « 2. Exemption », selon laquelle « [s]i le Distributeur peut démontrer de manière satisfaisante pour Husqvarna qu’un client donné est utilisateur qualifié et expérimenté des Produits concernés et qu’il est capable d’assumer en interne les exigences du paragraphe I (b) ci-dessus [produit remis prêt à l’usage], le Distributeur est exempté du respect des obligations à cet égard. Nonobstant cette exemption, il reste tenu au respect des stipulations des paragraphes 1 (a) [inspection avant livraison et test de sécurité] et 1(c) [consignes sur l’inscription du produit aux fins de garantie] ci-dessus », révèle qu’un aménagement des obligations pesant sur le distributeur est possible en fonction de l’expérience et de la qualification de l’acheteur et que le dispositif mis en place à cet égard, équilibré, permet de satisfaire l’objectif de sécurité recherché. Il retient ensuite que la suppression du caractère personnel de l’obligation faite au distributeur d’assurer la prise en main peut faire l’objet de négociations dans l’accord de situation ab initio et offrirait la possibilité à celui-ci de sous-traiter cette prestation. La cour ajoute que, selon le contrat de distribution, le prix de vente inclut déjà la prestation de mise en main, de sorte qu’il n’est pas démontré que la rétrocession, au sous-traitant, de la rémunération correspondant à cette prestation entraînerait une augmentation significative des coûts pour le consommateur. Il retient enfin que l’objectif de sécurisation de l’usage du produit peut être atteint par d’autres moyens que l’exigence de contact physique concomitant à la vente, notamment au moyen d’une assistance à distance.
9. En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les douzième et treizième branches, la cour d’appel, qui a retenu exactement que les éventuelles analyses des autres autorités de concurrence sur la clause litigieuse, qui ne pouvaient donner lieu à une décision formelle de leur part excluant l’existence d’une violation de l’article 101 § 1, ne constituaient pas une expérience acquise au sens de la jurisprudence de la CJUE, peu important que les termes de la clause qu’elles auraient, le cas échéant, analysés, aient été identiques à ceux soumis à l’autorité française et à la juridiction de recours, qui s’est fondée sur la qualification déjà existante de restriction par objet, sous réserve d’un certain nombre de vérifications auxquelles elle s’est livrée conformément aux enseignements des arrêts de la CJUE du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-cosmétique (C-439/09) et du 6 décembre 2017, Coty Germany (C-130/16), de clauses excluant de facto la distribution de certains produits par internet, qui, contrairement aux énonciations du grief de la huitième branche, a pris en considération, pour l’analyse de la nocivité intrinsèque de la pratique, le contexte juridique et la structure du marché dans lesquels elle se situait, et qui a apprécié, conformément à la méthode prescrite par les arrêts précités, la proportionnalité de la restriction relevée à l’objectif poursuivi par celle-ci, sans avoir à faire les recherches invoquées par les neuvième et dixième branches, et a estimé que des moyens tels que l’assistance à distance, moins restrictifs, permettaient d’assurer une mise en garde effective des acheteurs sur la dangerosité des produits, a, sans méconnaître le principe de l’interprétation restrictive de la notion de pratique anticoncurrentielle par objet, légalement justifié sa décision.
10. En conséquence, pour partie inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Les sociétés Stihl font le même grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ qu’une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si son absence supprimait ou réduisait substantiellement les gains d’efficacité qu’elle génère ou rendait leur réalisation beaucoup plus improbable ; que pour juger qu’un conseil personnalisé au moment de l’achat d’une machine permettant de s’assurer de l’adaptation de cette machine à la condition physique de l’acheteur ne serait pas « absolument indispensable », la cour d’appel a relevé que les caractéristiques du produit figurant en ligne permettraient à l’utilisateur d’apprécier si la machine est adaptée à sa morphologie et à l’usage qu’il compte en faire et qu’il en irait d’autant plus ainsi lorsque l’acheteur est un professionnel ou un particulier ayant déjà possédé un produit de la gamme ; qu’en ne vérifiant pas, comme elle y était invitée, si la consultation d’un site internet, qui suppose une démarche spontanée et ne donne accès qu’à des informations standardisées, permettait de garantir efficacement une adaptation de la machine à la condition physique de l’acheteur, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un professionnel, et à l’utilisation projetée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ;
2°/ qu’une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si son absence supprimait ou réduisait substantiellement les gains d’efficacité qu’elle génère ou rendait leur réalisation beaucoup plus improbable ; que les risques d’accidents liés à l’utilisation d’une machine dangereuse sont nécessairement réduits si des consignes de sécurité et d’utilisation sont fournies à l’utilisateur au moment de la remise du produit à l’utilisateur ; que le principe de prévention des risques, qui commande de prendre toutes mesures appropriées en vue de prévenir les risques potentiels pour la santé et la sécurité, recommande donc la fourniture de telles consignes, quand bien même le lien entre l’absence de consignes et la survenance d’accidents ne serait pas établi avec certitude ; que la cour d’appel a admis que, même si les consignes de sécurité et d’utilisation fournies par le distributeur dans le cadre d’un contact direct avec l’acheteur étaient les mêmes que celles figurant dans la notice d’instruction, un contact direct présentait l’avantage d’ “assur[er] que l’acheteur entendrait les consignes de sécurité” ; qu’en jugeant toutefois que ce contact direct ne serait pas indispensable, en ce qu’il ne serait « pas établi que les utilisateurs qui n’ont pas eu de contact direct avec leur vendeur seraient sujets à des accidents que ceux qui ont eu un tel contact préalable », la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et a ainsi violé les articles 101 § 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ;
3°/ qu’une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si son absence supprimait ou réduisait substantiellement les gains d’efficacité qu’elle génère ou rendait leur réalisation beaucoup plus improbable ; que les outils d’assistance en ligne mis à la disposition des acheteurs de machines dangereuses ne sont susceptibles d’assurer la sécurité des utilisateurs de ces produits que s’ils sont effectivement utilisés ; que ces outils ne permettent donc pas d’atteindre le même résultat qu’un contact direct avec l’acheteur qui, comme l’a constaté la cour d’appel, a pour avantage d’ “assur[er] que l’acheteur entendra les consignes de sécurité” ; qu’en affirmant le contraire, pour en déduire que ce contact direct ne serait pas indispensable, la cour d’appel a violé les articles les articles 101 § 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ;
4°/ qu’une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si les gains d’efficacité qu’elle génère ne peuvent être atteints au moyen d’un autre type d’accord moins restrictif de concurrence ; qu’en jugeant que la « mise en main » des machines dangereuses ne serait pas indispensable pour permettre la remise à l’utilisateur une machine montée et vérifiée, dès lors que cet objectif pourrait être atteint sans requérir l’intervention du distributeur au domicile du client, sans rechercher si la remise de la machine montée et vérifiée par une autre personne que le distributeur, qui repose par hypothèse sur une décision individuelle et volontaire des distributeurs, permettrait de pallier la restriction de concurrence reprochée aux sociétés Stihl, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
12. Après avoir énoncé que la délivrance de conseils personnalisés lors de l’achat et la mise en main du produit pourrait constituer un gain d’efficacité au sens des dispositions de l’article 101 § 3, du TFUE et de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce, l’arrêt retient qu’il faut que ces gains soient propres à l’accord en cause, ce qui implique d’évaluer le caractère indispensable de l’accord afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’autres moyens économiquement réalisables et moins restrictifs permettant de les réaliser. Il retient que si le conseil personnalisé au moment de l’achat permet en principe de s’assurer que la machine est adaptée à la condition physique de celui qui souhaite l’acquérir (poids, volume, niveau de vibration), les caractéristiques du produit peuvent figurer en ligne, de sorte que l’utilisateur est en mesure d’apprécier si la machine n’est pas trop lourde ou trop encombrante pour sa morphologie ou l’usage qu’il compte en faire, ce dont l’Autorité a justement déduit que, si le conseil du revendeur peut être utile, il n’est pas absolument nécessaire, ce constat étant particulièrement flagrant lorsque l’acheteur est un professionnel ou un particulier ayant déjà possédé un produit de la même gamme. L’arrêt retient encore que le revendeur peut effectuer une démonstration du fonctionnement de la machine, si le client le souhaite, et donner des consignes de sécurité et d’utilisation, mais que ces consignes sont les mêmes que celles qui figurent dans la notice d’instructions qui accompagne nécessairement la machine, de sorte que le seul avantage présenté par l’obligation de mise en main est l’assurance que l’acheteur entendra les consignes de sécurité, sans qu’il soit établi que les utilisateurs qui n’ont pas eu de contact direct avec leur vendeur seraient plus sujets à des accidents que ceux qui ont eu un tel contact préalable. L’arrêt rappelle encore que des outils d’assistance à la prise en main adaptés à internet sont susceptibles d’être mobilisés, comme les animations, les vidéos ou encore les services de visio-assistance en ligne, permettant d’atteindre le même objectif par des moyens économiquement et techniquement réalisables, moins restrictifs de concurrence. L’arrêt retient enfin que la remise d’une machine montée et vérifiée, présentée par les sociétés Stihl comme un gain d’efficacité supplémentaire, peut être réalisée lors de l’expédition du produit et/ou de sa livraison, sans nécessairement requérir l’intervention du distributeur à l’origine de la vente au domicile du client.
13. En l’état de ces énonciations et appréciations, la cour d’appel, qui n’avait pas à faire les recherches invoquées par les première et quatrième branches, a pu statuer comme elle a fait.
14. Pour partie inopérant, le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
15. Les sociétés Stihl font grief à l’arrêt de ne réformer que partiellement l’article 3 de la décision de l’Autorité relatif à la sanction pécuniaire et d’infliger, au titre des pratiques visées à l’article 1er de cette décision, une sanction pécuniaire de 6 000 000 euros à la société Andreas Stihl, solidairement avec la société Stihl Holding AG & Co. KG, alors :
« 1°/ que le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dont il ressort qu’une autorité administrative, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées dont il ne peut être privé ; que la cour d’appel a constaté que les sociétés Stihl avaient entrepris une refonte de leur dispositif contractuel avec “le concours d’une autorité nationale de concurrence en vue de satisfaire les exigences de l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ( ) et, de manière plus générale, les règles de concurrence« et que »l’attache prise avec l’autorité de concurrence allemande a pu laisser penser [à ces dernières] que les réformes entreprises étaient suffisantes” ; qu’il en résultait que les sociétés Stihl avaient reçu d’une autorité de concurrence nationale une assurance précise, ayant fait naître chez elles une espérance légitime, que leur dispositif contractuel était conforme au droit de la concurrence ; qu’en jugeant toutefois, pour écarter le principe de protection de la confiance légitime, qu’ “en l’absence de décision de la Commission, le fait que d’autres autorités nationales de concurrence ( ) aient été sollicitées lors de l’élaboration du nouveau contrat de distribution sélective devant être mis en oeuvre sur leur territoire, ne saurai[t], par définition, être assimilé à des « renseignements précis, inconditionnels et concordants » fournis aux intéressées quant à la conformité du « Contrat de Distribution Spécialisée » litigieux à l’article 101 du TFUE”, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé le principe de protection de la confiance légitime, ensemble les articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
2°/ que le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dont il ressort qu’une autorité administrative, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées dont il ne peut être privé ; que sont susceptibles de faire naître de telles espérances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants émanant de sources autorisées et fiables ; que le fait qu’une autorité de concurrence communautaire ayant fait naître une espérance légitime chez un justiciable français n’ait pas enjoint à ce justiciable d’appliquer les renseignements qu’elle lui a fournis et n’ait pas associé l’autorité de la concurrence française à sa démarche n’est pas de nature à écarter l’application du principe de protection de la confiance légitime ; qu’en retenant néanmoins, pour juger que la participation de l’autorité de concurrence allemande à l’élaboration du nouveau contrat de distribution sélective de la société Stihl ne serait pas de nature à permettre aux sociétés exposantes de bénéficier du principe de protection de la confiance légitime, « qu’il ne ressort pas de la procédure que l’autorité de concurrence allemande ait enjoint »aux représentants de la société Stihl« d’adopter le dispositif litigieux ni que l’autorité de concurrence française a été associée à l’élaboration de ce contrat », la cour d’appel a statué par des motifs inopérants, et a ainsi violé le principe de protection de la confiance légitime, ensemble les articles 101 § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
16. L’arrêt retient que les éléments versés aux débats ne révèlent aucune décision adoptée par la Commission concernant les dispositions du contrat de distribution en cause et que les autorités nationales de concurrence ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative concluant à l’absence d’une violation de l’article 101 du TFUE. Il retient qu’ainsi que l’a jugé la Cour de justice dans l’arrêt Schenker & Co. e.a., précité (points 41 et 42), « nul ne peut invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration compétente (voir arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna, C-221/09, (…) point 72, et du 14 mars 2013, Agrargenossenschaft Neuzelle, C-545/11, point 25) » et, par suite, « dès lors que [les autorités nationales de concurrence] ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de l’article 101 TFUE (arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska, C-375/09, (…) points 19 à 30), elles ne peuvent pas faire naître dans le chef des entreprises une confiance légitime de ce que leur comportement n’enfreint pas ladite disposition. »
17. En l’état de ces appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, la cour d’appel a statué à bon droit.
18. Partiellement inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Stihl Holding AG & Co. KG et Andreas Stihl aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Stihl Holding AG & Co. KG et Andreas Stihl et les condamne à payer au président de l’Autorité de la concurrence la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Stihl Holding AG & Co. KG et la société Andreas Stihl.
PREMIER MOYEN DE CASSATION (existence d’un accord de volontés pour la période antérieure à 2014)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande des sociétés Andreas Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG tendant à la réformation de l’article 1er de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 ayant dit que ces sociétés ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en restreignant les ventes à distance sur internet depuis les sites internet de leurs distributeurs agréés dans le cadre du réseau de distribution sélective entre le 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017, et de n’avoir en conséquence réformé que partiellement l’article 3 de cette décision ayant infligé une sanction pécuniaire aux sociétés Andreas Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG et les articles 4 à 7 faisant différentes injonctions à la société Andreas Stihl ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur l’existence d’un accord de volontés entre la société Stihl et ses distributeurs pour la période antérieure à 2014 :
( )
58. La cour rappelle que l’Autorité s’est saisie d’office « de pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de matériels de motoculture de marque Stihl » par décision n° 17-S0-06 du 28 avril 2017, après avoir pris connaissance du rapport d’enquête de la DIRECCTE transmis selon la procédure décrite au paragraphe 1, lequel faisait état d’un signalement parvenu auprès de ce service relatant les difficultés rencontrées par un distributeur de matériels de motoculture dans la commercialisation sur internet des produits de certains de ses fournisseurs, notamment, les machines de marques Stihl et Viking.
59. C’est dans ce cadre procédural que l’Autorité s’est attachée à examiner les conditions dans lesquelles fonctionne le réseau de distribution sélective Stihl au regard des exigences posées par le droit de la concurrence national et européen.
60. La cour rappelle que l’Autorité n’était pas liée par le rapport administratif d’enquête.
61. Il ne peut donc lui être reproché d’avoir contrôlé la licéité du réseau Stihl et ses modalités de fonctionnement, sans se limiter aux dernières modifications apportées au contrat de distribution sélective en 2014, sur lesquelles le rapport d’enquête insistait davantage.
62. Au demeurant, le rapport d’enquête signalait, en pages 17 et suivantes, que la société Stihl « avait déjà formulé des exigences spécifiques en matière de revente de ses machines sur internet » avant le déploiement, en 2014, du contrat dénommé « Contrat de distribution spécialisée » et faisait état de courriers d’avertissements antérieurs à 2014, adressés par la société Stihl aux distributeurs agrées, concernant la vente des produits de la marque sur internet (annexe 6 de la notification de griefs, cotes 72 et suivantes).
63. Concernant l’absence de preuve d’un accord de volontés entre fournisseur et distributeurs tendant à restreindre les ventes en ligne sur la période antérieure à 2014, alléguée par les sociétés requérantes, il convient de rappeler que, par le grief n° 1, il leur a été reproché d’avoir conclu des accords et mis en oeuvre une entente visant à restreindre les ventes à distance depuis les sites internet des distributeurs agréés dans le cadre du réseau de distribution sélective Stihl entre l’année 2006 et le 7 septembre 2017, date de la notification de ce grief.
64. La qualification d’un tel grief requiert, en premier lieu, la preuve d’un accord de volontés des parties à l’entente au cours de toute la période de référence.
65. Il convient de rappeler qu’une telle preuve peut être rapportée par tous moyens. Elle peut résulter des clauses du contrat liant les parties comme des déclarations de l’entreprise mise en cause.
66. Il ressort des éléments de la procédure, qu’avant 2014, le contrat de distribution du réseau Stihl prévoyait une obligation de conseil et de mise en main pour toutes les ventes réalisées par le biais du site internet du distributeur, ainsi que cela ressort de l’article 10 du contrat partenaire annexé à la notification de griefs, dont les termes ont été rappelés au paragraphe 15 du présent arrêt. Ce dispositif contractuel était en place au sein du réseau, au minimum, depuis 2006, comme l’illustre la situation de la société Lambin, distributeur agréé signataire d’un contrat en date du 2 mars 2006 (Annexe 117 de la notification de griefs, cotes 4619 et suivantes). La cour relève, à cet égard, qu’aucun de ces éléments, ni aucune autre pièce versée aux débats, ne permet de postuler que des contrats différents auraient coexisté au sein du réseau, de sorte que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir du caractère isolé du contrat annexé pour en contester la force probante.
67. Lors de son audition par les services de la DIRECCTE, le 19 septembre 2016, le président de la société Stihl a pour sa part indiqué que, « jusqu’à la fin de l’année 2013, la vente à distance des produits Stihl Viking était purement interdite par Stihl » (Annexe 58-1 de la notification de griefs, cote 2675), ce dont il résulte que l’exigence d’un contact direct entre le distributeur et le client final a bien été assimilée à une interdiction de vente à distance.
68. Cette interprétation du dispositif contractuel est également confirmée par les rappels à l’ordre adressés aux distributeurs par le fournisseur.
69. Ainsi la société Lambin, distributeur agréé depuis 2006 au minimum, a-t-elle été rappelée à l’ordre par la société Stihl en 2010 dans les termes suivants :
« Vous vous êtes engagés, dans ce contrat, à respecter une zone d’influence qui est une zone géographique sur laquelle vous devez concentrer et limiter vos efforts de promotion active de vente physique et par Internet (Article 4 zone d’influence et annexe 2 engagement annuel). D’un commun accord, cette zone d’influence a été définie comme suit : Arrondissements [Localité 4] et [Localité 5].
Les conditions générales de vente que vous présentez sur votre site Internet ne satisfont pas aux accords que nous venons de rappeler :
1) Il n’y est nullement stipulé qu’aucune vente ne peut être effectuée sans une mise en main complète de la machine.
2) Etant donné que la vente à distance par le biais d’Internet avec une livraison par un transporteur non cité (ou colissimo) ne permet pas une telle mise en main, nous vous prions de modifier immédiatement vos conditions pour satisfaire à nos exigences. Une mention pourrait être : « Les produits STIHL commandés sur Internet ne sont disponibles que dans nos points de vente qui en assureront une mise en main complète ou seront livrés par un collaborateur de notre entreprise qui en assurera la mise en main ».
Nous vous rappelons par ailleurs que le respect de votre zone d’influence vous interdit de démarcher des clients au-delà de ce secteur, notamment via des e-mailings sur Internet” (Annexe 37 de la notification de griefs, cote 1706).
70. Les termes de la lettre adressée à ce distributeur par la société Stihl le 13 janvier 2012 (annexe 37 de la notification de griefs, cote 1705) confirment encore que les exigences du fournisseur ont été satisfaites au sein du réseau :
« A notre demande, vous aviez fait évoluer votre site de vente sur Internet en y supprimant la possibilité de vente des produits STIHL – VIKING par correspondance. En effet, pour satisfaire aux exigences de nos marques, il est impératif qu’un conseil personnalisé soit dispensé à tout acheteur de matériel STIHL et VIKING et que nos machines soient montées et remises en main propre avec une explication des règles d’usage et de sécurité à chaque utilisateur. »
71. Le même courrier démontre également que la société Stihl a maintenu une police active pour faire respecter les termes de l’accord précité :
« Cependant, nous constatons que vous livrez par correspondance des matériels de notre entreprise et nous en joignons une preuve au présent courrier. (…)
En conséquence, nous vous prions de nous expliquer par retour de courrier ce qui a justifié la livraison à distance de la machine concernée par la facture ci-jointe.
Sans une explication plausible et écrite sous 15 jours de votre part, nous serons en droit de rompre notre contrat de partenariat commercial, qui ne serait donc pas reconduit pour l’année 2012″.
72. La même politique est illustrée par les courriers adressés par la société Stihl à un autre distributeur, la société SMAF, entre le 16 mars et le 23 octobre 2009 (Annexe 7 de la notification de griefs, cotes 126 à 132), notamment par les extraits suivants :
— « Nous entendons bien les différents arguments que vous mettez en avant pour défendre votre offre sur Internet. Néanmoins, notre politique commerciale est unique et doit être appliquée dans l’ensemble de notre réseau. Nous vous remercions donc d’en tenir compte et d’intervenir immédiatement sur votre site pour que la vente de nos produits ne puisse plus être réalisée avec des livraisons en dehors de votre zone d’influence et sans remise en main. (…) notre position vis-à-vis d’Internet est irrévocable. » (Annexe 7 de la notification de griefs, cote 126) ;
— « Nous vous remercions pour l’excellent accueil que vous nous avez réservé dans votre magasin le 17 juin 2009. En conclusion de notre échange, nous avons donc convenu que vous ne livreriez plus de matériel STIHL VIKING par correspondance. (…). Pour informer clairement et sans ambiguïté les visiteurs de votre site de ces restrictions, nous vous remercions de reporter pour chacun de nos produits la mention suivante : »Disponible uniquement en magasin”” (Annexe 6 de la notification de griefs, cote 127) ;
— « Nous vous remercions pour la modification que vous avez apportée sur votre site Internet (…). Il est entendu que nous intervenons également auprès de tous les revendeurs qui mettent des machines en vente sur le net, avec chaque fois un certain délai nécessaire pour qu’une action soit appliquée par nos partenaires. » (Annexe 7 de la notification de griefs, cote 130) ;
— « Nous nous sommes rencontrés en juin 2009 pour débattre de la stratégie de distribution de nos produits sur Internet. Nous étions parvenus à un accord qui a fait l’objet de précisions écrites de notre part. Nous constatons que vos engagements ne sont pas tenus, notamment lorsque vous offrez la livraison gratuite d’appareils. » (Annexe 7 de la notification de griefs, cote 131).
ainsi que la réponse qui avait été apportée à cette lettre par la société SMAF le 4 juillet 2009 :
— « Nous vous remercions, pour votre petite attention, suite à notre entretien du 17 juin 2009, et nous avons contacter (sic) notre web master afin de faire apparaître la mention »disponible uniquement en magasin« sur les produits Stihl et Viking concernés. Je pense que cela sera effectif pour la fin du mois (un tri sélectif manuel sur tout le site est nécessaire). Conformément à notre entretien, il va de soi que notre mise en conformité avec votre politique commerciale, implique qu’il en soit de même pour les autres sites existant à ce jour ou ceux à venir, le non-respect de cette règle remettrait en question ma position sur la distribution de vos produits sur la toile. » (Annexe 7 de la notification de griefs, cote 128).
73. Enfin, les termes de l’épilogue de ces échanges le 16 novembre 2009, illustré par le courrier de la société Stihl, confortent encore la politique du réseau :
— « Nous ne dérogeons pas à notre demande de voir apposer sur les produits de nos marques et sur le site de nos revendeurs la mention : »disponible uniquement en magasin« . Notre équipe commerciale vient de nous confirmer que vous avez accepté de reporter cette mention sur votre site. Nous vous en remercions par avance et, compte tenu de cet accord, il est entendu que nous oublions nos précédents échanges aussi longtemps que cette mention sera présente sur votre site. » (Annexe 7 de la notification de griefs, cote 132).
74. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que l’existence d’un accord de volontés entre fournisseur et distributeurs concernant les conditions dans lesquelles l’obligation de mise en main devait être appliquée et l’interdiction des ventes à distance en découlant n’ont pas été déduites de l’examen d’un contrat isolé (celui signé en 2006 par les Etablissements Lambin), comme le prétendent les sociétés requérantes, mais d’un ensemble d’éléments corroborant le fait que tous les distributeurs étaient soumis au même régime de ventes, en application du contrat de distribution sélective en vigueur au sein du réseau Stihl, dont ils ont accepté les modalités.
(…)
165. Comme cela a été relevé aux paragraphes 67 et 78 du présent arrêt, l’obligation de mise en main imposée aux distributeurs a été interprétée par la direction de la société Stihl ainsi que par les distributeurs agréés comme conduisant à interdire la vente sur internet et a été appliquée comme telle, de manière générale pour tous les produits de marques Stihl et Viking jusqu’à la fin de l’année 2013 (…).
167. A cet égard, il ne saurait être exigé de l’Autorité qu’elle procède à l’audition des 1200 revendeurs de produits Stihl pour démontrer que la vente sur internet était considérée comme interdite jusqu’en 2013, dès lors qu’elle a démontré à suffisance l’existence de cette pratique au moyen de preuves concordantes, directes et indirectes (libellé des clauses du contrat, déclarations du président de la société Stihl, rappels à l’ordre adressés aux distributeurs, déclarations concordantes de plusieurs distributeurs) » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « sur les restrictions à la vente en ligne des produits Stihl et Viking avant 2014 :
32. À titre liminaire, il convient de souligner que Stihl dispose de son propre site Internet. Celui-ci présente les produits des marques Stihl et Viking ainsi que l’entreprise Stihl. Il décrit également les services techniques et commerciaux proposés aux consommateurs. Ceux-ci peuvent aussi y trouver des fiches conseil leur permettant de choisir l’outil le plus adapté à leur besoin et de visionner des vidéos de démonstration portant sur le fonctionnement de différents produits. En revanche, il convient de relever que ce site ne permet pas la commercialisation directe des produits mais se contente de fournir à l’internaute souhaitant effectuer un achat, l’adresse physique du distributeur spécialisé membre de son réseau ou de la GSB revendant ses produits les plus proches de chez lui.
33. Force est de constater, nonobstant l’existence de ce site, que jusqu’à la fin de l’année 2013, toutes les modalités de vente à distance, dont la vente sur Internet, de produits de marque Stihl et Viking étaient, en droit comme en pratique, assorties d’importantes restrictions, liées pour l’essentiel à l’obligation de « mise en main » posée par le contrat de distribution sélective et à son suivi par Stihl.
34. Tout d’abord, l’article 10, paragraphe 3 du contrat de distribution sélective « Partenaire professionnel », qui liait le fournisseur à ses distributeurs de 2006 à fin 2013, stipulait que« Le Partenaire Commercial s’engage à respecter son obligation de conseil en cas de vente par le biais de son site Internet. Le Partenaire Commercial s’interdit toute vente de matériel STIHL et VIKING (à l’exception des vêtements Timbersports) sans une mise en main complète de la machine, avec montage complet du matériel, explications de fonctionnement et précautions à prendre pour un usage dans des conditions de sécurité optimales » (cote 4625 ; soulignement ajouté).
35. Par ailleurs, s’agissant de la livraison consécutive à une vente à distance, le représentant du fournisseur a précisé lors de son audition par les services de la Direccte le 19 septembre 2016 qu’elle ” ne peut se faire que dans un point de vente, avec une prise en main assurée par le revendeur, ou au domicile de l’acheteur, par le revendeur (« livraison personnalisée »)” cote 2675).
36. Cette exigence de « mise en main » ou « prise en main » ressort également du rappel à l’ordre adressé par Stihl à un distributeur signataire du contrat de distribution sélective de 2006 : « les conditions générales de vente que vous présentez sur votre site Internet ne satisfont pas aux accords que nous venons de rappeler : 1) il n’y est nullement stipulé qu’aucune vente ne peut être effectuée sans une mise en main complète de la machine 2) étant donné que la vente à distance par le biais d’Internet avec une livraison par un transporteur non cité (ou colissimo) ne permet pas une telle mise en main, nous vous prions de modifier immédiatement vos conditions pour satisfaire à nos exigences. Une mention pourrait être : »les produits STIHL commandés sur Internet ne sont disponibles que dans nos points de vente qui en assureront une mise en main complète ou seront livrés par un collaborateur de notre entreprise qui en assurera la mise en main”. Nous vous rappelons par ailleurs que le respect de votre zone d’influence vous interdit de démarcher des clients au-delà de ce secteur, notamment via e-mailing sur Internet (…)” (cote 1706, soulignement ajouté).
37. Ainsi, la « mise en main » de la machine prévue par la clause 10.3 précitée du contrat « Partenaire professionnel » impliquait nécessairement, aux termes du contrat et selon l’interprétation même de Stihl, un contact direct entre l’utilisateur final et le revendeur. Elle imposait, partant, que la remise du produit soit effectuée en magasin ou lors de la livraison par un revendeur au domicile de l’acheteur, et excluait, de facto, la possibilité d’une livraison à distance de la machine par un tiers au réseau de distribution sélective.
38. La nécessité d’un contact direct entre le vendeur et l’acheteur a d’ailleurs été confirmée par certains distributeurs, qui l’ont assimilée à une interdiction pure et simple de toute vente à distance : “pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile (…)” (cote 2263).
39. Au demeurant, jusqu’en 2014, le fournisseur s’est appuyé sur l’exigence de « mise en main » pour exiger que ses distributeurs cessent les livraisons à domicile de produits de marque Stihl ou Viking.
40. À titre d’exemple, Stihl a écrit en 2009 à l’un de ses distributeurs, pionnier en matière de distribution sur Internet : “Nous constatons que vos engagements ne sont pas tenus, notamment lorsque vous offrez la livraison gratuite d’appareils. D’une part, il n’est pas indiqué que les produits sont disponibles uniquement en magasin, d’autre part, vous indiquez « port offert », ce qui vient en contradiction avec la mention que nous vous demandions d’apposer et au minimum avec la demande de mise en main du matériel que vous commercialisez” (cote 131, soulignement ajouté). Par la suite, ce distributeur s’est plié à la demande du fournisseur en apposant la mention « disponible uniquement en magasin” (cote 132).
41. De 2006 à 2014, Stihl a adressé des courriers similaires à de nombreux distributeurs agréés afin de les empêcher de vendre et de livrer à distance des produits de marque Stihl ou Viking.
42. Ainsi, un courrier de rappel à l’ordre à l’un de ses distributeurs en date du 21 décembre 2011 indique : “A notre demande, vous avez fait évoluer votre site de vente sur Internet en y indiquant que les produits Stihl-Viking n’étaient disponibles qu’en magasin et n’étaient donc pas livrables par correspondance […] Cependant, nous constatons [que] […] vous continuez à livrer par correspondance des matériels de notre entreprise et nous vous en joignons la preuve au présent courrier […]. Sans une explication plausible et écrite sous 15 jours de votre part, nous serons en droit de rompre le contrat de partenariat commercial (…)” (cote 1391, soulignement ajouté).
43. De même, Stihl a enjoint à un autre de ses distributeurs, sous peine, à défaut, de mettre fin à leurs relations commerciales, de modifier les mentions figurant sur son site Internet, en indiquant que les produits n’étaient disponibles qu’en magasin et qu’ils ne pouvaient faire l’objet d’une livraison par correspondance. Il a même suggéré à ce revendeur d’insérer le message suivant sur son site : « pour assurer une satisfaction totale et une sécurité optimale des consommateurs/utilisateurs des produits STIHL/VIKING, les machines de ces marques ne sont vendu(e)s qu’en magasin où vous disposerez des conseils et de l’assistance d’un spécialiste » (cote 3795, soulignement ajouté).
44. Ainsi, en exigeant un contact direct entre le distributeur et le client final, la politique commerciale de Stihl interdisait toute vente à distance incluant une livraison du produit par un tiers et tendait nécessairement à réserver la vente de produits Stihl et Viking aux seuls magasins physiques.
45. Ce constat a d’ailleurs été confirmé sans ambiguïté par le Président de Stihl, lequel a déclaré lors de son audition par les services de la Direccte que « jusqu’à la fin de l’année 2013, la vente à distance des produits STIHL VIKING était purement interdite par STIHL. Sous l’impulsion des évolutions du marché et du cadre juridique, le groupe STIHL a mis en place un nouveau contrat de distribution sélective en 2014, lequel autorise désormais la vente à distance des machines » (cote 2675, gras et soulignement ajoutés) ;
( )
78. La nature restrictive de la politique commerciale du fournisseur ressort en premier lieu de nombreuses déclarations émanant des distributeurs.
79. Ainsi, selon le représentant du revendeur Motoculture Saint Jean, « depuis plusieurs années, STIHL n’autorise plus les distributeurs à vendre leurs produits sur Internet » (cote 1362, soulignement ajouté). Cette interdiction a également été constatée par le représentant des Etablissements Marcel, selon lequel “Les produits STIHL ( ) ne sont pas disponibles à la vente en ligne ( )« (cote 2458). Ces déclarations sont corroborées par les mentions portées sur les sites Internet de certains revendeurs. L’un d’entre eux indiquait ainsi que »STIHL interdit à ses revendeurs de vendre ses produits sur Internet, cependant ils sont disponibles en magasin » (cotes 3503, 3510 et 3511), un autre a précisé que le produit ou article « ne peut être vendu qu’en magasin” (cote 3415 et 3601).
80. Parmi les distributeurs interrogés, certains ont apporté des précisions quant au type de produits concernés par les restrictions imposées par Stihl. Selon le revendeur Poirot SARL, “concernant la distribution sur Internet, les fournisseurs ont parfois des exigences particulières (…) c’est aussi le cas de STIHL qui interdit formellement la vente de machines dangereuses sur Internet (tronçonneuses notamment) et la vente de tous produits à la marque STIHL sur les market place comme AMAZON« (cote 806, soulignement ajouté). De même, Di Marco Motoculture a indiqué »depuis 2014, nous n’y [sur Internet] vendons plus de tronçonneuses ni de débroussailleurs de la marque STIHL car le fournisseur a interdit la revente sur Internet des machines dotées d’outils tranchants, pour des raisons de sécurité du consommateur ( )« (cote 2263, soulignement ajouté). Le distributeur Nicolas Espaces Verts a précisé »Pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile (…)” (cote 2263, soulignement ajouté).
81. Les conséquences de l’obligation de mise en main ont également été soulignées par le représentant des Etablissements Lambin, lequel a déclaré “STIHL n’indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique. Par rapport au site Internet, cela revient à nous interdire de vendre les produits de cette marque en vente à distance (…). Suite à l’introduction de cette clause, nous avons préféré retirer de la vente à distance la plupart des produits STIHL” (cotes 1459 et 1462, soulignement ajouté).
82. De même, certains distributeurs ont fait état des conséquences commerciales résultant de l’interdiction de vente en ligne instaurée par Stihl. Ainsi le représentant des Etablissements Voisin a indiqué : “La progression de notre chiffre d’affaires Internet a connu un coup d’arrêt fin 2014, lorsque STIHL a interdit la revente sur Internet d’un ensemble de machines dont les tronçonneuses et les débroussailleurs ( ) l’interdiction de revendre des machines considérées comme dangereuses a été prononcée par STIHL le 01-10-2014« (cote 1174). Quant au revendeur Walliser, il a déclaré : »je vends aujourd’hui beaucoup plus de tronçonneuses de la marque HUSQVARNA qu’auparavant. Cette progression est principalement due à l’interdiction de vendre sur Internet certaines machines jugées dangereuses pour la sécurité du consommateur, interdiction formulée par STIHL en 2014” (cote 2511).
83. Certains revendeurs ont, enfin, exprimé leur scepticisme quant aux motifs mis en avant par Stihl pour restreindre la vente à distance. Ainsi, pour le distributeur Rullier SARL, “Husqvarna et STIHL VIKING nous refusent la faculté de vendre ce que nous voulons sur Internet (certains produits sont autorisés, d’autres pas). Ils mettent en avant des raisons liées à la sécurité et la mise en route. Mais c’est une « fausse barbe » : ils livrent la grande distribution qui fonctionne exactement comme Internet de ces deux points de vue” (cote 1800, soulignement ajouté) (à noter, toutefois, que le fait que Husqvarna restreigne les ventes sur Internet est démenti par l’examen de son contrat de distribution sélective, d’une part, et par les déclarations de plusieurs distributeurs, d’autre part (voir paragraphes 202 et suivants).
(…)
156. À titre liminaire, il convient de rappeler que, contrairement à ce que soutient l’entreprise mise en cause, le seul fait que le contrat de distribution sélective qui liait Stihl et ses distributeurs de 2006 à 2013 ne comporte pas de disposition interdisant expressément les ventes par Internet ne suffit pas pour exclure l’existence d’une telle interdiction (voir notamment, en ce sens, arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 mars 2014, société Bang & Olufsen, n° 2013/00714, page 13).
157. En l’espèce, il a été relevé supra (voir paragraphes 32 à 45) que le contrat de distribution sélective, dans sa version en vigueur de 2006 à 2013, enjoignait aux distributeurs d’assurer « une mise en main complète de la machine » pour le consommateur en cas de vente à distance (cote 4625). Cette mise en main qui, selon le représentant de Stihl, ne peut se faire que “dans un point de vente, avec une prise en main assurée par le revendeur ou au domicile de l’acheteur par le revendeur (« livraison personnalisée »)” (cote 2675), implique nécessairement un contact direct entre le distributeur et le consommateur, ce qui exclut, par définition même, la possibilité d’une livraison à distance par un tiers au réseau de distribution ou par un distributeur autre que celui qui a procédé à la vente.
(…)
168. Il ressort des éléments versés au dossier que Stihl a non seulement sciemment mis en place une politique visant à l’interdiction des ventes sur les sites Internet des distributeurs agréés mais en a également contrôlé l’application durant toute sa période de mise en oeuvre.
169. L’adoption par Stihl d’une politique commerciale interdisant la vente sur Internet pendant la période 2006 à 2013 est tout d’abord illustrée par les propos tenus, lors de son audition par la Direccte, par le représentant de Stihl : “jusqu’à la fin de l’année 2013, la vente à distance des produits STIHL VIKING était purement interdite par STIHL (…)” (cote 2675, soulignement ajouté).
170. Elle est, par ailleurs, confirmée par les différents courriers de rappel à l’ordre que Stihl a envoyés à ses distributeurs, qui insistent sur le fait que ses produits sont « disponibles uniquement en magasin » ainsi que sur l’obligation de faire figurer sur leur site les mentions relatives à l’indisponibilité des produits sur Internet, et demandent la cessation de toute livraison par correspondance, sous peine d’être exclu du réseau (voir paragraphes 40 à 44).
(…)
179. Il ressort de ce qui précède que si l’interdiction de vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking sur la période de 2006 à 2013, et des seuls produits dangereux à compter de 2014, mise en oeuvre au sein du réseau de Stihl, ne figure pas expressément dans le contrat de distribution sélective, elle résulte directement de l’obligation de « mise en main » exigée par Stihl de la part de ses distributeurs. Cette obligation, imposée et contrôlée par Stihl, a été assimilée par ses distributeurs à une interdiction de facto de la vente sur Internet à laquelle ils se sont conformés, démontrant ainsi leur parfaite compréhension et leur acquiescement à la politique commerciale de leur fournisseur. Partant, l’accord de volontés requis pour constater l’existence d’une entente est, en l’espèce, établi » ;
1°/ ALORS QUE l’existence d’un accord de volontés constitutif d’une entente verticale entre un fournisseur et ses distributeurs suppose la démonstration d’une concordance de volontés entre le fournisseur et les distributeurs ; que le comportement unilatéral d’un fournisseur ne permet donc pas de caractériser l’existence d’un tel accord, sauf à établir l’existence d’un acquiescement, express ou tacite, de l’ensemble des distributeurs ; qu’en déduisant pourtant d’une déclaration faite par le président de la société Stihl lors de son audition par la DIRECCTE et de rappels à l’ordre adressés par la société Stihl à certains de ses distributeurs qu’il aurait existé, au cours de la période comprise entre 2006 et 2014, un « accord de volontés » entre la société Stihl et ses distributeurs concernant « les conditions dans lesquelles l’obligation de mise en main devait être appliquée et l’interdiction des ventes à distance en découlant », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
2°/ ALORS QUE le juge doit viser et analyser les pièces sur lesquelles il se fonde pour affirmer l’existence d’un fait ; qu’en affirmant qu’un « ensemble d’éléments » corroborerait « le fait que tous les distributeurs étaient soumis au même régime de ventes, en application du contrat de distribution sélective en vigueur au sein du réseau Stihl, dont ils ont accepté les modalités » sans viser ni analyser les pièces sur lesquelles elle s’est fondée pour procéder à une telle affirmation, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE la cour d’appel a constaté que certains distributeurs avaient indiqué ne plus pouvoir vendre les produits Stihl sur internet depuis 2014 (§ 238 de l’arrêt attaqué et § 80 de la décision de l’Autorité de la concurrence) ; qu’il en résultait qu’avant 2014, ces distributeurs s’estimaient libres de pouvoir revendre des machines Stihl sur internet ; qu’en affirmant cependant qu’au cours de la période comprise entre 2006 et 2014, « tous les distributeurs » avaient « accepté les modalités » d’un dispositif contractuel conduisant à une interdiction des ventes sur internet, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, et a ainsi violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (sur la restriction de concurrence « par objet »)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande des sociétés Andreas Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG tendant à la réformation de l’article 1er de la décision de l’Autorité de la concurrence n°18-D-23 du 24 octobre 2018 ayant dit que ces sociétés ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en restreignant les ventes à distance sur internet depuis les sites internet de leurs distributeurs agréés dans le cadre du réseau de distribution sélective entre le 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017, et de n’avoir en conséquence réformé que partiellement l’article 3 de cette décision ayant infligé une sanction pécuniaire aux sociétés Andreas Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG et les articles 4 à 7 faisant différentes injonctions à la société Andreas Stihl ;
AUX MOTIFS QUE « sur l’existence d’une restriction de concurrence par objet :
84. L’Autorité a relevé, dans la décision attaquée, que, quelle que soit la période concernée, l’obligation de « mise en main » prévue par le contrat de distribution sélective, qui conduit à proscrire toute livraison par des tiers, supprime de facto les avantages essentiels de la vente sur internet et revient, toujours de facto, à interdire cette modalité de vente (§ 166). Elle a ensuite retenu que l’interdiction de vente en ligne ne pouvait être considérée comme proportionnée et nécessaire pour les produits ne présentant aucun caractère de dangerosité (§ 180). Concernant les produits dits dangereux, elle a constaté que le cadre réglementant leur fabrication et leur commercialisation, au niveau de l’Union européenne comme au niveau national, n’interdit aucun type de vente et n’impose pas que les ventes soient réalisée dans un espace physique, accompagnées d’un conseil et/ou d’une démonstration par un vendeur spécialisé (§ 191 à 200), et a relevé que les concurrents, les sociétés Husqvarna et Honda, n’interdisaient pas les ventes sur internet sur les sites de leurs distributeurs agréés, mais adaptaient leur politique commerciale afin de garantir que le consommateur ait accès à toutes les informations nécessaires à sa sécurité (§ 204 à 211). Elle en a déduit que l’interdiction de vente en ligne imposée par la société Stihl à ses distributeurs allait au-delà de ce qui est apparu nécessaire à ses concurrents pour préserver la sécurité du consommateur (§ 211). L’Autorité a, au surplus, relevé une différence entre les prestations imposées par la société Stihl aux grandes surfaces de bricolage et aux distributeurs spécialisés et en a déduit que ce constat affaiblissait la thèse selon laquelle l’obligation litigieuse et l’interdiction subséquente de vente sur internet seraient indispensables à la réalisation de l’objectif de sécurité (§ 214 à 217). Elle a également relevé que l’obligation de mise en main lors d’un contact direct et l’interdiction de vendre sur internet étaient imposées aux profanes comme aux professionnels, cependant que certains concurrents comme la société Husqvarna opèrent une distinction entre les usagers (§ 218 à 220). L’Autorité a déduit de l’ensemble de ces éléments que, si la nature de certains produits concernés par l’interdiction peut justifier l’édiction de réglementations et d’obligations particulières, l’interdiction des ventes en ligne imposée par la société Stihl n’apparaît ni appropriée ni proportionnée pour atteindre les objectifs de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage, de sorte que cette interdiction est constitutive d’une restriction de concurrence (§ 221 et 222).
85. Appréciant la nocivité de cette restriction de concurrence, l’Autorité a considéré que la pratique contestée limite, par sa teneur, ses objectifs et le contexte juridique et économique dans lequel elle s’insère, la concurrence par les prix, conduit à reconstituer des zones de chalandise physique et réduit par conséquent la concurrence sur le marché considéré (§ 223 à 243). Elle a retenu, en conséquence, que l’interdiction posée constitue, par sa nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce (§ 244).
A. Rappel des principes applicables
86. La cour rappelle qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice, certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (CJUE, arrêt du 30 juin 1966, LTM, 56/65, points 359 et 360).
87. Plus récemment, la Cour de justice a indiqué, aux points 49 à 51 de son arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C-67/13 P, ci-après l’arrêt « Groupement des cartes bancaires »), les principes commandant l’existence d’une restriction par objet :
« 49. […] il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts [du 30 juin 1966], LTM, 56/65, […] points 359 et 360 ; [du 20 novembre 2008], Beef Industry Development et B. Brothers, C-209/07,] point 15 ; ainsi que [du 14 mars 2013,] Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, […] point 34 et jurisprudence citée).
50. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir en ce sens, notamment, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., [précité] point 35 ainsi que jurisprudence citée).
51. Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré inutile, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché (voir en ce sens, notamment, arrêt [du 30 janvier 1985,] Clair, 123/83, […] point 22). En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs. “
88. Aux points 57 et 58 du même arrêt, la Cour de justice a rappelé que « la notion de restriction de concurrence »par objet« ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire » et elle a précisé que le critère juridique essentiel était « un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ».
89. Enfin, elle a précisé, au point 53 dudit arrêt que, “[s]elon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par « objet » au sens de l’article 81, paragraphe 1,CE [devenu article 101, paragraphe 1, TFUE] de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., [précité] point 36 ainsi que jurisprudence citée)”.
90. Aux points 28 et 29 de son arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission (C-373/14 P), dont il convient de souligner qu’il est postérieur à l’arrêt Groupement des cartes bancaires, la Cour de justice a apporté les précisions suivantes :
« 28. La Cour a […] déjà jugé que des accords portant sur la répartition des marchés constituent des violations particulièrement graves de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts [du 5 décembre 2013,] Solvay Solexis/Commission, C-449/11 P, […] point 82, et [du 4 septembre 2014,] YKK e.a./Commission, C-408/12 P, […] point 26). La Cour a considéré également que les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un tel objet ne pouvant être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (arrêt [du 19 décembre 2013,] Siemens e.a./Commission, C-239/11 P, C-489/11 P et C-498/11 P, […] point 218).
29. S’agissant de tels accords, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère peut ainsi se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet”.
91. Il ressort de ces différents énoncés que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence et que les comportements collusoires, tels ceux conduisant à une fixation horizontale des prix par des cartels ou les accords qui visent la répartition des marchés, sont à tel point susceptibles d’avoir des effets négatifs, en particulier sur les prix, qu’il n’est pas nécessaire d’en rechercher les effets concrets.
92. C’est à l’aune de ces principes que la cour examinera l’application qui en a été faite par l’Autorité.
93. Il est constant qu’afin d’apprécier si la pratique litigieuse présente un degré suffisant de nocivité pour être considérée comme une restriction de concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, il convient de s’attacher à la teneur des dispositions sur lesquelles elle s’est appuyée, aux objectifs qu’elle vise à atteindre, ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère.
94. La cour signale, dans la présente espèce, que la qualification de « restriction de concurrence par objet » n’est en discussion que pour la période postérieure à 2014 qui correspond au nouveau dispositif contractuel déployé au sein du réseau.
95. Pour apprécier le caractère restrictif de concurrence des dispositions du contrat de distribution du réseau Stihl, l’Autorité a rappelé, aux paragraphes 143 et 144 de la décision attaquée, que, “[s]’agissant des clauses contractuelles, telles qu’une interdiction de toute forme de vente par Internet, contenues dans les accords de distribution sélective, il convient de vérifier si les restrictions de la concurrence qu’elles impliquent poursuivent d’une manière proportionnée les objectifs légitimes de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage (arrêt de la Cour de justice de l’Union du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, point 41, arrêt de la Cour d’appel de Paris du 31 janvier 2013, RG n° 2008/23812)« et que, »[s]elon la Cour de justice de l’Union, cette condition est satisfaite lorsque “l’interdiction [formulée par la clause en cause au principal] est proportionnée au regard de l’objectif [qu’elle] poursui[t] ( ) et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif« (arrêt de la Cour de justice de l’Union du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, précité, points 43 et suivants) ».
96. Les sociétés requérantes ont invoqué plusieurs moyens pour remettre en cause la qualification retenue par la décision attaquée, lesquels seront examinés de manière successive pour la clarté des débats.
B. S’agissant de l’incidence des appréciations portées sur le contrat de distribution sélective par d’autres autorités de concurrence
(…)
107. La cour rappelle que l’article 5 du règlement n° 1/2003, consacré à la compétence des autorités de concurrence des États membres, dispose :
« Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du traité dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes :
— ordonner la cessation d’une infraction,
— ordonner des mesures provisoires,
— accepter des engagements,
— infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.
Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir”.
108. L’article 11 de ce même règlement, consacré à la coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres, prévoit, en ses paragraphes 1, 3 et 4 que :
« 1. La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration.
(…)
3. Lorsqu’elles agissent en vertu de l’article 81 ou 82 du traité, les autorités de concurrence des États membres informent la Commission par écrit avant ou sans délai après avoir initié la première mesure formelle d’enquête. Cette information peut également être mise à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres.
4. Au plus tard trente jours avant l’adoption d’une décision ordonnant la cessation d’une infraction, acceptant des engagements ou retirant le bénéfice d’un règlement d’exemption par catégorie, les autorités de concurrence des États membres informent la Commission. À cet effet, elles communiquent à la Commission un résumé de l’affaire, la décision envisagée ou, en l’absence de celle-ci, tout autre document exposant l’orientation envisagée. Ces informations peuvent aussi être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Sur demande de la Commission, l’autorité de concurrence concernée met à la disposition de la Commission d’autres documents en sa possession nécessaires à l’appréciation de l’affaire. Les informations fournies à la Commission peuvent être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Les autorités nationales de concurrence peuvent également échanger entre elles les informations nécessaires à l’appréciation d’une affaire qu’elles traitent en vertu de l’article 81 ou 82 du traité”.
109. Son article 13, consacré à la suspension ou clôture de la procédure, précise :
« 1. Lorsque les autorités de concurrence de plusieurs États membres sont saisies d’une plainte ou agissent d’office au titre de l’article 81 ou 82 du traité à l’encontre d’un même accord, d’une même décision d’association ou d’une même pratique, le fait qu’une autorité traite l’affaire constitue pour les autres autorités un motif suffisant pour suspendre leur procédure ou rejeter la plainte. La Commission peut également rejeter une plainte au motif qu’une autorité de concurrence d’un État membre la traite.
2. Lorsqu’une autorité de concurrence d’un État membre ou la Commission est saisie d’une plainte contre un accord, une décision d’association ou une pratique qui a déjà été traitée par une autre autorité de concurrence, elle peut la rejeter”.
110. L’article 16 du même règlement, relatif à l’application uniforme du droit communautaire de la concurrence, ajoute, en son paragraphe 2 :
« Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 81 ou 82 du traité qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission ».
111. Comme le précise son article 45, le règlement n° 1/2003 « est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre » de l’Union européenne.
112. Les éléments produits par les sociétés requérantes ne révèlent aucune décision adoptée par la Commission concernant les dispositions du contrat de distribution Stihl, susceptible de contraindre l’Autorité dans les conditions de l’article 16, paragraphe 2, précité.
113. Il n’est par ailleurs pas contesté que l’Autorité a mis en oeuvre la procédure de coopération prévue à l’article 11 rappelé ci-dessus, en associant la Commission aux différentes étapes de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.
114. Il est tout aussi constant que la Commission n’a pas usé des prérogatives qui lui sont conférées par l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 en vue de soumettre des observations à la cour aux fins d’application cohérente de l’article 101 du TFUE (ancien article 81 du traité instituant la Communauté européenne).
115. Les sociétés Stihl ne sont donc pas fondées à soutenir que l’Autorité aurait adopté sa décision en violation du mécanisme de coopération procédurale prévue par le règlement n° 1/2003.
116. Il convient d’ajouter qu’il n’est produit aucune décision, rendue après enquête approfondie par l’autorité de concurrence d’un autre État membre, concernant la licéité du contrat de distribution Stihl, et plus précisément celle des clauses relatives à la vente sur internet des produits Stihl et Viking, au regard de l’article 101 du TFUE.
117. Les trois documents invoqués par les sociétés requérantes, que la cour a examinés dans la version traduite en langue française qu’elles ont produite, permettent de constater que les autorités de concurrence allemande, suédoise et suisse ont relevé, en l’état de leurs investigations, l’absence d’indices les incitant à poursuivre l’enquête préalable ouverte par leurs services, mais ils n’établissent pas stricto sensu l’existence d’une position concordante de ces trois autorités de concurrence concernant l’absence de restriction de concurrence résultant des clauses contractuelles litigieuses.
118. Le premier document, daté du 20 novembre 2018, correspond à un courriel adressé depuis une messagerie “@bundeskartellamt.bund.de« , ayant pour objet de préciser, à la demande du conseil de la société Stihl, le contenu »des contacts entre les représentants de la société Stihl et l’Office fédéral des cartels (Bundeskartellamt) concernant le système de distribution de Stihl” ; qu’il précise que « l’obligation incombant aux distributeurs agréés de mettre en garde personnellement leurs clients lors de la remise d’un équipement particulièrement dangereux, ainsi que la limitation corrélative d’expédier de tels équipements, a fait l’objet de discussions écrites et orales entre Stihl et la 5ème division décisionnelle de l’Office fédéral des cartels (Bundeskartellamt), au cours des années 2013 à 2016, à la suite de l’arrêt Pierre Fabre de la Cour de justice de l’Union européenne » (pièce des sociétés requérantes n° 78).
119. Après avoir énuméré, sans plus de précisions, les différents appels téléphoniques, mémoires et réunions intervenus sur ce sujet de 2013 à 2015 entre la société Stihl et l’autorité de concurrence allemande, l’auteur de ce courriel indique que la société Stihl a tenu compte des critiques et indications de l’Office et « adapté son système de distribution en conséquence, de sorte que la 5ème division décisionnelle de l’Office fédéral des cartels (Bundeskartellamt) n’a vu aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité au droit de la concurrence allemand et/ou européen » ; qu’en conclusion, il est indiqué que le Bundeskartellamt a informé la société Stihl de ce qu’il « continuerait à observer le fonctionnement du système de distribution en pratique, mais qu’en aucun cas il n’imposera une amende à raison des restrictions en question ».
120. Force est de constater que, sur la base des éléments dont il disposait, le Bundeskartellamt a décidé de ne pas intervenir, au sens de l’article 5 du règlement n° 1/2003. Il ne peut toutefois en être déduit que ces éléments étaient identiques à ceux que l’Autorité a recueillis au terme de la procédure d’instruction ouverte sur saisine d’office.
121. Le deuxième document, qui émane du Konkurrensverket, porte la mention « Décision 20/07/16 Dnr 85/2016 ». Présenté sous forme de lettre, ce document rappelle l’origine de l’affaire dont cette autorité de concurrence a été saisie (une plainte du 2 février 2016 déposée contre la société Andreas Stihl Norden AB par un revendeur spécialisé concernant les conditions de vente des produits Stihl sur internet), l’avis de la société Stihl sur le sujet, l’instruction du dossier et enfin les motifs de la décision. Il indique en conclusion que « ce que le dossier a révélé ne fournit pas d’indices suffisants permettant d’établir que le problème soulevé a un tel impact sur la concurrence et les consommateurs pour que le Konkurrensverket examine la demande plus en détail dans le cadre d’une enquête approfondie ». Il précise que “[l]a décision du Konkurrensverket à ne pas poursuivre l’instruction de ce dossier ne signifie pas une prise de position visant à savoir si la pratique est contraire aux règles de concurrence” (pièce des sociétés requérantes n° 4).
122. Il ne résulte pas de cet énoncé que l’autorité de concurrence suédoise ait « validé » le dispositif contractuel déployé dans le cadre du réseau Stihl, relatif aux conditions dans lesquelles les produits Stihl et Viking peuvent être vendus sur internet, comme le prétendent les sociétés requérantes.
123. Le dernier document, daté du 29 juillet 2014, correspond à une lettre émanant du secrétariat de la COMCO. Elle comporte en objet la mention « 21-0471 : STIHL Vertriebs AG- Clôture de l’enquête préalable ». Elle fait état de ce que le projet « Stihl express plus », qui permet aux distributeurs agréés de vendre en ligne tous les produits Stihl à l’exception de ceux qui demandent, pour des raisons de sécurité, une vente en relation directe avec le client, et les nouveaux contrats de distribution, ont été examinés par l’Office fédéral allemand des ententes sans qu’aucune objection n’ait été formulée, et que par suite « l’enquête préalable ouverte le 7 février 2013 en vertu de l’article 26 de la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence du 6 octobre 1995 à l’encontre de Stihl Vertriebs AG sur de possibles restrictions du fait de la vente en ligne, est clôturée faute d’indices révélant une restriction illicite à la concurrence ». Le secrétariat de la COMCO réserve toutefois la possibilité de rouvrir l’enquête dans l’hypothèse où il viendrait à obtenir des indications du marché révélant un comportement anticoncurrentiel de la part de cette société (pièce des sociétés requérantes n° 3).
124. Force est de relever que le constat opéré ne porte pas d’appréciation directe sur la conformité du système de distribution Stihl aux règles de concurrence, mais se borne à clôturer la procédure en s’appuyant sur l’« absence d’objection du Bundeskartellamt », alors que, ainsi qu’il vient d’être relevé, rien ne démontre que celui-ci ait été en possession des mêmes éléments que l’autorité française. Par ailleurs, et en tout état de cause, une telle appréciation, opérée au regard de la législation sur les cartels suisse, demeure indifférente dans le cadre du présent litige, dès lors qu’elle n’émane pas d’une autorité de concurrence compétente pour se prononcer sur la compatibilité des clauses litigieuses au droit de l’Union et ne met pas en oeuvre la politique européenne définie par le règlement n° 1/2003.
125. Enfin, et surtout, ainsi que la Cour de justice l’a rappelé dans ses arrêts des 3 mai 2011, Tele2 Polska (C-375/09, points 19 à 30) et 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a. (C-681/11, point 42), les autorités nationales de concurrence « ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de l’article 101 TFUE ». Il s’ensuit que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à reprocher à l’Autorité d’avoir commis une erreur de droit en retenant l’existence d’une restriction de concurrence par objet alors que cette analyse n’aurait pas, selon elles, été retenue par les autorités de concurrence allemande, suédoise et suisse.
126. Il convient également d’ajouter, à titre surabondant, qu’aucune disposition du règlement n° 1/2003 ne contraint une autorité nationale de concurrence à renoncer à instruire une plainte ou à se saisir d’office de pratiques susceptibles de constituer une restriction de concurrence contraire à l’article 101 du TFUE ou à des dispositions nationales similaires, au seul motif qu’une autre autorité de concurrence a été précédemment saisie des mêmes préoccupations de concurrence. L’article 13 de ce règlement ne prévoit à cet égard qu’une faculté, non une obligation.
127. Il s’ensuit que les échanges informels intervenus entre la société Stihl et le Bundeskartellamt entre 2013 et 2015, la décision du 20 juillet 2016 par laquelle le Konkurrensverket a estimé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre l’instruction du dossier ouvert à la suite de la plainte portée devant elle le 2 février 2016, et la décision de la COMCO, en juillet 2014, de clôturer l’enquête ouverte en Suisse le 7 février 2013 n’étaient pas de nature à faire obstacle à la saisine d’office de l’Autorité, intervenue le 28 avril 2017 sur la base des éléments relevés par le rapport administratif d’enquête établi le 23 décembre 2016 par la DIRECCTE, ni à contraindre le sens de la décision qu’elle a adoptée à l’issue de ses investigations et en collaboration avec la Commission.
128. Aucune erreur de droit n’ayant été commise par l’Autorité au regard des exigences du règlement n° 1/2003, le moyen doit être rejeté.
C. S’agissant de l’absence d’expérience acquise permettant d’établir la nocivité de la pratique
(…)
135. À titre liminaire, la cour rappelle qu’aux termes d’une jurisprudence constante, notamment illustrée par l’arrêt Groupement des cartes bancaires, précité, certains comportements collusoires peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs qu’il peut être considéré inutile, aux fins d’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE (anciennement 81, paragraphe 1, CE), de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. Cette démonstration procède de l’expérience acquise.
136. Ainsi que le Tribunal de l’Union européenne (ci-après le « Tribunal de l’Union » ou le « TUE ») l’a également rappelé dans son arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (T-471/13), il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet par référence à l’expérience acquise.
137. Le fait que les autorités chargées de faire respecter les règles de concurrence n’aient pas, dans le passé, connu d’un mécanisme similaire et jugé qu’il était, de par son objet même, restrictif de concurrence n’est pas de nature, en soi, à empêcher une autorité de concurrence de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte.
138. Contrairement à ce que prétendent les sociétés requérantes, l’appréciation provisoire portée par une autorité de concurrence sur une situation factuelle n’ayant fait l’objet d’aucune véritable investigation n’est pas davantage susceptible de constituer une « expérience acquise », au sens de la jurisprudence des juridictions de l’Union, de nature à faire échec à l’examen individuel et circonstancié des mêmes mesures par une autre autorité de concurrence dans le contexte et pour les motifs déjà exposés aux paragraphes 112 et suivants du présent arrêt.
139. En outre, et comme l’a justement retenu l’Autorité, il ressort de la jurisprudence des juridictions de l’Union (CJUE, arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité) comme de la pratique décisionnelle nationale (décision de l’Autorité n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma, confirmée sur ce point par la cour d’appel (CA Paris, 13 mars 2014 RG 2013/00714), que l’interdiction de vente sur internet au sein d’un réseau de distribution sélective, qui peut résulter d’exigences conduisant de facto à une telle interdiction sans pour autant faire l’objet d’une stipulation contractuelle explicite, est susceptible de constituer une restriction de concurrence par objet, en ce qu’elle réduit la possibilité des distributeurs de vendre des produits aux clients situés hors de leur zone d’activité, limite le choix des acheteurs finaux désireux d’acheter sans se déplacer et restreint, par voie de conséquence, la concurrence dans le secteur considéré.
140. La cour précise à cet égard qu’il n’est pas requis que les produits concernés par cette jurisprudence et cette pratique décisionnelle soient identiques aux produits en cause dans la présente affaire pour permettre de tenir compte des grands principes qui s’en dégagent.
141. Ainsi, il convient de rechercher si les clauses litigieuses du contrat et l’interdiction qu’elles édictent sont restrictives de concurrence et présentent un caractère particulièrement nocif pour le jeu de la concurrence, ce que contestent les requérantes, puis d’examiner si, comme le requiert l’arrêt de la Cour de justice Coty Germany, précité, et comme les requérantes le prétendent, elles étaient proportionnées au regard de l’objectif poursuivi et si elles n’allaient pas « au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ».
D. S’agissant du caractère restrictif de concurrence des clauses litigieuses
( )
158. La cour a rappelé l’évolution du dispositif contractuel à compter de 2014, ainsi que les termes des clauses contractuelles litigieuses aux paragraphes 15 et suivants du présent arrêt.
159. Il en ressort que, ainsi que l’a relevé la décision attaquée, avant 2014, et en application de l’article 10.3 du contrat alors applicable, le distributeur s’interdisait « toute vente de matériel Stihl et Viking (à l’exception des vêtements Timbersports) sans une mise en main complète de la machine, avec montage complet du matériel ». Ce dispositif était interprété de sorte que « la vente à distance des produits Stihl et Viking était purement interdite », comme cela a été démontré aux paragraphes 67 et suivants du présent arrêt.
160. Depuis 2014, le contrat de distribution sélective impose un contact « direct et personnel » entre le distributeur et le client (article 2.1 de l’annexe 11) et enjoint aux distributeurs agréés d’assurer une mise en main du produit (articles 1.1 et 2.1 du contrat). L’article 2.1 du contrat précise que, “[p]ar conséquent la distribution par vente à distance n’est envisagée que pour les produits mentionnés à l’annexe 11 A« , de sorte que les produits non mentionnés »sont exclus de la vente à distance« , seule la réservation ou l’achat en ligne étant possible, »sauf si le Partenaire commercial spécialisé se charge de la livraison par l’un de ses conseillers de vente habilités”.
161. Ainsi qu’il est mentionné au paragraphe 24 du présent arrêt, l’annexe 11-A autorise donc la vente à distance de douze types de produits de marque Stihl, « tous les produits de la marque Viking » étant quant à eux « autorisés pour la distribution à distance (livraison par un tiers) ».
162. Pour les produits de marque Stihl non mentionnés dans l’annexe 11-A, la vente à distance n’est ainsi admise que sous condition, dès lors qu’elle implique le déplacement du client dans le point de vente physique du revendeur ou une livraison du client assurée par le distributeur agréé afin que le distributeur soit en mesure d’assumer lui-même l’exécution de son obligation de mise en main.
163. Comme l’a justement relevé l’Autorité, au paragraphe 156 de la décision attaquée, le seul fait que le contrat ne comporte pas de disposition interdisant expressément et de manière absolue les ventes sur internet ne suffit pas à exclure l’existence et la mise en oeuvre d’une interdiction de facto des ventes en ligne. En effet, il est nécessaire, afin de préserver l’effet utile du droit de la concurrence, d’examiner la mise en oeuvre concrète des clauses litigieuses sans s’arrêter à leur libellé.
164. De la même manière, le fait que le contrat de distribution spécialisée contienne un dispositif dédié à la vente sur internet, la circonstance que des ventes à distance soient possibles par le biais de la plate-forme SOP et les exemples que fournissent les sociétés requérantes de sites internet marchands exploités par des distributeurs Stihl n’excluent pas que la mise en oeuvre concrète des exigences du contrat conduise à restreindre cette voie de commercialisation, ce d’autant plus que les ventes réalisées sur la plate-forme SOP sont soumises aux mêmes contraintes concernant les produits non listés dans l’annexe 11-A du contrat.
165. Comme cela a été relevé aux paragraphes 67 et 78 du présent arrêt, l’obligation de mise en main imposée aux distributeurs a été interprétée par la direction de la société Stihl ainsi que par les distributeurs agréés comme conduisant à interdire la vente sur internet et a été appliquée comme telle, de manière générale pour tous les produits de marques Stihl et Viking jusqu’à la fin de l’année 2013, puis, à partir de 2014, de manière plus ciblée pour les produits de la marque Stihl ne figurant pas dans l’annexe 11-A du contrat de distribution.
166. Le périmètre de cette restriction de concurrence a ainsi été réduit à partir de 2014, mais n’a pas été totalement aboli.
167. A cet égard, il ne saurait être exigé de l’Autorité qu’elle procède à l’audition des 1200 revendeurs de produits Stihl pour démontrer que la vente sur internet était considérée comme interdite jusqu’en 2013, dès lors qu’elle a démontré à suffisance l’existence de cette pratique au moyen de preuves concordantes, directes et indirectes (libellé des clauses du contrat, déclarations du président de la société Stihl, rappels à l’ordre adressés aux distributeurs, déclarations concordantes de plusieurs distributeurs).
168. Il s’ensuit qu’à compter de 2014 :
— l’obligation imposée aux distributeurs d’effectuer eux-mêmes l’assistance à la mise en main du matériel, qui implique un contact direct entre l’acheteur et le distributeur effectuant la vente, exclut la possibilité de livraison à distance par un tiers au réseau de distribution, comme par un autre distributeur que celui qui procède à la vente. Elle est ainsi de nature à dissuader l’acheteur ou le distributeur de réaliser la vente selon qu’elle implique un déplacement du premier au magasin pour retirer le produit ou l’intervention du second à domicile. Elle engendre une restriction de concurrence en ce qu’elle conduit à reconstituer des zones de chalandise physique.
— cette obligation, comprise et appliquée comme interdisant la vente sur internet pour les produits qu’elle concerne, entraîne une restriction de concurrence en ce qu’elle réduit la stimulation effective de concurrence intra et inter-marque pour les produits concernés, en supprimant, pour ce qui les concerne, un mode de distribution (internet).
169. Comme l’a relevé l’Autorité, le fait d’exiger que l’obligation de mise en main soit impérativement réalisée par le distributeur agréé ayant réalisé la vente, sans admettre aucune substitution, est au coeur de cette restriction de concurrence.
170. Si les clients peuvent consulter à distance les différents sites des distributeurs pour comparer les offres de vente, ce qui est susceptible de générer à leur bénéfice une réduction de prix, cette transparence ne produit pas ses pleins effets dès lors que le retrait en magasin imposé pour la vente en ligne de certains produits est de nature à les dissuader de concrétiser leur achat.
171. Par ailleurs, les distributeurs ne sont pas incités à offrir des tarifs plus attractifs s’ils ne peuvent compenser la baisse de leurs prix par une augmentation du volume de leurs ventes, ce que l’obligation litigieuse vient compromettre, en réduisant de facto leur périmètre de vente sur internet ou en leur imposant un surcoût pour réaliser eux-mêmes la prestation au point de livraison. Cette situation est d’autant plus contraignante que les marges dans le secteur de la motoculture sont décrites comme peu élevées.
172. Si les sociétés requérantes invoquent les prix réduits affichés sur le site internet de certains de leurs distributeurs par rapport aux prix de vente conseillés, et ainsi une concurrence intra-marque, ce constat ne contredit pas l’analyse de l’Autorité selon laquelle les modalités actuelles de vente sur internet restreignent le développement de ce mode de commercialisation des produits et ont un impact sur la concurrence intra-marque. La pression concurrentielle est nécessairement limitée par les conditions dans lesquelles la vente peut se concrétiser.
173. Si les sociétés requérantes justifient d’une capillarité importante des points de distribution sur le territoire national, cette circonstance n’est pas davantage de nature à contredire le constat d’une restriction de facto des ventes en ligne, dès lors que les distributeurs sont majoritairement des revendeurs spécialistes indépendants et que le matériel commandé sur internet ne peut pas être remis au client par n’importe quel point de vente situé sur le territoire. A cet égard la cour rappelle les propos tenus notamment par le responsable des Etablissements Lambin au cours des auditions réalisées en 2016 : « Stihl n’indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique » (Annexe 37 de la notification de griefs, cote 1459).
174. Si la pièce des sociétés requérantes n° 84, qui correspond à une note établie par un cabinet d’études et de conseil, confirme la densité du réseau de distribution Stihl et établit que certains distributeurs sont situés dans une région englobant plusieurs zones de chalandises, elle ne permet pas de démontrer l’intensité de la pression concurrentielle au sein de ce réseau. Il est en effet inexact d’affirmer, comme le fait l’auteur de cette note, que la densité du réseau de distributeurs implique un nombre important de concurrents quelles que soient les zones considérées, dès lors que l’analyse réalisée ne procède pas à l’identification des établissements exerçant sous la même enseigne ou des distributeurs disposant de plusieurs points de vente, qui ne se font par concurrence entre eux.
175. La comparaison tarifaire réalisée, dans la seconde partie de cette note, pour une tronçonneuse modèle « MS150TC-E 25 cm », entre les prix affichés par les sites de vente en ligne des distributeurs situés dans l’aire géographique de référence, d’une part, et le prix de vente public conseillé, d’autre part, n’est pas plus représentative de la pression concurrentielle qui s’exercerait au-delà et entre des zones de chalandises physiques sur tout le territoire national et à l’égard de tous les autres produits Stihl et Viking, dès lors que le panel de comparaison se limite à un produit et à treize distributeurs répondant aux critères retenus par le cabinet : être situé dans l’aire géographique autour de [Localité 6], disposer d’un site de vente en ligne et offrir le produit test en ligne.
176. Par ailleurs, en sélectionnant uniquement les points de ventes des distributeurs disposant d’un site de vente en ligne pour mener son analyse, la note exclut une partie des opérateurs actifs dans cette aire géographique, sans préciser la part que représentent les distributeurs sélectionnés dans le total des distributeurs intervenant dans l’aire de référence. De la même manière, la note ne fournit aucune information concernant le nombre de distributeurs actifs dans cette aire géographique et disposant d’un site de vente en ligne mais qui n’offrent pas le modèle test en question. Il ne peut donc être déduit de l’analyse réalisée à l’égard de treize points de ventes seulement, c’est-à-dire 0,65 % des distributeurs agréés Stihl, que, sur l’ensemble du marché, les prix affichés par les distributeurs sont inférieurs au prix de vente public conseillé, pas plus qu’elle ne démontre que les revendeurs “s’alignent sur les prix plus bas constatés bien au-delà d’une ZdC [zone de chalandise] telle que visée par l’ADLC”.
177. Il ne ressort pas davantage de cette note que le client, qui ne souhaite pas retirer un produit dans un point de vente éloigné de chez lui, sera en mesure de négocier un prix plus bas avec le point de vente situé dans sa zone de confort sur la base des prix affichés par d’autres distributeurs sur internet, surtout si les distributeurs du réseau ont l’assurance, par suite de l’obligation de mise en main, que les distributeurs les plus éloignés de leur point de vente ne seront pas en mesure de conclure la vente.
178. Il convient d’ajouter ensuite, concernant les grandes surfaces de bricolage, que, si celles-ci offrent, pour la plupart, un outil de localisation géographique permettant au client d’identifier le point de vente le plus proche pour le retrait du produit, mécanisme susceptible d’atténuer les inconvénients du retrait en magasin, cette circonstance a toutefois une incidence limitée dès lors que, selon une étude publiée en mai 2015, leurs parts de marché, de, respectivement, 19 % pour les tronçonneuses/élagueuses et 28 % pour les débroussailleuses/coupe-bordure, restent très inférieures à celles des revendeurs spécialistes, qui atteignent, respectivement, 72 % et 58 % (Annexe 13 de la notification de griefs, cote 288), ces revendeurs spécialisés étant, de surcroît, situés pour la plupart en milieu rural avec une zone de chalandise de l’ordre de 30 à 80 kilomètres (décision attaquée, § 15).
179. La cour constate à cet égard que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, la décision attaquée s’est référée à la zone de chalandise physique généralement couverte par les revendeurs spécialisés, de l’ordre de 30 à 80 kilomètres (décision attaquée, § 15) pour étayer son argumentation. Il convient également de relever que ces éléments, extraits du rapport administratif d’enquête (Annexe 6 de la notification de griefs, cote 97), d’une part, ne sont pas utilement démentis par les sociétés requérantes qui allèguent sans en justifier que le rayon d’action des distributeurs ne serait pas limité, d’autre part, sont en concordance avec la « zone d’influence » à laquelle se référait le « contrat partenaires » de 2006 (Annexe 117 de la notification de griefs, cotes 4622 et suivantes).
180. Ainsi, aux termes de l’article 4.2 de ce contrat “[l]a zone d’influence est limitée à un secteur géographique dans lequel le Partenaire Commercial est en mesure d’assurer directement et personnellement de façon efficace et constante, ses obligations commerciales et de service après-vente définie par le présent Contrat Partenaires et particulièrement aux articles 7 [obligations commerciales du partenaire], I7 [livraison à la clientèle, renvoyant notamment au respect des obligations prévues à l’article 10.3 du contrat] et l8 [service après-vente] sans contrainte ni désagrément pour le client”. Il convient ici de constater que, dans le contrat annexé à la procédure, la zone définie en annexe 2, pour le distributeur spécialisé concerné, implanté à [Localité 5] (59), était limité à “l’arrondissement de [Localité 4] (59)”, soit une zone qui n’excède pas les 80 kilomètres précités, puisqu’elle était en l’occurrence de l’ordre de 20 kilomètres.
181. Par ailleurs, s’il est démontré que certains distributeurs disposent de la capacité logistique pour assurer la livraison au domicile de l’acheteur (camionnette et personnel dédiés), cette situation n’induit nullement leur capacité à livrer eux-mêmes, sur tout le territoire (et plus précisément pour de longues distances), l’ensemble des produits offerts à la vente sur internet, ni l’intérêt économique qu’ils pourraient conserver à réaliser une vente impliquant un déplacement sur une zone située très loin de leur magasin.
182. Il y a lieu de relever que les captures d’écran réalisées sur les sites marchands de certains distributeurs agréés établissent qu’il est possible de commander des produits en ligne, mais ne permettent pas de définir les conditions effectives de livraison qui en découlent et ainsi de démentir le constat qui précède, dont les motifs sont rappelés aux paragraphes 168 et suivants du présent arrêt, selon lequel l’exigence de prise en main est un frein aux réalisations de vente sur internet. Sur ce point, et contrairement à ce que prétendent les sociétés requérantes, les développements des paragraphes 112 et 113 des observations de l’Autorité ne constituent pas des actes d’instruction irréguliers, justifiant de les écarter des débats, mais une réplique, recevable, étayée par une capture d’écran, contredisant les arguments et pièces présentés par les sociétés requérantes. La cour constate à cet égard que l’Autorité indique, sans être utilement contredite, que, contact pris avec le numéro de téléphone indiqué sur le site du distributeur Motoculture Saint-Jean, celui-ci ne livre pas au-delà d’un certain périmètre les produits de marque Stihl, telles que les tronçonneuses. Elle justifie également d’une simulation d’achat en ligne de tronçonneuse Stihl sur le site du distributeur Nicolas espaces verts hébergé par la plate-forme SOP, qui s’est avérée impossible à finaliser dès lors qu’un encart – également reproduit en capture d’écran – est apparu, indiquant que « les produits peuvent être achetés en ligne cependant certains produits »dangereux« (ex : tronçonneuses) imposent un retrait en magasin pour vous permettre de bénéficier de tous les conseils nécessaires à la bonne utilisation de notre produits. Votre sécurité nous tient particulièrement à coeur, la visite chez un professionnel saura attirer votre attention sur la notion de sécurité au bon usage de nos produits ».
183. La cour ajoute que les captures d’écran versées aux débats par les requérantes (pièce n° 85), provenant du site internet du distributeur agréé Costes verts loisirs, lequel dispose de plusieurs magasins, confirment que la vente d’une tronçonneuse Stihl est possible, avec un retrait en magasin, cependant que la livraison à domicile s’opère en considération de secteurs géographiques qui correspondent au département couvert par le magasin qui y est implanté. Ainsi, « Costes Motoculture 81-Tarn » assure la livraison à domicile pour le « secteur 81- Tarn » tandis que « Costes Motoculture 46-Lot » assure la livraison à domicile pour le « secteur 46- Lot ».
184. Il suit de là que le mécanisme prévoyant une obligation de mise en main par le revendeur est bien, intrinsèquement, de nature à restreindre la vente par internet, étant observé qu’entre 2006 et 2013 cette obligation a été interprétée comme devant conduire à une interdiction totale des ventes par internet quelle que soit la nature des produits.
185. Concernant le contrôle des prix, évoqué dans la décision attaquée, force est de constater que les déclarations émanant de distributeurs, reproduites aux paragraphes 237 et 238 de cette décision, témoignent d’un contrôle des prix de vente en ligne par la société Stihl, de même que le courriel du 25 novembre 2011 adressé par son directeur régional des ventes, qui enjoint à l’un des distributeurs de modifier l’ensemble des prix des produits Stihl et Viking sur son site et de respecter les « hypothèses » de prix communiquées. Le constat selon lequel certains distributeurs ont pratiqué des prix différents ne remet pas en cause le fait que la société Stihl a contrôlé les prix qu’ils pratiquaient. La cour observe, en tout état de cause, d’une part, que la sanction infligée ne l’a pas été au titre d’une entente sur les prix, d’autre part, que le contrôle des prix, que la société Stihl conteste, n’a pas été pris en compte lors de l’appréciation de la gravité de la pratique objet du grief n° 1. Par suite, les critiques formulées par les sociétés Stihl contre les développements relatifs au fait que la société Stihl « s’efforce de contrôler le prix des ventes en ligne » sont inopérantes.
186. Il suit de ce qui précède que les moyens relatifs à l’absence de caractère restrictif de concurrence sont rejetés.
187. Afin d’apprécier si l’accord en cause présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, il convient encore de s’attacher aux objectifs qu’il vise à atteindre, ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère.
E. S’agissant des objectifs poursuivis par les clauses litigieuses et des moyens mis en oeuvre pour les atteindre
(…)
200. Afin d’apprécier le degré de nocivité de la pratique en cause et la qualification qu’il convient de lui appliquer, la cour renvoie à la méthodologie issue de la jurisprudence constante justement citée par la décision attaquée et dont les termes figurent au paragraphe 95 du présent arrêt, selon laquelle les restrictions de concurrence, telles qu’une interdiction de vente par internet, ne peuvent échapper à la prohibition prévue par l’article 101, paragraphe 1, du TFUE qu’à la condition de poursuivre d’une manière proportionnée les objectifs légitimes de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage. Cette exigence de proportionnalité est satisfaite lorsque l’interdiction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (CJUE, arrêts Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et Coty Germany, précités). Bien que ne concernant pas des produits dangereux, cette jurisprudence, en raison de la méthodologie générale qu’elle expose, reste pertinente pour analyser la pratique en cause, contrairement à ce qu’allèguent les sociétés requérantes.
201. Ainsi que l’Autorité l’a relevé, aux paragraphes 150 et 151 de la décision attaquée, certains produits, dont le montage et le maniement peuvent s’avérer délicats, présentent une certaine technicité et il n’est pas contesté que l’utilisation de certains des produits Stihl et Viking peut présenter des risques, compte tenu des rebonds ou projections observés lors de leur utilisation et des caractéristiques de ces produits, ces derniers étant munis d’un outil tranchant ou coupant appelé à entrer en contact avec la matière sans pouvoir être isolé de l’utilisateur par un dispositif de protection.
202. Par suite, leur commercialisation requiert des services d’assistance et de conseil afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage, comme l’a admis l’Autorité au paragraphe 152 de la décision attaquée.
203. Ces exigences n’ont toutefois pas le même degré d’intensité et, par suite, la même légitimité, selon que la commercialisation porte sur des produits de cette nature ou des produits qui ne présentent aucune dangerosité particulière, comme les vêtements de protection, les systèmes de nettoyage, les pulvérisateurs etc.
204. Il ressort des éléments de la procédure que l’obligation de mise en main, sur laquelle était fondée l’interdiction de commercialiser les produits Stihl et Viking sur internet, telle qu’elle a été imposée par la société Stihl et appliquée par ses distributeurs au sein du réseau a d’abord été appliquée, entre 2006 et 2013, à tous les produits (situation décrite aux paragraphes 66 et suivants du présent arrêt), puis a été limitée, à partir de 2014, à un certain nombre de produits, ceux considérés comme dangereux.
205. Il convient par conséquent de distinguer les deux périodes.
1. S’agissant de la période de 2006 à 2013
206. Ayant été imposée pour l’ensemble des produits Stihl et Viking, l’obligation de mise en main, restrictive de concurrence, n’a donc pas servi, à l’origine, un objectif de sécurisation du bon usage des produits distribués ou, à tout le moins, n’a pas satisfait l’exigence de proportionnalité précitée, ce qui n’est d’ailleurs pas discuté par les parties. Il s’ensuit que l’interdiction globale des ventes en ligne mise en oeuvre au cours de cette période, qui a eu pour objet d’entraver les ventes passives des membres du réseau et le jeu de la concurrence dans le secteur de la distribution des produits d’entretien des espaces verts, bois et forêt, constitue bien une infraction par objet prohibée par les articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ce qui ne fait pas débat devant la cour.
2. S’agissant de la période postérieure à 2014
207. Le document de présentation de la plate-forme SOP (pièce des sociétés requérantes n° 7), dont le réseau est doté depuis 2014, indique, au point 6 des caractéristiques principales du site internet, que les « clients peuvent réserver ou commander des produits » et qu’ils peuvent choisir entre le retrait en magasin et la livraison « pour les produits autorisés à la vente en ligne » (souligné par la cour). Ainsi qu’il a été rappelé aux paragraphes 16 à 24 du présent arrêt, à compter de 2014, l’interdiction de commercialiser librement les produits Stihl et Viking sur internet a été limitée aux produits dits dangereux en se fondant sur l’obligation de prise en main imposée aux distributeurs, conçue comme devant impérativement être exécutée au moment de la vente par le distributeur réalisant la transaction.
208. Il convient dès lors de vérifier, d’une part, si la mesure en cause est appropriée, c’est-à-dire apte à atteindre l’objectif poursuivi de sécurisation du bon usage des produits, d’autre part, si elle est nécessaire, c’est-à-dire si d’éventuels moyens moins attentatoires au jeu de la concurrence ne pouvaient pas être mis en oeuvre pour y parvenir.
a. Concernant le caractère approprié de la mesure
(…)
260. Il ressort de l’ensemble de ces développements que, contrairement à ce qu’a retenu l’Autorité, l’obligation de prise en main, appliquée aux produits dangereux, qui est aussi imposée par les principaux concurrents de la société Stihl et que celle-ci fait respecter par l’ensemble de ses distributeurs, peut être considérée comme appropriée et apte à garantir leur bon usage et la sécurité des utilisateurs. Par ailleurs, les exigences découlant de cette obligation sont également, pour les fabricants qui l’imposent, un moyen de se démarquer de leurs concurrents par le nombre et la qualité des services offerts au moment de la vente.
b. Concernant le caractère nécessaire de l’obligation de prise en main
261. Avant d’apprécier le caractère nécessaire de l’obligation litigieuse, il convient préalablement d’examiner le contexte dans lequel cette obligation s’insère, pour apprécier si d’éventuels moyens moins attentatoires au libre jeu de la concurrence pouvaient être mis en oeuvre pour y parvenir.
— Le contexte économique et factuel
262. L’Autorité a retenu, dans la décision attaquée, que la pratique incriminée concerne une part importante du marché, eu égard à la position de la société Stihl sur le marché général de la motoculture (part de marché de 18,6 %). La cour observe que cette part de marché est d’autant plus importante que, ainsi que l’indique le rapport administratif de la DIRECCTE, il existe une cinquantaine de marques présentes sur le marché de la motoculture (Annexe 5 de la notification de griefs, cotes 12 et 13). Il ressort également de ce rapport que les marques Stihl et Viking font partie des marques les plus rencontrées et citées et que « la principale et seule véritable concurrente de Stihl est Husqvarna. (…) Les autres marques sont très nettement distancées et ne sont pas en mesure d’inquiéter réellement ces deux grands groupes en l’état actuel des choses ». L’Autorité a également relevé la notoriété et l’importance de la position de la société Stihl, plus particulièrement, sur les deux produits phares que sont les tronçonneuses et les débroussailleuses, pour lesquelles cette entreprise détient une part de marché de, respectivement, 57 % et 47,4 % (décision attaquée, § 240).
263. Les sociétés requérantes ne peuvent utilement critiquer la référence faite à ces dernières données, non contestées, en soutenant que l’Autorité n’a pas défini un marché pertinent limité à une famille de produits (telles les tronçonneuses ou les débroussailleuses), alors que l’Autorité, après avoir précisé qu’ « un marché pertinent de la distribution au détail de produits d’entretien des espaces verts, bois et forêt, tels que les tronçonneuses, les taille-haies et les élagueuses, les débroussailleuses et les tondeuses à gazon, pourrait être retenu (…) de dimension nationale » (décision attaquée, § 127 et 128), a justement rappelé qu’il n’était pas nécessaire de définir le marché avec précision lorsque les pratiques sont examinées, comme en l’espèce, au titre de la prohibition des ententes, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier ces pratiques et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en oeuvre (décision attaquée, § 129). Par ailleurs, la référence aux parts de marché précitées est pertinente dès lors qu’elles concernent des produits qui ont été plus spécifiquement touchés par l’entente en cause après 2014. Comme l’observe à juste titre le ministre chargé de l’économie, ces éléments sont de nature à renforcer la présomption d’effets nocifs sur la concurrence dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre d’un système de distribution sélective qui est, par définition, fermé.
264. L’Autorité a également constaté, sans que ce point ne soit utilement démenti, que, si des distributeurs ont développé des sites internet, les ventes à distance de produits Stihl depuis ces sites, qui sont souvent utilisés comme de simples vitrines commerciales, restent marginales, la majorité des distributeurs des produits Stihl (de 70 % à 80 % d’entre deux) ne réalisant pas de vente en ligne (décision attaquée, § 241).
265. Compte tenu de la position occupée par la société Stihl sur le marché général de la motoculture, et plus spécifiquement sur ceux de certains produits dangereux (tronçonneuses et débroussailleuses), la politique mise en oeuvre a donc eu une incidence sur les conditions de commercialisation des produits concernés, en rendant peu attractive l’ouverture d’un site internet marchand pour les raisons précédemment exposées (paragraphes 168 et suivants du présent arrêt).
266. Aux termes de l’audition du président de la société Stihl (Annexe 58-1, cotes 2674 et suivantes de la procédure d’instruction), « la vente sur internet de machines pour la motoculture représenterait 3 à 4 % du chiffre d’affaires des revendeurs » et “les machines qui ne figurent pas sur l’annexe [11 du contrat de distribution spécialisé] représentent environ 50 à 60 % du chiffre d’affaires de STIHL France”.
267. Il convient toutefois de relever que la faible part des ventes réalisées sur internet n’apparaît pas spécifique au réseau Stihl. Le rapport administratif de la DIRECCTE dresse en effet, pour la France, le constat suivant : « Le commerce électronique apparaît quant à lui très limité. S’il est vrai qu’il existe beaucoup de sites Internet, seuls quelques uns d’entre eux sont de véritables sites marchands actifs. La plupart des sites apparaissent ainsi comme des vitrines, destinées à faire connaître un magasin traditionnel et le type de produits que le consommateur y trouvera. Leur activité commerciale ne représente souvent guère plus de 1 % du chiffre d’affaires global généré par l’exploitant du magasin traditionnel ».
268. C’est à la lumière de ces éléments que doit être apprécié le caractère nécessaire de la restriction de concurrence en cause.
— Le périmètre de l’obligation et ses caractéristiques
269. S’agissant, en premier lieu, du périmètre de l’obligation, il n’est pas contesté que l’obligation de prise en main imposée par le contrat de distribution du réseau Stihl s’applique, sans distinction, au bénéfice des profanes comme des professionnels du secteur, alors que les seconds ont, en principe, une meilleure connaissance, voire une expérience déjà acquise, du maniement de ces produits.
270. Or l’analyse de la politique de vente de la société Husqvarna, concurrente de la société Stihl, révèle qu’un aménagement des obligations pesant sur le distributeur est possible en fonction de l’expérience et de la qualification de l’acheteur.
271. Il ressort ainsi de l’annexe 9 du contrat de la société Husqvarna, et plus particulièrement de sa clause « 2. Exemption », que, “[s]i le Distributeur peut démontrer de manière satisfaisante pour Husqvarna qu’un client donné est utilisateur qualifié et expérimenté des Produits concernés et qu’il est capable d’assumer en interne les exigences du paragraphe I(b) ci-dessus [produit remis prêt à l’usage], le Distributeur est exempté du respect des obligations à cet égard. Nonobstant cette exemption, il reste tenu au respect des stipulations des paragraphes 1 (a) [inspection avant livraison et test de sécurité] et 1(c) [consignes sur l’inscription du produit aux fins de garantie] ci-dessus” Annexe 31 de la notification de griefs, cote 1341, mentions entre crochets et soulignements ajoutés par la cour).
272.Ce type de dispositif, équilibré, permet de satisfaire l’objectif recherché.
273. Il s’ensuit que l’obligation de prise en main imposée par la société Stihl à ses distributeurs, en ce qu’elle s’applique indifféremment aux profanes et aux professionnels, va au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité de ces derniers.
274. S’agissant, en deuxième lieu, du caractère personnel de l’obligation mise à la charge du distributeur réalisant la vente, la cour relève que l’absence de relation contractuelle entre chacun des distributeurs du réseau et leur position de concurrents sur le marché ne permettent pas d’affirmer, comme le fait l’Autorité, que l’absence de clause exigeant du vendeur de réaliser lui-même l’obligation de prise en main permettrait à l’acheteur d’obtenir, à des conditions économiques équivalentes, cette prestation auprès de n’importe quel autre distributeur agréé, à la fois pour des raisons de responsabilité et de rémunération de la prestation.
275. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’une telle restriction, des accords spécifiques peuvent être négociés à cette fin ab initio et que la suppression du caractère personnel de l’obligation offre notamment la possibilité au distributeur de sous-traiter cette prestation, ce qui est d’ailleurs déjà envisagé par la norme AFNOR précédemment examinée, applicable à la location de matériel, qui prévoit l’hypothèse du « matériel livré sur site par un sous-traitant ». La cour ajoute que, selon le contrat de distribution, le prix de vente inclut déjà la prestation de mise en main, de sorte qu’il n’est pas démontré que la rétrocession au sous-traitant de la rémunération correspondant à cette prestation entraînerait une augmentation significative des coûts pour le consommateur.
276. S’agissant, en dernier lieu, de l’exigence de contact physique concomitant à la vente, entre le distributeur et l’acquéreur, la cour relève que l’objectif de sécurisation de l’usage du produit peut être atteint par d’autres moyens notamment au moyen d’une assistance à distance. Le contrat Husqvarna comporte d’ailleurs, à l’annexe 9 précitée, une clause 3 « Assistance » démontrant qu’une dématérialisation des prestations a été amorcée : “Husqvarna propose à la fois une formation avec instructeur et une formation sur Internet pour la Maintenance Basique et la PDI [Inspection avant livraison]. Ces formations sont présentées sur le site Web Husqvarna University et peuvent être réservées en ligne, via le SAV ou par téléphone« . Le contrat Stihl prévoit lui-même, à l’article 9 de l’annexe 11, une assistance utilisant »les outils d’assistance à la prise en main des produits Stihl et Viking adaptés à internet proposés par la société Stihl France, comme les animations et les vidéos” (libellé intégral reproduit au § 26 du présent arrêt), de sorte que le dispositif contractuel prévoyant que l’obligation de prise en main doit impérativement être réalisée par le distributeur à l’origine de la vente lors de la remise du produit, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché.
277. En outre, la cour constate qu’aucun élément de la procédure n’établit que les accidents recensés sont plus fréquents lorsque l’utilisateur n’a pas bénéficié d’une démonstration physique du produit en magasin.
278. Il s’en déduit que le dispositif imposé par les sociétés requérantes va également au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité des usagers tant professionnels que profanes.
279. En conséquence, la cour retient que le dispositif mis en oeuvre de mars 2006 à septembre 2017 a eu pour objet de restreindre les ventes passives des membres du réseau de distribution sélective Stihl et le jeu de la concurrence dans le secteur de la distribution des produits d’entretien des espaces verts, bois et forêt :
— pour les motifs exposés au paragraphe 206 du présent arrêt, concernant la période de 2006 à 2013, au cours de laquelle l’interdiction de vendre sur internet a été indifférenciée et absolue ;
— pour les motifs qui viennent d’être exposés, concernant la période postérieure à 2014, au cours de laquelle le dispositif, bien qu’apte à atteindre l’objectif poursuivi de sécurisation du bon usage des produits, a excédé ce qui était nécessaire pour y parvenir » ;
ET AUX MOTIFS PROPRES ENCORE QUE
« 78. Les déclarations faites lors des auditions réalisées par les enquêteurs, dont certaines sont partiellement reproduites aux paragraphes 38 et suivants de la décision attaquée, confirment qu’après 2014 l’exigence de mise en main (désormais limitée aux produits dangereux) a continué à être assimilée, au sein du réseau, à une interdiction de vendre les produits concernés sur internet.
79. Ainsi, à titre d’illustrations :
— le dirigeant de la société Lambin a indiqué, lors de son audition en 2016, que « Stihl n’indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique. Par rapport au site internet, cela revient à nous interdire de vendre les produits de cette marque en vente à distance (…). Suite à l’introduction de cette clause nous avons préféré retirer de la vente à distance la plupart des produits Stihl » (Annexe 37 de la notification de griefs, cote 1459) ;
— le dirigeant de l’entreprise Nicolas espaces verts, qui exploite un magasin et un site internet marchand multimarques, a également fait état des difficultés rencontrées avec le fournisseur Stihl en 2015 et considéré que “[p]our ces machines, Stihl exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile. Pour essayer de continuer à vendre librement sur internet les machines Stihl, J’ai alors créé une deuxième société, installée tout près d’ici, à Schengen, au Luxembourg, pour exploiter mon site internet Megavert. C’est la société Nicolas Espaces Verts qui fournissait les machines Stihl Viking à Megavert. Le problème est que Stihl s’est rendu compte que Megavert et Nicolas Espaces Verts étaient toutes 2 mes entreprises (ce dont je ne me suis d’ailleurs jamais caché). Stihl a alors fermé le compte de Nicolas Espaces Verts et a bloqué la livraison des commandes en cours (…) Pour pouvoir continuer à vendre les machines Stihl Viking, je me suis donc plié à leurs exigences, à savoir que je ne livre plus les machines dites dangereuses au domicile des clients internet” (Annexe 45 de la notification de griefs, cote 2263).
80. Il importe peu que, sur le panel de distributeurs auditionnés, plusieurs d’entre eux aient tenté d’enfreindre leurs obligations contractuelles, dès lors que tous ont eu la même interprétation du contrat, assimilant l’obligation de mise en main à une interdiction implicite de vendre les produits Stihl en ligne.
81. L’Autorité a donc pu considérer que le grief n° 1 concernait une période débutant, au minimum, en 2006 et se poursuivant jusqu’à la date de la notification des griefs, sur la base d’un accord de volontés entre la société Stihl et ses distributeurs qui a porté sur le respect de l’obligation de mise en main des produits au cours de toute la période considérée, telle qu’elle a été interprétée et appliquée au sein du réseau » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « sur l’assimilation de la politique commerciale de Stihl à une interdiction de vente en ligne :
77. L’analyse de leurs déclarations respectives démontre que tant une partie des distributeurs que le fournisseur lui-même ont considéré que les restrictions imposées par Stihl équivalaient en réalité à une interdiction des ventes en ligne d’abord de la quasi-intégralité des produits Stihl, puis, après 2014, des produits non listés à l’annexe 11-A précitée.
Le point de vue des distributeurs
78. La nature restrictive de la politique commerciale du fournisseur ressort en premier lieu de nombreuses déclarations émanant des distributeurs.
79. Ainsi, selon le représentant du revendeur Motoculture Saint Jean, « depuis plusieurs années, STIHL n’autorise plus les distributeurs à vendre leurs produits sur Internet » (cote 1362, soulignement ajouté). Cette interdiction a également été constatée par le représentant des Etablissements Marcel, selon lequel “Les produits STIHL ( ) ne sont pas disponibles à la vente en ligne ( )« (cote 2458). Ces déclarations sont corroborées par les mentions portées sur les sites Internet de certains revendeurs. L’un d’entre eux indiquait ainsi que »STIHL interdit à ses revendeurs de vendre ses produits sur Internet, cependant ils sont disponibles en magasin« (cotes 3503, 3510 et 3511), un autre a précisé que le produit ou article »ne peut être vendu qu’en magasin” (cote 3415 et 3601).
80. Parmi les distributeurs interrogés, certains ont apporté des précisions quant au type de produits concernés par les restrictions imposées par Stihl. Selon le revendeur Poirot SARL, “concernant la distribution sur Internet, les fournisseurs ont parfois des exigences particulières (…) c’est aussi le cas de STIHL qui interdit formellement la vente de machines dangereuses sur Internet (tronçonneuses notamment) et la vente de tous produits à la marque STIHL sur les market place comme AMAZON « (cote 806, soulignement ajouté). De même, Di Marco Motoculture a indiqué » depuis 2014, nous n’y [sur Internet] vendons plus de tronçonneuses ni de débroussailleurs de la marque STIHL car le fournisseur a interdit la revente sur Internet des machines dotées d’outils tranchants, pour des raisons de sécurité du consommateur ( )« (cote 2263, soulignement ajouté). Le distributeur Nicolas Espaces Verts a précisé » Pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile (…)” (cote 2263, soulignement ajouté).
81. Les conséquences de l’obligation de mise en main ont également été soulignées par le représentant des Etablissements Lambin, lequel a déclaré “STIHL n’indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique. Par rapport au site Internet, cela revient à nous interdire de vendre les produits de cette marque en vente à distance (…). Suite à l’introduction de cette clause, nous avons préféré retirer de la vente à distance la plupart des produits STIHL” (cotes 1459 et 1462, soulignement ajouté).
82. De même, certains distributeurs ont fait état des conséquences commerciales résultant de l’interdiction de vente en ligne instaurée par Stihl. Ainsi le représentant des Etablissements Voisin a indiqué : “La progression de notre chiffre d’affaires Internet a connu un coup d’arrêt fin 2014, lorsque STIHL a interdit la revente sur Internet d’un ensemble de machines dont les tronçonneuses et les débroussailleurs ( ) l’interdiction de revendre des machines considérées comme dangereuses a été prononcée par STIHL le 01-10-2014« (cote 1174). Quant au revendeur Walliser, il a déclaré : »je vends aujourd’hui beaucoup plus de tronçonneuses de la marque HUSQVARNA qu’auparavant. Cette progression est principalement due à l’interdiction de vendre sur Internet certaines machines jugées dangereuses pour la sécurité du consommateur, interdiction formulée par STIHL en 2014” (cote 2511).
83. Certains revendeurs ont, enfin, exprimé leur scepticisme quant aux motifs mis en avant par Stihl pour restreindre la vente à distance. Ainsi, pour le distributeur Rullier SARL, “Husqvarna et STIHL VIKING nous refusent la faculté de vendre ce que nous voulons sur Internet (certains produits sont autorisés, d’autres pas). Ils mettent en avant des raisons liées à la sécurité et la mise en route. Mais c’est une « fausse barbe « : ils livrent la grande distribution qui fonctionne exactement comme Internet de ces deux points de vue » (cote 1800, soulignement ajouté) (à noter, toutefois, que le fait que Husqvarna restreigne les ventes sur Internet est démenti par l’examen de son contrat de distribution sélective, d’une part, et par les déclarations de plusieurs distributeurs, d’autre part (voir paragraphes 202 et suivants).
Le comportement de Stihl 84.
En second lieu, le fournisseur lui-même tend à assimiler sa politique commerciale à une interdiction des ventes en ligne.
85. Cela ressort notamment de certains documents internes à Stihl, tels que certaines grilles d’évaluation, dont celle datée du 7 octobre 2014 qui comporte les mentions suivantes : « pas de réservation mais il y a bien livraison de produits autorisés et disponibilité en magasin de ceux non autorisés à la vente sur le net »ou encore« commande d’une machine non autorisée possible » (cotes 3386 et 3734).
86. Les échanges entre Stihl et ses distributeurs témoignent également de la volonté du fournisseur d’interdire la vente en ligne de certains produits.
87. Ainsi, dans un courrier du 26 mai 2015 adressé par le fournisseur à un de ses revendeurs, il est mentionné : “nous vous rappelons que l’annexe 11, point 2.1 de notre contrat de distribution sélective, précise « le partenaire commercial spécialisé doit en informer le client de façon claire ( )« dans ce sens, nous vous demandons de bien vouloir apporter la mention suivante aux produits non autorisés à la vente et la livraison à distance : »Montage assuré – produit à venir chercher en magasin”(cote 3719, soulignement ajouté).
88. Dans un autre courrier du 10 mars 2016 émanant de Stihl, celui-ci rappelle à un de ses distributeurs que “quant à la vente à distance de nos produits STIHL et VIKING par la société Mégavert, elle reste soumise à nos règles de distribution sur Internet, telles que précisément décrite dans l’annexe 11 de notre contrat, entre autres : (…) non vente et non livraison à distance des produits interdits incluant les pièces détachées et mention explicite faite au consommateur” (cote 3729, soulignement ajouté).
(…)
Sur l’accord de volontés entre Stihl et ses distributeurs sur l’interdiction de vente en ligne des produits Stihl et Viking :
155. Nonobstant les dénégations des représentants de Stihl, il apparaît que l’interdiction de vente en ligne des produits Stihl et Viking sur les sites Internet des distributeurs a bel et bien fait l’objet d’un accord de volontés, résultant aussi bien des termes mêmes du contrat de distribution sélective que des éléments factuels issus de l’instruction, tels que les déclarations et le comportement de Stihl et des distributeurs.
Les stipulations du contrat de distribution sélective
156. À titre liminaire, il convient de rappeler que, contrairement à ce que soutient l’entreprise mise en cause, le seul fait que le contrat de distribution sélective qui liait Stihl et ses distributeurs de 2006 à 2013 ne comporte pas de disposition interdisant expressément les ventes par Internet ne suffit pas pour exclure l’existence d’une telle interdiction (voir notamment, en ce sens, arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 mars 2014, société Bang & Olufsen, n° 2013/00714, page 13).
157. En l’espèce, il a été relevé supra (voir paragraphes 32 à 45) que le contrat de distribution sélective, dans sa version en vigueur de 2006 à 2013, enjoignait aux distributeurs d’assurer « une mise en main complète de la machine » pour le consommateur en cas de vente à distance (cote 4625). Cette mise en main qui, selon le représentant de Stihl, ne peut se faire que « dans un point de vente, avec une prise en main assurée par le revendeur ou au domicile de l’acheteur par le revendeur ( »livraison personnalisée« ) » (cote 2675), implique nécessairement un contact direct entre le distributeur et le consommateur, ce qui exclut, par définition même, la possibilité d’une livraison à distance par un tiers au réseau de distribution ou par un distributeur autre que celui qui a procédé à la vente.
158. La même obligation de « mise en main » figure dans les stipulations propres à la vente sur Internet introduites progressivement dans le dispositif contractuel de Stihl à compter de 2014 (voir supra paragraphes 46 à 60).
159. En effet, le nouvel article 2.2.3. du contrat de distribution de Stihl précise que le distributeur « s’interdira toutes ventes de produits Stihl et Viking par le biais de son site Internet sans assurer l’assistance à la prise en main » (cote 3060).
160. L’annexe 11, exclusivement dédiée à la distribution sur Internet, adjointe en 2014 au contrat de distribution spécialisée Stihl, indique, en son article 2, que « les produits Stihl et Viking non mentionnés dans l’annexe A sont exclus de la vente à distance ».
161. L’annexe 11-A distingue les produits dits non dangereux, qu’elle énumère, qui sont « autorisés à la vente à distance (livraison par un tiers), »des produits dits dangereux, non listés, qui ne peuvent faire l’objet que d’un achat ou d’une réservation sans distribution à distance”.
162. Certes, les conseils de Stihl contestent que les deux seules modalités de livraison prévues par le contrat de distribution exclusive en cas d’achat de produits dits dangereux sur le site Internet d’un distributeur agréé – livraison à domicile par le distributeur agréé ou l’un de ses représentants ou retrait en magasin – puissent être assimilées à une interdiction de vente sur Internet. Ils soulignent, d’une part, que tous leurs produits peuvent, désormais, être commandés et payés sur Internet, la seule restriction concernant la livraison des produits dits dangereux, d’autre part que l’entreprise, loin d’interdire les ventes sur Internet, en fait au contraire la promotion active, comme le démontrent à la fois la mise en place, à partir de 2014, de la plate-forme SOP et les nombreux développements spécifiques à Internet inclus dans le contrat de distribution. Ils affirment, enfin, que cette politique « pro-Internet » trouve son illustration concrète dans le fait que de nombreux distributeurs -20 à 30 % selon les déclarations du président de Stihl France- réalisent des ventes à distance et que, partant, il ne saurait être raisonnablement soutenu que le dispositif contractuel de Stihl encourt les mêmes reproches que celui instauré par les entreprises précédemment sanctionnées par l’Autorité, telles Pierre Fabre ou Bang & Olufsen, celles-ci ayant purement et simplement exclu toute vente en dehors d’un point de vente physique et aucun de leurs distributeurs n’ayant ouvert un site marchand.
163. Cette argumentation ne saurait toutefois être retenue.
164. De fait, la distinction opérée par Stihl entre la vente et la livraison des produits paraît à tout le moins artificielle, dès lors que l’obligation de mise en main, qui s’appliquait à tous les produits avant 2014, et perdure depuis pour les produits dits dangereux, prive de son principal intérêt la vente à distance, le consommateur final ou le distributeur étant en toute hypothèse tenus de se déplacer.
165. Par ailleurs, le fait que le contrat de distribution sélective comporte désormais plusieurs stipulations relatives à la vente sur Internet est en l’espèce sans incidence sur l’analyse, les dispositions concernées portant pour la plupart sur les normes qualitatives (présentation, contenu, etc…) auxquelles doivent répondre les sites des distributeurs, qu’il s’agisse de sites marchands ou de simples vitrines visant à assurer la visibilité du distributeur ou à faire la promotion des produits Stihl et Viking sur Internet, et non sur la possibilité même d’effectuer un achat complet, livraison incluse, sur Internet.
166. Dès lors, il convient de considérer que, quelle que soit la période concernée, l’obligation de « mise en main » prévue par le contrat de distribution sélective, qui conduit à proscrire toute livraison par des tiers, supprime de facto les avantages essentiels de la vente sur Internet et revient, toujours de facto, à interdire cette modalité de vente.
167. Cette interdiction est, au demeurant, corroborée par le comportement de Stihl et de ses distributeurs.
L’interdiction de vente en ligne imposée par Stihl
168. Il ressort des éléments versés au dossier que Stihl a non seulement sciemment mis en place une politique visant à l’interdiction des ventes sur les sites Internet des distributeurs agréés mais en a également contrôlé l’application durant toute sa période de mise en oeuvre.
169. L’adoption par Stihl d’une politique commerciale interdisant la vente sur Internet pendant la période 2006 à 2013 est tout d’abord illustrée par les propos tenus, lors de son audition par la Direccte, par le représentant de Stihl : “jusqu’à la fin de l’année 2013, la vente à distance des produits STIHL VIKING était purement interdite par STIHL (…)” (cote 2675, soulignement ajouté).
170. Elle est, par ailleurs, confirmée par les différents courriers de rappel à l’ordre que Stihl a envoyés à ses distributeurs, qui insistent sur le fait que ses produits sont « disponibles uniquement en magasin » ainsi que sur l’obligation de faire figurer sur leur site les mentions relatives à l’indisponibilité des produits sur Internet, et demandent la cessation de toute livraison par correspondance, sous peine d’être exclu du réseau (voir paragraphes 40 à 44).
171. Par ailleurs, contrairement à ce que semble indiquer son représentant, selon lequel “(…) Sous l’impulsion des évolutions du marché et du cadre juridique, [que] le groupe STIHL a mis en place un nouveau contrat de distribution sélective en 2014, lequel autorise désormais la vente à distance des machines”(cote 2675, soulignement ajouté), la nouvelle politique commerciale de vente en ligne lancée par Stihl en 2014 n’a pas remis en cause l’interdiction des ventes en ligne, au moins pour les produits dits dangereux.
172. Ainsi, à la suite de l’envoi de la circulaire visant à expliquer sa nouvelle politique aux distributeurs (voir paragraphes 63 et suivants), Stihl a souhaité s’assurer que ceux-ci s’étaient bien conformés aux nouvelles dispositions contractuelles. Elle a notamment vérifié si les sites des revendeurs intégraient l’« indication pour chaque produit »réservation / livraison possible ou non ; retrait en magasin” (cote 3306) et a adressé des courriers de rappel à l’ordre aux contrevenants.
173. À titre d’exemple, en mai 2015, Stihl a pris contact avec un de ses revendeurs pour lui indiquer « nous vous rappelons que l’Annexe 11, point 2.1 de notre contrat de distribution sélective, précise »le partenaire commercial spécialisé doit en informer le client de façon claire ( )« dans ce sens, nous vous demandons de bien vouloir apporter la mention suivante aux produits non autorisés à la vente et la livraison à distance : »Montage assuré – produit à venir chercher en magasin« (cote 3719, soulignement ajouté). De même, un courrier de 2016 émanant de Stihl rappelle à l’un de ses distributeurs que »quant à la vente à distance de nos produits STIHL et VIKING par la société Mégavert, elle reste soumise à nos règles de distribution sur Internet, telles que précisément décrite dans l’annexe 11 de notre contrat, entre autres : (…) non vente et non livraison à distance des produits interdits incluant les pièces détachées et mention explicite faite au consommateur” (cote 3729, soulignement ajouté).
L’interdiction de vente en ligne acceptée par les distributeurs de Stihl
174. Dans leur grande majorité, les distributeurs interrogés ont également interprété l’obligation de « prise en main » comme une interdiction de vente sur Internet.
175. Plusieurs déclarations citées aux paragraphes 79 à 83 attestent de ce fait, telles celles du revendeur Poirot SARL, selon lequel “( ) STIHL qui interdit formellement la vente de machines dangereuses sur Internet« , du distributeur Nicolas Espaces Verts » pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile ( )« (cote 2263) ou du représentant des Établissements Lambin, qui a déclaré »STIHL n’indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique. Par rapport au site Internet, cela revient à nous interdire de vendre les produits de cette marque en vente à distance (…). Suite à l’introduction de cette clause, nous avons préféré retirer de la vente à distance la plupart des produits STIH” (cotes 1459 et 1462, soulignements ajoutés).
176. Non seulement les distributeurs ont intégré le fait que la politique commerciale de Stihl consistait à interdire les ventes sur Internet mais ils s’y sont de surcroît conformés.
177. De fait, postérieurement à l’envoi de la circulaire de 2014 précitée, Stihl a procédé à un contrôle des sites de ses distributeurs. Elle a constaté que 28 d’entre eux – soit entre 8 à 12 % des sites de distributeurs actifs sur Internet – n’étaient pas conformes aux nouvelles stipulations contractuelles car ils ne présentaient pas l’”indication pour chaque produit réservation/livraison possible ou non ; retrait en magasin” (cote 3306). Les distributeurs concernés ont fait l’objet de rappels à l’ordre répétés, qui ont systématiquement abouti à la disparition de la possibilité de livraison à distance.
178. Dans ses observations en réponse à la notification de griefs, Stihl admet qu’elle n’a dû intervenir activement qu’auprès « d’une infime minorité de distributeurs » pour faire respecter les critères d’appartenance à son réseau de distribution (cote 5093), le reste des distributeurs ayant appliqué spontanément les restrictions de commercialisation sur Internet. Ce faisant, elle confirme le fait que la totalité de ses distributeurs ont appliqué, de leur plein gré ou à la suite de ses relances, sa politique d’interdiction de vente sur Internet.
Conclusion sur l’accord de volontés
179. Il ressort de ce qui précède que si l’interdiction de vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking sur la période de 2006 à 2013, et des seuls produits dangereux à compter de 2014, mise en oeuvre au sein du réseau de Stihl, ne figure pas expressément dans le contrat de distribution sélective, elle résulte directement de l’obligation de « mise en main » exigée par Stihl de la part de ses distributeurs. Cette obligation, imposée et contrôlée par Stihl, a été assimilée par ses distributeurs à une interdiction de facto de la vente sur Internet à laquelle ils se sont conformés, démontrant ainsi leur parfaite compréhension et leur acquiescement à la politique commerciale de leur fournisseur. Partant, l’accord de volontés requis pour constater l’existence d’une entente est, en l’espèce, établi.
( )
218. L’obligation de « mise en main » lors d’un contact direct et l’interdiction de vendre sur Internet sont également imposées par Stihl lorsque le client est un professionnel. Il serait en effet impossible, selon elle, de distinguer les particuliers des professionnels, en l’absence, notamment, de registre officiel recensant les membres des professions utilisant des produits de motoculture.
219. Pourtant, cette distinction ne semble pas poser de problème particulier à ses concurrents. Ainsi, l’examen du contrat précité de Husqvarna révèle que le distributeur est exempté des obligations de conseil s’il peut prouver que « le client donné est un utilisateur qualifié et expérimenté des Produits concernés ». Ce seul exemple suffit à démontrer qu’il existe d’autres moyens que l’existence d’un registre officiel pour identifier les clients professionnels et les soustraire à l’exigence de « mise en main ».
220. En toute hypothèse, s’agissant de clients dont la profession consiste précisément à manier de manière habituelle les produits en cause, et qui ont été ou se sont formés à cette fin, il apparaît à tout le moins disproportionné, pour ne pas dire inutile, de leur imposer une prise de contact physique avec le revendeur pour l’achat de leur matériel.
221. En conclusion, si la nature de certains des produits concernés par l’interdiction peut justifier l’édiction de réglementations et d’obligations particulières, l’interdiction des ventes en ligne imposée par Stihl n’apparaît ni appropriée, ni proportionnée pour atteindre les objectifs de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage.
222. L’interdiction ainsi posée constitue, par conséquent, une restriction de concurrence dont il convient de déterminer le degré de nocivité, afin d’en déterminer la nature.
Sur la nocivité de la restriction de concurrence résultant de l’interdiction de vente sur Internet :
223. À titre liminaire, il convient de rappeler que les juridictions européennes comme nationales considèrent que l’interdiction de vente sur Internet au sein d’un réseau de distribution sélective est susceptible de constituer une restriction de concurrence par objet, en ce qu’elle réduit la possibilité des distributeurs de vendre des produits aux clients situés hors de leur zone d’activité, limite le choix des acheteurs finaux désireux d’acheter sans se déplacer et restreint, par voie de conséquence, la concurrence dans le secteur considéré (voir en ce sens, notamment, arrêt de la Cour de justice de l’Union du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09 ; décision de l’Autorité de la concurrence n°12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma, paragraphe 70, arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2013, société Pierre Fabre Dermo-cosmétique, n° 2008/23812, page 10).
224. C’est donc au regard de ces considérations et des critères permettant d’apprécier la nocivité du comportement incriminé, qu’il convient d’analyser la pratique faisant l’objet du premier grief. La teneur et les objectifs de la pratique en cause
225. Ainsi qu’il a été exposé ci-avant, la pratique découlant des dispositions du contrat de distribution sélective de Stihl doit être assimilée à une interdiction de facto de la vente en ligne sur les sites Internet de ses distributeurs agréés, interdiction appliquée à tous les produits de 2006 à 2014, et aux seuls produits dits dangereux de 2014 à la date de la notification de griefs.
226. Il ressort des déclarations et courriers émanant de Stihl que l’objectif poursuivi par cette entreprise était de soumettre un ensemble de produits, théoriquement disponibles à la vente sur Internet, à des conditions de livraison strictement encadrées sur tout ou partie de la période considérée.
227. Stihl soutient, dans ses observations, que son action favoriserait le développement des ventes à distance et la concurrence intra-marque. Elle souligne, en outre, la différence entre sa politique de vente sur Internet et celle sanctionnée dans l’affaire Pierre Fabre précitée, qui ne permettait même pas aux clients de consulter les prix en ligne. Selon elle, la consultation de sites Internet de ses distributeurs permet au contraire de constater qu’il existe une transparence sur les prix des produits Stihl, laquelle se traduirait par des promotions sur certains sites, preuve d’une forte concurrence intra-marque.
228. Sur ces différents points, il convient tout d’abord de rappeler que du point de vue des distributeurs, la possibilité qu’un produit soit vendu en ligne perd tout intérêt s’ils subissent, par ailleurs, des contraintes par trop restrictives en contrepartie de cette faculté.
229. En l’espèce, l’obligation faite au distributeur de livrer lui-même le produit lui impose de mobiliser d’importants moyens humains, matériels et logistiques et ce d’autant plus que le lieu de livraison est éloigné de son point de vente physique. Dès lors, la zone de livraison envisageable du revendeur n’a pas vocation à excéder sa zone de chalandise physique. L’investissement dans de tels moyens paraît d’autant plus disproportionné que les produits concernés par l’interdiction de la livraison par un tiers constituent soit toute la gamme de produits de marque Stihl et Viking, soit les produits phares du fabricant, et que cet investissement doit nécessairement se faire en même temps que le lancement du site Internet du distributeur.
230. En conséquence, les distributeurs ont en l’espèce soit renoncé à proposer les produits Stihl sur Internet, soit supprimé la possibilité de réaliser une transaction en ligne, soit enfin adhéré à la plate-forme SOP spécialement conçue par le fournisseur et nécessairement conforme, de ce fait, à sa politique commerciale.
231. S’agissant des consommateurs, l’intérêt d’Internet réside tout d’abord dans la possibilité de mettre en concurrence les distributeurs d’une même marque pour choisir celui présentant le meilleur prix. En outre, la vente sur Internet permet d’obtenir des produits non disponibles chez les distributeurs de la zone de chalandise physique auquel appartient le consommateur. Enfin, l’achat en ligne offre la possibilité de bénéficier d’une livraison à domicile ou en tout autre lieu.
232. L’obligation pour le consommateur de retirer le produit dans le magasin du revendeur – sauf hypothèse, très théorique, d’une livraison à domicile par le revendeur ou l’un de ses employés – réduit quasiment à néant ces avantages. En effet, pouvoir comparer des prix et des produits disponibles en ligne n’a plus d’intérêt pour le consommateur dès lors qu’il est contraint d’aller au-delà de la zone au sein de laquelle il est normalement prêt à se déplacer pour effectuer un achat. Dans ces circonstances, il devient plus rationnel pour le consommateur d’acheter le produit dans un magasin proche du lieu où il se trouve que d’effectuer un achat en ligne.
233. Ce constat est corroboré par certains éléments au dossier qui montrent que les consommateurs ont tendance à renoncer à un achat dès lors qu’ils ne peuvent être livrés (cote 2263). En témoigne, notamment, la chute brutale de la vente sur Internet de tronçonneuses chez l’un des distributeurs les plus actifs sur Internet après l’application des consignes de Stihl (cote 1174 et paragraphe 73).
234. Dans ces conditions, si les prix sont effectivement libres et affichés sur Internet, leur comparaison est peu utile dès lors que les magasins sont situés sur des marchés géographiques différents et que l’utilisateur, qui doit retirer son produit en magasin, ne peut donc pas faire jouer la concurrence entre les différents points de vente, le coût de transport étant susceptible d’égaler, voire d’excéder, l’éventuelle différence de prix entre les points de vente (paragraphe 169 de la notification de griefs).
235. Par ailleurs, les déclarations des distributeurs attestent du fait que la vente sur Internet, permettant une livraison à distance, stimule la concurrence intra-marque et inter-marque et qu’au contraire l’interdiction de vente en ligne freine les baisses des prix, au détriment des utilisateurs (voir paragraphes 82 à 84 de la notification de griefs). De plus, la vente sur Internet engendrant une augmentation des ventes, le distributeur peut obtenir de meilleures conditions d’achat auprès de son fournisseur et les répercuter dans son prix de vente à l’utilisateur final, stimulant ainsi la concurrence intra-marque et inter-marque (cote 2046). Il n’est pas indifférent, à cet égard, de relever que les prix des machines Stihl vendues sur Internet étaient jusqu’à 10 % inférieurs (cote 1173) à ceux des machines vendues en magasin.
236. Plusieurs déclarations émanant de distributeurs témoignent au demeurant de ce que Stihl s’efforce de contrôler le prix des ventes en ligne.
237. Ainsi, le représentant de Nicolas Espaces verts a-t-il déclaré : « j’ai rencontré des problèmes aussi avec STIHL. Mes prix de vente sur Internet étaient jugés trop bas par ce fournisseur » (cote 2262). De même, Motoculture Jean a indiqué “lorsque les prix indiqués sur le site sont inférieurs au prix fournisseur (STIHL, HUSQVARNA notamment), ils nous envoient un mail pour nous demander de les remonter et cela s’arrête là. Si je pouvais fixer moi-même mes prix de revente sur Internet, ils seraient inférieurs aux prix publics conseillés d’environ 10 % à 15 % en raison des économies que permet la distribution sur Internet ( )« (cotes 1716 et 1717). Dans le même sens, Dijon Motoculture relate que »Les fournisseurs font beaucoup pour brider la vente sur Internet. STIHL, par exemple, veut tout encadrer. Il impose les prix de vente Internet et encadre la vente avec sa plate-forme STIHL ONLINE, qui renvoie vers les magasins pour livraison” (cote 623).
238. Un distributeur indique même avoir « connu une fermeture de compte au printemps 2015 » et a ajouté “Ils [les représentants de Sithl] nous reprochent parfois le non-respect de la charte graphique, parfois le fait de vendre des outils tranchants considérés comme dangereux tels que les tronçonneuses, élagueuses, débroussailleurs (…). En réalité, ils essaient de nous obliger à remonter nos prix de vente, jugés trop éloignés des prix publics conseillés. Cela nous a déjà été reproché verbalement par les représentants de la marque mais personne ne nous l’a encore écrit” (cote 870).
239. Ces déclarations sont corroborées par un courriel du directeur régional des ventes de Stihl qui rappelait à l’ordre l’un de ses distributeurs spécifiquement sur son niveau de prix, en ces termes : “je vous demande dès aujourd’hui de bien vouloir modifier l’ensemble des prix STIHL et VIKING sur votre site comme M. X… vous l’a demandé en appliquant les prix de nos hypothèses A B ou C. Nous vous laissons une semaine pour la mise en place. Si toutefois vous ne vous alignez pas, je serais chez vous le 16 décembre pour vous signifier l’arrêt total de toute collaboration grand compte entre nos sociétés” (cote 139).
Le contexte économique et juridique de la pratique en cause
240. La pratique incriminée concerne une part importante du marché, eu égard à la position de Stihl sur le marché général de la motoculture (18,6 %) et, plus particulièrement, sur les deux produits phares que sont les tronçonneuses et les débroussailleuses, où cette entreprise détient une part de marché respective de 57 % et 47,4 %.
241. Par ailleurs, si des distributeurs ont développé des sites Internet, les ventes à distance de produits Stihl depuis ces sites, qui sont souvent utilisés comme de simples vitrines commerciales, restent marginales. En effet, le respect de la politique commerciale de Stihl rend peu attractive l’ouverture d’un site Internet marchand pour les distributeurs, l’acheteur potentiel sur le site étant obligé de se rendre dans le point de vente physique. Or, l’intérêt du site marchand pour le distributeur réside dans la capacité à toucher une clientèle éloignée, qui ne se rendrait pas en magasin. De plus, les distributeurs ne sont pas des transporteurs professionnels et ne sont donc pas à même de réaliser des livraisons sur tout le territoire. Dès lors, la majorité des distributeurs des produits Stihl (70 % à 80 %) ne réalise pas de vente à distance en ligne et le développement de ce mode de commercialisation reste peu significatif.
242. S’agissant des consommateurs qui sont des acheteurs occasionnels des produits concernés, l’absence des revendeurs proposant des produits Stihl sur Internet nuit à leur identification et à leur comparaison et donc à la possibilité de faire jouer la concurrence entre les distributeurs, tant en termes de prix que de produits, notamment pour les produits les plus basiques comme les équipements de protection (gants, lunettes) ou les consommables tels que l’huile pour les moteurs, pour lesquels la concurrence en prix est la plus intense.
243. Au regard de l’ensemble de ces éléments, la pratique contestée limite incontestablement par sa teneur, ses objectifs et le contexte juridique et économique dans lequel elle s’insère, la concurrence par les prix, conduit à reconstituer les zones de chalandise physique, et réduit par conséquent la concurrence sur le marché considéré.
244. L’interdiction ainsi posée constitue partant, de par sa nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. Il convient toutefois d’examiner si elle peut bénéficier d’une exemption au titre des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du code de commerce » ;
1°/ ALORS QUE la notion de restriction de concurrence « par objet », qui doit être interprétée de manière stricte, ne peut être appliquée qu’à certaines pratiques collusoires entre entreprises révélant, en elles-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’elles visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire ; qu’en retenant que tel serait le cas, en l’espèce, de la clause d’un contrat de distribution sélective qui n’interdit pas la vente sur internet, mais l’autorise en encadrant les modalités de livraison de produits dangereux commercialisés par le biais d’un tel canal en imposant une « mise en main » par le distributeur lors de cette livraison quand, en l’absence d’expérience acquise permettant de caractériser sa nocivité à l’égard de la concurrence, un tel mécanisme avait fait l’objet de « discussions écrites et orales » entre le groupe Stihl et le Bundeskartellamt au cours des années 2013 à 2016 au terme desquelles l’autorité de concurrence allemande n’avait « vu aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité au droit de la concurrence allemande et/ou européen » (cf. § 118-119 de l’arrêt attaqué), ce qui contredisait que l’obligation de « mise en main » par le distributeur lors de la livraison présente un degré de nocivité suffisant rendant inutile l’examen de ses effets, la cour d’appel a méconnu le principe d’interprétation stricte de la notion de restriction de concurrence « par objet » et a ainsi violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
2°/ ALORS QU’ en affirmant que l’obligation de « mise en main » imposée aux distributeurs de la société Stihl aurait été « interprétée par la direction de la société Stihl ainsi que par les distributeurs agréés comme conduisant à interdire la vente sur internet et appliquée comme telle » pour les produits dangereux à partir de 2014 (§ 165 à 168 de l’arrêt attaqué), tout en constatant, par ailleurs, que « les captures d’écran réalisées sur les sites marchands de certains distributeurs agréés établissent qu’il est possible de commander des produits en ligne » et que « la vente d’une tronçonneuse Stihl est possible » (§ 182 et 183), et en relevant, de façon plus générale, que l’obligation de « mise en main » n’avait fait que restreindre les ventes sur internet (§ 171, 172, 173 et 182), la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’inféraient de ses propres constatations, en violation des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
3°/ ALORS, EN OUTRE, QUE le juge, tenu de motiver sa décision, ne peut statuer par voie de simple affirmation et doit viser et analyser les pièces sur lesquelles il se fonde pour affirmer l’existence d’un fait ; qu’en affirmant que l’obligation de « mise en main » imposée aux distributeurs aurait été « interprétée » et « appliquée » par la société Stihl et ses distributeurs agréés comme « conduisant à interdire la vente sur internet » des produits dangereux à partir de 2014, sans viser aucune pièce qui ferait état d’une telle interprétation ou application, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
4°/ ALORS QUE la notion de restriction de concurrence « par objet », qui doit être interprétée de manière stricte, ne peut être appliquée qu’à certaines pratiques collusoires entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire ; qu’en se fondant sur la présomption, contestée par les sociétés exposantes, que l’obligation de « mise en main » prévue par le contrat de distribution spécialisée de la société Stihl conduirait nécessairement à reconstituer des zones de chalandise physique et réduirait la concurrence par les prix, la cour d’appel a, en l’absence d’expérience acquise, méconnu le principe d’interprétation stricte de la notion de restriction de concurrence « par objet » et a ainsi violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
5°/ ALORS QUE pour déterminer si un type de coordination entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour constituer une restriction de concurrence « par objet », il convient de tenir compte de l’expérience acquise ; que le fait que d’autres autorités de concurrence aient examiné une pratique sans formuler aucune objection à son encontre exclut que cette pratique puisse être considérée comme présentant, par nature, un degré suffisant de nocivité pour que l’examen de ses effets ne soit pas nécessaire, peu important que ces autres autorités ne soient pas compétentes pour prendre une décision négative ; que la cour d’appel a constaté que « les autorités de concurrence allemande, suédoise et suisse ont relevé en l’état de leurs investigations, l’absence d’indices les incitant à poursuivre l’enquête préalable ouverte par leurs services » (cf. § 117 de l’arrêt attaqué) ; qu’en refusant néanmoins de tenir compte de la position adoptée par ces autres autorités, motif pris qu’elles n’étaient pas compétentes pour prendre une décision négative, la cour d’appel a violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
6°/ ALORS QUE la cour d’appel a constaté que l’élaboration du dispositif contractuel de la société Stihl avait fait l’objet de « discussions écrites et orales » entre le groupe Stihl et le Bundeskartellamt au cours des années 2013 à 2016 (§ 118 et s. de l’arrêt attaqué) et qu’au terme de ces échanges, l’autorité de concurrence allemande n’avait « vu aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité au droit de la concurrence allemande et/ou européen » (§ 119) et avait ainsi « décidé de ne pas intervenir, au sens de l’article 5 du règlement n°1/203 » (§ 120) ; qu’elle a également relevé que le Bundeskartellamt avait indiqué qu’il « continuerait à observer le fonctionnement du système de distribution en pratique, mais qu’en aucun cas il n’imposera[it] une amende à raison des restrictions en question » (§ 119) ; qu’en retenant néanmoins, pour refuser de tenir compte, au titre de l’expérience acquise, de la position clairement adoptée par cette autorité de concurrence qu’ « il ne [pouvait] en être déduit que ces éléments étaient identiques à ceux que l’Autorité a recueillis au terme de la procédure d’instruction ouverte sur saisine d’office », cependant qu’il n’était pas contesté que le dispositif contractuel en vigueur en France était identique à celui qui avait été soumis au Bundeskartellamt, la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
7°/ ALORS QUE pour apprécier si un type de coordination entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour constituer une restriction de concurrence « par objet », il convient notamment de s’attacher aux objectifs qu’il vise à atteindre ; que la cour d’appel a constaté que les sociétés du groupe Stihl avaient « rapidement entrepris une refonte de leur dispositif contractuel dès que l’incertitude a été levée par la Cour de justice concernant les principes applicables aux ventes en ligne au sein des réseaux de distribution sélective, et avoir obtenu le concours d’une autorité nationale de concurrence en vue de satisfaire les exigences de l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, ( ), et, de manière plus générale, les règles de concurrence » (§ 363 de l’arrêt attaqué ; v. également § 118-119) ; que cette coopération avec une autorité nationale en vue de satisfaire les règles de la concurrence impliquait que l’obligation de « mise en main » imposée par les contrats de la société Stihl lors de la livraison de produits dangereux achetés sur internet n’avait pas pour objectif de restreindre la concurrence ; qu’en jugeant pourtant que ce mécanisme serait constitutif d’une restriction de concurrence « par objet », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a ainsi violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
8°/ ALORS QUE pour apprécier si un type de coordination entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour constituer une restriction de concurrence « par objet », il faut notamment s’attacher au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, ce qui suppose de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question ; que, devant la cour d’appel, les sociétés exposantes faisaient valoir que tant le contexte économique, et en particulier l’existence d’une forte concurrence inter et intra-marque et la part résiduelle de la vente sur internet, que le contexte juridique, tenant à la persistance d’une incertitude juridique concernant la vente en ligne de produits dangereux dans un réseau de distribution sélective et aux exigences de protection de la santé et de la sécurité des utilisateurs de tels produits, excluaient que l’obligation de « mise en main » prévue par leurs contrats de distribution sélective en cas de vente sur internet de produits dangereux puisse être considérée comme une restriction de concurrence « par objet » (§ 215 à 242 de leur mémoire récapitulatif) ; que la cour d’appel a admis qu’il fallait prendre en compte ce contexte économique et juridique pour apprécier si la pratique litigieuse présentait un degré suffisant de nocivité pour être considérée comme une restriction de concurrence « par objet », mais n’a nullement procédé à l’analyse de ce contexte ; que ce faisant, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
9°/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE les restrictions de concurrence peuvent échapper à la prohibition prévue par l’article 101 § 1 du TFUE si elles poursuivent de manière proportionnée un objectif légitime de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage ; que cette exigence de proportionnalité est satisfaite lorsque l’interdiction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ; que si le vendeur d’un produit dangereux est dispensé de mettre en garde les acheteurs qui, par leur expérience, disposent des compétences techniques requises pour l’utilisation du produit, c’est à la condition qu’il puisse s’assurer de ces compétences ; que, comme le faisaient valoir les sociétés exposantes, une telle vérification est impossible pour la vente de produits de motoculture, en l’absence de tout registre et de tout élément objectif permettant d’attester les compétences de l’acheteur ; qu’en retenant que l’obligation de « mise en main », en ce qu’elle s’applique indifféremment aux profanes et aux professionnels, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité des professionnels, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l’impossibilité pour les distributeurs de s’assurer des compétences techniques des clients ne faisait pas obstacle à la dispense de cette obligation de « mise en main » à l’égard des clients professionnels, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ensemble l’article 1147 du code civil ;
10°/ ALORS QU’ une clause restreignant les ventes sur internet doit être considérée comme poursuivant un objectif légitime de sécurisation de l’utilisation du produit si elle est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu’une telle nécessité ne peut être écartée que si d’autres moyens moins attentatoires au libre jeu de la concurrence auraient permis d’atteindre l’objectif poursuivi ; que pour juger que l’obligation pour le distributeur d’exécuter personnellement l’obligation de « mise en main » des machines dangereuses serait excessive, la cour d’appel a retenu que cette « mise en main » pouvait être faite par un sous-traitant sans augmentation significative des coûts pour l’acheteur ; qu’en ne recherchant pas si une telle sous-traitance, qui reposerait par hypothèse sur une décision individuelle et volontaire des distributeurs, permettrait de pallier la restriction des ventes sur internet reprochée aux exposantes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
11°/ ALORS QU’ une clause restreignant les ventes sur internet doit être considérée comme poursuivant un objectif légitime de sécurisation de l’utilisation du produit si elle est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu’une telle nécessité ne peut être écartée que si d’autres moyens moins attentatoires au libre jeu de la concurrence auraient permis d’atteindre l’objectif poursuivi ; qu’en affirmant péremptoirement que l’objectif de sécurisation de l’usage du produit pourrait être atteint « par d’autres moyens, notamment au moyen d’une assistance à distance », sans expliquer en quoi ces autres moyens permettraient d’assurer une mise en garde effective des acheteurs sur la dangerosité des produits et les risques liés à leur utilisation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
12°/ ALORS QUE la cour d’appel a constaté que la société Husqvarna obligeait ses distributeurs « à assembler et tester chaque produit et à fournir au client des explications et une démonstration du fonctionnement du produit avant livraison » (§ 228 et 229 de l’arrêt attaqué) et leur imposait « des contraintes similaires » à celles de la société Stihl (§ 231 et 232) ; qu’il en résultait que l’assistance en ligne « proposée » par cette société n’était qu’un moyen d’information complémentaire, ne remplaçant pas l’exigence d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur lors de la livraison ; qu’en relevant pourtant que la société Husqvarna proposait une formation sur internet pour juger que l’objectif de sécurisation du produit pourrait être atteinte au moyen d’une assistance en ligne, la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
13°/ ALORS QUE les risques d’accidents liés à l’utilisation d’une machine dangereuse sont nécessairement réduits si des consignes de sécurité et d’utilisation sont fournies oralement à l’acheteur dans le cadre d’une démonstration physique du produit ; que le principe de prévention des risques, qui commande de prendre toutes mesures appropriées en vue de prévenir les risques potentiels pour la santé et la sécurité, recommande donc une telle démonstration, quand bien même le lien entre l’absence de démonstration physique et la survenance d’accidents ne serait pas établi avec certitude ; qu’en relevant toutefois, pour juger qu’un contact physique entre le distributeur et l’acheteur ne serait pas nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurisation de l’usage du produit, qu’ « aucun élément de la procédure n’établit que les accidents recensés sont plus fréquents lorsque l’utilisateur n’a pas bénéficié d’une démonstration physique du produit en magasin », la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et a ainsi violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (exemption individuelle)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande des sociétés Andreas Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG tendant à la réformation de l’article 1er de la décision de l’Autorité de la concurrence n°18-D-23 du 24 octobre 2018 ayant dit que ces sociétés ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en restreignant les ventes à distance sur internet depuis les sites internet de leurs distributeurs agréés dans le cadre du réseau de distribution sélective entre le 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017, et de n’avoir en conséquence réformé que partiellement l’article 3 de cette décision ayant infligé une sanction pécuniaire aux sociétés Andreas Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG et les articles 4 à 7 faisant différentes injonctions à la société Andreas Stihl ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « s’agissant du bénéfice d’une exemption individuelle :
( )
303. La cour rappelle que le bénéfice d’une exemption individuelle nécessite de satisfaire les conditions fixées aux articles L. 420-4 I 2° du code de commerce et 101, paragraphe 3, du TFUE.
304. En application de ces dispositions, quatre critères cumulatifs doivent ainsi être satisfaits : la réalité du progrès économique engendré par la pratique en cause, son caractère indispensable et adapté, l’existence d’un bénéfice pour les consommateurs et l’absence d’élimination de toute concurrence.
305. Concernant l’existence de gains d’efficacité engendrés par l’interdiction de la vente à distance et le caractère indispensable de cette restriction, force est de constater, à l’instar de la décision attaquée (§ 254 et suivants), que les distributeurs spécialisés peuvent être en mesure de fournir des services mieux adaptés aux besoins des clients, de sorte que la délivrance de conseils personnalisés lors de l’achat et la mise en main du produit pourraient constituer un tel gain au sens des dispositions précitées .
306. Néanmoins pour satisfaire cette condition, encore faut-il que ces gains soient propres à l’accord en cause, ce qui implique d’évaluer le caractère indispensable de l’accord afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’autres moyens économiquement réalisables et moins restrictifs permettant de les réaliser.
307. Or, comme l’a relevé l’Autorité, au paragraphe 258 de la décision attaquée, si le conseil personnalisé au moment de l’achat permet en principe de s’assurer que la machine est adaptée à la condition physique de celui qui souhaite l’acquérir (poids, volume, niveau de vibration), les caractéristiques du produit peuvent figurer en ligne, de sorte que l’utilisateur est en mesure d’apprécier si la machine n’est pas trop lourde ou trop encombrante pour sa morphologie ou l’usage qu’il compte en faire. L’Autorité en a justement déduit que, si le conseil du revendeur peut être utile, il n’est pas absolument nécessaire. La cour ajoute que ce constat est particulièrement flagrant lorsque l’acheteur est un professionnel ou un particulier ayant déjà possédé un produit de la même gamme.
308. La cour adopte également les motifs du paragraphe 259 de la décision attaquée, qui conclut que le revendeur peut, certes, effectuer une démonstration du fonctionnement de la machine, si le client le souhaite, et donner des consignes de sécurité et d’utilisation, mais constate également que ces consignes sont les mêmes que celles qui figurent dans la notice d’instructions qui accompagne nécessairement la machine, de sorte que le seul avantage présenté par l’obligation litigieuse est l’assurance que l’acheteur entendra les consignes de sécurité. Or, il convient à nouveau de constater qu’aucun des éléments versés aux débats n’établit que les utilisateurs qui n’ont pas eu de contact direct avec leur vendeur seraient plus sujets à des accidents que ceux qui ont eu un tel contact préalable.
309. La cour renvoie en outre aux développements du paragraphe 276 du présent arrêt, qui mettent en évidence que des outils d’assistance à la prise en main adaptés à internet sont susceptibles d’être mobilisés, comme les animations, les vidéos ou encore les services de visio-assistance en ligne, permettant d’atteindre le même objectif par des moyens économiquement et techniquement réalisables, moins restrictifs de concurrence.
310. Il convient d’ajouter que la remise d’une machine montée et vérifiée, présentée par les sociétés requérantes comme un gain d’efficacité supplémentaire, peut être réalisée lors de l’expédition du produit et/ou de sa livraison sans nécessairement requérir l’intervention du distributeur à l’origine de la vente au domicile du client, de même que l’amélioration technique des produits de la gamme peut s’opérer au moyen d’un questionnaire en ligne sans qu’il soit indispensable que le revendeur procède lui-même à l’évaluation des attentes des clients lors de la remise du produit en magasin.
311. En outre, ainsi que l’a justement retenu la décision attaquée, la restriction de concurrence litigieuse prive les consommateurs et les distributeurs de presque tous les avantages de la vente en ligne, reconstitue les zones de chalandise physiques et limite la concurrence intra-marque, ainsi qu’il a été rappelé aux paragraphes 168 et suivants du présent arrêt.
312. Par suite, la condition relative aux gains d’efficacité engendrés par la restriction et à son caractère indispensable n’étant pas satisfaite, il n’y a pas lieu, compte tenu du caractère cumulatif des conditions d’octroi d’une exemption individuelle, d’examiner si les autres conditions le sont. C’est donc à juste titre que l’Autorité a dit que les sociétés requérantes ne pouvaient, par conséquent, bénéficier d’une telle exemption.
313. La demande présentée par les sociétés requérantes à ce titre est rejetée » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur l’octroi d’une exemption individuelle :
( )
251. L’article L. 420-4 du code de commerce dispose que :
« ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : ( ) 2° Dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès”.
252. L’article 101, paragraphe 3, TFUE prévoit quant à lui que :
« 3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises, à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence”.
253. Les conditions ainsi posées à l’octroi d’une exemption individuelle sont donc cumulatives et il convient, en l’espèce, d’en vérifier le respect.
254. S’agissant de l’existence de gains d’efficacité engendrés par l’interdiction de la vente à distance et le caractère indispensable de cette restriction, Stihl a indiqué que l’interdiction de la vente à distance serait justifiée par le fait que seule une mise en main lors d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur permettrait, compte tenu de la supériorité incontestable de la communication verbale en termes de compréhension, de s’assurer que ce dernier a reçu et assimilé tous les conseils personnalisés et adaptés et les informations requises pour pouvoir utiliser la machine sans mettre en péril sa sécurité.
255. Les lignes directrices concernant l’application de l’article 81 [devenu 101], paragraphe 3 (ci-après « les lignes directrices ») précisent que « les accords de distribution peuvent également entraîner des gains d’efficacité qualitatifs. Par exemple, les distributeurs spécialisés peuvent être en mesure de fournir des services mieux adaptés aux besoins des clients » (point 72). En cela, la délivrance d’un conseil lors de l’achat pourrait constituer un gain d’efficacité qualitatif au sens de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE.
256. Néanmoins, ces mêmes lignes directrices précisent également que l’article 101, paragraphe 3, du TFUE « exige que les gains d’efficacité soient propres à l’accord en cause, autrement dit qu’il n’existe pas d’autre moyen économiquement réalisable et moins restrictif permettant de les réaliser » (point 75). Dans ce cadre, il convient de mettre en balance la restriction de concurrence avec le caractère indispensable de l’accord. Or, toujours selon les lignes directrices, « plus la solution est restrictive, plus le critère de la troisième condition est rigoureux. Il est fort peu probable que les restrictions interdites dans les règlements d’exemption par catégorie ou qualifiés de restrictions interdites dans les règlements d’exemption par catégorie ou qualifiées de restrictions caractérisées dans les lignes directrices et communication de la Commission soient jugées indispensables » (point 79).
257. Au cas présent, le gain représenté par le conseil personnalisé semble limité, alors que la restriction de concurrence s’avère particulièrement importante.
258. En effet, le conseil personnalisé au moment de l’achat permet en principe de s’assurer que la machine que l’utilisateur souhaite acheter est adaptée à sa condition physique (poids, volume, niveau de vibration). Toutefois, les caractéristiques de la machine peuvent figurer en ligne, de sorte que l’utilisateur peut savoir si la machine risque d’être trop lourde ou trop encombrante. Si le conseil du revendeur peut être utile, il n’est pas absolument nécessaire.
259. De plus, les obligations contractuelles du revendeur sont, en fait, assez limitées, le contrat de 2006 stipulant que la mise en main comprenait le « montage complet du matériel, explications de fonctionnement et précautions à prendre pour un usage dans des conditions de sécurité optimales » et celui de 2015 « Le Partenaire Commercial Spécialisé explique au client l’utilisation correcte et sécurisée conformément aux règles applicables ainsi que l’entretien que nécessitent les produits et informe les clients sur l’utilisation des équipements de sécurité. Par principe, le Partenaire Commercial Spécialisé remet les produits STIHL et VIKING prêts à fonctionner directement au client et il lui présente également en pratique le produit si le client le souhaite » (cote 3060, soulignement ajouté).
260. Le revendeur peut, certes, effectuer une démonstration du fonctionnement de la machine et donner des consignes de sécurité et d’utilisation. Toutefois, ces consignes sont les mêmes que celles qui figurent dans la notice d’instructions qui accompagne nécessairement la machine. En conséquence, le seul avantage présenté par l’obligation posée par Stihl est l’assurance que l’acheteur entendra les consignes de sécurité.
261. En outre, rien n’établit que les accidents dont Stihl fait état interviennent lors d’une première utilisation de la machine ou parce que la machine en cause était inadaptée. Au contraire, il ne peut être exclu que des accidents interviennent alors même que les utilisateurs, notamment des professionnels, ont une machine adaptée qu’ils utilisent régulièrement.
262. De même, rien n’indique que les utilisateurs qui n’ont pas eu de contact direct avec le revendeur seraient plus sujets à des accidents que ceux qui ont eu un tel contact préalable.
263. Au surplus, ce contact paraît superflu, dans la mesure où, ainsi qu’il a été démontré, il n’est pas imposé par les concurrents de Stihl, dont il n’est pas argué que leurs acheteurs connaissent un taux d’accident supérieur à celui des acheteurs de produits Stihl. Par ailleurs, là encore, rien n’indique que les acheteurs des GSB, qui n’assurent pas de « mise en main », aient connu un nombre d’accidents supérieur à ceux du réseau de revendeurs spécialisés.
264. À l’inverse, la restriction de concurrence est particulièrement importante, dès lors qu’elle prive les consommateurs et les revendeurs de presque tous les avantages de la vente en ligne, ainsi qu’il a été rappelé ci-avant aux paragraphes 225 et suivants.
265. La condition relative aux gains d’efficacité engendrés par la restriction et à son caractère indispensable n’étant, pour l’ensemble de ces motifs, pas remplie, il n’est pas nécessaire, compte tenu du caractère cumulatif des conditions d’octroi d’une exemption individuelle, d’examiner si les autres le sont. Stihl ne peut donc, par conséquent, bénéficier d’une telle exemption » ;
1°/ ALORS QU’ une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si son absence supprimait ou réduisait substantiellement les gains d’efficacité qu’elle génère ou rendait leur réalisation beaucoup plus improbable ; que pour juger qu’un conseil personnalisé au moment de l’achat d’une machine permettant de s’assurer de l’adaptation de cette machine à la condition physique de l’acheteur ne serait pas « absolument indispensable », la cour d’appel a relevé que les caractéristiques du produit figurant en ligne permettraient à l’utilisateur d’apprécier si la machine est adaptée à sa morphologie et à l’usage qu’il compte en faire et qu’il en irait d’autant plus ainsi lorsque l’acheteur est un professionnel ou un particulier ayant déjà possédé un produit de la gamme ; qu’en ne vérifiant pas, comme elle y était invitée, si la consultation d’un site internet, qui suppose une démarche spontanée et ne donne accès qu’à des informations standardisées, permettait de garantir efficacement une adaptation de la machine à la condition physique de l’acheteur, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un professionnel, et à l’utilisation projetée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ;
2°/ ALORS QU’ une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si son absence supprimait ou réduisait substantiellement les gains d’efficacité qu’elle génère ou rendait leur réalisation beaucoup plus improbable ; que les risques d’accidents liés à l’utilisation d’une machine dangereuse sont nécessairement réduits si des consignes de sécurité et d’utilisation sont fournies à l’utilisateur au moment de la remise du produit à l’utilisateur ; que le principe de prévention des risques, qui commande de prendre toutes mesures appropriées en vue de prévenir les risques potentiels pour la santé et la sécurité, recommande donc la fourniture de telles consignes, quand bien même le lien entre l’absence de consignes et la survenance d’accidents ne serait pas établi avec certitude ; que la cour d’appel a admis que, même si les consignes de sécurité et d’utilisation fournies par le distributeur dans le cadre d’un contact direct avec l’acheteur étaient les mêmes que celles figurant dans la notice d’instruction, un contact direct présentait l’avantage d’ « assur[er] que l’acheteur entendrait les consignes de sécurité » ; qu’en jugeant toutefois que ce contact direct ne serait pas indispensable, en ce qu’il ne serait « pas établi que les utilisateurs qui n’ont pas eu de contact direct avec leur vendeur seraient sujets à des accidents que ceux qui ont eu un tel contact préalable », la cour d’appel a statué par un motif inopérant, et a ainsi violé les articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ;
3°/ ALORS QU’ une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si son absence supprimait ou réduisait substantiellement les gains d’efficacité qu’elle génère ou rendait leur réalisation beaucoup plus improbable ; que les outils d’assistance en ligne mis à la disposition des acheteurs de machines dangereuses ne sont susceptibles d’assurer la sécurité des utilisateurs de ces produits que s’ils sont effectivement utilisés ; que ces outils ne permettent donc pas d’atteindre le même résultat qu’un contact direct avec l’acheteur qui, comme l’a constaté la cour d’appel, a pour avantage d’ « assur[er] que l’acheteur entendra les consignes de sécurité » ; qu’en affirmant le contraire, pour en déduire que ce contact direct ne serait pas indispensable, la cour d’appel a violé les articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ;
4°/ ALORS QU’ une pratique doit être considérée comme indispensable, au sens des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, si les gains d’efficacité qu’elle génère ne peuvent être atteints au moyen d’un autre type d’accord moins restrictif de concurrence ; qu’en jugeant que la « mise en main » des machines dangereuses ne serait pas indispensable pour permettre la remise à l’utilisateur une machine montée et vérifiée, dès lors que cet objectif pourrait être atteint sans requérir l’intervention du distributeur au domicile du client, sans rechercher si la remise de la machine montée et vérifiée par une autre personne que le distributeur, qui repose par hypothèse sur une décision individuelle et volontaire des distributeurs, permettrait de pallier la restriction de concurrence reprochée aux exposantes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE) (sanctions)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué de n’avoir réformé que partiellement l’article 3 de la décision de l’Autorité de la concurrence n°18-D-23 du 24 octobre 2018 relatif à la sanction pécuniaire et d’avoir infligé, au titre des pratiques visées à l’article 1er de cette décision, une sanction pécuniaire de 6 000 000 euros à la société Andreas Stihl, solidairement avec la société Stihl Holding AG & Co. KG ;
AUX MOTIFS QUE « sur la sanction :
314. L’Autorité a relevé, au paragraphe 301 de la décision attaquée, que l’interdiction de vente sur internet imposée par la société Stihl à ses distributeurs a été mise en oeuvre de 2006 à 2017, alors que le droit et la jurisprudence applicables en la matière n’ont été clairement fixés qu’à compter de l’arrêt de la Cour de justice Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité, qui a apporté d’importantes précisions sur la compatibilité des interdictions de vente sur internet avec l’article 101, paragraphe 1, du TFUE et la notion de restriction par objet. Elle a constaté que, jusqu’à cet arrêt, il subsistait une incertitude juridique sur la qualification des pratiques visant à interdire les ventes sur internet, dont il devait être tenu compte dans le calcul de la sanction, ce qui justifiait, dans les circonstances particulières de l’espèce, de déroger à l’application du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
315. Elle a par ailleurs fait application du troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, qui prévoit que “les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation individuelle de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du code de commerce] » et ajoute que ces sanctions « sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».
316. Renvoyant aux principes rappelés dans ses décisions n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques et n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma, l’Autorité a relevé que la pratique en cause, sans revêtir le degré de gravité d’une entente horizontale, est grave par nature, car elle a pour conséquence de fermer une voie de commercialisation au détriment des consommateurs et des distributeurs. Elle a toutefois relativisé la gravité de la pratique concernée et décidé d’une atténuation de la sanction, au vu de l’incertitude juridique qui a prévalu en la matière jusqu’à l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité (§ 303 à 308 de la décision attaquée).
317. Après avoir examiné l’ampleur de la pratique, la notoriété et la part de marché de la marque Stihl, les caractéristiques économiques du secteur et les conséquences conjoncturelles de l’infraction (§310 à 315 de la décision attaquée), elle a retenu que le marché n’a été affecté que de façon limitée, compte tenu du niveau modeste, à ce jour, des ventes en ligne propre à ce secteur. Elle en a déduit que la pratique a causé un dommage certain, mais limité à l’économie.
318. Tenant compte de ces éléments et du chiffre d’affaires de 3 791 800 000 euros réalisé par la société Stihl holding AG & Co.KG en 2017, l’Autorité a fixé la sanction à 7 000 000 d’euros.
A. S’agissant de l’incidence du principe de protection de la confiance légitime sur la sanction prononcée
( )
326. La cour rappelle qu’aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour de justice, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime appartient à tout justiciable dans le chef duquel une institution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à son égard des espérances fondées (CJUE, arrêts du 24 novembre 2005, Allemagne/Commission, C-506/03, point 58, du 18 juillet 2007, AER/Karatzoglou, C-213/06 P, point 33 et encore du 21 février 2018, Kreuzmayr, C-628/16, point 46).
327. Il est tout aussi constant que des renseignements précis, inconditionnels et concordants constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués (CJUE, arrêts du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C-47/07 P, points 34 et 81, et du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen P./Commission, C-537/08 P, point 63).
328. La Cour de justice a par ailleurs rappelé que « les autorités nationales de concurrence peuvent exceptionnellement décider de ne pas infliger une amende alors même qu’une entreprise a violé de propos délibéré ou par négligence l’article 101 TFUE. Tel peut notamment être le cas lorsqu’un principe général du droit de l’Union, tel que le principe de protection de la confiance légitime, s’oppose à l’infliction d’une amende » (CJUE, arrêt Schenker & Co. e.a., précité, point 40).
329. L’application de ce principe suppose toutefois que les conditions en soient réunies.
330. L’analyse de la jurisprudence européenne révèle que la confiance légitime est encadrée par trois conditions :
— les assurances fournies par l’administration doivent être précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables ;
— ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent ;
— les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (TUE, arrêt du 6 juillet 1999, Forvass/Commission, T-203/97, point 70).
331. Comme il a été dit au paragraphe 112 du présent arrêt, les éléments versés aux débats ne révèlent aucune décision adoptée par la Commission concernant les dispositions du contrat de distribution de la société Stihl et, ainsi que l’a rappelé la cour dans les développements consacrés à l’incidence des appréciations portées sur le contrat de distribution sélective par d’autres autorités nationales de concurrence au stade de la qualification de la pratique, les autorités nationale de concurrence « ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de l’article 101 TFUE » (CJUE, arrêts précités Tele2 Polska, points 19 à 30, et Schenker & Co. e.a., point 42).
332. Or, ainsi que l’a jugé la Cour de justice dans l’arrêt Schenker & Co. e.a., précité (points 41 et 42), « nul ne peut invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration compétente (voir arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna, C-221/09, (…) point 72, et du 14 mars 2013, Agrargenossenschaft Neuzelle, C-545/11, point 25) » et, par suite, “dès lors que [les autorités nationales de concurrence] ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de l’article 101 TFUE (arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska, C-375/09,(…) points 19 à 30), elles ne peuvent pas faire naître dans le chef des entreprises une confiance légitime de ce que leur comportement n’enfreint pas ladite disposition”.
333. En conséquence « aucune source autorisée » n’a validé, en l’espèce, le dispositif litigieux en écartant toute violation de l’article 101 du TFUE, de sorte que les conditions cumulatives requises pour appliquer la protection du principe de confiance légitime ne sont pas satisfaites.
334. La cour renvoie également aux paragraphes 117 et suivants du présent arrêt, qui ont précisément analysé les trois documents invoqués par les sociétés requérantes, dont il ressort que les autorités nationales de concurrence concernées par ces documents ont relevé, en l’état de leurs investigations, l’absence d’indices les incitant à poursuivre l’enquête préalable ouverte par leurs services ou à ouvrir une procédure formelle en manquement, sans pour autant que ces pièces traduisent l’existence d’une position concordante concernant l’absence certaine de restriction de concurrence résultant des clauses contractuelles litigieuses.
335. Il ne saurait donc être déduit aucune divergence d’application du droit de l’Union entre :
— d’une part, la décision attaquée, prise au terme d’une procédure d’investigation complète, sanctionnant une pratique ayant occasionné un « dommage certain mais limité à l’économie » et
— d’autre part, l’appréciation d’autres autorités nationales de concurrence membres de l’Union européenne (en l’espèce, les autorités de concurrence suédoise et allemande), intervenant pour l’une après clôture d’une enquête préalable, en considération de « la politique de priorité de ladite autorité » et au regard de l’absence « d’indices suffisants permettant d’établir que le problème soulevé a un tel impact sur la concurrence et les consommateurs » pour que l’autorité de concurrence suédoise « examine la demande plus en détail dans le cadre d’une enquête approfondie » (pièce n° 4 des sociétés requérantes), pour l’autre à l’occasion de simples contacts entre les représentants de l’entreprise et l’autorité de concurrence allemande, au terme desquels cette autorité « n’a vu aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité » (pièce n° 78 des sociétés requérantes).
336. Il est en outre, à nouveau, rappelé que la référence à l’autorité de concurrence suisse n’est pas pertinente concernant l’application du droit de l’Union.
337. La cour ajoute que la jurisprudence de la Cour de justice rappelle avec constance que la Commission peut seule constater, par voie de décision, que les articles 101 et 102 du TFUE sont inapplicables afin, précisément, de garantir une application cohérente des règles de concurrence.
338. La cour relève, à titre surabondant, que l’autorité de concurrence suédoise a indiqué que « la décision du Konkurrensverket à ne pas poursuivre l’instruction de ce dossier ne signifie pas une prise de position visant à savoir si la pratique est contraire aux règles de concurrence » (pièce n° 4 des sociétés requérantes), que l’autorité de concurrence suisse a pour sa part précisé que « si le Secrétariat devait obtenir des indications du marché révélant un comportement anticoncurrentiel de la part de STIHL le Secrétariat se réserverait le droit de rouvrir l’enquête préalable » (pièce n° 3 des sociétés requérantes), tandis que l’autorité de concurrence allemande, le Bundeskartellamt, se borne à indiquer « qu’en aucun cas il n’imposera une amende à raison des restrictions en question » (pièce n° 78 des sociétés requérantes, soulignement ajouté par la cour).
339. En l’absence de décision de la Commission, le fait que d’autres autorités nationales de concurrence se soient abstenues de poursuivre leurs investigations relatives à un éventuel manquement, comme le fait qu’elles aient été sollicitées lors de l’élaboration du nouveau contrat de distribution sélective devant être mis en oeuvre sur leur territoire, ne sauraient, par définition, être assimilés à des « renseignements précis, inconditionnels et concordants » fournis aux intéressées quant à la conformité du « Contrat de Distribution Spécialisée » litigieux à l’article 101 du TFUE.
340. Il suit de là que les choix opérés par les autres autorités nationales de concurrence ne sauraient justifier l’exclusion du prononcé de toute sanction pour la pratique mise en oeuvre au sein du réseau Stihl France de 2014 à 2017. Le fait que l’autorité de concurrence allemande n’ait vu « aucune raison d’engager une procédure formelle pour non-conformité au droit de la concurrence allemand et/ou européen » (pièce n° 78 des sociétés requérantes) est indifférent eu égard à la compétence dévolue à la Commission et aux principes issus de la jurisprudence précitée, applicable à la cause.
341. La cour constate encore, à titre surabondant, qu’il ne ressort pas de la procédure que l’autorité de concurrence allemande ait enjoint « aux représentants de la société Stihl » d’adopter le dispositif litigieux ni que l’autorité de concurrence française a été associée à l’élaboration de ce contrat.
342. Le moyen tiré du principe de protection de la confiance légitime est, en conséquence, rejeté.
B. S’agissant de la proportionnalité de la sanction prononcée
( )
351. Pour apprécier la proportionnalité de la sanction infligée, et ainsi que l’y invitent les requérantes, la cour examinera successivement si l’incertitude juridique a été prise en compte dans sa juste mesure dans la décision attaquée et si le montant de la sanction doit être réformé en considération de la gravité de la pratique et du dommage à l’économie qu’elle a occasionné.
1. Concernant la prise en compte de l’incertitude juridique
352. La cour constate, à l’instar de l’Autorité au paragraphe 301 de la décision attaquée, que la pratique sanctionnée a été mise en oeuvre de 2006 à 2017, cependant que le droit et la jurisprudence applicables aux restrictions de vente sur internet dans le cadre des réseaux de distribution sélective n’étaient pas clairement fixés avant l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité, rendu par la Cour de justice le 13 octobre 2011.
353. C’est donc à juste titre que l’Autorité a relevé que, jusqu’à cet arrêt, il a subsisté une incertitude juridique sur la qualification des pratiques visant à interdire les ventes sur internet, laquelle doit être prise en considération dans le calcul de la sanction.
354. Les circonstances particulières de l’espèce justifient ainsi, en premier lieu, comme l’a justement retenu l’Autorité aux paragraphes 300 à 302 de la décision attaquée, de déroger à l’application du communiqué sanctions de l’Autorité du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires et d’appliquer, sans cette grille d’analyse, les critères prévus par le troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, lequel prévoit que “les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation individuelle de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du code de commerce]« et »sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction”.
355. L’incertitude, qui a couvert la période de 2006 à 2011, doit, en second lieu, être prise en compte dans l’appréciation de la gravité du comportement sanctionné, même si elle ne justifie pas d’affranchir les sociétés requérantes de toute sanction.
356. A cet égard, la cour observe que, dans l’arrêt Schenker & Co. e.a., précité, la Cour de justice, saisie de la question de savoir « si l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une entreprise ayant enfreint cette disposition peut échapper à l’infliction d’une amende lorsque ladite infraction a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat ou de celle d’une décision d’une autorité nationale de concurrence » (point 33), a estimé qu’une sanction est susceptible d’être prononcée “dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, (…) point 45 ; du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, (…) point 107, ainsi que du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 P, (…) point 124)” (point 37).
357. En réponse à la question posée, la Cour de justice a retenu, à la suite des motifs qui ont été précédemment exposés tirés de la compétence dévolue à la Commission, que « l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une entreprise ayant enfreint cette disposition ne peut pas échapper à l’infliction d’une amende lorsque ladite infraction a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat ou de celle d’une décision d’une autorité nationale de concurrence » (point 43).
358. Il suit de là que les sociétés requérantes ne peuvent échapper à toute sanction en se fondant sur les circonstances particulières de l’espèce, en particulier le positionnement d’autres autorités nationales de concurrence. L’incertitude juridique qui a couvert une partie de la période concernée par l’infraction doit en revanche être prise en compte lors de l’appréciation de la gravité de la pratique et du comportement des sociétés requérantes.
2. Concernant la gravité de la pratique
359. Par de juste motifs, l’Autorité a établi, aux paragraphes 303 à 308 de la décision attaquée, que la pratique en cause revêt un caractère certain de gravité, en ce qu’elle tend en particulier à cloisonner les marchés et à priver les consommateurs d’un canal de distribution, tout en relevant que l’incertitude juridique qui a prévalu en la matière jusqu’à l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité, doit être prise en compte « dans le sens d’une atténuation, dans l’appréciation de la gravité de la pratique incriminée ».
360. La cour relève toutefois que les sociétés requérantes justifient également devant la cour, par leur pièce n° 78 en date du 20 novembre 2018, courriel dont le contenu est décrit au paragraphe 118 du présent arrêt, avoir entrepris avant toute poursuite la refonte de leur dispositif contractuel pour tirer les enseignements de l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité, ce qui a conduit à l’abandon, à compter du nouveau contrat 2014, de l’interdiction générale des ventes sur internet qui était jusqu’alors appliquée au sein du réseau dans le contexte d’incertitude juridique précité. De sorte que, tout en conservant sa nature de restriction par objet, la gravité de cette pratique s’en est trouvée amoindrie à compter de 2014, ce que l’Autorité n’a pas pris en compte au stade de l’appréciation de la gravité de la pratique.
361. Par ce courriel, les services du Bundeskartellamt font état de l’existence de « discussions écrites et orales entre Stihl et la 5e Division décisionnelle de l’Office Fédéral des cartels (Bundeskartellamt) au cours des années 2013 à 2016 » concernant « l’obligation incombant aux distributeurs agréés de mettre en garde personnellement leurs clients lors de la remise d’un équipement particulièrement dangereux, ainsi que la limitation corrélative d’expédier de tels équipements ».
362. L’autorité de concurrence allemande y confirme que, « lors de ces échanges, Stihl a tenu compte à plusieurs reprises des appréciations critiques et des indications de l’Office Fédéral des cartels (Bundeskartellamt) ».
363. Si cette pièce, établie le 20 novembre 2018, ne permet pas d’admettre que le Bundeskartellamt a apporté des « assurances précises, inconditionnelles et concordantes » permettant l’application du principe de protection de la confiance légitime, pour les motifs déjà exposés, en revanche elle justifie une réformation de la décision dans la mesure où les sociétés requérantes démontrent avoir rapidement entrepris une refonte de leur dispositif contractuel dès que l’incertitude a été levée par la Cour de justice concernant les principes applicables aux ventes en ligne au sein des réseaux de distribution sélective, et avoir obtenu le concours d’une autorité nationale de concurrence en vue de satisfaire les exigences de l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précité, et, de manière plus générale, les règles de concurrence.
364. La cour ajoute que l’attache prise avec l’autorité de concurrence allemande a pu laisser penser aux sociétés requérantes que les réformes entreprises étaient suffisantes, ce qui a été conforté par l’attitude des autorités de concurrence suédoise et suisse, rappelée dans les développements qui précèdent. Si ces circonstances ne confèrent aucune impunité aux sociétés requérantes, elles doivent être prises en compte dans l’appréciation de la gravité de leur comportement.
365. Il est également constant que la décision attaquée, rendue le 24 octobre 2018, soit à une date antérieure, n’a pas été en mesure de tenir compte de cette pièce n° 78 lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction, ni des circonstances particulières de l’affaire, afin d’ajuster le montant de la sanction.
3. Concernant le dommage causé à l’économie
366. Il n’est pas contesté que la pratique sanctionnée a concerné l’ensemble du territoire national, ainsi que l’intégralité des distributeurs appartenant au réseau Stihl et que le marché de la motoculture dont il s’agit est d’une taille significative, comme l’a relevé l’Autorité, au paragraphe 310 de la décision attaquée, qui indique que la seule vente de détail du matériel de motoculture destiné à la tonte, au tronçonnage, à l’élagage et au débroussaillage représentait un chiffre d’affaires de 955 millions d’euros en 2015, dont près de 167 millions pour les seuls produits Stihl et Viking. Il est également établi par le rapport administratif et les annexes à la notification de griefs que, nonobstant la présence d’une cinquantaine de marques, la notoriété et la part de marché élevée de la marque Stihl en font le leader du marché.
367. L’Autorité a, de même, justement relativisé l’impact du dispositif sur les consommateurs finaux, eu égard à la relative densité du maillage territorial du réseau de distribution Stihl, qui comprend plus de 1 200 revendeurs (§ 311 de la décision attaquée) et pris en compte le fait que les points de vente sont pour la plupart multimarques, de sorte que les concurrents ne sont pas dépourvus d’accès aux réseaux de distribution et que le réseau Stihl est d’ores et déjà concurrencé par des opérateurs disposant de marques également connues.
368. Ainsi que l’Autorité l’a relevé aux paragraphes 313 à 316 de la décision attaquée, « le marché n’a été affecté que de façon limitée, compte tenu du niveau modeste, à ce jour, des ventes en ligne propre à ce secteur », étant à nouveau rappelé que la faible part des ventes réalisées sur internet n’est pas spécifique au réseau Stihl, comme l’expose plus amplement le paragraphe 267 du présent arrêt.
4. Concernant la sanction finale infligée
369. Il convient de rappeler que, conformément au troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, les sanctions « sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction », de sorte que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à comparer les sanctions infligées à d’autres entreprises lors d’autres affaires.
370. Il n’est pas contesté que la base de calcul du plafond légal est, au cas d’espèce, le chiffre d’affaires hors taxes mondial consolidé le plus élevé connu réalisé par la société Stihl Holding AG & Co. KG pendant la période de 2005 à 2017, lequel inclut le chiffre d’affaires de sa filiale française, la société Stihl.
371. Par suite, le montant maximal de la sanction ne peut dépasser 10 % du chiffre d’affaires de 3 791 800 000 euros réalisé par la société Stihl Holding AG & Co. KG en 2017, soit 379 180 000 euros.
372. Si la sanction de 7 000 000 d’euros infligée solidairement à la société Stihl, en tant qu’auteure de l’infraction, et à la société Stihl Holding AG & Co. KG, en qualité de société mère, n’excède pas le plafond précité et tient compte des ressources conséquentes de l’entreprise sanctionnée, il doit également être tenu compte du comportement des sociétés requérantes décrit au paragraphe 363 du présent arrêt et du fait qu’elles ont associé une autorité nationale de concurrence en vue de mettre en oeuvre un nouveau dispositif contractuel conforme aux règles de concurrence, élément qui n’a pas été pris en compte par la décision attaquée.
373. Eu égard au dommage à l’économie limité résultant de la faiblesse structurelle du poids des ventes en ligne dans le secteur de la motoculture sur la période de référence, à l’incertitude juridique constatée entre 2006 et 2011 et enfin aux éléments d’individualisation de la sanction décrits au paragraphe qui précède, il y a lieu de réduire la sanction infligée et d’en fixer son montant à la somme de 6 000 000 euros » ;
1°/ ALORS QUE le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dont il ressort qu’une autorité administrative, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées dont il ne peut être privé ; que la cour d’appel a constaté que les sociétés exposantes avaient entrepris une refonte de leur dispositif contractuel avec « le concours d’une autorité nationale de concurrence en vue de satisfaire les exigences de l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ( ) et, de manière plus générale, les règles de concurrence » et que « l’attache prise avec l’autorité de concurrence allemande a pu laisser penser [à ces dernières] que les réformes entreprises étaient suffisantes » (§ 362 et 363 de l’arrêt attaqué) ; qu’il en résultait que les sociétés exposantes avaient reçu d’une autorité de concurrence nationale une assurance précise, ayant fait naître chez elles une espérance légitime, que leur dispositif contractuel était conforme au droit de la concurrence ; qu’en jugeant toutefois, pour écarter le principe de protection de la confiance légitime, qu’ « en l’absence de décision de la Commission, le fait que d’autres autorités nationales de concurrence ( ) aient été sollicitées lors de l’élaboration du nouveau contrat de distribution sélective devant être mis en oeuvre sur leur territoire, ne saurai[t], par définition, être assimilé à des « renseignements précis, inconditionnels et concordants » fournis aux intéressées quant à la conformité du « Contrat de Distribution Spécialisée » litigieux à l’article 101 du TFUE », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé le principe de protection de la confiance légitime, ensemble les articles 101 § 1 et L. 420-1 du code de commerce ;
2°/ ALORS QUE le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dont il ressort qu’une autorité administrative, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées dont il ne peut être privé ; que sont susceptibles de faire naître de telles espérances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants émanant de sources autorisées et fiables ; que le fait qu’une autorité de concurrence communautaire ayant fait naître une espérance légitime chez un justiciable français n’ait pas enjoint à ce justiciable d’appliquer les renseignements qu’elle lui a fournis et n’ait pas associé l’autorité de la concurrence française à sa démarche n’est pas de nature à écarter l’application du principe de protection de la confiance légitime ; qu’en retenant néanmoins, pour juger que la participation de l’autorité de concurrence allemande à l’élaboration du nouveau contrat de distribution sélective de la société Stihl ne serait pas de nature à permettre aux sociétés exposantes de bénéficier du principe de protection de la confiance légitime, « qu’il ne ressort pas de la procédure que l’autorité de concurrence allemande ait enjoint « aux représentants de la société Stihl » d’adopter le dispositif litigieux ni que l’autorité de concurrence française a été associée à l’élaboration de ce contrat », la cour d’appel a statué par des motifs inopérants, et a ainsi violé le principe de protection de la confiance légitime, ensemble les articles 101 § 1 et L. 420-1 du code de commerce ;
3°/ ALORS QUE devant la cour d’appel, les sociétés exposantes faisaient valoir que, ainsi que l’avait admis l’Autorité de la concurrence dans la décision entreprise, l’incertitude juridique relative à la qualification de la pratique consistant à interdire la vente sur internet aux revendeurs d’un réseau de distribution sélective, ayant existé jusqu’à l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques du 13 octobre 2011, avait persisté pour la période postérieure concernant la vente sur internet de produits dangereux et que cette incertitude juridique pendant toute la période de la pratique sanctionnée devait conduire à ne leur infliger aucune amende (§ 491 à 493 de leur mémoire récapitulatif) ; qu’en se bornant à prendre en compte, dans l’appréciation de la gravité du comportement sanctionné, l’incertitude juridique ayant couvert la période de 2006 à 2011, sans rechercher si cette incertitude n’avait pas persisté, concernant les produits dangereux, pour la période postérieure à l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques du 13 octobre 2011, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 464-2 du code de commerce.