Inopposabilité d’une décision d’attribution de taux d’incapacité : enjeux de la communication des rapports médicaux et respect du principe du contradictoire.

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Inopposabilité d’une décision d’attribution de taux d’incapacité : enjeux de la communication des rapports médicaux et respect du principe du contradictoire.

Circonstances de l’Affaire

La SAS [7] a contesté la décision de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var, qui avait attribué un taux d’incapacité permanente partielle de 12% à sa salariée, Mme [O], suite à un accident du travail survenu le 2 septembre 2018. La société a demandé l’inopposabilité de cette décision.

Procédure Judiciaire

Après un rejet implicite de la commission médicale de recours amiable, la SAS [7] a saisi le tribunal compétent le 1er mars 2021. Le tribunal judiciaire d’Evry a rendu un jugement le 25 janvier 2022, déclarant le recours recevable et inopposable la décision de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var, tout en condamnant cette dernière aux dépens.

Appel de la Caisse Primaire

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var a interjeté appel le 16 février 2022, demandant à la cour d’infirmer le jugement et de confirmer l’opposabilité de la décision d’attribution de la rente à Mme [O]. Elle a également demandé la confirmation de la conformité du taux d’IPP de 12% au barème.

Demandes de la SAS [7]

La SAS [7] a demandé à la cour de confirmer le jugement attaqué et d’enjoindre la Caisse à communiquer le rapport médical. En cas de non-transmission, elle a sollicité la confirmation de l’inopposabilité de la décision en raison de la violation du principe du contradictoire. Elle a également demandé une expertise médicale judiciaire.

Arguments des Parties

La SAS [7] a soutenu que la Caisse n’avait pas respecté le principe du contradictoire en ne transmettant pas le rapport médical. La Caisse, quant à elle, a affirmé que l’absence de transmission ne conduisait pas à l’inopposabilité de la décision, car l’employeur pouvait contester la décision devant la juridiction de sécurité sociale.

Décision de la Cour

La cour a infirmé le jugement du tribunal d’Evry, déclarant que le taux d’IPP de 12% était opposable à la SAS [7]. Elle a débouté la société de sa demande de production des éléments médicaux et de sa demande d’expertise, condamnant la SAS aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 novembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/03340
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/03340 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFLTC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Janvier 2022 par le Pole social du TJ d’EVRY RG n° 21/00204

APPELANTE

CPAM DU VAR

[Adresse 10]

[Adresse 9]

[Localité 5]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

INTIMEE

S.A.S. [7]

[Adresse 2]

[Adresse 11]

[Localité 6]

représentée par Me Corinne POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de Procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Fabienne ROUGE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Raoul CARBONARO, président de chambre

Mme Fabienne ROUGE, présidente de chambre

Mme Sophie COUPET, conseillère

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de Procédure civile.

-signé par M. Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var d’un jugement rendu le 25 janvier 2022 rendu par le tribunal judiciaire d’Evry dans un litige l’opposant à la SAS [7] ( la société )

Faits, Procédure, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que la SAS [7] a sollicité l’inopposabilité de la décision de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var attribuant un taux d’incapacité permanente partielle de 12% à sa salariée Mme [O] au titre de l’accident du travail dont elle a été victime le 2 septembre 2018.

En présence d’un rejet implicite de la commission médicale de recours amiable la société saisissait le 1er mars 2021, le tribunal compétent à cette date.

Par jugement rendu en date du 25 janvier 2022 , le tribunal judiciaire d’Evry a:

– déclaré le recours de la SAS [7] recevable

-dit inopposable à la SAS [7], la décision de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var en date du 9 avril 2020 attribuant à madame [Z] [O] un taux d’incapacité permanente partielle de 12% au titre de son accident du travail du 2 septembre 2018 avec toutes conséquences de droit

– condamné la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var aux dépens

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var en a interjeté régulièrement appel le 16 février 2022, la décision ayant été notifée le 1er février 2022.

Par conclusions visées par le greffe à l’audience du 11 septembre 2024 et reprises oralement par son conseil, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var a demandé à la cour de :

– infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d’Evry le 25 janvier 2022

– confirmer l’opposabilité à la sas [7] de la décision attribuant une rente à Mme [O] suite à l’accident dont elle a été victime , le 2 septembre 2018,

A titre subsidiaire

– confirmer que le taux d’IPP de 12% accordé à Mme [O] pour les séquelles de son accident du 2 septembre 2018 est conforme au barème

-déclarer le taux d’IPP de 12% opposable à la SAS [7]

A titre infiniment subsidiaire

– constater que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var s’en rapporte à la sagesse de la Cour de céans sur la nécessité d’ordonner une consultation médicale sur pièces

Par conclusions visées par le greffe le 11 septembre 2024 et reprises oralement par son conseil, la SAS [7] demande à la cour de :

A titre principal,

– confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a retenu l’inopposabilité de la décision d’attribution du taux d’IPP de 12% notifié à la société [7] ;

– enjoindre la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var à communiquer le rapport médical dans les conditions prévues par les dispositions applicables du code de la sécurité sociale ;

Et, en l’absence de transmission du rapport médical par la Caisse,

– confirmer le jugement rendu le 25 janvier 2022 par le Pole social du Tribunal judiciaire d’Evry en ce qu’il a déclaré inopposable à la société [7] la décision du 9 avril 2020 attribuant à Madame [O] un taux d’lPP de 12 % en raison de la violation du principe du contradictoire ;

A titre subsidiaire, sur la mesure d’expertise médicale judiciaire sur pièces :

– ordonner une expertise médicale judiciaire pour débattre de manière contradictoire les pièces médicales afférentes à l’évaluation du taux d’lPP de Madame [O] et ainsi :

-désigner un médecin Expert,

– prendre connaissance des pièces transmises par les parties,

– convoquer les parties et les entendre en leurs observations,

– déterminer, si le taux d’lPP de 12 % attribué à Madame [Z] [O] est rattachable à son accident du travail en date du 2 septembre 2018,

– dresser un rapport qu’il adressera au greffe et aux parties dans le délai qui lui sera imparti.

– enjoindre au service médical de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var de transmettre à l’expert sans délai tous les éléments médicaux ayant conduit à l’examen du taux d’IPP de 12 % attribué a Madame [Z] [O] ;

– enjoindre au service administratif de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var de transmettre à l’expert sans délai tous documents utiles à sa mission et notamment le rapport du médecin conseil ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision ;

– juger que le rapport du médecin conseil devra notamment être transmis au Docteur [G] [L] exerçant au [Adresse 3] [Localité 4] – Tél :[XXXXXXXX01] – Courriel: [Courriel 8] désigné par l’emp|oyeur ;

-juger que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var fera l’avance des frais d’expertise et devra consigner à la régie d’avances et de recettes de la juridiction la somme correspondante dans un délai déterminé

-Juger que l’expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la juridiction

-Surseoir à statuer sur l’ensemble des demandes jusqu’au dépôt du rapport d’expertise.

MOTIFS

La société [7] soutient que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ne justifie pas avoir sollicité son service médical afin que l’intégralité du rapport médical reprenant l’examen clinique de l’assuré et les constats résultats des examens consultés par le médecin conseil soient adressés au médecin qu’elle a mandaté . Elle estime donc que la caisse n’a pas respecté le principe du contradictoire . Elle conteste la position de la Caisse qui considère qu’il n’y a pas d’obligation de transmission du rapport avant l’audience devant le tribunal judiciaire et que cette transmission n’est possible que si une mesure d’instruction est ordonnée .

Elle estime qu’il appartient au juge de rétablir l’équilibre procédural en enjoignant à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de communiquer le rapport médical dans les conditions prévues aux articles L142-10 et R142-16-3 du code de la sécurité sociale .

Dans l’hypothèse où la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ne procéderait pas à cette communication la société sollicite la confirmation du jugement .

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie soutient que l’inobservation de la transmission du rapport d’évaluation des séquelles n’entraîne pas l’inopposabilité à l’égard de l’employeur de la décision attributive du taux d’incapacité dés lors que celui-ci dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l’expiration du délai de rejet implicite de 4 mois.

L’article R. 142-8-2 du Code de la sécurité sociale prévoit :

« Le secrétariat de la commission médicale de recours amiable transmet dés sa réception la copie du recours préalable au service du contrôle médical fonctionnant auprés de l’organisme dont la décision est contestée.

Dans un délai de dix jours à compter de la date de la réception de la copie du recours préalable, le praticien-conseil transmet à la commission, par tout moyen conférant date certaine, l’intégralité du rapport mentionné à l’article L. 142-6 ainsi que l’avis transmis à l’organisme de sécurité sociale ou de mutualité sociale agricole. »

Par ailleurs, l’article R.142-8-3 du Code de la sécurité sociale dispose :

« Lorsque le recours préalable est formé par l’employeur, le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l’introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l’article L. 142-6 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur à cet effet. Le secrétariat informe l’assuré ou le bénéficiaire de cette notification. »

Le rapport mentionné par l’article L.142-6 du Code de la sécurité sociale comprend : l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de I’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision.

Il résulte des articles L. 142-6, R. 142-8-2 , R. 142-8-3, alinéa 1er, R. 142-1- A, V, du code de la sécurité sociale, destinés à garantir un juste équilibre entre le principe du contradictoire à l’égard de l’employeur et le droit de la victime au respect du secret médical, que la transmission du rapport médical du praticien-conseil du contrôle médical ne peut se faire que par l’autorité médicale chargée d’examiner le recours préalable.

Au stade du recours devant la commission médicale de recours amiable, l’absence de transmission du rapport médical et de l’avis au médecin mandaté par l’employeur n’entraîne pas l’inopposabilité, à l’égard de ce dernier, de la décision de prise en charge par la caisse des soins et arrêts de travail prescrits jusqu’à la date de consolidation ou guérison, dès lors que l’employeur dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l’expiration du délai de rejet implicite de quatre mois prévu à l’article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale et d’obtenir, à l’occasion de ce recours, la communication du rapport médical dans les conditions prévues par les articles L. 142-10 et R. 142-16-3 du même code.

Aucune disposition n’autorise, par ailleurs, l’employeur à obtenir cette communication directement du praticien-conseil du contrôle médical.

En l’espèce la société ayant pu saisir le juge d’un recours aux fins d’inopposabilité de la décision, il ne sera pas fait droit à sa demande d’inopposabilité fondé sur l’absence de transmission du rapport d’évaluation des séquelles au stade du recours préalable (2e Civ., 11 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.939).

Dès lors que les articles L. 142-10 et R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale prévoient que la communication de l’intégralité du rapport médical est faite à l’expert ou au médecin consultant désigné par la juridiction compétente, l’absence de transmission du dossier en dehors de cette hypothèse ne peut conduire à une quelconque inopposabilité. Le jugement sera en conséquence infirmé.

Le juge ne pouvant ordonner cette communication s’il n’ordonne aucune mesure d’expertise ou de consultation médicale en application des textes susvisés, la société [7] sera déboutée de sa demande tendant à faire enjoindre à la Caisse la communication de ce dossier.

– Sur la demande d’expertise :

La société [7] estime qu’en ne communiquant pas le rapport médical au docteur [L] médecin qu’elle a mandaté pour l’assister, la caisse ne lui permet pas de pouvoir vérifier la preuve du lien de causalité entre l’accident du travail et la nouvelle lésion.

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var souligne que la société n’a jamais contesté l’opposabilité de la décision reconnaissant le caractère professionnel de l’accident , au titre de la législation professionnelle, celle-ci lui est définitivement opposable avec toutes les conséquences de droit y afférentes . Elle indique que le taux d’IPP attribué est conforme au barème indicatif d’invalidité.

La société ne précise ni la date de cette nouvelle lésion ni sa nature celle-ci contestant en fait le taux d’incapacité alloué de 12% sans fournir aucun avis médical détaillé permettant d’établir l’imputation de la nouvelle lésion à l’accident et une critique objective à l’évaluation de ce taux par la caisse.

Il sera rappelé que l’assurée a glissé sur une flaque d’eau près du rayon surgelés et est tombée en se faisant mal au côté gauche, le 2 septembre 2018, le certificat médical initial en date du 3 septembre 2018 note ‘ trauma épaule gauche suite chute ‘ , le certificat médical de prolongation en date du 9 septembre 2018 mentionne ‘traumatisme épaule gauche ( oedème du tendon susépineux, bursite ) la notification de la rente précise ‘ séquelles d’une bursite de l’épaule gauche chez une droitière de type : limitation douloureuse moyenne d’un à plusieurs mouvements de l’épaule. Attribution d’un taux d’IPP .’

Le juge saisi d’une contestation portant sur le taux d’IPP doit apprécier le taux au regard des séquelles imputables à l’accident et constatées au jour de la consolidation .

Compte tenu de la description des séquelles , le taux de 12% est conforme au barème , la société ne fournissant aucun élément permettant de remettre en cause ce taux .

Aucun élément ne justifiant la mise en oeuvre d’ une expertise médicale, la société sera déboutée de cette demande subsidiaire.

La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

INFIRME le jugement rendu le 25 janvier 2022 par le tribunal judiciaire d’Evry en ses dispositions soumises à la cour ;

DIT que le taux d’IPP de 12% alloué à Mme [O] est opposablee à la société [7] ;

DÉBOUTE la société [7] de sa demande de production des éléments médicaux et de sa demande d’expertise ;

CONDAMNE la société [7] aux éventuels dépens.

La greffière Le président


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