Inopposabilité des Exceptions en Matière de Lettres de Change

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Inopposabilité des Exceptions en Matière de Lettres de Change

La société Menuiseries de l’Aa a fait opposition à une ordonnance du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, qui lui avait ordonné de payer 5 989,51 euros à la Banque CIC Nord Ouest, en raison d’un billet à ordre émis par la société Plastil Menuiserie Nord. Par la suite, la Banque CIC Nord Ouest a assigné Menuiseries de l’Aa pour le paiement de 44 755,05 euros, correspondant à quatre lettres de change. Le tribunal a ensuite ordonné la jonction des deux affaires, puis a rendu un jugement en juin 2022, condamnant Menuiseries de l’Aa à payer 22 582,65 euros à la banque pour les lettres de change, tout en sursis à statuer sur la demande relative au billet à ordre et en nommant un expert pour vérifier la signature sur celui-ci. Menuiseries de l’Aa a interjeté appel de ce jugement, demandant son infirmation et le déboutement de la Banque CIC Nord Ouest. La banque, de son côté, a demandé la confirmation du jugement et le paiement de la somme totale due. L’instruction a été clôturée en avril 2024, et l’affaire est prévue pour plaidoiries en mai.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

26 septembre 2024
Cour d’appel de Douai
RG
22/04276
République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 26/09/2024

N° de MINUTE :

N° RG 22/04276 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UPKG

Jugement n° 2018 005016 rendu le 28 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de Boulogne-sur-Mer

APPELANTE

SARL Menuiseries de l’AA prise en la personne de son représentant

ayant son siège social, [Adresse 4]

représentée par Me Jean-Marc Besson, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué

INTIMÉE

SA Banque CIC Nord Ouest anciennement dénommée CIC Banque Scalbert CIN venant aux droits de la Banque Scalbert Dupont, prise en la personne de son représentant légal en exercice audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me Alex Dewattine, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué

DÉBATS à l’audience publique du 22 mai 2024 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d’instruire le dossier et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 avril 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Par déclaration au greffe en date du 26 novembre 2018 la société Menuiseries de l’Aa a fait opposition à une ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer le 30 octobre 2018 lui faisant injonction de payer la somme de 5 989,51 euros avec intérêts, en vertu d’un billet à ordre tiré par la société Plastil Menuiserie Nord (ci-après société Plastil) au bénéfice de la société Banque CIC Nord Ouest. L’affaire a été enrôlée sous le numéro RG 2018005016. Par ailleurs, par assignation du 4 mars 2019, enrôlée sous le numéro RG 2019000995, la Banque CIC Nord Ouest a saisi le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer aux fins de voir condamner la société Menuiseries de l’Aa au paiement de la somme de 44 755,05 euros avec intérêts, au titre de quatre lettres de change tirées par la société Plastil sur la société Menuiseries de l’Aa et escomptées par la banque.

Le 2 juillet 2019 le tribunal a ordonné la jonction des deux instances puis, par jugement contradictoire du 28 juin 2022, a :

– ordonné la disjonction des instances 2018005016 et 2019000995,

– condamné la société Menuiserie de l’Aa à payer à la société CIC Nord Ouest la somme de 22 582,65 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement au titre de la demande en paiement des lettres de change LCR 0451142 / LCR 0451141 /LCR 0451140 / LCR 0451139,

– sursis à statuer sur la demande de la Banque CIC Nord Ouest relative au billet à ordre de 5 989,51 euros, enrôlée sous le numéro RG 2018005016,

– nommé un expert aux fins de vérification d’écriture concernant la signature mentionnée sur le billet à ordre, fixé les modalités de cette expertise, et renvoyé l’instance RG 201800516 à une audience de mise en état,

– ordonné l’exécution provisoire,

– laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles,

– dit que les dépens de l’instance, liquidés concernant les frais de greffe à la somme de 73,22 euros seront partagés entre les parties.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 8 septembre 2022 la société Menuiseries de l’Aa a relevé appel du jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer la somme de 22 582,65 euros avec intérêts, a ordonné l’exécution provisoire et a dit que les dépens de l’instance seront partagés par moitié entre les parties.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 décembre 2022 la société Menuiseries de l’Aa demande à la cour de :

– infirmer le jugement dans les termes de la déclaration d’appel,

– le confirmer pour le surplus,

– débouter la Banque CIC Nord Ouest de l’ensemble de ses demandes au titre des quatre billets à ordres non acceptés dont elle sollicite paiement,

– la condamner à lui verser la somme de 4 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 7 mars 2023 la Banque CIC Nord Ouest demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Menuiserie de l’Aa à lui payer la somme de 22 582,65 euros avec intérêts au titre de la demande en paiement des lettres de change,

– y ajoutant, débouter la société Menuiserie de l’Aa de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

– en conséquence la condamner à lui payer la somme de 22 172,40 euros (soit la somme globale de 44 755,05 euros) au titre des effets impayés outre intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2018,

– en tout état de cause, condamner la société Menuiserie de l’Aa à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les frais et dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.

La clôture de l’instruction est intervenue le 17 avril 2024 et l’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoiries du 22 mai suivant.

MOTIFS

Selon l’article L. 511-12 du code de commerce, qui pose le principe de l’inopposabilité des exceptions en matière de lettres de change, le tiré qui accepte purement et simplement ne peut, afin de se soustraire à l’obligation de payer, invoquer l’absence de provision ou les conventions passées entre lui et le tireur.

Toutefois en l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le tiré aurait accepté les lettres de changes (improprement qualifiés de billets à ordre par celui-ci dans le dispositif de ses conclusions) et se serait ainsi reconnu débiteur de ces lettres ; si la banque évoque des effets de commerce ‘acceptés’, aucune mention sur les copies des lettres de changes litigieuses qu’elle verse aux débats ne matérialise quelconque acceptation du tiré. Dès lors, et comme l’a exactement retenu le premier juge, la société Menuiseries de l’Aa est bien fondée à se prévaloir d’exceptions nées de ses rapports personnels avec le tireur au banquier escompteur pour échapper au paiement, notamment, comme en l’espèce, l’inexécution de ses obligations par son cocontractant.

Selon l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Le premier juge, considérant qu’il était établi que la société Plastil avait été défaillante au moins partiellement dans l’exécution de ses prestations de livraison de marchandises et que la société Menuiseries de l’Aa avait été contrainte d’acheter des éléments manquants pour terminer le chantier, a alloué à la banque un montant correspondant au montant total des factures, sous déduction d’une somme réglée par la société Menuiseries de l’Aa par billet à ordre de 6 563,52 euros et des factures d’achat auprès d’autres sociétés, en excluant certaines qui comportaient des modifications ajoutées manuscritement.

En premier lieu, la demande en paiement porte sur deux lettres de change pour des montants de 11 363,47 euros et 17 126,59 euros, correspondant à deux factures n° FF18020002 et n° FF18020001, émises le 2 février 2018 par la société Plastil sur la société Menuiseries de l’Aa, qui sont relatives à un chantier à [Localité 3], et qui mentionnent, pour la première, un bon de livraison ‘BLF18020003’ et, pour la deuxième, un bon de livraison ‘BLF18020002’.

Il ressort des pièces versées aux débats que dès le 19 janvier 2018 la société Menuiseries de l’Aa s’est plainte auprès de la société Plastil de retards de livraison (lettre recommandée avec accusé de réception signé le 21 janvier 2018) puis a adressé plusieurs courriers à la société Plastil pour lui faire part de non-conformités des menuiseries livrées ou de matériels manquants (courrier électronique du 5 février 2018, lettre recommandée réceptionnée le 6 février 2018, lettre recommandée réceptionnée le 8 février 2018, avec une liste des difficultés relevées, illustrées par des photographies et comportant mise en demeure de venir résoudre les difficultés).

Par lettre recommandée réceptionnée le 8 mars 2018 la société Menuiseries de l’Aa a adressé à la société Plastil une mise en demeure de lever les points litigieux avant le 16 mars 2018, précisant qu’à défaut elle la considérerait comme défaillante, puis par lettre réceptionnée le 22 mars 2018, elle lui a indiqué qui depuis son précédent courrier la situation n’avait toujours pas évolué et qu’elle considérait en conséquence l’entreprise comme défaillante et faisait intervenir un tiers aux frais de celle-ci.

La société Menuiseries de l’Aa a admis que 24 menuiseries (petits châssis) avaient été fournies ‘complets et conformes’ et a émis pour le paiement de ces éléments un billet à ordre émis pour un montant de 6 563,52 euros à échéance au 15 avril 2018 qu’elle indique, sans être contredite par la banque, avoir honoré.

En second lieu, la demande en paiement porte sur deux lettres de change pour des montants de 8 143,32 euros et de 8 121,67 euros, correspondant à deux factures (numéros FF18020003 et FF18020004) émises le 2 février 2018 par la société Plastil sur la société Menuiseries de l’Aa concernant un chantier à [Localité 2] et relatives à deux bons de livraison ‘BSL18020004’ et ‘BLF18020005’.

La société Menuiseries de l’Aa s’est également plainte d’un retard de livraison relativement à ce chantier dans son courrier du 19 janvier 2018 puis a dénoncé à la société Plastil des malfaçons et des produits manquants par lettre recommandée réceptionnée le 8 février 2018 et lui a demandé d’intervenir au plus tard le 16 février 2018. Par courrier électronique du 15 février 2018 et par lettre recommandée réceptionnée le 19 février 2018, elle lui a de nouveau fait part des non-conformités des pièces livrées au regard de la commande passée et de pièces manquantes et a lui a demandé d’intervenir pour résoudre ces problèmes. Par lettre recommandée réceptionnée le 8 mars 2018 elle l’a mise en demeure de remplacer les pièces non conformes et de fournir celles manquantes avant le 16 mars 2018, rappelant de manière précise les non-conformités alléguées et les éléments faisant défaut et précisant qu’à défaut d’intervention, elle la considérerait comme défaillante. Par lettre recommandée réceptionnée le 22 mars 2018 la société Menuiseries de l’Aa a indiqué à la société Plastil qu’elle constatait qu’au 20 mars 2018 elle n’était pas intervenue et l’a informée qu’en conséquence elle la considérait comme défaillante et faisait intervenir un tiers à ses frais. Par une lettre recommandée réceptionnée le 30 mars 2018 elle faisait savoir à la société Plastil qu’elle refusait de signer le billet à ordre transmis relatif à la facture n° FF18020003.

La société Menuiseries de l’Aa justifie par ailleurs avoir passé commandes auprès d’autres entreprises pour certaines marchandises commandées initialement à la société Plastil.

Il ne ressort d’aucun élément du dossier que la société Plastil, très précisément informée des non conformités, malfaçons et des défauts de livraison allégués par la société Menuiseries de l’Aa, ait jamais contesté les griefs ainsi formulés et il ressort des courriers électroniques échangés entre les deux sociétés, que la société Plastil a au contraire, en réponse à la société Menuiseries de l’Aa, accepté d’intervenir sur le site dans le cadre du service après vente (courriers électroniques des 2, 12, 21 et 22 février 2018).

La banque, qui rappelle pour s’opposer aux éléments de preuve communiqués par la société Menuiseries de l’Aa que nul de ne peut se constituer de preuve à soi-même, ne justifie que des factures émises par la société Plastil elle-même, qui à elles seules, et au regard des éléments communiqués par la société Menuiseries de l’Aa, ne suffisent pas à démontrer qu’elle a correctement exécuté ses obligations.

C’est dès lors à bon droit que le premier juge a considéré que la société Plastil avait été défaillante dans l’exécution de ses prestations de livraison, il n’en a toutefois pas tiré les conséquences qui s’imposaient en considérant que la société Menuiseries de l’Aa était tenue au paiement d’une partie de ces factures au regard des paiements déjà effectués et des dépenses engagées auprès d’autres fournisseurs. En effet, les factures n’établissant nullement, au regard des pièces communiquées par la société Menuiseries de l’Aa, que les prestations facturées auraient été exécutées conformément aux bons de commandes et que cette dernière serait en conséquence tenue au paiement des sommes réclamées.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a fait droit en partie à la demande de la banque qui sera intégralement déboutée de sa demande au titre des lettres de change.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, le sens de l’arrêt conduit à infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens, de mettre les dépens de première instance et d’appel à la charge de la banque CIC Nord Ouest et d’allouer à la société Menuiseries de l’Aa la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Réforme le jugement déféré en ce qu’il a :

– condamné la société Menuiserie de l’Aa à payer à la société Banque CIC Nord Ouest la somme de 22 582,65 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement au titre de la demande en paiement des lettres de change LCR 0451142 / LCR 0451140 / LCR 0451139,

– dit que les dépens de l’instance, liquidés concernant les frais de greffe à la somme de 73,22 euros seront partagés entre les parties ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société Banque CIC Nord Ouest de sa demande au titre des quatre lettres de changes représentant un montant total de 44 755,05 euros ;

Condamne la société Banque CIC Nord Ouest à payer à la société Menuiseries de l’Aa la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Banque CIC Nord Ouest aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles


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