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Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 7
ARRÊT DU 4 JUILLET 2019
(n° 21, 118 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 16/23609
Décision déférée à la cour : n° 12-D-09 rendue le 13 Mars 2012 par l’Autorité de la concurrence
REQUÉRANTES:
La société GOODMILLS DEUTSCHLAND GmbH venant aux droits de société VK-Mühlen
Société de droit allemand
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
Ayant son siège social au [Adresse 1] (Allemagne)
Elisant domicile au cabinet de la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU
[Adresse 2]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE- BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistée de Me Pierre ZELENKO du LLP LINKLATERS, avocat au barreau de PARIS, toque : J030
La société GRANDS MOULINS DE PARIS, S.A.
Agissant poursuites et diligences en la personne de son directeur général
Immatriculée au RCS de Créteil sous le n° 351 466 495
Ayant son siège social au [Adresse 3]
La société GRANDS MOULINS DE PARIS, S.A. venant aux droits de la société EUROMILL NORD
Agissant poursuites et diligences en la personne de son directeur général
Immatriculée au RCS de Créteil sous le n° 351 466 495
Ayant son siège social au [Adresse 3]
La société NUTRIXO, S.A.S.
Agissant poursuites et diligences en la personne de son directeur général
Immatriculée au RCS de Créteil sous le n°420 950 875
Ayant son siège social au [Adresse 3]
Elisant toutes domicile au cabinet de Me François TEYTAUD
[Adresse 4]
Représentées par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistées de Me Thibault REYMOND et Me Olivier DE JUVIGNY de la SELAS DETHOMAS PELTIER JUVIGNY & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : L99
La société AXIANE PARTICIPATIONS, S.A.S.
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de Rennes sous le n° 391 987 955
Ayant son siège social au [Adresse 5]
La société MINOTERIES CANTIN, S.A.S.
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de Rennes sous le n° 516 950 045
Ayant son siège social au [Adresse 6]
Elisant toutes domicile au cabinet de la SCP AFG
[Localité 1]
Représentées par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Assistées de Me Romain FERLA du LLP WEIL GOTSHAL & MANGES (PARIS), avocats au barreau de PARIS, toque : L0132
La société GRANDS MOULINS DE STRASBOURG, S.A.
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal
Immatriculée au RCS de Paris sous le n° B 552 095 598
Ayant son siège social au [Adresse 7]
Elisant domicile au cabinet de la SCP AFG
[Localité 1]
Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Assistée de Me Olivier BILLARD, Me Robert SAINT-ESTEBEN et Guillaume FABRE de l’AARPI BREDIN PRAT, avocats au barreau de PARIS, toque : T12
EN PRÉSENCE DE :
L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Représentée par sa présidente en exercice
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée à l’audience par M. [U] [N] et Mme [K] [U], munis d’un pouvoir
LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE
[Adresse 9]
[Adresse 10]
Représenté par M. [A] [H], muni d’un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 février 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
– Mme Valérie MICHEL- AMSELLEM, présidente de chambre, présidente
– M. Olivier DOUVRELEUR, président de chambre
– M. Pascal CLADIERE, conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Patricia DARDAS
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée
ARRÊT :
‘ contradictoire,
‘ prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
‘ signé par Mme Valérie MICHEL-AMSELLEM, présidente, et par M. Gérald BRICONGNE, greffier présent lors de la mise à disposition.
* * * * * * * *
Vu la décision de l’Autorité de la concurrence n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des farines alimentaires ;
Vu les déclarations de saisine de la cour de renvoi après cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 novembre 2014 aux fins d’annulation ou de la réformation de cette décision, déposées au greffe de la cour le 28 novembre 2016 pour la société GoodMills Deutschland GmbH, le 23 janvier 2017 pour la société Grands Moulins de Strasbourg, le 09 février 2017 pour les sociétés Axiane Participations et Minoterie Cantin, et le 22 juin 2017 pour les sociétés Nutrixo et Grands Moulins de Paris.
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement au greffe de la cour les 21 juin 2017 et 13 décembre 2017 par la société Axiane Participations ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement au greffe de la cour les 22 juin 2017 et 13 décembre 2017 par la société Minoterie Cantin ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement au greffe de la cour les 22 juin 2017 et 14 décembre 2017 par la société GoodMills Deutschland GmbH ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement au greffe de la cour les 22 juin 2017 et 14 décembre 2017 par la société Nutrixo ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement au greffe de la cour les 22 juin 2017 et 14 décembre 2017 par la société Grands Moulins de Paris ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement au greffe de la cour les 22 juin 2017 et 14 décembre 2017 par la société Grands Moulins de Strasbourg ;
Vu les observations écrites déposées au greffe de la cour par le ministre chargé de l’économie le 12 octobre 2017 ;
Vu les observations écrites déposées au greffe de la cour par l’Autorité de la concurrence le 12 octobre 2017 ;
Le Ministère public ayant reçu notification des déclarations de saisine de la cour de renvoi après cassation et des pièces du dossier ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 08 février 2018, les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l’Autorité de la concurrence et celui du ministre chargé de l’Économie.
Vu les notes en délibéré, déposées au greffe de la cour par la société Grands Moulins de Strasbourg, les 12 novembre 2018 et 04 décembre 2018, par les sociétés Axiane Participations et Minoterie Cantin, le 27 novembre 2018 et par la société Nutrixo, le 04 décembre 2018
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE8
I. LE SECTEUR DES FARINES ALIMENTAIRES ET LES ACTEURS8
A. Le secteur des farines alimentaires8
B. Les acteurs10
II. LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE11
A. La procédure devant le Conseil puis l’Autorité de la concurrence11
B. La décision attaquée13
C. Les arrêts de la cour d’appel de Paris du 20 novembre 2014 et de la Cour de cassation des 8 novembre 2016 et 4 octobre 201714
MOTIVATION16
I. SUR LE GRIEF N° 1 (Pacte de non-agression entre les meuniers français et allemands) 16
A. Sur la portée de l’arrêt de cassation20
B. Sur la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris aux pratiques objet du grief n° 120
1. Les principes applicables pour caractériser la participation à une entente et sa durée20
2. Sur la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris22
a. S’agissant de la société VK-Mühlen23
b. S’agissant de la société Grands Moulins de Paris 24
II. SUR LES GRIEFS Nos 2 et 3 (Ententes nouées autour des sociétés France Farine et Bach Mühle)25
A. Sur le respect du principe d’égalité de traitement27
B. Sur la portée de l’arrêt de cassation29
C. Sur la nature d’infraction par objet des comportements visés par les griefs n°’2 et n°’331
1. Rappel des principes applicables31
2. Sur l’insuffisance de motivation et le renversement de la charge de la preuve allégués32
3. Sur la nature des pratiques et les objectifs qu’elles visaient à atteindre33
4. Sur le contexte juridique et économique des pratiques en cause34
a. Sur l’étendue de l’examen auquel il doit être procédé34
b. Sur le contexte juridique35
c. sur le contexte économique 39
‘ Sur l’existence d’une concurrence entre les meuniers40
‘ Sur la capacité de négociation des clients concernés43
‘ Sur la possibilité d’investir dans la création d’autres usines d’ensachage43
d. Sur l’impossibilité d’accéder et se maintenir sur le marché en dehors des structures communes France Farine et Bach Mühle résultant du contexte économique et juridique44
‘ Sur le caractère strictement nécessaire de groupements d’entreprises afin d’accéder au marché et s’y maintenir46
‘ Sur le caractère strictement nécessaire de la tarification commune pour accéder au marché et s’y maintenir52
‘ Sur le caractère strictement nécessaire de la répartition géographique des marchés pour accéder au marché et s’y maintenir55
5. Conclusion sur le caractère particulièrement nocif des pratiques58
D. Sur les demandes d’exemption des pratiques59
1. Sur la possibilité d’exempter des accords de prix dans le domaine agricole en application des dispositions de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce
59
2. Sur l’existence d’un progrès économique61
a. Sur le gain d’efficience résultant de la possibilité d’apporter une offre nationale à la demande de la grande distribution 61
b. Sur le gain d’efficience résultant des gains logistiques65
c. Sur le progrès économique résultant de la création et du développement de la marque « Francine »66
‘ Sur la charge de la preuve66
‘ Sur l’existence de gains d’efficience liés à la marque « Francine » 68
d. Sur les autres progrès économiques invoqués par les requérantes69
E. Sur l’imputabilité des pratiques70
1. Sur l’imputabilité à la société Grands Moulins de Strasbourg70
2. Sur l’imputabilité à la société Nutrixo72
III. SUR LES SANCTIONS 73
A. Sur les sanctions prononcées au titre du grief n° 173
1. Sur la sanction infligée à la société Grands Moulins de Paris74
a. Sur la double prise en compte des ventes de la société Grands Moulins de Paris et de la société France Farine pour le calcul du plafond légal, invoquée par la société Grands Moulins de Paris74
b. Sur la réduction de la sanction au titre de la durée de l’infraction74
2. Sur la sanction infligée à la société VK-Mühlen, devenue GoodMills Deutschland75
a. Sur la réduction de la sanction au titre de la durée de l’infraction75
b. Sur la réduction de la sanction au titre de du caractère limité de la participation et du comportement de franc-tireur76
‘. Sur le degré de participation de la société VK-Mühlen aux pratiques77
ß. Sur le rôle de franc-tireur de la société VK-Mühlen invoqué par la société GoodMills Deutschland77
B. Sur les sanctions prononcées au titre des griefs nos 2 et 378
1. Sur la mise en ‘uvre de la méthode exposée dans le communiqué sanctions
78
2. Sur la détermination du montant de base des sanctions81
a. Sur la valeur des ventes81
‘. Sur la prise en compte de la valeur des ventes en 201082
‘ Sur la représentativité de la valeur des ventes en 2010 et la méthodologie adoptée par l’Autorité pour tenir compte de la durée des pratiques82
‘ Sur la contestation par la société Grands Moulins de Strasbourg de la prise en compte de la valeur des ventes en 2010 pour ce qui la concerne83
‘. Sur la prise en compte des marges arrières et de commissions versées aux structures communes84
b. Sur la gravité des pratiques85
c. Sur le dommage à l’économie86
‘. Sur l’ampleur des pratiques87
‘. Sur les caractéristiques du secteur87
‘. Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles88
‘ S’agissant des conséquences structurelles 88
‘ S’agissant des conséquences conjoncturelles 89
Sur l’existence prétendue d’une concurrence dite « en cascade »89
Sur l’existence et l’évaluation du surprix90
Sur les conclusions à tirer des suites du démantèlement des structures communes 91
Sur la faiblesse des taux de marge réalisées dans le « hard discount »92
Sur le maintien d’une forte concurrence invoqué par la société Grands Moulins de Paris 92
Sur le refus de l’Autorité de prendre en compte les gains résultant de la création et de la diffusion de la marque « Francine » 93
d. Sur la proportionnalité du taux de 17 % retenu par l’Autorité94
e. Sur le coefficient de durée95
‘. Prise en compte de la durée96
‘. Détermination d’un coefficient de durée unique au titre de la participation aux deux griefs nos 2 et 397
‘. Sur les conséquences de la mise en location-gérance de son fonds de commerce de son activité de minoterie sur le coefficient de durée, invoquées par la société Grands Moulins de Strasbourg 98
f. Conclusion sur le montant de base98
3. Sur la prise en compte des circonstances atténuantes d’ordre général invoquées par les requérantes tenant à l’encouragement des pouvoirs publics et à l’inertie de l’administration, ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel la société France Farine a été créée99
4. Sur la prise en compte des circonstances d’ordre individuel, propres aux entreprises100
a. Sur le défaut de prise en compte des engagements et de la cessation des pratiques100
b. Sur le caractère mono-produit des entreprises101
c. Sur l’insuffisante prise en compte de la situation individuelle des sociétés Axiane et Minoterie Cantin résultant de la poursuite de plusieurs entités du groupe Axéréal103
5. Sur l’évaluation du maximum légal des sanctions104
6. Sur les difficultés financières invoquées par les requérantes108
a. Précisions liminaires109
‘. Sur la mise en liquidation judiciaire de la société Grands Moulins de Strasbourg 109
‘. Sur les éléments à prendre en compte109
b. Sur la capacité contributive de la société Grands Moulins de Strasbourg
110
c. Sur la capacité contributive de la société Minoteries Cantin110
d. Sur la capacité contributive de la société Axiane112
e. Sur la capacité contributive de la société Grands Moulins de Paris et de sa société mère la société Nutrixo113
IV. SUR LES AUTRES DEMANDES116
A. Sur les demandes de publication de l’arrêt116
B. Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile117
********
FAITS ET PROCÉDURE
1.La cour est saisie, sur renvoi après cassation (Cass. Com., 8 novembre 2016, pourvois n° 14-28.234 et a.), par plusieurs entreprises de recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des farines alimentaires.
I. LE SECTEUR DES FARINES ALIMENTAIRES ET LES ACTEURS
2.La cour renvoie sur ce point aux développements de la décision attaquée (paragraphes 14 à 44, pour le secteur, et 45 à 118 pour les acteurs). Il est toutefois nécessaire de rappeler les points suivants.
A. Le secteur des farines alimentaires
3.La présente affaire concerne le secteur de la farine destinée à la consommation humaine, qui est issue de l’écrasement de blé tendre. La meunerie est l’activité consistant dans la première transformation du produit agricole brut qu’est le blé tendre, en produit semi-fini, la farine. Elle s’exerce à destination de l’industrie agro-alimentaire et du marché grand public.
4.À titre général, l’Allemagne et la France sont respectivement les premier et deuxième producteurs européens de blé tendre en volume. En 2008, la production de blé tendre en France était de 35 millions de tonnes de grains, dont environ 16 % étaient destinés à la production française de farine pour la consommation humaine.
5.La demande de farine de blé tendre destinée à la consommation humaine se décompose selon les utilisations suivantes :
‘ la boulangerie artisanale (farine destinée à l’usage des boulangers) ;
‘ l’industrie utilisatrice (farine utilisée à des fins industrielles pour la biscuiterie ou la confection d’autres produits) ;
‘ la farine en sachets à destination du grand public et des consommateurs : paquets et « mixes » (préparation à base de farine) vendus à la grande et moyenne distribution, ainsi qu’à la distribution « hard discount » ;
‘ la boulangerie semi-industrielle, le plus couramment désignée sous l’appellation « points chauds GMS » ;
‘ l’exportation, qui peut concerner les quatre utilisations présentées ci-dessus, mais qui constitue pour les meuniers une activité commerciale à part entière.
6.Le secteur de la farine en sachets, en cause dans la présente affaire, se compose de trois catégories de produits :
‘ les farines dites « classiques », qui représentent le premier segment en volume de ce secteur. Il s’agit de farine à faible taux de cendre de type 45 ou 55 (équivalente au type 405 ou 550 en Allemagne). Elles sont caractérisées par une faible différenciation des produits. Les meuniers ont néanmoins diversifié leur offre de produits, en proposant diverses gammes de farine : les farines tous usages, fluide, pâtissière, extra fluide, sans grumeaux, etc., dont le conditionnement est généralement d’un kilogramme pour les sachets en France ;
‘ les préparations sucrées ou salées dites « mixes », telles que les préparations pour crêpes, gâteaux ou pizzas, qui ont connu des débouchés croissants en raison de l’évolution des habitudes alimentaires ;
‘ les farines à pain (qui combinent farine et levure), qui ont connu un engouement récent en raison du succès des machines à pain auprès des ménages.
7.Une fois la farine produite, elle est ensachée. Les meuniers établis en France ou en Allemagne effectuent eux-mêmes cette opération d’ensachage ou en confient l’exécution à un tiers disposant des infrastructures requises. À ce stade, les meuniers, ou les enseignes de la grande et moyenne distribution dans le cas des marques de distributeurs (ci-après les « MDD »), peuvent apposer leurs marques respectives sur les sachets. De plus, il existe une troisième catégorie de sachets de farine en vente dans les enseignes de la grande et moyenne distribution, désignés comme étant les « premiers prix », et parfois par l’acronyme « PP », sur lesquels n’est apposée aucune marque spécifique. On retrouve également de tels sachets de farine sans marque dans les enseignes de la distribution « hard discount ».
8.En France, certains meuniers possèdent leurs marques, comme « Treblec », « Gruau d’Or » ou « Melix » (cette dernière étant utilisée uniquement pour les préparations), mais la marque « leader » du secteur de la farine en sachets est la marque « Francine », commercialisée par la société France Farine au plan national. En 2007, les produits vendus sous marque « Francine » représentaient, de façon globale, plus de la moitié des parts du marché français de la farine. Ils devançaient les produits vendus sous MDD ainsi que les « premiers prix ».
9.En Allemagne, au moins trois marques d’envergure nationale coexistent : « Aurora », « Kampffmeyer » et « Rosenmehl ».
10.Des particularités nationales ont été constatées.
11.Ainsi, le prix de la farine produite en Allemagne est, pour des raisons techniques et structurelles, moins élevé qu’en France. Les meuniers allemands valorisent plus les « coproduits », notamment, en utilisant la farine de son, et commercialisent des farines d’aspect moins blanc, qui répondent à la demande d’une gamme élargie de pains. Ceci provient des habitudes de consommation en Allemagne, qui sont différentes de celles relevées en France. En effet, les consommateurs allemands achètent de nombreuses variétés de pain, y compris du pain noir, qui sont produites à base de farine dite « brune », alors que les consommateurs français s’approvisionnent essentiellement en pain blanc de type « baguette ». Sur le marché français, les coproduits sont principalement destinés à l’alimentation animale.
12.En outre, le marché français se caractérise, à la différence de l’Allemagne, par une réglementation spécifique concernant les contingents et droits de mouture, qui fera l’objet de développements particuliers dans le cadre de l’analyse des griefs nos 2 et 3 (voir § 192 du présent arrêt).
B. Les acteurs
13.En France, la meunerie est un secteur d’activité concentré, dont les principaux acteurs sont des groupes historiquement sous contrôle familial.
14.Le nombre d’opérateurs indépendants tend à décroître depuis une vingtaine d’années en raison de regroupements : désormais, quelques acteurs majeurs détiennent la majorité de l’outil de production, soit 488 moulins, répartis sur l’ensemble du territoire français en 2008, ainsi que les plus grandes usines d’ensachage, nécessaires à la commercialisation de farine en sachets. Ce secteur comprend donc aujourd’hui un nombre réduit d’acteurs, mais ces derniers disposent généralement d’une envergure nationale.
15.Les meuniers français concernés par la présente décision appartiennent à quatre groupes de sociétés, dont la capacité de production annuelle est supérieure à 300 000 tonnes de farine de blé tendre :
‘ le groupe Nutrixo, qui détient les sociétés Grands Moulins de Paris, Euromill Nord, Grands Moulins Storione et Nutrixo ;
‘ la coopérative Epis-Centre, qui détient la société Minoteries Cantin et le groupe Meunier Celbert ;
‘ la société Grands Moulins de Strasbourg, détenue majoritairement par la société Sofracal ;
‘ le groupe familial Soufflet, qui détient la société Moulins Soufflet SA.
16.Ces meuniers, qui détiennent 55,2 % des droits d’écrasement total autorisés en France pour produire de la farine de blé tendre, disposent chacun d’au moins une usine d’ensachage.
17.Concernant les structures de commercialisation, en France, une partie importante de la farine en sachets est commercialisée par le biais d’entreprises communes ou coopératives, telles les sociétés France Farine et Bach Mühle, dont les relations avec leurs actionnaires et certains commettants ont donné lieu à la présente affaire, ainsi que la société Générale des farines. La situation est différente en Allemagne, où la farine en sachets est commercialisée directement par les meuniers eux-mêmes.
18.En ce qui concerne les entreprises en cause en Allemagne, il est rappelé que, comme en France, le secteur de la meunerie a connu un fort mouvement de concentration. L’outil de production, qui comptait plus de 600 moulins en 1990, n’en recensait plus, en 2008, que 308, répartis sur l’ensemble du territoire.
19.Deux groupes, Werhahn Mühlen et VK-Mühlen, sont d’une envergure importante sur le marché allemand, aux côtés de nombreuses structures de taille moyenne. En 2004, un troisième groupe de sociétés sur le marché allemand de la meunerie a été constitué : le groupe Grain Millers.
20.Les autres entreprises en cause en Allemagne sont :
‘ Friessinger Mühle GmbH,
‘ Bliesmühle GmbH ;
‘ Karl Bindewald Kupfermülhe GmbH ;
‘ Saalemühle Alsleben GmbH ;
‘ Gebr. Engelke Grosse Mühle Hasede KG.
II. LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
A. La procédure devant le Conseil puis l’Autorité de la concurrence
21.Par procès-verbal du 4 mars 2008, la société Wilh. Werhahn GmbH & Co. KG et ses filiales ont demandé la mise en ‘uvre de la procédure de clémence prévue au IV de l’article L. 464-2 du code de commerce auprès du rapporteur général du Conseil de la concurrence (ci-après le « Conseil »). Parallèlement à cette demande auprès de l’autorité française, la société a également sollicité le bénéfice de la clémence auprès de l’autorité de concurrence allemande (ci-après le « Bundeskartellamt »).
22.Par un avis n° 08-AC-01 du 27 mai 2008, le Conseil a accordé à ces sociétés le bénéfice conditionnel de la clémence, sous forme d’une exonération totale de sanction.
23.Il s’est saisi d’office de pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des farines alimentaires par décision n° 08-SO-05 du 23 avril 2008.
24.Par lettre du 23 avril 2008, le rapporteur général du Conseil a saisi le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF ») afin que soient effectuées des opérations de visite et de saisie. Le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance du 17 juin 2008, a autorisé ces opérations dans les locaux de plusieurs des sociétés mises en cause.
25.En outre, le Conseil, devenu l’Autorité de la concurrence (ci-après l’ « Autorité ») a été destinataire de pièces saisies, de deux rapports concernant l’exploitation de saisies informatiques ainsi que de la copie de la demande de mesures d’enquête du Bundeskartellamt.
26.Le 15 février 2010, le rapporteur général de l’Autorité a notifié trois griefs aux parties pour des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le « TFUE »).
27.Le grief n° 1 était ainsi libellé :
« Il est fait grief :
‘ aux structures de commercialisation France Farine et Bach Mühle ;
‘ aux meuniers Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Euromill Nord, Grand Moulins Storione, AMO/Celbert, Minoteries Cantin, Moulins Soufflet, Générales des Farines (GFF) ;
‘ aux meuniers Werhahn ; VK Mühlen ; Grain Millers ; Frießinger Mühle GmbH ; Bliesmühle ; Flechtorfer Mühle Walter Thönebe GmbH, Bindewald Kupfermülhe ; Mills United Hovestadt & Münstermann GmbH ; Saalemühle Alsleben GmbH ; Engelke Große Mühle Hasede-Hildesheim ; Heyl GmbH CO KG ; Emil Stenzel GmbH CO KG.
1. d’avoir mis en place un cartel, à tout le moins à compter de 2002, sur le marché de la farine en sachets ayant pour but de limiter les ventes de farine en sachets commercialisées entre l’Allemagne et la France. Ces limitations ont été mises en ‘uvre en se répartissant les clients, les volumes, et en s’accordant sur les prix ;
2. Ces limitations portent, en ce qui concerne les meuniers français, à la fois sur la commercialisation par l’intermédiaire des structures France Farine et Bach Mühle, ces dernières agissant au nom et pour le compte de leurs actionnaires commettants, mais aussi sur les ventes que lesdits actionnaires réalisent pour leur propre compte ;
3. Ces pratiques concertées sont mises en ‘uvre jusqu’à ce jour pour l’ensemble des sociétés mises en cause à l’exception de Werhahn, pour laquelle les pratiques ont cessé en 2008. Ces pratiques ayant eu pour objet et/ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché européen de la farine vendue en sachets sont prohibées par les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du traité ».
28.Le grief n° 2 était formulé comme suit :
« Il est fait grief :
‘ à la société Nutrixo et ses filiales : Grands Moulins de Paris, Euromill Nord, et Grands Moulins Storione ;
‘ à la société Epis Centre et ses filiales AMO Celbert et Minoteries Cantin ;
‘ et à la société Sofracal et sa filiale la société Grands Moulins de Strasbourg
d’avoir :
1. depuis 1965, au sein de la structure France Farine, conclu des accords et mis en ‘uvre une entente pour la commercialisation de farine vendue en sachets visant à fixer des tarifs communs, se répartir des territoires, la clientèle et les volumes de livraison ;
2. échangé des informations confidentielles ayant pour effet de limiter leur autonomie sur le marché de la farine de blé tendre ;
3. freiné l’émergence de plusieurs marques nationales par la coordination commerciale et le financement important de la marque Francine.
Ces pratiques ayant eu pour objet et pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché européen de la farine vendue en sachets sont prohibées par les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du traité sans bénéficier de l’exemption prévue aux articles L. 420-4 du code de commerce et 101, paragraphe 3 du traité ».
29.Enfin, le grief n° 3 était ainsi énoncé :
« Grief n° 3 :
Il est fait grief :
‘ à la société Nutrixo et ses filiales : Grands Moulins de Paris, Euromill Nord, et Grands Moulins Storione ;
‘ à la société Epis Centre et ses filiales AMO Celbert et Minoteries Cantin ;
‘ à la société Sofracal et sa filiale la société Grands Moulins de Strasbourg ;
‘ et à la société Moulins Soufflet
d’avoir :
1. depuis 2001, au sein de la structure Bach Mühle, conclu des accords et mis en ‘uvre une entente sur le marché de la farine en sachets visant à fixer des tarifs communs, se répartir des territoires, la clientèle et les volumes de livraison ;
2. échangé des informations confidentielles ayant pour effet de limiter leur autonomie sur le marché de la farine de blé tendre.
Ces pratiques ayant eu pour objet et/ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché européen de la farine vendue en sachets sont prohibées par les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du traité sans bénéficier de l’exemption prévue aux articles L. 420-4 du code de commerce et 101, paragraphe 3, du traité ».
30.Les sociétés Grain Millers, Mills United Hovestadt Münstermann GmbH, Emil Stenzel GmbH & Co et Heyl GmbH & Co ont choisi de ne pas contester les griefs qui leur avaient été notifiés le 15 février 2010 en application du III de l’article L. 464-2 du code de commerce.
31.Les rapporteurs ont déposé leur rapport le 17 janvier 2011. Le 20 mai 2011, un rapport complémentaire a été adressé aux parties et au commissaire du Gouvernement en vue de recueillir leurs observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles d’influer, selon les services d’instruction, sur la détermination des sanctions pécuniaires.
B. La décision attaquée
32.À la suite de la séance des 10 et 11 octobre 2011, l’Autorité a statué par la décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des farines alimentaires (ci-après la « décision attaquée »).
33.D’abord, l’Autorité a considéré qu’il était établi que les sociétés Karl Bindewald Kupfermülhe, Bliesmühle GmbH, Flechtorfer Mühle Walter Thönebe GmbH & co, France Farine SA, Friessinger Mühle GmbH, Heyl Gmbh & Co. KG, Mills United Hovestadt & Münstermann GmbH, Grain Millers GmbH & Co. KG, Grands Moulins de Paris SA, Grands Moulins de Strasbourg, Saalemühle Alsleben GmbH, VK-Mühlen, Wilh. Werhahn Mühlen GmbH, et Axiane Meunerie SAS, à laquelle ont été imputées les pratiques des sociétés du Groupe Meunier Celbert, ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et de l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à limiter les importations de farine en sachets entre l’Allemagne et la France (grief n° 1).
34.Selon l’Autorité cette pratique a débuté le 14 mai 2002 et pris fin le 17 juin 2008, date des opérations de visite et saisie.
35.Ensuite, l’Autorité a considéré qu’il était établi que les sociétés Euromill Nord, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin, Nutrixo SAS, et Axiane Meunerie SAS, à laquelle ont été imputées les pratiques des sociétés du Groupe Meunier Celbert, ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et de l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit (grief n° 2).
36.Elle a estimé que, par son fonctionnement et son mode d’intervention, la structure commune France Farine avait permis une véritable organisation centralisée du marché de la farine, éliminant toute forme de concurrence entre les meuniers, particulièrement sur la farine de marque « Francine ». Selon elle, cette pratique a commencé lors de la constitution de la société France Farine le 18 décembre 1965 (décision attaquée, § 619 à 626), à l’exception de la société Grand Moulins de Strasbourg, pour laquelle la pratique a débuté le 25 mai 1966, (décision attaquée, § 627 à 630), et elle a duré jusqu’au 17 janvier 2012, date à laquelle l’actionnariat de la société France Farine a été regroupé en une seule main, la société Nutrixo devenant son unique actionnaire (décision attaquée, § 631).
37.Enfin, l’Autorité a considéré qu’il était établi que les sociétés Euromill Nord, Grands Moulins de Paris SA, Grands Moulins Storione, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin, Moulins Soufflet, Nutrixo, et Axiane Meunerie SAS, à laquelle ont été imputées les pratiques des sociétés du Groupe Meunier Celbert, ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et de l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue aux enseignes du « hard discount » en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit (grief n° 3).
38.Elle a considéré que les modalités d’organisation et de fonctionnement de la structure commune Bach Mühle ont permis aux meuniers qui en sont actionnaires de pratiquer un prix unique pour la vente de farine en sachets aux enseignes du « hard discount », d’aligner leur politique commerciale et de se répartir à la fois les clients et les volumes des livraisons. Elle a estimé que cette pratique avait débuté à la date à laquelle les entreprises en cause avaient adhéré aux modalités d’organisation et de fonctionnement de la société Bach Mühle, soit le 1er janvier 2001, et qu’elle avait pris fin le 31 décembre 2011, à l’exception de l’une d’entre elles, qui avait cessé sa participation le 31 décembre 2009 (décision attaquée, § 702).
39.En conséquence, l’Autorité a infligé des sanctions pécuniaires à quinze entreprises au titre du grief n°1, pour un montant total de 95 537 000 euros, et à neuf entreprises au titre des griefs n° 2 et 3, pour un montant total de 146 885 000 euros. Elle a en outre enjoint à ces entreprises de publier un encart résumant la décision attaquée dans le journal Le Figaro et le magazine LSA.
40.S’agissant de la procédure de clémence, la société Wilh. Werhahn GmbH co.KG et ses filiales ont bénéficié d’une exonération totale de sanction au titre des deux griefs.
41.S’agissant de la procédure de non-contestation des griefs, les sociétés du groupe Grain Millers ont bénéficié d’une réduction de 20 % au titre du grief n°1.
42.Les dispositions de l’article L. 464-2 III et IV n’ont pas été mises en ‘uvre dans le cadre des griefs nos 2 et 3.
C. Les arrêts de la cour d’appel de Paris du 20 novembre 2014 et de la Cour de cassation des 8 novembre 2016 et 4 octobre 2017
43.Saisie par le recours de seize sociétés, la cour d’appel de Paris a statué par un arrêt du 20 novembre 2014 (RG n° 2012/06826). S’agissant des pratiques objet du grief n° 1, elle a réformé la décision attaquée quant au montant des sanctions infligées aux sociétés Bliesmühle GmbH, Flechtorfer Mühle et Bindewald Kupfermühle GmbH, et a, pour le surplus, rejeté l’ensemble des recours. S’agissant des pratiques visées par les griefs nos 2 et 3, la cour d’appel a jugé qu’il n’était pas établi que les sociétés sanctionnées avaient enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. Elle a en conséquence annulé la décision sur ce point.
44.Cet arrêt a fait l’objet d’une rectification d’erreur matérielle par arrêt du 25 janvier 2018 (RG n° 2017/20545), l’erreur matérielle en cause consistant à avoir annulé la décision sur le 3ème grief en étendant la portée de cette annulation aux sociétés Grands Moulins Storione et Moulins Soufflet, alors que celles-ci, qui n’avaient pas formé de recours, n’étaient pas parties à la procédure. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt rectificatif a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 11 avril 2019 (Civ. 2, pourvois n° 18-12.706 et a.)
45.Sur rabat de l’arrêt qu’elle avait rendu le 8 novembre 2016, la Cour de cassation, chambre commerciale financière et économique, a, par arrêt du 4 octobre 2017 (pourvois nos 14-29.542, 14-28.234, 14-29.273, 14-29.482, 14-29.509, 14-29.491, 14-50.076, 14-29.354, ci-après l’ « arrêt de cassation »), notamment, cassé et annulé l’arrêt du 20 novembre 2014, mais seulement en ce que, réformant la décision attaquée, il a dit, d’une part, qu’il n’est pas établi que les sociétés Axiane Meunerie SAS, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris SA, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin et Nutrixo SAS ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit (grief n° 2), et, d’autre part, qu’il n’est pas établi que les sociétés Axiane Meunerie SAS, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris SA, Grands Moulins Storione, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin, Moulins Soufflet, et Nutrixo SAS ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue aux enseignes du « hard discount » en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit (grief n° 3), et en ce que, rejetant leurs recours, il a dit établi que les sociétés VK-Mühlen AG et Grands Moulins de Paris ont participé à une entente anticoncurrentielle visant à limiter les importations de farine en sachets entre l’Allemagne et la France et leur a infligé des sanctions, ainsi qu’en ses dispositions relatives à la publication de la décision de l’Autorité (grief n° 1).
46.La Cour de cassation a remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
47.Les sociétés GoodMilIs Deutschland GmbH (anciennement société VK-Mühlen, ci-après la « société GoodMills Deutschland »), Grands Moulins de Paris, pour sa part et venant également aux droits de la société Euromill Nord à la suite d’une opération de fusion absorption en date du 27 mai 2015, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin, Axiane Participations SAS (anciennement Axiane Meunerie SAS et Groupe Meunier Celbert, ci-après la « société Axiane ») et Nutrixo SA (anciennement Nutrixo SAS, ci-après la « société Nutrixo’»), ont saisi la cour d’appel de Paris d’un nouveau recours contre la décision attaquée.
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MOTIVATION
À titre liminaire, sur les écritures successives des sociétés Axiane et Minoteries Cantin
48.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin indiquent, au point 42 de leurs conclusions du 13 décembre 2017, que celles-ci n’ont pas vocation à se substituer aux précédentes écritures déjà déposées auprès de la cour d’appel dans le cadre du recours contre la décision attaquée. Elles précisent sur ce point que, dans le cadre du renvoi prononcé par la Cour de cassation, la cour d’appel est saisie « en l’état », c’est-à-dire qu’elle est saisie de toutes les écritures échangées par les parties, lors de la première procédure de recours, complétées par les nouvelles écritures des parties, dont les mémoires récapitulatifs déposés par elles le 17 décembre 2017, leurs mémoires des 21 juin 2017 et l’intégralité des pièces déposées avec ces mémoires.
49.Cette analyse, qui tend à faire échec aux dispositions de l’article R. 464-25-1, alinéa 4, du code de commerce, lesquelles précisent que « Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs observations écrites antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour d’appel ou son premier président ne statue que sur les dernières écritures déposées », n’est pas fondée.
50.En effet, issue de l’article 16 du décret n° 2017-823 du 5 mai 2017 relatif aux recours exercés devant la cour d’appel de Paris contre les décisions de l’Autorité de la concurrence et aux recours exercés devant le premier président de la cour d’appel de Paris contre certaines décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, et entrée en vigueur au lendemain de sa publication, le 7 mai 2017, cette règle de procédure est applicable aux écritures déposées après cette date. Le principe, tiré de l’application de l’article 625 du code de procédure civile, selon lequel la cassation replace les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la décision cassée, ne peut être utilement invoqué pour faire obstacle aux règles de procédure, telles que celles précitées, qui organisent les conditions dans lesquelles doivent être présentés les prétentions et moyens des parties dans le cadre du recours entrepris.
51.Il s’en déduit que, nonobstant l’indication selon laquelle leurs dernières écritures récapitulatives n’ont pas vocation à se substituer à toutes celles déjà déposées auprès de la cour d’appel, les sociétés Axiane et Minoteries Cantin sont réputées avoir abandonné les prétentions et moyens présentés dans leurs conclusions antérieures qui ne figureraient pas dans lesdites écritures récapitulatives.
I. SUR LE GRIEF N° 1 (Pacte de non-agression entre les meuniers français et allemands)
52.L’Autorité a énoncé, aux paragraphes 435 et 436 de la décision attaquée, qu’ « il ressort du dossier que les meuniers français et allemands mis en cause se sont rencontrés, de façon régulière, dans le cadre des réunions énumérées aux paragraphes 127 à 179 de la présente décision, afin de convenir d’un arrangement visant à limiter l’exportation de farine en sachets de part et d’autre de la frontière franco-allemande, sur la base d’un quota d’exportation réciproque de 15 000 tonnes annuelles convenu conjointement selon les modalités décrites aux paragraphes 181 à 217 ci-dessus », que, « [c]e faisant, elles ont institué un pacte de non-agression mutuelle entre elles, dont l’objet même consistait à substituer au libre jeu de la concurrence un accord visant à limiter l’accès réciproque à leurs marchés nationaux respectifs et à maîtriser les exportations franco-allemandes de farine en sachets en les maintenant à un niveau déterminé par avance (15 000 tonnes) », et que, « [d]e plus, de manière plus ponctuelle, elles ont réparti certains clients présents sur le territoire français ou s’approvisionnant par le biais d’appels d’offres à l’échelon européen et ont convenu de principes de lissage des prix de la farine en sachets importée en France, aux fins de s’assurer du respect du quota convenu ».
53.Après avoir rappelé que quatre entreprises appartenant au groupe de sociétés Grain Millers ne contestaient pas l’objet anticoncurrentiel de l’accord en cause, au demeurant confirmé par le demandeur de clémence (décision attaquée, § 437 et 438), l’Autorité a précisé que « l’accord conclu entre les meuniers français et allemands constitue une entente ayant un objet anticoncurrentiel au sens des articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du code de commerce ». Elle a précisé que l’entente, initiée le 14 mai 2002, avait duré jusqu’au 17 juin 2008 (décision attaquée, § 449 à 467) et recherché, ensuite, si la preuve de la participation des autres entreprises était rapportée.
54.S’agissant de la société Grands Moulins de Paris, l’Autorité a retenu que, bien que cette société n’ait participé qu’à une seule réunion, celle du 24 septembre 2003, désignée comme la réunion n° 6 (ci-après la « réunion n° 6 »), sa participation à l’entente était constituée, dès lors que la nature anticoncurrentielle des échanges sur des informations sensibles, tenus lors de cette réunion, excluait que la bonne foi de cette société ait pu être surprise (décision attaquée, § 546). À cet élément elle a ajouté que cette société avait été destinataire de l’invitation du syndicat des meuniers allemands, la Verband Deutscher Mühle (ci-après la « VDM »), organisateur de la réunion du 17 octobre 2003, désignée comme la réunion n° 7 (ci-après la « réunion n° 7 ») (décision attaquée, § 548). Elle a précisé que, quand bien même cette bonne foi eût été démontrée, la société Grands Moulins de Paris n’aurait pu être exonérée de sa responsabilité, faute pour elle de démontrer que ses deux représentants, MM. Z. et A., le premier, directeur de la branche meunerie et administrateur de la société Grands Moulins de Paris, le second, directeur commercial et administrateur de celle-ci, s’étaient distanciés sans délai et publiquement des pratiques anticoncurrentielles convenues lors des réunions.
55.À l’appui de cette affirmation, l’Autorité a rappelé que, comme l’avait déjà jugé le Tribunal de l’Union européenne (ci-après le « Tribunal de l’Union » ou le « TUE ») dans son arrêt du 30 novembre 2011, Quinn Barlo e.a./Commission (T-208/06, points 48 et 49), dès lors qu’une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à une ou plusieurs réunions ayant un objet anticoncurrentiel et qu’elle ne se distancie pas sans délai et publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu’elle souscrit au résultat des réunions et qu’elle s’y conformera, il est établi qu’elle participe à l’entente résultant desdites réunions (décision attaquée, § 472).
56.S’agissant de la société VK-Mühlen, l’Autorité a relevé qu’il est établi que M. 10…, salarié de la société VK-Mühlen, était présent à la réunion n° 6 et a été destinataire des invitations de la VDM pour les réunions n° 5, tenue le 26 août 2003, 7 et 10, tenues le 23 juillet 2004 (décision attaquée, § 563), ce qui prouve qu’il avait connaissance des contacts franco-allemands antérieurs à la réunion n° 6 et qu’il ne s’est pas distancié publiquement de l’entente lors de cette dernière. L’Autorité a conclu que la participation de la société VK-Mühlen à l’entente au titre du grief n° 1 est établie du 24 septembre 2003 (date de la réunion n° 6) au 17 juin 2008 (date de la fin des pratiques).
57.Pour censurer l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 novembre 2014, qui avait validé l’analyse relative à la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris, la Cour de cassation a d’abord énoncé le principe selon lequel, « si la preuve d’une distanciation publique peut permettre de renverser la présomption du caractère illicite de la participation d’une entreprise à une réunion anticoncurrentielle, l’absence d’une telle distanciation ne peut, dans le cas d’une entente se poursuivant dans le temps et se caractérisant par une succession de réunions collusoires, être le seul élément retenu pour établir qu’une entreprise a continué de participer à l’infraction, lorsque cette entreprise a cessé, pendant une période significative, de participer à ces réunions ». Elle a ensuite retenu qu’ « en se fondant sur la seule absence de distanciation publique des sociétés VK Mühlen et [Grands Moulins de Paris] à l’issue de la seule réunion du 24 septembre 2003 à laquelle elles avaient assisté, sans relever aucun élément factuel établissant la poursuite du comportement anticoncurrentiel de ces sociétés jusqu’au terme général de l’infraction et alors qu’il n’était pas contesté qu’elles n’avaient pas participé aux six réunions collusoires qui s’étaient tenues postérieurement à celle du 24 septembre 2003 » (souligné par la cour), la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
58.Devant la cour, saisie sur renvoi après cassation, la société GoodMills Deutschland, venant aux droits de la société VK-Mühlen, soutient que l’Autorité n’a pas établi la participation de la société VK-Mühlen aux pratiques pour la durée de quatre ans et huit mois retenue contre elle et demande l’annulation de la décision à son égard. Elle fait valoir à ce sujet qu’il résulte de l’arrêt de cassation que, contrairement à ce que retient l’Autorité dans la décision attaquée, le seul contact que représente la réunion n° 6 est, à lui seul, insuffisant pour lui imputer quelque responsabilité que ce soit dans les pratiques. Elle ajoute que l’Autorité ne dispose d’aucune preuve concrète de sa participation jusqu’au terme de l’entente, c’est-à-dire jusqu’au 17 juin 2008, ce que relève également le ministre chargé de l’économie dans ses observations.
59.La société GoodMills Deutschland indique que, lorsque les pratiques se déroulent sur une certaine durée, l’autorité de concurrence doit rapporter la preuve de leur mise en ‘uvre sur toute la durée qu’elle retient.
60.Elle rappelle que, selon l’arrêt de cassation, la seule absence de distanciation ne peut fonder la participation de la société VK-Mühlen. Selon elle, la Cour de cassation, qui a exercé un contrôle très approfondi sur les éléments factuels qu’elle lui a soumis pour démontrer son absence d’implication dans les pratiques, a confirmé, sans contestation possible, le défaut de valeur probante des invitations envoyées à la société VK-Mühlen concernant les réunions nos 7 et 10, sur lesquelles l’Autorité se fonde pour prétendre que celle-ci ne se serait pas distanciée des pratiques après la réunion n° 6. Elle fait valoir que la décision attaquée n’invoque à son encontre, en dehors de sa participation à la réunion n° 6, aucun autre indice de sa prétendue adhésion à l’entente, notamment, par la diffusion des consignes adoptées ou par l’application des mesures décidées lors de cette réunion, et ce alors que l’entente a nécessité au moins douze réunions.
61.Elle ajoute que l’Autorité confond, dans ses observations, la preuve de la durée des pratiques en général et celle de la participation de la société VK-Mühlen à celles-ci. Elle soutient que la Cour de cassation a jugé, dans l’arrêt de cassation, que la preuve de la participation de la société VK-Mühlen ne peut pas être établie sur la base des éléments retenus pour démontrer l’existence des pratiques elles-mêmes, ni sur ceux invoqués pour établir la durée de participation des autres meuniers.
62.La société Grands Moulins de Paris soutient que, pour retenir sa participation aux pratiques du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008, l’Autorité s’est fondée sur sa seule participation à la réunion n° 6, laquelle, selon l’arrêt de cassation, est insuffisante à rapporter cette preuve.
63.Elle fait valoir que c’est à tort que l’Autorité, en se fondant sur un certain nombre d’arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour de justice » ou la « CJUE » ) qu’elle interprète de façon erronée, prétend que la participation à une seule réunion ayant un objet anticoncurrentiel est suffisante pour engager la responsabilité d’une entreprise. En effet, les arrêts cités concernent des affaires dans lesquelles les entreprises sanctionnées avaient participé à plusieurs réunions et non à une seule. Elle relève que, dans les cas où la responsabilité d’une entreprise a été retenue alors qu’elle n’avait participé qu’à une seule réunion, d’autres éléments de preuve ont été relevés (arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 février 2009, RG n° 2008/02003, statuant sur le recours contre la décision du Conseil n° 07-D-48).
64.Par ailleurs, la société Grands Moulins de Paris soutient que la cour d’appel ne peut ajouter de nouveaux motifs de « condamnation » non mentionnés dans la décision attaquée et qu’elle ne pourra que constater que la sanction prononcée à son égard est contraire à la jurisprudence et à la doctrine. Elle ajoute que sa mise hors de cause est, en outre, justifiée par les quatre indices convergents à sa décharge, qui sont les suivants. Premièrement, le demandeur de clémence ne l’a pas mise en cause, deuxièmement, aucun élément relatif au cartel franco-allemand n’a été saisi dans ses locaux, troisièmement, elle n’a pas donné suite à l’invitation à la réunion n° 7 qui lui a été adressée et aucun des meuniers auditionnés ne se souvient de sa présence à plus d’une des douze réunions incriminées, ce qui marque sa distanciation, quatrièmement enfin, ses ventes vers l’Allemagne ont progressé de 2001 à 2008, passant de 5 000 à 13 000 tonnes, ce qui est un indice supplémentaire de son absence d’adhésion au cartel visant à geler les exportations.
65.L’Autorité observe que les requérantes se méprennent sur la portée de l’arrêt de cassation lorsqu’elles affirment que la Cour de cassation aurait entendu remettre en cause le raisonnement de la cour d’appel sur la question du principe même de leur participation à l’entente. Selon elle, la Cour de cassation a seulement statué sur la question précise de la preuve de la durée de participation des entreprises et jugé que la seule absence de distanciation était suffisante pour établir la continuité de cette participation.
66.Elle ajoute qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt de cassation l’existence d’un principe selon lequel la participation à une seule réunion serait insuffisante à caractériser l’adhésion d’une entreprise à une entente, alors que la preuve de l’objet anticoncurrentiel de la réunion est établie.
67.L’Autorité fait observer que les arrêts cités par les requérants au soutien de leur argumentaire concernent des pratiques intervenues dans le cadre statutaire d’une organisation professionnelle, alors que les pratiques de l’espèce consistaient dans des réunions occultes intervenues en dehors de tout cadre statutaire, contexte dans lequel la seule participation à une réunion est suffisante pour caractériser l’accord de volonté d’une entreprise.
68.S’agissant des éléments de preuve démontrant la participation des entreprises aux pratiques objet du grief n° 1, l’Autorité soutient que l’arrêt de cassation ayant simplement censuré l’arrêt de la cour d’appel en ce que celle-ci s’est uniquement fondée sur l’absence de distanciation des sociétés Grands Moulins de Paris et VK-Mühlen pour retenir une durée de participation du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008, les moyens de ces sociétés sur les éléments de preuve qui auraient été utilisés par l’Autorité sont dénués de pertinence. En effet, selon elle, dès lors que ces entreprises ont participé à une réunion anticoncurrentielle sans se distancier des échanges qui ont eu lieu à cette occasion, leur adhésion à l’entente ne fait aucun doute.
69.Concernant la durée de participation retenue à l’égard des sociétés Grands Moulins de Paris et VK-Mühlen, l’Autorité renvoie à la décision attaquée, dans laquelle elle a démontré cette durée par référence au raisonnement utilisé pour démontrer la durée de l’entente
franco-allemande dans son ensemble, et non en se fondant sur l’absence de distanciation. Elle rappelle qu’elle a relevé à ce sujet que, malgré l’absence de réunion après le mois de septembre 2004, les accords ont continué à être respectés et à faire l’objet d’une surveillance et que le grief porte sur un accord de volontés ayant un objet anticoncurrentiel, et non sur de simples échanges d’informations à l’occasion de réunions ponctuelles.
70.Le ministre chargé de l’économie observe, en se référant à l’arrêt rendu par cette cour le 25 février 2009, précité, et à l’arrêt de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C-8/08, points 60 à 63), que la participation d’une entreprise à une seule réunion anticoncurrentielle est suffisante à caractériser l’infraction. Il en déduit que, dans la mesure où les sociétés Grands Moulins de Paris et VK-Mühlen ont participé à la réunion n° 6, ce qu’elles ne contestent pas, et qu’elles ne se sont pas distanciées des pratiques anticoncurrentielles convenues lors de cette réunion, l’infraction est caractérisée à leur égard.
71.Il ajoute, cependant, que la participation aux pratiques des sociétés Grands Moulins de Paris et VK-Mühlen postérieurement à la réunion n° 6, repose sur la circonstance qu’elles ont été destinataires, en aval de cette participation, d’invitations émanant des membres du cartel. Selon lui, cet élément, qui est indépendant de la volonté de ces deux sociétés, ne témoigne pas à lui seul de leur détermination à poursuivre leur participation à l’entente. Le ministre relève que le dossier ne comporte pas d’autre élément de preuve de la participation de ces sociétés à la totalité des pratiques constitutives du grief n° 1 et invite la cour d’appel à limiter la durée de leur implication à la période écoulée entre le 24 septembre 2003, date de la réunion n° 6, et le 17 octobre 2003, réunion suivante à laquelle elles n’ont pas participé.
A. Sur la portée de l’arrêt de cassation
72.Le dispositif de l’arrêt de cassation énonce que l’arrêt du 20 novembre 2014 est cassé, notamment, « [en] ce que, rejetant leurs recours, il dit établi que les sociétés VK-Mühlen AG et Grands Moulins de Paris ont participé à une entente anticoncurrentielle visant à limiter les importations de farine en sachets entre l’Allemagne et la France et leur inflige des sanctions ainsi qu’en ses dispositions relatives à la publication de la décision de l’Autorité de la concurrence ».
73.Il convient, en conséquence de cet arrêt, que la cour examine les recours formés par les sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris, d’une part, en ce qu’ils portent sur l’article 1er de la décision attaquée en tant que celui-ci énonce qu’ « il est établi que les sociétés VK-Mühlen AG et Grands Moulins de Paris ont participé à une entente anticoncurrentielle visant à limiter les importations de farine en sachets entre l’Allemagne et la France », d’autre part, en ce qu’ils portent sur l’article 7 de cette même décision, qui inflige les sanctions de 11 834 000 euros à la société Grands Moulins de Paris et de 17 110 000 euros à la société VK-Mühlen.
74.Il s’ensuit que la cour d’appel doit apprécier la réalité de la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris à l’entente objet du grief n° 1 ainsi que la durée de cette participation, sans se limiter à cette seconde analyse comme le soutient à tort l’Autorité.
75.Par ailleurs, en application de l’article L. 411-2, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire, la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf disposition législative contraire. Elle n’a donc pas, comme le démontrent les termes de l’arrêt et contrairement à ce que soutient la société GoodMills Deutschland, exercé un contrôle sur les éléments factuels qu’elle lui a soumis pour démontrer son absence d’implication dans les pratiques, ni confirmé le défaut de valeur probante des invitations envoyées à la société VK-Mühlen concernant les réunions nos 7 et 10.
B. Sur la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris aux pratiques objet du grief n° 1
1. Les principes applicables pour caractériser la participation à une entente et sa durée
76.S’agissant de la participation à une entente, dans son principe, ainsi que l’a rappelé le Tribunal de l’Union au point 47 de son arrêt Quinn Barlo e.a./Commission, précité, il est de jurisprudence constante qu’il suffit que l’autorité de concurrence démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l’entente.
77.La raison qui sous-tend ce principe de droit est que, ayant participé à ces réunions sans se distancier publiquement de leur contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (même arrêt, point 48).
78.Ainsi que le font observer les requérantes, les arrêts cités par l’Autorité au paragraphe 472 de la décision attaquée ainsi que dans ses observations, et qui énoncent ce principe, se référent à « des réunions » et concernent des situations dans lesquelles les parties en cause ont participé à plusieurs réunions (TUE, arrêts du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, point 232 ; du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, point 98 ; du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, points 85 et 86 ; du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T-21/99, points 41 à 56, et Quinn Barlo e.a./Commission, précité, point 47).
79.Toutefois, le principe selon lequel, en participant à des réunions anticoncurrentielles sans se distancier publiquement de leur contenu, une entreprise donne à penser aux autres participants qu’elle souscrit aux résultats attendus de l’entente et qu’elle se conformera à celle-ci, s’applique tout autant à la participation à une seule réunion à objet anticoncurrentiel qu’à plusieurs et justifie que, dans un tel cas, l’entreprise en cause soit reconnue comme ayant participé à la pratique anticoncurrentielle résultant de cette réunion.
80.C’est ce qu’a énoncé la Cour de justice dans son arrêt T-Mobile Netherland e.a., précité, en disant pour droit que, «[p]our autant que l’entreprise participant à la concertation demeure active sur le marché considéré, la présomption du lien de causalité entre la concertation et le comportement de cette entreprise sur ce marché est applicable même si la concertation n’est fondée que sur une seule réunion des entreprises concernées ».
81.Cette solution procède du constat, figurant au point 60 de cet arrêt, selon lequel « ce sont tant l’objet de la concertation que les circonstances propres au marché qui expliquent la fréquence, les intervalles et la manière dont les concurrents entrent en contact les uns avec les autres pour aboutir à une concertation de leur comportement sur le marché. En effet, si les entreprises concernées créent une entente avec un système complexe de concertation sur un grand nombre d’aspects de leur comportement sur le marché, elles pourront avoir besoin de contacts réguliers sur une longue période. En revanche si, comme dans l’affaire au principal, la concertation est ponctuelle et vise une harmonisation unique du comportement sur le marché concernant un paramètre isolé de la concurrence, une seule prise de contact pourra suffire pour réaliser la finalité anticoncurrentielle recherchée par les entreprises concernées ».
82.La Cour de justice en conclut, au point 61 dudit arrêt, que, « [d]ans ces conditions, il y a lieu de considérer que ce qui importe n’est pas tant le nombre de réunions entre les entreprises concernées que le fait de savoir si le ou les contacts qui ont eu lieu ont offert à ces dernières la possibilité de tenir compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le marché considéré et de substituer sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence. Dès lors qu’il peut être établi que ces entreprises ont abouti à une concertation et qu’elles sont restées actives sur ce marché, il est justifié d’exiger que celles-ci rapportent la preuve que cette concertation n’a pas eu d’influence sur leur comportement sur ledit marché ».
83.S’agissant d’établir la durée de participation à une entente, dans le cadre de pratiques anticoncurrentielles qui se déroulent sur une période de temps et se manifestent par une succession de réunions collusoires, la Cour de justice a précisé, au point 19 de son arrêt du 15 septembre 2015, Total Marketing Services/Commission (C-634/13 P), que, « même lorsqu’il n’est pas contesté qu’une entreprise ne participe plus aux réunions collusoires d’une entente, elle est tenue de se distancier publiquement de cette dernière, afin qu’il puisse être considéré qu’elle a cessé d’y participer, la preuve de cette distanciation devant être appréciée selon la perception des autres participants à cette entente » (souligné par la cour). Elle a ajouté, aux points 22 et 23 du même arrêt, que, selon sa jurisprudence, l’exigence de distanciation est un moyen de preuve indispensable pour renverser la présomption de caractère illicite de la participation d’une entreprise à une réunion anticoncurrentielle, mais qu’en ce qui concerne la participation, non à des réunions anticoncurrentielles individuelles, mais à une infraction s’étendant sur plusieurs années, il découle de sa jurisprudence que l’absence de distanciation publique ne constitue qu’un des éléments parmi d’autres à prendre en considération en vue d’établir si une entreprise a effectivement continué à participer à une infraction.
84.Aux points 27 et 28 dudit arrêt, la Cour de justice a enfin précisé que, « [s]’agissant, notamment, d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, […] le fait que la preuve directe de la participation d’une société à cette infraction pendant une période déterminée n’a pas été apportée ne fait pas obstacle à ce que cette participation, également pendant cette période, soit constatée, pour autant que cette constatation repose sur des indices objectifs et concordants (voir, en ce sens, arrêts [du 21 septembre 2006,] Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105/04 P,[…] points 97 et 98, ainsi que [du 6 décembre 2012,] Commission/Verhuizingen Coppens, C-441/11 P, […] point 72) », et que « [l]’absence de distanciation publique constitue une situation factuelle dont la Commission peut faire état pour prouver la poursuite du comportement anticoncurrentiel d’une société. Toutefois, dans le cas où, au cours d’une période significative, plusieurs réunions collusoires ont eu lieu en l’absence de participation des représentants de la société concernée, la Commission doit également fonder son appréciation sur d’autres éléments de preuve » (souligné par la cour).
85.Il s’ensuit que la participation d’une entreprise à une seule réunion anticoncurrentielle sans distanciation suffit à démontrer son adhésion à l’entente, mais que, lorsque cette pratique se poursuit ensuite pendant plusieurs années et qu’au cours d’une période significative, plusieurs réunions collusoires ont lieu sans que cette entreprise y participe, l’autorité de concurrence ne peut lui imputer la responsabilité de la pratique pour toute sa durée sans compléter son appréciation par d’autres éléments de preuve que celui résultant de l’absence de distanciation à une réunion antérieure, qui est un élément de preuve insuffisant, à lui seul. L’Autorité est en conséquence mal fondée à soutenir que les éléments démontrant que l’entente a duré pendant plusieurs années suffisent à établir la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris pour toute la durée de celle-ci, alors même qu’elles n’ont assisté qu’à une seule réunion, tenue le 24 septembre 2003, près de cinq ans avant la cessation des pratiques.
2. Sur la participation des sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris
86.Il n’est pas contesté par les requérantes que la pratique objet du grief n° 1 était une pratique continue et qu’elle a été caractérisée pour la période du 14 mai 2002 au 17 juin 2008. Le 14 mai 2002 correspond à la date de la première réunion organisée par la VDM à laquelle les entreprises françaises ont été invitées et par laquelle a commencé à se mettre en place leur accord visant à limiter l’exportation de farine en sachets de part et d’autre de la frontière franco-allemande (décision attaquée, § 127 et s.). Le 17 juin 2008 correspond au lendemain de la date du dernier courrier électronique par lequel il est établi que les participants à l’entente ont échangé des informations sur les prix, témoignant de ce que l’accord franco-allemand était exécuté (décision attaquée § 234).
87.Il résulte par ailleurs des éléments décrits dans la décision attaquée et non contestés par les sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris, qu’entre ces deux dates, douze réunions entre les meuniers français et allemands ont eu lieu du 14 mai 2002 au 21 septembre 2004. Ces réunions ont débouché à titre principal sur des principes de « non-agression » décidés de façon commune entre meuniers français et allemands, mais elles ont aussi donné lieu à des échanges d’informations sur les volumes d’importation de farine en sachets de l’Allemagne vers la France, et vice versa, ainsi que sur les prix, volumes et clients à livrer en farine en sachets, principalement en France et en Europe (décision attaquée, § 127 à 180). Par ailleurs, il résulte encore des éléments repris dans la décision attaquée, et qui ne sont pas davantage contestés, que les principes de limitation des importations, ainsi que les répartitions de volumes et de clients convenues ponctuellement entre les meuniers français et allemands, ont fait l’objet d’une surveillance quant à leur mise en ‘uvre, à tout le moins par les meuniers français, et que cette surveillance s’est poursuivie après la dernière réunion du 21 septembre 2004 jusqu’au mois de juin 2008 (décision attaquée, § 218 à 234).
88.Il est établi, notamment, par les déclarations reprises aux paragraphes 184 à 186 de la décision attaquée et par les notes détaillées, mentionnées aux paragraphes 215 à 217, qu’au cours de la réunion n° 6, les participants ont abordé la question du pacte de non-agression franco-allemand convenu entre eux et qu’ils ont échangé des informations sur les prix et les volumes à offrir à la centrale d’Intermarché ainsi que sur les livraisons concernant deux enseignes du « hard discount ». Il s’en déduit que les participants, dont les sociétés
VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris, étaient informés de l’objet de la concertation, qu’ils ont eu accès à des informations privilégiées et que, à tout le moins, par leur absence de distanciation, ces sociétés ont donné à penser aux autres participants qu’elles souscrivaient à la pratique et s’y conformeraient.
89.Dans ces circonstances de fait et en application des principes rappelés ci-dessus, il est établi que les sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris ont participé à l’entente objet du grief n° 1 à compter du 24 septembre 2003, date de la réunion n° 6. Il est sans portée sur ce point que la société Grands Moulins de Paris n’ait pas été citée par le demandeur de clémence comme ayant participé à cette entente, ainsi que celle-ci le fait valoir au paragraphe 531 de son mémoire récapitulatif du 14 décembre 2017.
90.La société GoodMills Deutschland ne conteste pas la participation de la société VK-Mühlen à la réunion n° 6 ni le caractère anticoncurrentiel de cette réunion. Elle ne conteste pas non plus que la société VK-Mühlen ne s’est pas distanciée de la pratique ni que celle-ci a duré jusqu’au 17 juin 2008, mais fait seulement valoir que l’Autorité n’a pas établi la participation de cette société aux pratiques pour la durée de quatre ans et huit mois retenue contre elle.
91.S’agissant de la durée de leur participation, il n’est pas contesté que les sociétés
VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris n’ont assisté à aucune des six réunions (désignées par les nos 7 à 12) qui, pendant encore une durée d’un an, ont suivi la réunion n° 6. Par ailleurs, aucun des éléments du dossier ne permet de constater qu’elles auraient été associées aux actes de surveillance de la mise en ‘uvre des limitations réciproques d’exportation.
92.Dans cette situation d’une entente se poursuivant dans le temps et se caractérisant par une succession de réunions collusoires, pendant deux ans, alors que ces deux sociétés n’ont plus participé aux réunions anticoncurrentielles jusqu’à leur terme et pendant une durée qui peut être qualifiée de significative au regard de la durée d’ensemble de la période de réunions, ni été associées aux actes démontrant la continuation de l’entente, la seule circonstance qu’elles ne s’étaient pas distanciées des pratiques est insuffisante pour considérer que leur participation est établie jusqu’au 17 juin 2008, date de fin des pratiques.
93.Il est indifférent que, comme le souligne l’Autorité, ces pratiques aient consisté en un accord de volontés ayant un objet anticoncurrentiel et non en de simples échanges d’informations à l’occasion de réunions ponctuelles.
94.Sur ce point, il convient en effet d’observer que, si l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Total Marketing Services/Commission, précité, dans lequel la Cour de justice a affirmé la nécessité d’une preuve plus étayée que la seule absence de distanciation pour retenir la participation d’une entreprise à une entente au cours de la période pendant laquelle celle-ci n’a pas participé aux réunions anticoncurrentielles, concernait des accords ou des pratiques concertées portant sur la fixation des prix et sur l’échange et la divulgation d’informations sensibles sur le plan commercial affectant les cires de paraffine, elle portait aussi, pour ce qui concerne la société Total Marketing Services, sur une répartition de clients ou de marchés, c’est-à-dire sur un accord de volontés, sans que la Cour de justice ait distingué entre les types de pratiques.
95.La cour doit en conséquence examiner si d’autres éléments du dossier que l’absence de distanciation à l’égard des pratiques permettent de considérer que les sociétés VK-Mühlen et Grands Moulins de Paris ont participé à l’entente jusqu’à son terme, soit jusqu’au 17 juin 2008, et, dans la négative, déterminer quelle a été la durée de leur participation.
a. S’agissant de la société VK-Mühlen
96.Ainsi qu’il a été rappelé (voir § 56 du présent arrêt), l’Autorité a, outre la présence de M. 10…, salarié de la société VK-Mühlen, à la réunion n° 6, relevé que celui-ci avait été destinataire des lettres d’invitations de la VDM pour les réunions nos 5, 7 et 10.
97.Ces invitations adressées par la VDM aux meuniers allemands et transmises aux entreprises françaises, indiquaient, concernant la réunion n° 7, « Suite à notre arrangement du 24 septembre 2003 je vous invite à une réunion avec les collègues français (…) » ( annexe 57 cotes 12 565, 12 566 et 12 584) et, concernant la réunion n° 10, « rencontre avec les Français » ( annexe 57 cotes 12 601 et 12 617). Elles étaient suffisamment précises pour que M. 10…, leur destinataire au sein de la société VK-Mühlen, comprenne, d’abord, que la réunion n° 7 visait à la poursuite de la réunion n° 6 qui s’était tenue le 24 septembre 2003, et ensuite, bien qu’il n’ait pas assisté aux réunions nos 7, 8 et 9, que la réunion n° 10 s’inscrivait dans le même contexte, ces deux réunions poursuivant le pacte de non-agression entre les meuniers français et allemands.
98.La réception de ces invitations montre de surcroît que, jusqu’à l’envoi des invitations à la réunion n° 11, les parties à l’entente ont considéré que la société VK-Mühlen partageait leurs objectifs, était prête à en assumer les risques et était des leurs. Si, ainsi que le fait observer le ministre chargé de l’économie, elle n’avait pas la maîtrise de leur envoi, elle pouvait toutefois y mettre un terme et détromper leur expéditeur ainsi que les autres membres de l’entente en se distanciant expressément et en indiquant qu’elle ne souhaitait plus être conviée, ce qu’elle n’a pas fait.
99.En revanche, le fait qu’elle n’ait ensuite pas reçu d’invitations pour les réunions nos 11 et 12 et qu’elle n’ait pas assisté à celles-ci, démontre qu’à compter de la date des invitations à participer à la réunion n° 11, soit le 27 juillet 2004 (annexe 57, cote 12 484 et 12 501), la société VK-Mühlen avait manifesté avec suffisamment de clarté qu’elle s’était distanciée de l’entente et que son comportement était interprété en ce sens par les autres participants. Ce n’est donc que jusqu’à cette date que peut être retenue sa participation à l’entente objet du grief n°1.
100.Il s’ensuit qu’il est démontré que la société VK-Mühlen a participé à l’entente, objet du grief n°1, du 24 septembre 2003 au 27 juillet 2004 et que la décision doit être réformée sur ce point.
101.La sanction prononcée par la décision sera réformée en conséquence, ainsi qu’il sera précisé aux paragraphes 433 et suivants du présent arrêt.
b. S’agissant de la société Grands Moulins de Paris
102.Au point 128 de son arrêt Quinn Barlo e.a./Commission, précité, le Tribunal de l’Union a précisé que, « [d]’après la jurisprudence de la Cour, afin d’établir la participation d’une entreprise à un (…) accord unique, la Commission doit prouver que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en ‘uvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêt [du 8 juillet 1999,] Commission/Anic Partecipazioni, [C-49/92 P, …] point 87, et [du 7 janvier 2004,] Aalborg Portland e.a./Commission, [C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, …] point 83) ».
103.Ainsi qu’il est rappelé au paragraphe 54 du présent arrêt, l’Autorité a retenu que deux responsables de la société Grands Moulins de Paris, tous deux administrateurs de celle-ci, avaient participé à la réunion n° 6, qu’il n’était pas établi que ces deux participants se seraient distanciés des pratiques qui ont été discutées au cours de cette réunion ni que la bonne foi de cette société avait été surprise. L’Autorité a aussi relevé que la société Grands Moulins de Paris avait été destinataire de l’invitation pour la réunion n° 7 ce qui montrait que les participants à la réunion n° 6 n’ont pas interprété les prises de positions de ses responsables, alléguées par celle-ci, comme une distanciation claire vis-à-vis des échanges qui ont eu lieu à cette occasion (décision attaquée, § 548).
104.Cependant, cette seule invitation faisant suite à la participation de la société Grands Moulins de Paris à la réunion n° 6 est insuffisante pour considérer que celle-ci a manifesté qu’elle entendait s’associer aux pratiques mises en ‘uvre par les meuniers pour toute leur durée, puisqu’elle n’a plus ensuite assisté à aucune des réunions organisées par ceux-ci et qu’elle n’y a plus été conviée.
105.Il s’en déduit que la décision doit être réformée en ce qu’elle a retenu que la société Grands Moulins de Paris avait participé à la pratique constitutive du grief n° 1 du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008.
106.Il appartient à la cour d’appel de statuer à nouveau sur ce point et de rechercher quelle a été la durée de la participation de la société Grands Moulins de Paris à la pratique en cause.
107.À cet égard, il convient de considérer que, si la société Grands Moulins de Paris s’est abstenue d’assister aux réunions de l’entente après la réunion n° 6, ce n’est qu’à compter de la date des invitations à assister à la réunion n° 8, c’est-à-dire le 29 octobre 2003 (Annexe 57, cotes 12560 et 12579) qu’est rapportée la preuve que la société Grands Moulins de Paris n’a plus été considérée par les membres de l’entente comme en faisant partie et c’est donc à cette date que doit être retenue la fin de sa participation.
108.Le fait que, comme le fait valoir l’Autorité, les accords ont continué à être respectés par certains meuniers et à faire l’objet d’une surveillance ne peut, faute d’éléments relatifs à la société Grands Moulins de Paris venant démontrer que celle-ci a respecté l’accord de non-agression dans sa pratique, constituer une preuve de sa participation à l’entente au-delà du 29 octobre 2003.
109.La sanction infligée à la société Grands Moulins de Paris sera réformée au regard de la durée retenue pour l’infraction ainsi qu’il sera exposé aux paragraphes 430 et suivants du présent arrêt.
II. SUR LES GRIEFS Nos 2 et 3 (Ententes nouées autour des sociétés France Farine et Bach Mühle)
110.S’agissant de l’entente nouée autour de la société France Farine (grief n° 2), il convient de rappeler succinctement que l’Autorité a, dans la décision attaquée, considéré que les modalités d’organisation et de fonctionnement de la société France Farine, telles que décrites aux paragraphes 240 à 260 de cette décision, ont conduit les entreprises qui en étaient actionnaires et partenaires à donner à cette société commune la prérogative de négocier pour leur compte avec les clients de la grande distribution, mais aussi celle de fixer en commun le prix de la farine en sachets qu’elle a pour fonction de commercialiser (farines à marque, farines sous MDD et farines premiers prix), ainsi que d’organiser un système de répartition des clients de la grande distribution en fonction d’une clé de répartition fixe consistant en l’attribution des commandes de ces clients à l’usine d’ensachage du commettant le plus proche du lieu de livraison de la commande (décision attaquée, § 615).
111.L’Autorité a estimé qu’il était établi que, pour les sociétés Grands Moulins de Paris, Euromill Nord, Minoteries Cantin et Groupe Meunier Celbert (au titre de sa filiale AMO Moulins de la Gare), la conjonction du statut d’actionnaire et de commettant de la société France Farine permettait de considérer que chacune d’elles adhérait aux modalités d’organisation et de fonctionnement de cette société, en ce qui concernait toute opération touchant à sa politique commerciale et à la manière dont elle fonctionnait sur le marché (décision attaquée, § 625). Elle a ajouté que l’exploitation des marques « Francine » et les marques la déclinant, propriétés de la société France Farine, reposait depuis 1984 sur des contrats de licence de marque au profit des commettants de cette société, qui avaient le droit de sous-licencier l’exploitation de ces marques à leurs filiales s’ils le jugeaient opportun. Or ces contrats de licence organisaient, entre autres, l’exploitation territoriale des marques en fonction de zones géographiques exclusives ou partagées (dans la limite de deux commettants), annexées à chaque contrat de licence de marque (cotes 4 783 ainsi que 14 467 et s.). L’Autorité en a déduit que l’adhésion au système de répartition géographique visant à exploiter les marques de la société France Farine résultait de la signature du contrat de licence de marque, ou du contrat de sous-licence associé (décision attaquée, § 626).
112.Par ailleurs, l’Autorité a estimé qu’il résultait d’un faisceau d’indices que, sans être formellement actionnaire ou commettant de la société France Farine, la société Grands Moulins de Strasbourg avait participé directement à son fonctionnement depuis le 25 mai 1966 (décision attaquée, § 630), mais que tel n’était pas le cas de la société Grands Moulins Storione (décision attaquée, § 632).
113.S’agissant des pratiques, l’Autorité a relevé que la société commune France Farine négociait elle-même la commercialisation de la farine en sachets produite par ses actionnaires commettants et que, dans ce cadre, elle appliquait, en leur nom, un prix de cession unique concernant les produits commercialisés sous la marque « Francine », les farines en sachets sous MDD et les « premiers prix », et que « [c]es commettants [étaient] associés de manière ponctuelle à la détermination des prix uniformes proposés, en particulier, certaines hausses de prix (cotes 82 à 84, et 3 466), à la détermination de planchers de prix agréés en commun en fonction de leurs coûts de revient (cote 2 476), ou encore à la politique de rabais et de ristournes de France Farine (cote 390) ». Elle a également relevé que ces décisions prises, notamment, au sein du comité de pilotage commercial et marketing de la société France Farine, avaient été concomitantes avec des échanges nourris sur la politique tarifaire de chaque meunier présent et avaient eu pour conséquence de permettre un alignement de leurs politiques générales de vente de farine en sachets, quand ils vendaient directement leurs produits aux clients (cote 3 505) (décision attaquée, § 639).
114.Elle a estimé que l’ensemble de ces pratiques, appréciées dans le contexte juridique et économique dans lequel elles ont pris place, a tendu à permettre aux actionnaires commettants de la société France Farine d’éliminer toute concurrence entre eux sur un paramètre essentiel de la concurrence, le prix de la farine en sachets, notamment, en donnant à la société France Farine la prérogative de pratiquer une politique de prix unique pour leur compte. Elle en a déduit que l’objet anticoncurrentiel de ces pratiques était établi (décision attaquée, § 640 ).
115.Par ailleurs, l’Autorité a relevé que, à la suite de la négociation commerciale avec les clients de la grande distribution, l’entreprise commune procédait elle-même à la répartition des commandes reçues, selon une clé de répartition fondée sur l’implantation territoriale des sites d’ensachage de chaque commettant, équivalente à la désignation de zones géographiques pré-attribuées pour chacun d’entre eux (décision attaquée, § 643). Elle a observé que les contrats de licence de marque conclus avec chaque commettant, ou de sous-licence de marque, permettaient de découper le territoire français (ainsi que certaines zones frontalières ou à l’étranger) a priori entre les commettants de la société France Farine, afin que ces derniers ne soient actifs que sur la ou les zones leur ayant été attribuée(s), et qu’outre ces principes généraux de répartition systématique des clients et des volumes à livrer, les volumes et les quantités livrées faisaient l’objet d’échanges d’informations entre les commettants de la société France Farine, en particulier dans le cadre de son conseil d’administration et de son comité de pilotage commercial et marketing, leur permettant d’aligner ou d’adapter leurs stratégies commerciales pour les ventes qu’ils réalisaient en direct avec certains clients, ainsi que de déroger ponctuellement à la clé de répartition préétablie afin de répartir les commandes au mieux de leurs intérêts commerciaux et en fonction de leurs capacités de production respectives disponibles (décision attaquée, § 644 et 645).
116.Elle a conclu que ce comportement visant à la répartition de façon organisée des clients, des marchés et des volumes de livraison contrevenait, eu égard à son objet, examiné dans son contexte juridique et économique, aux règles de concurrence (décision attaquée, § 647).
117.S’agissant de l’entente nouée autour de la société Bach Mühle (grief n° 3), l’Autorité a relevé que ses associés se concertaient, dans le cadre du comité exécutif de cette société, sur le niveau de prix de la farine en sachets que ladite société proposait par la suite aux clients du « hard discount ». Ce procédé conduisait, selon l’Autorité, d’une part, à ce que les meuniers associés éliminent toute concurrence par les prix pour les produits livrés par cette structure commune de vente, d’autre part, à la limitation de leur propre autonomie dans l’hypothèse où ils voulaient répondre individuellement aux appels d’offres lancés par les enseignes du « hard discount » (décision attaquée, § 704 et 705). Après avoir exposé les éléments démontrant la mise en ‘uvre de ce dispositif, l’Autorité a conclu qu’à l’instar de ce qui a été retenu pour les pratiques mises en ‘uvre dans le cadre de la société France Farine, l’ensemble de ces pratiques, par leur objet apprécié dans leur contexte juridique et économique, avait conduit les associés commettants de la société Bach Mühle, qui étaient par ailleurs concurrents, à réduire très substantiellement entre eux la concurrence sur un de ses paramètres essentiels, le prix de la farine en sachets (décision attaquée, § 711).
118.Outre ces pratiques relatives aux prix, l’Autorité a constaté qu’il ressortait des pièces du dossier que la société Bach Mühle procédait à l’allocation des commandes reçues par elle en fonction d’une clé de répartition prédéterminée qui, comme pour la société France Farine, reposait sur l’attribution de la commande au commettant géographiquement le plus proche du lieu de livraison, cette clé de répartition équivalant à la désignation de zones géographiques pré-attribuées pour chacun d’eux. De ce fait, les commettants cessaient de se faire concurrence pour les clients qu’ils décidaient d’attribuer à la société commune, même s’ils pouvaient aussi se réserver la possibilité de fournir directement certains clients du « hard discount » (décision attaquée, § 715 et 716).
119.Au surplus, l’Autorité a constaté que des échanges d’informations sur les volumes et les quantités livrées avaient également eu lieu, en particulier en vue de répartir les clients entre les associés commettants de la société Bach Mühle, et que ces échanges avaient influencé la politique commerciale des entreprises quand elles décidaient de répondre de façon autonome à un appel d’offres d’une enseigne du « hard discount » (décision attaquée, § 718).
120.Elle en a conclu que l’utilisation de la « structure Bach Mühle » pour assurer une répartition systématique des commandes qu’elle recevait avait conduit les entreprises à substituer au libre jeu de la concurrence un système sophistiqué d’allocation artificielle des clients et des marchés et qu’une telle répartition des clients avait également eu pour conséquence de limiter la production et les débouchés de chaque commettant de la société Bach Mühle, dans la mesure où ces derniers n’ont plus été à même de fixer librement et d’une manière indépendante le montant et la destination de leur production (décision attaquée, § 721).
121.Les pratiques relevées au titre de ce grief ont elles aussi été qualifiées d’anticoncurrentielles par objet (décision attaquée, § 720).
122.La cour relève que la matérialité des faits reprochés n’est pas contestée par les parties.
A. Sur le respect du principe d’égalité de traitement
123.L’Autorité a relevé, aux paragraphes 627 et suivants de la décision attaquée, qu’à la différence des autres entreprises visées, la société Grands Moulins de Strasbourg n’était pas actionnaire de la société France Farine ni liée à elle par un contrat de commission par lequel ces actionnaires ou d’autres meuniers lui confiaient la vente de leur farine, mais que la société Sofracal, sa société mère, détenait 12,5 % du capital de la société France Farine et que, dans la pratique, la société Grands Moulins de Strasbourg s’était présentée comme jouissant d’une situation analogue à celle d’un actionnaire commettant, notamment, auprès des autres actionnaires commettants de la société France Farine, laquelle la considérait comme titulaire du contrat de commission.
124.Elle a ajouté que la personne physique représentant le groupe Grands Moulins de Strasbourg au sein des structures de contrôle ou d’organisation de la société France Farine était explicitement identifiée comme étant le représentant de la société Grands Moulins de Strasbourg, et non de la société Sofracal. Elle a observé, enfin, que la société Grands Moulins de Strasbourg était le titulaire en propre d’un contrat de sous-licence lui permettant d’exploiter les marques de la société France Farine, conclu avec la société Sofracal dès 1984. De l’ensemble de ces éléments, l’Autorité a déduit que, sans être formellement actionnaire ou commettant de la société France Farine, la société Grands Moulins de Strasbourg avait participé directement au fonctionnement de cette société depuis le 25 mai 1966, date d’entrée de la société Sofracal dans le capital de la société France Farine (décision attaquée § 630).
125.En revanche, l’Autorité a retenu qu’il ne ressortait pas des éléments du dossier que l’existence d’un accord de volonté puisse être rapportée à suffisance de droit pour la société Grands Moulins Storione et qu’il convenait de la mettre hors de cause au titre du grief n° 2 (décision attaquée, § 632).
126.La société Grands Moulins de Strasbourg fait valoir que l’Autorité n’a pas respecté le principe d’égalité de traitement en la sanctionnant au titre du grief n° 2, alors qu’elle a mis hors de cause la société Grands Moulins Storione, qui se trouvait pourtant dans la même situation qu’elle dans ses rapports avec la société France Farine.
127.Elle indique que les critères retenus par l’Autorité pour statuer à son égard correspondent tout autant à la société Grands Moulins Storione. Elle précise que la société Grands Moulins Storione détenait, par l’intermédiaire de sa société mère, la société holding Euromill, une même participation de 12,5 % au capital de la société France Farine, qu’elle était aussi liée à la société France Farine par un contrat de commission, qu’elle avait conclu un contrat de sous-licence de marque concernant la marque « Francine » et, enfin, qu’elle disposait d’un siège d’administrateur au conseil d’administration de la société France Farine. Elle fait en outre valoir que la société France Farine a été créée, entre autres, par M. Storione, fondateur de la société Grands Moulins Storione.
128.Elle demande à la cour d’être mise hors de cause au titre des griefs nos 2 et 3 puisque les motifs d’absence d’imputation sont identiques pour l’un et l’autre de ces griefs.
129.L’Autorité rappelle que, selon un arrêt de cette cour du 28 janvier 2009, «’une société sanctionnée n’est pas recevable à critiquer la décision en ce qu’elle ne sanctionne pas d’autres entreprises, cette circonstance ne lui faisant pas grief’» (RG n° 2008/00255).
***
130.Si, comme le soutient à juste titre la société Grands Moulins de Strasbourg, les autorités de concurrence sont tenues, envers les entreprises en cause dans un même dossier, de respecter le principe d’égalité de traitement dans l’appréciation des pratiques ainsi que dans la fixation des sanctions, l’application de ce principe ne saurait toutefois s’appliquer que si les entreprises se trouvent dans des situations comparables.
131.Or contrairement à ce qu’elle prétend, les éléments du dossier ne permettent pas de considérer que, s’agissant des relations avec la société France Farine, sa situation ait été identique à celle de la société Grands Moulins Storione. En particulier, il est démontré que la société Grands Moulins de Strasbourg disposait, au conseil d’administration de la société France Farine, d’un siège d’administrateur qui la représentait directement, tandis que tel n’était pas le cas de la société Grands Moulins Storione.
132.En effet, les annexes au rapport général de la société France Farine pour 2006 et 2007 qui comportent la liste des mandats exercés par les administrateurs (cotes 254 et 255), permettent de constater qu’en 2006, M. B L représentait la société Grands Moulins de Strasbourg, dont il était le président-directeur général, et non, contrairement à ce que prétend celle-ci, sa société mère, la société Sofracal. De même, en 2007, il est indiqué que M. [M] est le représentant de la société Grands Moulins de Strasbourg. En revanche, M. [O], président de la société Grands Moulins Storione, apparaît, dans ces listes, non comme représentant de celle-ci, mais comme représentant de la société Grands Moulins de Paris, dont il était aussi administrateur. Il n’est pas démontré par la société Grands Moulins de Strasbourg que tel n’aurait plus été le cas au-delà de 2007 et jusqu’à la fin des pratiques.
133.La circonstance qu’un représentant de la société Grands Moulins de Strasbourg était, en cette qualité et à ce titre, administrateur de la société France Farine démontre une implication propre de la société Grands Moulins de Strasbourg dans le fonctionnement de la société France Farine qui la distinguait de la société Grands Moulins Storione et justifie que la responsabilité de la première ait été retenue au titre du grief n° 2, alors que la société Grands Moulins Storione a été mise hors de cause.
134.En tout état de cause, même à supposer que l’Autorité ait, de façon erronée, mis hors de cause la société Grands Moulins Storione, le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui, ainsi que l’a jugé le Tribunal de l’Union dans un arrêt du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission (T-23/99, point 367). La société Grands Moulins de Strasbourg n’est donc pas fondée à se prévaloir du traitement réservé à la société Grands Moulins Storione.
135.S’agissant du grief n° 3, la cour relève que la responsabilité de la société Grands Moulins Storione a été retenue et qu’elle a été sanctionnée à ce titre. Il s’en déduit qu’aucune disparité de traitement ne saurait être invoquée.
136.Il s’ensuit que le moyen est rejeté.
B. Sur la portée de l’arrêt de cassation
137.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que la cassation prononcée ne porte ni sur le caractère légitime de l’objectif poursuivi par les structures communes de commercialisation, ni sur la complémentarité des meuniers fondateurs de la société France Farine, ni sur le fait que la constitution de structures communes de commercialisation était justifiée et légitime au regard du contexte juridique et économique tel qu’analysé par l’arrêt de la cour d’appel du 20 novembre 2014. Elles font valoir, à l’appui de cette affirmation, que la Cour de cassation a seulement jugé que la cour d’appel de Paris avait insuffisamment motivé sa décision en n’expliquant pas en quoi les modalités de fonctionnement des structures communes de commercialisation étaient strictement nécessaires à la pénétration et au maintien des entreprises sur les marchés en cause, mais sans remettre en cause la nécessité de ces structures au regard du contexte économique et juridique.
138.Selon l’Autorité, au contraire, la Cour de cassation a examiné d’abord la question de la qualification des infractions au droit de la concurrence, pour vérifier ensuite si les conditions de l’exemption étaient réunies. Elle estime que les termes de l’arrêt de cassation révèlent que la Cour de cassation a considéré que le mode de fonctionnement des structures France Farine et Bach Mühle constituait de telles infractions, et qu’il convenait donc de vérifier le caractère justifié et proportionné de ces structures communes. À cet égard, l’Autorité rappelle qu’il est de jurisprudence constante en droit de l’Union que ce n’est que dans le cadre précis du paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE qu’une mise en balance des aspects pro et anticoncurrentiels d’un comportement peut avoir lieu. Ainsi, ni la poursuite d’objectifs économiques légitimes ni les éventuels aspects pro-concurrentiels d’une pratique ne sont de nature à exclure la qualification d’infraction de concurrence par objet. Elle en conclut que la Cour de cassation n’a pas remis en cause la qualification des pratiques comme constituant des infractions par objet et a seulement censuré l’arrêt précédemment rendu en ce que les conditions d’octroi d’une exemption n’étaient pas réunies.
139.La société Grands Moulins de Strasbourg conteste l’interprétation de l’Autorité en faisant observer que l’arrêt de cassation est rendu sans viser les dispositions relatives à l’exemption et que le moyen sur lequel est prononcée la cassation n’invoquait que l’application des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. Selon elle, la Cour de cassation n’a donc pas pu statuer sur le fondement des articles 101, paragraphe 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce.
***
140.La cour relève à ce sujet que l’arrêt de cassation casse partiellement l’arrêt du 20 novembre 2014, notamment, en ce que, réformant la décision attaquée, il dit, d’une part, qu’il n’est pas établi que les sociétés Axiane meunerie, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin et Nutrixo ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi que les sociétés Axiane meunerie, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin et Nutrixo ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue aux enseignes du « hard discount » en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit.
141.Le motif de cassation énonce que « [pour] dire qu’ il n’est pas établi que les entreprises sanctionnées ont noué autour des sociétés France [F]arine et Bach Mühle une entente ayant un objet anticoncurrentiel, l’arrêt retient que ces entreprises, qui n’avaient pas la capacité de proposer une offre crédible aux acheteurs, se sont trouvées placées dans la nécessité de présenter des offres groupées, quel que soit le lieu de livraison géographique, dans le cadre de structures de commercialisation commune, en soi licites au regard des règles du droit de la concurrence, afin de mettre en ‘uvre puis de poursuivre une coopération leur permettant de répondre, selon le cas, à la demande nationale et aux exigences des centrales d’achat de la grande distribution puis des entreprises du hard discount »
et
« qu’en se déterminant comme elle a fait, alors qu’elle avait constaté que les modalités d’organisation et de fonctionnement des sociétés Bach Mühle et France [F]arine permettaient aux meuniers, actionnaires de ces sociétés, de pratiquer un prix unique pour la vente de farine en sachets à destination de la grande distribution et du hard discount et de se répartir les clients et volumes de livraison en fonction de zones géographiques pré-attribuées à chacun des meuniers, la cour d’appel, qui n’a pas vérifié si la création et le mode de fonctionnement de ces structures de commercialisation commune n’excédaient pas ce qui était strictement nécessaire à la pénétration et au maintien des entreprises sur ces marchés, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101,paragraphe 1, TFUE ».
142.L’étendue de cette cassation oblige la cour d’appel de Paris, cour de renvoi, à statuer à nouveau sur les recours formés contre la décision attaquée en ce qu’elle a :
‘ dit, à l’article 2, que les sociétés Axiane meunerie, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Minoteries Cantin et Nutrixo ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit ;
‘ dit, à l’article 3, que ces mêmes sociétés ont enfreint les dispositions de l’article 101 du TFUE et l’article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue aux enseignes du hard discount en France, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit ;
‘ infligé, à l’article 10, des sanctions à ces sociétés ;
‘ imposé, à l’article 11, de publier un résumé de la décision.
143.La Cour de cassation ayant remis, en conséquence, sur les points cassés, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt cassé, la cour d’appel de Paris doit, en tant que cour de renvoi, se prononcer, dans la limite des moyens des parties, sur la qualification des pratiques et sur le bénéfice de l’exemption qu’elles invoquent, puis, s’il y a lieu, sur le montant des sanctions infligées.
144.Le motif de cassation vise, ainsi que l’observe l’Autorité, seulement l’article L. 420-1 du code de commerce et l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, mais il ne peut être tiré de ce motif la conclusion que la Cour de cassation aurait, comme l’Autorité le prétend, jugé que les pratiques constituaient une infraction par objet. Il ne peut pas plus en être conclu, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane, Minoteries Cantin et Grands Moulins de Strasbourg, qu’elle aurait jugé que les sociétés France Farine et Bach Mühle étaient nécessaires au regard du contexte économique et juridique, ce qu’elle n’énonce pas.
C. Sur la nature d’infraction par objet des comportements visés par les griefs n°’2 et n°’3
1. Rappel des principes applicables
145.La Cour de justice a rappelé, aux points 49 à 51 de son arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C-67/13 P, ci-après l’arrêt « Groupement des cartes bancaires »), les principes commandant l’existence d’une restriction par objet :
« 49. […] il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts [du 30 juin 1966], LTM, 56/65, [‘] points 359 et 360 ; [du 20 novembre 2008, Beef Industry Development et Barry Brothers, C-209/07,] point 15 ; ainsi que [du 14 mars 2013,] Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, [‘] point 34 et jurisprudence citée).
50. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir en ce sens, notamment, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., [‘ précité,] point 35 ainsi que jurisprudence citée).
51. Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré inutile, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché (voir en ce sens, notamment, arrêt [du 30 janvier 1985,] Clair, 123/83, [‘] point 22). En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs. »
146.Aux points 57 et 58 du même arrêt, la Cour de justice a rappelé que «’la notion de restriction de concurrence ‘par objet’ ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire » et elle a précisé que le critère juridique essentiel était « un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ».
147.Enfin, elle a précisé, au point 53 dudit arrêt que, «'[s]elon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par ‘objet’ au sens de l’article 81, paragraphe 1,CE [devenu article 101, paragraphe 1, du TFUE] de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., [‘ précité] point 36 ainsi que jurisprudence citée)’».
148.Aux points 28 et 29 de son arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission (C-373/14 P), dont il convient de souligner qu’il est postérieur à l’arrêt Groupement des cartes bancaires, précité, la Cour de justice a apporté les précisions suivantes :
« 28. La Cour a […] déjà jugé que des accords portant sur la répartition des marchés constituent des violations particulièrement graves de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts [du 5 décembre 2013,] Solvay Solexis/Commission, C-449/11 P, [‘] point 82, et [du 4 septembre 2014,] YKK e.a./Commission, C-408/12 P, [‘] point 26). La Cour a considéré également que les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un tel objet ne pouvant être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (arrêt [du 19 décembre 2013,] Siemens e.a./Commission, C-239/11 P, C-489/11 P et C-498/11 P, [‘] point 218).
29. S’agissant de tels accords, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère peut ainsi se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet. »
149.Il ressort de l’énoncé de ces principes que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence et que les comportements collusoires, tels ceux conduisant à une fixation horizontale des prix par des cartels ou les accords qui visent la répartition des marchés, sont à tel point susceptibles d’avoir des effets négatifs, en particulier sur les prix, qu’il n’est pas nécessaire d’en rechercher les effets concrets.
150.Il en résulte aussi que la nocivité d’une pratique ne peut être établie sans un examen de la teneur de l’accord ou de la coordination en cause, des objectifs poursuivis ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel la concertation s’est inscrite, mais que s’agissant de pratiques expressément prohibées par les dispositions de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE cette analyse peut se limiter à ce qui s’avère nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de concurrence par objet et que l’analyse de ce contexte ne peut avoir pour objectif de justifier la pratique. En tout état de cause, comme le soutient à juste titre la société Grands Moulins de Paris, il ne suffit pas que la pratique en cause soit concrètement apte à restreindre la concurrence pour retenir qu’elle a un objet anticoncurrentiel.
2. Sur l’insuffisance de motivation et le renversement de la charge de la preuve allégués
151.La société Grands Moulins de Strasbourg soutient que l’Autorité n’a pas examiné la nocivité des pratiques au regard des quatre critères examinés ci-dessus et a ainsi inversé la charge de la preuve.
152.Ce moyen n’est pas fondé. En effet, l’Autorité a bien analysé le contexte économique dans lequel se sont insérés les accords de commercialisation des entreprises en cause et elle a répondu, dans ce cadre, aux moyens développés par les parties sur l’absence de concurrence entre elles et sur la nécessité de la constitution des sociétés France Farine et Bach Mühle du fait des caractéristiques de la demande des opérateurs de la grande distribution (décision attaquée, § 583 à 610). Elle a ensuite examiné les modalités d’organisation et le fonctionnement de la société France Farine (décision attaquée, § 618 et suivants), ainsi que les pratiques de fixation de prix unique (décision attaquée, § 635 à 641) et de répartition de marché (décision attaquée, § 642 à 647). Ce faisant, l’Autorité a étudié la teneur des accords ainsi que l’objet des pratiques. Elle a estimé que les moyens par lesquels les parties soutenaient que la politique tarifaire serait indispensable et inhérente au contexte économique et juridique dans lequel s’insère la société France Farine, en particulier au vu de la réglementation applicable, de certaines considérations concernant la normalisation des « produits à marque » et du pouvoir de négociation de la grande distribution, n’étaient pas de nature à écarter la qualification d’objet anticoncurrentiel (décision attaquée, § 641).
153.Ensuite, l’Autorité a procédé à la même analyse concernant l’entente nouée autour de la société Bach Mühle. Elle en a précisé l’objectif (décision attaquée, § 681) et examiné les dispositions contractuelles de gestion et de fonctionnement de cette entreprise commune (décision attaquée, § 684 à 686, 691 à 698). Elle a aussi précisé que le contexte juridique et économique dans lequel s’est inscrite et a fonctionné la société Bach Mühle était identique à celui de la société France Farine, sous réserve de particularités propres aux circonstances dans lesquelles la société Bach Mühle a été constituée et elle a ajouté que l’intensité des restrictions de concurrence induites par l’intervention de cette société pour ce qui concerne le « hard discount » était accentuée par l’existence de la société France Farine face à la grande distribution (décision attaquée, § 681 et 687). L’Autorité a aussi examiné la teneur des pratiques au travers de la fixation des niveaux de prix (décision attaquée, § 703 à710), ainsi que de la répartition des marchés (décision attaquée, § 712 à 720).
154.Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg, et abstraction faite du bien-fondé de l’analyse de l’Autorité, qui sera apprécié dans les développements ci-après, cette dernière, qui a suffisamment motivé sa décision, n’a pas inversé la charge de la preuve en ce qui concerne la portée de l’examen du contexte économique et juridique dans lequel se sont inscrites les sociétés France Farine et Bach Mühle ainsi que les pratiques qui se sont nouées autour de ces sociétés.
3. Sur la nature des pratiques et les objectifs qu’elles visaient à atteindre
155.L’objet principal de la société France Farine était de commercialiser pour ses associés, à titre de mandataire, un certain nombre de produits relatifs au secteur de la meunerie que ces derniers produisent (décision attaquée, § 235). Elle avait aussi pour objet la recherche et la création de nouveaux produits, la réalisation d’opérations de communication visant à promouvoir les marques, l’achat et la revente de farines en sachets et de préparations de la marque « Francine » hors de France dans les autres États membres de l’Union européenne.
156.L’objet principal de la société Bach Mühle était limité à la vente de farine en sachets et de préparations aux enseignes du « hard discount » (décision attaquée, § 297). Son président a indiqué, dans le cadre de l’enquête, que cette structure avait été créée pour entrer sur le marché du « hard discount » et concurrencer les meuniers allemands (décision attaquée, § 294). Il a été aussi indiqué par le responsable de la société Euromill Nord que le but de la création de la société Bach Mühle était de pouvoir absorber les pics de production de farine, qui est un produit soumis à une forte saisonnalité (décision attaquée, § 295).
157.Ainsi qu’il a été rappelé précédemment (§ 110 à 120 du présent arrêt), les pratiques relevées et sanctionnées consistaient dans le fait d’avoir, au sein des deux sociétés communes France Farine et Bach Mühle, d’une part, fixé un prix de cession unique pour les farines commercialisées sous la marque « Francine », les farines en sachets sous MDD et les premiers prix (grief n° 2) ainsi que pour la farine en sachets à destination des clients du « hard discount » (grief n° 3), d’autre part, à l’occasion de la fixation de ces prix uniques au sein de ces deux structures, échangé des informations sur leurs propres prix et leurs politiques tarifaires (grief n° 2), enfin, d’avoir réparti les marchés entre les associés selon la zone géographique de leur implantation (griefs nos 2 et 3).
158.Cette façon de procéder a, de façon générale, pour conséquence de supprimer, pour les produits vendus par la structure commune, la concurrence par les prix entre les associés de celle-ci, de permettre un alignement de leurs politiques générales de vente des produits, quand ils les vendent directement à leurs clients et, enfin, de supprimer pour eux la nécessité de se faire concurrence, puisqu’ils sont assurés de se voir attribuer la fourniture des commandes correspondant à leurs zones géographiques. Ces modes de fonctionnement sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, ce qu’a précisé à plusieurs reprises la Cour de justice, notamment, s’agissant de la fixation des prix par des cartels, dans l’arrêt Groupement des cartes bancaires, précité, et, s’agissant de la répartition de clientèle, dans son arrêt du 16 juillet 2015, ING Pensii (C-172/14, point 32), ainsi que dans l’arrêt Toshiba Corporation/Commission, précité.
159.Il est sans portée, à ce stade de l’analyse, que l’entente sur les prix n’ait, en l’espèce, pas été secrète et par voie de conséquence n’ait pas été le fait d’un cartel. En effet, quand bien même les clients des meuniers en cause ont-ils su que les structures communes France Farine et Bach Mühle étaient constituées de meuniers concurrents entre eux, ils n’avaient pas à se préoccuper des statuts de ces structures ni de leurs règles de fonctionnement et, de ce fait, pouvaient parfaitement ignorer que les prix de la farine étaient ainsi fixés d’un commun accord entre les meuniers actionnaires et partenaires des structures communes, que leur fixation pouvait aboutir à des échanges d’informations et que les marchés étaient répartis selon une clé de répartition géographique.
160.Si, comme le soutient la société Grands Moulins de Paris, les accords de commercialisation sont des formes d’accords légitimes qui ne sont pas par nature nuisibles à la concurrence, ils sont toutefois particulièrement dangereux pour celle-ci. En effet, ainsi que l’a précisé la Commission de l’Union européenne
(ci-après la « Commission »), au point 234 de sa communication 2011/C 11/01 du 14 janvier 2011 intitulée « Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale » (ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale »), « [l]a fixation des prix est un des problèmes de concurrence les plus importants que pose un accord de commercialisation entre concurrents. Les accords se limitant à la vente groupée ont généralement pour objet la coordination de la politique des prix des fabricants ou des fournisseurs de services concurrents. De tels accords peuvent ne pas seulement éliminer toute concurrence par les prix entre les parties pour les produits de substitution, mais ils peuvent également limiter le volume total des produits qui seront fournis par les parties dans le cadre du système de répartition des commandes. Il est donc probable que de tels accords restreignent la concurrence par objet. ». En outre, ainsi que l’ajoute la Commission, au point 236, « [u]n autre risque spécifique en matière de concurrence posé par les accords de distribution entre parties opérant sur des marchés géographiques différents est qu’ils peuvent être un instrument de cloisonnement des marchés. Si les différentes parties ont recours à un accord de distribution réciproque de leurs produits pour éliminer une concurrence effective ou potentielle entre elles en répartissant délibérément des marchés ou des clients, l’accord aura probablement pour objet une restriction de la concurrence […] ».
161.C’est à tort que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin font valoir que la Commission a précisé, dans sa communication 2014/C 291/01 du 30 août 2014 concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (communication de minimis), que les restrictions sur les prix, les cloisonnements de marchés et la limitation de la production, qui résultent habituellement des accords de coopération horizontale, peuvent ne pas constituer une infraction par objet « lorsqu’elles s’inscrivent dans un accord de coopération plus large ou poursuivent un but légitime ». En effet, cette précision qui ne figure pas en tant que telle dans la communication précitée ne concerne que les accords d’importance mineure, objets de ladite communication, laquelle n’est pas applicable à l’espèce.
162.Cependant, le caractère nocif, tel qu’il vient d’être relevé, doit, pour caractériser une restriction de concurrence par objet, encore être apprécié au regard du contexte juridique et économique dans lequel la pratique s’est inscrite, qui sera examiné ci-dessous.
4. Sur le contexte juridique et économique des pratiques en cause
a. Sur l’étendue de l’examen auquel il doit être procédé
163.Se fondant sur les principes énoncés dans l’arrêt Toshiba Corporation/Commission, précité, l’Autorité soutient qu’il ne fait aucun doute que la société France Farine et ses adhérents ont mis en ‘uvre des pratiques de fixation d’un prix unique et d’allocation des marchés et des clients, pratiques explicitement visées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE comme étant de nature anticoncurrentielle. Dans de telles circonstances, selon elle, l’examen du contexte économique et juridique doit se borner à vérifier que les entreprises étaient bien concurrentes actuelles ou potentielles et qu’en l’absence d’accord, elles auraient pu se maintenir sur le marché.
164.La société Grands Moulins de Paris conteste cette analyse. Elle fait valoir que la Cour de justice, dans l’arrêt Toshiba Corporation/Commission, précité, n’a pas écarté la possibilité d’une analyse plus approfondie dans l’hypothèse d’une pratique atypique ou complexe, comme le suggérait l’avocat général dans cette affaire. Or, selon elle, tel est bien le cas des pratiques en cause qui s’inscrivent dans des structures saluées par les pouvoirs publics.
165.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, rappellent à ce sujet que l’existence d’une infraction par objet doit être appréciée de façon restrictive, ce qui implique que l’analyse du contexte économique et juridique doit être approfondie, ceci d’autant plus que les pratiques étaient complexes et que l’affaire en cause est atypique. Selon elles, les modalités de fonctionnement des structures communes de commercialisation ne peuvent être analysées de manière isolée sans prendre en compte le cadre des pratiques en cause.
***
166.Il n’est pas contesté que les structures communes ont conduit à la fixation d’un prix unique entre les parties, à des échanges d’informations sur les prix et à une répartition des marchés. De telles pratiques sont expressément visées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE comme étant prohibées. Par ailleurs, ainsi qu’il vient d’être rappelé, il est reconnu tant par une jurisprudence constante que par la doctrine économique que de telles pratiques sont particulièrement nocives pour le jeu de la concurrence (§ 158 du présent arrêt).
167.Dans ces circonstances, l’analyse par l’Autorité du contexte économique et juridique des pratiques en cause devait porter sur les éléments du dossier qui s’avéraient nécessaires pour conclure à l’existence d’une restriction par objet au jour où cette qualification a été effectuée. En revanche, elle n’avait pas, dans le cadre de l’examen des conditions d’applications du paragraphe 1 de l’article 101 du TFUE et de l’article L. 420-1 du code de commerce, à examiner les moyens visant à justifier l’objet des pratiques, fussent-ils
eux-mêmes fondés sur l’analyse du contexte économique dans lequel les pratiques se sont inscrites.
168.Le contrôle et l’analyse de la cour d’appel dans le cadre du présent recours doivent s’opérer selon les mêmes principes. Mais il convient, toutefois, de relever que ce principe doit être aménagé en l’espèce, dans la mesure où les pratiques en cause s’inscrivent dans le cadre de sociétés communes de coopération horizontale, lesquelles sont, à certaines conditions, considérées comme ne portant pas d’atteinte au jeu de la concurrence, selon les principes énoncés par les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Dans cette situation particulière, il conviendra, ainsi que l’énonce l’arrêt de cassation, que la cour examine, dans le cadre de l’analyse du contexte économique et juridique des pratiques, la question de savoir si les conditions énoncées par ce document sont en l’espèce remplies pour qu’elles ne soient pas jugées comme ayant un objet anticoncurrentiel.
169.La cour relève par ailleurs que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, qui soutiennent que le caractère complexe et atypique des pratiques justifiait un examen plus approfondi du contexte économique, ne précisent pas quels éléments auraient dû être davantage examinés ou ne l’auraient pas été. La divergence d’analyse entre l’Autorité et les parties sur les conséquences qu’il y a lieu de tirer du contexte juridique et économique quant à la nocivité des pratiques, ne constitue pas à elle seule la démonstration que l’Autorité n’aurait pas examiné ou tenu compte de ce contexte.
b. Sur le contexte juridique
170.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que la qualification d’une pratique anticoncurrentielle par objet ne peut se faire qu’au regard de l’expérience acquise au moment des faits. Or, selon elles, la prohibition des ententes était, lors de la création de la société France Farine, à l’état embryonnaire et nullement comparable à ce qu’elle est aujourd’hui après cinquante ans d’évolution. Elles exposent que, contrairement à ce que soutient l’Autorité, le contexte juridique et réglementaire qui prévalait alors était très différent en ce qui concerne tant la caractérisation des ententes que les conditions d’octroi des exemptions, et font observer que, jusqu’en 1959, les procédures et décisions de la Commission technique des ententes n’étaient pas publiques, ce qui rendait particulièrement difficile l’interprétation des règles de concurrence. Elles ajoutent que les autorités nationales de concurrence n’avaient pas le pouvoir d’appliquer l’article 101, paragraphe 1, du TFUE seul avant décembre 1994, ni celui d’appliquer l’article 101, paragraphe 3, du TFUE avant le 1er mai 2004.
171.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg font valoir que l’Autorité n’a pas pris en compte le fait que, lors de la création de la société France Farine, les prix étaient réglementés et que, dans ce contexte, il ne peut être considéré que l’objet de cette société était de créer une entente sur les prix.
172.Elles indiquent que les prix n’ont été libéralisés que depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986 et qu’auparavant, l’ordonnance du 30 juin 1945 disposait, en son article 1er, que « [les] décisions relatives aux prix de tous produits et services sont prises : 1° par arrêtés ministériels » pour certains produits et « 2° par arrêtés du ministre de l’économie nationale pour tous les autres produits et services ».
173.La société Grands Moulins de Paris produit à ce sujet un arrêté du 16 juin 1982 (arrêté n° 82-33/A relatif aux prix des céréales, farines et semoules), pris en application de l’ordonnance du 30 juin 1945, qui interdisait purement et simplement toute hausse du prix de la farine jusqu’au 31 juillet 1982.
174.Elle fait valoir qu’en faisant abstraction de cette réalité et en refusant d’évoquer le fait que, durant les vingt-et-une premières années de son existence, la société France Farine intervenait dans un cadre juridique dans lequel les prix dépendaient des interventions de l’État, l’Autorité a rendu une décision « infondée en droit ».
175.En réponse aux observations de l’Autorité, la société Grands Moulins de Paris ajoute que l’article 35 de l’ordonnance du 30 juin 1945 concerne à la fois les prix supérieurs aux prix limites ou au prix fixés, mais aussi inférieurs au prix minimum fixé.
176.Par ailleurs les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que, depuis 1938, la réglementation prévoit que chaque moulin dispose d’un plafond d’écrasement, ou contingent, exprimé en tonnes, qui peut être transformé, totalement ou partiellement en droits de mouture, pouvant être cédés ou loués à d’autres meuniers. Elles expliquent que cette réglementation visait à réduire les capacités de production de farine de l’industrie meunière pour les farines commercialisées en France. Elles exposent que le contingentement des volumes de production limite la quantité de blé que chaque moulin est autorisé à transformer en farine et implique qu’en France, un meunier ne peut densifier sa production autrement qu’en achetant ou louant des droits de mouture à un autre meunier, ou par la réunion de moulins. Selon elles, il en découle qu’un meunier seul n’est pas en mesure de réellement répondre à des appels d’offres nationaux, car sa capacité est limitée par la réglementation. Elles ajoutent que la seule manière pour les meuniers d’augmenter leur capacité de production de farine réside en réalité dans des opérations de croissance externe, car des droits de mouture ne sont généralement pas disponibles seuls, et qu’il convient, pour en disposer, d’acquérir l’entreprise à laquelle ils appartiennent, ce qui représente un coût élevé, lequel a un effet dissuasif pour les meuniers.
177.L’Autorité observe que le régime administratif de contrôle des prix instauré par l’ordonnance du 30 juin 1945 avait essentiellement pour objectif de fixer des prix maximum, mais n’interdisait pas la négociation commerciale pouvant conduire à des prix inférieurs à ceux fixés par arrêté.
178.De même, selon elle, le contrôle de quantités au travers de plafonds d’écrasement pouvant être transformés en droits de mouture, s’il pouvait constituer un obstacle à l’entrée de nouveaux opérateurs, n’empêchait en aucune manière les meuniers installés sur le territoire français de se livrer concurrence pour écouler leurs quantités disponibles au meilleur prix, notamment, dans un contexte de surcapacité.
179.Elle rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les règles du droit de la concurrence ne peuvent être déclarées inapplicables à une pratique d’entreprise que si le comportement en cause est « imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part ». (CJUE, arrêt du 9 septembre 2003, CIF, C-198/01). À défaut d’une législation contraignante, l’absence d’autonomie des opérateurs mis en cause ne pourrait être retenue que dans la seule hypothèse où les pouvoirs publics ont unilatéralement imposé ce comportement par l’exercice de pressions irrésistibles (TUE, arrêt du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94, point 65). Dans le cas où les pouvoirs publics se bornent à influencer ou faciliter l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel, cette circonstance ne peut être prise en compte que dans la détermination du montant de la sanction (Autorité de la concurrence, décision n°11-D-01 du 18 janvier 2011 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion, § 105).
180.Par ailleurs, l’Autorité expose que le contexte économique et juridique d’une pratique doit être analysé durant toute la durée de celle-ci. Or le contrôle des prix pour le secteur des farines a été significativement assoupli dès le 1er juin 1978, pour être ensuite supprimé totalement par l’ordonnance du 1er décembre 1986, entrée en vigueur le 1er janvier 1987. Elle en déduit que les arguments développés par les requérantes s’agissant du contexte juridique à l’époque de la création de France Farine ne sont plus opérants pour la période commençant le 1er juin 1978 et, en tout état de cause, à compter, au plus tard, du 1er janvier 1987.
181.Le ministre chargé de l’économie soutient que, si les éléments du contexte économique et juridique ne sont pas de nature à renverser l’analyse de l’existence d’une restriction de concurrence par objet, d’autres éléments du contexte économique et juridique lui semblent devoir atténuer la gravité des pratiques ainsi que le dommage à l’économie.
***
182.La cour rappelle qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, la qualification de pratique anticoncurrentielle par objet ne peut être appliquée qu’aux seuls types de coordination entre entreprises qui révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. Il s’en déduit que l’examen du contexte juridique comme du contexte économique d’une pratique, afin d’aboutir à sa qualification éventuelle d’infraction par objet, a pour finalité de vérifier que la pratique en cause est particulièrement nocive pour le jeu de la concurrence, ou au contraire qu’elle ne pouvait pas l’être. Il s’ensuit que cet examen doit porter sur le point de savoir si, dans la période au cours de laquelle la pratique a été mise en ‘uvre, le contexte juridique ou économique pouvait apporter une atténuation ou un tempérament à son caractère nocif ou si, au contraire, ce contexte pouvait favoriser ce caractère.
183.Dès lors, le seul fait que le droit des ententes ait été, en 1965, moins développé et différent dans sa mise en ‘uvre qu’en 2012, date de la décision attaquée, est inopérant dans le cadre de l’examen auquel il convient de procéder.
184.La cour relève que les différences invoquées par les sociétés Axiane et Minoteries Cantin entre la réglementation telle que résultant de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix (ci-après l’« ordonnance du 30 juin 1945 ») et celle résultant de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence (ci-après l’« ordonnance du 1er décembre 1986 »), sont en tout état de cause indifférentes à la production d’effets nocifs. La cour rappelle au surplus que les partages de marchés et les accords sur la fixation d’un prix entre concurrents étaient, en 1965, prohibés tant par l’article 85 du traité de Rome que par l’article 59 bis de l’ordonnance du 30 juin 1945, modifié par le décret n°53-704 du 9 août 1953 relatif au maintien ou au rétablissement de la libre concurrence, dit « décret antitrust ».
185.C’est, par ailleurs, en vain que ces requérantes font valoir qu’à l’époque de la création des sociétés France Farine et Bach Mühle, il n’était pas évident que des structures de commercialisation communes puissent constituer des restrictions de concurrence par objet, d’une part, au regard de la légitimité de leur objectif, d’autre part, au regard de l’absence de réaction des services de la DGCCRF, qui sont intervenus à plusieurs reprises pour contrôler la société France Farine.
186.En effet, si, ainsi qu’elles l’indiquent, une présomption de restriction de concurrence par objet doit être basée sur l’expérience acquise, laquelle a pour fonction de démontrer la nocivité du comportement en cause, cette expérience doit être constituée à la date à laquelle la qualification de la pratique est examinée et non à la date à laquelle ce comportement est mis en ‘uvre, contrairement à ce qu’elles prétendent. En outre, les infractions au droit de la concurrence sont des infractions objectives pour la qualification desquelles l’intentionnalité n’est pas requise. Il s’ensuit que le degré de conscience ou de connaissance du droit de la concurrence par les fondateurs, les actionnaires et partenaires des sociétés France Farine et Bach Mühle est à ce stade de l’analyse inopérant. Tout au plus pourrait-il être pris en compte dans le cadre de l’évaluation du montant de la sanction. Il en va de même, pour les mêmes motifs, de l’absence de réaction ou de mise en garde de la DGCCRF, qui avait contrôlé la société France Farine, ou des encouragements prétendus des pouvoirs publics, qui ne peuvent avoir aucune influence sur la qualification des pratiques.
187.L’ordonnance du 30 juin 1945 prévoyait une fixation de « tous prix et services » par arrêté ministériel, certains étant fixés par arrêté du ministre chargé de l’économie. L’article 35 énonçait en particulier que « Au regard de la présente ordonnance, est considéré comme prix illicite ;
1° Le prix supérieur aux prix-limite ou aux prix fixés comme il est dit au livre Ier ;
2° Le prix inférieur au prix minimum fixé comme il est dit au livre Ier ;
3° Le prix qui est maintenu à son niveau précédent alors qu’il aurait dû faire l’objet d’une diminution de prix conformément à l’article 18 ;
4° Le prix qui est maintenu à son niveau précédent alors qu’il a fait l’objet d’une décision de diminution de prix conformément à l’article 23 ».
188.Il se déduit de ces dispositions que les prix supérieurs aux prix limites ou inférieurs aux prix minimums fixés par le Gouvernement étaient considérés comme illicites. Hormis l’arrêté du 14 juin 1982, produit par la société Grands Moulins de Paris, le dossier ne comporte pas d’éléments permettant de savoir si les prix des farines ont été fixés au regard de maximum ou de minimum, mais le ministre chargé de l’économie précise dans ses observations, sans être contredit, qu’ils étaient fixés périodiquement à la suite de négociations entre les professionnels de la boulangerie et de la meunerie. En tout état de cause, le dossier ne comporte aucun élément permettant de constater que la concurrence par les prix pouvait s’exercer dans le cadre de ces dispositions.
189.Cette circonstance de nature juridique, qui constituait à tout le moins une entrave au jeu de la concurrence par les prix, devait être prise en compte par l’Autorité dans son analyse, et le sera par la cour dans le cadre de l’appréciation globale de la nocivité de la pratique.
190.Toutefois, il convient de souligner que cette circonstance ne concerne pas la totalité de la période de mise en ‘uvre des pratiques. En effet, il résulte d’une lettre circulaire adressée par l’Association nationale de la meunerie française (ci-après l’« ANMF ») à ses adhérents et produite par la société Grands Moulins de Paris (annexe 11.2) que, par lettre du 21 juillet 1978, le ministre chargé de l’économie écrivait au président de cette association pour lui indiquer que « [d]epuis le 1er juin, la liberté des prix est rendue de façon progressive mais irréversible à l’ensemble de l’industrie française » et que « cette mesure s’applique désormais aux produits (annexe ci-jointe) couverts par l’engagement de modération n° 346 dont vous êtes signataire ». Les termes de cette annexe sont les suivants : « Produits couverts par l’engagement de modération n° 346 dont les prix sont fixés librement à dater du 21 juillet 1978 – Farine de blé tendre – [ .] ». Il s’en déduit qu’à compter du 21 juillet 1978, le prix de la farine en général, et en sachets en particulier, était libre, de sorte que le caractère réglementé des prix ne sera pris en compte que pour l’entente nouée autour de la société France Farine et pour la seule période du 18 décembre 1965, date de création de cette société, jusqu’au 21 juillet 1978, date de libération du prix de la farine.
191.Par ailleurs, la cour relève que la réglementation des prix n’a pas concerné la totalité des pratiques, puisque la société France Farine a été le support à la fois d’une entente sur les prix et d’un partage de marché ainsi que d’échanges d’informations. La réglementation des prix n’est, concernant ces pratiques, d’aucun effet atténuant de nocivité.
192.S’agissant des contingents de mouture qui visent à réduire progressivement, depuis 1938, les capacités productives de l’industrie pour les farines commercialisées en France (décision attaquée, § 39), il convient de relever que la notification de griefs et le rapport indiquent que les contingentements n’étaient, lors du déroulement des pratiques, pas saturés, puisqu’ils étaient, au moment de l’enquête, en 2009, utilisés par les meuniers à concurrence de 84 %. Par ailleurs, il n’est pas contesté qu’il était possible pour un meunier d’acquérir ou de louer des droits de mouture auprès d’un autre meunier n’exploitant pas la totalité de son contingent. Il s’ensuit qu’abstraction faite de la question de savoir si une telle solution était ou non économiquement possible, laquelle sera examinée ultérieurement (Voir § 228 et suivants du présent arrêt), les contingentements d’écrasement et les droits de mouture ne constituaient pas un obstacle juridique au jeu de la concurrence entre les opérateurs.
c. sur le contexte économique
193.Les sociétés Axiane, Minoteries Cantin, Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg soutiennent toutes que les meuniers adhérents de France Farine ne se trouvaient pas dans un rapport de concurrence les uns avec les autres, et qu’il en allait de même des meuniers adhérents de Bach Mühle, en raison, d’une part, des contraintes de transport spécifiques aux produits concernés qui les obligeaient à ne les commercialiser que dans un rayon de 300 kilomètres autour de leur site d’ensachage et, d’autre part, des contraintes qui pesaient sur eux s’agissant des quantités de production et du niveau d’investissements requis pour rendre possibles de nouvelles capacités. Ainsi, plutôt que d’être concurrentes, les entreprises étaient, selon elles, en réalité complémentaires, notamment, sur le plan géographique, les structures France Farine et Bach Mühle leur ayant simplement permis de proposer une couverture totale du territoire métropolitain.
194.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin exposent que les meuniers n’avaient, au moins jusqu’aux années 2000, qu’une capacité d’intervention régionale, compte tenu de contraintes logistiques importantes, dues à un coût de transport élevé, alors que leurs entreprises n’étaient, à l’époque de la création de la société France Farine, que des sociétés familiales de taille modeste. Ainsi, dans la mesure où aucun des meuniers n’était en mesure de satisfaire individuellement toute la demande d’une seule enseigne de la grande distribution, alors que ces enseignes réclament une offre pour tout le territoire et à un prix unique, ceux-ci étaient contraints de se regrouper pour pouvoir se maintenir sur le marché de la vente de farine en sachets à la grande distribution. Ces requérantes précisent que cette situation a duré a minima jusque dans les années 2000 lorsqu’un mouvement de concentration a conduit à ce que certains groupes puissent posséder plus d’un site d’ensachage.
195.Il s’en déduit, selon elles, que la fixation des prix en commun par les entreprises concernées et l’attribution géographique des commandes selon un principe de proximité ne sauraient être qualifiées de pratiques restrictives de concurrence.
196.La société Grands Moulins de Paris reproche à l’Autorité une analyse insuffisante du marché pertinent. Elle indique que la complémentarité géographique des actionnaires et partenaires de la société France Farine et leur nécessaire coopération aux fins de couverture de la totalité du territoire métropolitain sont démontrées et confirmées par le ministre chargé de l’économie, qui relève lui-même les contraintes logistiques empêchant les livraisons au-delà d’un rayon de 300 kilomètres.
197.Elle fait valoir que, contrairement à ce que soutient l’Autorité, le fonctionnement de la société France Farine n’a pas eu pour conséquence de geler les positions des meuniers adhérents et supprimer entre eux toute velléité de concurrence, car, d’une part, pour répondre à la demande de dimension nationale de la grande distribution l’offre se devait d’être nationale et les meuniers ne pouvaient être concurrents sur ce marché pertinent, d’autre part, les meuniers actionnaires ou partenaires de la société France Farine ont continué à se faire concurrence au niveau local. Elle cite à ce titre le fait que la société Grands Moulins Storione a vendu, en 2006, un tonnage de farine en sachets en dehors des structures communes presque équivalent à celui qu’elle a vendu par l’intermédiaire de ces structures.
198.La société Grands Moulins de Strasbourg expose que les déclarations des grands distributeurs qui figurent au dossier montrent que la grande distribution, qui souhaitait maximiser la massification des achats, imposait d’être livrée partout sur le territoire national à un prix unique et dans le cadre de contrats annuels. Elle ajoute que, pour la majeure partie de la période d’existence de la société France Farine, les sites d’ensachage des meuniers en cause étant éparpillés sur le territoire national, les meuniers n’étaient en fait pas concurrents, même potentiellement, ni sur un marché national ni sur un marché local, du fait de la quasi inexistence du réseau autoroutier en France ainsi que de l’insuffisance du réseau routier qui n’avait rien à voir, quantitativement et qualitativement, avec le réseau actuel. Elle renvoie à cet égard à une étude économique réalisée par un cabinet d’expertise, mandaté par les parties, intitulé « Commentaires sur la nécessité des structures France Farine et Bach Mühle » (ci-après, l’« étude du 12 décembre 2017 ») (Grands Moulins de Strasbourg, pièce n° 24 ; Axiane et Minoterie Cantin, pièce n° 51), qui détaille le développement progressif du réseau autoroutier français pendant la période 1970 à 2000, et dont elle déduit que le rayon dans lequel il était économiquement possible de livrer de la farine en sachets était très vraisemblablement beaucoup plus réduit que 300 kilomètres pour une très grande partie de l’existence de France Farine.
199.L’Autorité oppose qu’elle a suffisamment démontré, dans la décision attaquée, que les meuniers adhérents aux sociétés France Farine et Bach Mühle se trouvaient bien dans un rapport de concurrence directe et disposaient de nombreuses possibilités de se contester les clients et les volumes de vente.
200.Elle rappelle en particulier avoir démontré que tous les meuniers produisaient les principaux types de farines et étaient en mesure de livrer tous les canaux de distribution.
201.Sur la question du champ géographique d’action de chaque opérateur, l’Autorité admet que les coûts de transports limitaient généralement les possibilités de livraison de farine à 300 kilomètres autour du site d’ensachage, mais elle indique que ce périmètre ne constituait en aucune manière une limite absolue et pouvait évoluer en fonction des coûts des entreprises et du résultat des négociations commerciales. Elle précise qu’en tout état de cause, un périmètre de 300 kilomètres permettait l’existence de nombreuses zones de juxtaposition ou de recoupement, au sein desquelles deux entreprises ou plus pouvaient être compétitives. Elle souligne encore que les meuniers auraient été en mesure de se faire une concurrence plus intense en développant leurs implantations territoriales.
202.Le ministre chargé de l’économie relève que, si le regroupement des meuniers, lesquels étaient dans l’impossibilité de fournir à eux seuls l’intégralité de la demande française, répondait à une demande des opérateurs de la grande distribution, la capacité d’un meunier à fournir l’intégralité des besoins en France de farine en sachets ne paraît pas être une condition nécessaire pour accéder ou être présent sur le marché. En effet, selon lui, les possibilités d’accès au marché dépendent de la capacité à fournir non l’intégralité du marché, mais une partie de ce dernier, substantielle ou non, sous la forme de l’approvisionnement de certains clients. Les entreprises en cause étaient en mesure de livrer individuellement des quantités de farine en sachets importantes en France et, ainsi, d’accéder au marché, sans qu’il soit nécessaire pour elles de devoir fournir individuellement l’intégralité du marché français et de procéder à un regroupement entre elles à cet effet.
203.Il estime que les éléments de contexte économique et juridique ne sont pas de nature à écarter l’existence d’une restriction de concurrence par objet.
***
204.Les moyens détaillés des parties et observations seront regroupés et analysés ci-après en trois points : l’existence d’une concurrence entre les meuniers, la capacité de négociation des clients concernés, la possibilité d’investir dans la création d’autres usines d’ensachage.
‘ Sur l’existence d’une concurrence entre les meuniers
205.C’est à tort que les entreprises en cause soutiennent qu’elles n’auraient pas été dans un rapport de concurrence au motif qu’elles ne pouvaient, en raison des coûts de transport, livrer de la farine en sachets à un prix compétitif et efficient pour elles que dans un rayon de 300 kilomètres autour du site d’ensachage.
206.En effet, en premier lieu, l’analyse de l’objet et de la portée d’un comportement d’entreprises sur le jeu de la concurrence doit s’effectuer tant au regard de la concurrence qui s’exerce entre elles au moment des pratiques qu’au regard de la façon dont elle aurait pu, ou aurait dû, s’exercer à cette période.
207.Or des entreprises qui produisent un même produit sur un marché national, quand bien même ne seraient-elles pas effectivement concurrentes à un moment donné du fait de leur rayon d’action, demeurent des concurrentes potentielles. Il ne peut donc être affirmé que toute concurrence était impossible entre elles et que, dans les circonstances de l’espèce, leur regroupement pour répondre à la demande de la grande distribution était totalement neutre pour le jeu de la concurrence.
208.Ainsi, les meuniers actionnaires et partenaires des sociétés communes France Farine et Bach Mühle, qui fabriquaient tous, selon leurs propres moyens et avec les mêmes techniques, de la farine en sachets, étaient, à tout le moins, des concurrents potentiels dans le secteur de la farine en sachets, que celle-ci soit commercialisée auprès de la grande distribution ou du « hard discount ».
209.En second lieu, s’il n’est pas sérieusement contesté par l’Autorité que, compte tenu du caractère peu différentiable du produit et de son faible niveau de prix, la proximité entre le site d’ensachage de chaque meunier et la plateforme de livraison est un élément pertinent de compétitivité entre eux, même si le rayon de 300 kilomètres n’est pas une limite absolue, ce constat n’est pas de nature à supprimer toute concurrence sur le marché de la fourniture de farine en sachets entre les meuniers implantés en France ou même dans des pays de l’Union européenne.
210.En effet, dans le cadre des appels d’offres lancés par les centrales d’achat pour la farine en sachets sous MDD ou premiers prix, les meuniers, qui étaient installés dans différents points du territoire et disposaient majoritairement d’un seul site d’ensachage, se trouvaient dans une situation identique les uns vis-à-vis des autres concernant l’offre qu’ils pouvaient présenter aux centrales d’achat, lesquelles demandaient la fourniture de multiples plateformes réparties sur tout le territoire. Dans cette configuration, chacun se trouvait confronté à une même contrainte de devoir offrir de fournir et livrer pour un prix unique des sites proches, moins proches, éloignés ou très éloignés du site d’ensachage. Ainsi, la charge des frais de transport ne pouvait que se répartir de façon plus ou moins similaire pour chacun des meuniers, la charge des coûts étant répartie sur l’ensemble des livraisons. Les parties ne sont donc pas fondées à soutenir que les meuniers ne disposant que d’un site d’ensachage ne pouvaient livrer un client dans des conditions de compétitivité comparable entre elles.
211.La cour relève sur ce point que l’étude du 12 décembre 2017, produite par les sociétés Grands Moulins de Strasbourg, Axiane et Minoteries Cantin, indique seulement que, compte tenu du faible développement du réseau autoroutier, « [l]es temps de trajets et les coûts logistiques étaient susceptibles d’être particulièrement importants, en comparaison de l’enjeu économique représenté par la livraison de la farine en sachets », mais, ne permet nullement de constater que cette donnée rendait, en tout état de cause, non rentable pour les meuniers de se faire concurrence pour fournir la grande distribution. Il s’en déduit que, quoiqu’il en soit de l’état du réseau routier et autoroutier, les meuniers étaient, à tout le moins, des concurrents potentiels.
212.Par ailleurs, il n’est pas démontré qu’il aurait été exigé des entreprises concernées qu’elles présentent une offre pour la totalité des tonnages concernés par les appels d’offres, ni qu’elles aient eu la capacité de fournir la totalité de la demande de farine en sachets des enseignes. À ce sujet, l’Autorité a relevé à juste titre, au paragraphe 603 de la décision attaquée, sans que ce point soit contesté par les parties, que, « s’il a effectivement été constaté que les acheteurs, particulièrement ceux des enseignes du hard discount, ont tendance à privilégier des offres centralisées, notamment au niveau national et sur une base annuelle, il n’en demeure pas moins que, d’une part, une partie de l’approvisionnement des centrales de la grande distribution continue de se faire sur une base ponctuelle par des commandes ciblées tout au long de l’année et, d’autre part, que les acheteurs eux-mêmes privilégient un approvisionnement en farine en sachets multi-sources, sur la base de plusieurs fournisseurs, pour limiter les risques de rupture de leurs approvisionnements » (souligné par la cour). Il est donc sans portée que la société Grands Moulins de Strasbourg n’ait, comme elle l’indique à titre d’exemple, pas eu la capacité de livrer la totalité de la demande de l’enseigne Carrefour.
213.En outre, à titre surabondant, la cour relève que les parties n’ont produit aucun élément lui permettant de constater l’ampleur de la charge des coûts de transport et leur impact sur la rentabilité de l’activité de fourniture de farine en sachets, se contentant d’affirmations sur ce point.
214.Les seules données fournies par la société Grands Moulins de Strasbourg sur le sujet ne sont pas utilement exploitables. En effet, d’une part, celles-ci ne comportent aucun lieu de livraison dans un rayon de 300 kilomètres, mais seulement des distances de 320 à 1 142 kilomètres, d’autre part, l’estimation des coûts de transports a été réalisée sur la base d’une seule année de prix moyens constatés qui n’est d’ailleurs pas précisée, et d’une seule source tarifaire, celle d’un devis d’un seul transporteur, ce qui limite la possibilité d’en tirer des conclusions crédibles pour l’ensemble de la période concernée. De même, il ne peut être tiré aucune conclusion fiable, susceptible d’être généralisée à l’ensemble des meuniers répartis sur tout le territoire, d’une estimation de coûts qui a été réalisée sur la base, atypique, des données propres à la société Grands Moulins de Strasbourg, dont l’usine d’ensachage est excentrée au regard de la configuration du territoire national.
215.Par ailleurs, l’interprétation des résultats des données produites par la société Grands Moulins de Strasbourg est contestable. En effet, l’estimation qu’elle tire de l’étude du 12 décembre 2017 repose sur la prise en compte de l’intégralité des distances entre le site d’ensachage de Strasbourg et chacune des plates-formes livrées par France Farine, ce qui permet d’obtenir la part du transport dans le coût de revient de chaque type de farine (« Francine », MDD et premier prix), avant de réaliser une moyenne sur deux volumes distincts de livraison (25 tonnes puis 20 tonnes). Or pour affirmer que les coûts de transport « représentaient jusqu’à 7 % du coût de revient de Francine, 17 % du coût de revient des marques de distributeurs et environ 20 % du coût de revient des premiers prix et des produits hard discount pour des camions pleins », la société Grands Moulins de Strasbourg se réfère à trois estimations isolées, associées à la part des transports dans le coût de revient de la farine de marque « Francine » et de la farine à destination du « hard discount » livrée aux plates-formes de Carrefour” Guyenne et Gascogne située à Labenne (soit à 1142 kilomètres du site de Strasbourg) ainsi que de la farine de marque « Francine » livrée à la plate-forme Intermarché”’Castets (soit à 1098 kilomètres de Strasbourg), pour des volumes de livraisons de 25 tonnes. De la même manière, les affirmations de la société Grands Moulins de Strasbourg ne correspondent qu’à une minorité des estimations opérées sur des volumes de livraisons de 20 tonnes et de celles dont les distances de livraisons excèdent 870 kilomètres.
216.Enfin, quand bien même considérerait-on que les meuniers ne pouvaient livrer de façon efficiente et rentable de la farine en sachets que dans un rayon de 300 kilomètres autour de leur site d’ensachage, cette circonstance ne les rendait pas moins concurrents dans toutes les zones de recoupement et de superposition de leurs zones d’intervention.
217.Ceci est démontré, notamment, par l’important recoupement des rayons de livraison de la farine en sachets autour du site d’ensachage du Groupe Meunier Celbert, auquel appartient la société Axiane, situé à Maure-de-Bretagne, d’une part, et du site d’ensachage de la société Minoteries Cantin situé à Reuilly, d’autre part, tel que présenté dans les mémoires des sociétés Axiane et Minoteries Cantin au paragraphe 123.
218.En effet, cette zone de recoupement inclut a minima les départements d’Indre-et-Loire, Maine-et-Loire, Mayenne, Orne, Sarthe, Deux-Sèvres, Vienne et partiellement du Calvados, Charente, Charente-Maritime, Eure, Eure-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Indre, Loir-et-Cher, Loire-Atlantique et Vendée. Or il ressort de la liste des plates-formes livrées par la société France Farine pour les distributeurs Galec, Auchan, Systeme U, Carrefour, Casino, Metro, Provera et Intermarché, utilisée dans l’estimation de la part du transport dans le coût de revient proposée par la société Grands Moulins de Strasbourg, que neuf plates-formes associées à six enseignes distinctes sont situées dans ce même rayon d’action conjoint.
219.Il s’agit des plateformes des enseignes suivantes :
‘ Galec – Socamaine Champagné (Sarthe) ;
‘ Système U Ouest situées à [Localité 2] (Maine-et-Loire) et [Localité 3] (Deux-Sèvres) ;
‘ Carrefour situées au [Localité 4] (Sarthe), CSF au [Localité 4] (Sarthe) et COOP Atlantique à [Localité 5] (Vienne) ;
‘ Casino située à [Localité 6] (Vienne) ;
‘ Metro située à [Localité 7] (Maine-et-Loire) ;
‘ Intermarché située à [Localité 8]).
220.Pour toutes ces plates-formes, les sociétés Axiane et Minoteries Cantin étaient, pendant la durée des pratiques, directement concurrentes.’
221.En tout état de cause, il convient d’observer que les moyens des parties relatifs aux contraintes économiques ne concernent que la farine en sachets sous MDD, premier prix, ainsi que le « hard discount », mais pas la farine de marque nationale « Francine », pour laquelle les contraintes de transport ne sont pas invoquées. Il ressort en effet de diverses pièces du dossier que ce produit bénéficie d’une situation particulière, puisque, dans la plupart des cas, son référencement ne procédait pas d’appels d’offres, mais se négociait directement avec la société France Farine et qu’il résulte des déclarations de certains acheteurs que le prix n’était pas le critère de son référencement (En ce sens, réponse au questionnaire des rapporteurs par la société Carrefour ‘ cote 10455, annexe 189 ; audition du directeur commercial de la société Système U ‘ cote 10387, annexe 132).
222.Il se déduit de l’ensemble de ce qui précède que les meuniers en cause étaient bien concurrents entre eux, à tout le moins potentiellement, pour la fourniture de farine en sachets à la grande distribution en France, pendant la période des pratiques.
‘ Sur la capacité de négociation des clients concernés
223.La société Grands Moulins de Paris reproche à la décision attaquée de ne pas avoir pris en compte, dans son analyse de l’objet anticoncurrentiel, la forte capacité de négociation des centrales d’achat de la grande distribution, lesquelles n’auraient, en tout état de cause, pas laissé les sociétés France Farine et Bach Mühle pratiquer des prix excessifs.
224.La société Grands Moulins de Strasbourg indique que le pouvoir de négociation des opérateurs de la grande distribution aboutissait nécessairement à un prix concurrentiel.
225.Cependant, cette circonstance n’est pas de nature à diminuer l’éventuelle nocivité des pratiques en cause, dès lors que les clients concernés, quelle que soit leur puissance de négociation, n’avaient aucune prise sur la décision des meuniers concernés de présenter une offre groupée, ni sur le fonctionnement des structures communes France Farine et Bach Mühle. En outre, le caractère non excessif d’un prix ou le fait qu’il puisse être discuté par un opérateur ayant un pouvoir de négociation important, ne rendent pas pour autant ce prix « concurrentiel » et le fait que les clients aient eu la possibilité d’empêcher leurs fournisseurs de pratiquer des prix excessifs, s’il peut éventuellement relever de l’appréciation des effets des pratiques, ne concerne pas celle de la nocivité de la pratique en cause. La circonstance, invoquée par la société Grands Moulins de Strasbourg, que les centrales d’achats n’ignoraient pas que la société France Farine était un regroupement de meuniers est à ce sujet sans portée, puisque cette connaissance n’était pas de nature à compenser la structure faussée du marché.
‘ Sur la possibilité d’investir dans la création d’autres usines d’ensachage
226.Dans le cadre de son examen du contexte économique, l’Autorité a retenu, au paragraphe 598 de la décision attaquée, que les entreprises en cause n’apportent pas la preuve de ce qu’elles auraient été dans l’impossibilité de consentir les investissements nécessaires pour diversifier leur implantation géographique, notamment, en créant de nouvelles usines d’ensachage dans certaines régions où elles ne sont pas présentes. Elle a ajouté à ce titre que certaines d’entre elles appartiennent à des groupes de sociétés (Nutrixo, Epis-Centre, et Soufflet) de taille importante et disposant de ressources conséquentes, de nature à leur permettre d’effectuer les investissements permettant d’assurer une couverture territoriale plus globale en ce qui concerne l’activité d’ensachage.
227.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin contestent cette analyse. Elles font valoir que, quelle que soit la période envisagée, la création de nouveaux sites d’ensachage aurait représenté un investissement trop important pour des meuniers français disposant déjà d’un tel site. Elles renvoient à une étude intitulée « Commentaires sur la décision n° 12-D-09 », datée du 12 avril 2012, réalisée à leur demande par un cabinet d’expertise économique (
ci-après « l’étude du 12 avril 2012 »), qui a évalué l’investissement lié à une telle réalisation à environ quatre millions d’euros, auxquels il conviendrait d’ajouter un million d’euros pour l’acquisition d’un bâtiment. Elles précisent que la rentabilité à attendre de cet investissement est incertaine en raison, d’une part, des contingents de mouture qui limitent la production, d’autre part, des fortes variabilités des volumes à livrer d’une année sur l’autre dès lors que les marchés sont conclus sur appel d’offres, enfin, du contexte de contrôle des prix qui, jusqu’en 1986, entraînait des variations de prix selon les régions et dissuadait l’investissement.
228.Cependant, ainsi qu’il a été relevé au paragraphe 192 du présent arrêt, les contingentements n’étaient pas en eux-même un obstacle à un accroissement de la production des meuniers, dès lors qu’ils pouvaient faire l’objet de cession et de location. Un tel accroissement aurait permis de rentabiliser les créations d’usines d’ensachage afin que les meuniers puissent se rapprocher davantage des plates-formes de livraison et réduire ainsi les coûts de transport. Ils auraient pu, de la sorte, améliorer leur compétitivité et se prémunir contre les risques de variabilité de la demande qu’ils invoquent. Il convient de relever, de surcroît, que l’affirmation selon laquelle les contingentements des droits de mouture seraient un obstacle à l’expansion des meuniers est contredite par les déclarations du représentant de l’ANMF, lequel a indiqué aux rapporteurs au sujet des droits de mouture que « À mon avis, il n’y a pas d’impact : un meunier peut augmenter son tonnage en achetant des droits de mouture, cela ne contrarie pas les projets d’expansion » (cote 5441), ainsi que par le représentant de la société Moulins Soufflet, qui, sur le même sujet, a indiqué pour sa part « Il y en a suffisamment actuellement pour que des meuniers puissent se développer » (cote 10516).
229.Par ailleurs, quand bien même l’évaluation de l’investissement représenté par la création d’une usine d’ensachage figurant dans l’étude du 12 avril 2012, qui n’est corroborée par aucun élément de preuve, serait-elle exacte, il convient d’observer que de tels investissements demeuraient possibles et se sont révélés fructueux lorsqu’ils ont été réalisés. Il est ainsi relevé par la décision attaquée, d’une part, que la société Bindewald, meunier allemand, a, en 2004, mis en place une nouvelle ligne d’ensachage en vue de doubler ses capacités de livraisons à destination de la France (décision attaquée, § 849), d’autre part, que la société Moulins Soufflet s’est installée sur le marché en 1978 (cote 10516, annexe 130), en procédant à la création d’une usine d’ensachage. L’affirmation de la société Grands Moulins de Strasbourg, selon laquelle depuis la dissolution des structures communes en 2012 il n’a pas été créé de nouvelles usines d’ensachage ou été réalisé d’autres nouveaux investissements, ne constitue pas la démonstration que ceux-ci n’auraient pas été suffisamment rémunérateurs pendant la durée des pratiques et peut s’expliquer par d’autres considérations des entreprises en cause, notamment le fait qu’elles ont adopté d’autres solutions comme, par exemple, le recours à la sous-traitance.
230.Enfin, aucun élément du dossier ne permet de constater que, pour les entreprises les plus importantes, les investissements liés à la création de sites d’ensachage n’auraient pas permis de résoudre la difficulté liée aux coûts de transport par laquelle les parties justifient la nécessité de leurs pratiques.
d. Sur l’impossibilité d’accéder et se maintenir sur le marché en dehors des structures communes France Farine et Bach Mühle résultant du contexte économique et juridique
231.Les pratiques en cause ayant été constituées dans le cadre de sociétés communes de coopération, il convient d’examiner, au titre du contexte économique et juridique dans lequel elles se sont inscrites, les moyens par lesquels les requérantes soutiennent que ces sociétés et leur mode de fonctionnement ne posaient pas de problèmes de concurrence puisqu’ils étaient indispensables et strictement nécessaires à leur accès au marché et à leur maintien sur celui-ci.
232.Elles invoquent à ce titre les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, qui énoncent les principes sur lesquels se fonde l’appréciation au regard de l’article 101 du TFUE des accords entre entreprises, des décisions d’associations d’entreprises et des pratiques concertées afférents à une coopération horizontale. Ces lignes directrices constituent une grille d’analyse pour les types d’accords les plus courants qui peuvent, comme le précise la Commission aux points 2 et 3, produire des avantages économiques substantiels, mais aussi entraîner des problèmes de concurrence, lorsqu’ils ont un impact sur les prix, la production et l’innovation.
233.Elles énoncent, notamment, que :
« 234. La fixation des prix est un des problèmes de concurrence les plus importants que pose un accord de commercialisation entre concurrents. Les accords se limitant à la vente groupée ont généralement pour objet la coordination de la politique des prix des fabricants ou des fournisseurs de services concurrents. De tels accords peuvent ne pas seulement éliminer toute concurrence par les prix entre les parties pour les produits de substitution, mais ils peuvent également limiter le volume total des produits qui seront fournis par les parties dans le cadre du système de répartition des commandes. Il est donc probable que de tels accords restreignent la concurrence par objet.
[ …]
236. Un autre risque spécifique en matière de concurrence posé par les accords de distribution entre parties opérant sur des marchés géographiques différents est qu’ils peuvent être un instrument de cloisonnement des marchés. Si les différentes parties ont recours à un accord de distribution réciproque de leurs produits pour éliminer une concurrence effective ou potentielle entre elles en répartissant délibérément des marchés ou des clients, l’accord aura probablement pour objet une restriction de la concurrence.
[…]
237. Un accord de commercialisation ne doit normalement pas soulever de problèmes de concurrence s’il est objectivement nécessaire pour permettre à une partie de pénétrer sur un marché sur lequel elle n’aurait pu entrer individuellement ou avec un nombre plus limité de parties que celles prenant part effectivement à la coopération, par exemple en raison des coûts que cela implique. C’est notamment le cas lorsque plusieurs sociétés constituent un groupement d’entreprises afin de pouvoir participer à des projets auxquelles elles ne pourraient normalement prendre part à titre individuel. Étant donné que les parties au groupement d’entreprises ne sont pas des concurrents potentiels pour la mise en ‘uvre du projet, il n’y a aucune restriction de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1» (Soulignements ajoutés par la cour).
234.Il résulte des points 234 et 236 précités que les accords de coopération qui contiennent des accords sur les prix et/ou des partages de marchés, constituent dans de très nombreux cas des restrictions par objet. La question de la nécessité objective de l’accord de coopération pour accéder au marché et s’y maintenir, s’inscrit ici dans le cadre de l’analyse du caractère particulièrement nocif de la pratique et il convient donc d’examiner si, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel se sont inscrites les pratiques, ce caractère de particulière nocivité reconnu par l’expérience a pu être atténué voire supprimé. Ceci ne sera le cas que s’il est démontré, d’une part, une impossibilité, qui sans être absolue, doit néanmoins être réelle, pour les entreprises en cause d’accéder au marché et de se maintenir sur celui-ci, et non une simple difficulté à le faire, d’autre part, que les pratiques mises en ‘uvre n’ont pas excédé ce qui était strictement nécessaire à l’accession au marché et au maintien sur celui-ci.
235.Il appartient aux entreprises en cause, qui se prévalent d’un contexte économique empêchant toute solution alternative aux pratiques mises en ‘uvre, d’en rapporter la preuve. De sorte qu’elles ne sont pas fondées à reprocher à l’Autorité, comme le fait la société Grands Moulins de Strasbourg, d’avoir inversé la charge de la preuve.
236.Il leur incombe, en particulier, de rapporter la preuve, d’une part, du rayon kilométrique
au-delà duquel elles prétendent ne pas pouvoir livrer la farine de façon efficiente, d’autre part, de ce que les espaces de juxtaposition de leurs zones de chalandise ne leur permettaient pas de se faire concurrence et, encore, de ce qu’elles ne se trouvaient pas en mesure de procéder aux investissements leur permettant de rentabiliser leur activité de fourniture de farine en sachets, alors que, ainsi qu’il a été relevé précédemment, certains opérateurs ont réalisé avec profit de tels investissements (voir § 229 du présent arrêt). Sur ce dernier point, et contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg, l’Autorité, en relevant que les entreprises en cause auraient été en mesure de réaliser des investissements leur permettant de résoudre une difficulté qu’elles invoquent comme constituant un obstacle à ce qu’elles puissent entrer et se maintenir sur le marché, n’a pas substitué son appréciation aux choix économiques de celles-ci, mais s’est bornée à constater quelle était la situation économique d’un marché dans le cadre duquel elle apprécie le bien-fondé des griefs notifiés.
237.Par ailleurs, il convient de rejeter le moyen, à nouveau invoqué à ce stade de l’analyse, selon lequel les requérantes n’étaient pas en situation de se concurrencer, puisque ce moyen a été précédemment jugé comme n’étant pas fondé au paragraphe 205 du présent arrêt. En outre, et ainsi qu’il a été déjà dit, le fait que les meuniers n’aient pas eu la capacité de fournir la totalité de la demande de la grande distribution, ou qu’ils n’aient été en mesure de satisfaire que la demande d’une seule enseigne n’est pas de nature à établir la nécessité des pratiques mises en ‘uvre, puisque, d’une part, il n’était nullement nécessaire, pour accéder au marché, d’avoir la capacité de répondre à la totalité de la demande de la grande distribution, ni même à la totalité de la demande d’une enseigne, dès lors que, comme la cour l’a relevé au paragraphe 212 du présent arrêt, celles-ci veillaient à diversifier leurs fournisseurs de farine en sachets.
238.Les moyens des requérantes seront regroupés et examinés en trois points : d’abord ceux pris de la nécessité des groupements au sein des sociétés France Farine et Bach Mühle afin d’accéder au marché et s’y maintenir, ensuite ceux relatifs au caractère strictement nécessaire à l’accès et au maintien des entreprises sur le marché de la tarification commune et, enfin, ceux invoquant le caractère strictement nécessaire à l’accès et au maintien des entreprises sur le marché de la répartition géographique des marchés.
‘ Sur le caractère strictement nécessaire de groupements d’entreprises afin d’accéder au marché et s’y maintenir
239.Les sociétés Grands Moulins de Strasbourg et Grands Moulins de Paris font valoir que l’Autorité a reconnu que les répartitions de marché réalisées par les structures communes ne faisaient que correspondre au mouvement naturel de celui-ci, puisque, pour rejeter l’existence de gains d’efficacité de nature logistique qui auraient résulté de ces répartitions, elle a retenu, au paragraphe 664 de la décision attaquée, qu’« en l’absence de l’accord, le fonctionnement normal du marché aurait selon toute probabilité conduit les clients à s’approvisionner en farine en sachets auprès du meunier qui leur aurait proposé le prix le plus bas, à qualité de produit équivalente. Or, compte tenu de la nature et de la structure des coûts concernant ces produits, la marge des meuniers est fortement conditionnée par les coûts de transport qui sont proportionnels à l’éloignement des lieux de livraison des commandes, comme les entreprises en cause l’ont elles-mêmes soutenu. En conséquence, du point de vue de la concurrence spatiale, les clients auraient eu, en toute hypothèse, naturellement tendance à s’approvisionner auprès du meunier qui dispose du site d’ensachage le plus proche du lieu que ces clients entendent faire livrer ». Elles soutiennent que l’Autorité ne peut, sans se contredire, soutenir que la répartition instituée par les structures communes constituait une infraction par objet particulièrement nocive au jeu de la concurrence, tout en admettant que la répartition ainsi instituée correspondait au jeu naturel du marché.
240.Cependant, quand bien même cette contradiction serait-elle réelle, les requérantes ne peuvent en tirer argument pour contester la nocivité des pratiques. En effet, ainsi qu’il sera précisé ultérieurement au paragraphe 358 du présent arrêt, l’analyse de l’Autorité invoquée par les requérantes est erronée puisqu’elle ne prend pas en compte le caractère national de la demande de la grande et moyenne distribution, dont les centrales d’achat procèdent par appels d’offres annuels pour des livraisons de commandes à plusieurs plates-formes réparties sur tout le territoire. Il ne peut, dans ces circonstances, être considéré qu’il y aurait un « jeu naturel du marché » correspondant à une demande qui serait limitée à la livraison d’une seule plateforme.
241.Par ailleurs, ainsi qu’il sera expliqué ci-dessous (§ 258 du présent arrêt), il est démontré que, si tant est qu’un regroupement ait été indispensable aux entreprises pour répondre à la demande globale de la grande distribution et pour se maintenir sur ce marché, d’autres façons de se regrouper que celles qu’elles ont adoptées, avec d’autres modes de fonctionnement, leur auraient permis d’atteindre cet objectif.
242.La société Grands Moulins de Strasbourg soutient que le caractère indispensable des pratiques et l’absence de solution alternative efficiente sont démontrés par quatre constatations.
243.Premièrement, elle n’a pu, depuis la dissolution de la société France Farine, et le rachat par la société Nutrixo de l’activité liée à la marque nationale « Francine », développer une marque nationale concurrente, sa tentative de marque alternative « Gruau d’or » s’étant soldée par un échec, puisque cette marque n’est connue que dans l’Est de la France. En outre, elle a dû avoir recours à des contrats de sous-traitance avec d’autre meuniers pour livrer un périmètre plus large, solution économiquement très significativement moins efficace que celle que représentait la société France Farine.
244.Deuxièmement, depuis la disparition des structures communes, certains meuniers, comme la société Moulins Soufflet et Nutrixo, ont cessé toute activité relative à la farine en sachets de premier prix ou sous MDD.
245.Troisièmement, la seule manière de se maintenir sur le marché national de la commercialisation de farine en sachets aurait été de recourir à la concentration économique en nouant des liens capitalistiques et de contrôle entre les différents meuniers. Une telle solution aurait, selon elle, encore plus réduit l’hypothétique concurrence qui existait entre les meuniers.
246.Quatrièmement, il n’existe aucun concurrent de la société France Farine à l’échelle nationale qui ne soit pas intégré ou qui ne repose sur une coopération de meuniers ayant des modalités de fonctionnement identiques à la société France Farine. Sur ce point, la société Grands Moulins de Strasbourg conteste que la société Générale des farines fonctionne de façon différente de la société France Farine.
247.La société Grands Moulins de Paris fait valoir, de la même façon, que la dissolution des structures communes a conduit sa filiale, la société Nutrixo, à recentrer son activité sur la fourniture de farine de marque nationale « Francine » et, à l’inverse, les sociétés Grands Moulins de Strasbourg, Axiane et Meunerie Cantin à consacrer la leur à la seule fourniture des sachets sous MDD et premiers prix, ce qui démontre, selon elle, l’incapacité concrète de la société Nutrixo à concurrencer ses anciens co-actionnaires et vice-versa.
248.S’appuyant sur l’étude du 12 décembre 2017, la société Grands Moulins de Paris demande à la cour de constater que les structures communes produisaient des gains d’efficience partagés avec les clients.
249.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin développent une argumentation similaire à celles qui viennent d’être rappelées. Elles ajoutent que les alternatives de groupement admises par l’Autorité dans la décision attaquée, ainsi que dans ses observations, supposent néanmoins un fort degré de coopération entre meuniers. Elles font valoir que la constitution d’un groupement temporaire pour répondre aux appels d’offres ne constituait pas une alternative efficiente dans la mesure où les meuniers ne sont pas en mesure de connaître à l’avance exactement les volumes exacts à livrer dans chaque zone, ni à quel moment ces livraisons seront demandées. Elles précisent que, de ce fait, pour pouvoir s’assurer de couvrir, dans tous les cas, l’intégralité du territoire national, les meuniers auraient dû se regrouper, toujours de la même manière, pour chaque appel d’offres, ce qui n’aurait été ni réaliste ni efficace.
250.S’agissant de la société Générale des farines, citée par l’Autorité comme constituant un mode de groupement alternatif, elles font observer que celle-ci est une coopérative dont les actionnaires décident ensemble des prix de vente aux enseignes de la grande distribution. Elles soutiennent que le système d’achat-revente mis en place par cette société n’a pas d’incidence sur le constat que la marge, et donc le prix, étaient bien décidés en commun par les meuniers actionnaires. Elles ajoutent que le système d’achat-revente peut donner lieu à un système de commissionnement à la vente et, dès lors, à une double marge.
251.L’Autorité soutient que, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, l’alternative consistant pour les meuniers à offrir leurs produits sur le marché national de façon purement individuelle constituait une hypothèse viable. Elle précise que c’est uniquement lorsque le contexte économique permet de conclure à une impossibilité totale pour les opérateurs de se maintenir sur le marché qu’une telle circonstance est de nature à remettre en cause l’objet anticoncurrentiel de pratiques aussi restrictives que le sont les accords de prix et l’allocation des marchés.
252.Elle ajoute que les requérantes elles-mêmes fournissent dans leurs observations une série d’exemples d’alternatives possibles au système mis en place dans le cadre de la société France Farine.
***
253.Aucune des constatations invoquées par la société Grands Moulins de Strasbourg ne permet de considérer que les sociétés France Farine et Bach Mühle étaient strictement nécessaires à l’accès au marché et au maintien des entreprises qui les regroupaient sur celui-ci.
254.Premièrement, la circonstance que la dissolution de la société France Farine et la reprise par une seule société de la commercialisation de la farine en sachets sous la marque nationale « Francine » n’aient pas été suivies du développement ou de l’implantation d’une autre marque nationale ne démontre pas à elle seule que, sans une structure commune telle qu’était et fonctionnait la société France Farine, les meuniers n’auraient pas pu accéder et se maintenir sur le marché. Elle peut en effet résulter de ce qu’avant 2012, il existait déjà d’autres marques nationales et que, de plus, la marque « Francine » bénéficiait d’une renommée importante.
255.En outre, le fait que la marque « Gruau d’Or », développée et commercialisée par la société Grands Moulins de Strasbourg, ne soit pas encore connue au-delà de l’Est de la France, peut être lié à de nombreuses raisons, et notamment à la forte implantation et à la grande renommée de la marque « Francine ». Il ne saurait à lui seul démontrer que le regroupement des meuniers était strictement nécessaire à la création d’une marque nationale et au maintien des meuniers sur le segment de marché représenté par ce produit. Enfin, la cour relève qu’il résulte des déclarations des représentants des enseignes de la grande distribution que certaines d’entre elles (Intermarché et Système U) ont fait le choix de ne commercialiser qu’une seule marque nationale, la marque « Francine », tandis que d’autres (Auchan, Carrefour, et Lidl) s’adressaient aussi à d’autres fournisseurs et vendaient une autre marque nationale de farine en sachets, ce qui démontre que, même avant l’enquête, il existait déjà d’autres marques nationales de farine en sachets.
256.Enfin, le recours aux contrats de sous-traitance invoqué par la société Grands Moulins de Strasbourg, que celle-ci décrit comme étant une « solution économiquement très significativement moins efficace que celle que représentait la société France Farine », montre néanmoins qu’il existait des solutions plus respectueuses du libre jeu de la concurrence que la société France Farine et son mode de fonctionnement, permettant aux meuniers en cause de répondre à la demande nationale des opérateurs de la grande distribution, ou du « hard discount » concernant la société Bach Mühle. Sur ce point, la cour renvoie aux développements ci-dessous (Voir § 267 du présent arrêt) par lesquels elle examine la viabilité économique de cette solution.
257.Deuxièmement, si, depuis la disparition des structures communes, certains meuniers, comme les sociétés Moulins Soufflet et Nutrixo, ont cessé toute activité relative à la farine en sachets de premier prix ou sous MDD, ou qu’à l’inverse, les sociétés Grands Moulins de Strasbourg, Axiane et Minoteries Cantin ont cessé leur activité relative à la distribution de farine en sachets de marque nationale, rien ne démontre que cette orientation ait été prise par ces sociétés en raison d’une impossibilité de se maintenir sur le marché plutôt que par un choix d’efficience économique. En outre, de façon générale, le fait que des entreprises se retirent d’un marché sur lequel coexistent et interviennent de nombreux autres opérateurs, ne démontre pas à lui seul que le jeu de la concurrence n’y serait pas possible en dehors d’un regroupement des opérateurs tel que celui constitué par les sociétés France Farine et Bach Mühle.
258.Troisièmement, si, s’agissant de la fourniture de produits destinés essentiellement à la grande distribution, les opérateurs, de façon générale, et les meuniers offrant de la farine en sachets, en particulier, se voient conduits à des logiques de regroupement de l’offre pour répondre à la demande de la façon la plus efficiente économiquement, il est établi que d’autres modes de regroupement, soit au sein de sociétés communes ayant un fonctionnement différent de celui des sociétés France Farine et Bach Mühle, soit par le biais de regroupements temporaires ou de la sous-traitance, permettaient de répondre efficacement à cette configuration et aux exigences de la demande.
259.Ainsi, comme l’a relevé l’Autorité dans ses observations, la société Générale des farines, autre structure commune mise en ‘uvre par d’autres meuniers pour répondre à la demande de la grande distribution, fonctionne de façon différente de la société France Farine et sans entraver la concurrence entre les meuniers qu’elle regroupe.
260.Il est, en effet, démontré par les déclarations de son directeur (Annexe 121, Cote 6 760) que, si la société Générale des farines offre la farine en sachets de ses adhérents à un prix unique, elle l’acquiert elle-même auprès de ceux-ci aux prix fixés par eux, ce qui évite qu’ils ne se concertent à ce sujet. Il ressort en particulier de ces déclarations que, d’une part, les prix auxquels la farine est achetée aux actionnaires sont différents, d’autre part, que la société Générale des farines, avant de répondre aux appels d’offres, demande une fourchette de prix aux meuniers actionnaires qui fournissent de la farine en sachets, puis discute avec les enseignes et cherche un « point d’équilibre ». Le circuit de commercialisation décrit par le représentant de cette société dans ses réponses à un questionnaire des rapporteurs (Annexe 220, Cote 5527) est le suivant : les contrats sont négociés par la société Générale des farines ; à la réception de la commande, cette société la transmet au moulin fournisseur concerné, qui livre la commande et adresse le bon de livraison ainsi que sa facture à la société Générale des farines, laquelle le paie après encaissement du règlement du client.
261.Il s’ensuit que les prix proposés par la société Générale des farines sont ceux des meuniers pris individuellement, et non un prix unique fixé entre eux. Il convient au surplus de relever que, selon ces déclarations, aucun meunier actionnaire ne peut détenir plus de 10 % du capital. Ceci permet de déduire qu’il n’existe pas, au sein de ce groupement, la même proximité entre les actionnaires et les organes décidant des prix d’achat, ce qui permet d’éviter les concertations sur les prix.
262.Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg, les meuniers actionnaires de la société Générale des farines maintiennent à la fois leur indépendance dans la fixation de leurs prix individuels et l’incertitude qui en résulte et il n’est pas démontré que les prix auxquels soumissionne la société Générale des farines soient fixés d’un commun accord entre les actionnaires. La différence entre le mode de fonctionnement de la société Générale des farines, d’une part, et celui des sociétés France Farine et Bach-Mühle, d’autre part, n’est donc nullement une simple différence de forme, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin.
263.Il est sans portée encore que, s’agissant de son objet, les statuts de la société Générale des farines indiquent qu’elle peut avoir de « façon générale à adopter toute mesure propre à faire bénéficier ses membres d’une politique commerciale concertée à l’échelon national », dès lors qu’aucun élément du dossier ne démontre qu’une telle concertation serait mise en ‘uvre sur les prix ou pour partager les marchés de façon automatique entre les actionnaires. Il en va de même de l’extrait du règlement intérieur de cette même société, cité par la société Grands Moulins de Strasbourg, qui précise que, pour satisfaire la demande de la clientèle qui souhaite un fournisseur commun pour des livraisons sur tout le territoire, « une politique commerciale concertée est nécessaire ». Au surplus, la déclaration du directeur de cette société selon laquelle « [c]’est le moulin qui livre directement à la centrale d’achat », ne permet nullement d’inférer qu’il existerait une systématisation d’attribution des marchés aboutissant à un gel des zones d’interventions sur le marché, comme c’était le cas pour les sociétés France Farine et Bach Mühle.
264.Il n’est, en outre, pas démontré que les ventes réalisées par la société Générale des farines feraient l’objet d’une double marginalisation, son directeur ayant au contraire déclaré : « nous ne commissionnons pas nos associés ». Enfin, le fait que les statuts de cette société puissent comporter des clauses qui pourraient inciter à des échanges anticoncurrentiels entre elle et ses actionnaires, ainsi qu’entre ses actionnaires, est sans effet sur le constat qui précède, selon lequel le mécanisme d’achat-revente sur lequel elle repose constitue une alternative crédible et viable aux sociétés communes France Farine et Bach Mühle, ainsi qu’à leur mode de fonctionnement.
265.Par ailleurs, la décision de l’Autorité n° 11-D-03 du 15 février 2011 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur du commerce de gros des fruits et légumes et produits de la mer frais, invoquée à plusieurs reprises par les parties comme un exemple de regroupement entre entreprises en vue de la commercialisation de leurs produits, permet de constater qu’un tel regroupement peut se réaliser sans que les opérateurs fixent un prix unique ou appliquent une clé préétablie de partage de marché. Sur ce point, la cour relève que, contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg, si la décision n°11-D-03 énonce, dans la présentation du secteur au paragraphe 14, qu’ « [a]u sein de la RHD [la restauration hors domicile], les sociétés de restauration collective, la restauration collective autogérée ainsi que les chaînes de restauration commerciale, appelées les ‘clients grands comptes’ ont donc développé une politique de référencement de fournisseurs au niveau national afin d’obtenir des conditions de prix et de qualité harmonisées sur l’ensemble du territoire », rien ne permet de déduire de cet énoncé que le groupement CRENO, dont les conditions de fonctionnement ont été examinées par cette décision, pratiquait des prix uniques pour les produits de ses adhérents, cette question n’étant d’ailleurs nullement l’objet du contrôle mis en ‘uvre par l’Autorité dans cette affaire.
266.S’agissant des groupements temporaires évoqués par l’Autorité et les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, il convient de relever que les obstacles liés aux incertitudes issues des appels d’offres, dont celles-ci déduisent le risque que se développe un regroupement pérenne qui serait contraire au jeu de la concurrence, ne sont pas sérieux. De tels regroupements temporaires auraient au contraire permis aux parties de résoudre les difficultés liées aux coûts de transport qu’elles invoquent, tout en les laissant libres de ne pas renouveler leur groupement d’une année sur l’autre ou de se grouper avec d’autres, permettant ainsi que le jeu de la concurrence s’exerce entre elles.
267.Enfin, le recours des entreprises requérantes à la sous-traitance depuis la dissolution de la société France Farine, montre que cette solution était viable, sans qu’importe, à ce stade de l’analyse, de vérifier si elle eût été moins efficiente pendant la durée des pratiques, ainsi que le soutiennent les sociétés requérantes en se fondant sur l’étude du 12 décembre 2017.
268.La cour relève qu’en tout état de cause, cette étude ne conteste pas que les accords de
sous-traitance, mis en ‘uvre à la suite de la dissolution des sociétés France Farine et Bach Mühle, ont permis aux meuniers en cause de maintenir leur activité. Elle conclut seulement que, sur l’ensemble de la période, de tels accords n’auraient pas permis de répondre de manière effective et dans une mesure équivalente, à la demande d’envergure nationale de la grande distribution et du « hard discount » ou l’auraient fait dans des conditions économiques dégradées.
269.Ladite étude énonce ainsi, au point 1.9 :
« tout type d’arrangement alternatif entre meuniers aurait reposé sur un tissu de multiples accords bilatéraux de sous-traitance entre des meuniers qui aurait été très difficile à mettre en ‘uvre de façon à répondre de manière effective à la demande nationale, et ce, pendant la quasi-totalité de l’existence de France Farine. En tout état de cause, un tel arrangement alternatif n’aurait ni pleinement répondu aux attentes de la grande distribution ni été en situation de réaliser des gains d’efficacité d’une ampleur comparable, du fait :
a. des risques associés à un modèle économique reposant sur une sous-traitance étendue entre meuniers, dont ces meuniers n’avaient aucune expérience lorsque la structure commune a été créée ;
b. de l’incapacité structurelle d’une forme moins aboutie de coopération à réaliser des gains logistiques comme ceux permis par l’organisation centralisée de France Farine et de Bach Mühle pour la livraison de farine en sachets de marque nationale et de marque de distributeur/premiers prix (MDD/PP) à une échelle nationale ; et
c. de la moindre capacité d’une organisation moins structurée que France Farine à assurer le développement et la promotion d’une marque telle que Francine, et donc à réussir sa pénétration sur le marché national de la farine en sachets auprès de la grande distribution ».
270.Cependant, à les supposer démontrés, la réalisation de gains logistiques et le développement de la marque nationale « Francine » s’analysent comme des gains d’efficience, dont l’existence est sans incidence sur le caractère nocif de la pratique, et est seulement de nature à justifier, le cas échéant, l’octroi d’une exemption.
271.S’agissant de la viabilité d’un modèle économique reposant sur des relations de
sous-traitance, il convient d’observer que, si c’est certainement à raison que l’étude du 12 décembre 2017 relève que l’expérience des structures communes a facilité, à partir de leur dissolution, en 2012, le développement de relations de sous-traitance, c’est ensuite de façon purement spéculative et sans justification qu’elle affirme que, sans cet historique, un tel modèle économique n’aurait pas été viable au moment où ont été créées et ont fonctionné les sociétés France Farine et Bach Mühle.
272.En effet, les contraintes liées aux aléas inhérents à la demande par appel d’offres, décrites par cette expertise, d’une part, ne s’appliquent pas à la fourniture de farine de marque nationale « Francine », dont les commandes, dans la plupart des cas, ne se réalisent pas par appel d’offres, d’autre part, n’apportent pas d’éléments permettant d’apprécier le risque relatif aux capacités de production qu’elle souligne. À cet égard, la cour relève, en particulier, que, dans la mesure où les appels d’offres ont une périodicité annuelle régulière et prévisible, les meuniers étaient, et demeurent à l’heure actuelle, en capacité d’anticiper les commandes qui leur sont faites et donc leurs volumes de production, ainsi que d’adapter en conséquence la gestion de leur outil de production et de mettre en place ou confirmer d’éventuelles conventions de sous-traitance. En outre, l’affirmation de la société Grands Moulins de Strasbourg selon laquelle, « pour couvrir l’intégralité du territoire national, (…) elle serait obligée de passer par de nombreux contrats de sous-traitance implantés sur l’ensemble du territoire national et d’octroyer à chacun une licence de marque territoriale », n’est pas démontrée, dans la mesure où elle n’apporte aucune élément de preuve qu’elle serait contrainte d’octroyer à ses sous-traitants une licence de marque pour satisfaire un appel d’offres qui la contraindrait à livrer des plates-formes sur l’ensemble du territoire national.
273.L’étude du 12 décembre 2017 indique des risques d’enchérissement des coûts de production liés aux coûts de transport, qu’elle constate comme ayant été plus élevés à la suite de la dissolution de la société France Farine du fait d’un allongement des distances résultant, notamment, à la cessation des activités de sous-traitance pour le compte des autres meuniers des sites d’ensachage de la société Nutrixo (étude du 12 décembre 2017, § 3.37 et s.). Il convient cependant de relever, sur ce point, que ce constat n’est pertinent qu’aux fins d’apprécier l’existence de gains d’efficience et non pour trancher la question du caractère strictement nécessaire de la création et du mode de fonctionnement des sociétés communes France Farine et Bach Mühle pour accéder et se maintenir sur le marché. Par ailleurs, ce constat résulte de l’observation d’une situation du marché qui procède de la volonté des parties. Celles-ci, en effet, sans les sociétés France Farine et Bach Mühle, auraient dû s’organiser de façon différente pour réduire la charge des coûts de transport et le constat selon lequel la dissolution des deux sociétés commune a engendré une hausse de ces coûts ne permet pas de considérer qu’elles étaient indispensables pour permettre à leurs actionnaires ou partenaires d’entrer et se maintenir sur le marché.
274.Enfin, la cour relève qu’il résulte de l’étude du 12 décembre 2017 que les sociétés Axiane et Minoterie Cantin, qui appartiennent au groupe de sociétés Axeréal, lequel dispose de deux sites d’ensachages, l’un à Reuilly, dans le département de l’Indre en région Centre Val-de Loire, l’autre à Maure-de-Bretagne, dans le département d’Ile-et-Vilaine en région Bretagne, n’ont eu, à la suite de la dissolution de la société France Farine, recours à la
sous-traitance qu’une seule fois, en 2016, et pour une part réduite de 25 % des volumes de farine en sachets MDD et premiers prix. Il résulte de ce constat que le fait de disposer de deux sites d’ensachages, ce qui, ainsi qu’il a été dit précédemment, n’était pas une solution déraisonnable ou impossible pour les meuniers, permettait de limiter le recours à la solution de la sous-traitance.
275.Ainsi, les éléments relatifs au contexte économique et juridique, invoqués par les sociétés requérantes, ne permettent pas de constater que les pratiques sanctionnées ont rendu possible un accès au marché dont les meuniers ne disposaient pas et qu’elles étaient strictement nécessaires à leur maintien sur celui-ci. Les gains d’efficience revendiqués par les parties seront examinés dans les développements consacrés à l’exemption.
276.Dans la mesure où il résulte des développements qui précèdent que d’autres solutions de commercialisation groupée étaient possibles pour les meuniers fournissant de la farine en sachets aux opérateurs de la grande distribution et du « hard discount », il s’en déduit que, quand bien même ces opérateurs auraient-ils exigé de chaque fournisseur un prix unique sur tout le territoire ou des offres concernant la totalité de leur demande, sans considération de la proximité des lieux d’ensachage, les actionnaires et partenaires des sociétés France Farine et Bach Mühle ne se trouvaient pas dans la nécessité de procéder, ainsi qu’ils l’ont fait, à la fixation de prix uniques ni à une répartition des marchés au sein des sociétés communes France Farine et Bach Mühle.
277.Bien que ces éléments dispensent la cour d’examiner les autres moyens développés par les sociétés requérantes, il convient de relever, à titre surabondant, qu’ils ne sont pas fondés, ce qui sera démontré ci-après.
‘ Sur le caractère strictement nécessaire de la tarification commune pour accéder au marché et s’y maintenir
278.Les requérantes soutiennent que la tarification commune au sein des sociétés France Farine et Bach Mühle n’excédait pas ce qui était strictement nécessaire à l’accès et au maintien des entreprises sur le marché.
279.La société Grands Moulins de Strasbourg fait valoir que, comme l’a souligné le commissaire du Gouvernement en réponse à la notification de griefs, les structures communes doivent être appréhendées comme une entreprise unique, seul « véritable opérateur dans la filière ».
280.Elle expose que la grande distribution a toujours souhaité disposer d’un prix unique au niveau national et qu’en tant que commissionnaire de ses actionnaires et partenaires, la société France Farine devait nécessairement négocier les conditions de vente de la farine en sachets, tant pour la farine de marque nationale que pour celle sous MDD ou premier prix. En raison du fort pouvoir dont elle dispose, la grande distribution était, selon elle, en mesure d’imposer un prix unique à l’échelle nationale. Aucune autre solution n’aurait permis aux meuniers de répondre à la demande, l’Autorité n’en ayant d’ailleurs identifié aucune.
281.La société Grands Moulins de Strasbourg conteste que, comme le prétend l’Autorité, « la nécessité de proposer un prix unique ne constitue pas une donnée économique et juridique mais fait partie intégrante de l’analyse de la proportionnalité des restrictions de concurrence mises en ‘uvre au sein de France Farine ».
282.Elle ajoute que la Commission a, au point 225 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, admis la coordination des aspects commerciaux de la vente, qui peut aller jusqu’à la fixation d’un prix commun. Elle fait observer qu’au point 252 des mêmes lignes directrices, une situation similaire à celle des sociétés communes de l’espèce est déclarée compatible avec les dispositions de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, au motif que les parties n’auraient pas été en mesure de pénétrer le marché, que ce soit à titre individuel ou dans le cadre d’une coopération à moins de parties que les quatre prenant part à l’accord, et que, dans ce cas, la restriction en matière de prix pouvait être considérée comme indispensable pour la promotion de la marque commune et la réussite du projet.
283.La société Grands Moulins de Paris soutient, pour sa part, qu’elle a communiqué plusieurs courriers électroniques émanant d’enseignes de la grande distribution, qui confirment que ces clients exigeaient un prix identique d’achat, quel que soit le lieu de livraison de la farine en sachets. Elle ajoute que la cohérence tarifaire était limitée à la farine vendue en commun et que le dossier ne comporte aucun élément qui démontrerait une quelconque restriction de liberté tarifaire pour les actionnaires et partenaires dans leurs relations avec d’autres clients, renvoyant, à cet égard, au principe énoncé par la Cour de justice dans un arrêt du 14 novembre 2017, APVE e.a. (C-671/15), selon lequel, « l’objectif de concentrer l’offre, afin de renforcer la position des producteurs face à une demande sans cesse plus concentrée, peut également justifier une certaine forme de coordination de la politique tarifaire des producteurs agricoles individuels au sein d’une[organisation de producteurs] ou d’une [association d’organisations de producteurs] », point 65). Elle indique encore qu’un prix de cession identique était nécessaire pour générer le gain d’efficacité lié à la marque « Francine ».
284.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent, elles aussi, que les meuniers se sont trouvés « dans la nécessité » de proposer un prix en commun aux enseignes de la grande distribution et du « hard discount ». S’appuyant sur la décision Texaco v. Dagher de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique [Texaco Inc.v. Fouad N. Dagher, 126 S. Ct. 1276 (2006)], elles ajoutent que la fixation de prix en commun est inhérente au fonctionnement des structures communes de commercialisation et qu’elle n’est jamais considérée comme anticoncurrentielle par nature.
285.L’Autorité remarque que la nécessité de proposer un prix unique ne constitue pas une donnée du contexte économique et juridique, mais fait partie intégrante de la question de la proportionnalité des restrictions de concurrence mises en ‘uvre au sein des sociétés France Farine et Bach Mühle, et qu’un tel élément ne peut être pris en compte que dans le cadre de l’analyse de l’exemption éventuelle de ces pratiques. Elle rappelle que cette prétendue exigence de la grande distribution d’un prix unique pour la farine, applicable sur toute la France, n’a de sens que dans une situation où les meuniers se sont déjà regroupés pour commercialiser leurs produits et forment, du point de vue des centrales d’achats, un seul et même fournisseur.
286.L’Autorité observe encore qu’en tout état de cause, les requérantes ne fournissent aucune preuve concrète permettant de démontrer que la pratique du prix unique constituait effectivement une exigence absolue de la grande distribution.
***
287.Aucun des moyens des requérantes, rappelés ci-dessus, n’est fondé.
288.Tout d’abord, faire abstraction des actionnaires qui composent les sociétés France Farine et Bach-Mühle et de leurs partenaires, pour considérer ces groupements comme les seuls véritables opérateurs sur le marché, reviendrait à soustraire les pratiques mises en ‘uvre dans ce cadre à tout contrôle de l’Autorité et ferait ainsi obstacle à la mission qui lui incombe de veiller au respect des interdictions énoncées aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE. Il s’ensuit que ces sociétés communes ne peuvent être regardées comme étant un élément du contexte économique à prendre en compte, alors même que c’est bien leur constitution et leur fonctionnement qui doivent faire l’objet du contrôle de licéité.
289.Ensuite, il est exact qu’aucun élément du dossier ne permet de constater que les opérateurs de la grande distribution ou du « hard discount » auraient, en tout cas au démarrage de la pratique en 1965, imposé un prix unique, quelle que soit la plateforme de livraison, ou, à tout le moins, que les meuniers n’avaient pas la capacité de négocier avec ces opérateurs qu’il en soit autrement. Il apparaît toutefois que, dans le modèle économique sur lequel reposent la grande distribution et les centrales de référencement, ne pas obtenir un prix unique quel que soit le lieu de livraison était, pour les enseignes de la grande distribution, une source de complication, tandis que ne pas proposer un tel prix comportait, pour les meuniers, un risque réel de ne pas remporter les appels d’offres. Tel était encore plus le cas lors de la constitution de la société Bach Mühle, compte tenu de l’accentuation de la puissance des opérateurs de la grande distribution dans leurs relations avec les fournisseurs et de la concurrence des meuniers d’autres pays européens limitrophes. Il y a donc lieu d’admettre que, contrairement à ce que soutient l’Autorité, la demande de prix unique résultait de la configuration du marché et non des pratiques en elles-mêmes.
290.Cependant, ainsi qu’il a été précédemment retenu, d’autres solutions de groupements permettaient aux meuniers de se porter candidats aux appels d’offres en proposant un prix unique sans que celui-ci entrave l’indépendance des opérateurs dans la fixation de leurs tarifs, ni supprime l’incertitude permettant à chacun de fixer son prix au regard de ses propres critères. Il s’en déduit qu’il n’est pas établi que la fixation d’un prix unique au travers d’une société commune était strictement nécessaire à l’entrée des meuniers sur le marché et à leur maintien sur celui-ci.
291.En outre, comme l’indique la société Grands Moulins de Strasbourg, les lignes directrices sur les accords de coopérations horizontale comportent bien, à titre d’exemple, au point 252, la description de la situation de quatre sociétés s’accordant pour créer une branche de commercialisation commune afin de vendre des services de blanchisserie à des clients institutionnels tout en conservant leur indépendance et la liberté de se faire concurrence au niveau des clients locaux individuels. La Commission énonce au sujet de cet exemple que « Bien que la part de marché commune des parties soit inférieure à 15 %, le fait que l’accord prévoie une fixation des prix signifie que l’article 101, paragraphe 1, pourrait s’appliquer. Toutefois, les parties n’auraient pu être en mesure de pénétrer sur le marché des services de blanchisserie aux clients institutionnels, que ce soit à titre individuel ou dans le cadre d’une coopération entre moins de parties que les quatre qui prennent actuellement part à l’accord. En tant que tel, l’accord ne poserait aucun problème de concurrence, quelle que soit la restriction en matière de fixation des prix, qui, dans ce cas, peut être considérée comme indispensable pour la promotion de la marque commune et la réussite du projet ».
292.Toutefois, la situation ainsi décrite ne correspond pas à celle de l’espèce, puisqu’il a été retenu précédemment que d’autres solutions que celle constituée par la fixation de tarifs uniques par les sociétés France Farine et Bach Mühle, telles qu’elles étaient organisées, permettaient de présenter des offres et de se maintenir sur le marché.
293.Il convient en outre de relever que la Commission a précisé, au point 225 des lignes directrices sur les accords de coopérations horizontale, que « [l]es accords de commercialisation concernent la coopération entre concurrents pour la vente, la distribution ou la promotion de leurs produits de substitution. Les accords de ce type peuvent avoir une portée très différente, en fonction des éléments de la commercialisation sur lesquels porte la coopération. À l’une des extrémités du spectre couvert, on trouve les accords de vente groupée, qui peuvent conduire à une détermination en commun de tous les aspects commerciaux liés à la vente du produit, y compris le prix. À l’autre extrémité, on peut trouver des accords plus limités portant seulement sur un aspect particulier de la commercialisation, tel que la distribution, le service après-vente ou la publicité ». Toutefois, ce paragraphe descriptif, qui figure dans la sous-partie « 6.1. Définition » de la partie « 6. Accords de commercialisation » du document, ne saurait, contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg en isolant une partie de la phrase de son contexte, être analysé comme une validation des accords de vente groupée qui conduisent à une détermination en commun de tous les aspects commerciaux liés à la vente du produit, y compris le prix.
294.Au contraire, il résulte de la lecture combinée des paragraphes 2, 3 et 4 des lignes directrices sur les accords de coopérations horizontale que, si la Commission admet que de tels accords peuvent produire des avantages économiques substantiels, elle n’en reconnaît pas moins qu’ils peuvent aussi entraîner des problèmes de concurrence et que « [t]el est le cas, par exemple, lorsque les parties s’entendent pour fixer les prix ou la production ou se répartir les marchés » et qu’il lui appartient, comme aux autorités nationales de concurrence, de veiller au maintien d’une concurrence effective sur les marchés qui comportent ce type d’accords.
295.Ainsi, si, comme le soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, un accord de commercialisation ne peut être considéré comme étant anticoncurrentiel abstraction faite du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit, il n’en demeure pas moins que, dans la mesure où la fixation d’un prix unique et un partage de marché constituent des entraves directes au jeu de la concurrence, un tel accord n’est admissible que lorsque les restrictions qu’il entraîne sont strictement nécessaires à l’entrée sur le marché en cause et à son maintien. Ce qui, ainsi qu’il vient d’être examiné, n’a pas été le cas pour les pratiques nouées autour des sociétés France Farine et Bach Mühle. Il s’ensuit que l’analogie soutenue par ces sociétés entre l’espèce et la décision Texaco v. Dagher de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique est inopérante.
296.En outre, si, au point 65 de son arrêt APVE e.a., précité, invoqué par la société Grands Moulins de Paris, la Cour de Justice a jugé que « l’objectif de concentrer l’offre, afin de renforcer la position des producteurs face à une demande sans cesse plus concentrée, peut également justifier une certaine forme de coordination de la politique tarifaire des producteurs agricoles individuels au sein d’une [organisation de producteurs] ou d’une [association d’organisations de producteurs] », cette analyse ne peut être transposée à la présente espèce. En effet, elle concerne des producteurs agricoles individuels appartenant à une catégorie d’organisation d’entreprises relevant expressément des dispositions de la politique agricole commune, comme le sont les producteurs d’endives, ainsi que la Cour de justice l’a relevé au point 35 de cet arrêt ; or celle-ci a précisé, au point 38 du même arrêt, que « les interventions du législateur de l’Union à ce titre ont pour objet non pas d’établir des dérogations ou des justifications à l’interdiction des pratiques visées à l’article 101, paragraphe 1, et à l’article 102 [du] TFUE, mais d’exclure du champ d’application de ces dispositions des pratiques qui, si elles intervenaient dans un secteur autre que celui de la politique agricole commune, en relèveraient » (soulignement ajouté par la cour). Ces exceptions étant d’interprétation stricte, ainsi que le précise la Cour de justice au point 46 du même arrêt, elles ne sauraient être étendues à des produits ou des secteurs autres que ceux précisément concernés par l’arrêt.
297.Enfin, le moyen de la société Grands Moulins de Paris, selon lequel le prix de cession identique était nécessaire pour générer le gain d’efficacité lié à la marque « Francine », relève de l’examen des conditions d’exemption au titre des gains d’efficacité et non de celui de leur qualification au titre d’une restriction de concurrence par objet.
‘ Sur le caractère strictement nécessaire de la répartition géographique des marchés pour accéder au marché et s’y maintenir
298.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que l’allocation des commandes selon un principe de proximité répondait à un objectif d’efficacité en raison de la très grande complémentarité géographique des meuniers et de l’importance des coûts de transports pour le marché de la farine en sachets. Elles ajoutent qu’en l’absence de la société France Farine, le même mode d’allocation des commandes selon un principe de proximité aurait prévalu et citent sur ce point le paragraphe 664 de la décision attaquée reconnaissant, selon elles, cet état de fait. Elles précisent que l’allocation des commandes selon le principe de proximité est le mode d’attribution qui permet de minimiser autant que possible les frais de transport et qu’il permet, par conséquent, la meilleure efficacité pour les meuniers, ainsi que pour la grande distribution et les enseignes du « hard discount », puisqu’il leur garantit le prix d’achat le plus faible.
299.Elles en déduisent que l’allocation des commandes selon le principe de proximité était strictement nécessaire pour permettre aux structures communes de commercialisation France Farine et Bach Mühle de poursuivre leur objectif légitime.
300.La société Grands Moulins de Strasbourg reproche, pour sa part, à l’Autorité de ne pas avoir démontré l’existence d’une solution alternative crédible au principe de proximité, qui, en l’absence de France Farine, résulterait du jeu naturel des acteurs. Elle soutient que l’application du principe de proximité était imposée par le fait que les enseignes de la grande distribution ne voulaient pas d’offres locales mais sélectionnaient les candidats capables de répondre à leur demande nationale.
301.Elle invoque à nouveau la situation du groupement CRENO, validé par la décision n°
11-D-03, précitée, lequel reposait aussi sur une « répartition homogène du territoire » entre les adhérents. Elle rappelle que, dans une décision n° 04-D-57 du 16 novembre 2004 relative aux marchés publics de travaux de revêtement de chaussées dans le département des Pyrénées-Orientales, le Conseil de la concurrence a admis que « l’établissement, à titre indicatif, d’une répartition prévisionnelle des tâches à effectuer entre les sociétés attributaires d’un appel d’offres relève de la gestion normale des entreprises concernées qui doivent pouvoir disposer d’un plan de charge prévisionnel ». Elle estime que la société France Farine se trouvait dans la même situation, car, afin de pouvoir constituer un interlocuteur unique pour les opérateurs de la grande distribution, elle se devait de s’assurer que ses actionnaires et partenaires étaient en mesure de produire et livrer les volumes nécessaires. Elle précise en outre que les moulins ne disposaient pas de lignes d’ensachage standardisées et que chaque site ne pouvait ensacher la farine des autres meuniers.
302.S’agissant des pratiques nouées autour de la société Bach Mühle, la société Grands Moulins de Strasbourg expose que les mêmes motifs rendaient la répartition des marchés strictement nécessaire à l’accès au marché de la farine en sachets à destination des opérateurs du « hard discount ». Elle ajoute que l’Autorité a fait une interprétation inexacte des règles de fonctionnement de cette société en retenant, au paragraphe 714 de la décision attaquée, que la «’répartition des clients et des marchés’» se serait effectuée en deux temps’: «’les commettants se répartissent, dans un premier temps, les commandes que pourrait accepter Bach Mühle sur la base du prix unique convenu en déterminant lesquels d’entre eux se verront attribuer la commande, puis, dans un second temps, la clé de répartition sur la base de proximité géographique rentre en jeu pour arbitrer les livraisons à répartir entre les commettants qui ont accepté de livrer’». Elle précise à ce titre qu’il appartenait à la société Bach Mühle d’assurer la conciliation entre la nécessité de faire une offre tarifaire groupée, d’une part, et la nécessité de permettre aux meuniers de ne pas participer à une offre s’ils ne disposaient pas de capacité d’ensachage disponible pour répondre à cette offre ou si celle-ci ne leur permettait pas de couvrir leurs coûts, d’autre part. En conséquence, ne participaient à l’offre commune, dont le prix était fixé en fonction de la répartition géographique des lignes d’ensachage des moulins ayant accepté de participer à l’offre, que les meuniers ayant choisi d’y participer sur la base de leurs contraintes propres.
303.L’Autorité réplique que les requérantes tentent d’intégrer une composante des pratiques poursuivies dans le contexte économique et juridique en affirmant que cette répartition serait « inhérente » au système qu’elles ont elles-mêmes mis en place. Elle considère que la problématique de la nécessité du système de répartition des commandes ne peut, comme c’est le cas pour la fixation du prix unique, être envisagée qu’au regard des bénéfices attendus de l’existence de la société France Farine. La répartition des commandes entre les meuniers ne constituant pas une nécessité absolue pour permettre aux meuniers de proposer une offre nationale, l’Autorité fait valoir que cette restriction doit être mise en balance avec les avantages attendus du fonctionnement des sociétés France Farine et Bach Mühle.
***
304.Ainsi qu’il a été précédemment retenu, les requérantes se trouvaient en concurrence pour la fourniture en farine en sachets des opérateurs de la grande distribution et du « hard discount ». La répartition des commandes selon le critère géographique de proximité à l’égard des plates-formes de livraison, répondait à une préoccupation d’efficience en ce qu’elle permettait de limiter les frais de transport qui, compte tenu du faible prix de la farine en sachets, peuvent représenter une part importante des coûts de revient.
305.Toutefois, ainsi qu’il a déjà été dit, la demande était nationale, ce qui implique qu’un même meunier, candidat attributaire d’un appel d’offres, pouvait avoir à livrer de nombreuses plates-formes à des distances diverses (longues, moins longues ou encore rapprochées) du lieu d’ensachage, de sorte que la charge de ces coûts pouvait être répartie sur l’ensemble des livraisons et qu’il n’est pas possible de considérer qu’une clé de répartition résultant de la seule distance permettait une répartition efficiente des commandes.
306.Par ailleurs, ainsi qu’il a été précédemment retenu, d’autres modes de regroupement pouvaient permettre aux parties de limiter ces coûts sans conduire à figer les positions de chacun sur le marché.
307.Il s’en déduit que la question de savoir si la répartition des commandes permettait une réduction des coûts n’est pertinente qu’aux fins d’apprécier l’existence de gains d’efficience, mais est étrangère à la détermination du caractère strictement nécessaire de la pratique pour permettre aux entreprises d’accéder au marché et s’y maintenir.
308.S’agissant du fonctionnement « normal du marché », c’est en vain que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin se prévalent du paragraphe 664 de la décision attaquée. Il convient en effet de relever qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, le jeu de la concurrence entre les entreprises aurait pu permettre que la répartition se fasse différemment, notamment si des investissements portant sur les usines d’ensachage avaient été réalisés.
309.Les analogies invoquées par la société Grands Moulins de Strasbourg avec la situation du groupement CRENO, validée par la décision de l’Autorité n° 11-D-03, précitée, et avec les groupements temporaires d’entreprises, tel celui examiné par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 04-D-57, précitée, sont sur ce point inopérantes.
310.En effet, si la décision n° 11-D-03 invoque une attribution des commandes en fonction d’un principe de proximité, rien dans cette décision ne permet de constater que le groupement aurait appliqué cette règle systématiquement, au-delà de ce qui était strictement nécessaire et alors qu’il y aurait eu des chevauchements et des recoupements dans les zones de chalandises des producteurs concernés. Par ailleurs, si, dans la décision n° 04-D-57, le Conseil de la concurrence a admis, dans certains cas, une répartition prévisionnelle des tâches à effectuer entre entreprises momentanément groupées pour répondre à un appel d’offres, ce principe ne vise que des tâches que les entreprises en cause doivent accomplir les unes à la suite des autres et n’autorise nullement un partage de marché entre entreprises concurrentes. La cour relève, en outre, que, dans cette décision, la répartition prévisionnelle était justifiée par la nature des matériaux et la spécificité des marchés, ainsi que par des contraintes légales de caution et de garanties.
311.Au surplus, en soutenant qu’il appartenait à la société Bach Mühle d’assurer la conciliation entre la nécessité de faire une offre tarifaire groupée, d’une part, et la nécessité de permettre aux meuniers de ne pas participer à une offre s’ils ne disposaient pas de capacité d’ensachage disponible pour répondre à cette offre ou si celle-ci ne leur permettait pas de couvrir leurs coûts, la société Grands Moulins de Strasbourg présente, ainsi que le fait observer l’Autorité, comme une contrainte résultant du marché, une situation qui procède de la seule volonté des parties et du mode d’organisation qu’elles ont choisi pour leur société commune.
312.Il se déduit de ces motifs, applicables aux pratiques orchestrées au sein des deux sociétés communes France Farine et Bach Mühle, qu’il n’est pas démontré que la répartition des marchés ait été effectuée dans la limite de ce qui était strictement nécessaire à l’entrée et au maintien des entreprises en cause sur le marché.
5. Conclusion sur le caractère particulièrement nocif des pratiques
313.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin font valoir que les pratiques ont été mises en ‘uvre par des structures communes de commercialisation qui poursuivaient un objectif légitime.
314.La société Grands Moulins de Paris ajoute que la société France Farine a été créée de façon transparente, avec les encouragements des pouvoirs publics, et sans subir de critiques de la part de ses puissants clients. Elle produit à ce titre le compte rendu d’une conférence du 17 janvier 1967 au cours de laquelle les pouvoirs publics ont, selon elle, confirmé leur soutien à la création de la société France Farine (Annexe 7). Elle ajoute qu’au surplus les services de l’État étaient parfaitement informés de l’existence de la société France Farine et de son fonctionnement, puisque la DGCCRF l’a contrôlée à deux reprises, d’abord le 6 mai 1998, dans le cadre d’une enquête relative à la vérification du respect des dispositions des titres III et IV de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ensuite le 19 mars 2002, dans le cadre d’une enquête de l’antenne de la DGCCRF en Bretagne, relative à la vérification des dispositions du livre IV du code de commerce. Elle fait observer que ces enquêtes n’ont eu aucune suite contentieuse ou sous forme d’avertissement quant à un éventuel irrespect des règles de concurrence, alors que la DGCCRF était, à cette époque, précisément en charge des enquêtes de concurrence. Elle en déduit qu’il ne peut être retenu que la société France Farine présentait un caractère de nocivité évident et qu’en conséquence, sa création et son fonctionnement ont constitué des pratiques anticoncurrentielles par objet.
315.La cour rappelle que, comme le précise la Cour de justice au point 70 de son arrêt Groupement des cartes bancaires, précité, le fait que les mesures ou pratiques en cause poursuivent un but légitime n’exclut pas qu’elles puissent être considérées comme ayant un objet restrictif de concurrence.
316.Par ailleurs, la circonstance que, lors de la conférence de présentation de la société France Farine, le 17 janvier 1967 (ci-après la « conférence du 17 janvier 1967 »), le ministre de l’agriculture ait valorisé l’activité de cette société comme participant à un effort d’intégration de l’activité agricole dans la vie économique du pays et l’ait présentée comme « un exemple de centralisation commerciale sans concentration des entreprises industrielles » permet seulement de constater l’incompréhension par ce ministre des pratiques que pouvait générer la société France Farine et de son impact sur le jeu de la concurrence mais ne modifie nullement le caractère nocif des pratiques en cause.
317.De même, l’absence de poursuites par la DGCCRF, à la suite des contrôles opérés en 1998 et 2002, ne permet pas de considérer que la nature des pratiques en cause, dans leur contexte économique et juridique, ne révélerait pas le caractère particulièrement nocif propres aux pratiques qualifiées d’anticoncurrentielles par objet.
318.Ainsi qu’il a été énoncé au paragraphe 158 du présent arrêt, les pratiques mises en ‘uvre en l’espèce au sein des sociétés France Farine et Bach Mühle, qui avaient pour objet de supprimer la concurrence entre les associés de la structure commune sur les prix des produits vendus par celles-ci, de permettre un alignement de leurs politiques générales de vente des produits, quand ils les commercialisaient directement à leurs clients et, enfin, de supprimer pour eux la nécessité de se faire concurrence, puisqu’ils étaient assurés de se voir attribuer la fourniture des commandes correspondant à leur zones géographiques, étaient particulièrement nocives pour le jeu de la concurrence. Ainsi qu’il résulte des développements qui précèdent, il n’est pas démontré que ces pratiques étaient strictement nécessaires à l’entrée et au maintien des meuniers sur le marché de la fourniture de farine en sachets des opérateurs de la grande distribution et du « hard discount ».
319.Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les pratiques d’entente nouées autour des sociétés communes France Farine et Bach Mühle, qui ont permis aux actionnaires et partenaires de ces sociétés de fixer et pratiquer en commun un prix unique pour la farine en sachets et de se répartir les marchés selon un critère unique et systématique de proximité, étaient, au regard de la teneur des accords ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles ont été commises, des pratiques d’une particulière nocivité pour le jeu de la concurrence, justifiant leur qualification de pratique par objet et dispensant ainsi l’Autorité d’en rechercher les effets.
320.Si entre 1965, date de la création de la société France Farine, et le 21 juillet 1978, les prix étaient régulés et que, durant cette période, les pratiques, en ce qu’elles portaient sur les prix, n’ont pu avoir ce caractère de nocivité particulière, cette circonstance ne permet pas d’exclure toute qualification de restriction de concurrence par objet puisqu’ainsi qu’il a été relevé au paragraphe 191 du présent arrêt, les pratiques en cause portaient aussi sur un partage des commandes et présentent, sur ce point, un caractère de particulière nocivité. Il sera cependant tenu compte de cette circonstance dans le cadre de l’appréciation de la sanction.
D. Sur les demandes d’exemption des pratiques
321.Il résulte des articles 101, paragraphe 3, du TFUE et L.’420-4 I 2° du code de commerce que les accords entre entreprises qui relèvent des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L.’420-1 du même code peuvent faire l’objet d’une exemption s’ils satisfont aux quatre conditions cumulatives suivantes, prévues par ces dispositions, dont les parties doivent rapporter la preuve : l’accord doit contribuer au progrès économique, il doit être nécessaire et proportionné à la réalisation de gains d’efficacité, il doit réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit en résultant et il ne doit pas donner aux entreprises la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.
322.L’Autorité a refusé aux requérantes le bénéfice de l’exemption tant au titre des pratiques constatées dans le cadre de la société France Farine (décision attaquée § 649 et s.), que dans celui de la société Bach Mühle (décision attaquée, § 135 et s.).
323.Les requérantes contestent le bien-fondé de l’analyse de l’Autorité.
1. Sur la possibilité d’exempter des accords de prix dans le domaine agricole en application des dispositions de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce
324.Les sociétés Grands Moulins de Paris, Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que l’Autorité a commis une erreur de droit en ce qu’elle n’a pas cité, et donc pas appliqué, la seconde phrase de l’article L. 420-4 I 2°, selon laquelle l’exemption peut bénéficier aux pratiques qui ont pour effet d’assurer un progrès économique et qui « peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun ».
325.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin rappellent que, dans son rapport annuel pour 2012, l’Autorité a souligné qu’en introduisant cette disposition, les pouvoirs publics souhaitaient que la concurrence puisse être « animée par des entreprises indépendantes de petite taille et non uniquement par de grandes entreprises qui seraient seules capables d’affronter la concurrence internationale ou de prendre certains marchés si les PME ne pouvaient pas se regrouper ». Elles estiment que l’Autorité ne pouvait refuser d’appliquer ces dispositions, car toutes les conditions exigées par les articles 101, paragraphe 3, du TFUE et L. 420-4 I 2° du code de commerce étaient, en l’espèce, satisfaites.
326.Elles font valoir que les spécificités des produits agricoles ou issus des produits agricoles doivent être prises en compte pour une application adaptée des critères de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE. Elles rappellent à ce titre les déclarations du Président de la République devant les « États Généraux de l’alimentation » le 11 octobre 2017, soulignant la nécessité de permettre aux acteurs du secteur de « [se] regrouper véritablement en organisations de producteurs pour peser plus dans les négociations ». Elles invoquent aussi les termes d’un document intitulé « Comment la politique de concurrence de l’UE aide les producteurs de lait en Europe », émanant de la Commission européenne, qui, selon elles, précisent les conditions dans lesquelles les accords de commercialisation peuvent être admis. Enfin, elles objectent que la part de marché cumulée de 15 %, citée par l’Autorité dans ses observations, n’est énoncée qu’à titre indicatif et ne signifie nullement que la Commission aurait instauré une présomption d’illégalité au-delà de ce seuil, mais emporte seulement la nécessité d’un examen au cas par cas.
327.L’Autorité conteste ces moyens. Elle fait observer qu’elle a précisé, dans la décision attaquée, que son analyse était fondée, pour le droit national, sur l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce et donc sur les dispositions citées par les requérantes qui y sont incluses. Elle ajoute que le droit de la concurrence de l’Union européenne ne comporte pas de disposition propre aux produits agricoles, équivalente à celle contenue dans la seconde phrase de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce, et qu’en vertu du principe de primauté énoncé dans l’arrêt de la Cour de justice du 13 février 1969, Walt Wilhelm (14/68, point 6), elle ne pouvait accorder une exemption que dans les conditions prévues par l’article 101, paragraphe 3, du TFUE, ce qui l’empêchait de faire application des dispositions visées par les requérantes.
328.Elle ajoute que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin citent de manière tronquée et trompeuse les lignes directrices de la Commission en matière d’accords horizontaux, lesquelles ne concernent que les entreprises de petite taille disposant d’une part de marché inférieure à 15 % et mettant en place une collaboration limitée à un segment de clientèle. Elle précise qu’il en est de même du document relatif aux accords dans le secteur du lait.
***
329.Les dispositions de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce invoquées par les requérantes énoncent que :
« Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques :
1° Qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ;
2° Dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès » (soulignement ajouté par la cour).
330.Il est sans portée que l’Autorité ait omis de préciser, dans la décision attaquée, que les pratiques exemptables pouvaient, en application de ces dispositions, consister à organiser, pour les produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun.
331.En effet, ces dispositions énoncent une faculté qui n’est ni impérative ni automatique et qui est soumise aux mêmes conditions générales d’octroi de l’exemption que celles que l’Autorité a estimées ne pas être remplies.
332.Par ailleurs, les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne sont pas fondées à invoquer les termes d’un document spécifique aux producteurs de lait, intitulé « Comment la politique de concurrence de l’UE aide les producteurs de lait en Europe », émanant de la Commission européenne, qui ne fait que rappeler les termes des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale et qui précise que « le présent document […] ne constitue pas un avis juridique ni ne reflète la position juridique de la Commission dans le cadre d’affaires ou de poursuites spécifiques concernant la concurrence sur les marchés agricoles ».
333.Ces moyens sont en conséquence rejetés.
2. Sur l’existence d’un progrès économique
334.À titre liminaire, la cour rappelle, ainsi que l’a précisé la Commission, au point 33 de sa communication 2004/C 101/08 du 27 avril 2004 intitulée « Lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité [devenu l’article 101, paragraphe 3, du TFUE] », que « [l]es accords qui restreignent la concurrence peuvent en même temps avoir des effets proconcurrentiels sous forme de gains d’efficacité (…), lesquels peuvent créer un surcroît de valeur en abaissant le coût de fabrication d’une production, en améliorant la qualité du produit ou en permettant la création d’un nouveau produit ».
335.En outre, comme il est indiqué au point 49 de ces mêmes lignes directrices, « seuls les avantages objectifs peuvent être pris en compte (…), ce qui signifie que les gains d’efficacité ne sont pas appréciés du point de vue subjectif des parties (…). Les réductions de coûts permises par le simple exercice du pouvoir de marché par les parties ne peuvent être prises en compte. Ainsi, lorsque des entreprises s’entendent pour fixer des prix ou se partager des marchés, elles réduisent leur production et, par voie de conséquence, leurs coûts de production. Une diminution de la concurrence peut aussi se traduire par une baisse des ventes et des frais de commercialisation. Ces réductions de coûts sont la conséquence directe d’une réduction de la production et de la valeur, et ne génèrent pas d’effets proconcurrentiels sur le marché. Ainsi, elles ne débouchent pas sur la création de valeur par une intégration d’actifs et d’activités, mais permettent simplement aux entreprises concernées d’accroître leurs bénéfices. Dès lors, elles sont sans objet du point de vue de l’article 81, paragraphe 3 ».
336.Bien que ces lignes directrices ne soient pas contraignantes pour les juridictions et autorités des États membres, ainsi qu’il est précisé au point 4, elles constituent un guide d’analyse utile pour l’application de l’article 101, paragraphes 1 et 3, du TFUE ainsi que pour celle de l’article L. 420-4 I 2° du code de commerce.
a. Sur le gain d’efficience résultant de la possibilité d’apporter une offre nationale à la demande de la grande distribution
337.Au paragraphe 662 de la décision attaquée, l’Autorité a considéré que les parties ne rapportaient pas la preuve que leur regroupement au sein de la société France Farine constituait un gain d’efficience en ce qu’il aurait permis de répondre, par une offre d’ampleur nationale, à la demande de la grande distribution. Elle a relevé, à ce sujet, que les éléments apportés par les entreprises montraient que ce groupement avait pour but de garantir à ses actionnaires un niveau de prix stable et de se prémunir contre une baisse des prix qui aurait été demandée par la grande distribution, et ainsi de contribuer à l’intérêt économique des associés de France Farine en réduisant l’intensité concurrentielle qui aurait dû les opposer. Elle a ajouté, d’une part, que les entreprises ne rapportaient pas la preuve que la constitution de la société France Farine avait, par une meilleure distribution des produits, permis de réduire les prix de la farine en sachets au détail, d’autre part, qu’à l’époque de la création de cette société, la grande distribution commençait seulement à se structurer.
338.S’agissant de la société Bach Mühle, l’Autorité a, au paragraphe 222 de la décision attaquée, précisé que, comme pour la société France Farine, il n’était pas démontré que la constitution d’un interlocuteur unique répondait à une réalité économique et constituait un gain d’efficacité objectif et sensible.
339.La société Grands Moulins de Strasbourg conteste cette analyse. Elle oppose, premièrement, que la Commission a, dans les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, indiqué très clairement qu’une structure commune de commercialisation, telle la société France Farine, peut « entraîner des gains d’efficacité », deuxièmement, que l’unique objet de la société France Farine était bien d’adapter l’offre des meuniers au mouvement de « nationalisation » de la demande et, troisièmement, que l’étude du 12 décembre 2017 démontre qu’à compter de la dissolution de la société France Farine, le prix de la farine en sachets a cessé de suivre l’évolution du cours du blé, en raison, notamment, de la progression rapide des coûts de transport, ce dont la requérante déduit que l’existence de la société France Farine a bien contribué à réduire les prix de la farine en sachets.
340.La société Grands Moulins de Strasbourg ajoute que l’argument de l’Autorité selon lequel les réductions de coûts auraient découlé du simple exercice du pouvoir de marché des parties et non de mesures et d’actions spécifiques visant à réduire les coûts ou à proposer une offre innovante, doit être écarté. Elle expose à ce sujet qu’il doit être recherché si les gains d’efficience sont objectifs et créent de la valeur. Or, selon elle, tel est bien le cas en l’espèce, la valeur créée résidant dans la capacité pour la grande distribution de bénéficier d’un approvisionnement sur l’ensemble du territoire national au prix le plus bas possible. Elle conteste, enfin, l’affirmation selon laquelle, en 1965, la grande distribution commençait seulement à se structurer.
341.Concernant spécifiquement la société Bach Mühle, la société Grands Moulins de Strasbourg fait valoir que cette société commune a permis à ses actionnaires d’accéder au marché du « hard discount », sur lequel ils n’auraient pu intervenir individuellement pour des raisons tant de capacités que de niveaux de prix. Elle précise que la société Bach Mühle a proposé une réponse centralisée à la demande des enseignes du « hard discount » ainsi qu’un prix unique et que, de surcroît, le regroupement a permis de partager le risque industriel entre les actionnaires. À ce sujet, elle explique qu’en raison du nombre très réduit de clients potentiels, qui sont au nombre de quatre, et du mécanisme de l’appel d’offres, les engagements d’approvisionnement étaient susceptibles de varier de manière très importante d’une année sur l’autre.
342.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin développent une argumentation identique et soutiennent, pour leur part, que la répartition géographique homogène des sites d’ensachage des meuniers en cause leur a permis de proposer à leurs clients respectifs des tarifs plus compétitifs en leur assurant une livraison cohérente à moindres coûts. De plus, selon elles, les sociétés communes ont permis à la distribution de bénéficier d’un interlocuteur unique et de volumes d’approvisionnement définis pour l’intégralité de leurs magasins selon une tarification uniforme. En l’absence de ces regroupements, les meuniers concernés n’auraient pas pu constituer une force industrielle et commerciale capable de répondre à la grande distribution. S’agissant des prix, elles font valoir que l’Autorité inverse indûment la charge de la preuve et qu’en tout état de cause, les meuniers étaient dans l’obligation d’accepter les prix imposés par la grande distribution. Elles en déduisent que, compte tenu de ce pouvoir de la grande distribution, l’Autorité ne peut valablement soutenir que la constitution et le fonctionnement, y compris la fixation des prix en commun, des sociétés France Farine et Bach Mühle ont fait obstacle à une réduction de prix de détail de la farine en sachets. Elles ajoutent qu’il résulte d’un article de l’UFC-Que choisir du 22 décembre 2011 que le prix de vente du paquet de farine Francine de un kilo a, au cours des dix années précédentes (soit les années précédant la dissolution des structures communes), augmenté en valeur absolue deux fois moins vite que la moyenne des prix à la consommation. Enfin, elles font valoir que le regroupement au sein des sociétés communes a permis une amélioration de la qualité des produits, reconnue par l’Autorité elle-même au paragraphe 671 de la décision.
343.La société Grands Moulins de Paris fait valoir que la création de la société Bach Mühle a permis à ses actionnaires, compte tenu de leur complémentarité géographique, de faire des offres qu’ils n’auraient pas pu faire seuls. Selon elle, la coopération entre les meuniers au sein de cette société a permis de minimiser les coûts de transport, répartir la production pour améliorer l’approvisionnement et rendre les offres plus compétitives. Elle ajoute que l’existence de la société Bach Mühle a donné à ses actionnaires la possibilité de mutualiser les risques liés à la volatilité de la demande du « hard discount ». Le niveau de demande peut effectivement changer de manière radicale d’une année sur l’autre, ce qui rend la spécialisation sur ce marché risquée pour un meunier, a fortiori au regard des marges peu élevées.
344.L’Autorité oppose que les requérantes n’apportent aucun élément précis permettant de démontrer que la constitution d’une offre nationale par l’intermédiaire des sociétés France Farine et Bach Mühle a pu permettre de réduire les prix de la farine en sachets ou d’améliorer la qualité des produits. Elle rappelle que, comme elle l’a indiqué au paragraphe 656 de la décision attaquée, les réductions de coûts permises par le simple exercice du pouvoir de marché par les parties ne peuvent être considérées comme un progrès économique, ce qui signifie que les avantages attendus de l’accord étudié ne peuvent résulter simplement du regroupement en lui-même. Il doit au contraire s’agir de mesures et d’actions spécifiques permettant de réduire les coûts ou de proposer de nouvelles offres importantes. Or, selon elle, l’argumentaire des requérantes se borne à détailler les avantages attendus du simple regroupement de l’offre au sein des sociétés France Farine et Bach Mühle, sans mentionner aucune mesure ni aucune coopération spécifique allant au-delà de la mise en commun de la politique commerciale.
***
345.Ainsi que le fait valoir la société Grands Moulins de Strasbourg, la Commission a précisé, au point 246 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, que « [l]es accords de commercialisation peuvent entraîner des gains d’efficacité significatifs ». Il convient toutefois de relever qu’elle indique, dans le même point, que « [l]a fixation des prix ne se justifie généralement pas, sauf si elle est indispensable à l’intégration d’autres fonctions de commercialisation et si cette intégration engendrera des gains d’efficacité substantiels. La distribution en commun peut donc générer des gains d’efficacité importants, découlant d’économies d’échelle et de gamme, en particulier pour les plus petits producteurs ».
346.Il est exact que les regroupements au sein des sociétés France Farine et Bach Mühle ont permis aux meuniers actionnaires et partenaires de présenter une offre concentrée pour répondre à la demande de la grande distribution dans sa globalité, ce que la charge des frais de transport leur rendait, à tout le moins, difficile.
347.Il peut être considéré que la constitution, résultant de la création de la société France Farine, d’une telle offre de dimension nationale, jusqu’alors inexistante, pour répondre à une demande de même ampleur a constitué un gain d’efficacité, et si, comme l’indique l’Autorité, en 1965, la grande distribution commençait seulement à se structurer, elle était néanmoins déjà une réalité, ainsi qu’il ressort, notamment, des propos tenus lors de la conférence du 17 janvier 1967, par MM. [A], directeur conseil du Centre d’étude du commerce, et [D], gérant administratif de la société France Farine (Annexe 147, cote 21030). Par ailleurs, il résulte des déclarations de ces intervenants que la création de la société France Farine visait bien, outre l’intérêt que pouvaient en retirer les sociétés actionnaires, à proposer une offre unique, d’ampleur nationale et à un prix unique, aux centrales d’achat des opérateurs de la grande distribution, quand bien même celle-ci n’était alors pas encore ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
348.Cependant, cette offre et le gain d’efficacité qui en résulte procèdent seulement du regroupement en lui-même, et le progrès économique que ce gain représente ne peut compenser les désavantages pour la concurrence consistant dans la fixation des prix en commun et les répartitions de marché entre entreprises, faute que soit démontré qu’il aurait créé un surcroît de valeur en permettant de faire baisser les prix de la farine, comme le prétendent les requérantes.
349.À ce sujet, la cour relève que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, l’Autorité a retenu, non pas que la constitution et le fonctionnement des sociétés France Farine et Bach Mühle ont fait obstacle à une réduction de prix de détail de la farine en sachets, mais seulement que les requérantes ne démontraient pas qu’il aurait résulté de l’existence de ces sociétés communes, ainsi que de leur fonctionnement, une réduction des prix.
350.C’est par ailleurs à juste titre que l’Autorité a retenu qu’il n’était pas démontré de lien entre les pratiques en cause et une réduction des prix. En effet, aucun élément du dossier ne permet de constater que la réduction des coûts de transport aurait permis une réduction des prix de la farine en sachets, ou aurait permis tout autre avantage au profit des distributeurs, et donc des consommateurs, et ce à quelque moment que ce soit dans la période de mise en ‘uvre des pratiques. À cet égard, il convient de relever que le seul constat d’une absence de corrélation entre l’évolution du prix de la farine en sachets MDD, ou premier prix, par rapport à celle du cours du blé, apparue en 2012, après la dissolution de la société France Farine, est insuffisante pour démontrer que les sociétés communes, en permettant la réduction des coûts de transport, auraient conduit à une réduction des prix de la farine en sachets. Le graphique présenté dans l’étude du 12 décembre 2017, qui fait apparaître une forte chute des prix de la farine en sachets MDD, ou premier prix, entre 2008 et 2010, puis une relative stabilité de ces derniers entre 2011 et 2016, ainsi que de fortes variations annuelles du cours du blé jusqu’en 2011, lequel décroît ensuite jusqu’en 2016, ne permet pas d’établir une relation de causalité entre la dissolution de la société France Farine et la fin de la prétendue corrélation entre les évolutions du prix de la farine et du cours du blé, qui, au demeurant, dépend de multiples phénomènes.
351.Par ailleurs, la comparaison effectuée par les sociétés Axiane et Minoteries Cantin entre l’évolution du prix du sachet d’un kilo de farine de marque « Francine » et celle des prix à la consommation entre les années 2000 à 2010 est inopérante. En effet, l’étude de l’association UFC-Que choisir invoquée par elles montre seulement que les prix de la farine Francine ont augmenté dans une moindre mesure que les prix à la consommation, mais ne permet pas d’établir un lien de causalité entre l’existence des structures communes et ce constat.
352.Il convient encore à ce sujet de relever qu’en retenant que les requérantes ne démontraient pas que leur regroupement aurait permis de réduire les prix de la farine en sachets, l’Autorité n’a pas, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, inversé la charge de la preuve. Ainsi qu’il a été précédemment rappelé au paragraphe 321 et sera précisé au paragraphe 371 du présent arrêt, il incombe aux parties qui invoquent le bénéfice de l’exemption d’établir qu’elles en remplissent toutes les conditions. L’Autorité a donc à juste titre considéré qu’il appartenait aux meuniers en cause de démontrer la réalité de leur affirmation selon laquelle les structures communes avaient permis une réduction des prix au bénéfice du consommateur.
353.En outre, la possibilité, invoquée par les sociétés Grands Moulins de Strasbourg et Grands Moulins de Paris, d’accéder au marché du « hard discount » grâce à leur participation au capital de la société Bach Mühle ne constitue un avantage que pour
elles-mêmes et non un avantage objectif pour le marché. La société Grands Moulins de Paris n’est pas fondée à ce sujet à invoquer un arrêt rendu par cette cour le 18 février 2003 (RG n° 2002/13076) sur le recours contre la décision du Conseil de la concurrence n° 02-D-43 relative à des pratiques relevées lors de marchés de travaux sur réseaux de distribution d’eau passés par le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau de la région de Dunkerque (SIAERD). En effet, l’affaire en cause portait sur des pratiques qualifiées d’ententes anticoncurrentielles par le Conseil de la concurrence dans le cadre de groupements d’entreprises pour répondre à des appels d’offres ; si, dans cette affaire, la cour d’appel a considéré que les groupements ne constituaient pas des indices d’ententes de répartition de marché, cette appréciation, liée aux particularités de l’espèce, ne saurait constituer un principe de validation de toutes les pratiques de regroupements telle que celle reprochée aux requérantes.
354.Par ailleurs, la volatilité de la demande tant en ce qui concerne la grande distribution que le secteur du « hard discount » doit être relativisée. En effet, il ressort de l’audition par les rapporteurs de M. A., ancien salarié de la société France Farine (annexe 116, cote 6437), que « [l]es contrats sont négociés une fois par an avec la grande distribution, même si dans les faits les discussions sont permanentes », ce qui démontre que le niveau d’activité d’une année sur l’autre pouvait être anticipé.
355.S’agissant du partage du risque industriel au sein de la société Bach Mühle, invoqué par les sociétés Grands Moulins de Strasbourg et Grands Moulins de Paris, la cour relève que si ce bénéfice est incontestable, il s’en déduit seulement qu’un groupement était nécessaire pour permettre aux parties de partager le risque industriel résultant de la procédure par appels d’offres sur un marché où il existait peu de clients, mais il n’en demeure pas moins qu’ainsi qu’il a été précédemment retenu au paragraphe 258 et suivants du présent arrêt, d’autres modes de regroupement auraient permis aux entreprises en cause de présenter des offres de dimension nationale mais aussi de se prémunir contre les risques industriels qu’elles invoquent, dans des conditions moins nocives pour le jeu de la concurrence, ce qui fait obstacle à l’octroi du bénéfice de l’exemption à ce titre.
b. Sur le gain d’efficience résultant des gains logistiques
356.Par le motif reproduit au paragraphe 239 du présent arrêt, l’Autorité a rejeté le moyen des parties soutenant que la société France Farine avait permis de réaliser des gains logistiques dont il était résulté une réduction des coûts de transport et par là même des prix de la farine en sachets.
357.L’ensemble des requérantes conteste le bien-fondé de ce motif.
358.Ainsi que le soutient la société Grands Moulins de Strasbourg, l’analyse de l’Autorité, qui repose sur l’idée qu’en l’absence de société commune, les opérateurs de la grande distribution auraient commandé de petites quantités aux meuniers les plus proches des plates-formes à livrer, méconnaît la réalité du marché, puisqu’il n’est pas contesté que ces opérateurs lançaient des appels d’offres d’ampleur au moins nationale visant à l’approvisionnement de nombreuses plates-formes situées en de multiples points du territoire. Dans de telles conditions, le « jeu naturel » aurait dû être analysé au regard de ce qu’aurait pu être, en l’absence des sociétés communes France Farine et Bach Mühle, une offre de dimension nationale pour répondre aux demandes de la grande distribution et du « hard discount », et non au regard de l’offre du meunier dont le site d’ensachage était le plus proche. Le motif ainsi retenu par la décision attaquée n’est pas fondé.
359.Cependant, ce constat ne modifie pas la conclusion de l’Autorité selon laquelle les sociétés communes France Farine et Bach Mühle n’ont pas permis de réaliser des gains logistiques susceptibles de constituer des gains d’efficience ouvrant le bénéfice d’une exemption.
360.En effet, comme le précise la Commission au point 247 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, « les gains d’efficience ne doivent pas être des économies résultant uniquement de l’élimination de coûts inhérents à la concurrence, mais doivent être consécutifs à l’intégration d’activités économiques. C’est ainsi qu’une réduction des coûts de transport résultant uniquement d’une répartition des clients, mais sans intégration du système logistique, ne peut pas être considérée comme un gain d’efficacité au sens de l’article 101, paragraphe 3 ». Or, s’il peut être admis que la clé de répartition des commandes décidée au sein de la société France Farine, qui consistait à attribuer les livraisons aux meuniers dont les sites d’ensachage étaient les plus proches des plates-formes de livraison, permettait, dans beaucoup de cas, de réduire les coûts de transport, un tel gain ne résulte que de la répartition des marchés, sans que les parties aient recherché à intégrer ou organiser un système logistique permettant de réduire les atteintes à la concurrence résultant de leur organisation.
361.Il est sans portée sur ce point que l’étude du 12 décembre 2017 ait pu mettre en évidence que, depuis la dissolution de la société France Farine, les distances de transports ont augmenté de même que les coûts de livraison. En effet, ces circonstances de fait résultent de ce que les actionnaires et partenaires de cette société ont dû s’adapter à la remise en cause d’une situation qu’ils avaient eux mêmes créée et qui avait empêché la mise en place d’un mode d’organisation alternatif qui leur aurait permis de résoudre de façon moins attentatoire au jeu de la concurrence la difficulté liée au coût des transports et à son impact sur la rentabilité de leur activité. Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne sont pas non plus fondées à se prévaloir de l’évaluation des augmentations des coûts de transport, présentée par la société Grands Moulins de Strasbourg, laquelle comporte, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 214 du présent arrêt, des biais tels que cette évaluation n’est pas probante. L’exemple donné par ces requérantes, au paragraphe 400 de leurs conclusions, du groupe Meunier Celbert, qui avait confié à la société France Farine la commercialisation de sa farine de blé noir de marque Treblec, montre que l’éloignement du site d’ensachage des plates-formes de livraison peut être surmonté de façon satisfaisante autrement que par une répartition géographique des commandes.
362.Par ailleurs, la cour relève que la fermeture et le redéploiement de quatre usines d’ensachage vers d’autres sites, à l’occasion de leur rachat par la société Euromill, invoqués par la société Grands Moulins de Strasbourg, ne sont en rien démontrés et seraient en tout état de cause, insuffisants, en raison de leur caractère limité et ponctuel, pour témoigner d’une véritable action de rationalisation menée par la société France Farine dans l’objectif de permettre des gains logistiques.
363.De plus, la cour rappelle qu’elle a, aux paragraphes 228 et suivants du présent arrêt, relevé que les investissements dans de nouvelles structures d’ensachage n’étaient ni impossibles ni dépourvus d’intérêt économique pour les entreprises en cause, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin. C’est donc à juste titre que l’Autorité a considéré que la seule réduction des coûts de transports ne constituait pas, faute de mise en ‘uvre d’autres moyens de rationalisation logistique possibles, un gain d’efficience permettant de bénéficier de l’exemption.
364.Au surplus, ainsi qu’il a été précisé précédemment, il existait des espaces dans lesquels les zones d’intervention des meuniers se chevauchaient et se recoupaient et, dans ces situations, l’automatisme de la clé de répartition n’était pas nécessairement la solution la plus efficiente et la plus proconcurrentielle, d’autant qu’ainsi qu’il vient d’être rappelé, la demande n’était pas de taille locale ou régionale, mais nationale, nécessitant la fourniture de multiples plates-formes sur l’ensemble du territoire.
365.Enfin, comme il vient d’être relevé pour la constitution d’une offre de dimension nationale, d’autres modes de regroupements auraient pu permettre aux entreprises en cause de répondre à la demande de la grande distribution et de réaliser une réduction tant des coûts de transport que des coûts administratifs, invoquée par la société Grands Moulins de Paris, sans porter atteinte de façon aussi nocive au jeu de la concurrence, ce qui fait obstacle à l’octroi du bénéfice de l’exemption à ce titre.
c. Sur le progrès économique résultant de la création et du développement de la marque « Francine »
366.Aux paragraphes 667 à 670 de la décision attaquée, l’Autorité a exposé que les entreprises n’apportaient aucun élément chiffré justifiant des investissements de recherche et de développement qu’elles soutenaient avoir réalisés, qu’elles ne démontraient pas l’importance des investissements réalisés pour développer la marque « Francine » et qu’elles ne présentaient aucun élément montrant que les innovations comme la farine fluide, ainsi que les produits « Francine gâteaux » ou « Francine suprême », constituaient des investissements risqués ou coûteux. Elle en a conclu que le niveau d’innovation représenté par les produits de marque « Francine » était limité et n’apparaissait nullement supérieur à celui constaté dans d’autres pays où plusieurs marques nationales coexistent (décision attaquée § 670).
367.L’Autorité a ensuite indiqué que le seul élément résultant directement de l’accord entre les entreprises qui puisse être pris en compte au titre des gains d’efficacité invoqués à l’appui de la demande d’exemption, est le développement d’une marque nationale, telle que la marque « Francine », dans la mesure où cette dernière transmet une information aux consommateurs en garantissant un niveau de qualité uniforme du produit (décision attaquée, § 671). Elle a donc examiné, au regard de ce seul élément, si les restrictions de concurrence mises en place dans le même temps étaient indispensables pour atteindre ce gain d’efficacité, et le cas échéant si elles étaient compensées par lui. À ce sujet, elle a rappelé que « [d]ans les cas d’accords de commercialisation qui concernent des fixations de prix ou des répartitions de marchés, ces types de restrictions ne peuvent être considérés comme indispensables que dans des cas exceptionnels (point 249 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale) » (décision attaquée § 674, soulignée par la cour). Elle a ensuite retenu que les entreprises ne rapportaient pas la preuve d’un lien de nécessité spécifique entre la fixation d’un prix unique et la répartition des marchés et des clients, d’une part, et le développement de la marque « Francine », d’autre part, le caractère indispensable des restrictions de concurrence n’était pas établi (décision attaquée, § 676). Enfin, l’Autorité a précisé qu’en tout état de cause, les restrictions de concurrence engendrées par la société France Farine, qui l’apparentent à une entente généralisée sur les prix et les clients, étaient telles qu’elles ne pouvaient pas être compensées par le développement d’une marque nationale unique (décision attaquée, § 678).
‘ Sur la charge de la preuve
368.La société Grands Moulins de Paris soutient que l’Autorité, qui a admis l’existence d’un progrès économique résultant du développement de la marque « Francine », n’a, dans la suite de son analyse, pas respecté les obligations qui lui incombaient concernant la charge de la preuve.
369.Elle rappelle que, dans un arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, ci-après l’ « arrêt GSK »), la Cour de justice a précisé que, si la charge de la preuve incombe à l’entreprise qui demande à bénéficier de l’exemption au titre de l’article 101 paragraphe 3 du TFUE, il convient toutefois d’admettre que « les éléments factuels invoqués par ladite entreprises peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite » (point 83). Elle estime qu’en application de ce principe et alors qu’elle avait soumis des éléments concrets à l’Autorité, notamment des études économiques, celle-ci aurait dû démontrer pourquoi, en dépit du progrès lié à la création de la marque « Francine », dont elle admet l’existence, la fixation d’un prix unique et une répartition de volume n’étaient pas exemptables.
370.L’Autorité réplique que la charge de la preuve repose sur l’entreprise qui demande à bénéficier de l’exemption et qu’en conséquence, il appartenait aux requérantes de démontrer non seulement la réalité et l’importance des gains allégués, mais également le caractère nécessaire et proportionné des restrictions de concurrence poursuivies au regard de ces avantages, preuve qu’elles n’ont pas rapportée devant elle et qu’elles ne rapportent pas davantage devant la cour d’appel.
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371.Les articles 101, paragraphe 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce instaurent des exemptions à l’application des articles 101, paragraphe 1, du TFUE, pour le premier, et L. 420-1 du code de commerce, pour le second, lesquels prohibent les pratiques de concertation et d’entente anticoncurrentielles. Il incombe en conséquence aux entreprises qui invoquent ces dispositions exonératoires de rapporter la preuve qu’elles remplissent les conditions permettant leur application.
372.Parmi ces conditions, qui sont cumulatives, figurent, en premier lieu, celle selon laquelle les pratiques ont permis la réalisation de gains d’efficience ou d’un progrès économique et, en second lieu, celle selon laquelle les pratiques en cause étaient indispensables pour atteindre ces gains d’efficience ou ce progrès économique. Il revenait donc aux entreprises qui invoquaient devant l’Autorité le bénéfice de l’exemption de démontrer que les pratiques nouées autour des sociétés France Farine et Bach Mühle ont permis la réalisation d’un progrès économique et qu’elles étaient indispensables pour atteindre ce progrès économique.
373.La Cour de justice, dans l’arrêt GSK, précité, invoqué par la société Grands Moulins de Paris, n’est pas revenue sur le principe qui vient d’être rappelé, selon lequel la charge de la preuve repose sur les parties qui invoquent l’exemption, principe qu’elle rappelle à deux reprises aux points 82 et 83 de son arrêt. Elle se limite à préciser, au point 103, que, lorsqu’une partie sanctionnée invoque, à l’appui de sa demande d’exemption, des arguments de fait et des éléments de preuve et que ceux-ci sont décisifs pour le résultat de l’examen des conditions d’octroi, l’autorité de concurrence doit prendre en compte ces arguments et éléments de preuve. Dans cette espèce, en vertu de ces principes, la Cour de justice a considéré que le Tribunal de l’Union avait à juste titre jugé qu’en omettant de prendre en compte certains éléments invoqués par la société GSK, dont, notamment, les spécificités du secteur en cause, la Commission n’avait pas suffisamment examiné la demande d’exemption.
374.Cependant, sans qu’il y ait lieu, au regard de la charge de la preuve, de se prononcer sur le bien-fondé des analyses de l’Autorité, la cour relève que celle-ci a exposé les motifs pour lesquels elle considérait que les requérantes ne démontraient pas que leur regroupement visant à répondre à la demande de la grande et moyenne distribution avait, notamment, permis de réduire les prix de la farine en sachets et pouvait constituer un gain d’efficacité (décision attaquée, § 661 et 662), ou avait permis une optimisation de la logistique et des coûts de transport (décision attaquée, § 663 à 665). De même, s’agissant des gains prétendus relatifs à l’innovation ainsi qu’à la recherche et au développement, l’Autorité a constaté que les entreprises n’avaient apporté aucun élément chiffré en rapport avec les coûts liés à ces investissements, y compris dans l’étude économique du 12 avril 2012 qu’elles avaient fournie (décision attaquée, § 667 et s.). La société Grands Moulins de Paris, qui se borne à mentionner les études économiques et éléments qu’elle avait produits, ne précise pas quels étaient les éléments décisifs qu’elle avait présentés et pour lesquels l’Autorité n’aurait pas suffisamment exposé les motifs pour lesquels elle les jugeait insuffisants. Il s’ensuit que le moyen tiré de l’inversion de la charge de la preuve doit être rejeté.
‘ Sur l’existence de gains d’efficience liés à la marque « Francine »
375.La société Grands Moulins de Strasbourg fait valoir que la contrainte du contingentement de capacité de production conjuguée à la nécessité impérieuse de rentabiliser le coût élevé de l’équipement industriel limite fortement l’incitation à innover dans le secteur de la farine et que, dans ce contexte, le regroupement des meuniers au sein de la société France Farine a permis de retrouver une incitation à investir dans de nouveaux produits en permettant de mutualiser le risque de mobiliser une partie des outils de production pour un produit que les distributeurs n’accepteraient pas de référencer. Elle ajoute à ce sujet que l’émergence de la marque « Francine », marque nationale forte qui demeure aujourd’hui une référence en termes de qualité, a contribué à donner une visibilité à la farine en sachets, qui est pourtant un produit pour lequel la différenciation qualitative est difficile.
376.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent qu’aucun meunier n’avait individuellement la capacité d’investir les sommes nécessaires au lancement et au maintien d’une gamme nationale qui n’a été permise que par la mise en commun des coûts de marketing.
377.Elles ajoutent que l’Autorité a minimisé l’ampleur des investissements, alors que l’étude du 12 avril 2012 énonce que les efforts consacrés à la diffusion des innovations constituent un facteur déterminant de leur succès et de leur appropriation par les consommateurs.
378.Elles indiquent qu’au surplus, la commercialisation de produits innovants sous la marque « Francine » a nécessité, outre des investissements marketing, un financement conséquent en matière de recherche et développement qui s’est traduit par la création d’un laboratoire de recherche en 1969, puis la création d’une filiale, la société Sofria, pleinement dédiée à cette activité de recherche et développement.
379.L’Autorité rappelle qu’elle a admis, au paragraphe 671 de la décision attaquée, que la création et le développement de la marque « Francine » constituaient un progrès économique. Mais elle oppose que les parties ne produisent que des données relatives à des dépenses globales de marketing, sans qu’il soit possible d’identifier avec précision les sommes effectivement allouées au développement des innovations spécifiques, telles que la farine fluide ou la farine à pain mentionnées par les requérantes, et de les distinguer des dépenses effectuées pour la promotion d’autres produits ou de la marque « Francine » en général. Selon elle, il est de ce fait impossible de distinguer les investissements réalisés pour le développement de la marque nationale, d’une part, et pour l’introduction de ces innovations, d’autre part.
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380.Il n’est pas contesté que les entreprises de meunerie en cause n’avaient pas la possibilité de réaliser individuellement les investissements permettant la création et le développement de la marque « Francine », qui seuls ont été considérés par l’Autorité comme constituant un progrès économique. Toutefois, les requérantes n’apportent pas d’élément qui permettrait à la cour de constater que l’entente sur les prix, ainsi que les partages de marché qu’elles ont mis en place au travers de la société France Farine, qui a créé et développé la marque « Francine », étaient indispensables, voire seulement nécessaires, pour atteindre ce progrès économique. Il en va de même de l’incitation des entreprises actionnaires de la société France Farine à investir dans la recherche et le développement et à courir le risque de réaliser ces investissements.
381.En effet, les requérantes n’apportent aucun élément qui permettrait à la cour de constater que la mise en place et le développement de la marque « Francine » ne pouvaient être réalisés par un groupement, voire une société commune, au sein desquels elles n’auraient pas fixé de prix en commun et ne se seraient pas réparties le marché et les clients comme elles l’ont fait. Sur ce point, le développement de la société Sofria, dédiée à l’activité de recherche et développement, qui exploite un laboratoire de recherche et n’a participé ni à la création, ni au lancement, ni au développement de la marque, n’établit pas davantage le caractère indispensable des pratiques pour atteindre le progrès économique invoqué. C’est donc à juste titre que, quelle que soit l’importance des investissements réalisés, l’Autorité a constaté que les conditions d’octroi de l’exemption n’étaient pas réunies à cet égard.
d. Sur les autres progrès économiques invoqués par les requérantes
382.La société Grands Moulins de Paris expose que le progrès économique résultant de la création de la société France Farine ne se limite pas au développement d’une marque de qualité, seul reconnu par la décision attaquée.
383.Elle fait valoir, avec les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, que le premier progrès économique résultant de la création de la société France Farine et légitimant celle-ci résulte de la mise au point de la farine fluide sans grumeau, innovation apparue en 1971.
384.La société Grands Moulins de Paris expose que ce type de farine n’aurait pu voir le jour sans le regroupement des meuniers actionnaires de la société France Farine, puisque la fabrication de cette farine résulte de l’extraction d’une quantité dix fois plus importante de farine. Elle précise ainsi qu’il faut 50 000 tonnes de farine pour réaliser les 5 000 tonnes de farine fluide livrées au seul mois de février, mois de la chandeleur, et qu’aucun meunier actionnaire de la société France Farine n’avait une telle capacité.
385.Elle ajoute, avec les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, en s’appuyant sur une interview du représentant de la société France Farine publiée dans le magazine professionnel de la distribution et de la consommation LSA, qu’outre la création d’une offre commune à la grande distribution, la société France Farine a permis aux meuniers actionnaires d’améliorer la qualité et les contrôles de la farine ainsi que de développer l’innovation.
386.La société Grands Moulins de Paris renvoie à l’étude du 12 avril 2012, selon laquelle l’Autorité a minimisé les gains d’efficacité en ce qu’elle a omis d’intégrer dans son analyse les actions en faveur de la diffusion et de l’innovation.
387.Selon cette étude, le refus de l’Autorité de prendre en compte les innovations comme la farine fluide, les farines à pain et les mixes, revient à ignorer les efforts consacrés à la diffusion de cette innovation, laquelle constitue un facteur déterminant de leur succès et de la « pleine appropriation de leurs bénéfices par les consommateurs ». L’expert, auteur de ladite étude, ajoute que « Les investissements dans la marque sont effectivement coûteux, ce qui répond à l’objection soulevée au paragraphe 668 de la décision sur le manque d’éléments chiffrés concernant l’activité innovante. Il convient par ailleurs de rajouter à ces coûts ceux associés aux ressources consacrées par les parties à l’activité d’innovation à proprement parler ». Enfin, il indique que l’Autorité n’a pas pris en compte les charges afférentes aux risques de « passager clandestin ».
388.La société Grands Moulins de Paris ainsi que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, précisent aussi qu’elles ont communiqué des informations sur des innovations risquées qui n’ont pour certaines pas connu de succès commercial, ce qui a causé un préjudice financier à la société France Farine, comme par exemple le pain précuit (point 3.37 de l’étude du 21 mars 2011 communiquée par la société Grands Moulins de Paris en réponse au rapport des services d’instruction).
389.Elle rappelle aussi que l’Autorité n’a pas pris en compte les déclarations des responsables des centrales de référencement de la grande distribution selon lesquels « France Farine [a joué] son rôle de leader en investissant beaucoup sur la marque, en recherche et développement avec la mise sur le marché de nouveaux produits (farine fluide sans grumeaux, farine à pain) » (Annexe 124, cote 10432).
390.Selon la société Grands Moulins de Strasbourg, la mise en commun des efforts de recherche et développement des actionnaires de la société France Farine, notamment via la création en 1978 de la filiale Sofria, dédiée à la recherche et au développement, a permis à la société France Farine d’être le moteur de l’innovation sur le marché de la farine, contribuant directement à la diversification de la gamme de farines traditionnelles proposée au consommateur. Elle ajoute que la diversification de la gamme a bénéficié aux fournisseurs concurrents de la société France Farine, dont les investissements ont servi de test aux fins d’apprécier l’opportunité de proposer de nouveaux produits aux consommateurs.
391.Elle conteste l’affirmation de l’Autorité selon laquelle les requérantes n’auraient pas quantifié l’importance des investissements liés à la diversification de produits et fait valoir à ce titre que les cotisations, d’un niveau élevé, versées par les actionnaires de la société France Farine pour la commercialisation, la promotion, le marketing et la recherche et développement, représentent environ la moitié du coût de revient de chaque moulin. Les cotisations ainsi versées ont permis à la société France Farine de développer une animation commerciale et marketing à un coût raisonnable pour chacun des actionnaires, en effectuant, par exemple, des campagnes de communication d’envergure nationale ou encore de vastes opérations promotionnelles.
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392.Comme il a déjà été relevé s’agissant de la création et du développement de la marque « Francine », il n’est pas contestable ni contesté que le groupement des entreprises de meunerie au sein de la société France Farine a permis des innovations importantes telles la farine sans grumeaux ou la commercialisation auprès des consommateurs de la farine à pain, celles-ci étant de nature à constituer un progrès économique. Toutefois, il n’est pas davantage démontré que ces avancées n’auraient pas pu être atteintes au moyen de groupements n’aboutissant pas à une entente sur les prix ou à un partage de marché. Il en va de même de l’amélioration de la qualité et du renforcement des contrôles invoqués par les sociétés Axiane et Minoteries Cantin.
393.Au surplus, il convient de relever que, quand bien même serait-il possible de considérer que, comme l’indiquent l’ensemble des requérantes, un prix unique pour un produit d’une même marque est un signe de cohérence et donc de reconnaissance pour le consommateur, ce qui justifierait alors que les meuniers fournisseurs de farine en sachets de la marque « Francine » s’accordent sur le prix de vente, un tel argument ne pourrait justifier cette pratique, puisque les prix des meuniers s’adressent ici aux centrales d’achat et non directement au consommateur et que rien ne permet de constater que la société France Farine aurait, dans ses négociations ou dans ses offres, proposé le même prix à toutes les centrales d’achat.
394.Il se déduit de l’ensemble de ce qui précède que les moyens des sociétés requérantes sont rejetés et que c’est à juste titre que l’Autorité a considéré qu’elles ne pouvaient bénéficier d’une exemption.
E. Sur l’imputabilité des pratiques
1. Sur l’imputabilité à la société Grands Moulins de Strasbourg
395.La société Grands Moulins de Strasbourg soutient qu’elle a, à partir du 1er juillet 2000, cédé en location-gérance l’exploitation du fonds de commerce de son activité de minoterie à la société GMS Meunerie et qu’elle ne peut se voir déclarée responsable des pratiques au-delà de cette date.
396.L’Autorité observe que, par ce moyen, la société Grands Moulins de Strasbourg conteste la durée de sa participation à la société France Farine et que sa demande doit être rejetée dès lors qu’il a été établi qu’à travers sa société mère, la société Sofracal, elle a participé à la gestion de la société France Farine pendant toute la durée des pratiques.
397.En réplique la société Grands Moulins de Strasbourg observe que, dès lors qu’elle a cédé son fonds en location-gérance, elle n’était plus active sur le marché de la farine en sachets et que les griefs auraient dû être notifiés à la société GMS Meunerie, ce qui n’a pas été le cas.
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398.Cependant, ainsi qu’il a été précisé au paragraphe 132 du présent arrêt, les éléments du dossiers ont permis de constater que la société Grands Moulins de Strasbourg était administrateur de la société France Farine tout au moins jusqu’en 2007. Elle ne saurait en conséquence invoquer à ce stade la location-gérance de son fonds de commerce de meunerie pour soutenir qu’elle ne pourrait être tenue pour responsable des pratiques au-delà du 1er juillet 2000.
399.Par ailleurs, il convient de rappeler que tant en droit de l’Union qu’en droit national, le comportement d’une filiale peut être imputé à sa société mère, notamment, lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Ces solutions jurisprudentielles sont fondées sur le fait qu’en l’absence d’autonomie de la société filiale par rapport à la société mère, ces deux sociétés font partie d’une même unité économique et forment de ce fait une seule entreprise au sens du droit de la concurrence (CJUE, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08 P, points 58 et 59, et Cass. Com. 27 mars 2019, pourvoi n° 16-26.515 et a.).De plus, dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (Cass. Com. 27 mars 2019, pourvoi n°16-26.515 et a.).
400.Dans ce cas de figure, les autorités de concurrence sont en mesure de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (CJUE, arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 60 et 61, et Cass. Com. 27 mars 2019, pourvoi n° 16-26.515 et a.).
401.Il résulte de l’organigramme du groupe Grands Moulins de Strasbourg produit par la société Grands Moulins de Strasbourg (pièce n° 1) qu’elle est société mère à 100 % de la société GMS Meunerie. Or la société Grands Moulins de Strasbourg ne conteste pas cette influence déterminante ni n’apporte d’éléments de nature à inverser la présomption de responsabilité qui s’en déduit. Il y a lieu en conséquence de retenir que ces deux sociétés formaient, pendant tout le temps où la première a donné en location-gérance son fonds de commerce de minoterie à la seconde, une même unité économique et que la société Grands Moulins de Strasbourg est donc responsable des pratiques en cause.
402.Il suit de là que le moyen doit être rejeté.
2. Sur l’imputabilité à la société Nutrixo
403.La société Nutrixo, qui a été sanctionnée solidairement avec les sociétés Grands Moulins de Paris et Euromill Nord en qualité de société mère détenant indirectement la totalité de leur capital depuis le 7 septembre 2001 (décision attaquée, § 761 à 763), conteste la décision de l’Autorité de lui imputer les pratiques de ces deux filiales.
404.Elle fait valoir que la présomption d’imputabilité à la société mère de toute infraction commise par une filiale dont elle détient la totalité ou la quasi-totalité du capital fait l’objet de vives critiques. Elle cite à ce sujet un extrait d’une résolution du Parlement européen du 10 mars 2015, dans lequel il est demandé à la Commission de fixer les conditions dans lesquelles de telles sociétés peuvent être sanctionnées lorsqu’elles n’ont pas participé directement aux pratiques poursuivies.
405.Par ailleurs, la société Nutrixo soutient que les infractions sanctionnées par l’Autorité au titre des griefs nos 2 et 3 concernent le fonctionnement des sociétés France Farine et Bach Mühle, dont elle-même n’était pas actionnaire et sur lesquelles elle n’avait aucun contrôle. Elle en déduit que ces infractions ne lui sont pas imputables.
406.Cette requérante conteste, enfin, l’affirmation de l’Autorité, au paragraphe 763 de la décision attaquée, selon laquelle elle n’aurait pas rapporté la preuve de l’autonomie de ses filiales. Elle estime que l’Autorité n’ayant invoqué aucun élément de nature à infirmer les indications données par le président de la société Euromill Nord devant les services d’instruction, elle ne pouvait pas écarter ces indications sans même y répondre.
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407.La société Nutrixo invoque, pour preuve de l’autonomie de ses filiales, les termes d’une lettre adressée le 15 juin 2010 aux services d’instruction en réponse à la notification de griefs, par lesquels elle a rappelé que le président de la société Euromill Nord avait indiqué à ces services que « Nutrixo regroupe des PME mais chacun est responsable de son compte d’exploitation. Chaque moulin fait ce qu’il veut indépendamment des autres moulins du groupe ». Elle ajoute que, lors de cette audition, ce responsable a aussi déclaré que la société Euromill Nord ne recevait « aucun document de Nutrixo concernant la stratégie de marché » et qu’il était le « seul responsable de [s]es prix ». Cependant, ces seules affirmations, dénuées de toute offre de preuve, sont insuffisantes à établir l’autonomie de la société Euromill Nord à l’égard de sa société mère détenant indirectement l’intégralité de son capital. La cour relève qu’en outre, ces affirmations ne concernent que la société Euromill Nord et non la société Grands Moulins de Paris, autre filiale à 100 % avec laquelle la société Nutrixo a été sanctionnée solidairement.
408.C’est donc à juste titre que l’Autorité, par une motivation pertinente que la cour adopte, a, en application des principes jurisprudentiels rappelés au paragraphe 399 ci-dessus et compte tenu de ce que la société Nutrixo était devenue la société mère des sociétés Grands Moulins de Paris et Euromill Nord, à compter du 7 septembre 2001, dit qu’elle devait être sanctionnée solidairement à supporter la proportion du montant des sanctions infligées à ces deux filiales représentant cette durée.
409.Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, les principes selon lesquels les sociétés mères détenant la totalité du capital de leurs filiales auteures de pratiques anticoncurrentielles peuvent être sanctionnées sont fixés par la jurisprudence et il est sans portée à ce sujet que le Parlement européen ait pu, en 2015, inviter les juridictions de l’Union à fixer des principes, qui l’étaient déjà. Par ailleurs, il importe peu que la société Nutrixo n’ait pas été directement actionnaire des sociétés France Farine et Bach Mühle, dès lors que ses filiales, dont elle détenait l’intégralité du capital, ont elles-mêmes pris part aux pratiques sanctionnées.
410.Il s’ensuit que les moyens par lesquels la société Nutrixo conteste l’imputabilité des pratiques reprochées aux sociétés Grands Moulins de Paris et Euromill nord sont rejetés.
III. SUR LES SANCTIONS
411.L’Autorité a précisé, au paragraphe 766 de la décision attaquée, que les pratiques s’étant déroulées pour partie antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la « loi NRE »), et poursuivies de manière continue après la date d’entrée en vigueur de cette loi, le 18 mai 2001, et la saisine d’office étant intervenue postérieurement à cette même date, il convenait d’appliquer les dispositions du livre IV du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi NRE.
412.L’article L. 464-2 I troisième alinéa du code de commerce, tel qu’issu de cette rédaction, dispose :
« Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. »
413.Afin de mettre en ‘uvre les critères légaux énoncés ci-dessus, l’Autorité a appliqué les modalités exposées dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le « communiqué sanctions »), par lequel elle explique la démarche qu’elle entend suivre en pratique lorsqu’elle détermine les sanctions pécuniaires qu’elle impose au cas par cas en vertu des dispositions précitées du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, et synthétise les principaux aspects de sa pratique décisionnelle en matière de sanctions pécuniaires.
414.Elle a enfin précisé qu’elle infligerait une sanction commune aux entreprises ayant participé aux pratiques nouées autour des structures communes et ayant fait l’objet des griefs nos 2 et 3, en raison de ce que ces pratiques poursuivaient le même objectif général, étaient d’une nature identique et ont été mises en ‘uvre par les mêmes participants, les entreprises communes remplissant une fonction complémentaire pour la grande et moyenne distribution et pour le « hard discount ». En revanche, elle a décidé d’appliquer une sanction distincte pour les pratiques ayant fait l’objet du grief n° 1, dont l’objectif général était différent de celui des deux autres griefs, qui n’étaient pas de même nature et ne mettaient pas en cause les mêmes participants.
415.La cour examinera ci-dessous les moyens des requérantes relatifs à chacune de ces sanctions.
A. Sur les sanctions prononcées au titre du grief n° 1
416.Au titre du grief n° 1, l’Autorité a, notamment, infligé les sanctions pécuniaires de 11 834 000 euros à la société Grands Moulins de Paris et de 17 110 000 euros à la société VK-Mühlen, devenue la société GoodMills Deutschland.
417.Ainsi qu’il a été précisé aux paragraphes 101 et 109 du présent arrêt, ces sanctions doivent être réformées à raison de la diminution de la durée de la participation des sociétés Grands Moulins de Paris et VK-Mühlen, devenue GoodMills Deutschland, à l’infraction visée par le grief n° 1.
1. Sur la sanction infligée à la société Grands Moulins de Paris
a. Sur la double prise en compte des ventes de la société Grands Moulins de Paris et de la société France Farine pour le calcul du plafond légal, invoquée par la société Grands Moulins de Paris
418.La société Grands Moulins de Paris expose que, lors de la détermination du plafond légal, l’Autorité a intégré dans le calcul de l’amende infligée à la société France Farine des ventes effectuées par cette dernière en tant que commissionnaire pour le compte de ses actionnaires, notamment la société Grands Moulins de Paris. Elle soutient qu’il résulte de ce procédé que les mêmes ventes des actionnaires ont été doublement prises en compte dans le cadre du grief n° 1. Elle fait valoir que ni le Conseil constitutionnel ni aucune décision n’ont jamais admis qu’un même chiffre d’affaires soit pris deux fois en compte pour le calcul des amendes.
419.Ce moyen est dépourvu de fondement.
420.En effet, le plafond légal, prévu par l’article L. 464-2 du code de commerce, constitue la limite supérieure de la sanction que peut prononcer l’Autorité à l’encontre d’une entreprise. Il n’a donc pas pour fonction de déterminer l’importance des entreprises sur le marché pertinent ni ne sert à calculer le montant de la sanction, mais vise seulement de garantir à celles-ci que l’amende qui sera prononcée contre elles ne dépassera pas ce maximum. Il importe donc peu que le chiffre d’affaires au regard duquel l’Autorité a vérifié le respect du plafond légal, s’agissant de la sanction infligée à la société Grands Moulins de Paris au titre du grief n° 1, ait pu comprendre des ventes pour lesquelles celle-ci avait versé des commissions à la société France Farine, commissions incluses dans le chiffre d’affaires de cette dernière société.
421.Contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Paris, ce n’est pas la prise en compte de ces ventes dans le plafond légal de l’amende qui lui a été infligée ainsi que la circonstance qu’elles ont donné lieu à des commissions versées à la société France Farine qui conduisent à ce qu’elle ait supporté une amende en son nom, mais aussi indirectement en tant qu’actionnaire de la société France Farine, mais parce que ces deux sociétés ont mis en ‘uvre les pratiques en cause.
422.Ce moyen doit en conséquence être rejeté.
b. Sur la réduction de la sanction au titre de la durée de l’infraction
423.Ayant considéré que la société Grands Moulins de Paris avait participé à l’entente en cause du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008 (décision attaquée, § 549), soit pendant une durée de quatre ans et huit mois, l’Autorité a appliqué un coefficient multiplicateur de 2,83 pour le calcul du montant de base de la sanction qu’elle lui a infligée (décision attaquée, § 828).
424.Il a été retenu, au paragraphe 89 du présent arrêt, que cette société, bien que n’ayant participé qu’à une réunion, avait bien été partie à l’entente visée par le grief n° 1. Sa demande d’annulation de la sanction qui lui a été infligée à ce titre doit être rejetée.
425.La société Grands Moulins de Paris ne remet pas en cause la mise en ‘uvre du communiqué sanctions dans le calcul de la sanction qui lui a été infligée au titre du grief n° 1 et demande seulement que celle-ci soit diminuée en conséquence de sa participation à ce grief, qui, selon elle, n’a duré que trois semaines. Elle invite la cour à recalculer le montant de la sanction, ainsi que le demande le ministre chargé de l’économie, en appliquant au montant de base un coefficient multiplicateur de 0,08, de sorte que le montant de la sanction ne devrait pas excéder la somme de 334 537 euros.
426.L’Autorité soutient qu’il n’y a pas lieu de réduire le montant de la sanction infligée.
427.Le ministre chargé de l’économie invite la cour à fixer le montant de la sanction en limitant la durée de la participation de la mise en cause à la période s’étendant du 24 septembre au 17 octobre 2003.
***
428.Au paragraphe 107 du présent arrêt, la cour a jugé que la société Grands Moulins de Paris avait participé aux pratiques en cause du 24 septembre 2003 au 29 octobre 2003, soit pendant une durée de cinq semaines.
429.Il est précisé au point 41 du communiqué sanctions que l’année complète de participation est affectée d’un coefficient multiplicateur de un.
430.Ainsi que l’Autorité l’a fait dans cette affaire pour la société Saalemühle (décision attaquée, § 827), et afin de préserver l’égalité de traitement entre les différentes entreprises sanctionnées, il convient pour la cour de retenir un coefficient «’correspondant au nombre de mois complets’» pendant lesquels l’entreprise a participé à l’infraction. La durée de cinq semaines de la participation de la société Grands Moulins de Paris à l’entente est équivalente à un à un mois et quelques jours, de sorte que le coefficient multiplicateur appliqué à la proportion de la valeur des ventes retenue s’établit à 0,08.
431.Il en résulte que le montant de base de la sanction infligée à la société Grands Moulins de Paris, au titre du grief n° 1, s’élève, au regard des autres paramètres de calcul de la sanction énoncés aux paragraphes 785 et 822 de la décision attaquée et non contestés, à 334 536 euros (22 009 000 euros x 0,19 x 0,08).
432.En conséquence, la cour, réformant la décision de l’Autorité, fixe à 334 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Grands Moulins de Paris au titre du grief n° 1.
2. Sur la sanction infligée à la société VK-Mühlen, devenue GoodMills Deutschland
433.Ayant retenu que la société VK-Mühlen, devenue GoodMills Deutschland, avait participé à l’entente en cause du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008 (décision attaquée, § 564), soit pendant une durée de quatre ans et huit mois, l’Autorité a appliqué un coefficient multiplicateur de 2,83 pour le calcul du montant de base de la sanction qu’elle lui a infligée. Elle a, en outre, considéré que les éléments du dossier ne faisaient pas ressortir d’éléments de nature à entrainer une diminution de cette sanction (décision attaquée, § 855), dont elle a, dès lors, fixé le montant à 17 110 000 euros.
434.À titre subsidiaire, la société GoodMills Deutschland demande à la cour d”«’annuler’» cette sanction ou, à tout le moins, d’en « réduire significativement » le montant aux motifs, d’une part, du caractère erroné de la durée des pratiques retenue par l’Autorité et, d’autre part, de la participation très limitée de la société VK-Mühlen à ces pratiques et du rôle de franc-tireur qu’elle aurait joué.
a. Sur la réduction de la sanction au titre de la durée de l’infraction
435.Conformément à la méthode qu’elle a exposée dans le communiqué sanctions, et comme elle l’a fait pour le calcul de chacune des sanctions pécuniaires qu’elle a prononcées, l’Autorité a appliqué à la proportion de 19 % de la valeur des ventes de la société VK-Mühlen, un coefficient multiplicateur de 2,83 correspondant à la durée de sa participation aux pratiques, du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008 (décision attaquée, § 828).
436.La société GoodMills Deutschland fait valoir que, si la cour devait retenir sa participation au grief n° 1, la durée devrait en être limitée à la période s’étendant du 24 septembre 2003, date de la réunion n° 6 à laquelle la société VK-Mühlen a participé, au 17 octobre 2003, date de la réunion n° 7 à laquelle elle n’a pas participé, soit une durée de trois semaines.
437.Elle observe, par ailleurs, que l’Autorité, pour prendre en compte, dans le calcul du montant de base des sanctions, la durée de participation de chaque entreprise aux pratiques, n’a, au-delà des années complètes de participation, retenu que les mois complets de participation, en négligeant, ainsi qu’elle l’a expliqué au paragraphe 826 de la décision attaquée, les «’jours allant au-delà du dernier mois complet de participation’». Elle en conclut, la durée de sa participation aux pratiques étant inférieure à un mois complet, que le principe d’égalité de traitement commande d’appliquer un coefficient multiplicateur « égal à zéro » conduisant alors au prononcé d’une sanction’« égale à zéro ».
438.À titre extrêmement subsidiaire, elle soutient que, si la cour devait «’arrondir’» la durée de sa participation à un mois, il en résulterait, sur la base d’une valeur des ventes réalisées par la société VK-Mühlen en 2003 de 36 358 000 euros et du coefficient de 19 % retenu par l’Autorité, que le montant de base de la sanction s’établirait à 552 641 euros, avant tout ajustement au titre des circonstances atténuantes qu’elle invoque.
439.Dans ses observations, l’Autorité rappelle qu’elle a, dans la décision attaquée, établi que la société VK-Mühlen avait participé aux pratiques du 24 septembre 2003 au 17 juin 2008 et, en conséquence, elle demande à la cour de rejeter ce moyen.
440.Le ministre chargé de l’économie fait valoir que le montant de la sanction infligée à la société VK-Mühlen devra être déterminé compte tenu de la durée de sa participation aux pratiques, qu’il estime limitée à la période allant du 24 septembre 2003 au 17 octobre 2003.
***
441.Au paragraphe 100 du présent arrêt, la cour a jugé que la société VK-Mühlen avait participé aux pratiques en cause du 24 septembre 2003 au 27 juillet 2004, soit pendant une durée de dix mois. L’année complète de participation étant, ainsi qu’il été rappelé précédemment, affectée d’un coefficient multiplicateur de 1, il y a lieu, comme l’Autorité l’a fait dans cette affaire pour la société Saalemühle (décision attaquée, § 827), et afin de préserver l’égalité de traitement entre les différentes entreprises sanctionnées, de retenir un coefficient « correspondant au nombre de mois complets » pendant lesquels l’entreprise a participé à l’infraction.
442.Compte tenu de la durée de dix mois de la participation de la société VK-Mühlen à l’entente, un coefficient multiplicateur de 0,83 sera donc appliqué à la proportion de la valeur de ses ventes. À cet égard, il convient de retenir non, comme l’a fait l’Autorité dans la décision attaquée, la valeur des ventes réalisées lors de l’exercice 2007, mais, la cour ayant jugé qu’il n’était pas établi que la société VK-Mühlen avait pris part aux pratiques après le 27 juillet 2004, celle réalisée lors de l’exercice 2003, dont la société GoodMills Deutschland a déclaré, sans être contestée, qu’elle s’élevait à 36 358 000 euros.
443.Il en résulte que le montant de base de la sanction infligée à la société VK-Mühlen, au titre du grief n° 1, s’élève à 5 733 000 euros (36 358 000 x 0,19 x 0,83).
b. Sur la réduction de la sanction au titre du caractère limité de la participation et du comportement de franc-tireur
444.La société GoodMills Deutschland souligne que, conformément au principe de proportionnalité consacré par l’article L. 464-2 du code de commerce et qui a valeur constitutionnelle, le communiqué sanctions prévoit, en son paragraphe 43, que le montant de base des sanctions pécuniaires doit être ajusté « pour tenir compte des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il y a lieu, et des autres éléments d’individualisation pertinents tenant à la situation de chaque entreprise ou organisme’». Elle reproche à l’Autorité de ne pas avoir tenu compte de la situation particulière de la société VK-Mühlen, pas plus au stade de l’appréciation de la gravité de l’infraction qu’au stade de l’individualisation de la sanction, alors que, selon elle, cette société se démarquait des autres entreprises sanctionnées dans cette affaire, compte tenu, d’une part, de sa participation très limitée aux pratiques en cause et, d’autre part, de son rôle de franc-tireur.
‘. Sur le degré de participation de la société VK-Mühlen aux pratiques
445.La société GoodMills Deutschland fait valoir que la société VK-Mühlen n’a pris part qu’à une seule des douze réunions composant la première phase des pratiques en cause et qu’en particulier, elle n’a pas participé au dispositif de surveillance mis en place ultérieurement. Elle soutient que c’est à tort que l’Autorité n’en a pas tenu compte dans la présente affaire, enfreignant ainsi les principes d’individualisation et de proportionnalité de la sanction, alors qu’elle applique régulièrement des réductions du montant des sanctions pécuniaires au profit des entreprises dont la participation aux pratiques en cause est moindre que celle d’autres participants ; elle souligne qu’il en va de même dans la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence du Tribunal de l’Union, qui considèrent que la moindre intensité de la participation d’une entreprise ou l’absence de participation de sa part à un volet de l’infraction justifient une réduction de la sanction qui lui est infligée.
446.L’Autorité rappelle qu’elle a considéré, dans sa décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des produits d’entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d’hygiène et de soins pour le corps que seul le constat d’un rôle exclusivement passif ou suiviste était susceptible d’être pris en compte dans l’appréciation du montant de la sanction pécuniaire, mais qu’en l’espèce, un tel rôle ne pouvait se déduire de ce que la société VK-Mühlen n’avait participé qu’à une seule réunion.
***
447.La cour a jugé au paragraphe 98 du présent arrêt que, contrairement à ce que prétend la société GoodMills Deutschland, la participation à l’entente de la société VK-Mühlen ne s’était pas limitée à sa seule présence à la réunion du 24 septembre 2003, mais qu’elle s’était poursuivie au-delà, jusqu’au 27 juillet 2004, faute pour elle de s’être distanciée de cette entente en faisant savoir aux autres membres de celle-ci qu’elle n’entendait pas s’y conformer.
448.La société GoodMills Deutschland ne peut donc prétendre que la participation de la société VK-Mühlen à cette seule réunion témoigne d’une moindre participation à l’entente, étant rappelé, en revanche, que la durée de sa participation, plus brève que celle d’autres mises en cause, a été déjà prise en compte dans le calcul du montant de base de la sanction au travers d’un coefficient de durée inférieur. Son moyen est, dès lors, rejeté.
ß. Sur le rôle de franc-tireur de la société VK-Mühlen invoqué par la société GoodMills Deutschland
449.La société GoodMills Deutschland fait valoir qu’il ressort tant du communiqué sanctions que de la communication de la Commission 2006/C 210/2 du 1er septembre 2006, intitulée « Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 » que le comportement de franc-tireur adopté par une entreprise dans le cadre d’une entente figure au nombre des circonstances atténuantes de nature à réduire le montant de la sanction qui lui est infligée. Elle prétend qu’en l’espèce, la société VK-Mühlen a adopté un tel comportement et joué un rôle pro-concurrentiel, ainsi que cela est attesté, selon elle, par un courriel échangé entre deux employés de la société Minoteries Cantin, dont les termes montrent que la société Kampffmeyer, filiale à 100 % de la société VK-Mühlen, est présentée comme un franc-tireur cherchant à pénétrer le marché français à l’occasion d’un contrat conclu avec le distributeur Aldi. Elle reproche à l’Autorité de ne pas avoir tenu compte de ce courriel en ce qui concerne la société VK-Mühlen, alors qu’elle l’a utilisé afin de conforter la preuve de la participation d’autres mises en cause aux pratiques.
450.L’Autorité considère que la requérante ne rapporte pas la preuve du rôle de franc-tireur qu’elle allègue et qu’en particulier, le courriel sur lequel elle s’appuie, daté du 12 juin 2008, n’est qu’un élément isolé et tardif, puisqu’intervenant à la fin de l’infraction poursuivie, et qu’il est insuffisant à démontrer que, par son comportement, la société VK-Mühlen aurait perturbé l’entente franco-allemande d’une manière sensible.
***
451.Le courriel qu’invoque la société GoodMills Deutschland a été échangé le 12 juin 2008 entre deux collaborateurs de la société Minoteries Cantin. Il y est rendu compte d’une réunion tenue à la société France Farine : « Je sors de 3 heures de réunion chez [G] (à la suite de l’AG) où nous avons fait le point sur la situation des marchés (‘) Je vous annonçais dans mon mail du 10.06 que le plus gros meunier allemand, Kampf-Meyer (orthographe non garantie), avait signé chez Aldi France pour 325 euros/T sur le marché sachet du hard en type 45 piquant à [G] près de [‘] T de volume annuel. Il faut savoir qu’actuellement nous vendons en hard autour de 430 euros/T. Comme je le craignais, ce prix de 325 devient une référence qui entraine tous le marché vers le bas » (décision attaquée § 233 et annexe 28).
452.Comme le prétend la requérante, ces termes traduisent un comportement offensif de la société Kampffmeyer, filiale de la société VK-Mühlen à l’égard de ses concurrents sur le marché français et sa volonté de gagner, par une politique de bas prix, des parts de ce marché. On ne saurait cependant en déduire un motif propre à diminuer le montant de la sanction, puisqu’ils témoignent de ce que la société VK-Mühlen a joué un rôle de franc-tireur, non dans le cadre de sa participation à l’entente, du 24 septembre 2003 au 27 juillet 2004, mais en 2008, soit plusieurs années après la fin de cette participation.
453.Les moyens de la société GoodMills Deutschland tendant à la prise en compte de la participation prétendument limitée de la société VK-Mühlen aux pratiques en cause et du rôle de franc-tireur qu’elle aurait joué ayant été rejetés, la cour, réformant la décision de l’Autorité, fixe à 5 733 000 euros le montant de la sanction pécuniaire qui lui est infligée.
B. Sur les sanctions prononcées au titre des griefs nos 2 et 3
454.L’Autorité a précisé, aux paragraphe 772 et 773 de la décision attaquée, qu’elle prononçait une sanction unique pour les pratiques visées par les griefs nos 2 et 3.
455.Elle a justifié cette décision en indiquant, d’une part, que les deux infractions concouraient à un même objectif général consistant à fixer les prix et à répartir les clients entre meuniers français sur les différents segments du secteur de la commercialisation de la farine en sachets en France, d’autre part, que ces infractions avaient une nature identique (l’utilisation d’une entreprise commune, France Farine ou Bach Mühle, à des fins anticoncurrentielles) et qu’elles avaient été mises en place par les mêmes participants, enfin, que les entreprises communes remplissaient à cet égard une fonction complémentaire pour la grande et moyenne distribution (France Farine) et pour les enseignes du « hard discount » (Bach Mühle). Elle a complété ces éléments en relevant le fait que la société France Farine était en charge de la gestion administrative quotidienne et des fonctions commerciales de la société Bach Mühle.
456.Après avoir examiné les moyens visant à contester le principe même de l’application du communiqué sanctions (1.), la cour appréciera les moyens remettant en cause le montant de base des sanctions retenu par l’Autorité au regard de la valeur des ventes, de la gravité des pratiques et du dommage à l’économie, ainsi que de la durée des pratiques (2.). La cour vérifiera ensuite si l’Autorité a bien procédé à l’individualisation des sanctions au regard des circonstances atténuantes d’ordre général (3.) et individuel (4.) invoquées par les requérantes. Elle examinera enfin les moyens relatifs au maximum légal des sanctions (5.) et aux difficultés financières invoquées par les entreprises (6.).
1. Sur la mise en ‘uvre de la méthode exposée dans le communiqué sanctions
457.Les sociétés Grands Moulins de Paris, Axiane et Minoteries Cantin font valoir que l’application du communiqué sanctions à des pratiques qui ont débuté bien avant la date de sa publication, le 16 mai 2011, et ont fait l’objet d’une notification de griefs antérieure à la même date, constitue une violation, d’une part, de la Constitution, d’autre part, du principe constitutionnel de non-rétroactivité des sanctions garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
458.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ajoutent que ce procédé est, en outre, contraire à la pratique et la jurisprudence européennes en la matière.
459.L’Autorité observe que l’application du communiqué sanctions à laquelle elle a procédé n’a pas été sanctionnée par l’arrêt rendu précédemment par la cour d’appel dans cette affaire et partiellement cassé. Elle ajoute que la cassation n’a pas porté sur ce point.
460.Par ailleurs les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ainsi que Grands Moulins de Paris soutiennent que les circonstances particulières de cette affaire résultant de l’encouragement des pouvoirs publics à la création de la société France Farine, le caractère embryonnaire du droit de la concurrence à cette époque, l’absence de réaction de la DGCCRF à la suite des contrôles qu’elle a opérés au sein de la société France Farine justifiaient que le communiqué sanctions soit écarté et que les sanctions prononcées ne soient que symboliques.
461.La société Grands Moulins de Strasbourg sans soutenir que les circonstances de l’espèce impliquaient d’écarter le communiqué sanctions, fait néanmoins valoir que l’état du droit de la concurrence à l’époque de la création de la société France Farine justifiait le prononcé d’une sanction symbolique.
***
462.Le principe de non-rétroactivité des lois pénales, consacré à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ainsi qu’à l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, constitue un principe général du droit national pour le premier et du droit de l’Union pour le second, dont le respect s’impose lorsque des amendes sont infligées pour des infractions au droit de la concurrence.
463.Ainsi que l’a jugé le Tribunal de l’Union dans son arrêt du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission (T-59/02, points 42 et 44), ce principe exige que les sanctions prononcées correspondent à celles qui étaient fixées à l’époque où l’infraction a été commise. Il s’en déduit que l’adoption de lignes directrices, telles celles qui figurent dans les dispositions du communiqué sanctions, qui sont susceptibles de modifier la politique générale de concurrence de l’Autorité en matière d’amendes, peut, de façon générale, relever du champ d’application du principe de non-rétroactivité.
464.Cependant, il convient de rappeler que le communiqué sanctions, qui vise à accroître la transparence, en faisant connaître par avance la façon concrète dont l’Autorité exerce son pouvoir de sanction, a notamment pour finalité de donner de la prévisibilité aux sanctions encourues par les entreprises et, ainsi, de renforcer leur caractère dissuasif, mais qu’il n’instaure aucun montant particulier ou aucune fourchette de sanction.
465.Or, ainsi que l’ont jugé la Cour de justice, dans son arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, point 228), et le Tribunal de l’Union, dans l’arrêt Archer Daniels Midland/Commission (point 48), les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières.
466.Il s’ensuit que l’application par l’Autorité, dans la décision attaquée, des règles d’analyse énoncées par le communiqué sanctions ne constitue pas une violation du principe de
non-rétroactivité des sanctions punitives et que les moyens sont rejetés.
467.Par ailleurs, le moyen développé par les sociétés Axiane, Minoteries Cantin, Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg selon lequel les circonstances particulières de cette affaire auraient dû conduire l’Autorité a écarter le communiqué sanctions et à prononcer une sanction symbolique n’est pas fondé et doit être rejeté.
468.En effet, les dispositions qui énoncent l’interdiction des ententes anticoncurrentielles et permettent leur poursuite ont été introduites dans le droit des premiers pays membres de la communauté européenne, dont la France, par le Traité instituant la Communauté économique européenne, signé à Rome le 25 mars 1957, et, depuis l’édiction du règlement (CEE) n° 17 du 6 février 1962 premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (ci-après le « règlement n° 17/62 »), les entreprises avaient, jusqu’à l’applicabilité, le 1er mai 2004, du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en ‘uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, la possibilité de notifier leurs accords à la Commission afin de s’assurer de leur validité au regard des dispositions relatives aux ententes prohibées. Si en 1986 le législateur a réformé le dispositif de poursuite et de sanction des atteintes à la concurrence, l’interdiction des ententes sur les prix était déjà en place depuis le décret n° 53-704 du 9 août 1953. Ce décret a inséré dans l’ordonnance du 30 juin 1945 des dispositions sur les ententes illicites sur les prix, notamment l’article 59 bis prévoyant que « sont prohibées […] toutes les actions concertées conventions ententes expresses ou tacites ou coalitions sous quelques formes et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’entraver le plein exercice de la concurrence en faisant obstacle à l’abaissement des prix de revient ou de vente ou en favorisant une hausse artificielle des prix ». Par ce décret a aussi été créée la Commission technique des ententes, dont les avis pouvaient conduire au prononcé de sanctions par le ministre chargé des affaires économiques ou être transmis au procureur de la République en vu de poursuites pénales.
469.C’est à tort que les sociétés Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg soutiennent que l’article 4 du règlement n° 17/62, prévoyant la possibilité pour les entreprises de demander une exemption individuelle, ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce au motif que son 2°) excluait la notification préalable pour les accords et associations auxquelles ne « participent que des entreprises ressortissant à un seul État membre et que ces accords, décisions ou pratiques ne concernent ni l’importation ni l’exportation entre États membres ». En effet, le dernier alinéa de ce paragraphe énonçait que « [c]es accords, décisions et pratiques peuvent être notifiés à la Commission ». Ainsi, s’il n’existait pas d’obligation de notification, cette disposition permettait aux entreprises ressortissant à un seul État membre et dont les accords, décisions ou pratiques ne concernaient ni l’importation ni l’exportation entre États membres, de s’assurer de la conformité de leurs accords ou pratiques au regard du droit de la concurrence de l’Union.
470.À ce sujet, la cour relève que l’Autorité n’a pas, à l’inverse de ce que soutient la société Grands Moulins de Paris, retenu une circonstance aggravante qui résulterait de ce défaut de notification, mais a seulement considéré que les entreprises en cause, qui prétendent avoir ignoré se trouver en infraction avec le droit des ententes, disposaient d’un moyen leur permettant d’avoir des informations précises à ce sujet, ce qui leur aurait permis de ne pas perpétuer leurs pratiques, alors même qu’il existait, à tout le moins, un doute sur le caractère anticoncurrentiel de la coopération mise en ‘uvre au sein de la société France Farine.
471.Contrairement à ce que soutiennent l’ensemble des sociétés requérantes, les pratiques en cause ne présentaient pas de caractère particulièrement complexe qui aurait été de nature à les induire en erreur pendant toute la durée des pratiques. En effet, elles ne présentent aucun degré de sophistication, ne concernent aucune technique ou aucun produit nouveau, ni ne mettent en ‘uvre de montage particulier faisant obstacle à la constatation prima facie que les actionnaires et partenaires des deux sociétés communes fixaient leurs prix en commun et se répartissaient les marchés. Il convient aussi de relever, ainsi que le font les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, que depuis 1959, soit bien avant la création de la société France Farine, la Commission technique des ententes publiait ses avis dans son rapport annuel, et que tel a ensuite toujours été le cas du Conseil de la concurrence à partir de 1986, puis de l’Autorité à compter de 2009.
472.En outre, quand bien même serait-il possible de considérer que les fondateurs de la société France Farine n’avaient pas conscience d’enfreindre la prohibition des ententes et ont pu être maintenus dans cette erreur par les félicitations des pouvoirs publics lors de la conférence du 17 janvier 1967, à laquelle a participé le ministre de l’agriculture ainsi que plusieurs représentants de l’administration, les pratiques en cause se sont déroulées pendant plus de quarante ans, période au cours de laquelle de nombreuses affaires d’entente ont été sanctionnées tous les ans tant par les autorités et juridictions de l’Union que par le ministre chargé de l’économie, puis le Conseil de la concurrence, devenu l’Autorité, et la cour d’appel de Paris. Les requérantes ne sauraient en conséquence légitimement soutenir qu’elles ont ignoré pendant toute cette durée le caractère anticoncurrentiel des sociétés communes France Farine et Bach-Mühle.
473.Enfin, la mise en ‘uvre de pratiques anticoncurrentielles relève de la responsabilité de leurs auteurs et ceux-ci ne sauraient s’abriter derrière le manque de réaction de l’administration pour minimiser les sanctions qu’elles encourent de ce fait.
474.Les requérantes ne sont, sur ce point, pas fondées à invoquer des analogies avec d’autres affaires qui se sont présentées dans des contextes différents et insusceptibles de comparaison avec l’espèce. Ainsi, notamment, la décision de la Commission en date du 20 octobre 2004, dans l’affaire dite du « tabac brut espagnol » (Affaire COMP/C.38.238/B.2) concerne une situation dans laquelle, d’une part, la réglementation avait incité aux pratiques, d’autre part, le ministère de l’agriculture avait autorisé des contrats types comportant des clauses relatives aux prix (§ 426 et s.). De même, la décision de l’Autorité n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express, vise des pratiques mises en ‘uvre dans un contexte particulier marqué par des travaux législatifs et des déclarations des pouvoirs publics qui avaient pu entraîner une confusion dans l’esprit des participants à l’entente sur la licéité de la pratique. Enfin, la décision de l’Autorité n° 11-D-01 du 18 janvier 2011 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion, concerne des pratiques intervenues dans un secteur dont le régime de régulation était particulièrement flou, dans un contexte de transition de prix administrés vers une libération de ceux-ci, laquelle demeurait inachevée (§ 156). Ces situations sont très éloignées de la présente espèce, pour laquelle aucune ambiguïté n’est à relever dans le contexte législatif et réglementaire et où, quels qu’aient pu être les encouragements des pouvoirs publics, les pratiques procédaient de la seule initiative des entreprises. De plus, ainsi qu’il sera précisé au paragraphe 608 du présent arrêt, il ne ressort pas avec évidence du compte rendu de cette conférence du 17 janvier 1967, produit au dossier, que les intervenants louant la création de la société France Farine avaient une pleine connaissance des pratiques en cause et de leurs conséquences. En tout état de cause de tels encouragements n’ont jamais été renouvelés depuis 1967.
475.Il suit de là que c’est à juste titre que l’Autorité a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’écarter l’application du communiqué sanctions et de prononcer une sanction seulement symbolique.
2. Sur la détermination du montant de base des sanctions
a. Sur la valeur des ventes
476.Aux paragraphes 889 et suivants de la décision attaquée, l’Autorité a indiqué que les ventes pertinentes étaient celles qui étaient l’objet des pratiques mises en ‘uvre dans le cadre des sociétés France Farine et Bach Mühle, et rappelé que celles-ci visaient à fixer les prix, à répartir les clients et les marchés et à limiter la production de farine de blé tendre en sachets, qu’il s’agisse de farines dites « classiques » ou de préparations sucrées ou salées dites « mixes », destinée à être commercialisée aux consommateurs finals en France.
477.Elle a ajouté, s’agissant plus précisément des sociétés requérantes, que les sociétés France Farine et Bach Mühle couvraient l’ensemble des canaux de distribution de farine en sachets en France (la grande et moyenne distribution et les enseignes du « hard discount ») et qu’en conséquence, il n’y avait pas lieu de faire une distinction entre les ventes effectuées à ces deux types de distributeurs pour déterminer l’assiette de la sanction des entreprises qui sont tenues pour responsables des pratiques visées par les griefs nos 2 et 3 (décision attaquée, § 890).
478.Ayant constaté que les pratiques mises en ‘uvre par ces requérantes s’étaient achevées, pour le grief n° 2, le 17 janvier 2012 et, pour le grief n° 3, le 31 décembre 2011, elle en a déduit que leur dernier exercice comptable complet de participation était l’exercice 2010 (décision attaquée, § 891).
479.L’Autorité a enfin indiqué que, compte tenu de la durée exceptionnellement longue de la pratique visée par le grief n° 2, il était manifeste que le dernier exercice comptable complet retenu en l’espèce n’était pas représentatif des ventes en relation avec l’infraction pendant toute la durée de celle-ci. Elle a précisé que cet élément serait pris en considération pour les entreprises ayant participé aux pratiques visées par les griefs nos 2 et 3 au stade de son analyse du coefficient de durée applicable au montant de base de la sanction (décision attaquée, § 892).
‘. Sur la prise en compte de la valeur des ventes en 2010
‘ Sur la représentativité de la valeur des ventes en 2010 et la méthodologie adoptée par l’Autorité pour tenir compte de la durée des pratiques
480.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que la prise en compte par l’Autorité de la valeur des ventes en 2010 pour déterminer l’assiette de la sanction, alors que les pratiques ont débuté en 1965 et duré 46 années, est décorrélée de la réalité économique, puisque cette valeur des ventes ne reflète nullement celle de 1965 et des années qui ont suivi. Elles font valoir que, pendant la période infractionnelle, la plupart des actionnaires de la société France Farine ont connu de nombreuses mutations internes et qu’ils existent désormais sous une forme sociale différente de celle dans laquelle ils ont adhéré à la société France Farine. Elles indiquent que ces modifications sont dues à un mouvement de concentration des entreprises du secteur, qui a pour conséquence que les chiffres d’affaires de 2010 n’étaient pas comparables à ceux des années soixante et soixante-dix.
481.Ces requérantes ajoutent que cette approche méconnaît la logique économique retenue en matière de sanctions, qui suppose une étroite concordance entre la réalité économique des entreprises et le montant des amendes. Elles estiment que la modulation concernant la durée des pratiques, opérée par l’Autorité afin de pallier le caractère non représentatif du dernier exercice comptable pour toute la durée de l’infraction, n’est pas justifiée et confine à l’arbitraire. Elles ajoutent que, de cette façon, l’Autorité a méconnu l’exigence de prévisibilité de la sanction.
482.L’Autorité répond qu’ayant reconnu que l’année 2010 pouvait ne pas être représentative de l’activité des entreprises depuis 1965, elle a modulé la méthode du communiqué sanctions s’agissant du coefficient multiplicateur lié à la durée.
483.Le ministre chargé de l’économie observe que la méthodologie employée ne corrige qu’imparfaitement l’impossibilité de prendre en compte la valeur des ventes représentatives de l’activité des sociétés requérantes à l’époque des faits, compte tenu, notamment, de l’extrême éloignement entre la première et la dernière années d’infraction. Il précise cependant « qu’il n’est pas certain qu’il soit possible de dégager un mode de calcul qui s’avère suffisamment adapté aux circonstances de l’affaire pour rester équitable ».
***
484.La cour rappelle que la valeur des ventes constitue une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d’en proportionner, au cas par cas, l’assiette à l’ampleur économique de l’infraction ou des infractions en cause, d’une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d’autre part.
485.En l’espèce, l’Autorité a, au paragraphe 923 de la décision attaquée, reconnu que, compte tenu de la durée particulièrement longue des infractions en cause, il n’était pas envisageable de considérer que la valeur des ventes réalisées par chacune des entreprises en cause pendant son dernier exercice comptable complet de participation à ces infractions était représentative de son activité, et donc de son poids relatif sur le secteur, pendant toute la durée de ces infractions. Elle a donc modulé la prise en compte de cette durée, d’une part, en déterminant des périodes de temps de plusieurs années, limitées par les dates auxquelles les actionnaires de la société France Farine auraient dû s’interroger sur la conformité de leurs pratiques au droit de la concurrence et pu y mettre fin, d’autre part, en appliquant, après la première année pour laquelle le coefficient appliqué est de 1, un coefficient réduit à chaque année de chaque période, ces coefficients étant augmentés à chaque période (décision attaquée, § 923).
486.Ainsi l’Autorité a-t-elle, au paragraphe 925 de la décision attaquée, défini quatre périodes :
‘ période correspondant à la seule année 1966, première année de mise en ‘uvre ;
‘ période comprise entre le 1er janvier 1967 et le 31 décembre 1984 (année de la première refonte du système contractuel régissant le fonctionnement de la société France Farine) ;
‘ période comprise entre le 1er janvier 1985 (date de prise d’effet du nouveau système contractuel) et le 19 avril 2001 ;
‘ période comprise entre le 20 avril 2001 (date de constitution du groupe Nutrixo et de sa prise de contrôle indirecte de la société France Farine) et la date de cessation des pratiques.
487.Pour la première période, l’Autorité a appliqué à la valeur des ventes en 2010, le coefficient de 1. Pour la deuxième période, elle a appliqué un coefficient de un dixième par année de participation complète aux infractions, et par mois complet de participation aux infractions au prorata temporis. Pour la troisième période, le coefficient appliqué est celui de trois dixièmes, et il a été pour la dernière période de cinq dixième.
488.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, cette méthode permet d’apprécier l’ampleur économique de l’infraction sur toute sa durée, sans que celle-ci ne pèse à l’excès sur les entreprises. Faute d’autres éléments permettant des comparaisons plus fines des chiffres d’affaires réalisés, dont l’absence ne peut être, compte tenu de la durée de l’infraction, reprochée ni à l’Autorité ni aux parties, ce mode d’évaluation est pertinent et objectif pour tenir compte du décalage entre la valeur des ventes en 2010 et celles des années écoulées entre 1965 et 2009. La cour relève à ce sujet que, contrairement à ce que suggère le ministre chargé de l’économie, qui n’apporte aucun élément permettant de constater qu’elle serait défavorable aux entreprises sanctionnées, cette méthode permet de minorer la valeur des ventes pour les années du début des pratiques, durant lesquelles les entreprises étaient, selon ce qu’elles indiquent, moins importantes sur le marché et moins concentrées. C’est ensuite de façon mesurée que l’Autorité a, pour les deux périodes suivant la première année, qui correspondent à des époques de développement industriel et de plus grande profitabilité, augmenté de quelques dixièmes les coefficients.
‘ Sur la contestation par la société Grands Moulins de Strasbourg de la prise en compte de la valeur des ventes en 2010 pour ce qui la concerne
489.La société Grands Moulins de Strasbourg soutient que, compte tenu de la mise en location-gérance de son fonds de commerce de meunerie auprès de la société GMS Meunerie à partir du premier juillet 2000, la valeur des ventes que l’Autorité aurait dû retenir à son égard est celle de 1999.
490.Cependant, ainsi qu’il a été jugé au paragraphe 132 du présent arrêt, la société Grands Moulins de Strasbourg a participé à la gestion de la société France Farine pendant toute sa durée, de sorte qu’elle a participé personnellement pendant toute la durée de la pratique objet du grief n° 2. De surcroît, elle n’apporte aucun élément qui démontrerait qu’à l’inverse de ce qui se déduit de cette participation, elle n’a plus été active sur le marché de la farine en sachets à partir du 1er juillet 2000. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de retenir, en ce qui la concerne, la valeur des ventes de l’année 1999 et que sa demande ne peut qu’être rejetée.
‘. Sur la prise en compte des marges arrières et de commissions versées aux structures communes
491.Les sociétés Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg soutiennent que la valeur des ventes doit permettre de refléter les ventes effectivement en lien avec l’infraction sanctionnée, et qu’en conséquence, l’Autorité a commis une erreur en ne déduisant pas de la valeur des ventes les montants correspondant aux marges arrières. Elles indiquent que l’inclusion de la marge arrière va à l’encontre de la réalité économique, puisque le chiffre d’affaires d’un fournisseur de la grande distribution est minoré par la marge arrière reversée aux centrales de la grande distribution, comme l’a reconnu l’Autorité dans un avis n° 04-A-18 du 18 octobre 2004 relatif à une demande d’avis présentée par l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC-Que Choisir) relative aux conditions de la concurrence dans le secteur de la grande distribution non spécialisée. Elles précisent que, si, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 27 octobre 2016 (RG n° 2015/01673), sur le recours formé contre la décision de l’Autorité n° 14-D-19 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des produits d’entretien et d’hygiène, la cour d’appel de Paris a rejeté un moyen identique, ce rejet est lié aux caractéristiques de l’espèce, qui étaient différentes de celles de la présente affaire. Elles ajoutent que les pratiques sanctionnées dans cette dernière décision étaient mises en ‘uvre dans un cadre législatif ayant pour conséquence que les marges arrières n’apparaissaient pas sur les factures et n’entraient pas dans le calcul des ventes à perte, ce qu’a modifié la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
492.Selon la société Grands Moulins de Strasbourg, le refus de déduire la rémunération de la coopération commerciale est discriminatoire en ce qu’il aurait pour conséquence de favoriser les entreprises disposant d’un fort pouvoir de marché, qui sont les plus à même de limiter le niveau de rémunération de la coopération commerciale. Ce refus violerait aussi les principes de proportionnalité et d’individualisation, puisque la valeur des ventes ne reflète alors pas le poids de l’entreprise concernée sur le marché. Enfin, il contreviendrait à la pratique décisionnelle de l’Autorité, qui s’attache usuellement à rechercher la « rémunération effective » de l’entreprise pour déterminer la base de calcul des sanctions.
493.Cette société ajoute, sans autre explication sur ce point, qu’il convient en outre de déduire de la valeur des ventes les commissions versées aux structures communes.
494.L’Autorité rappelle que la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 27 octobre 2016, précité, a déjà jugé que les prestations de coopération commerciale rendues par les enseignes de grande distribution constituent des coûts distincts de la relation d’achat-vente entre le fournisseur et le distributeur. Elle estime, par conséquent, que rien ne justifie de déduire les sommes payées au titre de ces services de la valeur des ventes, qui reflète le prix tel qu’il est facturé au client.
***
495.Les moyens des requérantes ne sont pas fondés.
496.La coopération commerciale, qui rémunère les services rendus par le distributeur au fournisseur à l’occasion de la vente de ses produits et qui sont propres à favoriser leur commercialisation, s’analyse comme un coût.
497.Or, ainsi qu’il a été jugé à de nombreuses reprises par les juridictions de l’Union (Voir en ce sens, notamment, TUE, arrêts du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission, T-127/04, point 91 et jurisprudence citée, et du 18 juin 2013, ICF/Commission, T-406/08, point 176) comme par les juridictions nationales (Cass. Com. 27 mars 2019, pourvois n° 16-26.515 et a.), ces charges inhérentes à l’activité en relation avec l’infraction ne sont pas déductibles de la valeur des ventes.
498.Il n’est, de plus, pas démontré que le choix de ne pas déduire de la valeur des ventes les montants relatifs à la coopération commerciale aboutirait à discriminer les entreprises en fonction de leur taille et de leur pouvoir de négociation, compte tenu de la part plus importante prétendument supportée par les entreprises les plus modestes au titre de la coopération commerciale. La cour relève à ce sujet que la valeur des ventes permet d’apprécier la contribution de l’entreprise sur le marché en lien avec l’infraction et l’atteinte possible à l’économie. Il n’y a donc pas à faire de distinction supplémentaire entre les entreprises selon leur capacité de négociation, qui d’ailleurs se manifeste pour tous les intrants des produits. Comme l’a souligné le Tribunal de l’Union dans son arrêt KME Germany e.a./Commision précité, « [le chiffre d’affaires] ne fait de distinction ni entre les secteurs à forte valeur ajoutée et les secteurs à faible valeur ajoutée, ni entre les entreprises profitables et celles qui le sont moins ». Aucune discrimination ne peut, dans ces conditions, ressortir de l’application d’une règle identique aux entreprises en cause.
499.Pour les mêmes motifs, les cotisations versées aux sociétés communes, assimilables elles aussi à des coûts, ne sont pas déductibles de la valeur des ventes.
b. Sur la gravité des pratiques
500.Aux paragraphes 894 à 898 de la décision attaquée, l’Autorité a retenu que les ententes visées par les griefs nos 2 et 3 constituaient des accords horizontaux entre concurrents, dont l’objet était de manipuler les principaux paramètres de la concurrence au lieu de laisser ces paramètres à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d’une détermination autonome de sa politique commerciale et de son comportement sur le marché. Elle a considéré que ces pratiques étaient particulièrement graves et que cette gravité était accentuée, d’une part, par le fait que les comportements en cause portaient sur plusieurs paramètres clés du jeu de la concurrence (prix, clients et production), d’autre part, par leur caractère systématique. L’Autorité a, en revanche, retenu que les pratiques n’avaient pas été secrètes ce qui était de nature à en tempérer la gravité.
501.La société Grands Moulins de Strasbourg soutient que cette motivation, qui ne tient pas compte du contexte économique et juridique de la mise en ‘uvre des pratiques, ne respecte pas l’obligation pour l’Autorité d’apprécier le critère de gravité de manière objective et concrète.
502.Elle fait valoir que l’Autorité a fait abstraction, d’une part, de ce que la concurrence entre les meuniers n’était pas actuelle, mais seulement potentielle, d’autre part, de ce que l’objectif poursuivi était clairement de pouvoir répondre à la demande nationale de la grande distribution et que des gains d’efficacité ont été réalisés.
503.Elle ajoute que l’Autorité aurait dû, dans son analyse de la gravité des pratiques, prendre aussi en compte le rôle des pouvoirs publics, qui les ont encouragées.
504.L’Autorité oppose que la prétendue exigence de la grande distribution de se voir proposer un prix unique sur tout le territoire pour la farine ne constitue pas un élément de contexte économique et juridique. Elle ajoute qu’il est démontré qu’il existait des alternatives moins restrictives de concurrence que le système que constituaient les sociétés France Farine et Bach Mühle.
***
505.Ainsi qu’il a été rappelé au paragraphe 158 du présent arrêt, les pratiques consistant à influencer les prix, que ce soit par un prix fixé de concert ou par des échanges d’informations sur les prix, de même que celles qui consistent en un partage de marché, sont particulièrement nocives pour le jeu de la concurrence. De ce fait, elles sont particulièrement graves, ce que l’Autorité a retenu de manière objective, à juste titre, au paragraphe 896 de la décision attaquée.
506.Comme le rappelle la société Grands Moulins de Strasbourg, cette gravité doit aussi être appréciée de manière concrète. À cet égard, l’Autorité a retenu le fait que les requérantes avaient, au travers des sociétés France Farine et Bach Mühle, manipulé plusieurs paramètres du jeu concurrentiel, dont certains avaient un caractère essentiel. Elle a aussi relevé le caractère systématique des pratiques, institutionnalisées d’abord au sein d’une société commune, puis étendues au marché spécifique du « hard discount » lorsque celui-ci s’est développé. Enfin, l’Autorité a tenu compte d’un élément modérateur, l’absence de caractère secret des ententes constituées au sein des sociétés communes. La cour adopte cette motivation pertinente.
507.C’est en vain que la société Grands Moulins de Strasbourg soutient que l’appréciation de la gravité des pratiques aurait dû être atténuée par la prise en compte, d’abord, du caractère seulement potentiel de la concurrence entre les meuniers, ensuite, de leur objectif, qui était de pouvoir répondre à la demande nationale de la grande distribution et, enfin de la réalisation de gains d’efficacité.
508.En effet, en premier lieu, il a été constaté par la cour, aux paragraphes 205 et suivants du présent arrêt, qu’il n’est pas démontré que les meuniers en cause n’étaient pas concurrents entre eux, d’autant qu’il est établi qu’il existait entre eux, en tout état de cause, des périmètres dans lesquels les zones de 300 kilomètres autour de leurs sites d’ensachage se recoupaient et où ils se trouvaient en situation de concurrence. Il n’y avait donc pas lieu de tenir compte de cette circonstance dans l’appréciation de la gravité des pratiques.
509.En deuxième lieu, l’objectif poursuivi par les actionnaires et partenaires des sociétés communes de répondre à la demande nationale de la grande distribution n’est pas exclusif de celui de réduire le jeu de la concurrence entre elles et il ne saurait non plus être considéré comme un facteur de réduction de la gravité des pratiques.
510.En troisième lieu, il convient de rappeler qu’il a été considéré, dans la partie du présent arrêt consacrée à la revendication d’une exemption, que les pratiques en cause n’étaient pas indispensables aux gains d’efficacité revendiqués par les requérantes. Il n’y avait donc pas lieu de les prendre en compte aux fins d’atténuer l’appréciation de la gravité des pratiques.
511.La société Grands Moulins de Strasbourg n’est pas fondée non plus à soutenir que l’Autorité aurait dû intégrer dans son analyse le soutien apporté par les pouvoirs publics à la création de la société France Farine. En effet, cette circonstance ne relève pas de l’appréciation de la gravité des pratiques, mais des circonstances atténuantes qui peuvent être accordées aux requérantes, et elle sera examinée ci-dessous à ce titre.
c. Sur le dommage à l’économie
512.L’Autorité a considéré que le dommage causé à l’économie était certain et que son importance était significative (décision attaquée, § 919).
513.Elle a retenu, à cet égard, que les pratiques avaient été de grande ampleur en ce que, d’une part, elles avaient visé l’ensemble du territoire national et l’ensemble des segments du secteur de la farine en sachets et, d’autre part, elles avaient été mises en ‘uvre par des entreprises qui représentaient la majeure partie de l’offre de la farine en sachets, en France, en volume comme en valeur (décision attaquée, § 899 et 900).
514.S’agissant des caractéristiques économiques du secteur, l’Autorité a relevé que celui-ci comportait des barrières réglementaires à l’entrée du fait des droits de mouture et que le produit concerné était un bien de consommation courante, sans substitut proche et pour lequel l’élasticité-prix de la demande est faible, alors même que la concurrence se fait sur ce produit essentiellement par les prix, et que les entreprises en cause étaient les principaux acteurs de la meunerie en France (décision attaquée 901 à 904).
515.Concernant les conséquences conjoncturelles et structurelles, l’Autorité a retenu que les pratiques avaient eu pour effet au moins potentiel de perturber les prix pratiqués par les meuniers en cause mais aussi plus largement par l’ensemble des meuniers français (décision attaquée, § 906). Elle a ajouté que les structures communes n’avaient jamais réorganisé le circuit logistique de distribution de la farine en sachets de leurs commettants en France, mais au contraire figé une situation historique en désincitant les opérateurs à redéployer leurs capacités d’ensachage et de distribution de farine en sachets sur le territoire national de façon efficace (décision attaquée, § 912). En outre, l’Autorité a considéré que certains éléments du dossier permettaient de dégager un ordre de grandeur indicatif du surprix imputable aux structures communes, pour certaines périodes (décision attaquée, § 914). Elle a ainsi estimé un ordre de grandeur du surprix de 11 % s’agissant de la société Bach Mühle (décision attaquée, § 917).
516.Enfin, l’Autorité a précisé que les pratiques ont eu un impact sur les consommateurs, qui ont supporté un prix supraconcurrentiel depuis 1966, sans que l’arrivée du « hard discount » puisse limiter cet effet dès lors qu’une part importante de ce segment était verrouillée par la société Bach Mühle à partir de 2002.
517.Les parties critiquent cette motivation sur les trois éléments caractérisant le dommage à l’économie : l’ampleur des pratiques, les caractéristiques du secteur et les conséquences conjoncturelles et structurelles. Ces trois points seront examinés tour à tour.
‘. Sur l’ampleur des pratiques
518.Il n’est pas contesté par les requérantes que les pratiques sanctionnées ont porté sur l’ensemble du territoire national et l’ensemble des segments du secteur de la farine en sachets, la farine de marque, la farine vendue sous MDD, les premiers prix et le « hard discount ». Il n’est pas contesté non plus que ces pratiques ont été mises en ‘uvre par des entreprises qui représentaient la majeure partie de l’offre de la farine en sachets en France, en volume comme en valeur. Ces éléments sont pertinents pour apprécier l’ampleur des pratiques, laquelle dépend, ainsi que le précise le communiqué sanctions, notamment en son point 32, d’une part, de l’importance du marché affecté et de la couverture géographique des pratiques, d’autre part, de l’importance des parts de marché cumulées des entreprises en cause. Il s’ensuit que l’Autorité a justement caractérisé les pratiques comme ayant eu une « très grande ampleur ».
519.C’est en vain que la société Grands Moulins de Strasbourg soutient que c’est parce que les meuniers étaient présents sur une grande partie du territoire qu’ils n’étaient pas en concurrence entre eux, puisqu’ainsi qu’il a été dit précédemment (Voir paragraphes 205 et 508 du présent arrêt), cette concurrence existait bien.
‘. Sur les caractéristiques du secteur
520.Les requérantes ne contestent pas que l’accès à la distribution de farine en sachets en France soit malaisé en raison de l’existence de barrières réglementaires à l’entrée du fait des droits de mouture. Elles ne contestent pas non plus que le produit concerné était un bien de consommation courante, sans substitut proche et pour lequel l’élasticité-prix de la demande est faible, alors même que la concurrence se fait sur ce produit essentiellement par les prix et que les entreprises ayant participé aux pratiques étaient les principaux acteurs de la meunerie en France. La cour adopte ces motifs pertinents énoncés aux paragraphes 902 à 904 de la décision attaquée.
521.C’est à tort que les sociétés Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg soutiennent que l’Autorité aurait dû tenir compte, dans son appréciation, de ce que le contingentement des droits de mouture les entravait dans la concurrence qui aurait pu s’exercer entre elles. En effet, ainsi qu’il a été précisé au paragraphe 192 du présent arrêt, les contingents de droit de mouture n’étaient pas saturés et pouvaient faire l’objet de cession ou de location auprès d’un autre meunier n’exploitant pas la totalité de son contingent.
522.C’est encore en vain que les parties invoquent aux fins de réformation de la décision attaquée, la puissance de marché de la grande distribution qui aurait été insuffisamment prise en compte comme facteur d’atténuation du dommage à l’économie.
523.En effet, si cette puissance est réelle, elle doit être relativisée en l’espèce, car les pratiques ont regroupé les meuniers les plus importants représentant la majeure partie de l’offre de la farine en sachets en France, en volume comme en valeur ; de plus, la société France Farine était propriétaire de la marque nationale la plus reconnue et sollicitée des consommateurs. Par ailleurs, s’agissant des catégories de farine en sachets premiers prix, sous MDD et « hard discount », les offres étaient formulées dans le cadre d’appels d’offres, de sorte que la pression résidait dans la concurrence davantage que dans le pouvoir de marché des clients. Au vu de ces éléments, la cour considère que le taux retenu par l’Autorité prend suffisamment en compte la puissance d’achat des acteurs de la grande distribution et qu’il n’y a pas lieu à réformation sur ce point.
524.En revanche, les requérantes sont fondées à soutenir que l’Autorité aurait dû tenir compte, dans son appréciation du dommage à l’économie, de la réglementation des prix applicable en France jusqu’en 1978 et de ce qu’en conséquence les pratiques n’ont pas pu avoir d’impact sur cet instrument de concurrence. Il sera tiré les suites qui s’imposent de ce constat dans la partie consacrée à la proportionnalité de la sanction.
‘. Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles
‘ S’agissant des conséquences structurelles
525.Ainsi que l’a relevé l’Autorité au paragraphe 912 de la décision attaquée, il est établi que les pratiques menées au travers des structures communes France Farine et Bach Mühle ont eu pour effet de figer la situation des usines d’ensachage des meuniers en les désincitant à redéployer leurs capacités afin de répondre de manière efficace aux contraintes liées aux distances et aux frais de transport qu’elles invoquent. De même, ces structures communes ont pu conduire les meuniers à maintenir des unités de production qui n’étaient plus efficaces et à ne pas procéder à des investissements qui leur auraient permis d’améliorer leur productivité et leur rentabilité.
526.Ce constat est d’ailleurs confirmé par les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, au paragraphe 409 de leurs conclusions, dans lequel elles indiquent que « [l]’objectif de France Farine étant précisément l’optimisation de la répartition géographique et donc de la complémentarité des différents sites d’ensachage existants afin de répondre à la demande de la grande distribution, France Farine n’allait pas inciter ses membres à dupliquer les infrastructures ». Cette « optimisation » d’une organisation par laquelle les requérantes avaient décidé de ne pas se faire concurrence a nécessairement figé leurs positions et empêché qu’elles innovent et envisagent des modes de fonctionnement alternatifs qui auraient pu les conduire à davantage d’efficacité tant à leur bénéfice qu’à celui du consommateur. Il est ainsi démontré que, contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg au paragraphe 318 de ses conclusions récapitulatives, le constat de l’Autorité sur l’immobilisme structurel entraîné par les pratiques n’est pas théorique.
527.Il convient aussi, à ce sujet, de relever que le dossier comporte des éléments permettant de constater que, lorsqu’elles ont existé, les restructurations internes ont permis aux entreprises de meunerie de se développer sur le marché. Ainsi, le groupe Nutrixo, qui dispose de quatre usines d’ensachage réparties sur tout le territoire national (Haute-Garonne, Gennevilliers, Reims, et Marseille) et qui avait procédé en 2007 à la rationalisation de son outil productif, ainsi que cela ressort du rapport Xerfi (Annexe 23 de la notification de griefs, cote 12087), a eu la capacité de reprendre à son profit, en 2012, lors de la dissolution de la société France Farine, l’activité de toutes les sociétés actionnaires et commettantes de celle-ci relative à la farine de marque « Francine ». De même, la société Moulin Soufflet, bien que n’étant entrée sur le marché de la farine en sachets que depuis 1983 et sans être actionnaire de la société France Farine, a pu, selon son dirigeant, se développer et se présenter comme un « challenger » (Annexe 130 ‘ Cote 10 506 à 10516).
528.Ce constat, qui ne constitue pas un reproche aux sociétés mises en cause de ne pas avoir procédé à ces investissements, mais se borne à mettre en évidence le comportement que le jeu de la concurrence les aurait conduites à adopter, n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre des requérantes, contrairement à ce que soutient la société Grands Moulins de Strasbourg.
‘ S’agissant des conséquences conjoncturelles
Sur l’existence prétendue d’une concurrence dite « en cascade »
529.L’Autorité a, aux paragraphes 907 et suivants de la décision attaquée, écarté le moyen présenté par la société France Farine selon lequel il existerait une pression concurrentielle dite « en cascade », exerçant une contrainte sur les prix de gros des différentes gammes de farine. Ce mécanisme de concurrence se présenterait de la façon suivante : les prix de la farine premier prix vendue en « hard discount » exerceraient une pression concurrentielle sur les prix de la farine premier prix distribuée par la grande et moyenne distribution et ces prix exerceraient, à leur tour, une pression sur les prix de la farine sous MDD, qui eux-mêmes entraîneraient une pression concurrentielle sur les prix des marques nationales, à savoir essentiellement la marque « Francine ». Cette chaîne de contrainte concurrentielle serait due, selon la société France Farine, aux prix pratiqués par les meuniers allemands en raison de leurs coûts de production plus faibles.
530.L’Autorité a relevé sur ce point que les différents segments étaient approvisionnés par les meuniers actionnaires et commettants de la société France Farine, lesquels étaient en même temps les meuniers actionnaires et commettants de la société Bach Mühle. Le marché étant maîtrisé par les mêmes opérateurs depuis le segment du « hard discount » jusqu’à celui de la marque nationale, elle en a déduit qu’au lieu d’exercer une pression anticoncurrentielle les uns sur les autres, ces différents segments permettaient aux opérateurs de discriminer les acheteurs en vendant à des prix différents un bien essentiellement homogène (décision attaquée, § 909).
531.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin contestent ces analyses.
532.Elles font valoir que l’Autorité passe sous silence le fait que la constitution des sociétés France Farine et Bach Mühle n’a pas été concomitante puisque la première date de 1965 et que la seconde, créée à l’origine par la société Grands Moulins de Strasbourg, n’a ouvert son capital à d’autres meuniers qu’en décembre 2001. Elles ajoutent que le « hard discount » n’a fait son apparition en France qu’en 1988 et qu’entre 1988 et 2001, les actionnaires de la société France Farine étaient bien en mesure d’agir de façon autonome sur ce segment de marché. Ainsi, selon ces requérantes, la pression concurrentielle décrite a bien été amenée à s’exercer pendant quinze ans entre les différents meuniers.
533.Par ailleurs, elles exposent que les différences de prix entre la farine en sachets de marque « Francine », d’une part, les produits sous MDD et premiers prix, d’autre part, sont dues à des facteurs objectifs tels que les investissements de recherche et développement réalisés par la société France Farine, qui ont permis de diversifier les produits, mais aussi les investissements de publicité et communication et, encore, les différences de « packaging ». Elles en déduisent que l’Autorité ne peut donc affirmer que les actionnaires des sociétés France Farine et Bach Mühle ont discriminé entre les acheteurs en vendant à des prix différents un bien essentiellement homogène.
***
534.Cependant la pression concurrentielle « en cascade » prétendue par les requérantes n’est démontrée par aucun élément du dossier. De plus, quand bien même les actionnaires de la société France Farine n’auraient-ils pas encore été structurés en une société commune visant à répondre au « hard discount », ils l’étaient déjà pour répondre à la demande de farine en sachets de marque nationale, de MDD et de premiers prix. Ceci leur permettait, en tout état de cause, de fixer leurs prix en commun, de se partager les commandes et d’échanger des informations à l’occasion de leurs rencontres et donc, finalement, de s’organiser, voire de résister, à la pression concurrentielle des prix, notamment, celle pratiquée par les meuniers allemands.
535.En revanche l’affirmation de l’Autorité selon laquelle la division du marché en différents segments permettait aux opérateurs de discriminer les acheteurs en vendant à des prix différents un bien essentiellement homogène, doit, comme le soutiennent à raison les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, être rectifiée s’agissant de la farine vendue sous la marque « Francine », dont la différence de prix avec les autres types de farine en sachets peut être justifiée par des différences objectives de qualité, de « packaging » et de renommée diffusée par la publicité. Toutefois, il n’en demeure pas moins que cette affirmation reste exacte pour les autres types de farine en sachets (premiers prix, MDD et « hard discount »), ce que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne contestent d’ailleurs pas.
536.Il s’en déduit qu’il n’est pas démontré que la concurrence « en cascade » invoquée par les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ait existé et qu’elle aurait amoindri les effets sur les prix causés par le fonctionnement des sociétés communes France Farine et Bach Mühle.
Sur l’existence et l’évaluation du surprix
537.Les requérantes contestent l’analyse réalisée par l’Autorité dans l’approche quantitative du surprix, laquelle est fondée sur une comparaison entre, d’un côté, des taux de marges réalisés par les entreprises allemandes et françaises au regard des prix pratiqués par elles et des offres formulées à l’occasion d’appels d’offres pour l’approvisionnement du « hard discount » et, de l’autre, leurs coûts.
538.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin font valoir que cette évaluation est faussée par le fait que le « hard discount » représente une part du marché de la distribution alimentaire bien plus importante en Allemagne (32 %) qu’en France (5,2 %), de sorte que la puissance de négociation des opérateurs de « hard discount » allemands est incomparable avec celle des mêmes opérateurs en France. Elles ajoutent que l’étude du 12 décembre 2017 montre que les prix ont augmenté en 2012, soit dans l’année qui a suivi la cessation des pratiques, et qu’ils n’ont que modérément baissé ensuite, malgré une chute brutale du cours du blé. Elles en déduisent que ce scénario contrefactuel, bien que décalé dans le temps, permet néanmoins de constater l’évolution du prix en l’absence des structures de commercialisation.
539.La société Grands Moulins de Strasbourg expose que les structures des coûts des meuniers français et allemands ne sont pas identiques, les coûts supportés en France étant bien plus élevés qu’en Allemagne, notamment, en raison des charges sociales.
540.La société Grands Moulins de Paris soutient, en se référant à l’étude du 12 avril 2012, que le calcul du surprix n’est pas sérieux en ce que l’Autorité infère l’existence de ce surprix d’un seul document et au seul motif qu’un concurrent allemand aurait proposé un prix inférieur au prix des meuniers français pour le « hard discount ». Elle ajoute qu’il ressort d’un article de l’UFC-Que Choisir du 22 décembre 2011, que le prix de vente de la farine de marque « Francine » aurait, au cours des dix dernières années, augmenté en valeur absolue deux fois moins vite que la moyenne des prix à la consommation. Elle en conclut que les pratiques n’auraient, dans ces conditions, pas causé de dommage aux consommateurs.
***
541.Ainsi que le font valoir les requérantes, l’analyse développée par l’Autorité aux paragraphes 914 à 917 de la décision attaquée, afin de quantifier le surprix qui résulterait des pratiques sur le marché du « hard discount », est contestable. En effet, cette analyse, qui repose sur une comparaison des taux de marges réalisés par les entreprises allemandes et françaises en se fondant, d’une part, sur les prix énoncés dans un seul document saisi chez un actionnaire de la société France Farine et qui concerne la seule année 2008, d’autre part, sur une évaluation approximative des coûts de production des meuniers français et allemands, tirée d’une étude économique, manque de fiabilité pour pouvoir être considérée comme un élément de preuve suffisant de l’existence d’un surprix.
542.Toutefois, la cour rappelle que, si le dommage à l’économie ne peut être présumé, il n’a néanmoins pas à être quantifié. En l’espèce, l’Autorité n’a pas considéré que l’évaluation de 11 % à laquelle elle était parvenue constituait une mesure du surprix résultant des pratiques nouées autour des deux sociétés communes France Farine et Bach Mühle, ni que cette mesure concernait toute la période de mise en ‘uvre des pratiques ; elle a seulement dégagé un ordre de grandeur indicatif du surprix imputable aux structures communes, pour certaines périodes (décision attaquée, § 914). Si cet ordre de grandeur doit être écarté compte tenu de ce qui a été dit au paragraphe précédent du présent arrêt, il ne peut cependant en être déduit que la pratique n’a eu aucun effet sur les prix.
543.Il est indéniable que, depuis 1978, et non 1966 comme le retient à tort l’Autorité, les consommateurs ont supporté un prix supra concurrentiel sans que l’arrivée du « hard discount » puisse limiter celui-ci, dès lors que les mêmes entreprises se retrouvaient aussi sur ce segment et avaient fait en sorte de limiter la concurrence que leur livraient les meuniers allemands.
544.Le constat selon lequel, à la suite du démantèlement des sociétés communes, les prix de la farine en sachets n’auraient que peu baissé en dépit d’une chute importante du cours du blé ne permet pas d’affirmer, comme le font les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, que les structures communes n’auraient pas entraîné de surprix. En effet, faute d’autres données, ce constat n’est à lui seul pas suffisamment probant pour permettre une telle affirmation. De plus, l’étude économique du 12 décembre 2017 ne concerne que quatre années postérieures à la dissolution des structures communes, lesquelles ont nécessairement été perturbées par la recherche de solutions alternatives à celles qui étaient en place depuis plus de quarante ans. En outre, l’observation de la courbe présentée dans cette étude économique permet de constater que, si les prix évoluent parallèlement au cours du blé durant les quatre années antérieures au démantèlement des structures communes, la corrélation n’est toutefois pas automatique et peut se trouver assez éloignée, comme cette courbe permet de le constater pour l’année 2009. De même, l’article de l’UFC-Que Choisir du 22 décembre 2011, invoqué par la société Grands Moulins de Paris, ne renseigne que sur l’évolution du prix de la farine de marque « Francine » au regard de l’ensemble des prix à la consommation et ne permet pas de constater que les pratiques auraient été sans effet sur les prix.
545.Il s’ensuit que, si l’évaluation du surprix par l’Autorité manque de fiabilité, il ne peut en être déduit que les pratiques en cause n’ont pas causé de dommage à l’économie ou que celui-ci doit être considéré comme réduit, dès lors, d’une part, que cet indice permet néanmoins d’envisager avec certitude que les pratiques ont pu causer un surprix, d’autre part qu’en tout état de cause, ce dommage procède aussi d’autres éléments que le prix, comme le partage des marchés entre les actionnaires et partenaires des sociétés communes et l’immobilisme des infrastructures et modalités d’action sur les marchés de la distribution de la farine en sachets. L’existence d’un dommage à l’économie étant démontré tout comme son importance et l’Autorité n’étant pas tenue de chiffrer ce dernier avec précision, le moyen ne peut être accueilli.
Sur les conclusions à tirer des suites du démantèlement des structures communes
546.La société Grands Moulins de Paris soutient que l’étude du 12 décembre 2017 a démontré l’effet néfaste du démantèlement des structures communes en ce que celui-ci a eu pour effet une augmentation des prix pratiqués par les meuniers et l’éviction du groupe Nutrixo du marché de la farine en sachets sous MDD et premier prix. Elle en déduit que les structures communes n’ont pas eu les effets conjoncturels de prix supra concurrentiels que prétend l’Autorité.
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547.La cour constate qu’aucun élément du dossier ne démontre que le groupe Nutrixo aurait été évincé du marché de la farine en sachets sous MDD et premier prix, plutôt qu’il aurait choisi de cesser de produire de la farine en sachets sous MDD, premier prix et « hard discount », pour se recentrer sur la seule production de farine en sachets de marque « Francine ». La cour relève que, ce faisant, ce groupe a renforcé sa position de leader sur le marché français de la meunerie, puisqu’il contrôlait, dès 2008, quatre des dix plus importantes sociétés actives sur ce secteur, les sociétés Grands Moulins de Paris, Euromill Nord, Grands Moulins Storione et Interfarine, ainsi que cela ressort d’un tableau figurant dans une étude Xerfi de novembre 2008 (annexe 23, cote 12 100). Ce choix industriel ne saurait donc être analysé comme un effet contraint par le démantèlement des structures communes et comme démontrant a contrario l’effet bénéfique de celles-ci sur le marché.
548.Par ailleurs, ainsi qu’il a été retenu au paragraphe 350 du présent arrêt, il n’est pas démontré que les sociétés communes en permettant la réduction des coûts de transport auraient conduit à une réduction des prix de la farine en sachets, de sorte qu’il ne peut être tiré des suites du démantèlement relevées par l’étude du 12 décembre 2017 que la pratique n’a pas eu les effets conjoncturels de prix supra concurrentiels relevés par l’Autorité dans sa décision.
Sur la faiblesse des taux de marge réalisées dans le « hard discount »
549.La société Grands Moulins de Paris soutient encore que la faiblesse des taux de marge générés par l’activité au sein de la société Bach Mühle démontre l’existence d’une réelle concurrence entre meuniers pour servir les enseignes de « hard discount » et in fine l’absence d’effets anticoncurrentiels.
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550.Cependant, cette requérante ne fournit aucune estimation des taux de marge qu’elle invoque, ni aucune comparaison des ordres de grandeur de ces taux de marge avec ceux réalisés dans d’autres secteurs proches en terme de coûts. De plus, quand bien même ces taux de marge seraient-ils faibles, la société Grands Moulins de Paris ne précise pas en quoi cette circonstance démontrerait que le prix fixé en commun au travers de la société commune Bach Mühle n’aurait pas été supra concurrentiel.
551.Au surplus, et ainsi que le fait observer l’Autorité dans ses observations, la marge d’une entreprise est directement dépendante de sa capacité à optimiser ses coûts et de ses choix d’optimisation interne, de sorte que la faiblesse du taux de marge invoquée peut être causée par l’absence d’évolution de l’outil industriel du secteur et ne peut démontrer à elle seule l’absence d’effet des sociétés communes sur les prix.
Sur le maintien d’une forte concurrence invoqué par la société Grands Moulins de Paris
552.La société Grands Moulins de Paris reproche à l’Autorité de ne pas avoir tenu compte dans son appréciation, d’une part, de la réduction des parts de marché des sociétés France Farine et Bach Mühle entre 2003 et 2007, d’autre part, de la diminution du prix relatif de la farine durant les dix années précédant la décision.
553.L’Autorité fait observer que l’année 2003, prise comme point de départ de la démonstration de la société Grands Moulins de Paris, a été marquée par un chiffre de production exceptionnel pour la société Bach Mühle, mais que, pour les autres années et ce depuis la création de la société France Farine, cette part de marché demeurait de façon stable entre 50 et 55 %.
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554.Si la baisse de la part de marché d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprise peut démontrer que les pratiques anticoncurrentielles commises par celles-ci sont peu profitables à ces entreprises, il ne peut toutefois en être tiré la conclusion que le dommage que ces pratiques causent à l’économie est modéré. Tel n’est, en tout état de cause, pas le cas en l’espèce.
555.En effet, outre la perturbation potentielle des prix, les pratiques ont eu, ainsi qu’il a été retenu précédemment, pour effet de figer la situation industrielle des meuniers en les désincitant à investir dans des usines d’ensachage ou dans des solutions leur permettant de mieux résoudre la contrainte financière des coûts de transport. Ces effets cumulés justifient l’appréciation de l’Autorité selon laquelle le dommage à l’économie était d’une importance significative.
556.Par ailleurs, selon les données énoncées au paragraphe 900 de la décision attaquée et non contestées, les sociétés France Farine et Bach Mühle représentaient, à l’époque de la commission des pratiques, la majeure partie de l’offre de farine en sachets en France, en volume comme en valeur, leur part de marché cumulée étant, en moyenne, de 53 % sur la période 2003-2007. De plus, selon les informations fournies par certains de ses commettants, la société France Farine représentait déjà à la fin des années 60 une production annuelle de farine en sachets de 40 000 tonnes, soit 55 % de part de marché au niveau national (cote 20 380). Cette stabilité, ajoutée à la grande notoriété de la marque « Francine », conduit à relativiser la portée de la pression concurrentielle comme ayant pu atténuer la gravité retenue du dommage à l’économie.
Sur le refus de l’Autorité de prendre en compte les gains résultant de la création et de la diffusion de la marque « Francine »
557.La société Grands Moulins de Paris déplore que l’Autorité n’ait pas pris en compte, dans son analyse du dommage à l’économie, les gains apportés par la société France Farine aux clients et consommateurs en termes d’innovation, mais aussi de garantie d’approvisionnement, de qualité et d’économies de transport.
558.Elle rappelle que la DGCCRF avait, dans ses observations devant l’Autorité, précisé que, si les rapporteurs avaient à juste titre écarté la possibilité d’une exemption, il n’en demeurait pas moins que les pratiques avaient produit des bénéfices pour les consommateurs, qui, s’ils étaient insuffisants pour contrebalancer les effets négatifs des accords en cause, avaient néanmoins contribué, dans une certaine mesure, à les atténuer. Elle reproche aussi à l’Autorité d’avoir éludé le fait que la société Bach Mühle avait permis de proposer des prix « hard discount » très bas et de répondre à la demande des consommateurs ayant un très faible pouvoir d’achat.
559.L’Autorité objecte que le seul élément de progrès pouvant être retenu concerne le développement de la marque « Francine » et le signal de qualité qu’elle véhicule, tandis qu’aucun gain résultant de la société Bach Mühle n’a pu être constaté.
560.Elle ajoute que, dès lors que les restrictions à la concurrence découlant du mode de fonctionnement de la société France Farine allaient très largement au-delà de ce qui était nécessaire pour obtenir les gains économiques en question, et que des alternatives moins restrictives de concurrence existaient, il n’était pas opportun d’en tenir compte dans l’analyse de la gravité.
561.Le ministre chargé de l’économie fait valoir que la décision attaquée n’a pas tenu compte des gains d’efficience qualitatifs liés à la promotion au niveau national des produits de grande qualité sous une marque notoire, la marque « Francine », qui ont pu contribuer à atténuer les effets restrictifs de concurrence pour le consommateur.
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562.Il été retenu aux paragraphes 380 et suivants du présent arrêt que, si, comme le soutiennent les requérantes et le ministre chargé de l’économie, la création de la marque « Francine » a constitué un gain d’efficience, il n’est cependant pas démontré que ce gain n’aurait pu être obtenu sans la commission des pratiques reprochées. Puisqu’un tel gain aurait pu en tout état de cause être obtenu par des moyens respectueux du libre jeu de la concurrence, c’est à juste titre que l’Autorité a refusé d’en tenir compte comme un facteur d’atténuation du dommage à l’économie par ailleurs provoqué par les pratiques incriminées.
563.Il en va de même du gain allégué par la société Grands Moulins de Paris et résultant de ce que la société Bach Mühle aurait permis de proposer des prix très bas aux consommateurs, puisqu’aucun élément du dossier ne démontre que la constitution de cette société et les pratiques mises en ‘uvre en son sein, étaient indispensables à l’offre de tels prix.
d. Sur la proportionnalité du taux de 17 % retenu par l’Autorité
564.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que le taux de 17 % appliqué par l’Autorité à la valeur des ventes est disproportionné.
565.Elles font valoir que ce taux est à peine inférieur à celui de 19 % retenu par l’Autorité pour les pratiques sanctionnées au titre du grief n° 1, qui concernait une entente secrète, ce que n’étaient pas les pratiques mises en ‘uvre dans le cadre des sociétés communes France Farine et Bach Mühle. Elles invoquent le point 41 du communiqué sanctions pour soutenir que la fourchette de taux de 15 à 30 % énoncé par cette disposition ne concerne que les ententes secrètes injustifiables et que ces taux élevés s’expliquent par la difficulté de détection desdites ententes. Elles ajoutent que l’Autorité ne peut justifier ce taux en se référant au taux plus élevé de 19 % fixé pour les pratiques objet du grief n° 1, car ce dernier est l’un des plus élevés de la pratique décisionnelle et n’a été retenu que dans une affaire de cartels ainsi que dans une autre concernant un cumul d’entente horizontale secrète et d’entente verticale sur les prix. Elles comparent le taux ainsi appliqué à celui fixé dans d’autres affaires qu’elles considèrent comparables. Elles font enfin valoir qu’en l’espèce, les pratiques sont complexes et ont poursuivi un but légitime dont seules les modalités sont contestées. Compte tenu de la difficulté pour les entreprises d’appréhender leur caractère illicite dans le contexte historique de leur mise en ‘uvre et du soutien reçu des pouvoirs publics, elles estiment que le taux ne devrait pas dépasser 5 %.
566.L’Autorité oppose que 1’établissement du pourcentage appliqué à la valeur des ventes pour la détermination du montant de base de 1’amende se fait en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque affaire, qui peuvent fortement varier d’un dossier à l’autre.
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567.Il est indiqué, au point 40 du communiqué sanctions, que « [l]a proportion de la valeur des ventes réalisées durant l’exercice comptable de référence au sens du point 33 ci-dessus, que l’Autorité retient au cas par cas en considération de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, est comprise entre 0 et 30 % » et, au point 41 de ce communiqué, que, « [s]ous réserve du point 7 ci-dessus, cette proportion est comprise entre 15 et 30 % dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, en fonction de l’importance du dommage qu’ils causent à l’économie. En effet, ces pratiques se caractérisent par une manipulation directe des paramètres essentiels de la concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter du fait de leur caractère secret, raisons pour lesquelles elles se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont considérées comme « injustifiables » par l’OCDE. Il pourra en être de même dans le cas d’autres pratiques anticoncurrentielles d’une gravité particulière. »
568.Il ressort de ces précisions que la justification du choix d’un taux compris entre 15 et 30 % réside dans le fait que les pratiques d’accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, consistent en une manipulation directe des paramètres essentiels de la concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter du fait de leur caractère secret. Cette référence au caractère secret, qui se retrouve fréquemment dans de telles ententes, ne saurait toutefois conduire à écarter cette fourchette de taux dans le cas d’accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production qui n’auraient pas été secrets. En effet, quand bien même de telles pratiques n’auraient-elles pas été particulièrement dissimulées, elles sont graves du fait de leur nocivité pour le jeu de la concurrence ainsi que de leur aptitude à causer un dommage à l’économie d’une importance significative. Il ne saurait donc être reproché à l’Autorité d’avoir fixé le taux de 17 % qui, au demeurant, se trouve dans la limite basse de cette fourchette.
569.Par ailleurs, les requérantes soutiennent à tort que seules les modalités des pratiques sont contestées, que leur but était légitime et que leur caractère complexe ainsi que la difficulté pour les entreprises d’appréhender leur caractère illicite dans le contexte historique de leur mise en ‘uvre et du soutien des pouvoirs publics, justifiaient la fixation d’un taux très inférieur à celui déterminé par l’Autorité.
570.En effet, ainsi qu’il a été retenu précédemment, les sociétés communes par lesquelles et au sein desquelles les entreprises se sont entendues sur les prix et ont réparti les marchés entre elles constituaient, par les mécanismes qu’elles instauraient et les échanges qu’elles ont permis, et non pour leurs seules modalités de fonctionnement, une pratique d’entente anticoncurrentielle prohibée. Par ailleurs, et ainsi qu’il a déjà été retenu précédemment, la confusion et l’ignorance invoquées ne sont pas établies, et quand bien même le seraient-elles, il n’en demeure pas moins que le caractère anticoncurrentiel des pratiques est constitué. De plus, l’ignorance invoquée ne saurait être considérée comme un élément de minoration du taux reflétant la gravité des pratiques et le dommage à l’économie dès lors que, comme il a déjà été précisé, l’interdiction des pratiques d’entente était déjà instaurée tant en droit de l’Union qu’en droit national, depuis plusieurs années à la date de création de la société France Farine et que, depuis 1962, le règlement n° 17/62 permettait aux entreprises de notifier leurs accords auprès de la Commission, ce qui a été le cas jusqu’au 1er mai 2004, date d’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003.
571.En outre, les comparaisons auxquelles procèdent les requérantes, qui renvoient à des affaires dont les circonstances et données particulières sont nécessairement différentes de celles de l’espèce, sont inopérantes.
572.Au regard de la gravité des pratiques ainsi que du dommage à l’économie, tels qu’ils ont été caractérisés par la décision et par le présent arrêt, il était justifié que l’Autorité applique un taux se situant dans la partie inférieure de la fourchette de 15 à 30 % énoncée par le point 41 du communiqué sanctions concernant les ententes.
573.Il convient toutefois de réexaminer le montant du taux retenu par l’Autorité au regard du défaut de prise en compte de la réglementation des prix maintenue en France jusqu’en 1978. Il y a lieu de préciser, à ce sujet, que cette réglementation a bien pris fin en 1978 et non en 1986, comme le prétendent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin. La cour renvoie sur ce point au paragraphe 190 du présent arrêt.
574.Pendant la durée de cette réglementation, soit douze ans entre 1966 et 1978, le dommage à l’économie a été nécessairement amoindri par rapport à celui causé pendant les trente-quatre années suivantes, durant lesquelles les pratiques se sont maintenues. La cour rappelle, toutefois, que les pratiques ont eu d’autres conséquences sur la concurrence, notamment, parce qu’elles consistaient aussi en un partage du marché et qu’elles ont abouti à figer artificiellement les structures des entreprises. En conséquence, cette circonstance ne peut avoir qu’une portée relative sur la réduction du taux, qui sera réduit d’un point et porté à 16 %. En revanche, le prétendu encouragement des pouvoirs publics lors de la création de la société France Farine, qui ne diminue ni la gravité de la pratique ni le dommage à l’économie, ne peut être retenu comme un facteur minorant du taux retenu, et sera examiné ci-dessous dans la partie consacrée aux circonstances atténuantes.
e. Sur le coefficient de durée
575.Au point 22 du communiqué sanctions, l’Autorité indique que la durée de mise en ‘uvre de l’infraction, qui constitue un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits que l’importance du dommage causé à l’économie, fait l’objet d’une prise en considération distincte sous ce double angle. Elle précise à cet égard, au point 42 de ce même communiqué, que, dans le cas des infractions qui se sont prolongées plus d’une année, leur durée est prise en considération selon les modalités suivantes : « La proportion retenue par l’Autorité est appliquée, au titre de la première année complète de participation de chaque entreprise ou organisme en cause à l’infraction, à la valeur des ventes réalisées pendant l’exercice comptable de référence, et, au titre de chacune des années suivantes, à la moitié de cette valeur. Au-delà de la dernière année complète de participation à l’infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent ».
576.Au paragraphe 923 de la décision attaquée, l’Autorité a indiqué qu’elle n’appliquerait aux entreprises ayant participé aux griefs nos 2 et 3, qu’un seul coefficient de durée commun aux deux infractions.
577.Elle a justifié cette décision par deux motifs.
578.Le premier procède du constat qu’il n’était pas envisageable de considérer que la valeur des ventes réalisées par chacune des entreprises en cause pendant son dernier exercice comptable complet de participation à ces infractions était représentative de son activité, et donc de son poids relatif sur le secteur, pendant toute la durée de ces infractions et qu’aucun exercice de référence plus représentatif ne pouvait être identifié, ni aucune moyenne de données suffisamment fiables réalisée.
579.Le second résulte de ce que la période pendant laquelle les pratiques mises en ‘uvre autour de la société Bach Mühle (infraction visée par le grief n° 3) se sont déroulées était intégralement comprise dans la période de mise en ‘uvre des pratiques autour de la société France Farine (infraction visée par le grief n° 2).
580.Ainsi qu’il a été rappelé au paragraphe 485 du présent arrêt, l’Autorité a modulé la prise en compte de la durée des pratiques selon des coefficients correspondant à des périodes de temps de plusieurs années, le coefficient augmentant à partir de chaque date à laquelle les actionnaires des sociétés communes auraient dû s’interroger sur la conformité de leurs pratiques au droit de la concurrence et pu y mettre fin. Elle a indiqué, au paragraphe 924 de la décision attaquée, que les sociétés France Farine et Bach Mühle n’avaient fait l’objet d’aucune notification à la Commission en vertu du règlement n° 17/62. Elle a précisé que cette possibilité, qui était offerte à leurs actionnaires jusqu’au 1er mai 2004, date d’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, leur aurait permis de se mettre en conformité avec le droit de la concurrence. Elle a ajouté qu’à deux reprises encore, cette mise en conformité aurait été possible et a été manquée, en premier lieu, lors de la première refonte du système contractuel de la société France Farine en 1985, en second lieu, en 2001, date de la prise de contrôle indirect de celle-ci par la groupe Nutrixo.
581.La cour renvoie au paragraphe 485 du présent arrêt s’agissant de la description du coefficient de durée appliqué dans la décision attaquée.
582.Outre les critiques relatives à la pertinence de ce mode de calcul, auxquelles il a déjà été répondu aux paragraphes 488 et suivants du présent arrêt, les requérantes contestent sa mise en ‘uvre en plusieurs points : la prise en compte même de la durée, la détermination d’un coefficient unique pour les deux infractions et, pour la société Grands Moulins de Strasbourg, l’absence de prise en compte de la mise en location-gérance de son fonds de commerce d’activité de meunerie.
‘. Prise en compte de la durée
583.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que la durée extrêmement longue retenue par l’Autorité a pour conséquence que l’application rétroactive du communiqué sanctions conduit au prononcé d’amendes bien plus élevées que celles qu’elle aurait prononcées sans ce communiqué et qu’elle aurait dû renoncer à l’appliquer.
584.La société Grands Moulins de Paris fait valoir que par le biais du coefficient multiplicateur, l’Autorité a imposé la durée comme étant mécaniquement le critère le plus important de calcul des amendes, alors qu’il n’est même pas cité par l’article L. 464-2 du code de commerce. Selon elle, la durée ne reflète pas la gravité des pratiques.
585.L’Autorité fait observer que l’argumentation des sociétés Axiane et Minoteries Cantin revient à contester, au stade de la sanction, la durée de l’infraction qui leur est reprochée. Elle rappelle que le principe de la prohibition des ententes sur les prix et les répartitions de marché existait avant le 1er janvier 1987 et que, contrairement à ce que soutiennent ces requérantes, il existait, pendant toute la période des pratiques, un rapport de concurrence à la fois réel et potentiel entre les meuniers concernés.
***
586.Si le critère de durée n’est pas énoncé dans les dispositions de l’article L. 464-2 du code de commerce, il n’en demeure pas moins qu’il est, ainsi que le précise l’Autorité au point 22 du communiqué sanctions, un facteur pertinent pour apprécier à la fois la gravité et le dommage à l’économie. En effet, la durée témoigne de la persistance des acteurs dans le comportement infractionnel et prolonge la perturbation du secteur en cause.
587.Il ne saurait être reproché à l’Autorité d’avoir appliqué la méthode d’appréciation des sanctions résultant du communiqué sanctions à toute la période durant laquelle les pratiques ont été mises en ‘uvre, dès lors que celles-ci ont été continues, que leur durée résulte de la seule volonté et des seuls agissements des requérantes. En outre, l’Autorité a adapté cette méthode et modulé la prise en compte de la période de mise en ‘uvre des pratiques afin que la valeur des ventes soit aussi représentative que possible de l’activité et du poids de chaque entreprise sur le marché.
588.La cour a certes retenu, aux paragraphes 190 du présent arrêt, que la période de réglementation des prix sous l’empire duquel la société France Farine avait été créée avait pris fin en 1978 et que ce n’est donc qu’à partir de 1978 que les pratiques reprochées ont pu avoir une incidence sur les prix. Cependant, ainsi qu’il a été rappelé au paragraphe 191 du présent arrêt, pendant cette période, la société France Farine a aussi été le support d’un partage des marchés. Il s’ensuit que la circonstance selon laquelle les prix de la farine en sachets étaient réglementés n’a pas de conséquence sur la durée de l’infraction complexe retenue.
‘. Détermination d’un coefficient de durée unique au titre de la participation aux deux griefs nos 2 et 3
589.La société Grands Moulins de Strasbourg conteste l’approche de l’Autorité consistant à retenir un coefficient de durée unique et oppose que la société Bach Mühle n’est restée active que pendant une durée de 10 ans, ce qui aurait dû conduire l’Autorité à appliquer, pour ce qui la concerne, un coefficient de durée de 5,5 sur ce grief, et non de 12,95 comme elle l’a fait.
590.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin contestent aussi ce coefficient de durée unique et font valoir que le motif de l’Autorité pour justifier ce choix, qu’elles estiment défavorable aux parties sanctionnées, n’est pas convaincant.
591.L’Autorité considère que le raisonnement sur lequel reposent ces moyens est erroné en ce qu’il suppose que la société Bach Mühle constituait une activité nouvelle, distincte de la société France Farine, ce qui ne correspond pas à la réalité des faits. Elle rappelle qu’elle a indiqué dans la décision attaquée (§ 298 à 305) que la société Bach Mühle était en réalité une simple extension de la société France Farine, sans structure propre, dont l’objectif était de pouvoir vendre de manière plus discrète au « hard discount ».
592.Elle fait observer qu’en outre, les volumes de farines vendus par les meuniers pouvaient être aisément et rapidement ventilés entre les deux structures. Par conséquent, les sociétés France Farine et Bach Mühle représentaient dans les faits une seule et même activité, de sorte que la prise en compte d’un seul coefficient de gravité et de dommage pour toute la durée cumulée des pratiques était pertinente en l’espèce.
***
593.Ainsi qu’il a été précédemment rappelé, l’Autorité a fait le choix d’appliquer une sanction unique pour les deux griefs nos 2 et 3. Ce choix est objectivement justifié par l’étroite complémentarité des pratiques, relevée par la motivation pertinente des paragraphes 772 à 773 de la décision attaquée, que la cour adopte.
594.C’est donc à juste titre que l’Autorité a appliqué pour calculer cette sanction unique un coefficient de durée correspondant à la durée de la participation des requérantes dans la société France Farine, durée dans laquelle est incluse celle de leur participation à la société Bach Mühle.
595.La cour relève au surplus que les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne démontrent pas que l’approche retenue par l’Autorité aurait conduit à la fixation d’une sanction plus sévère que celle qui aurait résulté du cumul de deux sanctions prenant en compte la durée de chacune des pratiques appliquée à la valeur des ventes à la grande et moyenne distribution, d’une part, et à la valeur des ventes au « hard discount » d’autre part.
596.Les moyens sont en conséquence rejetés.
‘. Sur les conséquences de la mise en location-gérance de son fonds de commerce de son activité de minoterie sur le coefficient de durée, invoquées par la société Grands Moulins de Strasbourg
597.Invoquant à nouveau la cession en location-gérance de l’exploitation du fonds de commerce de son activité de minoterie à la société GMS Meunerie le 1er juillet 2000, la société Grands Moulins de Strasbourg soutient que les pratiques postérieures à cette date lui étaient inopposables et qu’en conséquence, sa participation au titre du grief n° 3 devrait être réduite à zéro, tandis que la durée de sa participation à l’infraction visée par le grief n° 2 devrait être ramenée à 34 ans, de telle sorte que le coefficient applicable pour ce grief devrait être ramené de 12,95 à 7,05.
***
598.Il a déjà été précédemment jugé que la mise en location-gérance, au 1er juillet 2000, du fonds de commerce de l’activité de minoterie de la société Grands Moulins de Strasbourg à la société GMS Meunerie, était sans portée. Pour les mêmes motifs que ceux déjà énoncés au paragraphe 490 du présent arrêt, ce moyen est rejeté.
f. Conclusion sur le montant de base
599.Il résulte de la réformation du taux de 17 à 16 % énoncée au paragraphe 574 du présent arrêt et du rejet des autres moyens des requérantes que le montant de base applicable à chacune des sociétés requérantes doit être recalculé en prenant en compte les valeurs des ventes en euros, énoncées au paragraphe 893 de la décision attaquée, ainsi que les coefficients de durée énoncés au paragraphe 928 de celle-ci.
600.Dès lors, le montant de base s’établit comme suit pour chaque requérante :
Entreprise
Montant de base (en euros)
Axiane Meunerie
41 441 920
(19 924 000 X 16 % X 13)
Euromill Nord (Aux droits de laquelle vient la société Grands Moulins de Paris)
33 134 400
(15 930 000 X 16 % X 13)
Grands Moulins de Paris
23 158 204
(11 469 000 X 16 % X 12,62)
Grands Moulins de Strasbourg
20 964 496
(10 118 000 X 16 % X 12,95)
Minoteries Cantin
22 233 331
(11 938 000 X 16 % X 11,64)
3. Sur la prise en compte des circonstances atténuantes d’ordre général invoquées par les requérantes tenant à l’encouragement des pouvoirs publics et à l’inertie de l’administration, ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel la société France Farine a été créée
601.L’ensemble des requérantes font valoir que l’encouragement des pouvoirs publics lors de la création de la société France Farine constitue une circonstance devant conduire à la minoration de la sanction.
602.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, Grands Moulins de Paris et Grands Moulins de Strasbourg font valoir que l’Autorité aurait dû tenir compte du fait que les actionnaires et commettants de la société France Farine pouvaient légitimement penser que les pratiques ne posaient pas de problèmes de concurrence dès lors qu’il est avéré que les pouvoirs publics, de même que les clients, avaient connaissance de ces pratiques sans que les structures de commercialisation soient jamais inquiétées.
603.Elles précisent que le 6 mai 1998, la société France Farine a fait l’objet d’une mesure d’enquête relative au respect des titres III et IV de l’ordonnance du 1er décembre 1986, et que le 19 mars 2002, elle a fait l’objet d’une autre enquête, relative à la vérification du respect des dispositions du livre IV du code de commerce en ce qui concerne les pratiques commerciales et tarifaires en vigueur à l’égard de la grande distribution. Elles ajoutent que, lors de la notification de l’acquisition par le groupe Epis-Centre du groupe Meunier Celbert en 2008, le formulaire de notification à la DGCCRF mentionnait l’existence des sociétés France Farine et Bach Mühle, sans que ces organisations aient suscité de questions de la part de des services de cette administration.
604.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin font aussi valoir qu’à l’époque de la création de la société France Farine, le droit de la concurrence était embryonnaire et que les fondateurs ne soupçonnaient pas que leur regroupement puisse avoir un quelconque caractère anticoncurrentiel. Elles invoquent à nouveau, à titre de circonstance atténuante, les gains d’efficience qui auraient dû être pris en compte par l’Autorité
605.Le ministre chargé de l’économie observe que l’approbation des pouvoirs publics lors de la conférence de presse d’anniversaire de la création de la société France Farine, en 1967, de même que le fait que la société France Farine ait fait l’objet de deux contrôles de la DGCCRF non suivis de poursuites, en 1998 et 2002, devaient être considérés comme des circonstances atténuantes et conduire à une minoration de la sanction.
***
606.Ces moyens ne sont pas fondés.
607.Lors de la conférence du 17 janvier 1967, Edgar Faure, alors ministre de l’agriculture, a déclaré, notamment : « Nous avons la préoccupation d’encourager l’insertion de l’activité agricole dans la vie économique du pays, et il est excellent que les industriels aident les agriculteurs dans ce sens. France Farine est un exemple de centralisation commerciale sans concentration des entreprises industrielles » (cote 21027).
608.Cette phrase, prononcée un an après la création de la société commune France Farine, ne prend pas en compte le caractère anticoncurrentiel de ses règles de fonctionnement. En outre, force est de constater que de telles félicitations n’ont par la suite jamais été renouvelées et qu’en tout état de cause, à aucun moment, les pouvoirs publics n’ont incité ou sollicité la mise en ‘uvre de telles pratiques. Il s’ensuit que les requérantes ne sont pas fondées à déduire des propos prononcés lors de cette conférence et presse qu’elles ont été « encouragées par les pouvoirs publics ».
609.Par ailleurs, ainsi qu’il a été précisé précédemment, la mise en ‘uvre de pratiques anticoncurrentielles relève de la responsabilité de leurs auteurs et ceux-ci ne sauraient s’abriter derrière le manque de réaction de l’administration pour minimiser les sanctions qu’elles encourent de ce fait. Il est en conséquence sans effet que la société France Farine ait fait l’objet de deux contrôles de l’administration sans être poursuivie. À ce sujet, il convient de préciser qu’en tout état de cause, la DGCCRF est seulement investie de la mission de poursuivre les pratiques anticoncurrentielles et non de les sanctionner et que son inaction ne peut être interprétée comme une validation de pratiques dont ses agents auraient pu prendre connaissance, ou qu’ils auraient été en mesure de réaliser, lors des contrôles qu’ils ont effectués en 1998 et en 2002.
610.De plus, s’agissant de la décision du Conseil de la concurrence n° 91-D-40 du 8 octobre 1991 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de la meunerie et de la meunerie-boulangerie, invoquée par la société Grands Moulins de Strasbourg, la cour observe que cette décision a prononcé un non-lieu à poursuivre, faute d’éléments de preuve suffisant, situation résultant de la cassation (Cass. Com., 9 avril 1991, pourvois n° 90-11.963 et a.) de l’ordonnance par laquelle le « juge désigné » par le président du tribunal de grande instance de Paris avait autorisé des agents de la DGCCRF, en vertu de l’article 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, à effectuer des visites et des saisies de documents dans des locaux appartenant à dix sociétés de meunerie. La société France Farine ne faisait pas partie des entreprises visées par ces visites et saisies et aucun élément du dossier ne permet d’affirmer, comme le fait la société Grands Moulins de Strasbourg, que le Conseil de la concurrence aurait examiné l’entreprise commune France Farine.
611.Au surplus, ainsi qu’il a déjà été énoncé au paragraphe 468 du présent arrêt, les dispositions qui énoncent l’interdiction des ententes anticoncurrentielles tant en droit de l’Union qu’en droit national étaient en vigueur depuis plusieurs années déjà, lors de la création de la société France Farine, et le règlement n° 17/62 permettait à ses actionnaires et partenaires de s’assurer de la validité de leurs accords ou de se mettre en conformité, ce qu’ils auraient pu faire jusqu’en 2004. Les requérantes ne peuvent en conséquence prétendre à bénéficier de circonstances atténuantes au motif que le droit des ententes n’était pas suffisamment clair ou connu. S’agissant des gains d’efficience, il a déjà été retenu que ceux-ci auraient pu être obtenus par d’autres voies et il n’y a donc pas lieu de considérer qu’ils devraient donner lieu à une réduction de sanction au titre des circonstances atténuantes.
612.Il s’ensuit que les moyens sont rejetés.
4. Sur la prise en compte des circonstances d’ordre individuel, propres aux entreprises
a. Sur le défaut de prise en compte des engagements et de la cessation des pratiques
613.La société Grands Moulins de Paris conteste le refus de l’Autorité de tenir compte, à titre de circonstance atténuante, des engagements qu’elle a pris et réalisés. Elle précise que les structures communes ont été dissoutes et que des accords transitoires visant à favoriser l’émergence de concurrents ont été conclus.
614.Par ailleurs, elle souligne que ces engagements ont été complétés par un dénouement des liens capitalistiques et un accord de licence de marque qui a conduit le groupe Nutrixo, auquel appartient la société Grands Moulins de Paris, à dédommager ses concurrents sous forme de rachat de leurs actions France Farine afin d’obtenir une solution acceptable pour tous, et dont l’Autorité a elle-même reconnu la validité.
615.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que l’Autorité aurait dû tenir compte de la cessation de leur propre chef des pratiques mises en cause dans le calcul de la sanction. Elles indiquent que, le 6 octobre 2011, les actionnaires de la société France Farine ont prévu la cession de leurs parts à la société Nutrixo.
616.Elles font valoir que cette cession devrait être d’autant plus prise en compte qu’elles n’ont pas remplacé les revenus perdus liés à l’activité de la société France Farine, ce manque à gagner augmentant d’autant la sanction qui lui a été infligée.
617.Le ministre chargé de l’économie expose qu’à la suite de la procédure diligentée à leur encontre par l’Autorité, les entreprises en cause ont, de leur propre initiative, restructuré la société France Farine afin de ne pas perdre le bénéfice de la marque « Francine », tout en se mettant en conformité avec les règles de concurrence. Cette restructuration a consisté, d’une part, en la cession des parts des sociétés actionnaires dans la société France Farine au groupe Nutrixo, d’autre part, en la résiliation par la société France Farine de ses contrats de commission et de licence de marque et, enfin, en la mise en place, par cette société, d’une convention de « rebranding » d’un an prévoyant l’octroi aux actionnaires cédants d’une licence temporaire et gratuite sur le territoire français de la marque « Francine », utilisée en association avec les marques librement choisies par ces derniers. Le ministre chargé de l’économie estime que ces actions, qui avaient pour objectif de favoriser le lancement ou le développement de marques concurrentes, auraient dû être prises en compte par l’Autorité. Il indique à ce titre que l’enjeu essentiel dans cette affaire était de rétablir une concurrence effective sur le marché plus que de prononcer des sanctions et observe que la sévérité de l’Autorité en l’espèce, va à l’encontre de la finalité que doivent poursuivre les sanctions qu’elle prononce, lesquelles doivent être dissuasives tout en permettant de rétablir le fonctionnement normal et loyal du marché.
618.L’Autorité estime que le fait pour les requérantes d’avoir cédé l’ensemble de leurs parts dans la société France Farine équivaut uniquement à la cessation de pratiques illicites et que cette circonstance a été prise en compte pour 1’établissement de la fin de l’infraction. En revanche, l’Autorité remarque qu’aucune des requérantes n’a proposé d’engagement additionnel dans le cadre d’une procédure de non-contestation des griefs, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de leur accorder une réduction de sanction.
***
619.Ainsi que le relève l’Autorité, le fait de mettre fin à une pratique infractionnelle ne peut constituer une circonstance atténuante ouvrant droit au bénéfice d’une réduction de sanction, d’autant qu’en l’espèce, la dissolution des sociétés communes n’a été mise en ‘uvre que postérieurement à la notification des griefs. Il est sans portée que cette dissolution ait pu être décidée à la suite de démarches des services d’instruction ou de la DGCCRF.
620.Les requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir de l’arrêt du Tribunal de l’Union du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission (T-54/03), dans lequel, comme elles le relèvent elles-mêmes, il est énoncé que « le caractère approprié d’une réduction de l’amende en raison de la cessation de l’infraction dépend du point de savoir si la requérante pouvait raisonnablement douter du caractère infractionnel de son comportement » (point 782). Or en l’espèce, ainsi qu’il a été précédemment retenu, les parties ne pouvaient légitimement douter du caractère infractionnel de leurs pratiques, qu’elles ont laissé perdurer pendant de très nombreuses années.
621.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne sont pas non plus fondées à soutenir qu’elles ont perdu les revenus liés à l’activité de licence de marque et ont, de ce fait, subi une forme de sanction qui les affecte lourdement, dès lors que cette activité se déployait dans un cadre anticoncurrentiel et qu’il leur appartenait, si elles souhaitaient la conserver, de rechercher avec leurs partenaires des solutions leur permettant de la poursuivre dans des conditions conformes au droit de la concurrence. Enfin, le fait que les solutions apportées par les requérantes à la situation qu’elles avaient elles-mêmes créée aient été coûteuses ne peut conduire à minorer la sanction.
b. Sur le caractère mono-produit des entreprises
622.Le communiqué sanctions précise, en son paragraphe 48, que l’Autorité peut adapter une sanction à la baisse pour tenir compte du fait que « l’entreprise concernée mène l’essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l’infraction (entreprise ‘mono-produit’) ».
623.Les sociétés Grands Moulins de Strasbourg, Axiane et Minoteries Cantin soutiennent que l’Autorité n’a pas tenu compte du caractère mono-produit de leur activité.
624.La société Grands Moulins de Strasbourg précise qu’elle est exclusivement active dans le secteur de la farine et qu’elle aurait donc dû bénéficier d’une réduction de sanction à ce titre.
625.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin exposent que l’ « entreprise concernée », visée au point 48 du communiqué sanctions, n’est pas synonyme de « groupe », comme en atteste le fait que l’article L. 464-2 du code de commerce, auquel se réfère ledit communiqué et les points 20 et 49 de celui-ci, visent, sans les confondre, l’ « entreprise concernée » et le « groupe auquel l’entreprise appartient ». Elles invoquent l’arrêt rendu par cette cour le 23 mai 2017 (RG n° 2015/08224), sur les recours formés contre la décision de l’Autorité n° 15-D-03 du 11 mars 2015 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des produits laitiers frais, et soutiennent que le caractère d’entreprise mono-produit doit être apprécié au regard du chiffre d’affaires de la seule société auteure des pratiques lorsque celle-ci a agi, comme au cas d’espèce, de manière indépendante et que sa société mère ne s’est pas vu imputer la responsabilité des pratiques. Dans ces conditions, elles considèrent que le périmètre à prendre en compte pour la qualification d’entreprise mono-produit est celui de l’entreprise incriminée, et non celui du groupe Axéréal auquel elles appartiennent.
626.Soulignant être exclusivement actives sur le secteur en relation avec l’infraction, soit celui de la meunerie, en ce que les ventes de farines et produits qui en sont issus représentaient, pour chacune, environ 94,4’% de leurs chiffres d’affaires au 30 juin 2010, les 5,6’% restants correspondant à des ventes de produits accessoires, les requérantes demandent que leur soit reconnu le caractère d’entreprise mono-produit et à bénéficier, à ce titre, d’une réduction du montant de la sanction qui leur a été infligée.
627.L’Autorité réplique que le raisonnement des requérantes, fondé sur la notion de secteur d’activité, est erroné, puisque, comme indiqué dans l’arrêt rendu par cette cour sur recours contre la décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015, précitée, l’analyse du caractère mono-produit d’une entreprise suppose de comparer la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction avec le chiffre d’affaires net total de l’entreprise poursuivie. Or, en l’espèce, les déclarations produites par les sociétés requérantes montrent, pour chacune d’elle, que les ventes de farine en sachets constituaient une part minoritaire dans leurs chiffres d’affaires.
628.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin répliquent que le chiffre d’affaires qui doit être pris en compte, dans le cadre de l’appréciation du caractère mono-produit, est celui réalisé dans le secteur en relation avec l’infraction et non celui de l’activité en relation avec l’infraction. Elles invoquent, au soutien de cette affirmation, la décision de l’Autorité n° 13-D-03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur du porc charcutier, dans le cadre de laquelle l’Autorité a, s’agissant de la société GAD, pris en compte la totalité de l’activité de celle-ci (l’achat, l’abattage, la découpe de porcs ainsi que la revente de produits issus du porc) et non les seules activités d’achat et de revente en lien avec les infractions.
629.Elles font valoir que, dans l’hypothèse où la cour déciderait de s’écarter cette approche sectorielle et globale pour ne tenir compte que de la seule valeur des ventes en relation avec l’infraction, il conviendrait alors de prendre en considération les ventes en relation avec l’ensemble des secteurs concernés par la saisine initiale, soit celles de farines en sachets et celles de farines à destination de la boulangerie artisanale. Elles expliquent qu’à défaut, il suffirait à l’Autorité de disjoindre différentes parties des saisines afin d’empêcher les entreprises de bénéficier de la qualification d’entreprise mono-produit. Relevant que la valeur totale des ventes qu’elles ont réalisées dans le secteur des farines alimentaires représentait, pour l’exercice de 2010, 63 % du chiffre d’affaires mondial de la société Minoteries Cantin (13’338’652 euros sur 29’288’727 euros) et 81 % du chiffre d’affaires mondial de la société Axiane (64’487’198 euros sur 79’090’180 euros), elles en concluent que celles-ci représentaient bien l’essentiel de leurs chiffres d’affaires.
***
630.La prise en compte du caractère d’entreprise mono-produit a pour finalité d’éviter que l’application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutisse à des montants disproportionnés.
631.Elle constitue un correctif nécessaire à la méthode de détermination du montant de base de la sanction par application d’un taux à la valeur des ventes de produits ou de services en relation avec l’infraction réalisées par chaque entreprise concernée. En effet, pour une entreprise dont la valeur de ces ventes est proche de son chiffre d’affaires, parce que ce dernier est réalisé pour l’essentiel dans le cadre des ventes de produits en relation avec l’infraction (entreprise’mono-produit), la méthode normale de détermination de la sanction peut conduire à lui infliger une sanction représentant un pourcentage très élevé de son chiffre d’affaires.
632.Or le caractère dissuasif d’une sanction s’apprécie davantage au regard du pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée que représente la sanction qu’au regard du montant de cette sanction.
633.Ainsi, la prise en compte du caractère d’entreprise mono-produit, prévu au point 48 du communiqué sanctions, s’analyse comme un exemple de mise en ‘uvre de la volonté, exprimée par l’Autorité au point 24 du même communiqué, de ne pas accorder une importance disproportionnée à la valeur des ventes par rapport à d’autres éléments à prendre en considération, tel le chiffre d’affaires.
634.Il s’ensuit que ce qui importe pour déterminer si une entreprise est mono-produit est d’examiner si la valeur des ventes qu’elle a réalisées en relation avec l’infraction constitue ou non l’essentiel de son activité. Or tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque les pratiques ont été mises en ‘uvre sur le marché de la vente de farine en sachets qui ne représente pas l’essentiel de l’activité des sociétés Grands Moulins de Strasbourg, Axiane et Minoteries Cantin qui développent d’autres activités dans le secteur de la meunerie.
635.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne sont pas fondées à soutenir, en se référant à la décision de l’Autorité n° 13-D-03 du 13 février 2013, précitée, qu’il conviendrait de prendre en compte tout le secteur dans lequel l’entreprise en cause est active, quelle que soit la part de l’activité en lien avec l’infraction. En effet, d’une part, l’analyse menée par l’Autorité dans cette décision s’explique par le fait que la société GAD, en cause dans cette affaire, avait mis en ‘uvre des pratiques concernant les différentes activités composant son chiffre d’affaires, d’autre part, la méthode préconisée par ces requérantes aboutirait à accorder le bénéfice d’entreprise mono-produit quelle que soit la part de l’activité concernée par l’infraction et dont la valeur des ventes sera retenue pour déterminer le montant de base, au regard du chiffre d’affaires réalisé par cette entreprise.
636.Enfin, elles ne peuvent sérieusement soutenir qu’il conviendrait de tenir compte de l’intégralité des activités visées par la saisine initiale. Une telle méthode aboutirait en effet à intégrer, dans l’analyse du caractère mono-produit, des activités au regard desquelles aucun grief n’est notifié ou sanctionné et dénaturerait le sens de la démarche uniquement corrective de la notion d’entreprise mono-produit.
c. Sur l’insuffisante prise en compte de la situation individuelle des sociétés Axiane et Minoterie Cantin résultant de la poursuite de plusieurs entités du groupe Axéréal
637.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin font valoir que la poursuite de plusieurs sociétés du groupe Axéréal a produit un effet démultiplicateur des sanctions, que l’Autorité aurait dû neutraliser par la réduction du montant des sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre, en vertu du principe d’individualisation, afin d’éviter que la sanction soit vécue comme injuste et inacceptable.
638.L’Autorité rappelle que le groupe Axéréal n’est pas poursuivi en tant que tel dans la présente affaire et que le calcul du plafond légal de la sanction en fonction du chiffre d’affaires consolidé du groupe, prévu par le I de l’article L. 464-2 du code de commerce, constitue un critère financier prévu par la loi et n’implique pas la mise en cause du groupe pour les pratiques de sa filiale. Ainsi, selon elle, le fait que deux entités de ce groupe soient responsables du paiement d’une amende n’est que la conséquence des opérations de rachat intervenues dans le secteur concerné, de sorte que les sanctions séparées infligées aux sociétés Axiane et Minoteries Cantin ne constituent en aucune manière une double mise en cause du groupe Axéréal.
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639.Ainsi qu’il sera développé au paragraphe 658 du présent arrêt, l’article L. 462-4 I, alinéa 4, du code de commerce a été réformé par la loi NRE dans un double objectif d’éviter les fraudes consistant à diminuer les chiffres d’affaires des entreprises en cause et de permettre à l’Autorité de prononcer des sanctions plus dissuasives qu’elles ne l’étaient auparavant.
640.Dans ces circonstances, l’Autorité et la cour d’appel de Paris, dans le cadre du contrôle des décisions qu’elle exerce, ne sauraient, sans manquer au respect de la loi et de l’intention du législateur, diminuer le montant des sanctions fixées selon les critères objectifs qui ont été précédemment validés, au seul motif que deux sociétés d’un même groupe, qui ont participé aux pratiques, sont sanctionnées et que le groupe subira de ce fait le poids des deux sanctions.
641.Il suit de là que le moyen doit être rejeté.
5. Sur l’évaluation du maximum légal des sanctions
642.L’article L. 464-2 I, alinéa 4, du code de commerce précise que « [l]e montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en ‘uvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante ».
643.En application de ces dispositions, l’Autorité a vérifié que les montants des sanctions étaient inférieurs aux plafonds constitués par le chiffre d’affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par la société Grands Moulins de Strasbourg, ainsi que par la société Epis-Centre qui consolide les comptes des sociétés Axiane et Minoteries Cantin.
644.La société Grands Moulins de Strasbourg rappelle l’exigence de proportionnalité qui s’impose à l’Autorité en application de l’article L. 462-2 du code de commerce et le seuil maximal d’amende prévu par cette disposition, limité à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé. Elle soutient que le cumul des sanctions prononcées à son encontre au titre, d’une part, du grief n° 1, d’autre part, des griefs nos 2 et 3 ne respecterait pas cette exigence et dépasserait ce seuil dans la mesure où le montant total de l’amende prononcée, de 28’820’000 euros, représente plus de 10,4 % de son chiffre d’affaires mondial hors taxes pour l’année 2008, alors même qu’en 2008 ce dernier était artificiellement élevé par rapport au résultat de l’exercice. Elle ajoute qu’une telle disproportion serait inédite dans la pratique décisionnelle de l’Autorité.
645.En outre, la société Grands Moulins de Strasbourg soutient que la cour d’appel de Paris a déjà considéré qu’en cas d’infractions connexes le principe de non-cumul de sanctions applicable dans la matière quasi-pénale qu’est le droit de la concurrence, justifiait qu’une seule sanction soit prononcée (CA Paris, arrêt du 15 avril 2010, RG n° 09/14634, rendu sur les recours contre la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-08 du 12 mars 2007 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de l’approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse). Selon elle, les infractions visées par le grief n° 1 et par les griefs nos 2 et 3 étant connexes, puisqu’elles avaient toutes pour objet commun de faire obstacle à la concurrence sur le marché des farines alimentaires et qu’elles se déroulaient dans le même secteur, rien ne justifiait que l’Autorité dépasse le seuil légal prévu par l’article L. 462-4 du code de commerce. Elle ajoute que l’imposition de deux amendes dont le cumul dépasserait le plafond de 10 % constituerait une violation du principe de sécurité juridique et du principe du contradictoire car elle ne pouvait s’attendre à une telle sanction.
646.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin reprochent à l’Autorité, d’une part, d’avoir calculé le plafond légal qui leur est applicable sur la base du chiffre d’affaires consolidé du groupe Axéréal, alors que, du fait de son absence totale de participation aux pratiques reprochées, leur comportement ne pouvait pas être considéré comme lui étant imputable.
647.Elles rappellent que la Cour de justice, dans son arrêt du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission (C-408/12 P, point 59), a énoncé que la notion d’entreprise participant à l’infraction «’ne [peut] pas être interprétée de manière différente aux fins de l’imputation de l’infraction et aux fins de l’application du plafond de 10’%’» et en déduisent qu’il n’est pas justifié de calculer le plafond légal de l’amende par rapport au chiffre d’affaires du groupe lorsque le comportement d’une filiale n’est pas imputable à sa société mère. Selon elles, l’Autorité aurait donc dû retenir leur seul chiffre d’affaires pour apprécier le respect du plafond légal et elles font valoir que cette méthode, qui ne serait pas contraire à l’article L. 464-2-I du code de commerce, permettrait d’assurer une application cohérente et conforme aux principes européens.
648.D’autre part, les requérantes affirment que l’Autorité a suivi, au cas d’espèce, une méthodologie contraire à l’article L. 464-2-I du code de commerce en déterminant un plafond légal de sanction par grief sanctionné et par société, au lieu de l’appliquer au montant total des amendes qui leur ont été infligées pour la globalité des infractions constatées. Elles font valoir qu’une telle approche produit un effet démultiplicateur injustifié sur le montant des amendes prononcées. Elles rappellent à ce sujet que l’article L. 464-2 I du code de commerce prévoit un plafond unique par entreprise et ne distingue pas selon que l’Autorité décide de sanctionner l’ensemble des pratiques poursuivies par une amende unique ou par des amendes distinctes correspondant à différents griefs. Elles en déduisent que l’Autorité a donc adopté une autre méthode d’évaluation du plafond légal des amendes que celle imposée par la loi. Elles ajoutent que cette méthode, « exclusivement défavorable » aux entreprises visées, aboutit à la violation des principes de protection des justiciables, de non-cumul des peines et de sécurité juridique, dès lors que le communiqué sur les sanctions de l’Autorité ne permettait pas d’anticiper un tel revirement.
649.Elles font valoir qu’alors qu’en 2011, les cumuls d’amendes prononcées par l’Autorité n’ont jamais dépassé 19 % du montant correspondant au plafond légal, il est en l’espèce de 33 %, si l’on tient compte des seules amendes infligées à la société Axiane, et de 45,3 %, si l’on prend en compte l’intégralité des amendes infligées aux entités du groupe Axéréal (anciennement Epis-Centre), et en déduisent qu’il est clairement établi que la nouvelle méthode d’application du plafond légal des amendes a eu, au cas d’espèce, un effet démultiplicateur sur le montant de celles-ci.
650.Le ministre chargé de l’économie soutient que, si l’Autorité peut sanctionner séparément des infractions distinctes dans une même décision, il n’en demeure pas moins que les principes de proportionnalité et de non-cumul des peines limitent cette possibilité. Il invoque à ce titre l’article 132-3 du code pénal selon lequel « [l]orsque, à l’occasion d’une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, chacune des peines encourues peut être prononcée. Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé. ». Il invoque une décision du Conseil constitutionnel n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, qui aurait précisé que le montant global de sanctions administratives prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
651.Rappelant que l’Autorité a, au paragraphe 819 de la décision attaquée, précisé qu’ « [i]l faut toutefois garder à l’esprit que les conséquences des trois infractions visées par la présente décision ne peuvent pas être analysées de façon isolée, dans la mesure où l’existence de l’entente franco-allemande a pu avoir un impact sur l’efficacité des structures de commercialisation en France, en particulier pour ce qui concerne les ventes au hard discount », le ministre déduit qu’en raison de la connexité des pratiques, le fait que deux infractions aient été sanctionnées ne devrait pas conduire à ce que le montant total de la sanction prononcée excède le plafond de 10 % du chiffre d’affaires.
652.L’Autorité rappelle que l’arrêt de cassation a approuvé l’Autorité ainsi que la cour d’appel de Paris en ce qu’elles ont, pour le plafond de la sanction infligée à la société Axiane, retenu le chiffre d’affaires mondial consolidé de la société Epis-Centre. Elle en déduit qu’elle n’a commis aucune erreur en retenant, au titre du plafond légal, le chiffre d’affaires de la société Axéréal, bien que celle-ci n’ait pas été mise en cause au titre des pratiques poursuivies.
653.Elle indique aussi qu’à l’inverse de ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, le Tribunal de l’Union a confirmé, dans son arrêt du 6 février 2014, AC-Treuhand/Commission (T-27/10, point 231), que « la Commission [peut] constater, dans une seule décision, deux infractions distinctes et infliger deux amendes dont le montant total dépasse le plafond de 10 % fixé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, pour autant que le montant de chaque amende ne dépasse pas ledit plafond », ce qu’a aussi décidé la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 novembre 2014 (RG n° 2013/01128, p. 61). Elle observe que ces deux arrêts montrent que la présente espèce ne constitue nullement une évolution de sa pratique décisionnelle et que l’on ne saurait considérer qu’elle a méconnu le principe du contradictoire.
***
654.Il résulte de l’article L. 464-2 I, alinéa 4, du code de commerce que, lorsque les comptes de l’entreprise sanctionnée ont été consolidés, le plafond de la sanction pécuniaire est déterminé par référence au chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé figurant dans les comptes de l’entreprise consolidante, réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en ‘uvre. Ayant constaté, d’une part, que la société Grands Moulins de Strasbourg consolidait les comptes du groupe du même nom et, d’autre part, que les comptes des sociétés Axiane et Minoteries Cantin étaient consolidés au sein de ceux du groupe Epis-Centre, l’Autorité a appliqué ces dispositions en appréciant le maximum légal des sanctions au regard du chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé figurant dans les comptes de l’entreprise consolidante, réalisé au cours de l’année 2008 pour la société Grands Moulins de Strasbourg et au cours de l’année 2009 pour les sociétés Axiane et Minoteries Cantin.
655.Sur la référence au chiffre d’affaires du groupe Axéréal pour vérifier le respect du plafond légal à l’égard des sociétés Axiane et Minoteries Cantin, la cour rappelle, en premier lieu, que, dans son ordonnance du 28 juin 2008, Italsempione ‘ Spedizioni Internazionali, (C-450/15, points 17 et 18), la Cour de justice a jugé qu’en ce qui concerne les amendes infligées aux entreprises ou aux associations d’entreprises pour infraction aux règles de concurrence de l’Union, l’article 23, paragraphe 2, du règlement n°’1/2003 prévoit des règles uniquement pour des situations dans lesquelles de telles amendes sont imposées par la Commission. Elle a, ajouté qu’aux termes de l’article 5 du même règlement, les autorités de la concurrence des États membres infligent des amendes selon leur droit national.
656.Ainsi, le calcul de la sanction doit être effectué en application des seules règles de droit national, plus précisément l’article L.’464-2 du code de commerce.
657.La référence à l’arrêt YKK e.a./Commission, précité, dans lequel la Cour de justice se borne à interpréter l’article 23, paragraphe 2, du règlement n°’1/2003, est donc dépourvue de pertinence.
658.En deuxième lieu, il résulte tant des travaux parlementaires que du libellé de l’article L.’464-2’I, alinéa 4 du code de commerce que, si la loi NRE a cherché à éviter la fraude consistant à vider l’entreprise auteure des pratiques afin de réduire le chiffre d’affaires servant de base au plafond de la sanction et s’assurer ainsi que la sanction sera faible, voire dérisoire, elle a une autre finalité, plus générale, qui est d’inciter l’Autorité à rehausser le niveau des sanctions prononcées et lui donner les moyens d’y procéder.
659.Ce second objectif, qui doit être poursuivi en dehors de toute hypothèse de fraude, est notamment atteint par le doublement du plafond (10 % du chiffre d’affaires et non plus 5 %), par la prise en compte du chiffre d’affaires mondial (et non plus national) et, en cas de consolidation des comptes, par la prise en compte du chiffre d’affaires de l’entreprise consolidante.
660.Dès lors, tant le rehaussement du plafond de 5 à 10 % que la prise en compte du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise consolidante dans le calcul du plafond légal doivent s’appliquer aussitôt que les comptes de l’entreprise auteure des pratiques anticoncurrentielles sont consolidés.
661.En troisième lieu, il résulte de la dernière phrase de l’article L.’464-2 I, alinéa 4, du code de commerce que, lorsque les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte pour le calcul du plafond légal est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante.
662.Il se déduit de ce qui précède que la prise en compte du chiffre d’affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante n’est pas subordonnée au constat que cette dernière a exercé une influence déterminante sur le comportement de l’entreprise sanctionnée. Le plafond légal sera donc calculé par rapport à ce chiffre d’affaires, même lorsque l’entreprise sanctionnée a agi de façon autonome et que la pratique n’a donc pas été imputée à sa société mère ni, a fortiori, à la société faîtière du groupe auquel elle appartient.
663.Par ailleurs, la prise en compte du chiffre d’affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante n’est pas davantage subordonnée, par l’article L.’464-2 I, alinéa 4, du code de commerce, au constat préalable que l’appartenance de l’entreprise sanctionnée à un groupe a joué un rôle dans la mise en ‘uvre des pratiques anticoncurrentielles ou est de nature à influer sur l’appréciation de leur gravité, de sorte que ledit chiffre d’affaires doit servir de base au calcul du plafond légal, que la sanction ait ou non été majorée en raison de l’appartenance de l’entreprise sanctionnée à un groupe.
664.En outre, ladite disposition n’exige pas que l’entreprise sanctionnée ait été, au moment des pratiques anticoncurrentielles, filiale de l’entreprise consolidante ou combinante, seul important le fait que ses comptes ont été consolidés ou combinés au titre de l’exercice au cours duquel a été réalisé le chiffre d’affaires retenu pour le calcul du plafond légal.
665.En dernier lieu, dans sa décision n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015 (considérants 9 à 22), le Conseil constitutionnel a dit que les deuxième et troisième phrases de l’alinéa 4 de l’article L.’464-2 I du code de commerce ne méconnaissent ni les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ni le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait, ni le principe d’individualisation des peines.
666.Il convient, notamment, de souligner que le Conseil constitutionnel a statué en ce sens alors même que l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité faisait valoir devant lui que, « dans la mesure où [l]es dispositions [de l’article L.’464-2 I du code de commerce] permettent de prendre en considération le chiffre d’affaires consolidé d’un groupe alors même qu’il est étranger à l’infraction commise par l’entreprise, soit qu’aucune autre entreprise de ce groupe n’a contribué à l’infraction, soit que l’entreprise ayant commis l’infraction a intégré le groupe postérieurement à la commission de celle-ci, elles méconnaîtraient également les principes d’individualisation et de personnalité des peines’» (décision n° 2015-489 QPC, considérant 11).
667.Ainsi, aucun principe ne s’oppose à ce que concernant les sociétés Axiane et Minoteries Cantin, le maximum légal soit calculé par référence au chiffre d’affaires mondial consolidé hors taxe du groupe Axéréal.
668.S’agissant de la possibilité pour l’Autorité de vérifier le respect du plafond légal au regard de chaque sanction prononcée et non de leur cumul, lorsque l’Autorité constate la commission de plusieurs infractions au droit de la concurrence, il lui est loisible, dans le cadre de ses pouvoirs de police économique, de décider soit de prononcer une sanction unique pour l’ensemble des infractions connexes, soit plusieurs sanctions, à raison d’une par griefs, qui se cumulent. En l’espèce, l’Autorité a à la fois prononcé une sanction pour les pratiques d’entente liées au pacte de non-agression franco-allemand (grief n° 1) et une sanction unique pour les pratiques nouées autour des sociétés communes France Farine et Bach Mühle (griefs nos 2 et 3), qui ont été regroupées en raison de leur connexité.
669.Le plafond légal fixé par les dispositions de l’article L. 464-2 I alinéa 4 du code de commerce s’applique pour chaque infraction commise, la sanction prononcée pour chaque infraction pouvant atteindre, mais non dépasser, le plafond légal. En conséquence, lorsque l’Autorité constate et sanctionne plusieurs infractions, aucune disposition de cet article ne permet de considérer que le montant cumulé des sanctions prononcées dans une même décision ne devrait pas dépasser le plafond légal.
670.En procédant comme elle a fait, l’Autorité n’a donc pas adopté de méthodologie différente de celle prévue par la loi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Axiane et Minoteries Cantin.
671.En outre, si les deux séries de comportements sanctionnés au titre du grief n° 1, d’une part, et des griefs nos 2 et 3, d’autre part, concernaient la distribution de la farine en sachets à la grande et moyenne distribution, elles étaient toutefois différentes dans leur mode de mise en ‘uvre, en ce qui concerne les acteurs concernés, ainsi que dans leurs objectifs, de sorte que c’est à juste titre et sans adopter une analyse spécifiquement défavorable aux entreprises, que l’Autorité a décidé de ne pas prononcer de sanction unique pour l’ensemble de ces pratiques.
672.Les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l’analyse ainsi suivie par l’Autorité aurait violé le principe de sécurité juridique ou le principe du contradictoire, dès lors qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, aucune disposition ne prévoit que le plafond légal s’applique à l’ensemble des infractions sanctionnées par une même décision, de sorte que rien ne pouvait conduire les requérantes à penser que ce plafond s’appliquerait de façon globale.
673.C’est aussi à tort que le ministre chargé de l’économie invoque l’article 132-3 du code pénal. En effet, cet article n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre spécifique des sanctions administratives prononcées par l’Autorité. Il en est de même de la décision du Conseil constitutionnel n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, qui concerne le cumul de sanctions pénale et administrative pour un même fait, encouru en cas de manquement d’initié.
674.S’agissant du caractère disproportionné des sanctions, invoqué par les requérantes, la cour relève que l’importance du cumul des sanctions est dû à la longue durée de l’infraction nouée autour de la société France Farine, soit 46 ans pour les société Axiane et 45 ans et 7 mois pour la société Grands Moulins de Strasbourg. Cette durée exceptionnelle justifie le caractère élevé des sanctions prononcées, qui sont proportionnées à cette situation particulière.
675.Il s’ensuit que les moyens sont rejetés.
6. Sur les difficultés financières invoquées par les requérantes
676.Aux termes du point 47 du communiqué sanctions, « [a]fin d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, l’Autorité peut ensuite adapter, à la baisse ou à la hausse, le montant de base en considération d’autres éléments objectifs propres à la situation de l’entreprise ou de l’organisme concerné ». Le point 48 du même communiqué indique que peut être retenu à ce titre le fait que « l’entreprise ou l’organisme concerné rencontre des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive ».
677.L’Autorité a, dans la décision attaquée, examiné les demandes de six entreprises qui ont allégué l’existence de difficultés financières particulières affectant leur capacité contributive (décision attaquée, § 941). Elle a considéré que, parmi ces entreprises, seule la société Grands Moulins de Strasbourg avait rapporté des « preuves fiables, complètes et objectives attestant de l’existence de difficultés financières réelles et actuelles affectant sa capacité à s’acquitter des sanctions »’envisagées contre elles, dont elle a, en conséquence, réduit le montant (décision attaquée, § 956).
678.Toutes les requérantes invoquent à nouveau devant la cour les difficultés financières qu’elles rencontrent et les risques que fait peser le paiement de la sanction sur leur survie.
a. Précisions liminaires
‘. Sur la mise en liquidation judiciaire de la société Grands Moulins de Strasbourg
679.Par une note en délibéré déposée au greffe le 12 novembre 2018, la société Grands Moulins de Strasbourg a informé la cour que, par jugement du 3 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Strasbourg avait constaté qu’elle était, ainsi que la société GMS Meunerie, en état de cessation des paiements et que toutes deux avaient été placées en redressement judiciaire. Elle a demandé à la cour d’ordonner la réouverture des débats aux fins de mettre en cause les organes de la procédure collective afin qu’ils puissent exposer la gravité de la situation et, à titre subsidiaire, que cette situation soit prise en compte dans l’appréciation de sa capacité contributive pour s’acquitter de l’amende prononcée par l’Autorité.
680.Cependant, le prononcé de ce jugement étant intervenu pendant le délibéré de la cour, postérieurement à la clôture des débats, il n’y a pas lieu de mettre à ce stade en cause les organes de la procédure collective ouverte à l’égard de la société Grands Moulins de Strasbourg. Par ailleurs, la cour statuera sur les éléments produits avant l’audience par la société Grands Moulins de Strasbourg pour démontrer ses difficultés financières, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une réouverture des débats.
‘. Sur les éléments à prendre en compte
681.Dans ses observations devant la cour, l’Autorité rappelle que la capacité contributive d’une entreprise doit s’apprécier selon la méthode précise et spécifique prévue par son communiqué sanctions, dont elle a fait application dans la décision attaquée, et qu’à cet égard, d’éventuelles difficultés, qui se manifesteraient, notamment, par des résultats faibles ou négatifs, ne sont pas suffisants à démontrer que cette capacité était affectée, seule l’absence de trésorerie disponible pouvant la conduire à réduire le montant de la sanction envisagée.
682.Le ministre chargé de l’économie fait valoir, sans prendre parti sur la capacité contributive des entreprises en cause, que «’le paiement des sanctions ne doit pas obérer la capacité financière des sociétés en cause à développer et à promouvoir efficacement l’émergence de marques nationales concurrentes (…)’» et que les circonstances très particulières entourant la création et le fonctionnement des structures communes de commercialisation justifient de ne prononcer que des sanctions symboliques au titre des pratiques visées par les griefs nos 2 et 3.
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683.La cour rappelle que, ainsi que l’énonce le communiqué sanctions dans ses dispositions précitées, il appartient à l’entreprise de justifier l’existence de ses difficultés contributives en s’appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive. Dans le cadre d’un recours, la cour doit examiner la situation des entreprises à la date où elle statue.
684.Par ailleurs, comme le relève l’Autorité dans ses observations, de faibles résultats, voire des résultats déficitaires, ne suffisent pas à eux seuls pour caractériser une insuffisance de capacité contributive justifiant une réduction de la sanction prononcée. C’est la situation économique et financière dans son ensemble qu’il convient d’apprécier pour déterminer la capacité contributive de la société sanctionnée, le cas échéant du groupe auquel elle appartient, par l’analyse des comptes sociaux, le cas échéant des comptes consolidés, bilan, compte de résultat et annexes, permettant de déterminer tant l’existence d’un bénéfice courant avant impôts, que d’actifs mobilisables ou d’une capacité d’endettement envisageable pour le paiement de la sanction prononcée.
b. Sur la capacité contributive de la société Grands Moulins de Strasbourg
685.Au paragraphe 955 de la décision attaquée, l’Autorité a, compte tenu de l’existence de difficultés financières réelles et actuelles affectant la capacité de la société Grands Moulins de Strasbourg à s’acquitter des deux sanctions qu’elle envisageait de lui imposer, fixé leur montant à 9 890 000 euros au titre du grief n° 1 et 18 930 000 euros au titre des griefs nos 2 et 3.
686.La société Grands Moulins de Strasbourg soutient que la réduction de l’ordre de 15 % consentie par l’Autorité est très insuffisante au regard de l’ampleur de ses difficultés. Elle rappelle qu’au demeurant, le ministre de l’économie a accepté de reporter l’exigibilité de cette sanction à l’issue du recours formé contre la décision de l’Autorité et affirme que, si la cour devait rejeter celui-ci, l’obligation de payer la sanction pécuniaire d’un montant de près de 19 millions d’euros la placerait en situation de cessation des paiements, entraînant l’ouverture d’une procédure collective d’insolvabilité et la disparition d’un des concurrents sur le marché. Elle indique qu’elle s’est trouvée dans l’incapacité de régler la sanction de 9 980 000 euros prononcée au titre du grief n° 1 et qu’elle s’en est finalement acquittée en vendant son siège social. Elle demande en conséquence à la cour de réduire la sanction prononcée contre elle à un montant symbolique, « de nature à permettre sa survie ».
687.L’Autorité considère que les nouveaux éléments apportés par la société Grands Moulins de Strasbourg concernent, pour l’essentiel, le niveau d’endettement de son groupe, mais ne fournissent pas d’indication sur sa trésorerie disponible. Elle ajoute qu’ils sont, en outre, difficiles à vérifier, en raison de ce que la société ne dépose pas ses comptes sociaux depuis plusieurs années, ainsi que l’indique le site public Infogreffe.
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688.Il ressort de l’examen des comptes produits par la société Grands Moulins de Strasbourg ainsi que des pièces qu’elle a produites qu’à la suite du prononcé de la décision attaquée, elle ne disposait pas d’une trésorerie suffisante pour régler la sanction prononcée au titre du grief n° 1, et qu’elle se trouve dans une situation critique, caractérisée notamment par l’obligation pour elle de rembourser les dernières tranches, d’un montant de plus de dix millions d’euros, d’un crédit syndiqué qui lui avait été accordé, alors qu’elle ne dispose que de faibles actifs mobilisables (pièce n° 22). Ces constatations, auxquelles s’ajoute sa faible trésorerie au 30 juin 2017 (4 millions d’euros), établissent que la capacité contributive de cette société ne lui permet pas de régler la totalité de la sanction pécuniaire prononcée contre elle au titre des griefs nos 2 et 3. Compte tenu de l’existence à l’actif de quelques actifs mobilisables notamment sous forme de participations qui s’élèvent à un total d’environ 6 millions d’euros, le montant de la sanction sera ramené à la somme de 2 millions d’euros.
c. Sur la capacité contributive de la société Minoteries Cantin
689.La société Minoteries Cantin soutient que la sanction prononcée contre elle au titre des griefs nos 2 et 3, d’un montant de 23 622 000 euros, est disproportionnée au regard de sa situation économique et financière, qui, depuis la décision attaquée, s’est détériorée d’une façon « particulièrement préoccupante ». Elle fait valoir que sa capacité contributive doit, conformément à la jurisprudence, être appréciée à la date à laquelle la cour statue et, à cette fin, elle produit des pièces confidentielles n° 41 et 41 bis, intitulées, respectivement, « Développements relatifs à la capacité contributive de Minoteries Cantin’» et « Développements relatifs à la capacité contributive de Minoteries Cantin mis à jour au 13 décembre 2017 » comprenant 17 annexes numérotées 41-A à 41-G. Ces pièces démontrent, selon la requérante, qu’elle est aujourd’hui dans l’impossibilité de payer la sanction prononcée contre elle et qu’en particulier, sa trésorerie disponible est « sans commune mesure » avec le montant de cette sanction.
690.Elle précise, par ailleurs, que le fait qu’elle appartient à un groupe de sociétés n’est pas de nature à remettre en cause ce constat et que sa propre capacité contributive doit être seule appréciée, à l’exclusion de celle des autres sociétés de ce groupe, lesquelles ont été mises hors de cause. Elle souligne qu’au demeurant, l’apport, par une autre société du groupe, des fonds nécessaires au paiement de la sanction serait contraire à l’intérêt propre de cette société et pourrait entraîner la mise en jeu de la responsabilité de ses dirigeants. Elle conclut que, dans ces conditions, elle n’est pas en mesure de faire supporter par d’autres sociétés du groupe auquel elle appartient le paiement de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée. La société Minoteries Cantin demande en conséquence à la cour de réduire très significativement le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée.
691.Dans ses observations, l’Autorité indique qu’elle n’a pas reçu communication des pièces confidentielles dont la société Minoteries Cantin fait état et qu’elle ne peut, en conséquence, apprécier la réalité des difficultés financières alléguées.
692.Elle a admis par courrier électronique du 12 octobre 2017 adressé au conseil des sociétés Axiane et Minoteries Cantin ainsi qu’à la cour, avoir bien été destinataire de la pièce n° 41 versée aux débats (pièce Minoteries Cantin n° 50), mais n’a pas formulé davantage d’observations.
***
693.Il ressort de l’examen des pièces produites devant la cour que, depuis le 1er juillet 2015, la société Minoteries Cantin a mis en location-gérance auprès de la société Axiane Meunerie les fonds de commerce de meunerie qu’elle exploitait jusqu’alors (pièce n° 41 J, annexe au rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels clos au 30 juin 2016 de la société Minoterie Cantin, point 1.1.1). Cette mise en location-gérance ayant entraîné un transfert d’activité est la cause de la diminution substantielle du chiffre d’affaires de la société Minoteries Cantin, qui ne perçoit plus que des redevances, ce chiffre d’affaires étant passé de 1 408 980 euros, pour l’exercice clos au 30 juin 2015, à 797 827 euros, pour l’exercice clos au 30 juin 2016.
694.Il apparaît, par ailleurs, que, si le résultat net de la société est de l’ordre 400 000 euros pour les exercices clos aux 30 juin 2016 et 30 juin 2017 (pièce n° 41-Q, p. 15), son locataire-gérant, la société Axiane Meunerie, affiche un résultat déficitaire de 5 100 000 euros au 30 juin 2016 et de 7 100 000 euros au 30 juin 2017 (pièce n° 41-Q, p. 14) et supporte, du fait de cette exploitation déficitaire, des pertes cumulées de 12 200 000 euros sur deux ans.
695.Par ailleurs, le bilan de la société Minoteries Cantin fait apparaître des capitaux propres de l’ordre de 11 000 000 euros, supérieurs au capital social, et un endettement en proportion modérée, puisqu’il est de 3 000 000 euros.
696.Au vu de ces éléments, le montant de la sanction pécuniaire prononcée contre la société Minoteries Cantin apparaît disproportionné par rapport à sa capacité financière, puisqu’il est très supérieur à ses fonds propres, qui sont de l’ordre de 11 000 000 euros, et sans commune mesure avec son résultat annuel d’environ 400 000 euros.
697.La cour relève, par ailleurs, que l’Autorité ne soutient pas que la société Minoterie Cantin pourrait mobiliser les fonds nécessaires au paiement de la sanction auprès des sociétés de son groupe, ni comment elle pourrait le faire. Il ressort en tout état de cause des éléments produits par cette société que le groupe Axéréal, auquel elle appartient, a, durant l’exercice 2017, subi un résultat déficitaire de 18 600 000 euros pour un chiffre d’affaires consolidé de 2 300 000 000 euros (pièce n° 41-Q, p. 21) et que son endettement d’un montant de 1 146 000 000 euros était très supérieur à ses capitaux propres de 710 000 000 euros (pièce n° 41-Q, p. 22).
698.Ces constatations ne permettent donc pas de considérer que la société Minoteries Cantin aurait la possibilité de mobiliser auprès des sociétés du groupe auquel elle appartient, en particulier la filiale devenue locataire-gérante de son fonds de commerce de meunerie, les sommes lui permettant le paiement de la sanction excédant sa propre capacité contributive.
699.Néanmoins, l’actif de la société Minoteries Cantin comporte 7 millions d’euros de créances qui pourraient être partiellement mobilisées pour le paiement de la sanction prononcée. Il existe en particulier parmi ces créances un poste de 6,706 millions d’euros représentant des créances à l’égard du groupe et des associés qui pourraient être mobilisées pour le paiement de la sanction.
700.Il convient donc, compte tenu de la capacité contributive limitée de la société Minoteries Cantin, de ramener la sanction prononcée contre elle à un montant qui ne saurait excéder ses fonds propres, et qui sera fixé, afin de ne pas compromettre la continuation de la société, au montant de 8 000 000 euros.
d. Sur la capacité contributive de la société Axiane
701.La société Axiane reproche d’abord à l’Autorité d’avoir ignoré les difficultés dont elle avait fait état devant elle, relatives, notamment, à son niveau d’endettement et à ses résultats financiers, et de lui avoir ainsi infligé, au titre des griefs nos 2 et 3, une sanction pécuniaire d’un montant de 44 032 000 euros, qu’elle juge disproportionné par rapport à la situation économique et financière qui était alors la sienne. Elle fait ensuite valoir que sa capacité contributive doit, conformément à la jurisprudence, être appréciée à la date à laquelle la cour statue et qu’elle s’est détériorée postérieurement à la décision attaquée, d’une façon particulièrement critique. À l’appui de cette dernière allégation, elle produit une pièce confidentielle n° 41, intitulée « Développements relatifs à la capacité contributive d’Axiane Participations » et comprenant dix-huit annexes numérotées 41-A à 41-R, qui démontre, selon elle, qu’elle ne dispose d’aucune trésorerie disponible ni de possibilités d’emprunt ou d’actifs liquides qu’elle pourrait réaliser sans mettre en péril la continuité de son exploitation. Elle en conclut qu’elle n’est plus en mesure de payer la sanction prononcée contre elle, sauf à se trouver en état de cessation des paiements, et rappelle qu’il lui a été infligé, au titre du grief n° 1, une sanction de 19 927 000 euros, qu’elle n’a réglée qu’en partie à hauteur de 12 079 812 euros, et qu’elle a dû acquitter une quote-part de la sanction prononcée contre la société France Farine dont elle était actionnaire.
702.Elle précise, par ailleurs, que le fait qu’elle appartient à un groupe de sociétés n’est pas de nature à remettre en cause ce constat et que sa propre capacité contributive doit être seule appréciée, à l’exclusion de celle des autres sociétés de ce groupe, lesquelles ont été mises hors de cause. Elle souligne qu’au demeurant, l’apport, par une autre société du groupe, des fonds nécessaires au paiement de la sanction serait contraire à l’intérêt de cette société et pourrait entraîner la mise en jeu de la responsabilité de ses dirigeants. La société Axiane demande, en conséquence, à la cour de réduire très significativement le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée. À cet égard, elle rappelle que l’Autorité, dans sa décision n° 15-D-04 du 26 mars 2015 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de la boulangerie artisanale, lui a infligé une sanction de 300 000 euros dont elle a fixé le montant en considération de sa très faible capacité contributive.
703.Dans ses observations, l’Autorité indique qu’elle n’a pas reçu communication des pièces confidentielles dont la société Axiane fait état et qu’elle ne peut, en conséquence, apprécier la réalité des difficultés financières alléguées.
704.Elle a admis par courrier électronique du 12 octobre 2017, adressé au conseil des sociétés Axiane et Minoteries Cantin ainsi qu’à la cour, avoir bien été destinataire de la pièce n° 41 versée aux débats (pièce Minoteries Axiane n° 50), mais n’a pas formulé davantage d’observations.
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705.Il ressort de l’examen des pièces produites devant la cour que, le 1er juillet 2015, la société Axiane a mis en location-gérance auprès de la société Axiane Meunerie les fonds de commerce de meunerie qu’elle exploitait jusqu’alors (pièce n° 41 J, annexe 1.1.1 ‘ annexe au rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels clos au 30 juin 2016 de la société Axiane). Cette mise en location-gérance ayant entraîné un transfert d’activité est la cause de la diminution substantielle du chiffre d’affaires de la société Axiane, qui ne perçoit plus que des redevances, ce chiffre d’affaires étant passé de 170 481 547, durant l’exercice clos au 30 juin 2015, à 16 383 477 euros, durant l’exercice clos au 30 juin 2016, soit une baisse de l’ordre de 90 %.
706.Cette mise en location-gérance n’a pas enrayé le déficit systématique, depuis 2011, du résultat courant avant impôts de la société Axiane, qui s’est élevé à 13 000 000 euros, 16 000 000 euros, 2 500 000 euros, 4 800 000 euros, 6 300 000 euros et 800 000 euros pour les exercices clos du 30 juin 2011 au 30 juin 2016 (pièces Axiane, n° 41 E à 41 J). Au demeurant, comme la cour l’a relevé plus haut, l’exploitation de la société Axiane Meunerie, locataire-gérant de la société Axiane Participations, est déficitaire, son résultat net ressortant déficitaire de 5’100 000 euros au 30’juin’2016 et de 7’100’000 euros au 30 juin 2017 (pièce Minoteries Cantin n° 41 Q, p. 14 ‘ analyse de la situation financière de la Branche Meunerie du Groupe Axéréal, d’Axiane et du Groupe Axéréal au 30 juin 2016 et au 30 juin 2017).
707.Enfin, le bilan de la société Axiane fait apparaître des capitaux propres négatifs de 9 191 000 euros, un endettement particulièrement élevé, de faibles disponibilités s’élevant à 155 970 euros, ainsi que quelques éléments mobilisables pour le paiement de la sanction prononcée, comme des prêts pour 6 551 000 euros, des créances clients de 2 745 000 euros et d’autres créances pour 1 829 000 euros.
708.Il résulte de ces constatations que la capacité contributive actuelle de la société Axiane ne lui permet pas d’acquitter l’intégralité de la sanction de 44 032 000 euros prononcée par l’Autorité.
709.La cour relève, par ailleurs, que l’Autorité ne soutient pas que la société Axiane pourrait mobiliser les fonds nécessaires au paiement de la sanction auprès des sociétés de son groupe ni ne précise comment elle pourrait le faire. Il ressort, en tout état de cause, des éléments produits par cette société que le groupe Axéréal auquel elle appartient a, durant l’exercice 2017, subi un résultat déficitaire de 18 600 000 euros pour un chiffre d’affaires consolidé de 2 300 000 000 euros (pièce n° 41-Q, p. 21) et que son endettement d’un montant de 1 146 000 000 euros était très supérieur à ses capitaux propres de 710 000 000 euros (pièce n° 41-Q, p. 22).Ces constatations ne permettent donc pas de considérer que la société Axiane aurait la possibilité de mobiliser auprès des sociétés du groupe auquel elle appartient, en particulier la filiale devenue locataire-gérante de son fonds de commerce de meunerie, les sommes lui permettant le paiement de la sanction excédant sa propre capacité contributive.
710.Il convient donc, compte tenu de la capacité contributive limitée de la société Axiane, telle qu’elle a été décrite plus haut, de ramener la sanction prononcée contre elle au montant de 4 000 000 euros.
e. Sur la capacité contributive de la société Grands Moulins de Paris et de sa société mère la société Nutrixo
711.La société Grands Moulins de Paris ayant invoqué devant elle des difficultés financières particulières limitant sa capacité contributive, l’Autorité a considéré que les éléments financiers et comptables qu’elle avait communiqués à cet égard ne constituaient pas « des preuves fiables et complètes » lui permettant d’analyser les difficultés alléguées et elle a décidé, en conséquence, de ne pas réduire le montant des sanctions qu’elle lui a infligées (décision attaquée, § 957-959).
712.Devant la cour, la société Grands Moulins de Paris fait valoir qu’elle doit supporter le paiement, d’une part, des sanctions prononcées à son encontre, d’un montant total de 36 439 000 euros, dont 10 392 000 euros solidairement avec la société Nutrixo, mais aussi de celles infligées à la société Euromill Nord qu’elle a absorbée depuis la décision attaquée, et qui s’élèvent à un montant total de 35 205 000 euros, dont 14 435 000 euros solidairement avec la société Nutrixo. Elle soutient qu’elle n’en pas la capacité financière.
713.S’agissant des sanctions pécuniaires prononcées contre elle, elle souligne qu’à la date de la décision attaquée, leur montant total était supérieur à ses capitaux propres, qu’il représentait 350 % de son chiffre d’affaires généré en 2011 par ses ventes de farine en sachets et 745 % de son résultat net d’exploitation de l’année 2011.
714.S’agissant des sanctions pécuniaires prononcées contre la société Euromill Nord qu’elle a absorbée, elle fait valoir qu’à la date de la décision attaquée, leur montant total était supérieur à l’actif immobilisé de cette société et à ses capitaux propres et qu’il représentait 27 fois sa capacité d’autofinancement, 23 fois son résultat d’exploitation et 39 fois son résultat net.
715.Elle fait valoir, par ailleurs, que cette situation a conduit le Trésor public à accorder au groupe Nutrixo, auquel elle appartient, un échelonnement du paiement des sommes dues au titre du grief n° 1 et, dans l’attente de l’arrêt de la cour, une suspension du paiement des sommes dues au titre des griefs nos 2 et 3. Elle expose qu’à la suite de l’arrêt rendu en 2016 par la Cour de cassation, le Trésor public a, de nouveau, accordé un échéancier de paiement, de sorte qu’à ce jour, elle n’a réglé que 0,6 % du montant total des sanctions prononcées. Elle rappelle avoir communiqué devant la cour plusieurs documents (liasse fiscale, tableau de la situation de l’actif réalisable et du passif exigible, données consolidées au niveau du groupe) qui actualisent les données déjà produites devant l’Autorité et établissent qu’elle est dans l’impossibilité de payer les sanctions qui lui ont été infligées.
716.La société Nutrixo rappelle que les différentes sanctions pécuniaires qui lui ont été infligées en sa qualité de société mère des sociétés en cause s’élèvent à un montant total de 24 922 000 euros ‘ il convient de lire 24 827 000 euros. Elle juge ces sanctions disproportionnées et déconnectées de toute réalité économique et soutient que leur paiement mettrait en péril la continuité de son exploitation et celle de ses filiales. Elle demande, en conséquence, à la cour d’en réduire significativement le montant.
717.Elle rappelle, en premier lieu, qu’ayant saisi à cette fin le président du tribunal de commerce de Créteil, celui-ci a désigné un mandataire ad hoc chargé, notamment, de l’assister dans la négociation avec le Trésor public d’un sursis au règlement des amendes dont elle était redevable. Elle fait valoir qu’à l’issue de cette négociation, la direction départementale des finances publiques lui a accordé une suspension de l’exigibilité des sanctions pécuniaires, en notant qu’il lui était impossible de les payer « sauf à constater l’état de cessation des paiements » (pièce n° 19 de la société Grands Moulins de Paris ‘ courrier de la direction départementale des finances publiques du Val-de-Marne du 11 juillet 2012). Elle ajoute qu’à la suite de l’arrêt de cassation, la direction des créances spéciales du Trésor a accepté de mettre en place un échéancier provisoire, prévoyant quatre paiements de 100 000 euros chacun en 2017 et 2018, et lui a expressément indiqué qu’elle prenait en considération « la situation financière du groupe Nutrixo au regard de son endettement (‘) et l’impact du montant de la sanction sur ses grands équilibres financiers » ainsi que « le caractère limité des capacités de financement mobilisables à court terme sur les lignes bancaires, compte tenu du besoin de financement quotidien de l’exploitation du groupe » (pièce n° 6 de la société Grands Moulins de Paris ‘ courrier de la Direction des créances spéciales du Trésor du 8 février 2017). Elle souligne qu’il en résulte qu’à ce jour, le groupe Nutrixo n’a payé que 400 000 euros, soit 0,6 % du montant total des sanctions infligées par l’Autorité.
718.En second lieu, la société Nutrixo expose qu’afin d’actualiser l’information de la cour, elle a produit des attestations de ses dirigeants et commissaires aux comptes et ses liasses fiscales, lesquelles démontrent la fragilité financière de son groupe et son incapacité à payer les sanctions prononcées à son encontre. Déplorant que l’Autorité n’ait pas commenté ces éléments de preuve, et renvoyant pour le surplus au mémoire déposé par la société Grands Moulins de Paris, elle fait valoir, en particulier, qu’il ressort d’une attestation de son directeur général que, s’agissant de l’exercice clos au 30 juin 2017, le résultat net consolidé de son groupe n’a pas excédé 6 500 000 euros, montant qu’elle juge modeste au regard de l’endettement consolidé qui s’élève à 420 700 000 euros, et que l’actif réalisable à un an, comprenant la trésorerie disponible, est de 277 400 000 euros, soit moins de la moitié du passif exigible qui s’élève à 580 300 000 euros.
719.L’Autorité rappelle, d’une façon générale, que seule «’l’absence de trésorerie disponible’» peut éventuellement conduire à réduire la sanction et considère, au cas d’espèce, qu’«’au-delà de quelques échanges entre sa société mère Nutrixo et les services du Trésor public’», la société Grands Moulins de Paris ne fournit devant la cour aucun élément supplémentaire qui démontrerait son incapacité à régler la sanction pécuniaire qui lui a été infligée.
***
720.La cour relève au préalable qu’il n’est pas contesté que la société Grands Moulins de Paris ayant absorbé la société Euromill Nord est redevable des sanctions infligées à celle-ci, par l’effet de la transmission universelle de patrimoine qui a résulté de cette opération. Il convient donc d’apprécier sa capacité contributive au regard, non seulement des sanctions prononcées contre elle (11 834 000 euros au titre du grief n° 1 et 24 605 000 euros -au titre des griefs nos 2 et 3), mais aussi de celles prononcées contre la société Euromill Nord (35 205 000 euros au titre des griefs nos 2 et 3), soit un montant total de 71 644 000 euros. Ce montant total est toutefois réduit à 60 144 000 euros, en raison de la réduction à la somme de 334 000 euros de la sanction relative au grief n° 1 décidée au paragraphe 432 du présent arrêt.
721.La cour constate, par ailleurs, que les sanctions relatives aux griefs nos 2 et 3, frappant tant la société Grands Moulins de Paris que la société Euromill Nord, ont été prononcées solidairement contre leur société mère, la société Nutrixo, pour un montant total de 24 827 000 euros, dont 14 435 000 correspondant à la sanction infligée à la société Euromill Nord et 10 392 000 correspondant aux sanctions infligées à la société Grands Moulins de Paris.
722.En ce qui concerne la société Grands Moulins de Paris, il ressort des éléments qu’elle a produits devant la cour, lesquels ne sont pas contestés, qu’elle a réalisé durant l’exercice clos au 30 juin 2017 un chiffre d’affaires de 486 millions d’euros et un bénéfice légèrement inférieur à 2 millions d’euros (1 939 974 euros), malgré un résultat exceptionnel déficitaire de 4 658 899 euros (annexe 18-4 du mémoire récapitulatif du 14 décembre 2017 ‘ liasse fiscale de l’exercice clos le 30 juin 2017). Il apparaît, par ailleurs, que l’endettement de la société est conséquent, puisqu’il s’élève à plus de 156 millions d’euros (annexe 18-5) et représente ainsi plus du triple des fonds propres, d’un montant de 40 millions d’euros.
723.Il résulte de ces constatations que la société Grands Moulins de Paris ne dispose que d’une capacité contributive limitée, qui ne la met pas en mesure de régler le montant total des sanctions prononcées contre elle et contre la société Euromill Nord qu’elle a absorbée.
724.Toutefois, le montant du passif doit être relativisé dans la mesure où une partie importante de celui-ci correspond à de l’endettement à l’égard du groupe ou des associés, et non à des dettes financières, comme le montre le poste « Groupe et associés » de l’état des échéances des créances et des dettes à la clôture de l’exercice, auquel est inscrit un endettement de plus de 58 millions d’euros (annexe 18-4, liasse fiscale, n°8). Par ailleurs, l’actif comporte des éléments mobilisables, à savoir notamment, des créances clients recouvrables de 46 millions d’euros (Annexe 8 de la liasse fiscale) ainsi que des prêts et immobilisation financières d’un montant de 11,6 millions d’euros (Annexe 5 de la liasse fiscale). Si l’intégralité de ces éléments d’actif ne peut être mobilisé pour le paiement de la sanction sans mettre en péril la continuité d’exploitation de la société Grands Moulins de Paris, une partie pourrait l’être sans mettre cette dernière en danger.
725.Ainsi qu’il sera précisé au paragraphe 734 ci-dessous, les éléments du dossier ne permettent pas de constater que la société Grands Moulins de Paris pourrait mobiliser auprès du groupe auquel elle appartient les sommes lui permettant de payer la somme de 34 983 000 euros correspondant à la part des sanctions prononcées contre elle, qui n’est pas couverte par la condamnation solidaire prononcée à l’égard de sa société mère.
726.Au regard de l’ensemble de ces éléments, la sanction prononcée à la seule charge de la société Grands Moulins de Paris doit être réduite à la somme de 6 000 000 euros et celle prononcée à la charge de la société Euromill Nord, seule, aux droits de laquelle vient la société Grands Moulins de Paris, doit être réduite à la somme de 3 000 000 euros.
727.S’agissant de la partie pour laquelle la société Nutrixo a été sanctionnée solidairement avec les sociétés Grands Moulins de Paris et Euromill Nord, la cour rappelle que la société Nutrixo est tenue pour le tout, notamment, dans l’hypothèse où sa filiale ne serait pas en situation de payer la sanction et que l’appréciation de la capacité contributive de ces deux sociétés ne préjuge pas de la répartition entre elles de la charge finale de cette sanction.
728.Les pièces produites par la société Nutrixo, qui ne sont pas contestées par l’Autorité, permettent de constater pour l’exercice clos au 30 juin 2017, un chiffre d’affaires consolidé de plus de 1 milliard d’euros et un résultat consolidé comparativement modeste puisqu’il s’élève à près de 6,5 millions d’euros après prise en compte d’un déficit financier d’environ 9,5 millions d’euros. S’agissant de son bilan consolidé, l’endettement financier du groupe s’élève à 420 millions d’euros, soit près de trois fois les capitaux propres, d’un montant de près de 145 millions d’euros.
729.D’après l’attestation émise par le directeur général de la société Nutrixo concernant la situation au 30 juin 2017, l’actif réalisable s’élèverait à 277 millions d’euros et le passif exigible à un an s’élèverait à 580 millions d’euros (pièce Nutrixo n° 10, annexe C).
730.Cependant, l’importance du passif doit être relativisée, dans la mesure où plus de la moitié de celui-ci est constitué de dettes à l’égard du groupe ou des associés, comme le montre le poste « P455 Groupe & Associés – Compte courants passif » figurant sur l’état des dettes après consolidation définitive (pièce Nutrixo n° 10, annexe B.1), pour lequel est inscrit un montant de 346,5 millions d’euros, ainsi que le poste « Comptes courants actionnaires » figurant sur l’attestation établie par le directeur général de la société Nutrixo, pour lequel est inscrit un montant de 322 millions d’euros (pièce Nutrixo n° 10, annexe C).
731.En outre, les comptes d’actifs figurant sur la liasse fiscale font ressortir des éléments mobilisables pour un montant largement supérieur à celui de 25 millions d’euros auquel la société Nutrixo est tenue solidairement, à savoir des immobilisations financières d’un montant net de 4,242 millions d’euros, des créances d’exploitation d’un montant net de 184,290 millions d’euros et des valeurs mobilières de placement ainsi que des disponibilités valorisées à 86,472 millions d’euros.
732.Il s’ensuit que la société Nutrixo dispose d’une capacité contributive lui permettant de s’acquitter de la totalité des sanctions pécuniaires prononcées à son encontre solidairement avec les sociétés Grands Moulins de Paris et Euromill Nord.
733.Il n’y a dès lors pas lieu à réduction des sanctions prononcées solidairement à l’encontre des sociétés Nutrixo et Grands Moulins de Paris, d’une part, Nutrixo et Euromill Nord d’autre part, soit, respectivement, 10 392 000 euros et 14 435 000 euros.
734.En revanche, les éléments du dossier, en particulier, l’importance de l’endettement du groupe Nutrixo, ne permettent pas de considérer que la société Grands Moulins de Paris pourrait mobiliser auprès de lui les fonds nécessaires au paiement du montant des sanctions prononcées contre elle et contre la société Euromill Nord sans solidarité avec la société Nutrixo, ce qui, en tout état de cause, n’a pas été soutenu par l’Autorité.
IV. SUR LES AUTRES DEMANDES
A. Sur les demandes de publication de l’arrêt
735.Les sociétés Axiane, Minoteries Cantin et Grands Moulins de Strasbourg demandent à la cour d’ordonner la publication d’un résumé de la décision d’annulation ou de réformation dans des conditions équivalentes à celles imposées par l’Autorité pour la publication du résumé de la décision attaquée.
736.Cependant, conformément à la pratique courante de l’Autorité, le présent arrêt sera mis en ligne sur son site Internet sur la page dédiée à la décision attaquée. La communication de celui-ci est donc assurée. Par ailleurs, les demandes d’annulation ont été rejetées et la réformation de la décision attaquée n’intervient pas sur des points minorant la responsabilité de ces sociétés dans la mise en ‘uvre des pratiques. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner une plus ample publication de l’arrêt et la demande est rejetée.
B. Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
737.Les sociétés Axiane et Minoteries Cantin demandent la condamnation de l’Autorité à leur verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
738.Il n’est cependant pas inéquitable de laisser à chacune des requérantes la charge des frais exposés par elle à l’occasion du présent recours de sorte que les demandes à ce titre sont rejetées.
739.Par ailleurs, chaque partie gardera ses propres dépens à sa charge.
740.La cour ajoute qu’en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le présent arrêt sera transmis à la Commission de l’Union européenne.
PAR CES MOTIFS
RÉFORME l’article 7 de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des farines alimentaires, mais uniquement en tant qu’il a, au titre des pratiques visées à l’article 1er, infligé les sanctions pécuniaires de :
‘ 11 834 000 euros à la société Grands Moulins de Paris SA ;
‘ 17 110 000 euros à la société VK-Mühlen ;
RÉFORME l’article 10 de la décision n° 12-D-09, mais uniquement en tant qu’il a, au titre des pratiques visées aux articles 2 et 3, infligé les sanctions pécuniaires de :
‘ 44 032 000 euros à la société Axiane Meunerie SAS ;
‘ 23 622 000 euros à la société Minoteries Cantin ;
‘ 18 930 000 euros à la société Grands Moulins de Strasbourg ;
‘ 20 770 000 euros à la société Euromill Nord ;
‘ 14 213 000 euros à la société Grands Moulins de Paris SA ;
Statuant de nouveau,
INFLIGE, au titre des pratiques visées à l’article 1er de la décision n° 12-D-09, les sanctions pécuniaires suivantes :
‘ 334 000 euros à la société Grands Moulins de Paris SA ;
‘ 5 733 000 euros à la société à la société GoodMills Deutschland GmbH, anciennement société VK-Mühlen AG ;
INFLIGE, au titre des pratiques visées aux articles 2 et 3 de la décision n° 12-D-09, les sanctions pécuniaires suivantes :
‘ 4 000 000 euros à la société Axiane Meunerie SAS ;
‘ 8 000 000 euros à la société Minoteries Cantin ;
‘ 2 000 000 euros à la société Grands Moulins de Strasbourg ;
‘ 3 000 000 euros à la société Euromill nord, aux droits de laquelle vient la société Grands Moulins de Paris SA ;
‘ 6 000 000 euros à la société Grands Moulins de Paris SA ;
RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant les montants ci-dessus fixés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s’il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1154 du code civil ;
REJETTE toutes autres demandes des parties ;
DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission de l’Union européenne en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en ‘uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;
DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT que chaque partie supportera ses propres dépens ;
REJETTE toutes les autres demandes des parties.
LE GREFFIER
Gérald BRICONGNE
LA PRÉSIDENTE,
Valérie MICHEL-AMSELLEM