Informations privilégiées : 30 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 18/28497

·

·

Informations privilégiées : 30 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 18/28497
Ce point juridique est utile ?

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 30 MARS 2023

(n° 12, 27 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 18/28497 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B66V4

Décision déférée à la Cour : Décision n° 11 (procédure n° 16-17) rendue le 24 octobre 2018 par l’Autorité des marchés financiers

REQUÉRANT :

M. [I] [B]

Né le 06 septembre 1949 à [Localité 3]

Domicilié au 66 Old Park Road South, Enfield, Middlesex, EN27DB, ROYAUME-UNI

Élisant domicile au Cabinet ERNST & YOUNG, société d’avocats

[Adresse 4]

Représenté par Me Laurent GUIZARD de la SELARL GUIZARD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Assisté de Maîtres Géraldine ROCH et Sarah POISSON, du cabinet ERNST & YOUNG, société d’avocats, avocats au barreau des HAUTS-DE-SEINE

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Mesdames [C] [R] et [Z] [L], dûment mandatées

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente,

‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,

‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT PUBLIC :

‘ contradictoire

‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers n° 11 du 24 octobre 2018 ;

Vu la déclaration de recours en annulation et en réformation formé par M. [B], déposée au greffe de la Cour le 27 décembre 2018 et enregistrée sous le n° RG 18/28497 ;

Vu l’exposé complet des moyens et le mémoire en réplique déposés au greffe de la Cour par le demandeur au recours le 11 janvier et le 5 septembre 2019 ;

Vu les observations déposées au greffe par l’Autorité des marchés financiers le 6 mai 2019 ;

Vu l’arrêt de la Cour du 9 juillet 2020, rejetant les moyens de procédure, statuant au fond sur certains points, renvoyant à la Cour de justice de l’Union européenne plusieurs questions préjudicielles et ordonnant un sursis à statuer pour le surplus ;

Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 15 mars 2022, M. A/Autorité des marchés financiers (C-302/20) ;

Vu l’invitation de la Cour, adressée à M. [B] et à l’Autorité des marchés financiers, le 19 avril 2022, de concentrer leurs écritures sur certains points, à la lumière de l’arrêt précité de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Vu le mémoire complémentaire de M. [B], déposé au greffe de la Cour le 21 juin 2022 ;

Vu les observations complémentaires de l’Autorité des marchés financiers, déposées au greffe de la Cour le 27 septembre 2022 ;

Vu l’avis du ministère public du 17 novembre 2022, communiqué le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 24 novembre 2022 les conseils de M. [B], qui ont été en mesure de répliquer, le représentant de l’Autorité des marchés financiers, ainsi que le ministère public ;

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

MOTIVATION

§ 8

I. SUR LA QUALIFICATION D’INFORMATION PRIVILÉGIÉE

§ 8

II. SUR LA CARACTÉRISATION DES MANQUEMENTS D’INITIÉ REPROCHÉS

§ 39

III. SUR LA SANCTION ENCOURUE

§ 122

IV. SUR LA DEMANDE D’ANONYMISATION DE LA PUBLICATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE ET DE L’ARRÊT

§ 136

V. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET DES DÉPENS

§ 143

PAR CES MOTIFS

§ 144

FAITS ET PROCÉDURE

1.Sans qu’il soit besoin de rappeler dans le détail les éléments de faits et de procédure, exposés dans le précédent arrêt du 9 juillet 2020, auquel il est renvoyé, il importe de rappeler que, par l’arrêt précité, la Cour a retenu comme établie la matérialité de certains des faits reprochés à M. [B], journaliste financier britannique, sanctionné (ainsi que d’autres personnes) par la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « la Commission des sanctions »), pour trois manquements d’initié, en méconnaissance des dispositions des articles 621-1 et 622-2 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « RGAMF »).

2.Plus précisément, aux termes du dispositif de l’arrêt précité, la Cour a dit que M. [B] était détenteur :

‘ au plus tard le 8 juin 2011 à 15h06, de l’information portant sur la publication prochaine sur le Mail Online (le site Internet du Daily Mail) de son rapport de marché sur le titre Hermès, et l’a transmise, ces mêmes jours et heure, à M. [Y] seulement, et non à M. [V] ;

‘ au plus tard le 12 juin 2012 à 15h36, de l’information portant sur la publication prochaine sur le Mail Online de son rapport de marché sur le titre Maurel & Prom, et l’a transmise, ces mêmes jours et heure, à M. [V].

3.La Cour a considéré comme établi que M. [B], lorsqu’il travaillait comme journaliste financier pour le quotidien britannique Daily Mail, a transmis à deux reprises, le 8 juin 2011 et le 12 juin 2012, à certaines de ses sources d’informations habituelles (MM. [Y] et [V]), l’information portant sur la publication prochaine, sur le Mail Online, de deux articles à sa signature, relayant des rumeurs de marché sur d’éventuelles offres publiques d’achat (OPA) ayant pour cible des titres admis à la négociation sur Euronext (respectivement Hermès et Maurel & Prom).

4.Ayant ainsi statué sur la matérialité des faits, la Cour a décidé, sur la qualification de ces faits, de procéder à un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE »).

5.Aux termes du dispositif de son arrêt du 9 juillet 2020, précité, la Cour a posé les questions suivantes à la CJUE :

1) En premier lieu,

a) L’article 1, point 1), alinéa 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), combiné à l’article 1er paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doit-il être interprété en ce sens qu’une information portant sur la prochaine publication d’un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instrument financier est susceptible de répondre à l’exigence de précision requise par ces articles pour la qualification d’une information privilégiée ‘

b) La circonstance que l’article de presse, dont la publication prochaine constitue l’information en cause, mentionne ‘ à titre de rumeur de marché ‘ le prix d’une offre publique d’achat a-t-elle une incidence sur l’appréciation du caractère précis de l’information en cause ‘

c) La notoriété du journaliste ayant signé l’article, la réputation de l’organe de presse en ayant assuré la publication, et l’influence effectivement sensible (« ex post ») de cette publication sur le cours des titres auxquels celle-ci se rapporte sont-ils des éléments pertinents aux fins d’apprécier le caractère précis de l’information en cause ‘

2) En deuxième lieu, en cas de réponse qu’une information telle que celle en cause est susceptible de satisfaire à l’exigence de précision requise :

a) L’article 21 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marchés (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et, 2004/72/CE de la Commission, doit-il être interprété en ce sens qu’est réalisée « à des fins journalistiques » la divulgation par un journaliste, à l’une de ses sources habituelles, d’une information portant sur la prochaine publication d’un article à sa signature relayant une rumeur de marché ‘

b) La réponse à cette question dépend-elle notamment du point de savoir si le journaliste a été ou non informé de la rumeur de marché par cette source ou si la divulgation de l’information sur la publication prochaine de l’article était ou non utile pour obtenir de cette source des éclaircissements sur la crédibilité de la rumeur ‘

3) En troisième lieu, les articles 10 et 21 du règlement n° (UE) 596/2014 doivent-ils être interprétés en ce sens que, même lorsqu’une information privilégiée est divulguée par un journaliste « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21, le caractère licite ou illicite de la divulgation nécessite d’apprécier si elle a été faite « dans le cadre normal de l’exercice [‘ de la] profession [de journaliste] », au sens de l’article 10 ‘

4) En quatrième lieu, l’article 10 du règlement (UE) n° 596/2014 doit-il être interprété en ce sens que, pour avoir lieu dans le cadre normal de l’exercice de la profession de journaliste, la divulgation d’une information privilégiée doit être strictement nécessaire à l’exercice de cette profession et respectueuse du principe de proportionnalité ‘

6.En réponse à ces questions, la CJUE, par un arrêt du 15 mars 2022, rendu en Grande chambre (dite affaire M. A /Autorité des marchés financiers, C-302/20), a dit pour droit :

« 1) L’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), doit être interprété en ce sens que, aux fins de la qualification d’une information privilégiée, est susceptible de constituer une information « à caractère précis », au sens de cette disposition et de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instruments financiers et que sont pertinents, aux fins de l’appréciation dudit caractère précis, pour autant qu’ils aient été communiqués avant cette publication, le fait que cet article de presse mentionnera le prix auquel seraient achetés les titres de cet émetteur dans le cadre d’une éventuelle offre publique d’achat ainsi que l’identité du journaliste ayant signé ledit article et de l’organe de presse en assurant la publication. Quant à l’influence effective de cette publication sur le cours des titres auxquels celle-ci se rapporte, si elle peut constituer une preuve ex post du caractère précis de ladite information, elle ne saurait suffire, à elle seule, en l’absence d’examen d’autres éléments connus ou divulgués antérieurement à ladite publication, à établir un tel caractère précis.

2) L’article 21 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6 et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, doit être interprété en ce sens qu’est réalisée « à des fins journalistiques », au sens de cet article, la divulgation par un journaliste, à l’une de ses sources d’information habituelles, d’une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse à sa signature relayant une rumeur de marché, lorsque cette divulgation est nécessaire pour permettre de mener à bien une activité journalistique, laquelle inclut les travaux d’investigation préparatoires des publications.

3) Les articles 10 et 21 du règlement n° 596/2014 doivent être interprétés en ce sens qu’une divulgation d’une information privilégiée par un journaliste est licite lorsqu’elle doit être considérée comme étant nécessaire à l’exercice de sa profession et comme respectant le principe de proportionnalité ».

7.À la lumière de cet arrêt préjudiciel, il revient à présent à la Cour d’examiner si l’information en cause constitue une information privilégiée et, dans ce cas, si sa divulgation par M. [B] présente un caractère illicite, susceptible de donner lieu à sanction.

MOTIVATION

I. SUR LA QUALIFICATION D’INFORMATION PRIVILÉGIÉE

8.Dans la décision attaquée (pages 14 à 16), après avoir retenu que l’information relative à la publication prochaine, dans le Mail Online, d’un article rapportant une rumeur de marché concernant le dépôt d’une offre de LVMH sur le titre Hermès, au prix de 350 euros par action, avait revêtu un caractère précis dans l’après-midi du 8 juin 2011, la Commission des sanctions a considéré que cette information avait conservé un caractère confidentiel jusqu’à 21h41 (le même jour) et ‘ compte tenu de la notoriété du journaliste, du contexte de marché de l’époque et de la précision de la rumeur relayée (la préparation par LVMH du dépôt d’une offre sur les titres Hermès au prix de 350 euros) ‘ était susceptible d’être utilisée par un investisseur raisonnable comme l’un des fondements d’une décision d’investissement et, partant (si elle avait été rendue publique) d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Hermès. Elle en a déduit que cette information a été privilégiée, au sens de l’article 621-1 du RGAMF, à compter du 8 juin 2011 dans l’après-midi, et jusqu’à la publication de l’article en cause, le même jour à 21h41.

9.Dans le même sens (décision attaquée, pages 23 à 25), après avoir retenu que l’information relative à la publication prochaine, dans le même journal, d’un article rapportant une rumeur relative au fait que Maurel & Prom pourrait faire l’objet d’une offre aux alentours de 19 euros par action a revêtu un caractère précis dans l’après-midi du 12 juin 2012, la Commission des sanctions a considéré que cette information avait conservé un caractère confidentiel jusqu’à 23h19 (le même jour) et ‘ compte tenu de la notoriété du journaliste, du contexte de marché de l’époque et de la précision de la rumeur relayée (l’offre concernant Maurel & Prom pourrait intervenir au prix de 19 euros) ‘ était susceptible d’être utilisée par un investisseur raisonnable comme l’un des fondements d’une décision d’investissement et, partant (si elle avait été rendue publique) d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Maurel & Prom. Elle en a déduit que cette information a été privilégiée, au sens de l’article 621-1 du RGAMF, à compter du 12 juin 2012 dans l’après-midi, et jusqu’à la publication de l’article en cause, le même jour à 23h19.

10.Dans ses premières écritures, exposées dans l’arrêt du 9 juillet 2020, précité, auquel la Cour renvoie, M. [B] contestait la qualification d’information privilégiée des informations en cause. Il a ensuite fait valoir qu’en vertu du point 57 de l’arrêt de la CJUE, précité, le fait qu’un article de presse, relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instruments financiers, mentionne le prix auquel seraient achetés les titres de cet émetteur dans le cadre d’une éventuelle OPA n’est pertinent, pour apprécier si l’information portant sur la publication de cet article présente un caractère précis, que pour autant que ce prix ait été communiqué avant cette publication. Il soutient que cette condition n’est pas établie en l’espèce. En effet, il ne ressortirait pas du dossier que le prix de 19 euros ait été communiqué par M. [B] à M. [V], lors de leurs conversations du 12 juin 2012, dans l’après-midi, avant la publication de l’article concernant Maurel & Prom. Il en irait de même pour le prix de 350 euros, en l’absence de tout enregistrement du contenu des conversations téléphoniques ayant eu lieu, le 8 juin 2011, entre MM. [B] et [Y], avant la publication de l’article concernant Hermès.

11.Dans ses dernières observations, l’AMF estime que le caractère privilégié des informations en cause ne prête plus à discussion à la suite de la réponse donnée par la CJUE dans son arrêt préjudiciel. Elle renvoie à ses précédentes observations sur ce point.

12.Le ministère public partage la position de l’AMF.

Sur ce, la Cour :

13.La Cour rappelle que l’article 621-1 du RGAMF disposait, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits :

« Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés.

Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.

Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement » (souligné par la Cour).

14.Il importe également de rappeler que ces dispositions assuraient la transposition de l’article 1er, point 1), alinéa 1, de la directive 2003/6, tel que précisé par l’article 1, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, lesquels ont été repris par l’article 7, paragraphes 1, sous a), 2 et 4, du règlement MAR. Ces dispositions du RGAMF ont été abrogées à la suite de l’entrée en vigueur du règlement MAR.

15.En réponse à la première série de questions préjudicielles posées par la Cour, sur la notion d’information à caractère précis, au sens des directives précitées, la Cour de justice a apporté l’éclairage suivant.

16.Elle a, tout d’abord, considéré que « le caractère précis (‘) d’une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse est étroitement lié à celui de l’information faisant l’objet de cet article » dès lors « [qu’]en l’absence de toute précision de l’information devant être publiée, l’information portant sur cette publication ne permettrait pas de tirer des conclusions quant à l’effet possible de celle-ci sur le cours des instruments financiers concernés conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 [précitée] » (point 41 de l’arrêt).

17.Elle a, ensuite, déduit du libellé de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, précitée et de l’objectif de la directive 2003/6, précitée, que, pour déterminer si une information portant sur la publication prochaine d’articles relayant des rumeurs de marché relatives à la présentation éventuelle d’une OPA revêt un caractère précis, « un examen au cas par cas s’impose » dans la mesure où « le fait, pour un investisseur, d’avoir connaissance de la publication prochaine d’une rumeur peut, dans certaines circonstances, suffire à lui conférer un avantage par rapport aux autres investisseurs » de sorte que « s’il devait être considéré qu’il n’y a pas lieu de qualifier d’information privilégiée (‘) une information du seul fait qu’elle porte sur la publication d’une rumeur, bon nombre d’informations qui sont susceptibles d’avoir un effet sur les cours des instruments financiers concernés échapperaient au champ d’application de cette directive et pourraient donc être utilisées par des participants aux marchés financiers qui les détiennent et qui en tirent profit au détriment de ceux qui les ignorent » (points 42 à 45 de l’arrêt). Elle en a conclu « qu’il ne saurait être exclu qu’une information puisse être considérée comme ayant un caractère précis (‘) du seul fait qu’elle concerne la publication prochaine d’un article relatif à une rumeur de marché » (point 46 de l’arrêt).

18.Elle a, en outre, précisé que « la crédibilité d’une rumeur (‘) [est] pertinente pour déterminer si [ladite] information (‘) est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet sur les cours que cette publication est susceptible de produire » et qu’à cette fin, « il y a lieu de prendre en compte (‘), notamment, le degré de précision du contenu de la rumeur, ainsi que la fiabilité de la source qui la relaie » (point 48 de l’arrêt).

19.S’agissant, en premier lieu, de degré de précision du contenu de la rumeur, elle a considéré qu’une « information reprenant des éléments tels que ceux exposés dans les rumeurs mentionnées dans les articles de presse en cause au principal, qui indiquent tant le nom de l’émetteur d’instruments financiers concerné que les conditions de (‘) [l’OPA] attendue, ne saurait être qualifiée « d’informations vagues ou générales, qui ne permettent de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés », au sens de l’arrêt (‘) [du 11 mars 2015, Lafonta (C-628/13)] » (point 49 de l’arrêt).

20.Elle a, de plus, indiqué que si, « dans ce contexte, la mention, en tant que composante d’une rumeur relative à une (‘) [OPA] portant sur les titres d’un émetteur d’instruments financiers, du prix proposé pour l’achat de ces titres est susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation du caractère précis de l’information concernée », néanmoins « une telle mention n’est pas indispensable aux fins de la qualification d’une information portant sur cette rumeur de « précise » dès lors qu’elle comprend d’autres éléments relative à ladite (‘) [OPA] » dans la mesure où « une telle offre inclut, en règle générale, une prime de reprise sur le cours de l’action, permettant au marché d’estimer l’effet possible sur ce cours » (point 50 de l’arrêt).

21.S’agissant, en second lieu, de la fiabilité de la source relayant la rumeur, elle a relevé que « la notoriété du journaliste ayant signé les articles de presse, ainsi que celle de l’organe de presse ayant assuré la publication de ces articles, peuvent être considérées comme déterminantes, selon les circonstances de l’espèce, dès lors que ces éléments permettent d’apprécier la crédibilité des rumeurs visées, les investisseurs pouvant, le cas échéant, être amenés à présumer que celles-ci proviennent de sources considérées comme fiables par ce journaliste et cet organe de presse » (point 51 de l’arrêt).

22.Elle en a conclu que « l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), doit être interprété en ce sens que, aux fins de la qualification d’une information privilégiée, est susceptible de constituer une information « à caractère précis », au sens de cette disposition et de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instruments financiers et que sont pertinents, aux fins de l’appréciation dudit caractère précis, pour autant qu’ils aient été communiqués avant cette publication, le fait que cet article de presse mentionnera le prix auquel seraient achetés les titres de cet émetteur dans le cadre d’une éventuelle offre publique d’achat ainsi que l’identité du journaliste ayant signé ledit article et de l’organe de presse en assurant la publication » (point 57 de l’arrêt, souligné par la Cour, repris au dispositif).

23.Par ailleurs, elle a déduit du libellé de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6, précitée, et du considérant 2 de la directive 2003/124, précitée, que si « l’influence effective d’une publication sur le cours des titres visés dans cette publication peut constituer une preuve ex post du caractère précis de l’information portant sur ladite publication (‘), elle ne saurait suffire, à elle seule, pour établir, en l’absence d’examen d’autres éléments connus ou divulgués antérieurement à ladite publication [soit ex ante], un tel caractère précis » (points 56 et 57 de l’arrêt, repris au dispositif).

24.À la lumière de ces développements de jurisprudence, il convient d’examiner si, en l’espèce, les informations en cause, portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché, détenues et transmises par M. [B], respectivement le 8 juin 2011 et le 12 juin 2012, revêtent un caractère précis.

25.En premier lieu, s’agissant de l’information détenue et transmise par M. [B] à M. [Y] le 8 juin 2011, il importe de rappeler que, dans son arrêt du 9 juillet 2020, la Cour a constaté que la chronologie des événements démontre la particulière célérité avec laquelle M. [Y], immédiatement après le premier appel téléphonique passé à M. [B], a pris attache avec son courtier, afin de se positionner à l’achat sur des contrats financiers liés au titre Hermès, et a relevé, dans le même sens, qu’aussitôt après les deuxième et troisième appels à M. [B], M. [Y] a contacté des proches, qui ont à leur tour réalisé dans la foulée les mêmes opérations, au point qu’entre le premier appel de M. [Y] à M. [B] et le dernier achat de titres Hermès par M. [Y] ou ses proches, il s’est écoulé à peine plus d’une heure (voir paragraphes 155 et 156 de l’arrêt précité). Elle en a déduit que seule la communication par M. [B] à M. [Y] du sujet de l’article qui allait être publié le jour même sur le Mail Online est de nature à expliquer les interventions subséquentes de M. [Y] et de ses proches sur les contrats liés au titre Hermès et a écarté l’explication alternative avancée par M. [B] (paragraphes 157 à 160 du même arrêt). Il importe également de rappeler que, dans son arrêt du 9 juillet 2020 (paragraphe 219), la Cour a indiqué que la possibilité d’une montée de LVMH au capital d’Hermès avait été évoquée dans plusieurs articles publiés dans les jours précédant la publication de celui de M. [B].

26.Il résulte de l’ensemble de ces constatations et appréciations que le nom de l’émetteur des instruments financiers concernés (Hermès), ainsi que l’éventualité d’OPA de LVMH sur celui-ci, ont été communiqués par M. [B] à M. [Y], avant la publication de son article relayant cette rumeur de marché dans les termes suivants : « LVMH (‘) serait en train de préparer une opération de rachat au prix (‘) de 350 euros par action Hermès ».

27.Ces éléments confèrent à la rumeur, relayée par cet article, un degré de précision de nature à rendre l’information sur la publication prochaine dudit article suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cette publication sur le cours d’Hermès ou des instruments dérivés qui lui sont liés. La communication du prix proposé pour l’achat des titres n’est pas indispensable, en vertu de l’arrêt préjudiciel (point 50), pour qualifier l’information en cause de précise, dès lors que celle-ci comprend d’autres éléments relatifs au projet d’OPA, comme c’était le cas en l’espèce, l’identité de l’initiateur et de la cible ayant été communiqués. Il n’est donc pas nécessaire de savoir si le prix de 350 euros, mentionné dans l’article précité, a également été communiqué à M. [Y] par M. [B] avant la publication de son article, comme ce dernier semble néanmoins le suggérer à l’appui de sa thèse sur la nécessité de la divulgation en cause.

28.En outre, il est constant qu’avant de rejoindre le Daily Mail, où il est resté vingt-sept ans, M. [B] a travaillé au Financial Times, pendant dix-neuf ans, puis, au Times, pendant deux ans, et que son activité de rédaction des rapports de marchés dans ces trois journaux lui a valu d’obtenir, à deux reprises, le prix du rapport boursier de l’année. Il bénéficiait donc d’une notoriété particulière en tant que journaliste financier. La circonstance qu’il n’ait pas été spécialisé dans le secteur du luxe n’est pas de nature à remettre en cause ce constat. De même, à supposer que le Daily Mail ne jouissait pas de la même renommée que le Financial Times, il n’en demeure pas moins qu’il s’agissait d’un quotidien réputé. Ces éléments relatifs à la notoriété du journaliste ayant signé l’article et de l’organe de presse ayant assuré sa publication renforcent la crédibilité de la rumeur relayée.

29.Au surplus, comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt du 9 juillet 2020 (paragraphe 2), il résulte du rapport d’enquête (page 66) que le marché a réagi positivement à la publication de l’article de M. [B] puisque le lendemain (9 juin 2011), le cours du titre Hermès a augmenté de 0,64 % dès l’ouverture, puis de 4,55 % en cours de séance. Cette publication a donc eu une influence effective sur le cours du titre. Cette circonstance, qui s’ajoute aux éléments précités, connus ou divulgués antérieurement à ladite publication, conforte le caractère précis de l’information en cause.

30.Il s’ensuit que l’information portant sur la publication prochaine de l’article de presse concernant Hermès était suffisamment précise pour en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cette publication sur le cours du titre ou des instruments dérivés qui étaient liés.

31.En second lieu, s’agissant de l’information détenue et transmise par M. [B] à M. [V], le 12 juin 2012, il importe de rappeler que, dans son précédent arrêt (voir paragraphes 186 et 189), la Cour a relevé qu’il résulte de la retranscription de l’enregistrement des conversations téléphoniques intervenues ce jour-là entre MM. [V] et [W] que deux conversations ont eu lieu dans l’après-midi, aux termes desquelles le premier a dit au second :

‘ lors de la première conversation (à 15h01), « je vais appeler le scribouillard, hier il n’avait aucun sujet sur lequel écrire » ;

‘ lors de la seconde conversation (à 15h45), « il travaille sur une valeur française qui s’appelle Maurel (‘) Peut-être une offre de Shell ».

32.Cette juridiction a déduit du contenu de ces conversations et de l’appel passé entre ces deux conversations (à 15h36), par M. [V] à M. [B], que, lors de cet appel, le premier avait été informé par le second que l’article que ce dernier avait décidé d’écrire ce jour-là porterait sur la rumeur relative au titre Maurel & Prom (voir paragraphes 190 à 193).

33.Il en résulte que le nom de l’émetteur des instruments financiers concernés (Maurel & Prom), ainsi que l’éventualité d’une OPA de Shell sur celui-ci, ont été communiqués par M. [B] à M. [V], avant la publication de son article relayant la rumeur de marché selon laquelle, aux termes dudit article, « (‘) des sources industrielles ont laissé entendre que [Maurel & Prom] pourrait faire l’objet d’une offre aux alentours de 19 euros l’action. La société (‘) aurait déjà rejeté une offre amicale (‘) et ferait maintenant l’objet de marques d’intérêt de la part de Royal Dutch Shell ».

34.Pour les mêmes raisons que celles indiquées précédemment concernant le titre Hermès, il n’est pas nécessaire de savoir si le prix de 19 euros, indiqué dans l’article précité, mais qui ne ressort pas du contenu des conversations précitées, a été communiqué par M. [B] à M. [V] avant la publication de son article, comme ce dernier semble le suggérer à l’appui de sa thèse sur la nécessité de la divulgation en cause.

35.De la même manière, la notoriété du journaliste ayant signé l’article, ainsi que celle de l’organe de presse ayant assuré sa publication, renforcent la crédibilité de la rumeur relayée.

36.Au surplus, comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt du 9 juillet 2020 (paragraphe 3), il résulte du rapport d’enquête (page 68) que la publication de l’article de M. [B] a eu un impact important sur le cours du titre Maurel & Prom puisque le lendemain (13 juin 2012), le titre a clôturé en hausse de 17,69 %.

37.Il s’ensuit que l’information portant sur la publication prochaine de l’article de presse concernant Maurel & Prom était suffisamment précise pour en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cette publication sur le cours du titre ou des instruments dérivés qui étaient liés.

38.Dès lors, la Cour ayant déjà constaté, dans son précédent arrêt (paragraphe 219 à 225 et 229 à 230), que les autres éléments requis pour la qualification d’information privilégiée étaient réunis en l’espèce, il convient de retenir que les deux informations en cause, détenues et transmises par M. [B], respectivement le 8 juin 2011 et le 12 juin 2012, constituent des informations privilégiées.

II. SUR LA CARACTÉRISATION DES MANQUEMENTS D’INITIÉ REPROCHÉS

39.Aux pages 12, 18, 19 et 26 de la décision attaquée, après avoir retenu que l’article 21 du règlement n° 596/2014, précité (ci-après règlement « MAR »), était applicable de manière rétroactive, en ce qu’il restreint le champ d’application du manquement de divulgation illicite d’informations privilégiées, la Commission des sanctions en a écarté l’application en l’espèce aux motifs que la transmission – destinée à la source seule et non au public- de l’information privilégiée portant sur la publication à venir d’un article de presse, ne poursuivait pas des fins journalistiques au sens dudit article 21. Elle en a déduit que la transmission de l’information privilégiée en cause par M. [B] à MM. [Y] et [V] caractérisaient des manquements à l’obligation d’abstention, prévue par les articles 622-1 et 622-2 du RGAMF (pages 19, 22 et 26).

40.Dans ses premières écritures, exposées dans l’arrêt du 9 juillet 2020, précité, M. [B] soutenait que l’article 21 du règlement MAR était applicable en sa faveur, en tant que régime dérogatoire à celui prévu à l’article 10 du même règlement, car les conversations téléphoniques ‘ au cours desquelles il aurait informé ses sources de la publication prochaine de ses articles ‘ s’étaient tenues dans le cadre de son activité de journaliste. Il faisait valoir que le régime de l’article 21 impliquait que les actes reprochés soient analysés à la lumière des règles et garanties issues de la liberté de la presse et du droit anglais, applicables aux journalistes, et qu’aucune violation des règles régissant ladite profession ne lui était imputable, de sorte qu’il y avait lieu de le mettre hors de cause.

41.Dans ses dernières écritures, M. [B] soutient, en premier lieu, sur l’applicabilité de l’article 21 du règlement MAR, qu’il ne lui appartient pas de démontrer que les divulgations en cause poursuivaient des finalités journalistiques, la charge de la preuve contraire incombant à l’accusation et, partant, à l’AMF.

42.En tout état de cause, il fait valoir que lesdites divulgations étaient en rapport avec son activité de journaliste, dans la mesure où elles étaient intervenues lors de conversations avec ses sources habituelles, lesquelles l’auraient contacté pour lui faire part de rumeurs de marché, en cohérence avec des sujets qu’il traitait dans le cadre de sa profession, et auraient eu lieu durant son temps de travail et lorsqu’il se trouvait à son bureau. À titre surabondant, il indique que l’hypothèse visée par la deuxième question préjudicielle, à savoir une divulgation en vue d’obtenir des éclaircissements sur la crédibilité de la rumeur, n’est pas la seule hypothèse où une divulgation est faite à des fins journalistiques, un journaliste pouvant être amené, pour de multiples motifs étroitement liés à sa profession, à divulguer à sa source, en amont et pour les besoins d’une publication, l’information relative à celle-ci, afin, par exemple, de préserver l’exclusivité de l’information à paraître.

43.En second lieu, sur la mise en ‘uvre de l’article 10 du règlement MAR, M. [B] soutient que les divulgations en cause étaient nécessaires et proportionnées à l’exercice de la profession de journaliste, de sorte qu’elles ont eu lieu dans le cadre normal de l’exercice d’une profession, au sens de l’article 10 précité, et, partant, étaient licites.

44.Plus précisément, il fait valoir que ses articles étaient les seuls à faire état d’un prix potentiel concernant des OPA, lesquelles faisaient déjà l’objet de rumeurs persistantes relayées par de nombreux articles de presse, de sorte qu’au moment où ses articles ont été publiés, il existait déjà un intérêt marqué de la presse financière et du marché pour les titres Hermès et Maurel & Prom. Il soutient que, dans ce contexte, la divulgation ‘ à la prétendue source de la rumeur ‘ de l’information relative à la publication envisagée de ladite rumeur, doit être considérée comme nécessaire à l’exercice de l’activité journalistique. Il invoque deux motifs en ce sens.

45.Le premier motif tient, selon lui, à la nécessité de s’enquérir du niveau d’assurance de sa source dans la rumeur qui lui aurait été rapportée par celle-ci. Il avance qu’en confrontant une source, dans une logique de responsabilisation, sur son niveau d’assurance et sur la fidélité et l’exhaustivité de ses propos, par rapport à ce qu’elle a vu ou entendu, un journaliste peut logiquement être amené à l’aviser qu’il prend l’information au sérieux jusqu’à envisager de la publier, afin de l’inciter à faire preuve de la plus grande rigueur en énonçant les faits qu’elle rapporte. Il estime qu’il en va d’autant plus ainsi que l’information communiquée par la source peut être perçue comme potentiellement sensible et que le journaliste a des raisons légitimes de penser que la publication sera reprise et commentée par d’autres médias comme ce fût le cas, précise-t-il, de ses articles.

46.Le second motif qu’il invoque, pour démonter la nécessité des divulgations en cause, réside dans la recherche d’informations exclusives (« scoops ») et la préservation de leur exclusivité jusqu’à leur publication. Il fait valoir que la publication de « scoops » est vitale pour l’existence du journalisme, sa mission première consistant à porter à la connaissance du public des informations qu’il ignore, ce qui conditionne le succès commercial du média et la réputation du journaliste. Il indique que ce constat est particulièrement vrai pour le journal Daily Mail, sa renommée étant largement bâtie sur sa capacité à identifier et publier des « scoops », à l’image du Mail On Sunday appartenant au même groupe. Il précise que la rumeur rapportée dans ses articles, tenant au prix des OPA potentielles, représentait un « scoop », ce qui était susceptible de susciter l’intérêt d’autres journalistes financiers au moment où il prétend avoir reçu cette information de ses sources, les titres Hermès et Maurel & Prom étant déjà au c’ur de l’actualité financière. Il cite en ce sens plusieurs articles ayant relayé ou évoqué le prix potentiel mentionné dans ses publications. Il en déduit que, dans ces circonstances, la divulgation par un journaliste, à sa source, de l’information selon laquelle il envisagerait de publier la rumeur d’un rachat au prix potentiel rapporté par elle, est nécessaire à l’objectif, étroitement lié à l’activité de journaliste, de publier une information exclusive. En effet, seule une telle divulgation permettrait de minimiser le risque que la source relaie l’information auprès d’autres journalistes ou médias en amont de la publication, a fortiori lorsque l’information concerne un sujet suscitant un fort intérêt de la presse et du public, comme ce serait le cas en l’espèce.

47.Outre leur caractère nécessaire, M. [B] estime que les divulgations en cause seraient proportionnées au regard, premièrement, du fort intérêt de la presse et du public sur les titres Hermès et Maurel & Prom, qui étaient au c’ur de l’actualité et des spéculations financières, deuxièmement, du caractère digne de protection de sa qualité de journaliste, en l’absence de violation des règles professionnelles auxquelles il était soumis, troisièmement, du défaut de caractère manifeste du risque de commission d’opérations d’initiés par ses sources, au moment desdites divulgations, s’agissant de sources habituelles ayant une expérience suffisante en matière financière pour être pleinement conscientes de la réglementation applicable et des obligations en découlant et dont le comportement à cet égard n’avait pas été mis en cause auparavant.

48.Dans ses dernières observations, l’AMF fait valoir que la charge de la preuve que la divulgation d’une information privilégiée poursuit une finalité journaliste, au sens de l’article 21 du règlement MAR, incombe à la personne en cause. En effet, la circonstance que cette divulgation ait eu lieu dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions, et notamment à des fins journalistiques, s’apparenterait à une circonstance exonératoire ou à une exception au principe d’interdiction de la divulgation, qu’il reviendrait normalement à personne poursuivie d’établir. Exiger de l’autorité de poursuite qu’elle établisse que la divulgation de l’information n’a pas eu lieu à des fins journalistiques pourrait aboutir à mettre à sa charge une preuve négative et donc impossible. Selon l’AMF, si l’on peut admettre que les règles de preuve doivent être aménagées pour les concilier avec les nécessités de la protection des sources des journalistes et de leurs échanges avec celles-ci, il ne saurait être admis que le journaliste soit dispensé de toute charge probatoire. Elle en conclut que, sous réserve du droit du journaliste de refuser de révéler l’identité de ses sources et de porter atteinte à la confidentialité de ses échanges avec elles, il lui appartient de justifier de l’ensemble des circonstances propres à établir que la divulgation en cause s’est avérée nécessaire pour mener à bien ses activités.

49.S’agissant de l’applicabilité de l’article 21 du règlement MAR, l’AMF considère que les arguments avancés par le requérant sont inopérants dès lors qu’il ne s’agit pas de savoir si MM. [V] et [Y] étaient des « sources habituelles » de M. [B] et si les contacts noués entre ce dernier et ces sources étaient potentiellement susceptibles de poursuivre des fins journalistiques, mais de déterminer, précisément et concrètement en l’espèce, si les divulgations en cause poursuivaient de telles fins.

50.Or, selon l’AMF, aucun des éléments du dossier ne serait de nature à établir, ni même corroborer, le rapport nécessaire entre les divulgations en cause et la poursuite des fins journalistiques. Les divulgations en cause n’auraient pas visé à vérifier ou à obtenir de la part de leurs bénéficiaires des éclaircissements sur lesdites rumeurs, et n’auraient pas davantage poursuivi les autres finalités journalistiques invoquées, consistant à s’enquérir du niveau d’assurance de sa source dans la rumeur qu’elle lui rapporte et préserver l’exclusivité de l’information à paraître.

51.C’est ce qui ressortirait du sens des appels intervenus entre M. [B] et ses sources, ces dernières ayant appelé le journaliste et non l’inverse. En outre, ces finalités reposeraient sur le postulat que les destinataires des divulgations auraient été ses sources sur la rumeur, alors que le contenu des conversations entre MM. [B] et [V] démontrerait le contraire, le premier ayant informé le second de la rumeur concernant Maurel & Prom. Au surplus, l’AMF indique ne pas voir en quoi la divulgation, à la source de la rumeur, de l’information relative à la prochaine publication d’un article la rapportant minimiserait le risque que cette source relaie cette rumeur auprès d’autres journalistes ou médias. Elle en tire la conséquence que l’article 21 du règlement MAR n’est pas applicable.

52.À titre subsidiaire, l’AMF fait valoir qu’à supposer même que les divulgations en cause doivent être regardées comme ayant été réalisées à des fins journalistiques, au sens de l’article 21, afin de vérifier les informations contenues dans ses articles, ces divulgations n’en seraient pas moins illicites.

53.En effet, d’autres moyens existeraient pour procéder à cette vérification : croisement des sources ; analyse des communiqués de l’émetteur et de l’évolution du cours du titre ; suivi des analyses fournies par les analystes financiers. En outre et surtout, l’information relative à la publication d’un article relayant une rumeur, a fortiori celle spécifiant l’imminence d’une telle publication, serait impropre à remplir l’objectif recherché, consistant à vérifier la teneur de ladite rumeur. L’information sur la publication d’un article, a fortiori sur sa date de publication, ne concernerait que le journaliste et ne pourrait qu’être indifférente à la source. L’AMF en déduit qu’en tout état de cause les divulgations en cause seraient allées au-delà de ce qui était nécessaire.

54.Au surplus, elle estime qu’à la lumière des critères dégagés par la CJUE dans l’arrêt préjudiciel rendu dans la présente affaire (points 83 à 88), il ne fait aucun doute que les divulgations en cause, à supposer qu’elles fussent intervenues à des fins journalistiques, n’auraient pas satisfait à l’exigence de proportionnalité. Elle fait valoir en ce sens les principaux éléments suivants.

55.Premièrement, le fait allégué par M. [B] qu’il eût agi dans le respect des règles et des codes régissant sa profession ne permet pas, à lui seul, de conclure que la divulgation d’une information privilégiée était proportionnée au sens de l’article 10 du règlement MAR.

56.Deuxièmement, l’effet potentiellement dissuasif pour l’exercice de son activité de journaliste de l’interdiction de divulguer l’imminence de la publication d’un article rapportant une rumeur concernant un émetteur apparaît sinon inexistant, en tous les cas marginal, dans la mesure où il disposait de multiples canaux d’information lui permettant de parvenir aux mêmes fins, ainsi que d’une grande connaissance des marchés boursiers lui permettant d’évaluer la crédibilité des rumeurs qui lui étaient rapportées.

57.Troisièmement, ses articles intéressaient exclusivement les cercles d’investisseurs et étaient susceptibles de servir uniquement l’intérêt général du marché, étant précisé que l’objectif d’information du marché est déjà poursuivi par divers mécanismes de publicité, en particulier en matière d’OPA.

58.Quatrièmement, la balance des intérêts en présence serait d’autant plus défavorable à M. [B] que les rumeurs relayées portaient sur des OPA, qu’elles avaient trait à des titres qui étaient, selon lui, au c’ur de l’actualité financière, qu’elles comportaient une indication de prix leur conférant la valeur d’un « scoop », que sa réputation de journaliste financier et celle de l’organe de presse ne pouvaient que renforcer considérablement la crédibilité desdites rumeurs, que les effets de leur publication ont été démultipliés par la reprise de l’indication du prix par d’autres articles. Dans ce contexte, les divulgations en cause étaient susceptibles d’être utilisées pour commettre un délit ou un manquement d’initié, ce qui ne pouvait être ignoré par M. [B] et s’est d’ailleurs concrétisé. L’intensité du risque d’atteinte à l’intégrité des marchés financiers en résultant exclurait le caractère proportionné des divulgations en cause.

59.Le ministère public développe un argumentaire comparable. Sur la question de la charge de la preuve de la poursuite de fins journalistiques, il précise, à titre de comparaison, qu’en matière pénale, il est de jurisprudence constante que, lorsque tous les éléments de l’infraction (légal, matériel et intentionnel) se trouvent réunis à son encontre, il incombe à la personne poursuivie de prouver les faits susceptibles d’écarter ou d’atténuer la répression qu’elle encourt légalement, de sorte que l’autorité de poursuites n’a pas à démontrer l’existence des faits justificatifs, des excuses et des immunités.

Sur ce, la Cour :

60.L’article 10 du règlement MAR, intitulé « Divulgation illicite d’informations privilégiées », énonce, en son paragraphe 1 :

« Aux fins du présent règlement, une divulgation illicite d’informations privilégiées se produit lorsqu’une personne est en possession d’une information privilégiée et divulgue cette information à une autre personne, sauf lorsque cette divulgation a lieu dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions.

Le présent paragraphe s’applique à toute personne physique ou morale dans les situations ou les circonstances visées à l’article 8, paragraphe 4. » (souligné par la Cour).

61.L’article 8 du règlement MAR, intitulé « Opérations d’initiés », auquel renvoie l’article 10, paragraphe 1, précité, précise, en son paragraphe 4 :

« Le présent article s’applique à toute personne qui possède une information privilégiée en raison du fait que cette personne :

(‘)

c) a accès aux informations en raison de l’exercice de tâches résultant d’un emploi, d’une profession ou de fonctions. »

62.La divulgation illicite d’informations privilégiées, au sens de l’article 10, paragraphe 1, précité, est interdite par l’article 14, sous c), du règlement MAR qui dispose :

« Une personne ne doit pas (‘) divulguer illicitement des informations privilégiées. »

63.L’article 21 du règlement MAR, intitulé « Divulgation ou diffusion d’informations dans les médias », énonce :

« Aux fins de l’article 10, de l’article 12, paragraphe 1, point c), et de l’article 20, (‘) lorsque des informations sont divulguées ou diffusées et lorsque les recommandations sont produites ou diffusées à des fins journalistiques ou aux fins d’autres formes d’expression dans les médias, cette divulgation ou cette diffusion d’informations est appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste, à moins que :

a) les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci ne tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la divulgation ou de la diffusion des informations en question ; ou

b) la divulgation ou la diffusion n’ait lieu dans l’intention d’induire le marché en erreur quant à l’offre, à la demande ou au cours d’instruments financiers. » (souligné par la Cour).

64.À titre d’observations liminaires, avant de répondre aux deuxième et quatrième questions préjudicielles posées par la Cour sur l’interprétation et l’articulation de ces articles, la CJUE a relevé que les dispositions de ces articles sont étroitement liées et qu’elles ne sauraient être appliquées séparément. Elle en a déduit que la question de leur applicabilité au litige, en tant que dispositions moins sévères que celles issues de la directive 2003/6, précitée, en vigueur à la date des faits, relève d’un examen au fond de ces questions préjudicielles (points 59 et 60 de l’arrêt préjudiciel).

65.Sur le fond, en réponse à la deuxième question préjudicielle, portant sur la notion de divulgation « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21 du règlement MAR, la CJUE, se fondant sur le libellé de cet article, ainsi que sur le contexte et les objectifs du règlement MAR, a jugé que cette notion devait être interprétée de manière large, afin de tenir compte de l’importance que détiennent, dans toute société démocratique, la liberté de la presse et la liberté d’expression dans d’autres médias (points 64 à 66 de l’arrêt préjudiciel, à rapprocher des paragraphes 260 à 268 de l’arrêt de renvoi préjudiciel).

66.Dans le même sens que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH ») relative à l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») ‘ selon laquelle les publications mais aussi les actes préparatoires à une publication, tels que la collecte d’informations, ainsi que les activités de recherche et d’enquête d’un journaliste, sont inhérents à la liberté de la presse ‘ elle a précisé que « si l’objectif ultime de l’activité journalistique consiste à communiquer des informations au public, il y a lieu de considérer que peut constituer une divulgation d’informations à des fins journalistiques, au sens de l’article 21 du règlement (‘) [MAR], une divulgation visant à réaliser cette activité, y compris celle effectuée dans le cadre des travaux d’investigation, préparatoires à la publication, réalisés par un journaliste. » (point 69 de l’arrêt précité). Elle a également précisé que « tel pourrait être le cas, notamment, de l’hypothèse, soulevée par la juridiction de renvoi, dans laquelle la divulgation de l’information sur la publication prochaine d’un article viserait à vérifier ou à obtenir des éclaircissements sur la rumeur faisant l’objet de cet article, que le destinataire de cette divulgation soit ou non la source de ladite rumeur », tout en renvoyant à cette juridiction le soin d’apprécier si tel avait effectivement été le cas en l’espèce (point 70).

67.Elle a déduit de ces développements que « l’article 21 du règlement (‘) [MAR] doit être interprété en ce sens qu’est réalisée « à des fins journalistiques », au sens de cet article, la divulgation par un journaliste, à l’une de ses sources d’information habituelles, d’une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse à sa signature relayant une rumeur de marché, lorsque cette divulgation est nécessaire pour permettre de mener à bien une activité journalistique, laquelle inclut les travaux d’investigation préparatoires des publications. » (point 71, souligné par la Cour, repris au dispositif de l’arrêt préjudiciel).

68.En outre, en réponse aux troisième et quatrième questions préjudicielles, sur l’articulation de cet article 21 avec l’article 10 du règlement MAR, ainsi que sur l’interprétation dudit article 10, qu’elle a examinées ensemble, la Cour de justice a apporté l’éclairage suivant.

69.En premier lieu, elle a jugé que « l’article 21 du règlement (‘) [MAR] ne constitue pas une base autonome, dérogeant à l’article 10 de ce règlement, pour déterminer le caractère licite ou illicite d’une divulgation d’informations privilégiées à des fins journalistiques » de sorte que « pareille détermination doit se fonder sur cet article 10, tout en tenant compte des précisions figurant audit article 21. » (point 75 de l’arrêt).

70.En deuxième lieu, elle a précisé que si la notion de divulgation « dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions », au sens de l’article 10, paragraphe 1, du règlement MAR, en ce qu’elle introduit une exception à l’interdiction de la communication d’informations privilégiées, doit, en principe, être interprétée strictement, comme exigeant que ladite divulgation soit strictement nécessaire à cet exercice et respectueuse du principe de proportionnalité, il convient néanmoins ‘ lorsqu’un journaliste divulgue des informations privilégiées « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21 précité ‘ d’interpréter cette notion, figurant à l’article 10, de manière à sauvegarder l’effet utile dudit article 21, eu égard à la finalité de cet article, tenant au respect de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans d’autres médias (points 78 et 80 de l’arrêt). Elle en a déduit que « l’exigence découlant de l’article 10 du règlement (‘) [MAR] qu’une telle divulgation soit nécessaire à l’exercice de la profession de journaliste, ainsi que le caractère proportionné de cette divulgation, doivent être appréciés en tenant compte du fait que cet article 10, en ce qu’il constitue une restriction au droit fondamental [le respect de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans d’autres médias] garanti à l’article 11 de la Charte [la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après « la Charte »], doit être interprété en conformité avec les exigences imposées par l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci. » (point 81 de l’arrêt).

71.En troisième lieu, la CJUE a précisé que, pour déterminer si une divulgation réalisée par un journaliste « à des fins journalistiques » est nécessaire à l’accomplissement d’une activité journalistique, laquelle inclut les travaux d’investigations préparatoires aux publications, il convient de prendre en compte, notamment, la nécessité pour le journaliste de vérifier les informations dont il a pris connaissance (point 82 de l’arrêt). Elle en a déduit que, « si une divulgation a été effectuée aux fins de la publication d’un article de presse, il y a lieu d’examiner si cette divulgation est allée au-delà de ce qui était nécessaire afin de vérifier les informations contenues dans cet article » et, « s’agissant de la vérification d’une information relative à une rumeur de marché, s’il était nécessaire pour le journaliste de divulguer à un tiers, outre la teneur de la rumeur en cause en tant que telle, l’information spécifique relative à la publication prochaine d’un article relayant cette rumeur. » (point 83 de l’arrêt).

72.En quatrième lieu, la CJUE a jugé que, pour « déterminer si pareille divulgation est proportionnée, au sens de l’article 10 du règlement (‘) [MAR], il convient d’examiner si la restriction à la liberté de la presse, que l’interdiction d’une telle divulgation engendrerait, serait excessive par rapport au préjudice qu’une telle divulgation risque de porter à l’intégrité des marchés financiers. » (point 84 de l’arrêt).

73.Elle a précisé que, lors de cette appréciation, il convient :

‘ premièrement, « de tenir compte (‘) de l’effet potentiellement dissuasif pour l’exercice de l’activité journalistique, y compris des travaux préparatoires, d’une telle interdiction » (point 85 de l’arrêt) ;

‘ deuxièmement, « de vérifier si, en effectuant la divulgation concernée, le journaliste a agi dans le respect des règles et des codes régissant sa profession », leur respect ne permettant pas néanmoins, à lui seul, de conclure que la divulgation en cause était proportionnée (point 86) ;

‘ troisièmement, « de prendre en considération les effets négatifs, pour l’intégrité des marchés financiers, de la divulgation (‘) [des] informations privilégiées (‘) [concernées] », dans la mesure où des opérations d’initiés ayant été effectuées à la suite de la divulgation en cause, « celles-ci sont susceptibles d’engendrer des pertes financières dans le chef d’autres investisseurs et, à moyen terme, la perte de confiance dans les marchés financiers. » (point 87).

74.Au point 88 de son arrêt, la CJUE a déduit de l’ensemble de ces critères d’appréciation qu’il appartient de prendre en compte le fait que l’intérêt public qui peut avoir été poursuivi par la divulgation en cause (la liberté de la presse) s’oppose non seulement à des intérêts privés (de certains investisseurs) mais aussi à un intérêt de même nature (consistant à assurer une transparence intégrale et adéquate du marché, afin d’en protéger l’intégrité et de garantir la confiance de l’ensemble des investisseurs). Elle a renvoyé, par analogie, à la jurisprudence de la CEDH (arrêt du 10 décembre 2007, Stoll. Suisse, req. 69698/01, §116).

75.À la lumière de cet arrêt préjudiciel, il revient à la Cour d’examiner si, en vertu des articles 10 et 21 du règlement MAR, les divulgations en cause sont licites ou illicites et, partant, si les manquements reprochés à M. [B] sont ou non caractérisés.

76.À titre liminaire, il importe de relever que les précisions apportées par la CJUE sur l’interprétation et l’articulation des articles 10 et 21 du règlement MAR confortent l’applicabilité rétroactive in mitius de l’article 21, combinée à celle de l’article 10 (voir, dans le même sens, l’arrêt de la Cour du 9 juillet 2020, paragraphes 115 et 116). En effet, il résulte des points 78 à 81 de l’arrêt préjudiciel, qui viennent d’être exposés, que lorsqu’un journaliste divulgue des informations privilégiées « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21, il convient de réserver à l’exception à l’interdiction de la communication desdites informations prévue à l’article 10 ‘ au cas où cette communication a lieu « dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions » ‘ une interprétation, non pas restrictive, mais de nature à sauvegarder l’effet utile de l’article 21, eu égard à la finalité de cet article, tenant au respect de la liberté de la presse, auquel l’article 10 apporte une restriction. Cette interprétation revient à atténuer les effets de l’interdiction de la divulgation d’informations privilégiées, dans un sens plus favorable aux journalistes que celui issu de la directive 2003/6, celle-ci ne comportant pas de dispositions équivalentes à celles de l’article 21 du règlement MAR, en ce qui concerne la divulgation de telles informations.

77.En outre, il importe de préciser que, contrairement à ce que prétend le requérant, il lui appartenait de préciser et de justifier en quoi les divulgations en cause poursuivaient des finalités journalistiques, au sens de l’article 21 du règlement MAR.

78.En effet, s’il incombe à l’AMF, en tant qu’autorité de poursuite, d’établir la matérialité des faits de divulgation d’une information, ainsi que la réunion, au moment de cette divulgation, des conditions requises pour qualifier l’information concernée de privilégiée, il revient, en revanche, au journaliste mis en cause d’apporter des explications ou des éléments justifiant l’application de l’article 21 dont il se prévaut, afin d’atténuer les effets de l’interdiction de la divulgation d’informations privilégiées à laquelle il demeure en principe soumis, sous réserve de l’exception prévue à l’article 10. Le journaliste est concrètement le mieux placé pour apporter des explications et des éléments à l’appui de la position qu’il soutient, ce qui, en outre, lui permet de s’assurer, à ce titre, comme il l’a fait en l’espèce, de la conciliation entre ses droits de la défense et la protection du secret de ses sources.

79.Contrairement à ce que suggère M. [B], lui imposer cette charge probatoire ne méconnaît ni le droit au silence, ni la présomption d’innocence, tels que garantis par les articles 47 et 48 de la Charte. En effet, cela ne revient nullement à le soumettre à un quelconque pré-jugement ou une éventuelle coercition abusive de la part de l’autorité de poursuite, qui serait destinée à recueillir des éléments susceptibles d’être utilisés à son encontre pour faire ressortir sa responsabilité, mais, au contraire, le met pleinement en mesure d’assurer au mieux la défense de ses intérêts.

80.Au surplus, il importe de préciser que la CJUE n’ayant pas examiné ensemble les deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, mais seulement les deux dernières, il convient, contrairement à ce que suggère l’AMF dans ses dernières observations, de distinguer la notion de divulgation « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21 (visée par la deuxième question), de celle de divulgation « dans le cadre normal de l’exercice (‘) [de la] profession [de journaliste] », au sens de l’article 10 du même règlement (visée par les troisième et quatrième questions).

81.Il en va d’autant plus ainsi qu’il résulte des précisions apportées par la CJUE sur l’interprétation de chacune de ces notions que les critères de caractérisation de l’une et l’autre diffèrent, chacune conservant son effet utile.

82.En effet, pour caractériser une divulgation d’informations « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21, il suffit de constater que cette « divulgation (‘) [vise] à réaliser l’activité journalistique », ce qui « inclut les travaux d’investigation préparatoires des publications », « inhérents à la liberté de la presse », dans la mesure où « cette divulgation est nécessaire pour permettre de mener à bien une activité journalistique » (points 68, 69 et 71, souligné par la Cour, de l’arrêt préjudiciel).

83.En revanche, pour caractériser une divulgation d’informations dans le cadre normal de l’exercice de la profession de journaliste, au sens de l’article 10, la CJUE a indiqué qu’ « il y a lieu d’examiner [dans un premier temps, avant l’examen de la proportionnalité] si cette divulgation est allée au-delà de ce qui était nécessaire afin de vérifier les informations contenues dans cet article » et a précisé que « s’agissant de la vérification d’une information relative à une rumeur de marché, il importe d’examiner, le cas échéant, s’il était nécessaire pour le journaliste de divulguer à un tiers, outre la teneur de la rumeur en cause en tant que telle, l’information spécifique relative à la publication prochaine d’un article relayant cette rumeur » (point 83 de l’arrêt, souligné par la Cour).

84.Il en ressort que la caractérisation de la notion de divulgation « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21, implique un examen moins développé que celui requis ultérieurement pour considérer qu’une divulgation a été réalisée « dans le cadre normal de l’exercice (‘) [de la] profession [de journaliste] », au sens de l’article 10.

85.En l’espèce, la Cour rappelle qu’il est établi que les divulgations en cause ont eu lieu lors d’échanges entre un journaliste, chargé de rédiger quasiment chaque jour des articles relayant des rumeurs de marché, et deux de ses sources habituelles, quelques heures avant la publication de deux de ses articles. Les divulgations en cause ne sont donc pas dénuées de tout lien avec l’activité journalistique.

86.M. [B] ayant apporté des explications sur les motifs des divulgations en cause, il convient d’examiner, en premier lieu, si ces explications permettent de regarder ces divulgations comme ayant été réalisées « à des fins journalistiques », au sens de l’article 21 du règlement MAR.

87.À cet égard, il fait valoir que de multiples motifs étroitement liés à sa profession, peuvent amener un journaliste à divulguer à sa source, en amont et pour les besoins d’une publication, l’information relative à celle-ci, tel que, par exemple, la préservation de l’exclusivité de l’information à paraître. Il invoque également un autre motif, consistant à s’enquérir du niveau d’assurance de sa source dans la rumeur qu’elle lui rapporte.

88.Ce dernier motif ne correspond pas exactement à celui évoqué par la Cour, dans la deuxième question préjudicielle, consistant à obtenir des éclaircissements sur la crédibilité d’une rumeur qui est pressentie pour faire l’objet d’un article publié prochainement. Toutefois, ces deux motifs sont similaires, en ce que la vérification du niveau d’assurance d’une source sur la rumeur qu’elle rapporte au journaliste tend inévitablement à obtenir un éclairage sur la crédibilité de cette rumeur. La CJUE ayant admis la pertinence du motif évoqué par la Cour pour apprécier si les divulgations en cause poursuivaient des finalités journalistiques, il en va de même du motif similaire invoqué par le requérant. La vérification de l’information étant inhérente à l’activité journalistique et une rumeur étant caractérisée par un degré d’incertitude de nature à justifier une diligence accrue en vue de s’assurer de sa fiabilité, il y a lieu de considérer que les divulgations en cause s’inscrivaient dans cette démarche.

89.Quant à l’autre motif invoqué par le requérant, il convient également de retenir sa pertinence en raison de l’importance particulière que revêt, pour l’activité journalistique, la recherche et la publication d’informations exclusives, en particulier dans le secteur de la presse financière en ligne. Dans ce contexte, il se conçoit aisément qu’un journaliste financier cherche à inciter une source, avec laquelle il discute d’une information exclusive, de ne pas la communiquer à d’autres journalistes ou d’autres médias avant que son article traitant de cette information ne soit publié en ligne, afin de préserver l’exclusivité de celle-ci. Tel était le cas, en l’espèce, des informations portant sur le prix potentiel des OPA envisagées, qui n’avaient pas encore été traitées par les médias. Ce prix se situant à un niveau beaucoup plus élevé que le cours de clôture de la veille (de l’ordre de 86 % pour Hermès et de 80 % pour Maurel & Prom), l’information exclusive sur ce prix ne pouvait que susciter l’intérêt de la presse spécialisée comme des investisseurs. M. [B] ne pouvait raisonnablement escompter que ses sources habituelles s’abstiennent provisoirement de toute communication sur ce point, sans leur annoncer que cette information allait faire l’objet d’une publication prochaine voire imminente.

90.Il y donc lieu de considérer que les divulgations en cause visaient à inciter MM. [Y] et [V] à ne pas communiquer ces informations avant que les articles rédigés par M. [B] ne soient publiés.

91.La Cour estime ainsi que les explications avancées par le requérant sont suffisamment crédibles pour retenir que les divulgations en cause ont été réalisées aux fins de la publication de ses articles de presse, tant sur le titre Hermès que sur le titre Maurel & Prom.

92.La circonstance, invoquée par l’AMF, que la Cour, dans son arrêt du 9 juillet 2020 (paragraphes 194 et 197), a retenu que ce n’était pas M. [V] qui avait informé M. [B] de la rumeur sur le titre Maurel & Prom, mais l’inverse, ne saurait remettre en cause cette analyse, d’autant que cette circonstance ne concerne que l’une des divulgations en cause.

93.En effet, il est parfaitement concevable qu’un journaliste financier, tel que M. [B], cherche à obtenir, auprès de l’une de ses sources habituelles, telle que M. [V], des éclaircissements sur la crédibilité d’une rumeur de marché dont il a eu connaissance sans en avoir été informé par celle-ci. Cette démarche de vérification de l’information par un croisement des sources est inhérente à l’activité journalistique. C’est la raison pour laquelle la CJUE a évoqué la possibilité que la divulgation de l’information sur la publication prochaine d’un article vise à vérifier ou à obtenir des éclaircissements sur la rumeur faisant l’objet de cet article, en prenant le soin d’indiquer que le destinataire de cette divulgation soit ou non la source de ladite rumeur (point 70 de l’arrêt préjudiciel précité).

94.De même, lorsque, pour les besoins de la vérification d’une rumeur susceptible de constituer une information exclusive, un journaliste financier, tel que M. [B], prend l’initiative de révéler celle-ci à l’une de ses sources habituelles, telle que M. [V], il a également tout intérêt à l’inciter vivement à ne pas la communiquer à des journalistes ou d’autres médias, tant qu’il n’aura pas publié son article sur cette information.

95.La circonstance, également invoquée par l’AMF, que les appels téléphoniques intervenus entre M. [B] et MM. [Y] et [V] ne proviennent pas du premier mais des seconds, ne remet pas davantage en cause cette analyse. En effet, quel que soit le sens de ces appels, M. [B] était en mesure, au cours des conversations en découlant, de demander respectivement à MM. [Y] et [V], non seulement, des éclaircissements sur la crédibilité de la rumeur sur les titres concernés, mais aussi, de ne pas la divulguer auprès de journalistes ou d’autres médias, dès lors qu’il avait l’intention de faire publier un article portant sur cette rumeur.

96.Il résulte de ces développements que les divulgations en cause doivent être regardées comme ayant poursuivi des finalités journalistiques, au sens de l’article 21 du règlement MAR, et relèvent donc du champ d’application de cet article.

97.Il convient donc à présent d’examiner, en second lieu, si les divulgations en cause remplissent les deux conditions cumulatives dégagées par la Cour de justice pour bénéficier de l’exception à l’interdiction de communication d’une information privilégiée, prévue à l’article 10 du règlement MAR.

98.Pour déterminer si la première condition est remplie, il importe d’apprécier si les divulgations en cause sont allées au-delà de ce qui était nécessaire pour vérifier la crédibilité des rumeurs ayant fait l’objet des articles de presse et préserver l’exclusivité des informations qui y étaient rapportées.

99.À cet égard, s’il n’était pas strictement nécessaire que M. [B] divulgue à MM. [Y] et [V] l’information sur la publication prochaine de ses articles relatifs à des rumeurs concernant les titres Hermès et Maurel & Prom, pour vérifier ou obtenir des éclaircissements de leur part sur la crédibilité de ces rumeurs, c’était en revanche le cas pour préserver l’exclusivité de l’information portant sur le prix potentiel des OPA envisagées.

100.C’était particulièrement le cas pour le titre Hermès, en raison de la publication récente d’articles de presse, notamment dans le Financial Times, évoquant une éventuelle montée du groupe LVMH au capital de la société Hermès, ce qui alimentait les spéculations déjà existantes et ne pouvait qu’accroître le risque que l’information exclusive relative au prix mentionné dans l’article de M. [B] (au surplus à un niveau très supérieur au cours de clôture de la veille) ne soit divulguée par d’autres journalistes avant la publication de celui-ci.

101.Quant au titre Maurel & Prom, il avait également fait l’objet d’une publication récente, notamment dans le Guardian. Deux articles de presse avaient ainsi été publiés quelques heures avant celui de M. [B], évoquant un potentiel intérêt de Royal Dutch Shell pour cette société et indiquant que l’action du groupe anglo-néerlandais avait clôturé en hausse et que la réussite d’une opération de rapprochement supposerait le paiement par celui-ci d’une prime importante par rapport au cours de bourse de ladite société.

102.Dans de telles circonstances, M. [B] ne pouvait raisonnablement escompter que MM. [Y] et [V] s’abstiennent provisoirement de diffuser le prix potentiel des OPA envisagées, sans leur annoncer que cette information figurerait dans ses articles prochainement publiés. Si cette annonce n’excluait pas tout risque de diffusion de leur part, elle était néanmoins indispensable pour solliciter d’eux qu’ils conservent à l’information son caractère confidentiel, en les mettant face à leur responsabilité, en tant que sources habituelles.

103.Il s’ensuit que les divulgations en cause doivent être considérées comme nécessaires à l’accomplissement de l’activité journalistique, au sens de l’article 10 du règlement MAR.

104.Pour déterminer si la seconde condition, tenant au respect du principe de proportionnalité, au sens dudit article 10, est également remplie, il importe, comme l’indique l’arrêt préjudiciel (point 84 précité), d’examiner si la restriction à la liberté de la presse que l’interdiction de ces divulgations engendrerait serait excessive par rapport au préjudice que celles-ci risquent de porter à l’intégrité des marchés financiers.

105.La CJUE ayant dégagé trois critères d’appréciation pour procéder à cette mise en balance des différents intérêts en présence, il convient d’en faire usage, en les examinant successivement puis ensemble.

106.S’agissant, en premier lieu, du critère tenant au respect des règles et codes régissant la profession de journaliste, comme la Cour l’a déjà relevé dans son arrêt du 9 juillet 2020, par des motifs auxquels il importe de renvoyer (paragraphes 283 à 285), il ne fait aucun doute qu’en procédant aux divulgations en cause, M. [B] n’a pas méconnu l’article 13 du code de conduite de l’IPSO (l’Independant Press Standards Organization), auquel était affilié le « Daily Mail » à la date des faits. Il a donc agi dans le respect des règles déontologiques qui lui étaient applicables. Toutefois, il ressort de l’arrêt préjudiciel (point 86, précité), renvoyant expressément sur ce point aux conclusions de l’avocate générale désignée dans la présente affaire (point 103), que ce critère n’est pas déterminant. En effet, les normes professionnelles en vigueur dans les États membres ne règlent qu’en partie et dans les grandes lignes l’articulation entre la liberté de la presse et la législation en matière d’opérations d’initiés.

107.S’agissant, en deuxième lieu, du critère tenant à l’effet potentiellement dissuasif de l’interdiction des divulgations en cause, pour l’exercice de l’activité journalistique, il est pertinent en l’espèce dans la mesure où l’application de cette interdiction à M. [B] risque de restreindre les journalistes financiers dans leurs travaux de vérification de la crédibilité des informations dont ils ont connaissance, en particulier lorsque celles-ci sont exclusives et de nature à susciter un vif intérêt des autres journalistes et organes de presse concurrents, prompts à les relayer immédiatement.

108.En effet, un journaliste détenant une information exclusive est confronté à deux exigences, consistant, d’une part, à agir de bonne foi dans le respect de ses devoirs et responsabilités, de manière à fournir, sur la base de faits exacts, une information fiable et précise, ce qui implique un travail suffisant de vérification de l’information notamment auprès de tiers, comme l’a précisé la CEDH (voir, notamment, arrêts du 10 juin 2009, Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (n° 1 et 2), req. n° 3002/03 et 23676/03, § 42 et du 12 juillet 2016, Reichman c. France, req. n° 50147/11, § 54 et 62) et, d’autre part, à préserver la confidentialité de ladite information en amont de sa publication, en vue de s’assurer de l’exclusivité de celle-ci, dans l’intérêt de l’organe de presse auquel il appartient.

109.Dans une telle situation, il est à craindre que l’interdiction de la divulgation, par un journaliste à l’une de ses sources habituelles, de l’information portant sur la prochaine publication de son article de presse relatif à une information exclusive n’incite celui-ci à privilégier la voie de la confidentialité de cette information et à réduire en conséquence ses travaux de vérification en la matière.

110.La publication d’informations exclusives revêtant une importance particulière dans le secteur de la presse financière, l’interdiction des divulgations en cause est donc susceptible d’affecter, plus particulièrement dans ce secteur, l’étendue de l’activité journalistique de vérification des informations sur des sujets d’actualité.

111.S’agissant, en troisième lieu, du critère tenant aux effets négatifs des divulgations en cause sur l’intégrité des marchés financiers, ils sont avérés dans la mesure où il est établi que ces divulgations ont servi à la commission de plusieurs manquements d’initiés, par MM. [Y] et [V], ainsi que par deux autres personnes proches de ces derniers, auxquels ils avaient transmis l’information privilégiée reçue de M. [B].

112.À cet égard, il importe de relever que ces manquements d’initié ont été presque tous commis par des professionnels des marchés financiers, à l’exception de l’un d’entre eux, qui était habitué desdits marchés.

113.En outre, ils ont procuré un avantage économique significatif à tous ceux qui ont utilisé l’information privilégiée, comme le précise en détail la décision attaquée (pages 31 et 32).

114.La circonstance, invoquée par le requérant, selon laquelle MM. [Y] et [V] faisaient partie de ses sources habituelles, de longue date, et qu’aucun comportement suspect ne leur aurait été reproché auparavant, ne change rien à ce constat.

115.Au surplus, comme l’a indiqué la Cour de justice dans l’arrêt précité (points 77 et 87), ces opérations d’initié, effectuées à la suite des divulgations en cause, sont susceptibles d’avoir engendré des pertes financières dans le chef d’autres investisseurs et, à moyen terme, la perte de confiance dans les marchés financiers, celle-ci reposant, notamment, sur le fait que les investisseurs sont placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation illicite d’informations privilégiées.

116.À cet égard, il importe de rappeler que Maurel & Prom a été amené à diffuser un communiqué pour apporter un démenti à la rumeur relayée par l’article de M. [B], eu égard à la forte augmentation du cours du titre dès le lendemain de sa publication (17, 69 % à la clôture).

117.Le premier critère étant nécessaire, mais pas déterminant, la mise en balance des intérêts en présence repose essentiellement sur les deux autres critères.

118.Or, s’agissant du deuxième critère, il importe de relever que l’intérêt du public de prendre connaissance de rumeurs de marché ne saurait avoir le même poids que celui d’acquérir des informations sur des questions présentant un intérêt général majeur, qui intéressent la vie de l’ensemble de la collectivité, sont vivement débattues et médiatisées (voir, en ce sens, CEDH, notamment, arrêt Brambilla c. Italie, req. n° 22567/09, § 59). La marge d’appréciation de l’existence d’un « besoin social impérieux », de nature à justifier une restriction à la liberté de la presse, étant moins restreint dans le premier cas que dans le second, il convient d’en tenir compte dans la balance des intérêts en présence.

119.En outre, conformément au point 88 de l’arrêt préjudiciel, il convient de prendre en compte le fait que l’intérêt public poursuivi par la divulgation en cause (la liberté de la presse) s’oppose non seulement à des intérêts privés (de certains investisseurs) mais aussi à un intérêt de même nature (consistant à assurer une transparence intégrale et adéquate du marché, afin d’en protéger l’intégrité et de garantir la confiance de l’ensemble des investisseurs).

120.Il résulte de cette mise en balance des intérêts en présence qu’en l’espèce les divulgations en cause ne sont pas proportionnées au sens de l’article 10 du règlement MAR.

121.Les deux manquements reprochés à M. [B] du fait de ces divulgations sont donc caractérisés.

III. SUR LA SANCTION ENCOURUE

122.À la page 31 de la décision attaquée, la Commission des sanctions, après avoir estimé que les trois manquements qu’elle a retenus revêtaient une gravité certaine et fait état des déclarations du mis en cause devant le rapporteur sur sa situation financière et patrimoniale, a infligé à son encontre une sanction pécuniaire de 40 000 euros.

123.M. [B] conteste le quantum de la sanction. Il soutient que ce quantum n’est pas proportionné au sens de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier. À cet égard, il fait valoir qu’il n’a jamais été poursuivi, ni a fortiori, condamné auparavant, a respecté les règles professionnelles auxquelles il était soumis et coopéré de bonne foi avec les services de l’AMF tout au long de la procédure. Il estime que ce quantum doit être significativement réduit, si ce n’est réduit à néant eu égard à la nécessité de garantir un cadre juridiquement sûr pour les journalistes ayant respecté leurs règles professionnelles et aux principes dégagés par la CEDH, qui veille à ce que la sanction infligée à un journaliste ne constitue pas une espèce de censure. Il relève enfin que la Cour ayant prononcé sa mise hors de cause pour l’un des trois griefs reprochés, une confirmation du quantum de la sanction, à périmètre constant, est exclue.

124.L’AMF observe qu’un journaliste financier ne peut ignorer les enjeux de la répression des abus de marché et, notamment, l’importance de la prévention des manquements d’initiés pour la protection des investisseurs et de l’épargne investie. Elle fait valoir que le régime de cette répression constitue un cadre juridique suffisamment sûr pour qu’il puisse utilement s’y référer. Elle estime que, quand bien même la divulgation d’une information privilégiée telle que celle en cause en l’espèce ne lui est pas expressément interdite par ses règles professionnelles, le journaliste financier, a fortiori disposant de l’expérience de M. [B], est à même d’en apprécier la nature exacte, comme ses conséquences potentielles. Elle en déduit que rien ne justifie qu’il puisse être, par principe, exonéré de sanction. Sur le quantum de celle-ci, elle considère que la mise hors de cause de M. [B] pour l’un des trois griefs reprochés ne diminue en rien la gravité intrinsèque des manquements commis et n’empêche pas le constat de leur réitération. Elle estime que ce quantum est proportionné à la gravité des manquements, ainsi qu’à sa situation financière.

125.Le ministère public invite la Cour à réduire le quantum de la sanction, compte tenu de la mise hors de cause de M. [B] pour l’un des manquements reprochés et des difficultés d’appréhension des articles 10 et 21 du règlement MAR, ayant nécessité un renvoi préjudiciel.

Sur ce, la Cour :

126.L’article L. 621-15, sous III ter, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016, rétroactivement applicable en l’espèce comme étant plus favorable que le précédent texte, énonce :

« Dans la mise en ‘uvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment :

‘ de la gravité et de la durée du manquement ;

‘ de la qualité et du degré d’implication de la personne en cause ;

‘ de la situation et de la capacité financières de la personne en cause au vu notamment de son patrimoine et, s’agissant d’une personne physique de ses revenus annuels, s’agissant d’une personne morale de son chiffre d’affaires total ;

‘ de l’importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;

‘ des pertes subies par les tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;

‘ du degré de coopération avec l’Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l’avantage retiré par cette personne ;

‘ des manquements commis précédemment par la personne en cause ;

‘ de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter la réitération du manquement ».

127.La loi encadre ainsi la mise en ‘uvre des sanctions, en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation, ainsi que leur proportionnalité.

128.En l’espèce, il y a lieu d’examiner si le montant de la sanction infligée à M. [B], qui est seul contesté, est proportionné au regard de ces critères.

129.Dans le cadre de cet examen, il conviendra également de prendre en compte la nécessité de mettre en balance deux intérêts publics, consistant, d’une part, à assurer le caractère dissuasif de la sanction pécuniaire afin de protéger l’intégrité des marchés financiers et garantir la confiance des investisseurs dans ces marchés et, d’autre part, à ne pas entraver la presse financière dans l’accomplissement de sa tâche d’information du public et des investisseurs (voir, en ce sens, CEDH, arrêt du 10 décembre 2007, Stoll c. Suisse, précité, § 116 et 154).

130.À cet égard, il importe de rappeler que M. [B] bénéficiait d’une solide expérience et d’une notoriété certaine en sa qualité de journaliste financier.

131.La Cour relève que la commission de deux manquements de même nature dans un intervalle d’un an ne caractérise pas la circonstance de réitération, entendue comme la propension à s’affranchir des règles applicables en matière d’abus de marché, en l’absence de tout constat de manquement préalable. Elle permet néanmoins d’apprécier la gravité des manquements reprochés. En effet, la répétition, à deux reprises, du même comportement, et la qualité de professionnel averti de leur auteur leur confère une gravité certaine.

132.Toutefois, comme l’a relevé à juste titre le ministère public, il doit être tenu compte du fait qu’une incertitude juridique existait à la date des faits, concernant la licéité ou l’illicéité des divulgations en cause, ce qui a conduit la Cour à saisir la CJUE de plusieurs questions préjudicielles, qui ont été examinées par celle-ci dans sa formation élargie (dite de Grande chambre).

133.Au surplus, il convient de tenir compte du fait que M. [B] a agi dans le respect des règles et codes régissant sa profession.

134.Il convient également de tenir compte de ses ressources. Il ressort du dossier qu’ayant cessé son activité de journaliste en avril 2016, il perçoit une pension de retraite d’environ 3100 euros par mois, et qu’il est propriétaire d’une maison d’environ 850 000 euros.

135.Compte tenu de ces éléments et de la mise en balance des intérêts publics en présence, il convient de réformer la décision attaquée sur ce point et de fixer le montant de la sanction prononcée à son encontre à 10 000 euros.

IV. SUR LA DEMANDE D’ANONYMISATION DE LA PUBLICATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE ET DE L’ARRÊT

136.À la page 32 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a retenu que la publication de sa décision n’était ni susceptible de causer un préjudice disproportionné aux personnes sanctionnées, ni de nature à perturber gravement la stabilité du système financier ou encore le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours. Elle a par conséquent ordonné la publication de sa décision, sans anonymisation, sauf en ce qui concerne les personnes mises hors de cause.

137.M. [B] sollicite l’anonymisation de la décision attaquée, ainsi que celle de l’arrêt à intervenir. Il fait essentiellement valoir qu’une publication non anonymisée lui cause un préjudice certain et disproportionné en ce qu’elle remet en cause son intégrité professionnelle alors qu’il est désormais retraité.

138.Dans ses observations, l’AMF considère que le préjudice « réputationnel » allégué par le requérant relève des effets inhérents à toute publication d’une décision de sanction et qu’il ne peut dès lors être regardé comme caractérisant un préjudice disproportionné. Elle relève, en outre, qu’étant à la retraite, il n’est plus confronté à des problématiques de réinsertion professionnelle, de sorte que son préjudice est, tout au plus, anecdotique.

Sur ce, la Cour :

139.L’article L. 621-15, V, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à compter du 11 décembre 2016, non modifiée dans un sens moins sévère, dispose :

« La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées.

La commission des sanctions peut décider de reporter la publication d’une décision ou de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :

a) Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné, notamment, dans le cas d’une sanction infligée à une personne physique, lorsque la publication inclut des données personnelles ;

b) Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement la stabilité du système financier, de même que le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours.

(‘)

Lorsqu’une décision de sanction prise par la commission des sanctions fait l’objet d’un recours, l’Autorité des marchés financiers publie immédiatement sur son site internet cette information ainsi que toute information ultérieure sur le résultat de ce recours » (souligné par la Cour).

140.En l’espèce, il convient de rejeter la demande d’anonymisation de la décision attaquée, le motif avancé par M. [B] à l’appui de sa demande n’étant pas de nature à caractériser l’existence d’un préjudice grave et disproportionné, au sens de l’article L. 621-15 V, précité.

141.En outre, la Cour rappelle qu’en vertu des dispositions précitées, l’AMF devra publier immédiatement sur son site internet l’information portant sur sa mise hors de cause pour l’un des manquements reprochés, ainsi que celle portant sur la réduction significative de la sanction infligée au titre de ceux retenus comme établis, s’agissant de l’issue du recours qu’il a formé, devant la Cour, contre la décision de la Commission des sanctions.

142.Au surplus, la Cour précise que le présent arrêt sera diffusé exclusivement de manière anonymisée, sous un format en « open data ».

V. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET DES DÉPENS

143.En équité, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

144.Il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

DIT que l’information portant sur la publication prochaine d’un article de presse à sa signature relayant une rumeur de marché sur les titres Hermès et Maurel & Prom, détenue et transmise par M. [B] à MM. [Y] et [V], respectivement le 8 juin 2011 et le 12 juin 2012, constitue une information privilégiée ;

DIT que cette transmission est illicite au sens des articles 10 et 21 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marchés (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2002/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission ;

RÉFORME la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers n° 11 du 24 octobre 2018, en ce qu’elle a prononcé à l’encontre de M. [B] une sanction pécuniaire de 40 000 euros ;

Statuant à nouveau,

INFLIGE à son encontre une sanction pécuniaire de 10 000 euros ;

REJETTE la demande d’anonymisation de la publication de la décision de la Commission des sanctions ;

DIT n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

LA GREFFIÈRE,

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE,

[T] [H]

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x