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COMM.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 septembre 2017
Rejet et cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 1223 FS-D
Pourvois n° U 15-20.087
R 15-20.291 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
I – Statuant sur le pourvoi n° U 15-20.087 formé par le président de l’Autorité de la concurrence, domicilié […] ,
contre un arrêt rendu le 21 mai 2015 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 5-7), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Electricité de France, société anonyme, dont le siège est […] ,
2°/ à la société Solaire direct, société anonyme, dont le siège est […] ,
3°/ au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, domicilié […] ,
défendeurs à la cassation ;
II – Statuant sur le pourvoi n° R 15-20.291 formé par la société Electricité de France (EDF), société anonyme,
contre le même arrêt rendu, dans le litige l’opposant :
1°/ au président de l’Autorité de la concurrence,
2°/ au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique,
3°/ à la société Solaire direct, société anonyme,
défendeurs à la cassation ;
Le demandeur au pourvoi n° U 15-20.087 invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi n° R 15-20.291 invoque, à l’appui de son recours, les quatre moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 4 juillet 2017, où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme X…, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mmes Laporte, Bregeon, Darbois, Orsini, MM. Sémériva, Cayrol, Mme Champalaune, conseillers, M. Contamine, Mmes Tréard, Le Bras, M. Gauthier, conseillers référendaires, Mme Beaudonnet, avocat général, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme X…, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat du président de l’Autorité de la concurrence, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Electricité de France, de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Solaire direct, l’avis de Mme Beaudonnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Solaire direct, qui opère dans le secteur de la production d’électricité photovoltaïque, a saisi le Conseil de la concurrence, devenu l’Autorité de la concurrence (l’Autorité), de pratiques d’abus de position dominante mises en oeuvre par la société Electricité de France (la société EDF) ainsi que par ses filiales, les sociétés EDF Energie nouvelle (la société EDF EN) et EDF Energies nouvelles réparties (la société EDF ENR) sur le marché des services aux particuliers souhaitant devenir producteurs d’électricité photovoltaïque ; que, par une décision n° 13-D-20 du 17 décembre 2013, l’Autorité a dit établi, à l’article 1er de sa décision, que la société EDF avait enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), pour avoir, d’une part, entre novembre 2007 et avril 2009, mis à la disposition de ses filiales actives dans le secteur photovoltaïque, au surplus dans des conditions financières avantageuses, des moyens matériels et immatériels permettant à ces dernières de bénéficier de son image de marque et de sa notoriété et, d’autre part, utilisé les données dont elle disposait en sa qualité de fournisseur historique d’électricité pour faciliter la commercialisation des offres de sa filiale, la société EDF ENR ; qu’à l’article 2, l’Autorité a dit établi que la société EDF avait enfreint ces mêmes dispositions en mettant à la disposition de ses filiales, actives dans ce secteur, la marque et le logo EDF ENR qui leur ont permis, compte tenu des caractéristiques du marché, de bénéficier de son image de marque et de sa notoriété, entre le mois de mai 2009 et le 31 mars 2010 ; qu’elle a, en conséquence, infligé à la société EDF une sanction pécuniaire au titre de chacune de ces infractions ; que saisie d’un recours par la société EDF, la cour d’appel l’a rejeté en ce qu’il tendait à l’annulation de l’article 1er de la décision, sauf en ce qui concerne le montant de la sanction infligée, qu’elle a réduit, et a dit non établie l’infraction visée à l’article 2 ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° R 15-20.291 :
Attendu que la société EDF fait grief à l’arrêt du rejet de son recours en annulation de l’article 1er de la décision alors, selon le moyen :
1°/ que seul un grief clair, précis, préalablement notifié dans les mêmes termes et sur lequel la société a pu présenter ses observations peut être retenu à son encontre par la formation de jugement de l’Autorité de la concurrence ; qu’ainsi cette dernière ne peut ni compléter, ni modifier, ni regrouper les griefs reprochés aux entreprises au stade du jugement de l’affaire ; qu’en considérant qu’aux termes du premier grief les services d’instruction ont clairement reproché à la société EDF la mise à disposition, anticoncurrentielle en tant que telle, de moyens matériels et immatériels au bénéfice de ses filiales qui ont conféré à ces dernières un avantage concurrentiel non réplicable dans la concurrence qu’elles livrent aux autres opérateurs présents dans la filière photovoltaïque, tout en constatant qu’il résulte sans la moindre ambiguïté du libellé même du grief, que les conditions financières avantageuses n’interviennent dans la qualification de la pratique en cause qu’au surplus en amplifiant l’avantage concurrentiel que procure déjà la simple mise à disposition des moyens matériels et immatériels en cause, ce dont il résulte que les conditions financières de l’opération ont bien été prises en considération dans la qualification de la pratique, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-2 du code de commerce ;
2°/ que seul un grief clair, précis, préalablement notifié dans les mêmes termes et sur lequel la société a pu présenter ses observations peut être retenu à son encontre par la formation de jugement de l’Autorité de la concurrence ; qu’ainsi cette dernière ne peut ni compléter, ni modifier, ni regrouper les griefs reprochés aux entreprises au stade du jugement de l’affaire ; qu’en considérant qu’aux termes du premier grief les services d’instruction ont clairement reproché à la société EDF la mise à disposition, anticoncurrentielle en tant que telle, de moyens matériels et immatériels au bénéfice de ses filiales qui ont conféré à ces dernières un avantage concurrentiel non réplicable dans la concurrence qu’elles livrent aux autres opérateurs présents dans la filière photovoltaïque, tout en prenant en considération « l’effet anticoncurrentiel des conditions financières de mise à disposition de certains actifs » pour confirmer l’article 1er de la décision déférée déclarant la société EDF coupable d’abus de position dominante, ce dont il résulte que les conditions financières de l’opération ont bien été prises en considération dans la qualification de la pratique, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-2 du code de commerce ;
3°/ que seul un grief clair, précis, préalablement notifié dans les mêmes termes et sur lequel la société a pu présenter ses observations peut être retenu à son encontre par la formation de jugement de l’Autorité de la concurrence ; qu’ainsi cette dernière ne peut ni compléter, ni modifier, ni regrouper les griefs reprochés aux entreprises au stade du jugement de l’affaire ; qu’en affirmant, pour considérer que les griefs notifiés étaient autonomes, qu’ils visaient chacun à appréhender des pratiques distinctes quand il ressort expressément de la décision déférée que la première branche du premier grief et le second grief ont ensuite été réunis par l’Autorité de la concurrence elle-même pour caractériser une infraction unique sanctionnée par une seule et même amende, ce dont il résulte que les pratiques visées par chacun des griefs n’étaient pas totalement distinctes l’une de l’autre, la cour d’appel a violé de plus fort les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-2 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir rappelé le libellé du premier grief notifié à la société EDF, l’arrêt retient que les services d’instruction lui ont reproché, de manière claire, la mise à disposition, en tant que telle, de moyens matériels et immatériels au bénéfice de ses filiales qui ont conféré à ces dernières un avantage concurrentiel non réplicable dans la concurrence qu’elles livrent aux autres opérateurs présents dans la filière photovoltaïque ; qu’il relève que la précision apportée dans le corps de la notification des griefs, selon laquelle aucune subvention de la part de la société EDF au profit de sa filiale EDF ENR n’a été identifiée, confirme que la référence aux conditions financières dans lesquelles cette mise à disposition est intervenue avait pour seule finalité de souligner l’importance des avantages conférés ; qu’en l’état de ces motifs, dont il ressort que la référence à ces circonstances permettait d’apprécier l’ampleur de la perturbation occasionnée, mais restait sans incidence sur la qualification de la pratique reprochée, fondée sur un abus de position dominante, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu les conséquences légales de ses constatations, a pu retenir que la société EDF avait été en mesure de déterminer la portée du premier grief qui lui a été notifié ;
Et attendu, en second lieu, que la cour d’appel ayant retenu que chacun des griefs avait été notifié et était dépourvu d’ambiguïté et que la société EDF avait été en mesure de présenter ses observations, la troisième branche, qui critique leur regroupement dans la décision au sein d’un même article, est sans portée ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du même pourvoi :
Attendu que la société EDF fait grief à l’arrêt de lui infliger une sanction au titre de l’infraction visée par l’article 1er de la décision alors, selon le moyen :
1°/ que tout justiciable doit être mis en mesure de connaître, à l’avance, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes ou omissions sont susceptibles d’engager sa responsabilité pénale ou quasi-pénale ; qu’en reprochant à la société EDF d’avoir mis en oeuvre des actions en elles-mêmes licites mais qui constitueraient un abus de position dominante en raison de leur seul cumul, la cour d’appel qui a méconnu les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, a violé les articles 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
2°/ que constitue une subvention croisée le fait pour un opérateur historique d’utiliser la rente générée par son activité exercée en monopole pour conquérir des parts de marché ou compenser des pertes sur un segment d’activité ouvert à la concurrence ; que le juge ne peut établir qu’un opérateur historique a utilisé les moyens de son monopole à des conditions avantageuses qu’en se livrant à des tests de coûts précis admis par la doctrine économique ; qu’en refusant d’appliquer le standard de preuve applicable en cas de subventions croisées, en se fondant exclusivement, sur la notification des griefs et le rapport pour considérer que les conditions financières de la mise à disposition par la société EDF au profit de sa filiale photovoltaïque de moyens matériels et immatériels ayant permis à cette dernière d’utiliser son image de marque et sa notoriété pour commercialiser ses offres photovoltaïques « ne constituent (
) pas des éléments constitutifs de l’infraction » quand l’article 1er de la décision de l’Autorité de la concurrence confirmée par l’arrêt attaqué reproche in fine expressément à la société EDF d’avoir commis un abus de position dominante en mettant « à la disposition de ses filiales actives dans le secteur photovoltaïque, au surplus dans des conditions financières avantageuses, des moyens matériels et immatériels qui ont permis à ces dernières de bénéficier de son image de marque et de sa notoriété », ce qui suffit à démontrer que les conditions financières prétendument avantageuses de cette mise à disposition ont bien été prises en compte au titre des éléments constitutifs de l’infraction pour laquelle la société EDF a été condamnée, sans pour autant appliquer le test économique permettant d’établir l’existence d’une subvention croisée, la cour d’appel a violé les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
3°/ qu’en affirmant que les conditions financières avantageuses de la mise à disposition par la société EDF au profit de sa filiale photovoltaïque de moyens matériels et immatériels ayant permis à cette dernière d’utiliser son image de marque et sa notoriété pour commercialiser ses offres photovoltaïques « ne constituent (
) pas des éléments constitutifs de l’infraction » mais sont seulement appréhendées en ce qu’elles amplifient les effets des pratiques tout en considérant par ailleurs que ces conditions financières avaient eu un effet anticoncurrentiel sur le marché, ce qui ôte tout caractère surabondant à ces constatations, la cour d’appel a violé les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
4°/ qu’en affirmant que les conditions financières de la mise à disposition de moyens par la société EDF sont seulement appréhendées en ce qu’elles amplifient les effets des pratiques, tout en constatant au sujet des conditions financières de la mise à disposition de la marque après mai 2009, que la société EDF « requérante ne peut être sérieusement contredite lorsqu’elle affirme que la mise à disposition d’actifs qui vient nécessairement la compenser ne saurait, en soi, l’amplifier », la cour d’appel a violé les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
5°/ que commet un abus de position dominante par octroi de conditions financières avantageuses l’opérateur historique qui utilise la rente générée par son activité exercée en monopole pour conquérir directement ou par l’intermédiaire de ses filiales, des parts d’un marché distinct ouvert à la concurrence en proposant des prix prédateurs ;qu’en confirmant l’article 1er de la décision déférée ayant dit que la société EDF avait commis un abus de position dominante en mettant notamment à la disposition de ses filiales actives dans le secteur photovoltaïque, au surplus dans des conditions financières avantageuses, des moyens matériels et immatériels qui ont permis à ces dernières de bénéficier de son image de marque et de sa notoriété, tout en admettant que les prix pratiqués par les filiales photovoltaïques de la société EDF étaient supérieurs à ceux de la concurrence si bien qu’aucun prix abusivement bas ne pouvait leur être reproché, ce qui suffit à démontrer que la mise à disposition de moyens dans des conditions prétendument avantageuses n’avait pas été utilisée à des fins de prédation, la cour d’appel a violé les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
6°/ qu’en reprochant à la société EDF d’avoir permis à sa filiale active dans la filière photovoltaïque, EDF ENR, de bénéficier, entre novembre 2007 et avril 2009 de son image de marque et de sa notoriété en entretenant la confusion dans l’esprit des consommateurs entre son activité de fournisseur d’électricité et celle de ses filiales, leur procurant ainsi un avantage non réplicable par les concurrents de ces filiales, tout en admettant que « l’utilisation de l’image de marque et de la notoriété de l’opérateur historique ne constitue pas un abus en soi », la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
7°/ qu’en se bornant à reprocher à la société EDF d’avoir permis à sa filiale active dans la filière photovoltaïque, EDF ENR, de bénéficier, entre novembre 2007 et avril 2009 de son image de marque et de sa notoriété en entretenant la confusion dans l’esprit des consommateurs entre son activité de fournisseur d’électricité et celle de ses filiales, leur procurant ainsi un avantage non réplicable par les concurrents de ces filiales, tout en admettant que « l’utilisation de l’image de marque et de la notoriété de l’opérateur historique (
) ne peut devenir anticoncurrentielle qu’au vu des circonstances particulières de sa mise en oeuvre », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
8°/ qu’en affirmant que « l’Autorité a exactement constaté (
) que l’avantage concurrentiel des marques et logos du groupe EDF est accru par les caractéristiques du marché en cause, dès lors que le secteur de l’énergie photovoltaïque est essentiellement composé de petites et moyennes entreprises qui ne sont pas en mesure d’acquérir, dans un horizon temporel raisonnable, une notoriété susceptible de concurrencer celle du groupe EDF, lequel détient celle-ci non du fait des mérites de ses services sur la filière photovoltaïque mais du fait de sa position d’opérateur historique sur le marché de la fourniture d’électricité », avant d’admettre que « s’agissant des caractéristiques de l’offre, (
) l’Autorité ne démontre pas que les opérateurs de petite et moyenne taille ne disposant pas d’une marque notoire auraient rencontré des difficultés spécialement au regard de leurs parts de marchés comprises entre 85 et 99 % depuis 2007 et alors qu’à partir du moratoire de 2010, ainsi que le reconnaît la décision les consommateurs se sont orientés vers les artisans locaux », la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ;
9°/ que l’utilisation par un opérateur historique des informations relatives aux seules coordonnées de ses clients obtenues dans le cadre de son ancien monopole ne lui procure pas un avantage concurrentiel indu lorsque ces informations sont commercialisées pour un coût raisonnable par de nombreux acteurs sur le marché des bases de données librement accessibles notamment sur internet ; qu’en affirmant, pour reprocher à la société EDF d’avoir abusé de sa position dominante, que les seuls noms et coordonnées des clients de la société EDF communiqués à sa filiale photovoltaïque constituaient des données stratégiques non réplicables dans des conditions économiquement raisonnables, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;