AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par le Crédit Lyonnais, société anonyme, dont le siège est …, et le siège central …,
en cassation d’un arrêt rendu le 19 janvier 1994 par la cour d’appel d’Agen (1e chambre civile), au profit de M. Didier X…, demeurant Sausset, 47170 Saint-Pe Saint-Simon,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt;
LA COUR, en l’audience publique du 27 mars 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Gomez, Léonnet, Poulain, Canivet, conseillers, Mme Geerssen, M. Huglo, Mme Mouillard, conseillers référendaires, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Vier et Barthélemy, avocat du Crédit Lyonnais, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt critiqué (Agen, 19 janvier 1994), que, le 28 mars 1991, la société Agrimat a remis à l’escompte, au Crédit lyonnais, une lettre de change qu’elle avait tirée sur M. X… et que celui-ci avait acceptée; qu’après la mise en redressement judiciaire de la société Agrimat, intervenue le 10 mai 1991, le Crédit lyonnais a assigné M. X… en paiement du montant de l’effet;
Attendu que le Crédit lyonnais fait grief à l’arrêt confirmatif d’avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, que la mauvaise foi du tiers porteur susceptible de tenir en échec le principe d’inopposabilité des exceptions du droit cambiaire suppose concrètement établie, au moment de l’escompte de l’effet impayé, la conscience du préjudice causé au débiteur cambiaire ou de la siutation irrémédiablement compromise du tireur; qu’en se bornant à relever en l’espèce, que, de par sa situation de banquier de la société Agrimat, il avait eu connaissance des difficultés financières qui avaient mené celle-ci au redressement judiciaire, sans relever aucun autre élément concret justifiant en l’espèce la conscience qu’il avait pu avoir le 28 mars 1991, date de l’escompte, six semaines avant le prononcé du redressement judiciaire, le 10 mai 1991, de la situation irrémédiablement compromise de la société ou du préjudice causé au tiré accepteur, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 121 du Code de commerce;
Mais attendu que l’arrêt retient que le Crédit lyonnais, banquier de la société Agrimat, a déclaré une créance supérieure à 2 millions, y compris notamment un crédit de trésorerie de 600 000 francs et des impayés pour plus d’un million, que l’importance même de cette déclaration est révélatrice d’une situation financière très obérée, que l’état financier de la société Agrimat était irrémédiablement compromis dès avant l’escompte de l’effet, et que le Crédit lyonnais, qui avait, en tant que banquier de la société Agrimat, accès à des informations privilégiées sur la situation économique et financière de cette société, était en mesure d’appréhender exactement la situation de son client; qu’en l’état de ces constatations, la cour d’appel a décidé, en justifiant légalement sa décision, que le Crédit lyonnais, qui avait nécessairement connaissance de la situation irrémédiablement compromise de la société Agrimat, devait être considéré comme tiers porteur de mauvaise foi; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé;