Informations privilégiées : 14 décembre 2000 Cour de cassation Pourvoi n° 99-87.140

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Informations privilégiées : 14 décembre 2000 Cour de cassation Pourvoi n° 99-87.140
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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze décembre deux mille, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LUCAS ;

Statuant sur les pourvois formés par :

– Y… Jacques,

– E… Antoine,

contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, 7ème chambre, du 15 septembre 1999, qui a condamné, le premier, pour corruption passive, trafic d’influence et recel d’abus de biens sociaux, à 2 ans d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis et 30 000 francs d’amende, le second, pour trafic d’influence, recel d’abus de biens sociaux et atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, à 3 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis et 50 000 francs d’amende, et a prononcé à leur encontre 5 ans d’interdiction des droits civiques, civils et de famille ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 460 et 461 anciens du Code pénal, 321-1 nouveau du Code pénal, 437 de la loi du 24 juillet 1966, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

“en ce que la Cour a déclaré deux fonctionnaires coupables de recel d’abus de biens sociaux ;

“aux motifs que le 20 septembre 1994, le commandant de la brigade de gendarmerie de Rive-de-Gier avait appris de différentes sources anonymes que des élus et des fonctionnaires du département de la Loire bénéficiaient de voyages dits d’études, payés par des entreprises privées en contrepartie d’avantages ou en échange de leur influence afin d’obtenir des décisions favorables pour l’octroi de marchés publics ; qu’il était ainsi révélé à ce gendarme que le 24 septembre 1993, la société Sade, la Société SMTP et la société Cholton avaient financé l’assistance au grand prix automobile de formule 1 du Portugal à Estoril de douze personnes parmi lesquelles, outre leurs dirigeants, se trouvaient notamment Antoine E…, directeur adjoint de la DARAT (direction de l’aménagement rural de l’agriculture et du tourisme au conseil général de la Loire), Jacques Y…, chargé de mission hydraulique auprès de la DARAT, Gérald Z…, maire de la commune de Dargoire, et Georges H…, gérant de la société d’études des réseaux, ancien fonctionnaire de la DDA, et que la société SMTP avait financé, du 14 au 21 février 1993, le voyage en Egypte d’Antoine E… et de son épouse ; qu’il était enfin précisé aux gendarmes que les personnes publiques bénéficiaires de ces avantages avaient pu favoriser les entreprises précitées, que la commune de Dargoire devait réaliser un réseau d’assainissement avec station d’épuration pour un coût de six millions de francs, que ces travaux allaient être confiés à la société Cholton, en dépit d’une procédure d’appel d’offres qui devait avoir lieu fin octobre, début novembre 1994, que le bureau

d’études SER, dirigé par Georges H…, reverserait un pourcentage des marchés au parti communiste, que la société Cholton réalisait déjà pour la commune de Dargoire des travaux pour un montant de 636 286 francs, que la société SERP avait effectué et devait encore effectuer des travaux pour la commune de Dargoire financés par le syndicat intercommunal d’électrification de la Loire dont le responsable était Daniel X…, et que les entreprises Cholton et SERP, dirigées par Jean-Yves B…, avaient effectué des travaux, d’un coût très important, pour les communes de Rive-de-Gier et de Saint-Chamond ; que, dans un procès-verbal complémentaire en date du 18 novembre 1994, l’officier de police judiciaire avait précisé que la procédure d’appel d’offres pour la réalisation d’une première tranche (1 600 000 francs) du marché des travaux d’assainissement de la commune de Dargoire avait eu lieu et que six entreprises avaient été retenues, parmi lesquelles les sociétés Sade, SMTP et Cholton, le bureau d’études choisi étant la société SER ; que le 25 novembre 1994, le Parquet de Saint-Etienne avait ordonné une enquête préliminaire qui avait confirmé la réalité des voyages en question ; que Gérald Z… avait reconnu avoir commis l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés ; qu’il avait admis avoir bénéficié de la part des sociétés Cholton et SERP de trois cadeaux (voyages à Estoril en septembre 1993, à Roland-Garros en juin 1994, travaux effectués gratuitement dans sa propriété privée lors du premier semestre 1994), précisant qu’il s’était alors senti lié en tant que maire envers les sociétés qui le gratifiaient et que cela avait influencé son comportement dans le cadre de ses fonctions ; qu’il avait indiqué qu’au cours du voyage à Estoril, Jean-Yves B…, dirigeant de la société Cholton, et Joël C…, dirigeant de la société SMTP, avaient fait état de leur volonté de travailler sur la commune de Dargoire, et qu’Antoine E… était intervenu dans la conversation pour appuyer les demandes de Jean-Yves B… et Joël C…, précisant que si elles étaient satisfaites, la DARAT délivrerait des subventions ; que Gérald Z… avait affirmé avoir été pris dans un système bien rodé, mis au point par Jean-Yves B…, Joël C… et Georges H… et avoir agréé les faveurs de ces chefs d’entreprises, en contrepartie de quoi il avait accepté de fermer les yeux sur les irrégularités commises lors de la passation des marchés publics relatifs à l’assainissement de la commune et à la réfection du chemin de Gandillon ; qu’il avait précisé que Georges H… lui avait, pour ces deux marchés, annoncé avant même l’ouverture des plis que les sociétés les moins disantes seraient la société Cholton pour le chemin de Gandillon et la société SMTP pour les travaux d’assainissement ; qu’il avait avoué que le fait d’avoir reçu des cadeaux de la société Cholton l’avait conduit à lui octroyer le marché du chemin de Gandillon ; qu’il n’avait pu expliquer le surcoût de 478 952 francs du marché attribué à la société SMTP, pour la tranche conditionnelle qui, réalisée avant la tranche ferme, était passée de 1 684 550 francs à 2 613 502 francs ; que Jean-Yves B… et Joël C… avaient expliqué que les voyages payés à Gérald Z… et aux fonctionnaires de la DARAT procédaient d’une démarche purement commerciale vis-à-vis de clients, de décideurs ou d’interlocuteurs privilégiés capables de faire passer le message auprès des décideurs éventuels

(arrêt p. 5 à 8) ; qu’il était reproché à Jacques Y… d’avoir sciemment recélé diverses prestations de services de restauration (environ 50 000 francs), d’hôtellerie et de voyages (environ 50 000 francs) qu’il savait provenir d’abus de biens sociaux commis par Joël C… au préjudice de la société SMRP ;

que Jacques Y… contestait l’importance des avantages dont il avait bénéficié, soutenant ne pas avoir participé à certains voyages, prétendant que les documents comptables de la société SMTP, à partir desquels avait été établie la liste des voyages et repas offerts, comportait des erreurs ; que l’existence de quelques erreurs n’était pas de nature à remettre en cause le fait que Jacques Y… avait, de manière répétée, pris des repas aux frais de cette société et s’était vu offrir des billets de train et des séjours à Paris avec son épouse ; qu’il avait reconnu avoir effectué des voyages financés par la SMTP ; que Jacques Y… concluait à l’absence d’élément moral des recels d’abus de biens sociaux, en affirmant que dans le domaine des travaux publics, les dépenses de relations publiques relevant d’une politique commerciale étaient coutumières et ancestrales ; qu’il ajoutait qu’il n’avait même pas imaginé que de déjeuner, fût-ce une fois tous les quinze jours avec des chefs d’entreprises de travaux publics, pouvait l’amener à se poser la question de savoir si, en acceptant des invitations, il bénéficiait en toute connaissance de cause du produit d’un délit qui consistait pour le chef d’entreprise payant l’addition, à faire de mauvaise foi du crédit de la société un usage que ce dirigeant savait contraire à l’intérêt de cette dernière et à des fins personnelles ; que, sauf à considérer qu’il avait été aveuglé par une naïveté et une ingénuité peu compatibles avec les qualités requises d’un fonctionnaire territorial de haut rang, Jacques Y… n’avait pas pu ne pas avoir conscience, devant le caractère répété et l’ampleur des largesses de la société SMTP à son égard, de l’objectif corrupteur poursuivi par le dirigeant de cette entreprise et du caractère anormal de la complaisance avec laquelle il avait accepté de profiter de ses dons ;

que Jacques Y… connaissait ainsi le caractère délictueux du comportement de Joël C…, qui utilisait de la sorte les fonds de la société qu’il dirigeait, exposant celle-ci à un risque pénal contraire à son intérêt ; que Jacques Y… était coupable de recel d’abus de biens sociaux commis par Joël C… (arrêt p. 9 à 11) ; qu’il était reproché à Antoine E… d’avoir sciemment recelé diverses prestations de service de restauration (pour environ 50 000 francs), d’hôtellerie et de voyages (pour environ 50 000 francs), qu’il savait provenir d’abus de biens sociaux commis par Jean-Yves B… au préjudice de la société Cholton et par Joël C… au préjudice de la société SMTP ; que si Antoine E… avait contesté certains repas ou certains voyages, qui, selon lui, lui avaient été imputés à tort, il avait reconnu avoir bénéficié de la plupart des avantages révélés par l’enquête ; que ce prévenu avait cru devoir déclaré : “Je n’ai jamais eu de doute sur les motifs de mes fréquentes invitations au restaurant de la part de Joël C… ou de Jean-Yves B…. C’est avec un réel plaisir que je déjeunais avec ces personnes. Si j’avais su que tous ces repas étaient réglés avec les comptes des sociétés, je me serais interrogé très sérieusement pour changer d’attitude” ;

mais que l’élément intentionnel du recel reproché à Antoine E… existait bien ; que, comme pour son subordonné Jacques Y…, sauf à admettre que Antoine E…, fonctionnaire territorial exerçant de hautes responsabilités, avait été abusé par une naïveté et une candeur difficilement conciliables avec les qualités requises pour l’exercice des fonctions qui lui étaient confiées, cet agent du département n’avait pas pu ne pas avoir conscience que les gratifications dont il bénéficiait lui étaient offertes par les entreprises et non par leurs dirigeants à titre personnel et en considération des avantages qu’elles escomptaient de lui en retour ;

qu’au demeurant, Antoine E… ne pouvait invoquer une absence totale de défiance de sa part, alors qu’il avait lui-même reconnu que la DARAT prenait de plus en plus d’importance et que beaucoup de personnes ne voyaient pas d’un très bon oeil ces sorties fréquentes” ; qu’enfin, alors que l’information était ouverte depuis le 31 octobre 1995, s’était tenue le 10 janvier 1996 au siège de la DARAT une réunion au cours de laquelle, selon Jacques Y…, avait été “prôné le fait de privilégier l’aspect technique et professionnel des voyages organisés, au cas où il y aurait des convocations dans le cadre du présent dossier judiciaire” ; que, tout comme Jacques Y…, Antoine E… savait que les dépenses ainsi engagées par ces sociétés étaient contraires à leur intérêt dès lors qu’elles ne pouvaient avoir de contrepartie que par le biais de la commission d’un délit de corruption ou de trafic d’influence ;

qu’Antoine E… était coupable de recel d’abus de biens sociaux (arrêt p. 13 et 14) ;

“alors que la Cour n’a pas fait apparaître, autrement que par des considérations générales et hypothétiques, que les prévenus auraient su que les versements litigieux étaient supportés par les sociétés concernées et non par leur dirigeant à titre personnel” ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 177 et 178 anciens du Code pénal, 432-11 nouveau du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

“en ce que la Cour a déclaré deux fonctionnaires territoriaux coupables de corruption passive et de trafic d’influence ;

“aux motifs qu’il était encore reproché à Jacques Y… d’avoir, en sa qualité de chargé de mission à la DARAT du conseil général de la Loire, et à ce titre chargé d’une mission de service public, agréé sans droit, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, en l’espèce en acceptant des prestations de service de restauration, d’hôtellerie et de voyages pour un montant global d’environ 100 000 francs de la part de la société SMTP, et ce, d’une part, pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction ou de sa mission, en l’espèce en conseillant le choix de la société SMTP à des collectivités locales pour l’attribution de marchés de travaux publics ainsi qu’en divulguant à la SMTP des informations relatives aux estimations de travaux pour les marchés de Bussy-Albieux, du tunage du canal du Forez et pour le marché de l’irrigation du canal du Forez, et, d’autre part, pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité des marchés ou toute autre décision favorable, en l’espèce en influençant directement les décideurs du conseil général de la Loire, grâce à sa position d’interlocuteur privilégié de ces décideurs, pour faire allouer des subventions permettant le financement de travaux réalisés par la SMTP ; que Jacques Y… avait accepté des prestations d’hôtellerie, de voyages et de restauration de la part de la société SMTP dès 1992, la première année de sa prise de fonction, et chaque année suivante jusqu’en 1995 ; que ces multiples invitations, à sens unique, de ce fonctionnaire de responsabilité du conseil général de la Loire avec qui la SMTP avait des relations professionnelles, non seulement récompensaient les actes passés mais avaient pour but de faciliter des services futurs ; que le caractère d’antériorité du pacte de corruption liant la société corruptrice au fonctionnaire corrompu résultait suffisamment du fait que les avantages reçus avaient été réitérés, de telle sorte qu’ils avaient nécessairement précédé les agissements du corrupteur et déterminé le corrompu ; que, contrairement à ce qu’il soutenait, Jacques Y… s’était enrichi en ne supportant pas lui-même des dépenses de restauration et de loisirs qui lui incombaient ; que Jacques Y… avait reconnu que dans le cadre de la procédure d’appel d’offres restreint mis en place pour l’attribution du marché de Bussy-Albieux, il avait conseillé la commission sur le nom des entreprises qu’il estimait les plus performantes, parmi lesquelles se trouvait le groupement dont faisait partie la société SMTP ; que le prévenu avait également admis avoir donné son avis à la commission d’appel d’offres

restreint pour l’opération d’aménagement du canal du Forez ; qu’il avait déclaré qu’il était généralement suivi dans les propositions qu’il faisait ; qu’en intervenant ainsi auprès des commissions d’appel d’offres restreint du conseil général, en faveur de la société SMTP dont il avait, sans droit, agréé les avantages qu’elle lui avait offerts, Jacques Y… avait abusé de son influence réelle en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des marchés, se rendant ainsi coupable du délit prévu et réprimé par l’article 432-11-2 du Code pénal ; que Jacques Y… avait bien commis le délit de corruption passive prévu par l’article 432-11-1 en divulguant à la société corruptrice SMTP des informations privilégiées, en exécution du pacte de corruption qui les liait ; que ce prévenu avait en effet reconnu avoir lui-même établi le devis estimatif des travaux d’irrigation de Bussy-Albieux et d’aménagement du canal du Forez ;

qu’il avait admis avoir communiqué à Joël C… le montant total des travaux de Bussy-Albieux avant de faire parvenir à la société SMTP le dossier de consultation des entreprises ; qu’il avait également avoué avoir transmis le montant des travaux pour l’aménagement du canal du Forez à M. F…, directeur de la société Forézienne d’entreprises, en reconnaissant que “le fait que la société SMTP concourait avec la Forézienne l’avait peut-être incité à agir de la sorte” ; qu’en communiquant des éléments d’informations de nature à privilégier l’entreprise à laquelle ils étaient destinés, Jacques Y… avait bien accompli des actes de sa fonction ou facilité par sa fonction (arrêt p. 11 et 12) ; qu’en communiquant de façon privilégiée à la société SMTP, dès le lendemain du dépôt des offres, soit le 28 octobre 1995, pour le marché du tunage du canal du Forez, que son offre était la moins disante, et en décidant d’ordonner le démarrage des travaux en novembre 1995, alors que le marché n’avait, en réalité, été conclu que le 15 décembre 1995, anticipant ainsi la réalisation des travaux sur la passation du marché, en faisant une déclaration abusive d’urgence, Jacques Y… avait accompli des actes de sa fonction ou facilité par sa fonction, et s’était rendu coupable du délit de corruption passive ; qu’en effet Joël C… avait déclaré avoir su par Jacques Y… que la SMTP était la moins disante et avoir reçu de ce fonctionnaire la consigne de commencer les travaux, qui avaient débuté selon lui aux alentours du 20 novembre 1995, alors que le marché n’avait été conclu que le 15 décembre 1995 ; que Jacques Y… ne pouvait se prévaloir d’une situation d’urgence, au demeurant non établie, pour justifier a posteriori une telle violation des règles éditées pour les marchés publics qui aboutissait pratiquement à ôter en réalité tout choix à la collectivité placée devant le fait accompli (arrêt p. 13) :

qu’Antoine E… se voyait en outre reprocher d’avoir, en sa qualité de directeur adjoint de la DARAT au conseil général de la Loire, chargé d’une mission de service public, agréé sans droit, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, en l’espèce en acceptant des prestations de service de restauration, d’hôtellerie et de voyages pour un montant d’envion 100 000 francs de la part des société Cholton et SMTP, et ce, d’une part, pour accomplir ou

d’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction ou de sa mission, en l’espèce en conseillant le choix de la société Cholton et celui de la société SMTP à des collectivités locales pour l’attribution de marchés publics et notamment pour la commune de Dargoire, et, d’autre part, pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité des marchés ou toute autre décision favorable, en l’espèce en influençant directement les décideurs du conseil général de la Loire grâce à sa position d’interlocuteur privilégié de ces décideurs pour faire allouer des subventions permettant le financement de travaux publics réalisés par les sociétés Cholton et SMTP ; qu’Antoine E… était le chef du service équipement des communes qui instruisait l’ensemble des demandes de subventions pouvant être accordées par le conseil général aux collectivités locales réalisant des programmes d’aménagement du territoire dans le domaine des équipements ; qu’Antoine E… était bien lié par un pacte de corruption aux sociétés Cholton et SMTP, dont les dirigeants l’avaient fait bénéficier de multiples prestations de restauration, d’hôtellerie et de voyages, et ce, non à raison de sa personne, mais bien des fonctions qu’il occupait au sein de l’organisme public qu’était la DARAT ; qu’Antoine E… n’avait jamais prétendu avoir rendu une seule de ces invitations ; que ces avantages, ainsi agréés par Antoine E…, non seulement récompensaient les services passés, mais avaient pour finalité de favoriser les interventions futures, que le caractère d’antériorité du pacte liant les deux sociétés corruptrices à ce fonctionnaire corrompu résultait suffisamment du fait que les avantages reçus avaient été réitérés sur plusieurs années, de sorte qu’ils avaient nécessairement précédé les agissements du corrupteur et déterminé le corrompu ; qu’Antoine E… avait reconnu que lorsqu’un maître d’ouvrage l’interrogeait sur les capacités de qualification des entreprises de la région, il en citait un nombre restreint, dont Cholton et la SMTP ; que ce faisant, Antoine E…, qui n’avait pas lui-même le pouvoir d’attribuer les marchés, s’était rendu coupable, non du délit de corruption, mais de celui de trafic d’influence passif, puisqu’il n’avait fait qu’abuser de l’influence qu’il avait ou qu’on lui prêtait auprès des décideurs (arrêt p. 15) ;

“1 ) alors que la Cour constatait que les prévenus indiquaient toujours aux décideurs du conseil général et aux commissions d’appels d’offres, non seulement les noms des entreprises ayant servi les prestations prétendument illicites, mais aussi les noms d’autres entreprises ; qu’il en résultait que l’acceptation de chaque prestation ne pouvait, pour les fonctionnaires, être motivée par la volonté de mettre en avant la seule entreprise qui l’avait servie, ni donc par la volonté d’abuser de leur influence en vue de faire obtenir par cette entreprise une décision favorable, et que le trafic d’influence passif n’était pas caractérisé ;

“2 ) alors que, sur la corruption passive imputée à Jacques Y…, la Cour n’a pas recherché, comme l’y invitait ce prévenu (conclusions du 19 mai 1999, p. 15), si le montant des travaux des différents marchés, tel qu’évalué par la collectivité territoriale, n’était pas une information échappant au secret, et si Jacques Y…, conformément à la pratique habituelle de l’Administration, n’était pas disposé à la fournir à toute entreprise qui lui en ferait la demande, de sorte que la communication faite à la société SMTP révélait, non l’existence d’un pacte de corruption destiné à favoriser cette entreprise ou la volonté frauduleuse du fonctionnaire, mais seulement le fait que l’entreprise avait été la seule à demander ce renseignement au fonctionnaire” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 432-14 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

“en ce que la Cour a déclaré un fonctionnaire territorial (Antoine E…) coupable du délit d’octroi d’avantages injustifiés ;

“aux motifs qu’il était reproché à Antoine E… d’avoir, en sa qualité de directeur adjoint de la SARAT du conseil général de la Loire, agissant pour le compte de cette collectivité territoriale, procuré aux entreprises Thomas BRGM et Masse, Antéa et Locaforage un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics, d’une part, en ce qui concernait l’opération du forage des Rotys, en fractionnant artificiellement les facturations de l’ensemble de l’opération pour contourner l’obligation du Code des marchés publics prévoyant la nécessité d’un marché négocié avec mise en concurrence, et, d’autre part, en ce qui concernait l’opération du forage de Véange, en fractionnant artificiellement la facturation de l’ensemble de l’opération pour contourner l’obligation du Code des marchés publics prévoyant la nécessité d’un marché avec appel d’offres ; que Jacques E… contestait cette infraction pour les deux opérations, bien qu’il admette n’avoir pas consulté d’autres entreprises que la société Masse, considérant que les procédures du marché négocié et de l’appel d’offres n’avaient pas à être utilisées dans ces deux dossiers, dès lors que les travaux réalisés par plusieurs entreprises étaient de types totalement différents et que, pour chaque type d’activité, à aucun moment, initialement, les seuils prévus par le Code des marchés publics n’étaient franchis ; mais qu’en ce qui concernait l’opération de forage des Rotys, il résultait des déclarations mêmes d’Antoine E… qu’il s’agissait

d’une seule opération de même nature ; que Ludovic D…, directeur commercial de la société Masse, avait déclaré : “Après discussion avec Antoine E…, un devis définitif avait été établi le 22 mars 1993 pour un montant de 226 985 francs HT. Le 30 octobre 1993, l’entreprise Masse a établi deux factures de 249 233 francs et de 140 998,80 francs HT. La première a été réglée par le conseil général dans les délais normaux. Concernant la seconde, sur la demande d’Antoine E… qui rencontrait des problèmes de budget, nous avons émis une facture d’avoir en date du 30 mars 1995 pour émettre une facture du même montant à la même date. Concernant la première facture d’un montant de 250 KF HT, elle a été établie sur la demande d’Antoine E… qui voulait que nous restions en dehors du seuil de 300 KF afin de pouvoir nous le payer. Le solde devait nous être réglé au cours de l’exercice suivant. Antoine E… n’a pas pu nous payer sur l’exercice 1994 et ne nous a réglés que sur celui de 1995” ; qu’il en résulte qu’Antoine E… avait sciemment confié à la société Masse la réalisation de cette opération au mépris des règles édictées par le Code des marchés publics sans qu’aucun marché n’ait été passé ni qu’aucune mise en concurrence ne soit réalisée, accordant ainsi à une entreprise un avantage injustifié constitutif d’une violation du principe d’égalité devant la commande publique ; qu’en ce qui concernait l’opération de forage de Véange, Antoine E… avait déclaré que si le cumul des devis fournis le 4 novembre 1994 par les société Masse et Locaforage dépassait le seuil des 300 000 francs, il s’agissail là encore de deux opérations distinctes de forage pour la société Masse et d’équipement pour la société Locaforage ; mais que Jean-Michel G… avait déclaré que sa société Antéa avait en novembre 1994 réalisé gracieusement et transmis à Antoine E… un devis programme qui chiffrait le montant des travaux envisagés pour le forage de Véange à 502 960 francs HT ; qu’il avait expliqué la différence entre cette somme et la facture finale par le fait que cette facture comportait plusieurs postes non prévus dans le devis ; que si Antoine E… avait prétendu qu’il avait jugé plus économique de s’adresser directement à Locaforage, spécialisée dans l’équipement, plutôt qu’à Masse, qui aurait sous-traité à Locaforage avec un surcoût, une seule facture d’un montant de 688 598,50 francs HT avait en définitive été adressée au conseil général par la seule société Masse le 19 octobre 1995 puis le 25 octobre 1996, couvrant l’ensemble des travaux réalisés ; que Ludovic D… avait indiqué que c’était sur instructions d’Antoine E… que deux devis couvrant l’estimation globale du montant du forage avaient été présentés ; qu’il avait ajouté : “bien que cela ne nous ait pas été dit officiellement, la présentation de deux devis différents devait permettre d’obtenir un paiement sur simple facture” ; qu’il avait expliqué que les sociétés Masse et Locaforage avaient des actionnaires communs, que Locaforage facturait ses prestations aux clients, à l’occasion de locations ou de fournitures de matériel, mais que, lorsque la société Masse effectuait les prestations, elle facturait la totalité aux clients, Locaforage facturant à Masse ; qu’il avait enfin déclaré : “Antoine E… m’a demandé de facturer de sorte à éviter la passation de marchés” ; que selon Jacques A…, des motifications techniques et de matériaux semblaient

avoir été décidées en cours de chantier avec l’accord d’Antoine E… ; qu’il avait révélé que cette opération avait dû faire l’objet d’un marché de régularisation “afin de pouvoir payer la facture de l’entreprise Masse d’un montant de 800 KF” ; qu’il résultait de l’ensemble de ces éléments qu’en traitant de la sorte avec les sociétés Locaforage et Masse, alors que s’imposait la mise en place d’une procédure d’appel d’offres, Antoine E… s’était bien rendu coupable du délit d’octroi à ces deux sociétés d’avantages injustifiés constitutifs d’une rupture du principe d’égalité devant les marchés publics (arrêt p. 16 et 17) ;

“alors que la Cour n’a pas fait apparaître, autrement que par des affirmations de pur principe ou par les déclarations invérifiables de témoins, que les factures distinctes établies à l’attention de chacune des entreprises concernées ne correspondaient pas effectivement à des prestations distinctes, pour lesquelles la collectivité publique pouvait contracter librement et sans appel d’offres dès lors que le montant de chacune restait inférieur aux seuils fixés par le Code des marchés publics” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

“en ce que la Cour a condamné les deux prévenus, fonctionnaires territoriaux, déclarés coupables de recel d’abus de biens sociaux, de corruption passive et trafic d’influence passif et d’octroi d’avantages injustifiés, à une peine d’emprisonnement partiellement sans sursis ;

“aux motifs que les faits dont Antoine E… et Jacques Y… étaient reconnus coupables étaient de ceux qui causaient à l’ordre public un trouble exceptionnel et persistant, dès lors que, commis par des fonctionnaires territoriaux exerçant de hautes responsabilités, ils avaient pour effet non seulement de fausser le jeu de la concurrence entre les entreprises mais aussi de jeter sur le fonctionnement du corps auquel ils appartenaient un discrédit qui rejaillissait sur l’assemblée départementale au service de laquelle ils avaient été affectés ; qu’il convenait en conséquence de faire aux deux prévenus une application stricte de la loi pénale, en prononçant contre eux des peines telles qu’elles remplissaient leur fonction d’exemplarité, afin que cessent de telles pratiques indignes d’un Etat de droit (arrêt p. 17) ;

“alors que de tels éléments généraux et théoriques, tirés de considérations prospectives sur la valeur d’exemple de la peine, et non de considérations actuelles sur la nécessité d’une mise à l’écart immédiate des condamnés, notamment à raison de leur personnalité ou du risque d’une réitération des infractions, sont impropres à justifier un emprisonnement sans sursis” ;

 


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