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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 SEPTEMBRE 2023
N° RG 21/01404
N° Portalis DBV3-V-B7F-UP2S
AFFAIRE :
S.A.S. SECOBRA RECHERCHES
C/
[W], [H], [I] [S]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY
N° Section : AD
N° RG : 19/00237
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la SELARL REYNAUD AVOCATS
la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-
CHARBONNIER
Expédition numérique délivrée à
Pôle emploi
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. SECOBRA RECHERCHES
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentant : Me Hélène LAFONT-GAUDRIOT de la SELARL REYNAUD AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 177
APPELANTE
****************
Monsieur [W], [H], [I] [S]
[Adresse 1]
[Localité 2]
assisté de Me Marc BRESDIN de la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-
CHARBONNIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 003
INTIME
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Juin 2023, Madame Isabelle MONTAGNE, présidente, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY
EXPOSE DU LITIGE
[W] [S] a été engagé par contrat de travail à durée déterminée à compter du 20 juin 1994, suivi par un contrat de travail à durée indéterminée, par la société Secobra Recherches en qualité de technicien de sélection.
Le 15 février 2019, la société Secobra Recherches, représentée par [B] [T], en qualité de directrice des ressources humaines de cette société a déposé une plainte auprès des services de gendarmerie de [Localité 5] (78) pour accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données.
Par lettre datée du 20 juin 2019, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 1er juillet suivant, et l’a mis à pied à titre conservatoire.
Par lettre datée du 16 juillet 2019, l’employeur a convoqué le salarié à un nouvel entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 26 juillet suivant, puis par lettre datée du 31 juillet 2019, lui a notifié son licenciement pour faute grave.
Le 18 septembre 2019, [W] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy afin de faire juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir la condamnation de la société Secobra Recherches à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des indemnités de rupture et un rappel de salaire.
Par jugement mis à disposition le 13 avril 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et après fixé la moyenne des salaires à 3 378,48 euros, ont condamné la société Secobra Recherches à verser à [W] [S] les sommes suivantes :
* 6 756,96 euros à titre d’indemnité de préavis,
* 25 338,60 euros à titre d’indemnité de licenciement,
* 4 617,25 euros au titre des salaires sur la période de mise à pied conservatoire,
* 461,72 euros au titre des congés payés afférents,
* 339,41 euros au titre du décompte du temps de travail effectif,
avec intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2019, date de la réception de la convocation pour le bureau de conciliation et d’orientation par la partie défenderesse,
* 30 406,32 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
ont rappelé que l’exécution provisoire est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l’article R. 1454-14 alinéa 2 du code du travail, ont débouté les parties des autres demandes et ont condamné la société Secobra Recherches aux dépens.
Le 11 mai 2021, la société Secobra Recherches a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 2 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Secobra Recherches demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de dire le licenciement fondé sur une faute grave, de débouter [W] [S] de l’ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, de retenir un salaire moyen de 3 045,47 euros pour le calcul des indemnités de rupture, soit 4 162,14 euros pour la mise à pied, 6 090,94 euros pour le préavis, et de fixer l’indemnité éventuellement allouée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 9 136,41 euros, en tout état de cause, de condamner [W] [S] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 20 avril 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, [W] [S] demande à la cour de débouter la société appelante de l’intégralité de ses demandes, réformant le jugement et statuant à nouveau, de condamner la société Secobra Recherches à lui payer la somme de 101 354,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement 60 812,64 euros, de confirmer le jugement pour le surplus et de condamner la société Secobra Recherches à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel, et aux dépens.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 6 juin 2023.
MOTIVATION
Sur le bien-fondé du licenciement
La lettre de licenciement pour faute grave notifié à [W] [S], longue de quatre pages, fait état des faits suivants :
1° avoir accédé de manière frauduleuse à des données confidentielles de l’entreprise et/ou personnelles concernant d’autres salariés,
2° y être parvenu en commettant une intrusion, directement ou par personne interposée, dans le système informatique de la société, violant au passage les règles de sécurité énoncées dans le règlement intérieur et la charte informatique, précisément destinées à empêcher que des données de cette nature soient communiquées à des tiers non autorisés,
3° avoir usé de stratagèmes, en utilisant pour se dissimuler, d’autres ordinateurs, d’autres sessions ou d’autres identifiants que les siens, voire en contraignant un de ses jeunes collègues à accéder pour lui à ces données confidentielles et à lui imprimer le fichier Rh contenant les primes individuelles des salariés de la société,
4° avoir fait circuler certaines de ces données et informations confidentielles en les divulguant à plusieurs collègues.
La société fait valoir que la faute grave est établie ; que le salarié, ancien délégué du personnel, avait connaissance des dispositions de la charte informatique de l’entreprise relatives aux conditions et règles d’utilisation de son système informatique ; que son implication dans les intrusions du système informatique et l’accès aux données protégées confidentielles résulte du recoupement des données de connexions, des auditions et attestations de salariés, de l’enquête pénale des services de gendarmerie ; que les preuves issues du système de journalisation sont licites ; que la diffusion de données confidentielles résulte d’attestations de salariés ; que les faits constituent des manquements grave à l’obligation de loyauté ; que, usant de son pouvoir d’individualisation de la sanction, elle n’a pas discriminé le salarié par rapport à son collègue, M. [P] ; qu’aucune discrimination syndicale n’est établie ; que la procédure de licenciement a été régulièrement menée ; que le salarié doit être débouté de toutes ses demandes.
Contestant l’ensemble des faits reprochés, le salarié conclut à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en faisant valoir que les faits ne sont pas établis par l’employeur ; que celui-ci ne justifie pas objectivement de la différence de sanction appliquée à lui-même et à son collègue, M. [P] qui n’a pas été mis à pied à titre conservatoire et ne s’est vu notifier qu’un avertissement ; que le licenciement pour faute grave est disproportionné par rapport aux faits sanctionnés eu égard notamment à son ancienneté importante et à son dernier entretien d’évaluation positif ; que le licenciement est discriminatoire en raison de son ancienne activité syndicale et à ses revendications au sein de l’entreprise ; que les preuves utilisées contre lui ont été obtenues de manière déloyale et sont illicites. Il demande que soit fixée une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant supérieur à celui retenu par les premiers juges au regard de son préjudice tiré de sa perte injustifiée d’emploi.
En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur qui l’invoque.
En l’espèce, la société expose que :
– au début de l’année 2019, la direction a été informée par M. [F], salarié de l’entrprise, qu’un de ses collègues, M. [S], lui avait rapporté dans les vestiaires qu’un autre salarié, M. [A], se vantait d’être parvenu à accéder à des fichiers informatiques de nature confidentielle, à savoir des dossiers Rh de primes et augmentations de salariés et qu’il avait lui-même constaté que ce répertoire ‘s’ouvrait alors que normalement c’est verrouillé’ ;
– les premières investigations ont permis de constater que ‘pour une raison inexpliquée’, il était effectivement possible d’entrer sans avoir à utiliser de code dans le répertoire informatique de Mme [T], directrice des ressources humaines de la société et que des personnes avaient ouvert et fouillé le répertoire ‘Agenty’ et tenté d’ouvrir d’autres répertoires de la direction contenant des fichiers confidentiels ;
– alors qu’une enquête préliminaire était diligentée par les services de gendarmerie à la suite de la plainte de la société, Mme [J], déléguée du personnel, avait déposé avant son départ en congé de maternité un courrier pour Mme [T] dans lequel elle indiquait sans citer de nom avoir eu connaissance qu’un document contenant les salaires et primes des cadres circulait au sein de l’entreprise ;
– l’entreprise avait alors ‘re-sécurisé son système, vidé de ses contenus essentiels le dossier ‘Agenty’ et mis en place, en lien avec la gendarmerie, une surveillance des connexions (appelée un ‘log’)’, consistant ‘à enregistrer les tentatives d’accès avec la date, l’heure, le dossier ou sous-dossier ciblé, l’identifiant de la session ayant tenté d’accéder, ainsi que l’ordinateur à partir duquel s’effectuent ces connexions’ ;
– M. [Y], son prestataire informatique, lui avait alors transmis une synthèse des connexions enregistrées sur les trois derniers mois dont il ressortait entre le 6 mars et le 6 juin 2019, au moins 1 848 connexions émanant de quatre postes informatiques, à savoir celui de M. [S], celui du bureau des expéditions, celui du bureau des techniciens blé et celui du bureau des techniciens orge ;
– la direction avait informé l’ensemble du personnel de la mise en oeuvre d’une enquête interne consistant à entendre les salariés sur la base du volontariat en présence de Mme [T] et de M. [X], délégué du personnel ;
– les auditions de quatorze salariés avaient permis de confirmer les constatations matérielles et d’identifier quatre salariés impliqués, à savoir M. [A] au bureau des techniciens orge, premier à être parvenu à accéder au répertoire protégé ‘Agenty’ et ayant donné l’information à M. [S], M. [P] au bureau des expéditions, délégué du personnel, qui avait reconnu les faits, Mme [M] épouse [S] au bureau des techniciens blé qui avait reconnu partiellement les faits et précisé que son mari connaissait et utilisait régulièrement ses codes d’accès et login et M. [S] ;
– M. [S] avait fait l’objet d’un premier entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement le 1er juillet 2019 et dans le même temps, M. [P] et M. [R] l’avaient mis en cause par écrit ;
– elle avait alors convoqué le salarié à un nouvel entretien préalable tenu le 26 juillet 2019 puis l’avait licencié pour faute grave le 31 juillet 2019, de même que Mme [M] épouse [S] et M. [A], M. [P] se voyant notifier un avertissement le 2 août 2019.
S’agissant du premier grief relatif à l’accès de manière frauduleuse à des données confidentielles de l’entreprise et/ou personnelles concernant d’autres salariés
Les attestations de salariés produites devant la cour n’impliquent pas M. [S] dans une quelconque manoeuvre frauduleuse pour accéder aux fichiers confidentiels de l’entreprise. Il résulte de l’ensemble des témoignages que l’accès aux données confidentielles en cause s’est trouvé non protégé, de sorte qu’à partir des postes informatiques de l’entreprise, il était possible d’y accéder.
Les investigations pénales n’ont pas plus établi de fraude dans l’accès à ces données imputable à M. [S]. M. [D], responsable informatique, a estimé lors de son audition par les services de gendarmerie le 12 février 2019 : ‘il s’agit vraisemblablement soit d’une erreur humaine de manipulation soit d’un bug informatique’, ‘le piratage nous paraissant peu plausible quant au travail nécessaire à une telle tâche’ et M. [Y] a indiqué lors de son audition le 2 mai 2019 : ‘il n’a pas été possible de déterminer la raison de ce dysfonctionnement et donc on a rétabli les droits. A l’époque on n’avait pas mis en place de logs qui tracent ce genre d’événements sur les serveurs’.
Le parquet du tribunal judiciaire de Versailles a classé l’enquête préliminaire de gendarmerie au motif que l’infraction d’accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données n’était pas caractérisée en précisant que ‘le dossier était en accès libre (…)’.
Aucune des pièces produites aux débats ne permet de caractériser un accès frauduleux aux données en cause imputable au salarié.
La matérialité de ce fait n’est pas établie.
S’agissant du deuxième grief relatif à l’intrusion, directement ou par personne interposée, dans le système informatique de la société, violant au passage les règles de sécurité énoncées dans le règlement intérieur et la charte informatique, précisément destinées à empêcher que des données de cette nature soient communiquées à des tiers non autorisés
Mme [T] explique que dans le fichier ‘Agenty’ figuraient toute la stratégie du programme de sélection orge d’hiver, le suivi du site de [Localité 3] (travaux, plans), la gestion du personnel (salaires, primes, heures, contrats de travail et avenants, comptes-rendus d’entretiens individuels) ainsi que des données personnelles (papiers d’identité et administratifs, documents et photographies liés à la fin de vie de son mari) dans des dossiers titrés ‘personnel’ et qu’elle a été particulièrement éprouvée de la fouille de ses documents personnels.
La société allègue la mise en oeuvre d’un plan de continuité et de reprise d’activité des système informatiques interdisant notamment l’utilisation de mots de passe communs et de partage avec d’autres utilisateurs. Toutefois elle n’établit par aucun élément que ces règles avaient été mises en application antérieurement à l’incident en cause.
Si la charte informatique de l’entreprise annexée au règlement intérieur, soumis aux délégués du personnel et déposé au greffe du conseil de prud’hommes de Poissy en juin 2018 fait interdiction de confier ou demander les identifiants et mots de passe à un collègue ou collaborateur et d’accéder à des informations n’appartenant pas à l’intéressé, il ressort toutefois de plusieurs attestations de collaborateurs de l’entreprise que ces dispositions n’étaient habituellement pas respectées par les salariés dans le cadre de leur activité professionnelle sans qu’aucune réaction de l’employeur se soit manifestée.
Ainsi à titre d’illustration, Mme [N], salariée de la société entre 1999 et 2016 témoigne-t-elle avoir toujours possédé les mêmes login et mot de passe, qu’elle travaillait dans un bureau avec trois autres techniciens et un agent technique, Mme [O], qui se servait de leurs logins car elle n’en possédait pas, de même que des cadres et saisonniers, indiquant : ‘c’était chose courante de donner nos ID de connexion aux personnes qui n’en possédaient pas’.
Plusieurs des salariés entendus dans le cadre de l’enquête interne le 20 juin 2019 indiquent que les règles de sécurité informatique n’étaient de façon habituelle pas respectées par les collaborateurs de l’entreprise. Ainsi M. [P], délégué du personnel, indique-t-il s’être connecté au poste du bureau des expéditions et que d’autres salariés le faisaient ; M. [O], M. [G], Mme [V], Mme [O], Mme [C] entre autres indiquent que leurs codes personnels sont connus d’autres salariés ; Mmes [E] et [EC] indiquent ne jamais fermer leurs sessions ; M. [L] indique utiliser les ordinateurs réception et ‘exped’ ; Mme [C] indique que son code est sur son bureau et connu de tous, déclarations qu’elle a réitérées devant les gendarmes le 29 août 2019.
M. [D], responsable informatique, indique dans son procès-verbal d’audition le 21 février 2019 que le dernier changement de mot de passe remonte à deux ans et que celui de Mme [T] n’a pas été changé depuis au moins cinq ans.
Afin de démontrer les intrusions du salarié dans les fichiers confidentiels de l’entreprise, la société produit une lettre non datée émanant de M. [Y] en pièce 28 intitulée ‘relevés de connexion’, exposant qu’il a analysé les journaux des événements des serveurs et mis en évidence des intrusions sur des répertoires dont les données étaient confidentielles entre la fin de l’année 2018 et le début 2019 et ‘les comportements de certaines personnes au sein de l’entreprise’ et faisant figurer pour les postes de plusieurs salariés, dont ceux de M. [S] et Mme [M] épouse [S], des dates et heures, noms et localisations des répertoires consultés. S’agissant des postes notamment de M. [S], de Mme [M] épouse [S] et du poste expédition, il est noté de très nombreuses consultations notamment de documents contenus dans le fichier ‘Agenty’ y compris de documents mentionnés ‘personnel’, ‘confidentiel’, ‘comité de direction’, sur des jours de mars, avril, mai et juin 2019. Les listings ayant servi de support à la rédaction de cette lettre ne sont pas produits, de sorte que la cour n’est pas en mesure de vérifier l’origine et la fiabilité des données reproduites dans ce document.
S’agissant du troisième grief relatif à l’usage de stratagèmes, en utilisant pour se dissimuler, d’autres ordinateurs, d’autres sessions ou d’autres identifiants que les siens, voire en contraignant un de ses jeunes collègues à accéder pour lui à ces données confidentielles et à lui imprimer le fichier Rh contenant les primes individuelles des salariés de la société et du quatrième grief relatif au fait d’avoir fait circuler certaines de ces données et informations confidentielles en les divulguant à plusieurs collègues
Force est de constater que la société ne démontre par aucun élément concret et précis des manoeuvres du salarié caractérisant un stratagème pour se dissimuler, ni l’utilisation d’une contrainte exercée par le salarié à l’encontre de M. [P].
En effet, d’une part, le grief de dissimulation est articulé autour des témoignages de M. [R], de Mme [EC] et de M. [P]. Les deux premiers indiquent que le salarié a utilisé plusieurs fois les codes de son épouse pour se connecter depuis le poste de celle-ci. Eu égard aux développements précédents, dont il ressort qu’il était habituel dans l’entreprise d’utiliser des codes non personnels, ces faits sont insuffisants à caractériser une dissimulation. Quant au témoignage de M. [P] impliqué dans les faits, celui-ci présente une valeur probante très affaiblie.
D’autre part, le grief de contrainte est articulé autour du seul témoignage de M. [P], mis en cause dans les faits, ce qui affaiblit très fortement sa valeur probante comme sus-retenu.
Afin de démontrer l’impression d’un fichier Rh contenant les primes individuelles des salariés de la société et la divulgation d’informations confidentielles, la société produit essentiellement :
– le procès-verbal d’audition de M. [F] qui a donné l’alerte à la direction rapportant que le salarié lui a indiqué le 18 janvier 2019 qu’un ou plusieurs collègues avaient accédé aux fichiers de Mme [T] contenant ‘les primes de tout le monde’ sans plus de précisions sur le contenu de leurs visites ni le nombre de fichiers consultés, sans cependant impliquer le salarié comme étant l’auteur de ces accès ni la personne ayant diffusé des données confidentielles ;
– une attestation de Mme [J] datée du 10 septembre 2020 indiquant avoir su par [Z] [U], dont les fonctions ne sont pas précisées et qui n’apparaît pas dans les personnes entendues dans le cadre de l’enquête interne et par les gendarmes, qu’un document ayant pour objet les primes et salaires des cadres circulait de main en main durant les pauses et que ce document a été transmis par M. [S] au cours du mois de mars 2019 sans plus de précision, ce dont il s’ensuit que Mme [J] n’a pas été témoin d’agissement de M. [S] dans l’impression et la mise en circulation du document incriminé, qui n’est en tout état de cause pas produit et dont la matérialité n’est donc pas établie ;
– une attestation de M. [X], délégué du personnel, ayant assisté les salariés entendus pendant l’enquête interne qui ne rapporte pas de fait dont il aurait été témoin mettant en cause le salarié dans la mise en circulation des informations en cause ;
– une attestation de M. [K] datée du 2 octobre 2020 indiquant qu’au cours du mois de mars 2019, M. [S] qu’il encadrait lui avait fait part de son mécontentement concernant la disparité des primes et de la politique d’augmentation salariale en fonction des différents services et avait fait une allusion à une augmentation dont il avait bénéficié en lui indiquant que ‘des informations tournaient dans l’entreprise’.
Le fait que le salarié a fait part d’une information relative à son augmentation salariale à M. [K] ne permet pas à lui seul de lui imputer la diffusion répréhensible d’informations confidentielles alors que l’origine de cette information n’est pas établie et que celui-ci a invoqué de façon vague des informations circulant dans l’entreprise.
Le salarié fait valoir que la société a appliqué des sanctions différentes aux salariés mis en cause dont elle ne justifie pas. Il relève qu’il est reproché dans le procès-verbal d’audition de gendarmerie du 6 août 2019 à Mme [EC] 155 occurences prétendues sur le fichier avec son log et que celle-ci est toujours dans l’entreprise, de même que M. [O] que Mme [T] a impliqué dans sa plainte du 15 février 2019. Il estime que M. [P], délégué du personnel, a bénéficié ‘d’un traitement de faveur’ en ne se voyant notifier qu’un simple avertissement et sans mise à pied conservatoire, alors que les faits qui lui sont reprochés sont similaires. La société invoque cependant en réplique à juste titre l’exercice de son pouvoir d’individualisation de la sanction lui permettant de sanctionner différemment des salariés ayant commis une faute de même nature.
Il résulte de tout ce qui précède que l’employeur ne rapporte pas la preuve de l’accès frauduleux à des données confidentielles de l’entreprise et personnelles de salariés, de l’intrusion dans le service informatique et de la violation des règles de sécurité informatique, de l’usage de stratagèmes et de contrainte en vue d’une dissimulation et de la circulation et la divulgation de données confidentielles, faits imputés au salarié.
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par le salarié (discrimination, déloyauté de l’employeur dans la constitution des preuves notamment), il convient de retenir que le licenciement n’est justifié ni par une faute grave, ni par une cause réelle et sérieuse.
Le salarié a par conséquent droit à une indemnité compensatrice de préavis, à une indemnité de licenciement et à un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée assorti d’une indemnité compensatrice de congés payés incidents, dont les montants ont été exactement fixés par les premiers juges, à la charge de l’employeur.
En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, le salarié qui présentait une ancienneté de vingt-quatre années complètes dans l’entreprise et dont le licenciement n’est pas justifié par une cause réelle et sérieuse, a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant est compris entre trois mois et dix-sept mois et demi de salaire brut.
Postérieurement au licenciement, le salarié, né en 1971, a été pris en charge par Pôle emploi et justifie avoir retrouvé un emploi à compter de septembre 2019 avec un salaire moins élevé.
Il convient de lui allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 30 406,32 euros.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le rappel de salaire sur compte d’heures au titre de l’annualisation du temps de travail
La société conclut au débouté de cette demande en faisant valoir qu’aucune erreur n’a été commise dans le calcul des heures de travail du salarié.
Le salarié ne conclut pas sur cette demande.
Il ressort des justifications apportées par la société que la journée du 4 mars 2019, qui selon le salarié aurait été déduite des congés payés alors qu’elle n’est pas comptée dans les heures réalisées, a été valorisée pour 7 heures de travail et a donc bien été prise en compte par la société ainsi qu’il ressort du planning individuel du salarié produit par la société en pièce 47.
Les heures réalisées par le salarié ayant été prises en compte par l’employeur, aucun rappel de salaire n’est dû.
Il convient de débouter le salarié de la demande de ce chef et d’infirmer le jugement sur ce point.
Sur l’application de l’article L. 1235-4 du code du travail
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu’ils ont versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l’arrêt et ce, dans la limite de six mois d’indemnités.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ce qu’il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société qui succombe dans ses prétentions sera condamnée aux dépens d’appel et à payer au salarié la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement en ce qu’il condamne la société Secobra Recherches à verser à [W] [S] la somme de 339,41 euros au titre du décompte du temps de travail effectif,
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
DEBOUTE [W] [S] de sa demande de rappel de salaire au titre du décompte du temps de travail effectif,
ORDONNE le remboursement par la société Secobra Recherches aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu’ils ont versées à [W] [S] du jour de son licenciement au jour de l’arrêt et ce, dans la limite de six mois d’indemnités,
CONDAMNE la société Secobra Recherches aux dépens d’appel,
CONDAMNE la société Secobra Recherches à payer à [W] [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties des autres demandes,
CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller, pour le président empêché, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,