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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00601 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC7SM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 décembre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 17/07886
APPELANT
Monsieur [R] [A]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Sophie MISIRACA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2347
INTIMÉE
Société T.L.T.I. (SA)
Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 712 034 974
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0322
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre et par Madame Camille BESSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société TLTI est une PME qui exerce une activité d’étude de besoins, de conception et d’intégration de solutions électroniques appliquées aux domaines des Télécom, du Ferroviaire et du Militaire. Société familiale créée par M. [G] [Z] en 1971, ses trois enfants dirigent aujourd’hui l’entreprise : M. [D] [Z] en est le Président, sa s’ur Mme [C] [B] occupe la fonction de directrice administrative et financière et son frère M. [I] [Z] en est le directeur général (également le Président de sa filiale TLTI INFORMATIQUE).
L’effectif de la société TLTI est d’environ 45 personnes.
Par contrat à durée indéterminée en date du 3 février 2014, M. [A] a été engagé par la société TLTI en qualité de Directeur des Opérations, statut cadre, coefficient 135 position IIIA de la convention collective de la métallurgie ingénieurs et cadres.
Par avenant en date du 1er juillet 2014, M. [A] a été promu en Position III B, pour un salaire brut moyen mensuel en dernier lieu de 6.377,54 euros.
M. [A] a été convoqué par courrier du 1er août 2017, à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, avec notification d’une mise à pied conservatoire.
Par lettre en date du 23 août 2017, M. [A] a été licencié pour faute grave.
Par requête en date du 25 septembre 2017, M. [A] a saisi le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement.
Par jugement de départage du 3 décembre 2020, le Conseil de Prud’hommes de Paris a :
– dit n’y avoir lieu au rejet de la pièce 24 produite par le salarié le jour de l’audience,
– dit que le licenciement de M. [A] repose sur une faute grave,
– débouté M. [A] de toutes ses demandes au titre de la rupture abusive du contrat de travail,
– débouté M. [A] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné M. [A] aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 24 décembre 2020, M. [A] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 9 septembre 2021, M. [A] demande à la Cour d’appel de Paris de :
– Déclarer son appel recevable et bien fondé,
– Déclarer la société TLTI mal fondée en son appel,
– Déclarer la demande de M. [A] de dommages et intérêts pour préjudice moral au titre de l’article 1240 du code civil, recevable et bien fondée,
En conséquence,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
dit n’y avoir lieu à rejeter la pièce 24 produite le jour de l’audience devant le juge départiteur du Conseil de Prud’hommes de Paris,
débouté la société TLTI de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,
– infirmer le jugement déféré pour le surplus, et,
Statuant de nouveau,
– fixer le salaire de référence à la somme de 6.377,54 €
– condamner la société TLTI à lui verser les sommes suivantes :
76 530,48 € au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
4.783,15 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
19.132,62 € à titre de préavis
1.913,26 € à titre de congés payés sur préavis
5.909,20 € euros au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
590,92 € à titre de congés payés sur rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
30.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire au titre de l’article 1240 du code civil,
15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’exécution déloyale du contrat de travail, au titre de l’article 1240 du code civil,
– condamner la société TLTI à lui payer la somme de 4.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la Société TLTI à lui remettre, sous astreinte de 100 € par jour de retard, l’intégralité de ses documents sociaux rectifiés conformément à l’arrêt rendu.
– DÉBOUTER la société TLTI de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– CONDAMNER la société TLTI aux entiers dépens.
– Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le Bureau de Conciliation pour les sommes de nature salariales et à compter de la décision à intervenir pour les sommes de nature indemnitaire,
– Dire que ces intérêts porteront eux-mêmes intérêts en application de la capitalisation au titre de l’article 1154 du Code Civil.
Par conclusions du 11 juin 2021, la société TLTI demandé à la Cour de :
– déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d’appel la «demande de dommages et intérêts pour préjudice moral au titre de l’article 1240 du Code civil».
– confirmer le jugement rendu le 3 décembre 2020 par le Conseil de prud’hommes de Paris (RG 17/07886) en ce qu’il a validé le licenciement pour faute grave intervenu le 23 août 2017 et rejeté les demandes de «dommages-intérêts pour licenciement vexatoire» et «au titre du préjudice subi»,
– l’infirmer en ce qu’il a rejeté la demande de rejet d’une pièce 24 de M. [A] produite au démarrage de l’audience et en ce qu’il n’a pas condamné M. [A] au paiement d’une indemnité de procédure,
Et, statuant à nouveau,
– rejeter des débats cette pièce 24,
– condamner M. [A] à lui verser la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance,
Y ajoutant,
– condamner M. [A] à lui verser la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner M. [A] aux dépens.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 19 avril 2023.
MOTIFS
Sur le rejet de la pièce 24 du salarié
L’article 15 du code de procédure civile dispose que «Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense».
L’article 16 du même code ajoute que « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».
La société fait valoir que le salarié a produit à l’ouverture même de l’audience devant les premiers juges une nouvelle pièce numéro 24 que le conseil de prud’hommes a refusé de rejeter.
Cette pièce ne portait pas sur l’actualisation de la situation personnelle du salarié mais sur le fond du litige.
Si comme le souligne le conseil de prud’hommes, il ne s’agissait que d’un mail de quelques lignes, il n’en demeure pas moins que cette communicative tardive, le jour même de l’audience du 27 octobre 2020 d’une pièce établie le 20 octobre 2020, contrevient au principe du contradictoire et aurait dû entraîner son rejet des débats.
Toutefois, cette pièce ayant été communiquée régulièrement en cause d’appel, la demande de rejet est devenue sans objet.
Sur l’irrecevabilité d’une demande nouvelle en cause d’appel (dommages et intérêts pour préjudice moral)
L’article 564 du code de procédure civile prévoit l’irrecevabilité des nouvelles prétentions en cause d’appel, sauf exceptions précisément définies.
Or, contrairement à ce que soutient la société, M. [A] avait déjà en première instance présenté une demande de dommages et intérêts de 10. 000 euros pour ‘préjudice subi’, telle qu’elle figure en page 2 du jugement au titre des chefs de demande.
Cette demande en cause d’appel, même augmentée à la somme de 15.000 euros est donc recevable.
Sur la rupture du contrat
La lettre de licenciement en date du 23 août 2017, qui fixe les limites du litige, fait grief à M. [A] des fautes suivantes :
– une opposition à sa hiérarchie,
– sa mauvaise gestion du dossier Thales et son attitude inappropriée vis-à-vis du client,
– son comportement inacceptable au sein de l’entreprise, vis à vis notamment de ses collègues.
Au soutien de son appel, M. [A] fait valoir que les griefs reprochés sont totalement contestables et non fondés. Il expose que durant plus de trois années, il a perçu des primes, des augmentations de salaire, sa position hiérarchique ayant été réévaluée, que plusieurs projets importants ont été entrepris, notamment un pour EDF et un autre pour la société Thales (contrat Kit COMLOC), mais que malgré ses alertes à la direction, aucun moyen supplémentaire tant humain, que financier n’a été mis en place, la direction répondant qu’il n’y aurait pas de nouvelles ressources tant qu’il n’y aurait pas de commandes de clients.
La société TLTI considère au contraire que les faits reprochés sont établis. Elle expose qu’elle a investi, sur fonds propres, plus d’un million d’euros en 2016 et 2017 sur un projet de balise, ayant donné lieu à l’offre de contrat ‘Kit COMLOC’ avec le prospect Thales qui devait aboutir en juillet 2017 et que M. [A], en charge de ce projet d’envergure, a fait preuve de désinvolture et de négligence, ainsi que d’un comportement inapproprié tant vis à vis du client que de sa hiérarchie et de ses collègues.
***
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’une faute grave.
Dans la lettre de licenciement et dans ses conclusions, la société TLTI expose plus précisément qu’un dossier d’envergure pour le client Thales a été confié à M. [A] (contrat Kit COMLOC portant sur une balise) mais que son comportement s’est dégradé jusqu’à ne plus traiter correctement le projet à la fin du mois de juin 2017.
S’agissant de l’opposition à sa hiérarchie, la société indique que le 27 juin 2017, à l’issue de nombreuses semaines d’échanges préalables et d’ajustements avec la société Thales, M. [T] qui la représente a envoyé à M. [A] les conditions générales d’achat afin de finaliser le contrat, mais que le salarié les avait alors immédiatement transmises à son supérieur hiérarchique, M. [D] [Z], Président, sans la moindre lecture ni analyse préalable, sans commentaire et sans même avoir lu le document, ce qui relevait de ses responsabilités en tant que porteur du projet et principal interlocuteur du client.
La société précise que M. [A] n’a ainsi pas relevé que les conditions financières prévues dans le document n’étaient pas conformes à l’offre (absence d’un acompte) et qu’en outre lorsque son supérieur hiérarchique lui a donné son accord, sous réserve du retrait d’un article sur la propriété intellectuelle et de l’insertion d’un acompte, il était alors entré en relation avec le frère de ce dernier, M. [I] [Z], responsable d’une autre entité du groupe, pour critiquer cette position, sans le mettre en copie de son mail.
La société TLTI conclut que ce mode de fonctionnement, qualifié d’insubordination, dans le cadre de la négociation d’un contrat primordial pour elle est inadmissible et remet sérieusement en cause sa confiance dans le salarié.
Pour preuve de ce premier grief, la société produit des échanges de mails datés de juin 2017 dont il ressort en premier lieu que M. [A] s’est borné le mardi 27 juin 2017 à 17h03 à transmettre à son supérieur M. [D] [Z] Président de la société le mail adressé deux minutes auparavant par M. [T], manager chez Thales, qui comportait la proposition de cette dernière sur le contrat Kit COMLOC, sans aucune analyse, ni observation sur le contenu du document.
Il en ressort également que lorsque son supérieur lui a donné son accord sur l’offre le lendemain, sauf ‘pour l’article 8 qui faut supprimer et revoir également pour l’acompte’, M. [A] a alors contacté M. [I] [Z], directeur général, pour lui indiquer que la position de son frère, président de la société, sur l’article 8 lui semblait ‘trop radicale’ et lui demander de voir ce point ensemble, sans mettre en copie de ce message M. [D] [Z].
Si comme le fait valoir M. [A], le projet avec Thales était à l’étude depuis de nombreux mois et que, devant partir en congés le vendredi 7 juillet suivant, il devenait urgent que la question de l’acceptabilité, ou non, de cette proposition soit discutée et approuvée, il relevait toutefois de ses fonctions de directeur des opérations en charge du dossier de donner son avis à son supérieur sur les moutures successives de l’offre, sans se contenter de les lui transmettre sans aucune relecture.
De même, si, à la suite de la demande de M. [D] [Z] de supprimer un article, il ne peut lui être reproché de donner son avis, fut-ce-t’il contraire, il n’en demeure pas moins qu’il a alors contacté le frère de son supérieur pour s’entretenir avec lui du contrat ‘dès aujourd’hui si possible’, sans mettre ce dernier en copie, ce qui caractérise une absence de loyauté.
S’agissant de la gestion du dossier et de l’attitude du salarié vis à vis du client, la société TLTI indique qu’il a fallu au salarié à compter du dépôt de l’offre le 9 juin 2017 de nombreux mails pour clarifier 1’objet de la discussion avec Thales, caractérisant un manque d’efficacité et elle lui reproche d’avoir répondu à son interlocuteur principal chez Thales, qui lui proposait une date au 29 juin 2017 pour la présentation de l’offre, de manière particulièrement sèche, de n’être ni disponible ni joignable avant le 4 juillet et d’avoir également fait un rapport négatif à sa hiérarchie sur le contrat Cerbere, qualifiant le commercial du client de “cow boy” au seul motif qu’il demandait des compléments d’information et trouvait la proposition émise par ses soins insuffisante.
La société TLTI considère que M. [A] a davantage travaillé à mettre des freins à l’aboutissement du projet plutôt qu’à le faire avancer dans l’intérêt de l’entreprise, ne répondant même pas à la société Thales lorsque celle-ci lui a, le 4 juillet, renvoyé une nouvelle version des conditions générales d’achat intégrant les modifications demandées. Elle ajoute que M. [A], qui avait posé des congés à compter du 10 juillet, alors que l’entreprise était en pleine finalisation du projet dont il avait la responsabilité, n’a non seulement pas différé son départ mais encore n’est pas venu travailler le 7 juillet (dernier jour) laissant l’équipe sans instructions ni informations sur l’état du dossier, ce qui est particulièrement irresponsable pour un directeur des opérations et qui a obligé sa hiérarchie à reprendre les discussions avec le client. Elle précise que l’équipe de Thales a finalement demandé à ne plus travailler avec lui, invoquant un manque de disponibilité, de la désinvolture et une mauvaise volonté lors des réunions.
Pour preuve de ce grief, la société justifie qu’alors que la société Thales proposait à M. [A] le 27 juin 2017 de venir présenter l’offre de TLTI pour le Kit COMLOC le jeudi 29 juin, celui-ci avait alors répondu, sans formule de politesse introductive : ‘notre première disponibilité sera mardi 4 après midi. Nous avons d’autres engagements clients impossibles à replanifier avant les congés. Comptant sur votre bonne compréhension. Cordialement’, puis que par un autre mail du 27 juin, alors que la société Thales lui indiquait ‘compte tenu du planning c’est critique’ et lui proposait plusieurs étapes, notamment la remise de l’offre dans la semaine, le salarié répondait qu’il serait peu disponible dans les prochains jours devant se déplacer chez un client.
Il est encore établi, d’une part, que M. [A], dans un mail à sa direction du 4 juillet 2017, après la réunion sur le contrat Kit COMLOC, a qualifié le commercial du client de ‘cow-boy’, en estimant en outre que le projet avait été très mal initié et, d’autre part, qu’il n’avait pas répondu à un mail du même jour de la société Thales lui transmettant une nouvelle rédaction de l’article 8 litigieux, ce que le client rappelait à M. [I] [Z] le 10 juillet 2017, celui-ci ayant alors repris le traitement du dossier.
Enfin, si les parties s’opposent sur le déroulement de la journée du 7 juillet 2017, il n’est pas contesté que le salarié était à son domicile lorsqu’il a été contacté par son supérieur et qu’il s’était alors rendu au sein de l’entreprise en fin de matinée.
Si, comme le soutient le salarié, il est établi que M. [K] qui participait à l’équipe de pilotage a quitté l’entreprise le 1er mai 2017 et que M. [V] directeur technique avait alerté la direction par mails des 5 et 6 juillet 2017 sur le manque de moyens, il ressort des pièces examinées ci dessus qu’à la fin du mois de juin 2017, le projet avec Thales était en voie de finalisation et comme l’a retenu le conseil de prud’hommes, M. [A] ne s’est alors pas rendu disponible auprès du client avant le 4 juillet, en lui répondant en des termes peu appropriés à une négociation commerciale de cette envergure et en ne répondant pas à la nouvelle proposition de Thales, tout en s’abstenant de se présenter sur son lieu de travail le 7 juillet, dernier jour avant son départ en congé.
S’agissant du comportement de M. [A] au sein de l’entreprise, la société TLTI expose que des collaborateurs de son équipe se sont plaints de son comportement hautain et de l’impossibilité de communiquer avec lui, aucun échange de vive voix n’étant plus possible et les consignes étant données par mails sans rencontres ni discussion et que le salarié avait refusé d’aider Mme [H] dans le cadre de l’appel d’offre ‘Aéroport de [Localité 5]’ alors que cela lui avait été demandé par son supérieur.
Enfin, elle considère que le salarié a adopté une attitude de défiance auprès de sa hiérarchie qui s’est exacerbée au cours des dernières semaines, notamment en remettant en cause la gestion des notes de frais, en abandonnant son poste le 7 juillet 2017 après que son employeur lui a demandé de se présenter dans l’entreprise et lui a fait part de sa déception et en faisant preuve d’agressivité lors de sa convocation dans le bureau de son supérieur hiérarchique le 1er août 2017, à son retour de vacances, en menaçant de divulguer en externe des informations confidentielles sur les projets de l’entreprise et de ‘pourrir son business’ si une sanction était prise contre lui, menaces réitérées par mail du même jour.
Pour preuve de ce grief, la société produit en premier lieu les témoignages de deux salariés sous la subordination de M. [A].
Mme [W], agent administratif, indique qu’il n’y a pas ou très peu de communication possible avec lui et qu’au fil du temps, il était devenu de plus en plus imbu de sa personne et hautain envers le personnel.
M. [O], chargé d’affaires, évoque le «manque total de communication», avec des «consignes données par mail sans rencontre ni discussion», ajoutant que certains clients avaient demandé à ne plus avoir de contact avec lui.
Par ailleurs, Mme [H], responsable produit, estime que «M. [A] est une personne négative et rigide, malveillant pour l’entreprise. Il a une méthode de travail inadaptée pour une PME comme TLTI. Il manque à M. [A] beaucoup d’optimisme et d’agilité dans les activités de développement des affaires et dans la gestion des relations internes et clientèles (‘) ». Elle relate plus précisément que M. [A] avait refusé de l’aider dans l’élaboration d’un appel d’offres lancé par les Aéroports de [Localité 5] alors que M. [D] [Z] le lui avait expressément demandé.
M. [X], consultant technique dans le secteur ferroviaire et prestataire de la société TLTI expose avoir eu également des difficultés pour travailler avec M. [A]. Il mentionne un ‘comportement très négatif et franchement difficilement supportable’, que ce dernier ‘dénigrait ni plus ni moins mes propositions techniques et commerciales, sans argument réel… Une attitude en opposition ne permet pas de maximiser la qualité des échanges. Ce que j’ai vu à ce moment là, c’est qu’il était une personnalité très difficile, obtus et pas à l’écoute, ce qui est regrettable quant il s’agit de travailler ensemble. Face à cette situation délicate entre un salarié et un consultant, j’ai préféré me retirer en ne donnant pas suite à la demande de TLTI malgré sa relance par mail du 8 juin 2017. Je n’avais aucune appétence à travailler dans des conditions aussi dégradées et contre productives».
Enfin, la société produit :
– le courrier adressé par M. [A] à la société TLTI le 1er août 2017, après son entrevue avec son supérieur mentionnant notamment les termes suivants : ‘en cas de procédure de licenciement lancée à mon encontre, j’assignerai directement TLTI aux prud’hommes pour licenciement abusif. Prends conscience que les éléments dont je dispose coûteront très cher à TLTI (comme je te l’ai expliqué). Reste l ‘option d’une solution alternative (rupture conventionnelle par exemple)” ;
– la réponse de M. [D] [Z] du même jour indiquant que l’objet de l’entretien était la remise d’une convocation à un entretien préalable à une sanction et que ‘lors de cet entretien, tu t’es violemment emporté, en proférant des menaces contre la société ‘je sais écrire et je vais te pourrir ton business’.
M. [A] qui conteste les témoignages produits verse aux débats un mail de M. [F] du 20 octobre 2020, son interlocuteur principal au sein de la société Thales, qui déclare n’avoir émis aucune demande vers TLTI de ne plus traiter avec lui pour l’offre qui les concernait et d’ailleurs la société ne produit aucune demande du client de ne plus traiter avec M. [A].
Toutefois, il ressort des témoignages concordants à la fois de salariés de l’entreprise et d’un partenaire habituel l’existence de difficultés relationnelles avec M. [A].
Enfin, si M. [A] conteste avoir dit à son supérieur «Je sais écrire et je vais te pourrir ton business» et avoir tenté un chantage en écrivant «En cas de procédure de licenciement j’assignerai directement aux prud’hommes pour licenciement abusif. Prends conscience que les éléments dont je dispose coûteront très cher à TLTI’», les documents produits par la société,
à savoir :
– les comptes rendus rédigés par Mme [B], à la suite d’entretiens avec M. [A] les 29 août et 15 septembre 2017, faisant état d’une transaction financière et mentionnant notamment les propos suivants tenus par ce dernier ‘je détiens des informations qui devraient vous préoccuper davantage’, ‘au vu des éléments que je détiens, je peux aller bien plus loin que les prud’hommes’ ou encore ‘ou bien la transaction financière est à la hauteur des informations que je détiens et dans ce cas, j’arrête toutes poursuites aux prud’hommes et divulgations à vos clients et autres… Ou bien… A vous de voir’,
– le courrier de M. [A] à l’ordre des avocats de Paris du 8 mars 2018 pour signaler une situation de divulgation d’informations confidentielles par les deux avocats de la sociétés et dans lequel il indique ‘dans un contexte visant à obtenir une conciliation, j’ai transmis le 6 octobre 2017 à mon conseil des informations confidentielles mettant en cause la société TLTI dans son intégrité’,
s’ils sont postérieurs au licenciement, viennent toutefois corroborer l’existence du chantage allégué par la société à la date du 1er août 2017, étant relevé qu’aucun démenti sur les propos rapportés par Mme [B] n’est formé par M. [A] dans ses conclusions.
Ainsi, la juridiction de première instance a pu estimer pertinemment que si le salarié dispose du droit de saisir le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement, en informant son employeur de son intention, les termes utilisés le 1er août 2017 et corroborés par les échanges postérieurs à son licenciement, font à l’évidence référence à des éléments de chantage sans lien avec les faits invoqués au soutien du licenciement.
Il découle de ces observations que les faits ainsi établis à l’encontre du salarié caractérisent à la fois sa négligence dans le traitement final d’un dossier important pour l’entreprise et un comportement inapproprié dans les relations de travail. Eu égard au poste à responsabilités occupé dans l’entreprise par le salarié et à la tentative de chantage exercée, les fautes commises étaient d’une gravité telle qu’elles rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, justifiant sa rupture sans préavis ni indemnité.
Le jugement sera confirmé en ce sens.
Sur la demande de dommages et intérêt pour licenciement brutal et vexatoire
M. [A] considère que la décision de la société TLTI de le licencier a été particulièrement brutale et vexatoire. Il fait valoir qu’il n’avait jamais été sanctionné disciplinairement depuis son entrée dans l’entreprise, bénéficiant d’une promotion et de deux augmentations de salaire en 3 ans et demie, outre des primes exceptionnelles, ce qui prouve bien la qualité de son travail et la satisfaction de son employeur ; que son employeur l’a informé qu’il avait l’intention de le licencier, d’abord le 7 juillet, puis le 1er août 2017, ce qui l’a empêché de profiter sereinement de ses vacances avec sa famille et enfin que la décision était déjà prise bien avant l’entretien préalable et que le comportement de son employeur s’est révélé odieux, tant dans la forme que sur le fond où aucun grief précis n’a pu être émis.
Deux comptes rendus de l’entretien préalable du 11 août 2017 sont versés aux débats, l’un rédigé par Mme [W] ayant assisté l’employeur et l’autre rédigé par M. [E] ayant assisté le salarié.
Si le premier ne fait état d’aucune agressivité de l’employeur, le second mentionne en revanche qu’à un moment de l’entretien ‘[Y].[Z] demande fortement à son salarié de le regarder dans les yeux’ (lorsqu’est évoqué l’entretien du 1er août au cours duquel le salarié aurait été agressif), puis qu’à un autre moment, ‘[Y].[Z] ne veut pas entendre les réponses de [N].[A]…, en se moquant expressivement des explications données par [N].[A], obligeant ce dernier à lui demander de le respecter.’
Toutefois, la cour relève que l’entretien s’est tenu dans un contexte tendu alors que l’employeur reprochait notamment à son salarié des menaces proférées lors d’un précédent entretien du 1er août.
Par conséquent, les seuls termes rapportés par le conseiller du salarié et alors que la procédure de licenciement a été respectée ne sauraient caractériser des circonstances vexatoires. Par suite, la demande de dommages et intérêts à ce titre sera rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral au titre de l’article 1240 du code civil
M. [A] sollicite une indemnisation pour le préjudice moral qu’il a subi du fait des agissements de la société TLTI à son encontre et invoque le refus de son employeur de lui rembourser ses notes de frais sur des prétextes fallacieux, la contrainte de travailler dans des conditions extrêmement dégradées, en refusant de lui fournir les moyens matériels et humains nécessaires à la bonne conduite de sa mission, entraînant la réalisation de très nombreuses heures supplémentaires, dans un contexte de stress évident, pour mener le projet à bien avant son départ en congés et l’exigence d’une présence immédiate sur site le 7 juillet 2017, en remettant en question de façon déloyale l’autorisation de télétravail qui lui avait été accordée.
S’agissant du remboursement des notes de frais, il ressort des mails produits que la note de frais présentée en juin 2017 a bien été prise en charge lorsque M. [A] a transmis au service du personnel le nom des invités pour le repas au restaurant, la société produisant de précédentes demandes de remboursement établies par le salarié sur lesquelles était bien mentionné cette indication.
S’agissant de la surcharge de travail, si M. [A] produit des mails de M. [V], directeur technique, sur ce point, il ne justifie d’aucun signalement adressé à son employeur sur une situation personnelle de surcharge professionnelle, les seuls mails versés aux débats portant sur une demande de matériel puis une difficulté de méthodologie.
La cour relève en outre que si le salarié invoque de nombreuses heures supplémentaires effectuées, il ne présente aucune élément concret en ce sens, ni demande de rappel de salaire, alors que son contrat mentionne un horaire mensuel de 164,54 heures par mois (soit 38 heures par semaine) et ses fiches de paie un salaire de base pour 151,67 heures mensuelles et chaque mois l’accomplissement de 12,87 heures supplémentaires, ce qui ne saurait caractériser la surcharge invoquée.
Enfin, s’il n’est pas contesté par la société que M. [A] pouvait travailler depuis son domicile, aucun élément n’est produit sur un accord de ‘télétravail’ et ses modalités, et force est de constater que l’absence du salarié dans les locaux de l’entreprise le dernier jour avant ses congés d’été et alors qu’un contrat important était en cours de finalisation participe de la désinvolture reprochée par son employeur.
La demande de dommages et intérêts pour préjudice moral sera donc rejetée.
Sur les demandes accessoires
M. [A] qui succombe supportera les dépens et devra participer aux frais irrépétibles engagés par la société à hauteur de 2.000 euros pour les procédures de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
DÉCLARE recevable la demande au titre du préjudice moral,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant’:
CONDAMNE M. [A] à verser à la société TLTI la somme globale de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d’appel,
CONDAMNE M. [A] aux dépens.
La greffière La présidente