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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 5 JUILLET 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/12243 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBDTQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Octobre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Commerce chambre 8 – RG n° F19/02294
APPELANTE
Madame [F] [K]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Damien WAMBERGUE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
SAS PINO ELYSÉES
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Ernest SFEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2042
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Stéphane MEYER, président de chambre
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [F] [K] a été engagée par la société Pino Elysées, pour une durée déterminée à compter du 1er juin 2010, puis indéterminée, en qualité de commis bar-restaurant. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de serveuse.
La relation de travail est régie par la convention collective des hôtels, cafés et restaurants.
Par lettre du 12 septembre 2013, Madame [K] était convoquée pour le 20 septembre à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 28 octobre suivant pour cause réelle et sérieuse, caractérisée par une insubordination, un dénigrement persistant de l’entreprise et de ses dirigeants auprès de ses collègues, ainsi qu’une tentative réitérée de soustraire des informations confidentielles auprès du maître d’hôtel.
Le 13 mai 2014, Madame [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail. L’affaire a été radiée le 21 mars 2017, puis réintroduite à la demande de Madame [K] formée le 7 mars 2019.
Par jugement du 28 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné la société Pino Elysées à payer à Madame [K] les sommes suivantes :
– au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12 496,80 € ;
– indemnité pour frais de procédure : 1 000 € ;
– les dépens
Le conseil a par ailleurs déclaré les demandes de rappel de salaire de Madame [K] irrecevables et l’a déboutée du surplus de ses demandes.
A l’encontre de ce jugement notifié le 19 novembre 2019, Madame [K] a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 12 décembre 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 octobre 2020, Madame [K] demande la confirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, son infirmation sur le surplus et la condamnation de la société Pino Elysées à lui payer les sommes suivantes :
– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 15 000 € ;
– rappel de salaires afférents à l’année 2013 : 11 408,62 € ;
– rappel de salaires afférents à l’année 2012 : 10 831,95 € ;
– dommages et intérêts pour préjudice moral subi : 15 000 € ;
– dommages et intérêts pour harcèlement moral : 15 000 € ;
– indemnité pour frais de procédure : 3 000 €.
Madame [K] formule également les demandes formulées dans les termes suivants :
” ORDONNER à la société PINO ELYSEES de justifier que Madame [K] a bien été rémunérée à hauteur de 15% du chiffre d’affaires réalisé ou à minima à hauteur du salaire mensuel garanti au titre de son contrat de travail au titre des années 2010 et 2011 et ce, sous astreinte que votre Conseil fixera ;
ORDONNER à la société PINO ELYSEES de démontrer que les heures supplémentaires effectuées par Madame [K] au titre des années 2010 et 2011 ont bien été rémunérées et ce, sous astreinte que votre Conseil fixera. ”
Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Madame [K] expose que :
– le reçu pour solde de tout compte qu’elle avait signé n’est pas libératoire car il ne comporte qu’une somme globale ; en tout état de cause, il n’a aucun effet libératoire en ce qui concerne les demandes indemnitaires ;
– elle a été licenciée pour avoir exercé sa liberté fondamentale d’expression, alors qu’une simple divergence de points de vue ne peut constituer une cause réelle et sérieuse ;
– ses revendications salariales étaient légitimes, alors que ses heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées, malgré ses relances, que son mode de rémunération était opaque et que l’employeur défalquait des charges salariales d’une rémunération non versée ;
– elle a fait l’objet d’un traitement arbitraire brutal et humiliant lors de son licenciement ;
– elle a été victime de faits de harcèlement moral constitués par les propos humiliants et dénigrants d’un collègue, alors qu’aucune enquête interne n’a été menée par l’employeur, lequel a ainsi manqué à son obligation de sécurité.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 juillet 2020, la société Pino Elysées demande l’infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, sa confirmation en ce qu’il a rejeté les autres demandes, et la condamnation Madame [K] à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 1 500 €. Elle fait valoir que :
– les demandes formulées au titre des rappels de salaires sont irrecevables car le reçu pour solde de tout compte, très précis et détaillé, a été dénoncé plus de six mois après sa signature ;
– Madame [K] ne justifie pas avoir adressé des réclamations à son employeur, alors que la répartition des pourboires s’effectuait parmi le personnel conformément au contrat de travail ;
– Madame [K] affichait son refus d’accepter ce système de répartition, critiquait le fonctionnement de l’entreprise, ce qui a occasionné des perturbations, alors même que les représentants du personnel n’avaient pas constaté de dysfonctionnements ; le climat délétère instauré par Madame [K], ne constituait pas un usage de sa liberté d’expression ;
– Madame [K] ne produit aucun élément probant au soutien de ses demandes de dommages et intérêts ; l’entreprise a mis en place des enquêtes internes à la suite des réclamations de Madame [K] mais il s’est avéré qu’il existait simplement un différend avec un salarié qui n’avait aucun pouvoir hiérarchique sur elle, ce qui ne constitue pas un harcèlement moral.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 juin 2022.
Une mesure de médiation a été mise en place mais a échoué.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
* * *
MOTIFS
Sur la demande de rappel de salaires
Aux termes de l’article L.1234-20 du code du travail, le solde de tout compte, établi par l’employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l’employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.
Il résulte de ces dispositions que le reçu pour solde de tout compte qui fait état d’une somme globale, même s’il renvoie pour le détail des sommes versées à un bulletin de paie, n’a pas d’effet libératoire.
En l’espèce, le reçu signé par Madame [K] le 8 novembre 2013 mentionnait une somme globale de 7 275,62 euros “en paiement des salaires, accessoires du salaire, remboursements de frais et indemnités de toute nature dus au titre de l’exécution et de la cessation de mon contrat de travail” et renvoyait, pour le détail au dernier bulletin de salaire dont la salariée reconnaissait avoir reçu un exemplaire.
Ce reçu n’a donc pas d’effet libératoire et c’est à tort que le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevables les demandes de rappel de salaires.
Les dispositions de l’article L.3244-1 du code du travail, relatives à la répartition des pourboires, ne sont pas applicables lorsque ces pourboires sont remis directement au personnel par les clients, sans intervention de l’employeur.
En l’espèce, le contrat de travail signé le 1er juin 2010 entre les parties prévoyait ce qui suit :
« En contrepartie de l’accomplissement de ses fonctions, le salarié perçoit exclusivement une rémunération au service, augmentée des avantages en nature mis à la disposition par l’employeur, conformément à la réglementation en vigueur et aux usages de la profession.
Cette rémunération est assise sur 15 % du chiffre d’affaire T.T.C, répartie entre les ayants droits, comme suit.
L’employeur tient un registre spécial conformément à l’article 2 du décret du 4 juin 1936.
Il n’organise en aucune façon la répartition du service. Sa fonction se limite à la vérification du paiement du service aux salariés concernés, sans aucune autre forme d’intervention.
Cette répartition est faite par un membre désigné par et parmi les ayants droit à la répartition qui doit émarger ce registre spécial, qui mentionne la masse globale du service entre les ayants droit.
En tout état de cause, pour la détermination des charges sociales, un salaire mensuel minimal est garanti au salarié à hauteur de 1 522,94 € Brut ».
Par avenant du 1er avril 2011, les parties sont convenues de porter le montant du salaire brut mensuel de Madame [K] à la somme de 2 082,80 €, outre les avantages en nature, les autres stipulations du contrat de travail demeurant inchangées.
Or, Madame [K] soutient qu’elle n’a perçu, en 2012 et 2013, que des sommes, en espèces, très inférieures à 15 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.
La société Pino Elysées réplique que la répartition du service se faisant quotidiennement ou hebdomadairement entre les ayants-droits et que Madame [K] percevait le montant de sa participation au service de manière régulière directement en espèces, dont la société ignorait le montant. Elle ajoute que si ce montant devait être inférieur au minimum garanti, il appartenait à Madame [K] de le contester et d’en apporter les justificatifs, afin d’obtenir l’éventuel complément mais qu’à défaut, la société avait pour seule obligation d’établir des fiches de paie tenant compte de la base forfaitaire de la Sécurité sociale selon la qualification, déduction faite des charges sociales et avantages en nature dont Madame [K] devait s’acquitter vis-à-vis de l’employeur.
Cependant, même si les dispositions du code du travail précitées ne s’appliquent pas, il appartenait à l’employeur, conformément aux stipulations contractuelles, d’une part, de vérifier le paiement du service aux salariés concernés, d’autre part, de s’assurer qu’ils percevaient une rémunération au moins égale au minimum garanti.
A cet égard, contrairement aux allégations de la société Pino Elysées, Madame [K] a contesté son mode de rémunération aux termes de plusieurs lettres produites par les deux parties.
Or, Madame [K] expose, sans être contredite sur ce point, qu’elle n’a perçu que des sommes très inférieures à 15 % du chiffre d’affaires. Ces allégations sont d’ailleurs corroborées par les bulletins de paie qu’elle produit, alors que, de son côté, l’entreprise s’abstient de produire le registre dont fait état le contrat de travail
La Direccte, qui était intervenue auprès de l’entreprise à la demande de Madame [K], n’était d’ailleurs pas parvenue à obtenir d’éclaircissements sur son mode de rémunération.
Compte-tenu de cette carence probatoire de l’employeur, il convient de reprendre les calculs de Madame [K], effectués sur la base de 15% du chiffre d’affaires, mais en convertissant les sommes perçues en salaires bruts, étant précisé que les résultats de ce pourcentage sont inférieurs au salaire minimal contractuellement garanti auquel elle aurait pu prétendre.
Ainsi, pour l’année 2012, Madame [K] déclare, sans être contredite sur ce point, que le total du chiffre d’affaire déclaré s’étant élevé à 141 403,84 €, elle aurait dû en percevoir 15% soit 21 210,58 € mais qu’elle n’a perçu en espèces que la somme de 10 378,63 €. Cette dernière somme correspond à un salaire brut de 13 478 €.
Elle est donc fondée à percevoir la différence, soit 7 732,58 euros.
Pour l’année 2013, Madame [K] déclare, sans être contredite sur ce point, que le total du chiffre d’affaire déclaré s’étant élevé à 155 937,25 €, elle aurait dû en percevoir 15%, soit 23 390,50 € mais qu’elle n’a perçu en espèces que la somme de 11 981,88. Cette dernière somme correspond à un salaire brut de 15 561 €.
Elle est donc fondée à percevoir la différence, soit 7 829,50 euros.
Concernant les années précédentes, les demandes formées par Madame [K] ne peuvent être considérées comme des prétentions auxquelles la cour est en mesure de répondre ; Madame [K] doit donc être déboutée du surplus de ses demandes de rappel de salaires.
Sur le licenciement
Aux termes de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Aux termes de l’article L1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 28 octobre 2013, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :
« [‘] Alors même que nous tentons depuis plusieurs semaines de trouver une solution amiable et durable au différend qui nous oppose, vous persistez dans votre attitude, en adoptant un comportement qui vise systématiquement à dénigrer l’entreprise et l’équipe qui la dirige.
– Une fois de plus, lors de ma visite du 11 septembre courant, dans les locaux de Montparnasse, j’ai eu le regret de constater que vous campiez toujours sur vos positions, que vous entendiez maintenir vos griefs et que vous n’aviez aucunement l’intention d’écouter nos doléances.
– Visiblement, vous ne cherchez pas à apaiser cette situation conflictuelle qui perdure malheureusement depuis trop longtemps. Pour preuve, vous avez immédiatement saisi les services de l’inspection du travail de votre réclamation, pour nous intimider.
– De plus, vous continuez à tergiverser en affirmant que Monsieur [S] [X] ignore continuellement vos demandes et qu’il n’est pas du tout réceptif à vos réclamations.
– Les témoignages que nous avons pu recueillir démontrent parfaitement votre volonté de nuire en jetant le discrédit sur notre organisation. Certains attestent avoir été sollicités par vos soins, pour se joindre à votre cause afin de conforter et étayer votre dossier. Par votre attitude, vous avez introduit la suspicion au sein du personnel de salle. Vous avez affirmé d’ailleurs à plusieurs collègues que vous ne vous laisseriez pas faire et que vous iriez jusqu’au bout de votre démarche affirmant que les dirigeants n’assumaient pas leurs responsabilités et que le restaurant était géré dans l’anarchie la plus totale.
– Nous déplorons également, d’après les témoignages recueillis, que vous avez pu tenter de soustraire à plusieurs reprises, des informations confidentielles auprès du maître d’hôtel responsable du soir, concernant le montant des rémunérations du personnel de salle.
– Nous ne comprenons pas vraiment vos intentions et l’ensemble de vos correspondances confirment parfaitement votre volonté d’entretenir la polémique.
A la lecture de votre dossier, nous avons dû échanger avec vous, plus d’une quinzaine de correspondances sur des sujets divers et variés.
Au départ, s’agissant d’un gos problème relationnel vous opposant à Monsieur [R] [E]. Nous sommes alors intervenus en votre faveur pour mettre un terme définitif à cette situation conflictuelle.
Puis dès le début du mois de février 2013, vous nous avez fait part d’un nouveau problème portant sur vos bulletins de salaire. Nous vous avions accordé dès le 13 février un entretien à cet effet.
Vous n’avez pas hésité, dès la fin de celui-ci, à nous adresser une nouvelle correspondance écrite recommandée, remettant en cause la probité de notre Directeur Régional […].
Depuis, vous n’avez pas cessé de nous faire part par écrit, de votre mécontentement, en employant des termes parfois très durs et particulièrement diffamatoires à l’encontre de la Direction, l’accusant de gérer l’établissement en toute impunité, en ignorant la législation.
Bien évidemment, il n’est pas de notre intention de tenir compte de ces faits dans le cadre de la présente procédure mais pour illustrer notre disponibilité à rester à votre écoute qui contraste avec votre recherche systématique du conflit qui s’est concrétisé de manière ouverte et irrémédiable le 11 septembre dernier, où vous avez été particulièrement insolente.
Pour preuve nous vous avons invitée le 10 octobre dernier, à venir faire le point avec votre premier Maître d’Hôtel […] Une fois de plus, vous avez ignoré sa demande, ce qui illustre parfaitement votre volonté de maintenir vos griefs à l’encontre de la société.
Votre courrier du 18 octobre réceptionné le 11 est sans équivoque. Nous pensons sincèrement avoir fait preuve de patience et de compréhension à votre égard.
Nous n’envisageons certainement pas de poursuivre nos relations contractuelles dans ce climat en continuant à travailler avec une personne qui souhaite imposer ses propres règles, en ignorant son manager et faisant fi de son autorité et de ses recommandations
Nous ne remettons en aucun cas en cause le bien fondé éventuel de vos demandes de rappel de salaire mais votre insubordination caractérisée et l’attitude adoptée pour obtenir satisfaction ne sauraient être tolérées davantage. En agissant ainsi, vous perturber et nuisez incontestablement à l’organisation mise en place. La persistance de votre attitude prend le caractère d’une insubordination caractérisée. Compte tenu de ce problème relationnel persistant et de nos divergences de vues incontestables, nous n’avons pas d’autre alternative que de vous confirmer par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.’»
Au soutien de ses allégations, la société Pino Elysées produit des lettres que lui a adressées Madame [K].
Même si ces lettres sont nombreuses, elles sont exemptes de tout propos injurieux ou diffamatoire et aucune d’entre elles ne dépasse les limites de la liberté d’expression admissibles dans une entreprise.
Au demeurant, les propos tenus dans ces lettres sont, au moins en partie fondés puiqu’il résulte des explications qui précèdent que les modes de calcul des salaires de Madame [K] n’étaient pas conformes aux stipulations contractuelles.
Par ailleurs, le fait, invoqué par la société Pino Elysées, que Madame [K] se soit adressée directement à la direction et non pas aux institutions représentatives du personnel relève de son libre choix et ne peut davantage être considéré dépassant les limites admissibles.
Enfin, la société Pino Elysées ne produit aucun élément relatif au grief de tentative de soustraction d’informations confidentielles auprès du maître d’hôtel.
C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a estimé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L’entreprise comptant plus de dix salariés, Madame [K], qui avait plus de deux ans d’ancienneté, a droit à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable au litige, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.
Au moment de la rupture, Madame [K], âgée de 38 ans, comptait plus de 3 ans d’ancienneté. Elle ne produit aucun élément relatif à sa situation à la suite de la rupture du contrat de travail.
Elle ne conteste pas les dispositions du jugement calculant l’indemnité sur la base d’un salaire mensuel brut 1 041,40 euros.
Le conseil de prud’hommes, au vu des éléments de la cause, (ancienneté de la salarié, âge, perspectives pour retrouver un emploi, niveau de rémunération), a procédé à une exacte appréciation du préjudice de Madame [K] en fixant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 12 496,80 euros.
Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.
Madame [K] ne rapportant la preuve, ni du caractère vexatoire du licenciement, ni d’un préjudice moral distinct de celui résultant du licenciement, le jugement doit être confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts formée à cet égard.
Sur l’allégation de harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Aux termes de l’article L. 1152-4 du même code, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément aux dispositions de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable au litige, il appartient au salarié d’établir des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il juge utiles.
En l’espèce, Madame [K] fait valoir qu’elle a été “la cible” d’un collègue, Monsieur [R] à partir de 2011 et qu’elle en a informé sa responsable par lettre du 3 juin 2011, lettre qu’elle ne produit pas.
Elle ajoute avoir fait part de son intention de démissionner à son responsable, lequel l’en avait finalement dissuadé, que Monsieur [R] a toutefois continué de s’en prendre à elle, de sorte que celle-ci en a fait part directement au Directeur, par lettre du 1er janvier 2013 qu’elle produit et aux termes de laquelle elle exposait être victime de propos humiliants, vexants et dénigrants de la part de Monsieur [R].
Elle produit également l’attestation de Monsieur [O], serveur, qui déclare que, le 1er janvier 2013, il a entendu Monsieur [R] lui parler méchamment en lui disant “tu es crade, tout le monde le dit et le sait, tu es une personne méchante et mal polie” et qui ajoute qu’il avait déjà proféré à son encontre des propos négatifs deux semaines auparavant.
Elle produit également une attestation de Madame [M], qui déclare avoir été victime de propos similaires de la part de Monsieur [R] et avoir également été témoin de sa grossièreté et de ses propos déplacés à l’encontre de Madame [K].
Elle a fait l’objet d’arrêts de travail du 14 février au 19 mars 2013 dont les avis font état d’une souffrance au travail et produit un certificat médical du 16 septembre 2013, relatant des troubles du sommeil et une très forte anxiété.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral, étant précisé que, contrairement à ce que prétend la société Pino Elysées, le fait que les agissements n’émanent pas d’un responsable hiérarchique de Madame [K] est indifférent.
De son côté, la société Pino Elysées soutient qu’elle a agi avec “beaucoup de diligences” pour enquêter sur ce problème lié à un éventuel comportement fautif de l’un de ses salariés.
Elle produit une lettre du directeur général d’exploitation du 7 janvier 2013, conviant la salariée à un entretien dans le cadre d’une enquête interne qu’il déclarait diligenter, ainsi qu’une lettre d’une certaine Madame [U], apparemment membre de la Direction, indiquant avoir été destinataire de réclamations de Monsieur [R] à l’encontre d’un autre salarié de l’entreprise, avoir interrogé trois salariés à cet égard et concluant que Monsieur [R] était “menteur” et “manipulateur”, ajoutant qu’il avait insulté à deux reprises Madame [K] le 1er janvier 2013.
Cependant, aucune information sur les suites de l’enquête n’est donnée, notamment sur les mesures prises par l’entreprise pour faire cesser les agissements de Monsieur [R], alors que les éléments médicaux précités laissent présumer qu’ils se sont poursuivis bien au-delà du mois de janvier 2013.
Il résulte de ces considérations que, non seulement, la société Pino Elysées ne produit aucun élément objectif permettant d’écarter la présomption de harcèlement moral apportée par Madame [K] mais qu’elle a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas de mesures nécessaires pour prévenir et pour éviter la poursuite de tels agissements.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu’il a débouté Madame [K] de sa demande de dommages et intérêts formée à cet égard, son préjudice étant évalué par la cour à 5 000 euros.
Sur les frais hors dépens
Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Pino Elysées à payer à Madame [K] une indemnité de 1 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d’une indemnité de 1 500 euros en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société Pino Elysées à payer à Madame [F] [K] les sommes suivantes :
– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12 496,80 € ;
– indemnité pour frais de procédure : 1 000 € ;
– les dépens.
Confirme également le jugement déféré en ce qu’il a débouté Madame [F] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés ;
Condamne la société Pino Elysées à payer à Madame [F] [K] les sommes suivantes :
– rappel de salaires afférents à l’année 2012 : 7 732,58 € ;
– rappel de salaires afférents à l’année 2013 : 7 829,50 € ;
– dommages et intérêts pour harcèlement moral : 5 000 € ;
Y ajoutant,
Condamne la société Pino Elysées à payer à Madame [F] [K] une indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel de 1 500 € ;
Ordonne le remboursement par la société Pino Elysées des indemnités de chômage versées à Madame [F] [K] dans la limite de six mois d’indemnités ;
Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle Emploi ;
Déboute Madame [F] [K] du surplus de ses demandes ;
Déboute la société Pino Elysées de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;
Condamne la société Pino Elysées aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT