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COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 21 MARS 2023
N° RG 21/02224 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G3BU
[I] [D]
C/ S.A.S. JCDECAUX agissant poursuites et diligences de ses représentants légau
x en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
etc…
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 13 Octobre 2021, RG F 20/00153
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
Madame [I] [D]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Sylvie THIERY-CHOMBART, avocat au barreau de LILLE
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE
S.A.S. JCDECAUX agissant poursuites et diligences de ses représentants légau
x en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Pascal LAGOUTTE de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS, substitué par Me Julien AUNIS, avocat au barreau de PARIS
et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Février 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,
Copies délivrées le : ********
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [D] a été engagée à compter du 11 mars 1996 en qualité d’attaché technico-commerciale par la société Avenir Havas Media aux droits de laquelle se trouve la société JCDecaux France depuis janvier 2002.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [D] était responsable commercial grands comptes depuis 2011 et percevait une rémunération mensuelle brut de 6 000 euros.
Par lettre recommandée postée le 12 décembre 2019, présentée le 17 décembre 2019, Mme [D] était licenciée pour insuffisance professionnelle.
Contestant son licenciement, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annecy le 16 juillet 2020.
Par jugement en date du 13 octobre 2021 , le conseil de prud’hommes d’Annecy a :
– débouté Mme [D] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [D] à verser à la société JCDecaux France la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [D] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 15 novembre 2021, Mme [D] a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions n°4 notifiées le 19 décembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, Mme [D] demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
– dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société JCDecaux France à lui payer les sommes de :
.120 000 euros net au titre de son licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,
.50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement et/ou exécution déloyale du contrat de travail,
.609,20 euros au titre du remboursement de l’avance permanente du mois de mars 2020,
.100 euros au titre de la subvention sportive,
.686,40 euros en remboursement des frais professionnels (équipements voiture),
– ordonner à la société JCDecaux France de lui remettre son certificat de travail, le solde de tout compte et son attestation destinée à Pôle emploi sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,
– dire et juger que la moyenne des trois derniers mois de salaire est de 6 000 euros,
– dire et juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, conformément aux dispositions de l’article 1153-1 du code civil,
– condamner la société JCDecaux France à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance et 3.000 euros au titre de la procédure d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle expose qu’alors qu’elle donnait entièrement satisfaction tant à ses clients qu’à sa hiérarchie, voyant ses responsabilités augmenter, à partir de 2015, concomitamment à un changement de directeur, elle va déplorer une dégradation flagrante de ses conditions de travail et subir un harcèlement moral, son employeur cherchant à tout prix à se débarrasser d’elle. Alors qu’en 2015, elle réalise 120 % de son objectif, son employeur lui reproche un manque de développement commercial, un manque d’identification de potentiel, un manque de rendez-vous et une forte dépendance à l’Agence planning qui génère 60 % de son chiffre d’affaires grâce à un travail acharné, passant à un chiffre d’affaires en 2012 de 600 000 euros à 1,3 millions fin 2015. Au début de 2016, elle se voir retirer l’unique centrale d’achat, l’agence Planning ainsi que tous les clients y afférents, ne lui laissant que 12 clients actifs. Elle verse aux débats un mail justifiant que les difficultés avec la société Agence planning étaient récurrentes. Son employeur lui a supprimé son assistanat et le back office de [Localité 8]. En 2017, il lui est proposé un départ négocié qu’elle refuse et la société JCDecaux France cherchera ouvertement à la remplacer par M. [U] avec qui elle sera contrainte de travailler en binôme chez [C] ; puis fin décembre 2017, M. [L], directeur commercial lui demande d’annuler les réservations à l’agence ce qu’elle refusera de faire, puis il annulera les campagnes Irrijardin, puis devant le mécontentement de l’agence, reviendra sur sa décision en lui demandant de s’occuper de la campagne.
Une nouvelle tentative de départ forcé sera effectué en 2018 et 2019, M. [L] lui indique qu’en 2020, il envisage une mutation sur [Localité 7] pour finalement lui dire que le poste n’est pas pour elle. Dès le mois de janvier 2020, une offre d’emploi correspondant à un poste de commercial grand compte basé à [Localité 7] apparaît sur Linkedin.
Ces agissements ont eu des conséquences sur son état de santé, entraînant des arrêts de travail et une prise en charge médicale dans le cadre de consultations en psychologie du travail. En juillet 2019, M. [L] lui remettra un avenant à son contrat de travail daté du 13 juin 2019 avec effet rétroactif au 1er janvier 2019, visant à modifier ses conditions de rémunération avec un nouveau système de calcul de la rémunération variable qui intègre la multiplication des objectifs croisés, un coefficient multiplicateur, d’une grande complexité qui ne lui permettait pas d’établir de corrélation direct entre le travail réalisé et sa rémunération variable. A peine plus d’un mois après son refus, elle sera licencié.
Sur l’insuffisance professionnelle, elle a parfaitement réalisé ses objectifs, voire au-delà de 2015 à 2019, étant précisé que la procédure de licenciement a été diligentée en novembre 2019 alors que l’année n’était pas terminée. En 2020, alors qu’aucun objectif n’avait été fixé, elle avait déjà bien avancé sur plusieurs dossiers ([T], [K], [J]).
Elle a bien assuré des visites de prospects auprès de [R] (ce qui lui a permis de remporter 100% du budget affichage de la marque pour une campagne de 117K€), Fitness Boutique ne faisait pas partie de son giron et était suivi par un collègue. Elle suit le prospect Sfam depuis 2017, mal orienté suite à une erreur du Pole trade de JcDecaux. Elle n’a pas réussi à faire mieux que les équipes nationales concernant Hasbro. Elle était bien présente au contact des clients et prospects, des mails de sa part pour 2019 attestent d’un réel suivi concernant [Localité 6], le départ de son interlocutrice est intervenue en 2019 chez [Z], trois semaines avant la demande de renseignement envoyé par une assistante presse au siège de JCDecaux alors qu’elle avait déjà fait une offre.
Après son départ, en se référant aux investissements publicitaires publiés par l’institut de recherches et études publicitaires, tous les comptes où il lui était reproché un manque d’investissement, ont eu un chiffre d’affaires nul.
Son insuffisance professionnelle n’est nullement établie au regard des difficultés dont la société JCDecaux France est à l’origine, entravant le déroulement des relations professionnelles. Elle lui a retiré une partie de ses clients, lui a retiré l’assistanat, lui a imposé un objectif irréalisable après le retrait de son portefeuille représentant un chiffre d’affaires important et ne l’a pas accompagnée. Sa dernière formation externe de deux jours concernait la prise de parole en public et date d’avril 2017 et les maigres formations internes reçues ensuite ne sauraient justifier le respect par la société de ses obligations. Le catalogue de formation produit ne suffit pas à justifier d’une obligation de formation.
Ses qualités professionnelles sont établies par de nombreuses attestations, du directeur général de Odlo, de Publicis [Localité 5], de Mme [B], chef de l’agence en communication Texto, de M. [X], directeur commercial de la société Pain de Belledonne, de Mme [E], responsable communication société Saint Jean (Drôme), de Mme [N], son assistante depuis 15 ans, Mme [A], directrice du syndicat de la Clairette de Die et des vins du Diois ainsi que par un mail du 29 juillet 2019 du directeur régionale de JCDecaux à M. [H] [M].
Elle a été la seule qui a vu sa clause de non-concurrence activée et avant même que la notification de son licenciement lui soit présentée, sa messagerie était bloquée ainsi que son téléphone portable.
La société JCDecaux France est dans l’incapacité de prouver son insuffisance professionnelle. Une seule attestation est produite au débat pour justifier d’un prétendu mécontentement du client au sujet de son travail et du retrait de la centrale d’achat de son portefeuille et deux attestations du directeur commercial et du directeur commercial régional contredites par un mail versé aux débats attestant des difficultés récurrentes avec le client Agence planning. Ses entretiens d’évaluation sont tronqués et une partie seulement est versée aux débats. Elle ne les a pas signés.
En fait, il y a eu suppression de son poste qui n’existe plus sur [Localité 5]. Elle est restée sans emploi durant de nombreux mois, avec deux enfants étudiants à charge.
Dans ses conclusions n°2 notifiées le 1er décembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, la société JCDecaux France demande à la cour d’appel de :
A titre principal, confirmer le jugement et débouter Mme [D] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire, ramener le montant des éventuelles condamnations à de plus justes proportions,
En tout état de cause, condamner Mme [D] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que les entretiens annuels d’évaluation de Mme [D] depuis 2013 font état de son insuffisance professionnelle et mettent en exergue ses difficultés relationnelles avec les clients, son incapacité à développer son portefeuille et son absence d’organisation, l’absence de signature de ces entretiens ne suffit pas à écarter les remarques formulées dans le cadre de l’évaluation de l’appréciation de l’insuffisance professionnelle.
Elle a été contrainte de retirer la centrale d’achat du portefeuille de Mme [D] en raison de son incapacité à fournir un service adéquat à ce client, [S] [P], directeur de cette agence ayant fait part de son mécontentement dès 2013 et qui a adressé plusieurs courriers de mécontentement. Malgré ses alertes, Mme [D] persistait dans son absence d’initiative et rencontrait peu de prospects, activités essentielles à sa fonction, ce qui a conduit ses clients à se passer de ses services ou solliciter les services commerciaux du siège de la société.
Mme [D] n’a pas atteint les objectifs fixés, raisonnables et réalisables pour lesquels une atteinte à 100 % est souvent un minimum pour les collaborateurs qui tous ont dépassé de loin les objectifs fixés. Mme [D] n’a pas atteint l’objectif en 2016, en 2017 les atteint de manière artificielle par une campagne de la société Tropico qui avait pris contact directement avec elle. En 2018 et 2019, les objectifs n’ont pas été atteints.
Les attestations produites par Mme [D] sur ses qualités professionnelles démontrent que si elle avait des qualités professionnelles, ce n’étaient pas celles d’un responsable commercial grands comptes.
Elle a mis en oeuvre des actions pour soutenir Mme [D] dans son activité. Des plans d’action ont été mis en oeuvre en 2014, 2015, 2016, 2017. De nombreuses formations en ligne ont été proposées (54) dont seules trois ont été suivies par Mme [D].
Il est inexact de prétendre qu’elle n’aurait pas fait mieux après son départ alors que la pandémie mondiale a impacté le marché publicitaire ayant conduit à une baisse de son chiffre d’affaires de 41 %.
L’activation de la clause de non-concurrence est sans effet sur la cause réelle et sérieuse du licenciement mais était nécessaire en raison des informations sensibles dont Mme [D] disposait concernant la société.
Mme [D] n’a pas été victime de harcèlement moral. Les éléments avancés par elle sont des courriers qu’elle a elle même rédigés. Les reproches fait à Mme [D] sont basés sur des faits objectifs. Mme [D] a bénéficié d’une assistante jusqu’à la fin de l’exercice de ses fonctions qui était basée à [Localité 7] et plus en local. Son poste n’a pas été supprimé, les fonctions exercées par Mme [D] étant basées sur [Localité 7].
La proposition de modification du contrat de travail évoquée par Mme [D], qui ne repose sur aucun élément, n’est en tout état de cause pas caractéristique d’un harcèlement moral, ni celle d’envisager une rupture conventionnelle. Le lien entre son état de santé et ses conditions de travail ne sont pas établies, le médecin ayant établi un certificat médical à la demande de Mme [D].
La proposition de modification de son contrat de travail proposé par avenant du 13 juin 2019 ne constitue pas un harcèlement moral et n’était pas défavorable à Mme [D] puisqu’il prévoyait une augmentation de sa rémunération fixe et un système de rémunération variable collectif. Sur 66 collaborateurs concernés par cette modification, seule Mme [D] a refusé de la signer.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2023.
SUR QUOI
Sur le harcèlement moral et l’exécution déloyale du contrat de travail :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, applicable à la cause lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3, le salarié présente des éléments de faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mme [D] évoque :
– un mail adressé le 24 juillet 2015 par la direction lui faisant de multiples reproches qu’elle estime injustifiés alors qu’elle a dépassé l’objectif assigné puisqu’elle réalise 120 % de son objectif,
– le retrait de l’unique centrale d’achat, l’agence Planning ainsi que tous les clients y afférents au début de l’année 2016, sans contrepartie,
– la suppression de l’assistanat de Mme [N] et le back office à son bureau de [Localité 8],
– la volonté de se débarrasser d’elle en lui imposant un départ négocié, en cherchant ouvertement à la remplacer, M. [U], venu du siège, recevant deux de ses collègues pour sonder leurs aptitudes au poste de responsable commerciale grand compte,
– demande d’annulation de réservation déjà faites pour lui demander par la suite de les confirmer,
– nouvelle tentative de départ, son employeur souhaitant que son poste soit basé en 2020 sur [Localité 7] qui ne lui sera jamais proposé, dès janvier 2020 un poste de commercial grand compte basé à [Localité 7] apparaît sur Linkedin, son bureau à [Localité 8] est attribué à une autre personne, la personne la remplaçant étant basée à [Localité 7],
– en juillet 2019 avec effet rétroactif au 1er janvier 2019, proposition de modification de son contrat de travail entraînant une baisse substantielle de sa rémunération,
– les arrêts de travail du 7 au 18 décembre 2015, du 5 au 16 décembre 2016 et du 28 juin au 13 juillet 2017 avec consultations en psychologie du travail les 27 février, 27 mars et 14 octobre 2015.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer le harcèlement moral.
Il appartient à la société JCDecaux France de justifier que ces faits reposent sur des éléments objectifs étranger à tout harcèlement moral.
Sur la lettre de reproches du 24 juillet 2015, qui fait suite à une action de l’employeur qui avait fixé un plan d’action à Mme [D] qui devait faire l’objet d’un suivi régulier, elle est parfaitement motivée et l’atteinte des objectifs quantitatifs fixés ne peut suffire à dire que les reproches formulés ne seraient pas justifiés. L’employeur reproche un manque d’atteinte des objectifs qualitatifs (manque de développement commercial, manque d’identification de potentiel, manque de rendez-vous).
Sur le retrait de la centrale d’achat (Planning agence), la société JCDecaux France justifie, par une attestation du directeur commercial M. [Y], que c’est à la demande du président de la société Agence Planning, M.[S] [P] qui avait fait part de son vif mécontentement au sujet Mme [D] quant à la qualité de suivi des annonceurs dont elle avait la responsabilité, qu’il avait pris cette décision ne voulant par mettre en péril le volume du chiffre d’affaires représenté par cette société (1,5 millions d’euros annuel).
La société JCDecaux France verse aux débats quatre courriels de M. [P] (2013, 2014, 2015) faisant par de son vif mécontentement (manquement de réactivité, manque d’efficacité dans la manière de travailler).
Il s’agit d’une décision qui repose sur des éléments objectifs que Mme [D] ne peut remettre en cause sous prétexte que ce client serait difficile et exigeant et qu’elle aurait par la qualité de son travail développé le chiffre d’affaires de cette société et que postérieurement un salarié aurait été remercié suite à la perte du chiffre d’affaires de la société Agence Planning.
Les consignes contradictoires de l’employeur sur l’annulation de réservations déjà faites puis de la demande de les valider n’est pas un fait constitutif de harcèlement moral mais une décision prise par l’employeur qui si elle n’est pas compréhensible pour Mme [D] relève de son pouvoir de direction.
Sur la suppression de son assistanat, la société JCDecaux France indique que tous les commerciaux grands comptes travaillent avec une assistante décentralisée et non une assistante locale et que Mme [D] a toujours bénéficié d’une assistante dans le cadre de ses fonctions, basée à [Localité 7] et non plus en local, ce que ne dément pas Mme [D] .
Mme [N], son ancienne assistante, indique que dans le même temps que Mme [D] se voyait retirer début 2016 l’agence Planning, elle se voyait supprimer son assistanat. Aucun élément objectif n’est justifié par l’employeur pour justifier de la suppression de cet assistanat, ni sur la suppression du bureau de Mme [D] à [Localité 8].
La société JCDecaux France a fait une proposition de rupture conventionnelle à Mme [D] le 1er juin 2017.
Elle proposait la somme de 70 000 euros sans détail outre un suivi pendant 1 an par une agence d’out-placement, proposition non négociable.
L’employeur, non satisfait du travail de Mme [D] pouvait parfaitement proposer une rupture conventionnelle à sa salariée qui était en droit de refuser. Cette proposition repose sur un élément objectif étranger à tout harcèlement moral.
Sur le fait que la société JCDecaux France avait la volonté de remplacer Mme [D] à son poste en recevant des candidats, que l’offre d’emploi paru dans Linkedin en janvier 2020 mentionne la recherche d’un poste de responsable commercial grands comptes et qu’une nouvelle proposition pour occuper un poste à [Localité 7] non matérialisée par un écrit aurait été proposée à Mme [D], ces faits ne sont pas établis.
Sur la proposition de modification de son contrat de travail présentée le 13 juin 2019, Mme [D] l’a refusé et elle ne lui a pas été imposée, étant précisé qu’elle avait pour objectif une augmentation de la rémunération annuelle fixe, qu’elle a donné lieu à avis favorable du comité d’entreprise et que sur les 66 commerciaux à qui elle a été faite, seule Mme [D] et un autre salarié ont refusé cette proposition.
Les arrêts de travail de Mme [D] pour syndrome anxio-dépressifs sont les suivants :
.7 au 18 décembre 2015,
.5 au 16 décembre 2016,
.28 juin au 13 juillet 2017.
Son médecin traitant indique que Mme [D] les attribue à une souffrance psychologique au travail. Le médecin ne relate que les dires de Mme [D] et ce certificat médical ne prouve en rien le lien entre l’état de santé de Mme [D] et les agissements de harcèlement moral qu’elle attribue à la société JCDecaux France.
En l’état d’un seul fait pour lequel la société JCDecaux France ne justifie pas d’élément objectif (retrait de l’assistanat), les autres faits sont justifiés par des éléments objectifs.
Le harcèlement moral n’est pas caractérisé.
Le jugement qui a dit que Mme [D] n’avait pas été victime de harcèlement moral sera confirmé .
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail, il peut être retenue qu’alors que Mme [D] disposait d’une assistante, cette dernière lui a été retirée sans explication, le fait que les autres commerciaux grands comptes n’est pas une assistance attitré, ne pouvant justifier ce retrait, ni celui de la suppression de son bureau de [Localité 8].
Si la société JCDecaux France avait parfaitement la possibilité de proposer une rupture conventionnelle à Mme [D] , toutefois, elle ne répondait pas au courrier de Mme [D] lui demandant la ventilation de la somme de 70 000 euros, le calcul de son indemnité de licenciement, le nom de la société de out placement et si sa clause de non-concurrence était maintenue. Si l’employeur a la possibilité de proposer une rupture conventionnelle à sa salariée, encore faut-il qu’il le fasse loyalement en reconnaissant la longue collaboration de sa salariée et réponde à ses légitimes interrogations, que l’employeur donnait l’impression de vouloir se débarrasser au plus vite de Mme [D].
Mme [D] a bien été victime d’exécution déloyale du contrat de travail.
La société JCDecaux France sera condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.
Sur le licenciement :
Dès 2013, les entretiens annuels d’évaluation (2013 à 2018) faisaient état d’une manque de densification de la production commerciale de Mme [D] , de difficultés sur la prise de rendez-vous, le manque de développement de son portefeuille clients.
Mme [D] indique ne pas avoir signé ces entretiens d’évaluation mais elle ne conteste pas avoir eu connaissance de ceux-ci, étant précisé qu’ils sont en deux parties, l’un au titre de l’entretien d’évaluation, l’autre au titre de l’entretien professionnel, ce dernier n’étant pas communiqué.
Les objectifs fixés, qui étaient réalisables, n’ont pas été atteints par Mme [D] en 2016, 74,8 % de l’objectif commercial était atteint alors que les commerciaux grands comptes avaient atteint 102 % de l’objectif fixé. Mme [D] impute ce déficit au fait que l’agence Planning lui avait été retiré. Cependant un plan d’action avait été mené dès 2014 par la société JCDecaux France, dédié à la prise de rendez-vous avec des annonceurs en direct, pour permettre à Mme [D] d’être moins dépendante de l’agence Planning, ce plan d’action s’est prolongé en 2015.
En 2017, Mme [D] a réalisé son objectif grâce à une campagne importante pour l’annonceur, la société Tropico qui faisait partie du portefeuille de Mme [D] comme l’indique Mme [V] directrice des opérations de la société Folliet Tropico.
Cependant, Mme [V], qui indique avoir eu de bonnes relations avec Mme [D], n’a pas contacté directement Mme [D] pour cette campagne mais M. [O], directeur commercial zone Centre-Est et M. [U] a pris en charge le rendez-vous, accompagné de Mme [D] qui a finalisé la vente.
En 2018, Mme [D] a atteint un objectif de 96 % alors que les responsables commerciaux grands compte avaient atteint 100 % de leur objectif mais elle indique qu’il ne lui a pas été rétrocédé le chiffre d’affaires qui lui revenait au titre de la campagne Adrea groupe Aesi qui lui appartenait compte tenu des 3150 000 euros réalisés par elle en 2017 mais qui en cours d’année a été affecté à une centrale d’achat de [Localité 7] sans que la société JCDecaux France ne s’explique sur ce fait.
En 2019, Mme [D] n’avait atteint que 87 % de son objectif. Certes au moment de l’engagement de la procédure de licenciement le 21 novembre 2019, l’année n’était pas terminée mais c’est en général au 15 novembre de l’année qu’est appréciée la réalisation de l’objectif fixé, à cette date Mme [D] présentait un retard de chiffre d’affaires de 49,59 % et les autres commerciaux grands comptes avaient réalisé 100 % de l’objectif.
Les objectifs fixés étaient réalistes. Pour l’année 2019, la société JCDecaux France a fixé un objectif diminué de 28 % au regard de celui de 2018.
La société JCDecaux France établit également que les commerciaux grands comptes parvenaient à réaliser un objectif supérieur à celui fixé et réalisaient des chiffre d’affaires en augmentation constante (par exemple 44 % en 2ans, 23 % en 2 ans, 70 % sur 2 ans).
Si Mme [D] produit des attestations de clients, de son assistance, soulignant ces qualités professionnelles et son investissement, cela n’empêche pas qu’elle pouvait être insuffisante professionnellement sur certaines missions relevant d’un responsable commercial grand compte et notamment le développement des prospects.
Le fait que la société JCDecaux France n’est pas déliée Mme [D] de sa clause de non-concurrence est simplement justifié par les informations confidentielles que détenaient Mme [D].
Il a été vu que tout au long de la relation contractuelle, il a été proposé à Mme [D] un accompagnement et des plans d’actions, notamment en 2015.
De 2016 à 2019, de nombreuses formations en ligne ont été proposées à Mme [D] qui n’en a suivi que trois.
Le jugement qui a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et qui a débouté Mme [D] de sa demande de dommages-intérêts sera confirmé.
Sur le complément d’indemnité de préavis et congés payés afférents :
La date de la notification du licenciement correspond à la date d’envoi de la lettre de licenciement soit le 12 décembre 2019 et non à la date de présentation de la lettre de licenciement à la salariée.
Le jugement qui a débouté Mme [D] sur ce point sera confirmé.
Frais d’équipement du véhicule :
Mme [D] réclame le remboursement de frais d’équipement du véhicule TT91 mini ccooper D Countryman mis à sa disposition par la société JCDecaux France, acheté le 12 janvier 2018.
Le bon de commande versé aux débats indique les options prises en charge par le collaborateur à savoir barres longitudinales de toit (510 euros) et kit de rangement (270 euros).
Mme [D] sera déboutée de sa demande de remboursement de ses frais qui doivent rester à sa charge.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l’avance permanente sur salaire de mars 2020 :
Mme [D] réclame le paiement d’une somme de 609,80 euros au titre du remboursement d’une avance permanente injustifiée.
Ces avances sont une pratique de la société JCDecaux France pour éviter aux commerciaux de faire l’avance de leur frais professionnels.
Le jugement qui a dit que la société JCDecaux France n’avait pas à rembourser cette somme au titre du mois de mars 2020 sera confirmé.
Sur la subvention sportive de 100 euros :
Elle est accordée par le comité social et économique de la société sur justificatif d’une pratique sportive.
Mme [D] indique avoir transmis une facture quand elle était encore dans les effectifs mais n’en justifie pas et la secrétaire du comité social et économique a confirmé à l’employeur n’avoir jamais eu de facture.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Succombant partiellement la société JCDecaux France sera condamnée aux dépens d’appel et au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel, le jugement étant infirmé en ce qu’il a condamné Mme [D] à payer la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société JCDecaux France.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement déféré excepté en ce qu’il a dit que Mme [D] n’avait pas été victime d’exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu’il a condamné la Mme [D] à payer à la société JCDecaux France la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant :
DIT que Mme [D] a été victime d’exécution déloyale du contrat de travail ;
CONDAMNE la société JCDecaux France à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
CONDAMNE la société JCDecaux France à payer à Mme [D] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société JCDecaux France aux dépens d’appel.
Ainsi prononcé publiquement le 21 Mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président