Informations confidentielles : 19 septembre 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 21/07334

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Informations confidentielles : 19 septembre 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 21/07334
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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 21/07334 – N° Portalis DBVK-V-B7F-PH7X

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 15 SEPTEMBRE 2021

TRIBUNAL DE COMMERCE DE CARCASSONNE

N° RG 2017 000002

APPELANTE :

S.A ELSIE GROUPE représenté par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Nicolas NADAL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

INTIMEE :

S.A.S LAFAYETTE CONSEIL devenue la société LAF SANTE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Yann GARRIGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Fanny LAPORTE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Leyla DJAVADI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 06 Juin 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 JUIN 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller faisant fonction de président chargée du rapport et M. Thibault GRAFFIN, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller faisant fonction de président de chambre

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseiller désigné par ordonnance de M. Le premier président de la Cour d’appel de MONTPELLIER du 14 février 2023

Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO

ARRET :

– Contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller faisant fonction de président de chambre, et par Mme Audrey VALERO, Greffière.

FAITS, PROCEDURE – PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Créée en 2005, la société par actions simplifiée Lafayette Conseil, ayant son siège à [Localité 5], a pour objet social le conseil en marketing, la gestion, le management et l’organisation des entreprises dans le secteur de la cosmétique et des produits officinaux ; elle a développé un réseau, le réseau Lafayette, dans les divers secteurs de la pharmacie, la parapharmacie, l’optique et le confort médical.

Monsieur [S] [F] a été embauché, le 4 mars 2014, par la société Lafayette Conseil au poste de directeur de réseau, chargé plus particulièrement du développement de la politique commerciale de l’entreprise auprès des pharmacies ; un protocole transactionnel a été signé, le 1er février 2016, contenant notamment, à la charge de M. [F], un engagement de confidentialité, de loyauté et de neutralité à l’égard de son ancien employeur.

Le 12 mai 2016, la société par actions simplifiée Elsie Groupe a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Carcassonne, avec pour objet la création et l’animation d’un réseau de distribution et la vente de produits de parapharmacie ; M. [F] a pris la présidence de la société Elsie Groupe dès le démarrage de l’activité de celle-ci.

Le 17 novembre 2016, la société Lafayette Conseil a fait procéder, après y avoir été autorisée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Bordeaux, à un recueil de documents sur support papier ou électronique dans les locaux de la société Pharmacie des grands hommes à [Localité 3] visant à matérialiser le partenariat existant entre cette pharmacie et un groupement de pharmacies, notamment Elsie Groupe, autre que le réseau Lafayette ; un procès-verbal de ces opérations a été établi par Me [O], huissier de justice à [Localité 3].

Des opérations identiques ont été effectuées le 18 novembre 2016 dans les locaux du GIE Groupe Neuf par un huissier de justice à Carcassonne, sur la base d’une ordonnance d’autorisation prise le 16 novembre 2016 par le président du tribunal de commerce de Carcassonne.

Saisi par acte d’huissier en date du 13 décembre 2016, délivré par la société Lafayette Conseil à l’encontre de la société Elsie Groupe en responsabilité pour concurrence déloyale et indemnisation, le tribunal de commerce de Carcassonne a, par jugement du 25 juin 2018, a notamment :

« ‘ débouté la société Elsie Groupe de sa demande de communication de pièces portant sur l’état des procédures et la copie des jeux de conclusions des instances dans lesquelles la société Lafayette Conseil serait opposée à des officines anciennement adhérentes à son réseau,

‘ débouté la société Elsie Groupe de sa demande d’astreinte provisoire et définitive à ce titre,

‘ débouté la société Elsie Groupe de sa demande de renvoi de l’affaire à une audience ultérieure pour qu’il soit statué sur le fond,

‘ constaté que la société Elsie Groupe s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’encontre de la société Lafayette Conseil,

‘ constaté que la société Lafayette Conseil a subi un préjudice qu’il y a lieu d’évaluer par voie d’expertise,

‘ désigné M. [L] (…) en qualité d’expert avec pour mission :

‘ d’évaluer le préjudice subi par la société Lafayette Conseil en se basant sur les éléments fournis par cette dernière à ce titre, mais également tous autres documents utiles, et notamment :

‘ la facture d’honoraires du prestataire désigné en 2012 pour travailler sur la refonte du concept avec étude concurrentielle et de marché pour un montant de 156 288 euros,

‘ les contrats de travail et ordres de mission donnés aux salariés de la société Lafayette Conseil pour la réalisation du pricing et des conditions commerciales annuelles (deux salariés à temps plein soit 70 573 euros de masse salariale pour la réalisation du pricing et quatre salariés à temps plein soit 436 000 euros de masse salariale pour la réalisation des conditions commerciales),

‘ le montant et la bonne destination des outils d’abonnement nécessaires pour un montant de 7450 euros,

‘ le travail fourni à temps partiel des fonctions support (juridique, contrôle de gestion, etc…) pour la masse salariale de 56 344 euros,

‘ l’investissement évalué à 9875 euros en temps de travail du juriste interne et des consultations d’avocats pour la réalisation des modèles de convention créés par la société Lafayette Conseil

‘ de fournir au tribunal tous les éléments nécessaires à l’évaluation du préjudice subi,

(‘)

‘ ordonné sous astreinte d’un montant de 100 000 euros par infraction constatée à la société Elsie Groupe à ne pas utiliser de documents en provenance de la société Lafayette conseil et/ou d’une officine du réseau Lafayette,

‘ ordonné la publication du jugement sur le site Internet de Lafayette Conseil et du moniteur des pharmaciens aux frais de la société Elsie Groupe pour un montant de publication d’un montant maximum de 1000 euros,

‘ débouté la société Elsie Groupe de sa demande pour un montant de 500 000 euros en condamnation de la société Lafayette conseil pour abus de droit d’agir,

‘ condamné la société Elsie Groupe à payer à la société Lafayette Conseil une somme d’un montant de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. »

Par arrêt en date du 9 mars 2021, auquel il est renvoyé, la présente cour a :

– Réformé le jugement du tribunal de commerce de Carcassonne en date du 25 juin 2018, mais seulement quant aux modalités des mesures de publication ordonnées et statuant à nouveau à cet égard,

– Ordonné la publication d’un extrait du présent arrêt, aux frais de la société Elsie Groupe, dans deux revues professionnelles spécialisées du secteur officinal au choix de la société Lafayette Conseil, sans que le coût de chaque insertion ne soit inférieur à 500 euros et dans la limite de 3000 euros, et ce dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt,

– Ordonné également la publication d’un extrait du présent arrêt sur le site Internet de la société Lafayette Conseil, pendant une durée continue de trente jours,

– Confirmé le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

– Dit qu’en s’appropriant divers documents contenant des informations confidentielles sur l’activité de la société Lafayette Conseil, qu’il s’agisse du tableau « tarif général conseillé Lafayette 2016 », du tableau de « pricing » destiné à orienter la politique tarifaire des pharmacies adhérentes au réseau Lafayette, du document de présentation du cabinet Design Day réalisé en septembre 2012 ou de modèles de convention d’assistance destinée à encadrer les relations commerciales avec les adhérents au réseau, la société Elsie Groupe a commis un acte de concurrence déloyale et parasitaire,

– Condamné la société Elsie Groupe aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Lafayette Conseil la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. »

Le rapport d’expertise judiciaire a été terminé le 2 mai 2019.

Suite au dépôt de ce rapport d’expertise, le tribunal de commerce de Carcassonne a, après avoir sursis à statuer par jugement en date du 2 novembre 2020, a, par jugement du 15 septembre 2021 :

« – Dit et jugé que le préjudice découlant de l’usurpation de la présentation Design Day par la société Elsie Groupe a causé à la société Lafayette Groupe un préjudice à hauteur de 10 000 euros ;

– Dit et jugé que le préjudice découlant de l’usurpation du pricing Lafayette par la société Elsie Groupe a causé à la société Lafayette Groupe un préjudice à hauteur de 44 000 euros ;

– Dit et jugé que le préjudice découlant de l’usurpation du résultat des négociations commerciales Lafayette par la société Elsie Groupe a causé à la société Lafayette Groupe un préjudice à hauteur de 51 000 euros ;

– Dit et jugé que le préjudice découlant de l’usurpation de trois modèles de convention Lafayette par la société Elsie Groupe a causé à la société Lafayette Groupe un préjudice à hauteur de 14 190 euros ;

– Dit et jugé que le préjudice moral causé à la société Lafayette Groupe par les agissements en désorganisation imputables à la Société Elsie Groupe s’élève à la somme de 110 000 euros ;

– Condamné la société Elsie Groupe à payer à la société Lafayette Groupe la somme de 229.190 euros à titre de dommages et intérêts ;

– Ordonné la publication de la décision à venir sur le site internet de Lafayette Conseil et du moniteur des pharmaciens au frais de Elsie Groupe, dans la limite de 5 000 euros ;

– Débouté la société Elsie Groupe de toutes ces demandes, fins et moyens ;

– Condamné la société Elsie Groupe à payer à la société Lafayette Groupe la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamné la société Elsie Groupe aux entiers dépens, dont le frais d’expertise,

– Ordonné l’exécution provisoire. »

Par déclaration reçue le 21 décembre 2021, la société Elsie Groupe a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Elle demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 23 août 2022, de :

«- (‘) Déclarer recevable et bien fondé l’appel de la société Elsie Groupe ;

– Infirmer, pour les causes sus-énoncées, le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que :

– le préjudice découlant de l’usurpation du pricing Lafayette a causé à la société Lafayette Conseil un préjudice à hauteur de 44 000 euros ;

– le préjudice découlant de l’usurpation du résultat des négociations commerciales Lafayette a causé à la société Lafayette Conseil un préjudice à hauteur de 51 000 euros ;

– le préjudice découlant de l’usurpation de trois modèles de convention Lafayette a causé à la société Lafayette Conseil un préjudice à hauteur de 14190 euros ;

– le préjudice moral causé à la société Lafayette Conseil par les agissements en désorganisation imputables à la société Elsie Groupe s’élève à la somme de 110 000 euros ;

– l’a condamnée à payer à la société Lafayette Conseil la somme de 229.190 euros à titre de dommages et intérêts;

– ordonné la publication de la décision à venir sur le site internet de Lafayette Conseil et du moniteur des pharmaciens au frais de Elsie Groupe, dans la limite de 5 000 euros ;

– l’a déboutée de toutes ces demandes (‘) ;

– l’a condamnée à payer à la société Lafayette Conseil la somme de 20000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Quoi faisant, vu l’article 1240 du Code Civil, vu le rapport d’expertise en date du 2 mai 2019, vu l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 9 mars 2021 ;

– Débouter, pour les causes sus-énoncées, la société Laf Santé de ses demandes relatives aux documents «Design Day», sauf à ramener les dommages et intérêts sollicités à la somme de 10.000euros ;

– Débouter, pour les causes sus-énoncées, la société Laf Santé de ses demandes relatives aux « Pricing », et à titre subsidiaire ramener les dommages et intérêts correspondants à la somme de 20.094euros ;

– Débouter, pour les causes sus-énoncées, la société Laf Santé de ses demandes relatives aux Accords commerciaux et à titre subsidiaire ramener les dommages et intérêts à la somme de 20.000euros ;

– Débouter, pour les causes sus-énoncées, la société Laf Santé de ses demandes relatives aux modèles de conventions ;

– Débouter, pour les causes sus-énoncées, la société Laf Santé de ses demandes relatives au « préjudice moral »,

– Condamner, pour les causes sus-énoncées, la société Laf Santé à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l’image de marque commerce de [Localité 4] du 15 septembre 2021;

– Condamner la société Laf Santé à payer, à la Société Elsie Groupe la somme de 10.000 euros au titre de l’Article 700 du Code de Procédure Civile.»  

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

– plusieurs décisions de justice établissent que la société Lafayette Conseil fait preuve de dissimulations et de pratiques douteuses à l’égard de ses anciens franchisés,

– l’expert judiciaire n’a retenu qu’un préjudice global évalué à la somme de 105 214 euros, exposant que le préjudice de 110 000 euros au titre de la déstabilisation du réseau ne pouvait être rattaché à un éventuel comportement fautif,

– les dispositions des articles L. 152-6 du code de commerce (résultant d’une loi du 30 juillet 2018) et celles des articles L. 521-7 du code de propriété intellectuelle ne sont pas applicables, n’ont pas été invoquées avant l’expertise et ne peuvent permettre un réexamen du dossier au fond,

– le préjudice relatif au document Design Day ne peut justifier une indemnisation supérieure à 10 000 euros à titre subsidiaire, en ce que le document trouvé dans ses locaux ne comporte que 5 pages (et non 64 pages) et qu’il ne comporte aucun des éléments essentiels à la mission de la société Design Day, mais seulement une partie mineure d’un document désormais ancien (datant de 2012),

– concernant le préjudice relatif au pricing, il s’agit d’un outil utilisé par tous les réseaux, qui regroupe des informations dont disposent ceux-ci, le chiffrage de l’expertise se fonde sur une économie de personnel, mais sans justificatif concomitant aux faits,

– seuls 13 accords commerciaux (au demeurant obsolètes) sur les 200 accords conclus sont concernés et le ratio de 20 % retenu est excessif, outre qu’il inclut des contrats conclus par d’autres sociétés (pas de convention de groupe),

– il n’y a aucun préjudice lié aux modèles de conventions Lafayette, une reprise et/ou utilisation de ceux-ci n’étant pas rapportée alors qu’elle est nécessaire pour justifier un préjudice,

– aucun préjudice moral découlant d’une désorganisation du réseau, qui n’a pas été retenue par le précédent arrêt, n’est caractérisé, au demeurant, seul un ancien franchisé Lafayette, qui est en contentieux avec elle, a rejoint Elsie,

– la publication du jugement entrepris, ordonnée par erreur par le premier juge, procédait pour la société Lafayette d’une mauvaise foi procédurale et lui a causé une atteinte à son image.

Formant appel incident, la société Lafayette Conseil (devenue Laf Santé) sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 1er juin 2022 :

« -Vu l’article 1240 du Code civil, l’article L. 521-7 du Code de propriété intellectuelle, l’article L. 152-6 du Code de commerce, (‘),

– Confirmer le jugement (‘) en ce qu’il a, sur le principe, condamné la société Elsie Groupe à réparer le préjudice subi découlant de ses actes de concurrence déloyale et parasitaire, en ce qu’il a dit et jugé que le préjudice découlant de l’usurpation de trois modèles de convention Lafayette lui a causé un préjudice à hauteur de 14.190 euros et confirmer la publication du jugement du Tribunal de commerce de Carcassonne sur le site Internet de Lafayette conseil et du Moniteur des pharmaciens aux frais de Elsie Groupe, dans la limite de 5.000 euros,

– Infirmer le jugement (‘) en ce qu’il a dit et jugé que le préjudice découlant de l’usurpation de la présentation Design Day lui a causé un préjudice de 10.000 euros, que le préjudice découlant de l’usurpation du pricing Lafayette lui a causé un préjudice de 44.000 euros, que le préjudice découlant de l’usurpation du résultat des négociations commerciales Lafayette lui a causé un préjudice de 51.000 euros, que le préjudice moral s’élève à la somme de 110.000 euros et a condamné la société Elsie Groupe à lui payer la somme de 229.190 euros à titre de dommages et intérêts ;

– Juger que le préjudice découlant de l’usurpation de la présentation Design Day par la société Elsie Groupe lui a causé un préjudice à hauteur de 51.000 euros,

– Juger que le préjudice découlant de l’usurpation du pricing Lafayette par la société Elsie Groupe lui a causé un préjudice à hauteur de 110.000 euros,

– Juger que le préjudice découlant de l’usurpation du résultat des négociations commerciales Lafayette par la société Elsie Groupe lui a causé un préjudice à hauteur de 492.344 euros,

– Juger que le préjudice moral causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire imputables à la société Elsie Groupe s’élève à la somme de 259.000 euros,

– Débouter la société Elsie Groupe de ses demandes de dommages et intérêts relatives à une atteinte à son image de marque du fait de la publication du jugement du Tribunal de commerce du 15 septembre 2021,

– En conséquence, condamner la société Elsie Groupe à payer à la demanderesse la somme de 926.534,00 euros à titre de dommages et intérêts,

– En tout état de cause, condamner la société Elsie Groupe aux entiers dépens, dont les frais d’expertise, et à payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. »

Elle expose en substance que :

-les dispositions des articles L. 152-6 du code de commerce (atteinte au secret des affaires) et L 521-7 du code de la propriété intellectuelle (contrefaçon) peuvent être inspiratrices pour apprécier le montant de son préjudice,

– le rapport d’expertise n’a pas cherché à évaluer la valeur de l’avantage commercial, dont a tiré profit la société Elsie groupe,

– le préjudice lié aux modèles de convention Lafayette doit être confirmé, leur utilisation n’est pas nécessaire pour justifier d’un préjudice,

– la publication effectuée l’a été en exécution du jugement entrepris, il appartenait à l’appelant de saisir le premier président en suspension de l’exécution provisoire,

– l’usurpation de la présentation Design Day doit être évaluée à hauteur des sommes versées pour son établissement et pour la phase 1 (= 30 000 euros + 21 000 euros), la société Elsie Groupe le détenant toujours et son ancienneté étant indifférente,

– l’évaluation de la valeur du pricing va au-delà du coût d’un demi-poste d’assistant administratif et d’un quart de poste d’analyste, qui correspondent au coût d’élaboration des supports en terme de masse salariale, il convient de retenir un poste à temps complet d’assistant administratif et à 70 % d’analyste afin d’indemniser également l’avantage concurrentiel indu,

– l’évaluation du préjudice découlant de l’usurpation du résultat des négociations commerciales est limitée à l’estimation des investissements qu’elle a réalisés en terme de masse salariale, sans tenir compte d’un avantage concurrentiel, permettant à l’appelante de se positionner au jour de sa création à l’égard des fournisseurs et futurs adhérents,

– l’existence d’un préjudice moral s’infère nécessairement d’un comportement parasitaire, le départ d’anciens adhérents est établi et son image a été ternie auprès de son propre réseau, des fournisseurs et des adhérents potentiels.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 6 juin 2023.

MOTIFS de la DÉCISION :

1- Sur le préjudice de la société Lafayette Conseil

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’arrêt du 9 mars 2021 retient que la société Elsie Groupe a commis au préjudice de la société Lafayette Conseil un acte de concurrence déloyale et parasitaire « en s’appropriant divers documents contenant des informations confidentielles sur [son] activité, qu’il s’agisse du tableau « tarif général conseillé Lafayette 2016 », du tableau de « pricing» destiné à orienter la politique tarifaire des pharmacies adhérentes au réseau Lafayette, du document de présentation du cabinet Design Day réalisé en septembre 2012 ou de modèles de convention d’assistance destinée à encadrer les relations commerciales avec les adhérents au réseau ».

Il a écarté tout comportement déloyal et parasitaire visant à détourner les adhérents du réseau Lafayette, tout dénigrement des relations commerciales que la société Lafayette Conseil entretient avec les adhérents de son réseau et toute désorganisation du réseau Lafayette au moyen de man’uvres visant à détourner lesdits adhérents vers le réseau Elsie Groupe.

Les opérations d’expertise judiciaire, visant à évaluer le préjudice subi par la société Lafayette Conseil, sont complètes et circonstanciées ; les parties s’y réfèrent à l’appui de leurs demandes tant pour approuver ou contester les montants proposés par l’expert judiciaire.

Concernant le préjudice découlant de l’utilisation par la société Elsie Groupe, même partielle, du dossier de présentation, effectué en septembre 2012, par le cabinet Design Day, la cour a retenu que cette dernière avait fait l’économie d’un prestataire pour la définition d’une méthodologie nécessaire à son propre concept.

L’expert judiciaire expose que la présentation Design Day n’est pas une synthèse des travaux réalisés par ce cabinet, mais un document préparatoire, comportant notamment une méthodologie de travail. Il indique que cette méthodologie est rappelée dans le contrat de prestation de service du 17 septembre 2012 qui a pour objet « l’évolution de l’identité visuelle et du concept d’aménagement des officines » en quatre phases (plate-forme de positionnement et cadrage concept : 30 000 euros HT, formalisation de la création : 40 000 euros HT, mise au point appliquée sur le site pilote : 30 000 euros HT et réalisation pilote : 15 000 euros HT) alors que la présentation litigieuse (un power point) est datée du 11 septembre 2012. Il considère ainsi qu’ayant été établi avant la phase 1, que présente le contrat de prestation de service (qui est postérieur), son coût est inclus dans cette phase, et peut-être estimé à la somme de 10 000 euros HT.

La société Lafayette Conseil considère que c’est le coût total de la phase 1, qui doit être retenu, soit la somme de 51 000 euros HT, qu’elle justifie avoir payée.

Toutefois, seules 7 pages sur 64 pages étant similaires entre le power point Design Day et le document, établi par M. [F], intitulé « ma vision de votre projet ‘ », sans, pour autant, correspondre aux éléments de la phase 1 (notamment aucun des fichiers numériques visés par cette première phase n’ayant été produits), l’évaluation de l’expert judiciaire, qui expose clairement que la date à laquelle le document source a été établi importe peu (circuits de distribution et méthodes de travail inchangés), sera retenue.

Concernant le préjudice découlant de l’utilisation par la société Elsie Groupe du pricing, qui constitue un tableau comportant les recommandations de positionnement du prix au public pour les adhérents au réseau, la société Lafayette Conseil expose avoir embauché une personne à temps complet afin de créer une base de données de références de produits par le biais de la saisine des données relatives aux fournisseurs, aux remises négociées et aux relevés de prix en interne aux fins d’analyse de celles-ci pour établir la recommandation de prix, précisant que ce tableau est actualisé chaque année.

Eu égard aux similitudes entre les données du pricing Lafayette 2015 et celui trouvé dans les locaux de la société Elsie Groupe à l’occasion du procès-verbal de constat d’huissier en date du 18 novembre 2016 (même ordre de succession de produits, même code, même laboratoire, même désignation de produits, même taux de TVA, même ranking [c’est-à-dire classement par typologie de produits], même PAHT catalogue de base [prix d’achat]), seuls divergeant les prix de vente TTC mini et maxi conseillés, la société Elsie Groupe a réalisé des économies en se dispensant d’employer, directement ou indirectement, les personnes susceptibles d’établir une telle base de données.

Contrairement à ce que soutient la société Elsie Groupe, l’expert judiciaire a cherché à évaluer la réparation de l’avantage concurrentiel perdu ; à ce titre, il a défini ce préjudice sur la base d’un demi-poste d’assistante administrative et un quart de poste d’analyste au vu des salaires perçus pour ces postes indépendamment des personnes embauchées (avant ou après le départ de M. [F]), sans, pour autant que la société Lafayette Conseil ne rapporte que ce temps de travail est sous-évalué (les salariés attestant eux-mêmes de l’absence de « décompte horaire du temps passé sur cette tâche ») de sorte que la somme globale de 36 241 euros (arrondie à 36 000 euros), outre celle relative à un abonnement aux cabinets spécialisés vendant ces données (8 000 euros), sera retenue.

Concernant le préjudice découlant de l’utilisation par la société Elsie Groupe des accords commerciaux, il est établi que celle-ci a utilisé deux séries de documents ; les conditions commerciales Lafayette conseil et les conditions GPT X 2015 VS G9 2016, soit 24 documents non datés, qui constituent une base de négociation avec treize laboratoires, dénuée, à ce titre, de tout caractère obsolète, et ont fourni à la société Elsie Groupe un avantage certain en terme d’économies de salaires ou de prestations à verser.

L’expert judiciaire a chiffré la valeur de l’avantage à une somme de 51 000 euros correspond à 6 % de l’activité de 7 personnes affectées, au moins en partie, à ces tâches, (directeur commercial, manager, chef de produit, responsable des ventes, directeur administratif et financier, contrôleur de gestion et juriste) salariées ou prestataires, qui a été effectivement supportée par la société Lafayette Conseil, et des frais divers (frais de déplacement) en considérant que la valeur d’activité des laboratoires concernés représentait 20 %, proportion avérée au regard du poids économique desdits laboratoires (Avène, Pierre Fabre médicament, Boiron, Nuxe ‘).

Si la société Lafayette Conseil conteste les pourcentages proposés, elle ne justifie pas, à l’appui de pièces utiles (celles produites ayant été précédemment soumises à l’expert judiciaire), de leur sous-évaluation ; le montant de 51 000 euros, qui indemnise la réparation de l’avantage concurrentiel perdu, sera donc retenu.

Concernant le préjudice découlant de l’utilisation par la société Elsie Groupe des modèles de convention, il est également établi que trois modèles de convention ont été retrouvés dans les locaux de la société Elsie Groupe. S’il n’est pas démontré que celle-ci les a utilisés, aucune similitude avec ceux qu’elle utilise ne pouvant être retenue, cette appropriation traduit une connaissance des relations au sein d’un réseau concurrent, obtenue en dépit de l’obligation de confidentialité ayant lié M. [F] et de la transmission par ce dernier de son savoir-faire dans son nouvel environnement de travail.

Eu égard à la valorisation desdites conventions à la somme de 14 190 euros, sollicitée par la société Lafayette Conseil et considérée comme admissible par l’expert judiciaire, ce montant sera retenu.

Concernant le préjudice moral de la société Lafayette Conseil, il s’infère nécessairement d’actes de concurrence déloyale et parasitaire un trouble commercial générant un préjudice, fût-il seulement moral.

La baisse du chiffre d’affaires de la société Lafayette Conseil en 2017 à hauteur de 2,44 % et du résultat courant à hauteur de 7 % ne peut être rattachée au comportement parasitaire de la société Groupe Elsie eu égard à la multiplicité de causes d’une telle diminution alors qu’aucun départ (à l’exception d’un) du réseau Lafayette ne peut être imputée à la société Elsie Groupe.

Toutefois, il est patent que ce comportement déloyal et parasitaire a mobilisé davantage les équipes, notamment, commerciales, de la société Lafayette Conseil pour y remédier ; la cour dispose d’éléments suffisants pour fixer le montant de ce préjudice à la somme de 50 000 euros.

Le jugement sera donc confirmé, sauf en ce qu’il a fixé le préjudice moral de la société Lafayette Conseil à la somme de 110 000 euros et condamné la société Elsie Groupe à payer la somme globale de 229 190 euros, qui est ramenée à 169 190 euros.

2- sur le préjudice de la société Elsie Groupe

La responsabilité suppose la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux. La publication d’une décision judiciaire, retenant, en premier lieu, au titre d’une responsabilité délictuelle, des actes fautifs, puis de celle, fixant, en second lieu, après expertise, le montant des préjudices en résultant, ne constitue ni une réparation précoce et hâtive, ni une double réparation ; les mesures de publication ordonnées en l’espèce, complètent la réparation pécuniaire ci-dessus fixée et elles seront donc confirmées.

La société Elsie Groupe ne démontre l’existence d’aucun préjudice, notamment en terme d’ « image de marque » (sic), découlant de la publication ordonnée par le jugement critiqué, alors qu’il lui appartenait, le cas échéant, comme elle l’avait déjà fait en 2018, de saisir le premier président de cette cour aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire concernant cette disposition, ce qu’elle n’a pas effectué, peu important la modification textuelle intervenue.

Sa demande de dommages-intérêts sera donc rejetée et le jugement confirmé concernant la disposition relative à la publication et complété pour le surplus.

3- sur les autres demandes

Succombant principalement sur son appel, la société Elsie Groupe sera condamnée aux dépens et au vu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 2 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Carcassonne en date du 15 septembre 2021, sauf en ce qu’il a dit et jugé que le préjudice moral causé à la société Lafayette Groupe par les agissements de la société Elsie Groupe s’élève à la somme de 110 000 euros et l’a condamnée à payer à la société Lafayette Groupe la somme globale de 229 190 euros à titre de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Fixe le préjudice moral de la SAS Lafayette Conseil (devenue Laf Santé) à la somme de 50 000 euros,

Condamne la SAS Elsie Groupe à payer à la SAS Lafayette Conseil (devenue Laf Santé) la somme de 169 190 euros à titre de dommages-intérêts,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages-intérêts formée par la SAS Elsie Groupe,

Condamne la SAS Elsie Groupe à payer à la SAS Lafayette Conseil (devenue Laf Santé) la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande de la SAS Elsie Groupe fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Elsie Groupe aux dépens d’appel.

le greffier, le conseiller faisant fonction de président,

 


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