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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 12 SEPTEMBRE 2023
(n° 69 /2023 , 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/05075 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNZG
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale sur la compétence rendue le 08 décembre 2021 (PCA case n° 2020-05)
DEMANDERESSE AU RECOURS :
LA REPUBLIQUE SOCIALISTE DU VIETNAM
agissant par le Directeur du Département International du Ministère de la Justice du Viet Nam (Director General, Department of International Law, Ministry of Justice)
ayant son siège : Ministère de la Justice, [Adresse 3] (VIÊT NAM)
Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant : Me Olivier LOIZON de l’AARPI VIGUIE SCHMIDT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R145
DÉFENDERESSES AU RECOURS :
Madame [L] [C] ([J] [V])
née le 01 Juin 1959 à VIETNAM
domiciliée :[Localité 2], (ETATS UNIS)
Société U.S. GLOBAL INSTITUTE, INC
société de droit américain,
ayant son siège social : [Adresse 4] (ETATS UNIS)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Société ANGELS COMPANY INC
société de droit américain,
ayant son siège social : [Adresse 1] (ETATS UNIS)
Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant : Me Philippe PINSOLLE et Me Isabelle MICHOU, avocats au barreau de PARIS, toque : J006
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 30 Mai 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Laure ALDEBERT dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCEDURE
1- La cour est saisie d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale partielle rendue à Paris le 8 décembre 2021 sous l’égide de la cour permanente d’arbitrage, selon le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international du 15 décembre 1976 (ci-après « CNUDCI »), dans une affaire n° 2020-05 opposant Mme [L] [C] dont le nom vietnamien est [J] [V] (ci-après dénommée sous son nom d’usage Mme [C]) et deux sociétés américaines U.S. Global Institute, Inc. et Angels Company, Inc. (ci-après « Angels »), à la République Socialiste du Viet Nam (ci-après le Viet Nam ou le Défendeur).
2- Mme [C] se présente comme une femme d’affaires. Née au Viet Nam’ elle a la nationalité vietnamienne et a acquis la nationalité américaine par naturalisation le 23 juillet 2014.
3- Elle soutient avoir, avec les sociétés U.S. Global Institute et Angels qu’elle a fondées au Texas, investi au Viet Nam dans un projet de centrale électrique en prenant des participations dans une société vietnamienne Tan Tao Energy Corporation (ci-après « TEC ») créée pour mener ce projet sous son contrôle.
4- Ce projet ayant été supprimé par le Viet Nam du plan directeur pour le développement de l’électricité en mars 2016, les sociétés américaines et Mme [C] ont estimé que les mesures gouvernementales prises étaient constitutives d’une expropriation et d’une violation des stipulations de l’Accord entre les Etats-Unis et la République Socialiste du Viet Nam relatif à leurs relations commerciales du 13 juillet 2000 (ci-après « le Traité »).
5- C’est dans ce contexte qu’en sa qualité de ressortissante américaine, Mme [C] a déposé avec les deux sociétés américaines U.S. Global Institute et Angels (ci-après « les Demanderesses ») une requête en arbitrage le 4 septembre 2019 à l’encontre du Viet Nam sur le fondement de l’article 4 du Traité afin d’obtenir réparation du préjudice subi.
6- Au début de la procédure, le Viet Nam a contesté la compétence du tribunal arbitral en faisant valoir notamment que Mme [C] ayant la double nationalité, sa demande n’entrait pas dans le champ d’application du Traité, et qu’elle et les sociétés américaines ne rapportaient pas la preuve d’être propriétaires du projet.
7- Par une sentence rendue sur la compétence le 8 décembre 2021, le tribunal arbitral a reconnu sa compétence en statuant en ces termes :
« Sur la base des conclusions et considérations qui précèdent, le Tribunal :
(a) Rejette l’exception d’incompétence ratione personae soulevée par le Défendeur ;
(b) Rejette les exceptions d’incompétence ratione materiae soulevées par le Défendeur ;
(c) Rejette les exceptions d’incompétence ratione temporis soulevées par le Défendeur ;
(d) Rejette toutes les exceptions d’incompétence soulevées par le Défendeur ;
(e)
Déclare qu’il est compétent pour connaître du présent différend relatif aux investissements ;
(f) Déclare que, suite aux observations des Parties selon un calendrier à déterminer, le Tribunal rendra une Sentence sur les frais ‘ compétence, couvrant les questions bifurquées que la présente Décision a tranchées ;
(g) Invite les Parties à se concerter sur le calendrier procédural des observations concernant les frais de la présente phase bifurquée de l’arbitrage, et à en informer le Tribunal dans les quinze jours suivant la réception de la présente Décision ; et
(h) Invite les Parties à se concerter sur le calendrier procédural de la phase d’examen du fond de l’arbitrage, et à en informer le Tribunal dans les trente jours suivant la réception de la présente Décision, ce calendrier devant coïncider avec celui de la Décision sur les frais ‘ compétence. »
8- Par déclaration en date du 7 mars 2022 le Viet Nam a formé un recours en annulation contre la sentence.
9- Les parties n’ont pas adhéré au protocole de procédure CCIP-CA.
10- La clôture a été prononcée le 16 mai 2023, l’affaire étant appelée à l’audience de plaidoiries le 30 mai 2023.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
11- Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2023, la République du Viet Nam demande à la cour de bien vouloir :
– Annuler la Sentence sur la Compétence rendue le 8 décembre 2021 dans l’affaire PCA n°2020-05 par le Tribunal arbitral composé de Me [R] [G], Professeur [X] [W] et Professeur [D] [M] ; et
– Condamner les Demanderesses à payer à la République Socialiste du Viet Nam la somme de 250.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.
12- Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mai 2023, le Mme [L] [C], les sociétés américaines U.S. Global Institute et Angels demandent à la cour, au visa des articles 1520 et 700 du code de procédure civile, de :
– REJETER le recours en annulation formé par le Vietnam à l’encontre de la sentence sur la compétence du 10 décembre 2021 dans l’affaire CPA n° 2020-05 ;
– CONDAMNER le Vietnam à payer au Dr [L] [C] et aux sociétés US Global Institute, Inc. et Angels Company, Inc. la somme de 300.000,00 euros au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens.
III/ MOYENS DES PARTIES
13- Le Viet Nam invoque en premier lieu l’incompétence ratione personae du tribunal arbitral au motif que les binationaux ne sont pas protégés par le Traité.
14- Il soutient, dans l’hypothèse inverse, qu’il convient d’appliquer le critère de la « nationalité dominante et effective » par référence à la règle applicable en droit international coutumier qui empêche Mme [C], dont le centre de vie est au Viet Nam, d’introduire une demande contre son propre pays, de sorte que le tribunal arbitral devait en tout état de cause se déclarer incompétent.
15- Au soutien de la première branche de son moyen, il fait valoir que le Traité étant muet sur la question des binationaux, il est nécessaire de l’interpréter conformément aux règles applicables d’interprétation des traités énoncées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969.
16- Il expose que la cour doit se livrer à l’examen du sens et de la portée du Traité selon l’intention des Etats contractants au moment où il a été conclu en application du principe connu sous le nom de « principe de contemporanéité », ce qui ne veut pas dire ajouter une condition au Traité.
17- A cette fin il soutient que :
– l’intention du Viet Nam n’était pas de fonder la compétence d’un tribunal arbitral sur une bi-nationalité dès lors que l’objet et le but du Traité selon les documents officiels liés au Traité étaient clairement de protéger, comme tout TBI, les investissements étrangers, en l’occurrence les investissements américains venant au Viet Nam et non les investissements locaux des vietnamiens, comme c’est le cas en l’espèce, aucune preuve n’établissant que les fonds investis venaient des Etats Unis ;
– en outre la reconnaissance des binationaux par le Viet Nam n’était pas en vigueur en 2000, date de la signature du Traité, cette possibilité n’ayant été ouverte que bien des années après, de sorte qu’il serait absurde de prétendre que le Viet Nam a ouvert le champ d’application du Traité aux binationaux.
18- Il ajoute que l’intention des Etats Unis à cet égard était clairement établie :
– leur position par comparaison avec les différents Traités bilatéraux d’investissement, les procédures engagées en vertu de l’ALENA (Accord Libre Echange Américain) et des explications fournies par le Professeur [I], spécialiste de la question, est clairement que, depuis des années avant la signature du Traité, la double nationalité n’est pas suffisante pour introduire une procédure et que les personnes ayant une double nationalité doivent être traitées aux fins de demandes internationales comme ayant leur nationalité dominante et effective ;
– le modèle américain de traité bilatéral d’investissement de 2004 réaffirme cette position en incorporant une référence expresse au droit international coutumier en incluant explicitement une exigence de nationalité dominante et effective ;
– les Etats Unis ont clairement exprimé leur opinion dans le sens précité par une notre diplomatique du 4 avril 2023 au terme de laquelle ils ont confirmé leur position quant à la correcte interprétation du Traité en cause en rappelant que les binationaux sont traités comme ayant la nationalité de leur nationalité dominante et effective aux fins de soumettre une demande en vertu du droit international.
19- Faute de retenir cette analyse, le Viet Nam soutient que le tribunal arbitral aurait dû se déclarer incompétent au vu des circonstances de l’espèce qui établissent que Mme [C] a caché l’acquisition de sa double nationalité en violation du droit vietnamien en se présentant comme une ressortissante vietnamienne et non comme un investisseur étranger au Viet Nam en 2014 jusqu’à ce qu’elle estime nécessaire de le révéler pour les besoins de l’arbitrage.
20- Il soutient pour ce motif, tiré de la dissimulation de sa nationalité, auquel s’ajoute le caractère illégal de l’investissement, qu’il s’agit en réalité d’une action, d’une ressortissante vietnamienne contre son propre pays qui n’est pas éligible à la protection du Traité.
21- Le Viet Nam invoque en second lieu l’incompétence ratione materiae au motif que les demanderesses, qui ont la charge de la preuve, n’établissent pas la propriété de leur investissement et encore moins concernant Mme [C], la propriété nécessaire pour assurer le contrôle légal de TEC.
22- Il prétend que des documents pour justifier du droit de propriété, qui sont désormais soumis à l’examen de la cour dans le cadre de son contrôle sur la compétence, sont entachés de fraude et contiennent des fausses déclarations dont les vices ont été ignorés par le tribunal arbitral.
23- A ce titre, il fait valoir que les demanderesses ont produit des faux documents préparés pour les besoins de la procédure qui ne sont pas conformes aux exigences légales vietnamiennes et qui comportent des incohérences et des erreurs manifestes et qu’aucune des allégations de propriété n’est prouvée.
24- Il soutient que le tribunal arbitral a en particulier retenu sa compétence sur la base d’un document essentiel qui a clairement été fabriqué en août 2020 pour servir les intérêts des Demanderesses qui est un faux certificat d’actions de TEC du 31 août 2020 (pièce C 73 de l’arbitrage)
25- Il argue de l’inauthenticité des certificats d’actions de TEC du 31 décembre 2017 et du 31 août 2020, des sept conventions d’achats des actions du 19 septembre 2013 par lesquelles elles auraient acheté les actions de TEC entre 2013 et 2019, des procès-verbaux des réunions d’actionnaires qui se seraient tenus à la fin de chaque année, des états financiers de TEC et d’un prêt convertible en actions.
26- Le Viet Nam ajoute :
– qu’elles ont produit de nouvelles pièces qui sont des faux confirmant le fait qu’elles avaient perpétré une fraude à l’égard du tribunal ;
– que depuis la reddition de la sentence, les demanderesses ont reconnu lors des auditions que ces documents avaient été préparés pour l’arbitrage et qu’elles ont été dans l’incapacité de se conformer aux ordonnances de production des pièces en original prononcées par le tribunal arbitral dans sa décision du 29 novembre 2022 confirmant ainsi qu’il s’agit bien de faux établis maladroitement après le début de l’arbitrage pour appuyer frauduleusement leur position quant à la compétence.
27- Il pointe également le fait que Mme [C] a faussement revendiqué au début de l’arbitrage la propriété directe des actions de TEC pour reconnaître ensuite qu’elle était devenue propriétaire des actions de TEC en 2013.
28- Le Viet Nam fait également valoir que les sociétés américaines, qui prétendent être directement actionnaires de TEC, n’ont ni bureau ni activité propre et qu’elles sont dépourvues d’expérience et de capacité financière pour réaliser un quelconque investissement dans le projet d’électricité qui est sans rapport avec leur objet social.
29- Il expose que la société US Global est une société à but non lucratif prétendument dédiée à l’éducation qui n’exerce aucune activité commerciale et que la société Angels est sans aucune activité réelle.
30- Il soutient qu’elles n’ont en réalité qu’un seul but qui est celui de créer artificiellement un critère de compétence en introduisant un demandeur qui n’est pas ressortissant du Viet Nam.
31- Enfin, le Viet Nam soutient que le tribunal arbitral s’est déterminé à partir de documents manifestement faux, ce qui justifie également, au titre de la fraude procédurale, l’annulation de la sentence sur le fondement de la violation de l’ordre public international en application de l’article 1520, 5° du code de procédure civile.
32- Elle souligne, de manière additionnelle, que les demanderesses n’ayant pas déclaré avoir été des investisseurs étrangers dans TEC, il s’agit en outre d’un investissement illégal qui ne peut bénéficier de la protection du Traité.
33- En réponse sur l’incompétence ratione personae, Mme [C] soutient au vu des dispositions claires du Traité, qu’aucun document officiel contemporain à sa signature ne remet en cause, que le Traité n’exclut pas les binationaux.
34- Elle prétend que la nationalité américaine est la seule exigence du Traité en matière de nationalité, indépendamment des règles du droit international coutumier et d’opinions contraires.
35- Elle prétend que décider l’inverse aurait pour effet de dénaturer la volonté des Etats contractants, telle qu’elle s’est exprimée au moment de la conclusion du Traité, et d’ajouter au Traité une condition qu’il ne prévoit pas.
36- Elle conteste l’existence d’une règle de droit international coutumier qui imposerait à un traité d’investissement la condition de nationalité dominante et effective et réplique que si ce critère devait s’appliquer, sa nationalité dominante et effective est américaine.
37- Sur l’incompétence ratione materiae, Mme [C] et les sociétés américaines soutiennent que la preuve de leur investissement est établie par les motifs retenus par le tribunal arbitral qui s’est fondé sur les documents produits par le Viet Nam lui-même dont l’authenticité n’était pas contestée et que le litige portant sur l’authenticité des documents relatifs à la propriété ou au contrôle de l’investissement qui sont actuellement débattus dans la procédure d’arbitrage relève du fond et non de l’appréciation de la cour dans le cadre de son contrôle sur la compétence.
38- Elles ajoutent qu’en toute hypothèse, les preuves contestées, que le Viet Nam n’a pas demandé d’écarter ni contester judiciairement, sont authentiques et que les manquements allégués portant sur des exigences formelles n’affectent pas leur validité ni leur capacité à démontrer la participation des demanderesses.
39- Enfin, elles contestent le grief tiré de la violation de l’ordre public international dès lors que les pièces prétendument falsifiées ont été débattues contradictoirement et que c’est sans surprise que le tribunal arbitral a statué dans le cadre de son pouvoir d’appréciation qu’il n’appartient pas à la cour de contrôler.
IV/ MOTIFS DE LA DECISION
Sur le premier moyen tiré de l’incompétence ratione personae du tribunal arbitral à l’égard de Mme [C] en raison de sa double nationalité
40- L’article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.
41-Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage.
42-Lorsque celle-ci résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit.
43-Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.
44-Au cas présent, l’offre d’arbitrage résulte de la combinaison des articles 4 et 1 du Traité entre les Etats-Unis et la République Socialiste du Viet Nam relatif à leurs relations commerciales du 13 juillet 2000.
45-L’article 4 intitulé « Règlement des différends » est ainsi rédigé :
1. Chaque Partie doit fournir aux sociétés et aux nationaux de l’autre Partie un moyen efficace de faire valoir leurs demandes et leurs droits au titre des investissements couverts.
2. En cas de différend relatif aux investissements, les parties au différend doivent tenter de le résoudre par la consultation et la négociation, ce qui peut inclure le recours à des procédures tierces non contraignantes. Sous réserve des dispositions du paragraphe 3 du présent article, si le différend n’a pas été résolu par la consultation et la négociation, un national ou une société d’une Partie qui est partie à un différend relatif à un investissement peut soumettre le différend pour résolution selon l’une des alternatives suivantes :
A. aux tribunaux judiciaires ou administratifs compétents de la Partie sur le territoire de laquelle l’investissement couvert a été réalisé ; ou
B. conformément à toute procédure de règlement des différends applicable et préalablement convenue ; ou
C. conformément aux dispositions du paragraphe 3.
Selon l’article 4(3) :
A condition que le national ou la société concernée n’ait pas soumis le différend pour être tranché en vertu du sous-paragraphe 2.A ou B, et que quatre-vingt-dix jours se soient écoulés depuis la date à laquelle le différend a pris naissance, le national ou la société concerné peut soumettre le différend à un arbitrage obligatoire pour être tranché :
(i) au Centre, si les deux Parties sont membres de la Convention du CIRDI et si le Centre est disponible ; ou
(ii) au Mécanisme supplémentaire du Centre, si le Mécanisme supplémentaire est disponible ; ou
(iii) conformément au Règlement d’arbitrage de la CNUDCI ; ou
(iv) si les deux parties au différend en conviennent, à toute autre institution d’arbitrage ou conformément à tout autre règlement d’arbitrage.
L’article 1 intitulé « Définitions » du Traité prévoit que :
1. « investissement » désigne tout type d’investissement sur le territoire d’une Partie, détenu ou contrôlé directement ou indirectement par des nationaux ou des sociétés de l’autre Partie, et comprend les investissements, consistant en ou prenant la forme de :
A. une société ou une entreprise ;
B. actions, parts sociales et autres formes de participation au capital, ainsi que obligations, débentures et autres formes d’intérêts, dans une société.
C. droits contractuels, tels que dans des contrats clés en main, de construction ou de gestion, de production ou de partage des revenus, de concessions ou d’autres contrats similaires ;
D. biens corporels, y compris les biens immobiliers, et biens incorporels, y compris les droits, tels que les baux, les hypothèques, les privilèges et les gages ;
E. propriété intellectuelle, y compris les droits d’auteur et les droits connexes, les marques, les brevets, les designs (topographies) de circuits intégrés, les signaux satellite porteurs de programmes cryptés, les informations confidentielles (secrets commerciaux), les dessins industriels et les droits sur les variétés d’usine ; et
F. droits conférés en vertu de la loi, tels que les licences et les permis ;
1(4). « Investissement couvert » désigne un investissement d’un national ou d’une société d’une Partie sur le territoire de l’autre Partie ;
1-(9) « national » d’une Partie désigne une personne physique qui est un national d’une Partie en vertu de son droit applicable ;
1-10. « Différend relatif à un investissement » est un différend entre une Partie et un national ou une société de l’autre Partie, découlant de ou en relation avec une autorisation d’investissement, un accord d’investissement ou la violation alléguée d’un droit conféré, créé ou reconnu par le présent chapitre, l’annexe H, les lettres échangées sur le régime d’autorisation des investissements et les articles 1 et 4 du chapitre VII en ce qui concerne un investissement couvert ;
46- Dans le cadre ainsi défini, le tribunal arbitral a retenu sa compétence en considérant que « Mme [C] en tant que citoyenne américaine naturalisée, répondait à la définition non ambigüe du terme “national” prévue par le Traité, relevant en outre que sa citoyenneté vietnamienne n’était pas exclue par la définition du terme “national” du Traité que celui-ci n’imposait pas un critère supplémentaire de “nationalité dominante et effective” du fait de sa double nationalité. » (§235 de la sentence)
47- Pour résoudre la question, il est acquis que le traité ne contient aucune disposition concernant les investisseurs ayant la double nationalité américaine et vietnamienne, l’article 1(9) retenant clairement pour seule exigence « une personne physique qui est un national d’une Partie en vertu de son droit applicable », c’est-à-dire une personne physique qui est ressortissante d’un Etat conformément au droit national de cet Etat.
48- Aucun des documents officiels contemporains à la négociation de ce Traité produits par le Viet Nam ne remet en cause cette lecture des dispositions du Traité qui renvoie expressément la question de l’octroi de la nationalité à l’Etat concerné, étant observé que la position des Etats-Unis relative à d’autres traités et l’opinion personnelle du professeur [I], qui n’a joué aucun rôle dans la conclusion et la rédaction du Traité, sont inopérants pour déterminer la volonté des Etats contractants.
49- Il en est de même de la note diplomatique émise à Hanoï le 4 avril 2023 qui n’est en réalité qu’un avis du service économique de l’ambassade des Etats Unis, non contemporain au Traité, et dont l’autorité n’est pas établie, sachant que l’autorité compétente en la matière est le « Comité » conjoint spécialement désigné au chapitre VII du Traité comme l’autorité responsable du traitement des questions relatives à l’interprétation du Traité.
50- En outre, les règles générales d’interprétation de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, invoquées par la demanderesse et qui, même si la France n’est pas partie à cette convention, s’imposent au juge français au titre de la coutume du droit international, ne permettent pas de conclure que ces dispositions priveraient l’investisseur binational de la protection instituée par le traité, ces règles ne conduisant pas à distinguer là où le texte ne distingue pas, ni à modifier l’application ou les termes d’un Traité lorsque celui-ci est clair.
51- L’article 31 de cette Convention prévoit que :
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) De tout règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.
Son article 32 énonce :
Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :
a) Laisse le sens ambigu ou obscur ; ou
b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.
52- En l’occurrence, le sens ordinaire des termes du Traité, sans qu’il y ait lieu de se livrer à une interprétation de ce texte ni de recourir aux procédés supplétifs d’interprétation de la Convention de Vienne tirés du contexte d’adoption du Traité, ou encore de se livrer à une appréciation sur la nationalité dominante et effective de l’investisseur, ne peut conduire à exclure les binationaux de l’application du Traité, au risque d’ajouter une condition qui n’a pas été stipulée.
53- L’allégation du Viet Nam tirée des circonstances factuelles de l’espèce selon lesquelles Mme [C] aurait délibérément dissimulé sa nationalité américaine lors de la structuration de son investissement qu’elle aurait présenté comme un projet domestique vietnamien sans respecter le régime légal des investissements étrangers relève d’une appréciation au fond qui n’est pas de nature à exclure la compétence du tribunal arbitral pour connaître du litige en faveur d’un binational selon les dispositions procédurales du Traité.
54- Il ressort de ces éléments que le Traité ne réserve pas un sort particulier aux binationaux de sorte qu’il n’y a pas lieu d’ajouter au texte une distinction que les parties contractantes n’ont pas entendu y insérer.
55- En l’état de ces considérations, le grief tiré de l’incompétence ratione personae du tribunal arbitral sera rejeté.
Sur le second moyen tiré de l’incompétence ratione materiae du tribunal arbitral à l’égard de Mme [C] et des sociétés américaines
56- Le Viet Nam soutient que les demanderesses n’ont pas apporté la preuve de leur participation dans un investissement couvert par le Traité principalement parce que les documents sur lesquels elles se sont fondées sont des faux au moyen desquels elles ont frauduleusement obtenu gain de cause.
57- Il convient de rappeler que selon l’article 1.1 du Traité la notion d’« investissement » désigne tout type d’investissement sur le territoire d’une Partie, détenu ou contrôlé directement ou indirectement par des nationaux ou des sociétés de l’autre Partie, et comprend les investissements, consistant en ou prenant la forme de :
A. une société ou une entreprise ;
B. actions, parts sociales et autres formes de participation au capital, ainsi que obligations, débentures et autres formes d’intérêts, dans une société.
58- Il ressort de ces dispositions que le Traité protège les investisseurs aussi bien pour leur participation dans les investissements que leur contrôle sur ces mêmes investissements, que ce soit directement ou indirectement.
59- En l’espèce, compte tenu de la formulation très large du Traité, le tribunal arbitral sans préjuger de l’étendue des participations qui relève des débats au fond, a retenu sa compétence matérielle en retenant que les Demanderesses établissaient qu’elles détenaient au moins une participation indirecte dans la société TEC et qu’elles détenaient toujours un intérêt dans le projet.
60- Il a ainsi considéré, concernant Mme [C], aux paragraphes 246-248 de la sentence, en s’appuyant sur la structuration actionnariale de la société TEC résultant des propres documents du Viet Nam, qu’elle établissait qu’elle était au moins actionnaire indirecte du projet et de la société TEC et qu’elle remplissait au minimum l’une des conditions du Traité pour les raisons suivantes qui ne sont pas contestées :
246. Les Demanderesses relèvent que les preuves présentées par le Défendeur (par le biais de documents déposés auprès de la Division de l’enregistrement des sociétés) montrent que TEC est structurée comme suit: Tan Tao University Corporation (« TTUC ») à 10 %, Tan Tao Group (« TTG») à 10%, et TEDC à 80 %.
247. Dans cette structure, le Dr [C] possède un pourcentage de chacune des trois sociétés composant TEC. Plus précisément, ces pourcentages sont : (i) 35,56 % des actions de TTUC ; (ii) 70,7 % des actions de TTG (équivalent à 7 % des actions de TEC), dont elle détient directement 60 %, et 10,7 % par le biais de la part de 30 % de TTUC dans TTG ; et (iii) 43,6 % de TEDC (équivalent à 34,9 % des actions de TEC). Une fois encore, le Défendeur n’a pas réfuté ces pourcentages.
248. Dans cette structure, la participation indirecte du Dr [C] dans TEC s’élève donc à environ 46 %, comme cela est indiqué ci-dessus. Si l’on met de côté le registre des actionnaires indiquant des participations directes des Demanderesses, les preuves identifiées ci-dessus sont à elles seules suffisantes pour établir la compétence rations materiae ;
61- Il en a conclu au paragraphe 249 que « la participation de Mme [C] dans TEC est suffisante pour constituer un investissement couvert (article 1(4) et articles 1(1)(A) et 1(1)(B) du Traité) »
62- Il résulte de ce qui précède que l’établissement de la participation indirecte de Mme [C] suffit à retenir la compétence du tribunal arbitral à son égard, quand bien même sa propriété directe ne serait pas suffisamment établie par le registre des actions de TEC en date du 31 août 2020 dont l’authenticité est contestée, de sorte que le moyen manque en fait.
63- Il est établi concernant les sociétés américaines dans la sentence que si le tribunal arbitral, comme il le reconnaît, a « accordé foi à la pièce C73 », il s’est également déterminé sur la base des documents non contestés par le Viet Nam, énoncés au paragraphe 268 de la sentence, qui sont un document powerpoint à l’attention des investisseurs de TEC en 2013, l’étude de faisabilité du 5 novembre 2013, la lettre du 24 juin 2016 détaillant le rôle de US Global dans le cadre du projet ( pièce C 78) et la lettre du 9 octobre 2017 à partir desquelles il a estimé qu’elles s’étaient acquittées de la charge de la preuve qui leur incombait. (§270)
64- Ce n’est donc pas sur la seule base du certificat des actions C73 allégué de faux que le tribunal s’est appuyé pour retenir sa compétence matérielle mais sur un ensemble de documents dont l’authenticité et l’exactitude ne sont pas contestés ni remis en cause par les nouveaux arguments et documents produits par le Viet Nam issus de la procédure au fond de sorte que le moyen manque également en fait.
65- Au vu de l’ensemble de ces constatations et énonciations le grief sera écarté.
Sur le deuxième moyen d’annulation tiré de la violation de l’ordre public international pour fraude procédurale
66- Selon l’article 1520, 5° du code de procédure civile, l’annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l’ordre public international.
67- La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision prise par ceux-ci a été surprise.
68- La fraude procédurale ne justifie l’annulation de la sentence que si elle a un effet sur celle-ci, c’est à dire si elle a été décisive pour le tribunal arbitral.
69- Au cas présent, l’authenticité des documents ayant été débattue contradictoirement devant le tribunal arbitral, sa décision ne peut avoir été surprise de sorte que l’allégation de fraude procédurale nécessaire au succès de la prétention du Viet Nam sera écartée.
70- Enfin, le caractère illégal de l’investissement invoqué par le Viet Nam ne peut davantage prospérer au soutien de ce moyen s’agissant d’une question qui relève du fond et non d’une condition procédurale du Traité pour l’appréciation de sa compétence.
71- Ce moyen sera en conséquence rejeté.
Sur les frais et dépens
72- Le Viet Nam, qui succombe, sera condamné aux dépens, la demande qu’il forme au titre de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
73- Il sera en outre condamné à payer la somme de 100 000 euros sur le fondement du même article.
V/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par la République Socialiste du Viet Nam contre la sentence arbitrale sur la compétence rendue le 08 décembre 2021 (PCA case n° 2020-05) ;
2) Condamne la République Socialiste du Viet Nam à payer à Mme [C] et aux sociétés U.S. Global Institute, Inc. Angels Company, Inc, la somme totale de cent mille euros (100 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
3) Condamne la République Socialiste du Viet Nam aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT ,