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[C] [M]
C/
S.A.S. SATT SAYENS
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée le 11/01/24
à : Me SCHMITT
C.C.C le 11/01/24
à Me FLAHAUT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
MINUTE N°
N° RG 22/00458 – N° Portalis DBVF-V-B7G-F7QD
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section EN, décision attaquée en date du 13 Juin 2022, enregistrée sous le n° F 20/00450
APPELANT :
[C] [M]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Maître Jean-philippe SCHMITT, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.S. SATT SAYENS immatriculée au RCS de DIJON
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Félipe LLAMAS de la SELARL LLAMAS ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substituée par Maître Aurélie FLAHAUT, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 novembre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Olivier MANSION, Président de chambre et Monsieur Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller, chargés d’instruire l’affaire et qui a fait le rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [M] (le salarié) a été engagé le 3 janvier 2012 par contrat à durée indéterminée en qualité d’ingénieur développement par la société d’accélération du transfert de technologies (SATT) Sayens (l’employeur).
Il occupait en dernier lieu les fonctions de directeur du département recherche et développement.
Il a été licencié le 18 février 2020 pour faute grave.
Estimant ce licenciement nul, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 13 juin 2022, a rejeté toutes ses demandes.
Le salarié a interjeté appel le 4 juillet 2022.
Il demande l’infirmation du jugement et au regard d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, le paiement des sommes de :
– 3 621,4 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied du 31 janvier au 18 février 2020,
– 362,14 euros de congés payés afférents,
– 109 792 euros de rappel d’heures supplémentaires,
– 10 979 euros de congés payés afférents,
– 53 421 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
– 697,47 euros de rappel de salaire pour majoration des heures travaillées les dimanches,
– 81,06 euros de rappel de salaire pour majoration des heures travaillées les jours fériés,
– 2 902,90 euros de solde d’indemnité de congés payés de 2018 à 2020,
– 10 206 euros de rappel de part variable pour 2019,
– 1 020,60 euros de congés payés afférents,
– 21 068,76 euros d’indemnité de préavis,
– 2 106,88 euros de congés payés afférents,
– 19 703,18 euros d’indemnité de licenciement,
– 56 183,36 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5 000 euros de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives à la durée maximale des heures de travail,
– 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– les intérêts au taux légal,
et réclame la délivrance de bulletins de paie, d’un certificat de travail et de l’attestation destinée à Pôle emploi.
L’employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 20 février et 14 août 2023.
MOTIFS :
Sur les heures supplémentaires :
1°) Le forfait annuel en jours doit être prévu par un accord collectif de branche ou d’entreprise lequel doit définir les catégories de cadres concernés, fixer le nombre de jours travaillés, préciser les modalités de décompte de ces jours, les conditions de contrôle de son application et prévoir les modalités de suivi de l’organisation du travail, de l’amplitude des journées d’activité et de la charge de travail qui en résulte.
Il en résulte qu’un dispositif de suivi régulier et de contrôle doit être mis en oeuvre.
A défaut pour l’employeur de respecter ces clauses, la convention individuelle de forfait annuel en jours est privée d’effet.
En l’espèce, le salarié rappelle que son contrat de travail prévoit un forfait en jours de 219 jours en se référant à l’accord national de la convention collective dite Syntec du 22 juin 1999.
Il indique que cet accord a été invalidé dans un arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 (pourvoi n°11-28.398) et que le nouvel accord du 1er avril 2014 entré en vigueur le 1er août suivant est intervenu avant la loi du 8 août 2016, de sorte que son accord devait être obtenu ce qui n’a pas été le cas.
Au surplus, il soutient que l’employeur n’a pas respecté le disposition de l’avenant du 1er avril 2014, notamment en ses articles 4.2, 4.3, 4.7, 4.8.1, 4.8.2 et 4.8.3.
L’employeur demande à la cour d’appel de prendre acte de ce que la convention de forfait prévue au contrat de travail n’a jamais été appliquée et que le salarié était soumis à la durée légale du travail.
Le salarié peut donc demander le paiement d’un rappel d’heures supplémentaires s’il en a accompli.
2°) Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Ici, le salarié produit des mails (pièces n°31 et 39) envoyés tôt le matin, tard le soir, les week-ends et les jours fériés ainsi que les relevés horaires hebdomadaires de la semaine 8 à 52 en 2017, toute l’année 2018 et 2019, de la semaine 1à 7 pour 2020 (pièce n°41 à 44).
Il se reporte aux attestations de Mme [W] et de MM. [G] et [P] qui relèvent une durée importante de travail de la part du salarié , y compris tôt le matin et le soir après 18 heures ou 19 heures.
Enfin, le salarié se reporte à un décompte précis, pages 51 et 52 de ses conclusions, soit 671 heures du 18 février au 31 décembre 2017, 740 heures en 2018, 666 heures en 2019 et 51 heures du 1er janvier au 18 février 2020.
L’employeur refuse tout paiement à ce titre en critiquant le décompte apporté et en soutenant n’avoir jamais donné son accord à l’accomplissement de telles heures.
Force est de constater que le salarié apporte des éléments précis quant aux heures non rémunérées et que l’employeur n’y répond par aucun décompte infalsifiable des heures de travail réalisées.
Par ailleurs, la société ne démontre pas que le salarié inclut dans son décompte des temps de trajet, procédant à une simple affirmation, et le fait que le salarié ait participé comme vacataire à des enseignements à l’université de Bourgogne n’est pas incompatible avec le décompte produit, pas plus que le temps consacré à la gestion de sa société dénommée Alimentere.
Par ailleurs, le fait que le salarié ait modifié sa demande de rappel est sans incidence sur la validité des éléments fournis.
De plus, l’employeur se borne à soutenir que l’envoi des mails en soirée ou les week-ends relève de l’initiative du salarié, ce qui n’est pas avéré et, à défaut d’offre de preuve sur la charge de travail du salarié, ne permet pas de vérifier si le temps de travail accordé était suffisant pour accomplir les tâches demandées.
Enfin, les relevés horaires versés au débat par le salarié sont critiqués mais aucune incohérence n’est démontrée.
Il en résulte que la demande de rappel du salarié est fondée et qu’elle sera accueillie dans le montant réclamé, ce qui implique l’infirmation du jugement.
3°) L’article L.3121-30 du code du travail prévoit une contrepartie obligatoire en repos uniquement pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel.
Elle s’ajoute à la rémunération des heures au taux majoré ou au repos compensateur de remplacement.
L’article D. 3121-23 du même code prévoit que le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.
Le salarié qui n’a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l’indemnisation du préjudice subi.
Celle-ci comporte le montant d’une indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s’ajoute le montant de l’indemnité de congés payés afférents et les juges du fond, formant leur conviction au vu des pièces produites et tenant compte des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent, apprécient souverainement le préjudice subi par le salarié.
En l’espèce, la convention collective applicable fixe le contingent d’heures supplémentaires à 220 heures par an.
Au regard des heures supplémentaires retenues ci-avant, l’indemnisation pour l’absence de prise du repos compensateur sera évaluée à 53 421 euros sur la période du 20 février 2017 au 31 décembre 2019, l’année 2020 n’ayant pas donné lieu à dépassement du contingent précité.
4°) Les majorations pour travail les dimanches et jours fériés sont également dues pour les montants avancés par le salarié, au regard des motivations qui précédent.
5°) Sur le solde des congés payés de 2018 à 2020, le salarié indique qu’il pouvait bénéficier, après 5 ans d’ancienneté conformément à l’article 23 de la convention collective précitée, de 26 jours de congés par an.
Au regard des congés pris et du travail effectué certains jours de congé, la demande de rappel est fondée.
6°) Sur la durée maximale de travail, il jugé qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 53), que cette directive poursuivant l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le législateur de l’Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé (CJUE,14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 54). La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que c’est au droit national des États membres qu’il appartient, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, d’une part, de déterminer si la réparation du dommage causé à un particulier par la violation des dispositions de la directive 2003/88 doit être effectuée par l’octroi de temps libre supplémentaire ou d’une indemnité financière et, d’autre part, de définir les règles portant sur le mode de calcul de cette réparation (CJUE, 25 novembre 2010, Fuß c. Stadt Halle, C-429/09, point 94).
Dès lors, le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail permet réparation.
Ici, le salarié établit avoir travaillé plus de 48 heures par semaine sur la période 2017/2020, à plus de cent reprises.
Cette violation de la durée maximale de travail doit être indemnisée.
La somme de 2 000 euros sera accordée au salarié en réparation du préjudice subi.
Sur le rappel de la part variable de rémunération :
Le salarié demande un tel rappel pour l’année 2019, en précisant que le contrat de travail prévoit une telle rémunération parfois appelée prime exceptionnelle sur les bulletins de paie.
Il ajoute que son évaluation individuelle 2019 a retenu une atteinte totale des objectifs 1 et 4, 50 % de l’objectif 2 et 75 % de l’objectif
3. Il demande donc le paiement de la somme de 10 206 euros qui avait été versée à ce titre en 2017 et 2018.
L’employeur répond que le salarié avait pour habitude de rendre tardivement les éléments permettant le calcul de cette part variable et qu’il n’a pas remis ses comptes rendus avant la transmission de ses dernières écritures au cours du procès, qu’il n’a jamais réclamé cette somme et qu’il entend vérifier la réalisation des objectifs et procédera à une régularisation spontanée au besoin.
Cependant, le salarié a fourni, en plus de la teneur de l’entretien d’évaluation pour l’année 2019, des éléments relatifs à la réalisation des objectifs, comme l’admet l’employeur puisqu’il entend les vérifier, et ce dernier n’apporte aucun élément contraire autorisant à rejeter la demande pour objectifs non-atteints.
La demande sera donc accueillie pour la somme de 10 206 euros.
Sur le licenciement :
1°) Le salarié invoque la nullité du licenciement en invoquant, à son profit, le statut de lanceur d’alerte mais aussi une violation de sa liberté d’expression et de sa vie privée.
a) L’article L. 1132-3-3 du code du travail dispose “qu’aucune personne ayant témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou ayant relaté de tels faits ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2.
Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l’article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique”.
La protection du lanceur d’alerte implique que celui qui s’en prévaut doit rapporter des faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime.
Il est jugé qu’un salarié ne peut être licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance, par le salarié, de la fausseté des faits qu’il dénonce, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
En l’espèce, le salarié se prévaut de ce statut en ce qu’il a découvert des éléments affectant le chiffre d’affaires de 2018 et susceptibles de constituer un délit. Il indique que le chiffre d’affaires 2019 est anormalement élevé et qu’il était décidé, chaque année, par la direction, en reportant d’une année sur l’autre une somme à ce titre.
Il en aurait résulté un déficit en 2018 alors que cette année était bénéficiaire et ce, afin de poursuivre une politique de restructuration en 2019. Il a donc lancé une alerte le 20 janvier 2020 auprès de Mme [J], présidente de la société, qui a mal réagi selon l’attestation de Mme [W].
Mme [J] lui a alors demandé, le même jour, et en présence de membres du comité de direction, de répéter ses propos, ce que le salarié a refusé, puis il a été mis à pied le 31 janvier 2020 avec convocation à un entretien préalable fixé au 12 février suivant.
Le salarié a rappelé, par lettre du 5 février 2020, son statut de lanceur d’alerte.
Il ajoute qu’une enquête de police a été effectuée et que l’affaire a été classée sans suite au motif d’une absence d’infraction.
L’employeur répond que le statut de lanceur d’alerte a été détourné de sa finalité pour être transformé en chantage et qu’il n’existe aucun fait susceptible d’être qualifié de délit.
Il sera relevé qu’il appartient de rechercher si les faits dénoncés sont constitutifs ou non d’un délit ou d’un crime.
Tel n’est pas le cas ici, dès lors que le salarié procède par affirmation en se contentant de reprendre des explications annexées à sa plainte et visant des calculs peu explicites en relevant une diminution artificielle de 20 % du CA du département R&D et partenariats sur l’exercice 2018, et alors qu’une somme de 1,1 million d’euros a été reportée sur l’exercice 2019 en modifiant les pourcentages d’avancement des contrats en cours de réalisation.
Par ailleurs, les comptes critiqués ont été certifiés par un commissaire aux comptes et contrôlés par un comité d’audit.
L’employeur ajoute que la tableau excel dont se prévaut le salarié ne concerne pas des exercices en cours mais porte sur des projections de chiffres d’affaires dans le cadre d’une évaluation triennale, et ce pour obtenir des financements auprès de l’agence nationale de la recherche, ce que le salarié connaissait pour avoir lui-même élaboré de telles projections (pièces n°23 et 24).
Enfin, l’employeur justifie de l’existence d’une méthode d’avancement des affaires avec une différence entre l’avancement théorique et l’avancement réel, avec un délai de prise en charge des affaires en fonction des délais d’exécution des affaires, d’où l’existence d’un écart entre ces deux avancements.
Au surplus, la plainte pénale a été classée en suite pour absence d’infraction.
En conséquence, en l’absence de faits susceptibles d’être qualifiés de délit, le salarié ne peut se prévaloir du statut de lanceur d’alerte pour demander la nullité du licenciement.
b) Sur l’atteinte à la liberté d’expression, il est jugé que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression et que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
Ici, le salarié indique que l’enquête pénale ne permet pas de considérer qu’il a agi de façon abusive en portant plainte.
Cependant, le salarié n’explique pas en quoi cette enquête pénale serait une atteinte à sa liberté d’expression et aucun élément ne permet de retenir que l’employeur l’a licencié en violation de cette liberté.
La demande de nullité du licenciement sera donc rejetée.
c) Sur le respect de la vie privée, le salarié rappelle qu’il entretient une relation avec Mme [W], une autre salariée, depuis mai 2018 et soutient que Mme [J] a demandé à Mme [W] de partir de l’entreprise en raison de cette liaison, comme en atteste cette dernière.
Il ajoute que Mme [J] a déclaré que les entretiens avec Mme [W] se feraient sans lui et que celle-ci ne peut avoir un accès intégral à la boîte mail du salarié, laquelle contient des informations confidentielles.
La lettre de licenciement vise cette relation en indiquant : “nous avons été contraint de revoir l’organisation de l’assistanat du département R&D partenariats afin de préserver le bon fonctionnement de notre structure, compte tenu de votre relation personnelle avec Mme [W], assistante de direction”.
Enfin, il est souligné que cette organisation ne peut être guidée par une volonté de protéger des données confidentielles, dès lors que Mme [J] a validé une recommandation d’organisation, en mai 2018, portant sur la lecture des mails du salarié par Mme [W] afin de les trier et de l’aider dans son travail.
L’employeur répond que la direction a appris tardivement cette relation et que Mme [W] a ainsi lu des mails confidentiels du salarié adressés en sa qualité de membre du comité de direction.
Il a été décidé de réorganisé le travail en raison de cette liaison, une nouvelle fiche de poste étant proposée à Mme [W] qui l’a acceptée.
Il est jugé que le fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne peut constituer une faute sauf manquement à l’exécution loyale du contrat de travail ou si le grief reproché se rattache par un élément à la vie professionnelle et à l’entreprise et a causé un trouble caractérisé au sein de cette dernière.
De même, le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée en application des dispositions de l’article 9 du code civil.
A défaut, le licenciement intervenu en violation de ce respect est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale.
Ici, la lettre de licenciement énonce, sur les griefs : “Nous tenons à vous les rappeler, ci-dessous, pour la bonne forme.
Comme vous le savez, nous avons été contraints de revoir l’organisation de l’assistanat du département R&D partenariats afin de préserver le bon fonctionnement de notre structure, compte tenu de votre relation personnelle, avec Mme [L] [W], assistante de direction.
Très vite, vous avez manifesté votre vive opposition vis-à-vis de cette décision et avez sollicité le retour à la précédente organisation.
Nous n’avons toutefois pas souhaité revenir sur la nouvelle organisation décidée et formalisée par une nouvelle fiche de poste conforme aux souhaits de Mme [W], acceptée par elle.
Le matin du vendredi 24 janvier dernier, vous avez réitéré votre vive opposition à cette nouvelle organisation m’intimant l’ordre de la modifier immédiatement en me posant même un ultimatum expirant ce même jour à 17 heures.
Vous m’avez en effet menacée de révéler publiquement de “prétendues informations gênantes” concernant les comptes de Sayens si je ne remettais pas en place la précédente organisation du département…”.
Il est donc reproché au salarié un fait relevant de sa vie personnelle, à savoir sa relation amoureuse avec une autre salariée, également son assistante, et plus précisément, que cette relation a contraint l’employeur a revoir l’organisation de l’assistanat au sein du département concerné afin d’en préserver le bon fonctionnement.
Cependant, l’employeur ne démontre pas en quoi ce fait relevant de la vie personnelle du salarié a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise, dès lors que l’organisation mise en place en 2018 avait été avalisée par Mme [J] (pièces n°14 et 15), certes avant que le salarié ne révèle cette liaison le 14 novembre 2019, et alors que le fait pour Mme [W] de lire les mails confidentiels adressés au salarié, comme elle devait le faire pour les trier, n’ait causé de trouble caractérisé avéré au sein de l’entreprise ni un traduise un comportement déloyal du salarié qui n’avait pas à porter à la connaissance de l’employeur ce fait.
En conséquence, le licenciement prononcé est nul.
Il n’y pas lieu d’examiner la faute grave alléguée et le rappel de salaire pour la période de mise à pied est dû ainsi que les congés payés afférents.
2°) Au regard d’un salaire mensuel moyen de 7 022,92 euros, le salarié est fondé à obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de 21 068,76 euros ainsi que les congés payés afférents, et 19 703,18 euros d’indemnité de licenciement.
En application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 et d’une ancienneté de plus de 8 années, les dommages et intérêts pour nul lesquels indemnisent le préjudice subi à la suite de la perte d’emploi, seront évalués à 45 000 euros.
Sur les autres demandes :
1°) Les sommes allouées au salarié produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire.
2°) L’employeur remettra au salarié les documents demandés et listés dans le dispositif subséquent.
3°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer au salarié la somme de 2 000 euros.
L’employeur supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
– Infirme le jugement du 13 juin 2022 sauf en ce qu’il dit que l’atteinte au statut de lanceur d’alerte n’est pas reconnue ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
– Dit que le licenciement de M. [M] est nul ;
– Condamne la société SATT Sayens à payer à M. [M] les sommes de :
– 3 621,4 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied du 31 janvier au 18 février 2020,
– 362,14 euros de congés payés afférents,
– 109 792 euros de rappel d’heures supplémentaires,
– 10 979 euros de congés payés afférents,
– 53 421 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
– 697,47 euros de rappel de salaire pour majoration des heures travaillées les dimanches,
– 81,06 euros de rappel de salaire pour majoration des heures travaillées les jours fériés,
– 2 902,90 euros de solde d’indemnité de congés payés de 2018 à 2020,
– 10 206 euros de rappel de part variable pour 2019,
– 1 020,60 euros de congés payés afférents,
– 21 068,76 euros d’indemnité de préavis,
– 2 106,88 euros de congés payés afférents,
– 19 703,18 euros d’indemnité de licenciement,
– 45 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 000 euros de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives à la durée maximale des heures de travail ;
– Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société SATT Sayens devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire ;
– Dit que la société SATT Sayens remettra à M. [M] des bulletins de paie, un certificat de travail et l’attestation destinée à Pôle emploi conformes au présent arrêt;
Y ajoutant :
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société SATT Sayens et la condamne à payer à M. [M] la somme de 2 000 euros ;
– Condamne la société SATT Sayens aux dépens de première instance et d’appel ;
Le greffier Le président
Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION