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COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 2 DU 11 JANVIER 2024
N° RG 22/00914 –
N° Portalis DBV7-V-B7G-DPNH
Décision attaquée: jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 05 août 2022, rendu dans une instance enregistrée sous le n° 2019JC01659,
APPELANTE :
S.A. Exodis
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédéric Candelon-Berrueta de la SELARL Candelon-Berrueta, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMEES :
S.A.R.L. Imagio
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 4]
Représentée par Me Gérard Plumasseau, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
S.A.S.U. Guyane Solutions Infogérance
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Gérard Plumasseau, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 09 octobre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Frank Robail, président,
Mme Annabelle Clédat, conseiller,
M. Thomas Habu Groud, conseiller
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 11 janvier 2024.
GREFFIER,
Lors des débats et du prononcé : Mme Sonia Vicino, greffière.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Signé par Mme Annabelle Cledat, conseiller ayant délibéré, en remplacement du président empêché, conformément à l’article 456 du code de procédure civile, et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La S.A. Exodis a pour activité l’achat, la vente, la location et la maintenance de matériels bureautiques, notamment de photocopieurs, depuis 1987.
Elle exerce son activité à titre principal en Guadeloupe, mais également en Martinique et en Guyane, où elle a ouvert un établissement secondaire en mars 2002.
La société Exodis a embauché en 1997 M. [K] [T] en qualité de commercial. A compter du 1er janvier 2000, il a été promu chef de vente en Guadeloupe, sous le statut de VRP.
M. [T] a démissionné de ses fonctions par courrier du 26 mars 2012.
Le 10 octobre 2013, il est devenu gérant de la SARL Imagio, société concurrente de la société Exodis, qui avait été créée en 2008 et dont le gérant était jusqu’alors M. [B] [J] [N].
Le 15 juillet 2014, la société Imagio a ouvert un établissement secondaire en Guyane.
Par acte du 23 juillet 2019, la société Exodis a assigné la société Imagio devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre afin d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 635.214 euros en réparation du préjudice subi par suite d’une concurrence déloyale.
Au soutien de son action, la société Exodis indiquait qu’à compter de la démission de M. [T], elle s’était retrouvée de plus en plus souvent en concurrence avec la société Imagio, qui semblait disposer d’informations précises sur les affaires qu’elle était en train de négocier, et qu’elle avait commencé à cette époque à perdre de gros clients.
Elle reprochait à la société Imagio des actes de concurrence déloyale par désorganisation d’une entreprise rivale caractérisés par :
– le fait que M. [T] travaillait officieusement pour la société Imagio depuis sa création en 2008, grâce à un prête-nom, M. [N], même s’il n’en était devenu officiellement gérant que trois mois et demi après le terme de la clause de non concurrence qui le liait à la société Exodis,
– le débauchage systématique de son personnel, y compris des commerciaux liés par des clauses de non concurrence,
– le débauchage concomitant et planifié de son équipe commerciale en Guyane, en vue de s’approprier la clientèle du Centre Spatial Guyanais, par le biais d’un contrat avec la société Serco, de bénéficier et d’exploiter les connaissances acquises par ces salariés auprès d’elle et de la déstabiliser.
La société Imagio ayant indiqué, dans ses conclusions en réponse, que trois des derniers salariés que la société Exodis l’accusait d’avoir débauchés sur son site de Guyane avaient été embauchés par la SASU Guyane Solutions Infogérance, à laquelle elle apportait un support matériel, la société Exodis a fait assigner cette société en intervention forcée par acte du 20 juillet 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions de première instance, la société Exodis demandait au tribunal :
– de juger que les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance avaient commis des actes de concurrence déloyale à son encontre,
– à titre principal :
– de condamner la société Imagio à lui payer la somme principale de 409.809 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts de droit à compter de l’assignation du 23 juillet 2019, au titre du préjudice subi depuis le 23 juillet 2014,
– à titre subsidiaire :
– de condamner la société Imagio à lui payer la somme principale de 218.382 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts de droit à compter de l’assignation du 23 juillet 2019, au titre du préjudice découlant de la perte du seul contrat Serco,
– en tout état de cause :
– de condamner la société Guyane Solutions Infogérance à lui payer, solidairement avec la société Imagio, la somme principale de 218.382 euros, à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts de droit à compter de l’assignation en intervention forcée du 20 juillet 2020,
– de condamner solidairement les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance à lui payer la somme principale de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le trouble commercial issu de leur participation à la violation des clauses de non-concurrence de ses anciens salariés,
– de débouter les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance de leurs demandes,
– de les condamner solidairement au paiement d’une somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
– d’ordonner la publication du jugement au frais des défenderesses dans un journal habilité à recevoir les annonces judiciaires et légales dans les départements de Guadeloupe, Martinique et Guyane, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.
Aux termes de leurs dernières conclusions de première instance, les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance demandaient quant à elles au tribunal :
– de dire que la société Exodis avait au plus tard jusqu’au 10 octobre 2018 pour agir en concurrence déloyale et parasitisme à leur encontre, le délai de prescription de 5 ans prévu par l’article 2224 du code civil ayant commencé à courir lorsqu’elle avait eu connaissance des faits de concurrence déloyale initiaux, soit courant 2012, ou au plus tard le 10 octobre 2013, date de la nomination de M. [T] aux fonctions de gérant de la société Imagio,
– de déclarer en conséquence l’action irrecevable comme prescrite,
– subsidiairement :
– de débouter la société Exodis de ses demandes, fins et conclusions non fondées,
– de condamner la société Exodis à leur payer la somme de 63.521 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice découlant tant de l’abus du droit d’ester en justice que du dénigrement infligé, mais également du préjudice moral occasionné,
– d’ordonner la publication de la décision, ou en tout cas des extraits, dans les trois quotidiens de Guadeloupe, Martinique et Guyane, dans la limite de 10.000 euros, coût des publications,
– de condamner la société Exodis à leur payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens,
– de rejeter toute exécution provisoire.
Par jugement du 05 août 2022, signifié à la société Exodis le 09 septembre 2022, le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a :
– déclaré irrecevable, car prescrite, l’action en concurrence déloyale de la société Exodis dirigée contre la société Imagio,
– débouté la société Exodis de sa demande tendant à obtenir la condamnation de la société Guyane Solutions Infogérance, solidairement avec la société Imagio, au paiement de la somme principale de 218.382 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale,
– débouté la société Exodis de sa demande d’indemnisation au titre d’un trouble commercial,
– débouté les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance de leur demande reconventionnelle tendant à être indemnisées des conséquences d’un abus de droit, d’un dénigrement et d’un préjudice moral,
– débouté les parties de leurs demandes tendant à voir publier le jugement,
– condamné la société Exodis à payer aux sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance la somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Exodis aux entiers dépens,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
La société Exodis a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 05 septembre 2022, en indiquant que son appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement, à l’exception de celui par lequel les premiers juges avaient débouté les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance de leur demande reconventionnelle tendant à être indemnisées des conséquences d’un abus de droit, d’un dénigrement et d’un préjudice moral.
La procédure a fait l’objet d’une orientation à la mise en état.
Les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance ont régularisé leur constitution d’intimées par voie électronique le 15 septembre 2022.
Toutes les parties ayant conclu, l’ordonnance de clôture est intervenue le 19 juin 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 09 octobre 2023, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 11 janvier 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ La S.A. Exodis, appelante :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er décembre 2022, par lesquelles l’appelante demande à la cour :
-‘ d’infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a :
– débouté la SARL Imagio et la SASU Guyane Solutions Infogérance de leur demande reconventionnelle tendant à être indemnisées des conséquences d’un abus de droit, d’un dénigrement et d’un préjudice moral,
– condamné la SA Exodis à payer à la SARL Imagio et à la SASU Guyane Solutions Infogérance la somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SA Exodis, succombant à l’instance, à devoir supporter les dépens,’
– statuant à nouveau :
– vu l’article 1240 du code civil:
– de dire et juger que la SARL Imagio et la SASU Guyane Solutions Infogérance ont commis des actes de concurrence déloyale à son encontre,
– en conséquence :
– à titre principal :
– de condamner la société Imagio à lui payer la somme principale de 409.809 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts de droit à compter de l’assignation du 23 juillet 2019,
– à titre subsidiaire :
– de condamner la société Imagio à lui payer la somme principale de 218.382 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts de droit à compter de l’assignation du 23 juillet 2019, au titre du préjudice découlant de la perte du seul contrat Serco,
– en tout état de cause :
– de condamner la société Guyane Solutions Infogérance à lui payer, solidairement avec la société Imagio, la somme principale de 218.382 euros, à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts de droit à compter de l’assignation en intervention forcée du 20 juillet 2020,
– de condamner solidairement les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance à lui payer la somme principale de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le trouble commercial,
– de débouter les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance de leurs demandes, fins et conclusions,
– de les condamner solidairement au paiement d’une somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– d’ordonner la publication ‘du présent jugement’ au frais des défenderesses dans un journal habilité à recevoir les annonces judiciaires et légales dans les départements de Guadeloupe, Martinique et Guyane, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,
– de condamner solidairement les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance aux entiers dépens.
2/ La SARL Imagio et la SASU Guyane Solutions Infogérance, intimées :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 février 2023 par lesquelles les intimées demandent à la cour :
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré irrecevable et mal fondée l’action initiée par la société Exodis,
– en conséquence :
– de dire que la société Exodis avait jusqu’au 10 octobre 2018 pour agir en concurrence déloyale et parasitisme à l’encontre des sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance,
– de dire qu’en saisissant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre le 23 juillet 2019, la société Exodis a fait ‘reste de droit’ de son action, qui se heurte désormais à la prescription quinquennale,
– de déclarer l’action irrecevable comme prescrite,
– de recevoir la société Imagio en son appel incident, aux termes des dispositions de l’article 548 du code de procédure civile,
– de condamner la société Exodis à payer ‘aux sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance’ la somme de 63.521 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice découlant tant de l’abus du droit d’ester en justice que du dénigrement infligé, mais également du préjudice moral occasionné,
– d’ordonner la publication de la décision, ou en tout cas des extraits, dans les trois quotidiens de Guadeloupe, Martinique et Guyane, dans la limite de 10.000 euros, coût des publications,
– de condamner la société Exodis à leur payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens, distraits au profit de Maître Gérard Plumasseau.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la recevabilité de l’appel :
Est recevable l’appel interjeté par la société Exodis le 05 septembre 2022, avant toute signification, à l’encontre du jugement rendu le 05 août 2022.
Sur la prescription de l’action :
L’action en concurrence déloyale trouve son fondement dans la responsabilité civile délictuelle prévue par les articles 1382 et 1383 du code civil, devenus les articles 1240 et 1241, depuis le 1er octobre 2016.
Cette action est donc soumise au régime de prescription prévu par l’article 2224 du code civil, qui dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Pour conclure à la prescription de l’action de la société Exodis à l’encontre de la société Imagio, les premiers juges ont retenu :
– que le point de départ du délai de prescription quinquennal prévu par l’article 2224 du code civil devait être fixé au 27 juillet 2012, date à laquelle la société Exodis avait adressé à M. [T] une lettre recommandée qui attestait qu’elle avait parfaitement connaissance, dès cette date, des faits de désorganisation et de parasitisme sur lesquels elle fondait son action,
– qu’il ‘import[ait] peu que les faits de parasitisme, de désorganisation et de débauchage se soient inscrits dans la durée, chacun d’eux, tels que les présent[ait] la société Exodis, étant indissociable des autres et ne consistant [qu’]en un seul but, celui de capter sa clientèle’.
Cependant, contrairement à l’analyse du tribunal, partagée par les intimées, le point de départ du délai de prescription de l’action en concurrence déloyale n’est pas unique et ne saurait être fixé à la date où, pour la première fois, le demandeur à l’instance a eu connaissance de faits susceptibles de constituer une concurrence déloyale.
En effet, la concurrence déloyale étant un délit successif, il appartient au juge de faire une application distributive de la règle de la prescription et de ne déclarer l’action prescrite que pour ceux des actes accomplis par le défendeur dont le demandeur avait connaissance depuis plus de cinq ans au jour de la demande en justice.
C’est en ce sens que la cour de cassation a statué dans un arrêt du 09 juin 2021 (Com. 9 juin 2021, pourvoi n°19-19.487), en rejetant un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt qui avait écarté la prescription d’une action au motif que, dès lors que plusieurs actes susceptibles de constituer des faits de concurrence déloyale avaient été commis par le défendeur, même s’ils s’inscrivaient dans la continuité de son activité, ils n’en constituaient pas moins des faits distincts de ceux dont le demandeur avait initialement eu connaissance plus de cinq ans avant l’introduction de son action.
En l’espèce, aux termes de ses dernières conclusions en cause d’appel, la société Exodis se prévaut de plusieurs faits constitutifs selon elle d’actes de concurrence déloyale, qu’elle reproche aux sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance :
– la création en 2008 par M. [T] de la société Imagio, société concurrente, par l’intermédiaire d’un prête-nom, en violation de son obligation de loyauté et d’une clause de non-concurrence, faits dont elle déclare n’avoir eu connaissance qu’en 2018,
– le débauchage de son personnel pourtant lié par une clause de non concurrence, ces faits concernant ‘notamment’ MM. [Y], [X] et [P] et ayant été commis entre 2017 et 2018,
– le débauchage concomitant et planifié de son équipe commerciale en Guyane à partir de la fin de l’année 2017,
– le débauchage de ses salariés afin de bénéficier et d’exploiter les connaissances et informations qu’ils avaient acquises dans le cadre de leur précédent emploi, ces faits concernant MM. [Y], [X] et [M] ayant tous eu lieu fin 2017,
– le débauchage et l’embauche simultanée de plusieurs salariés par sa concurrente afin de la déstabiliser et de détourner une partie de sa clientèle, ces faits étant liés au débauchage de son équipe de Guyane à la fin de l’année 2017 et au non renouvellement du contrat avec l’entreprise Serco début 2018.
Même si elle ne le reprend pas expressément dans la motivation de ses conclusions, la société Exodis a rappelé, dans l’exposé des faits, qu’elle avait été victime d’autres faits de débauchage de salariés par la société Imagio commis à compter de décembre 2014, concernant Mme [Z], M. [E], M. [O], M. [W] et M. Gerard. Par ailleurs, au titre des développements relatifs à son préjudice, elle indique que ‘la société Imagio, à travers son représentant légal, n’a eu de cesse tout au long de ces années, de débaucher de manière systématique le personnel d’Exodis, chef de vente et ingénieurs commerciaux liés par une clause de non-concurrence, puis techniciens’. Enfin, au titre de son préjudice, la société Exodis se prévaut de la résiliation anticipée et de la non reconduction de contrats intervenues bien antérieurement au non renouvellement du contrat Serco en 2018.
Il s’en déduit que son action est donc également fondée sur le débauchage des salariés précités (Mme [Z], M. [E], M. [O], M. [W] et M. Gerard) à compter de décembre 2014.
Au regard de tous ces éléments, il apparaît que, chronologiquement, la société Exodis se prévaut des faits suivants :
– la création de la société Imagio par M. [T] en 2008,
– des débauchage répétés, commis de décembre 2014 (Mme [Z]) à mai 2018 (M. [P]), les autres fautes étant liées à ces débauchages.
En ce qui concerne la création de la société Imagio par M. [T] en 2008, via un prête-nom, en violation de son obligation de loyauté qui lui imposait de ne pas faire concurrence à son employeur, la société Exodis affirme qu’elle n’a eu connaissance de ces faits qu’en 2018, de sorte que son action engagée le 23 juillet 2019 ne serait pas prescrite.
Pour prouver cette connaissance tardive des faits fondant son action, elle verse aux débats un constat d’huissier du 12 juin 2018 indiquant que le nom de domaine créé par la société Imagio en 2008 avait été renouvelé en 2009 par M. [T], alors qu’il était salarié de la société Exodis.
Aucun élément contraire ne permet de laisser penser que la société Exodis aurait pu avoir connaissance de ces faits avant le 12 juin 2018, et notamment pas le courrier du 27 juillet 2012 qu’elle avait adressé à M. [T], que les premiers juges ont analysé comme la preuve de ce que la société Exodis avait connaissance, dès cette date, des faits de désorganisation et de parasitisme sur lesquels elle fondait son action.
Aux termes de ce courrier, la société Exodis se contentait de reprocher à M. [T] une violation de la clause de non concurrence à laquelle elle estimait qu’il était soumis, lui-même ayant toujours contesté ce point, et qu’il avait une ‘stratégie’, qui consistait ‘à transmettre des informations confidentielles concernant [ses] contrats à [sa] concurrente, Imagio’.
Il en ressort que dans la mesure où la société Exodis démontre n’avoir eu connaissance qu’en 2018 des faits de 2008 sur lesquels elle fonde son action, aucune prescription ne peut lui être opposée à ce titre.
En ce qui concerne le débauchage de salariés entre le 8 décembre 2014 (Mme [Z]) et le 7 mai 2018 (M. [P]), il apparaît à la simple lecture de ces dates qu’aucun des faits de débauchage, et des faits associés, reprochés à la société Imagio, n’a eu lieu plus de cinq ans avant la délivrance de l’assignation, le 23 juillet 2019.
De la même manière, aucun des faits reprochés à la société Guyane Solutions Infogérance, qui n’a été immatriculée que le 29 janvier 2018, n’a pu être commis plus de cinq ans avant son assignation en intervention forcée, le 20 juillet 2020.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a retenu la prescription de l’action de la société Imagio et, statuant à nouveau, la cour déclarera recevable l’action en concurrence déloyale intentée par la société Exodis tant à l’encontre de la société Imagio qu’à l’encontre de la société Guyane Solutions Infogérance, au regard de chacun des faits précités.
Sur les demandes indemnitaires formées par la société Exodis :
Ainsi que cela a précédemment rappelé, l’action en concurrence déloyale est fondée sur la responsabilité civile délictuelle. Elle suppose que soit rapportée la preuve d’un comportement fautif contraire à la loyauté dans la concurrence, alors que, par principe, la concurrence est un droit qui a vocation à s’exercer librement.
C’est au demandeur de rapporter la preuve de cette faute et il est constant que l’on ne saurait tirer de la seule constatation d’une perte ou d’un déplacement de clientèle l’existence d’une présomption de responsabilité du concurrent.
Un acte de concurrence ne peut être condamné en raison de sa déloyauté qu’au terme d’une analyse détaillée et contextuelle qui vise à mettre en évidence le caractère perturbateur du comportement concurrentiel en question.
En revanche, dès lors que le caractère fautif d’un acte est retenu, il est indifférent qu’il ait été commis intentionnellement ou non.
De manière constante, trois grands groupes de procédés déloyaux sont retenus : la confusion, le dénigrement et la désorganisation. A cela s’ajoute le parasitisme, ou concurrence parasitaire, qui peut être défini comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de profiter indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements.
En l’espèce, il ressort des dernières conclusions développées en cause d’appel par la société Exodis qu’elle reproche aux intimées :
– des faits de concurrence déloyale par désorganisation, constitués, d’une part, par la création de la société Imagio par l’un de ses anciens salariés et, d’autre part, par le débauchage de ses salariés,
– des faits de parasitisme, bien que la société Exodis n’emploie jamais expressément ce terme, constitués par le fait de bénéficier et d’exploiter les connaissances et informations acquises par les salariés débauchés, dans le but de récupérer sa clientèle sans effort, ni investissement commercial.
Elle leur reproche également des fautes lui ayant causé un préjudice qu’elle qualifie de trouble commercial, ayant consisté à participer à la violation par les salariés débauchés de leur clause de non-concurrence.
Sur la concurrence déloyale par désorganisation :
Sur la création de la société Imagio en 2008 :
La société Exodis soutient que la société Imagio a été créée officieusement par son salarié, M. [T], alors qu’il était soumis à une obligation de loyauté dans l’exécution de son contrat de travail. Elle affirme qu’il aurait eu recours à M. [N] en qualité de prête-nom, jusqu’à ce qu’il soit en mesure d’être nommé gérant, après l’expiration de la clause de non concurrence à laquelle il était soumis suite à sa démission, intervenue le 26 mars 2012.
Elle fonde cette affirmation sur un procès-verbal de constat d’huissier dressé le 12 juin 2018 à sa demande par Maître [S], dont il ressort :
– que, le 21 avril 2008, le nom de domaine imagioprint.com a été créé par la société Imagio avec l’adresse mail [Courriel 7], et administré par M. [J] [N] avec cette même adresse mail,
– que, le 18 avril 2009, le nom de domaine imagioprint.com a été enregistré par la société Imagio avec l’adresse mail [Courriel 10], et administré par M. [J] [N] avec l’adresse [Courriel 7],
– que l’adresse [Courriel 10] correspond à celle utilisée par M. [K] [T] pour communiquer avec le gérant de la société Exodis.
La société Imagio reconnaît que M. [T] a bien procédé au renouvellement de son nom de domaine, mais soutient qu’il s’agissait seulement de rendre service à son ami, M. [N].
Aux termes d’une attestation datée du 5 octobre 2019, M. [N] a confirmé qu’il avait demandé ce service ponctuel à M. [T]. Il a également contesté le rôle de prête-nom que lui attribue la société Exodis, en reprenant l’historique de la création de la société Imagio, qu’il avait décidé de monter avec son ancien associé après avoir travaillé durant de très nombreuses années pour les sociétés SOCAF puis SOCOP, déjà dans le domaine de la bureautique.
Au-delà du fait que le nom de domaine n’a pas été créé par M. [T] en 2008, mais seulement renouvelé par ses soins en 2009, aucun élément ne permet de remettre en cause le fait que la société Imagio a bien été créée et gérée par M. [N], jusqu’à ce que M. [T] en soit nommé gérant à compter du 10 octobre 2013, soit plus de dix-huit mois après sa démission, à un moment où il n’était lié par aucune clause de non concurrence.
La société Exodis ne démontre en effet aucun acte de gestion pouvant être attribué à M. [T] au cours de cette période.
Le fait qu’elle ait reproché à ce dernier, en juillet 2012, de transmettre des informations confidentielles concernant ses contrats à la société Imagio n’est fondé sur aucun élément de preuve.
Or, ainsi que cela a été précédemment rappelé, aucune faute ne saurait se déduire du fait que la société Exodis aurait commencé à perdre des clients à compter de cette période, cette situation étant par principe la conséquence du jeu normal de la concurrence, étant au surplus précisé qu’elle ne fait état que de la perte de onze clients sur une période de plusieurs années, sans préciser le pourcentage de son activité que représenteraient ces pertes.
Dans ces conditions, la société Exodis échoue non seulement à démontrer que M. [T] aurait créé à son insu la société Imagio dès 2008, en violation de ses obligations contractuelles, mais aussi qu’elle aurait été
victime par ce biais d’un acte de concurrence déloyale de la part de la société Imagio.
Sur le débauchage de ses salariés :
Il est parfaitement constant que le débauchage de salariés constitue la forme la plus fréquente d’actes de désorganisation d’une entreprise pouvant être qualifiés d’actes de concurrence déloyale.
Cependant, la simple embauche, dans des conditions régulières, d’anciens salariés d’une entreprise concurrente n’est pas fautive, et seule l’existence de circonstances particulières peut lui imprimer un caractère déloyal.
En revanche, si un employeur embauche un ancien salarié qui a souscrit une clause de non-concurrence pour le temps suivant l’expiration du contrat de travail, il se rend complice de la violation de l’engagement de non-concurrence et doit être condamné pour concurrence déloyale, dès lors qu’il participe à la désorganisation de son concurrent, qui pouvait légitimement se protéger contre la concurrence de son ancien salarié. Le même raisonnement s’applique s’il emploie un salarié dont la période de préavis à la suite d’une démission n’a pas expiré. En outre, ces faits fautifs sont de nature à générer un préjudice autonome, dont l’ancien employeur peut obtenir réparation.
En l’espèce, la société Exodis affirme tout d’abord que la société Imagio a débauché Mme [Z], M. [E], M. [O], M. [W] et M. Gerard.
Elle ne soumet cependant à la cour aucune offre de preuve en ce qui concerne Mme [Z] et M. [E]. Ses affirmations seront donc écartées.
En ce qui concerne M. [O], la société Exodis ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations. En vertu d’une attestation produite par les intimées, M. [O] affirme avoir démissionné de son emploi chez Copytech, société appartenant au même groupe qu’Exodis, sans être soumis à une aucune clause de non-concurrence. Par ailleurs, les parties s’accordent pour dire qu’il a été embauché par la société Imagio le 06 février 2017, après sa démission. Les faits de débauchage le concernant ne sont donc pas établis.
En ce qui concerne M. [W], il a indiqué, dans une attestation dont les termes ne sont contestés par aucune partie, qu’il avait été licencié pour faute lourde par la société Exodis en mai 2016 et qu’il n’était entré au service de la société Imagio que le 1er août 2019. Aucun débauchage ne sera donc retenu le concernant.
En ce qui concerne M. [A], il a attesté avoir démissionné de la société Exodis afin de créer sa société en 2011, avoir rencontré M. [N] en 2012 et avoir accepté de travailler pour la société Imagio la même année. Si la société Exodis affirme qu’il a en réalité travaillé pour sa concurrente dès 2011, elle ne le prouve pas, alors qu’il lui incombe de rapporter la preuve de ses allégations. En conséquence, aucun débauchage ne sera retenu en ce qui concerne M. [A], étant précisé que ces faits seraient en tout état de cause prescrits.
La société Exodis soutient en second lieu qu’elle a été victime, à compter de 2017, du débauchage de MM. [Y], [X], [M] et [P], qui étaient des salariés qualifiés occupant des postes stratégiques, les trois premiers travaillant sur son site de Guyane, et alors que certains étaient soumis à des clauses de non-concurrence. Elle affirme que ces débauchages, qui l’ont désorganisée, étaient destinés à permettre à la société Imagio de récupérer, à compter du 03 janvier 2018, le contrat dont elle était titulaire avec la société Serco, dans le cadre du marché du Centre Spatial Guyanais.
M. [R] [Y] avait été embauché par la société Exodis en qualité d’ingénieur commercial le 1er décembre 2007. A la date de sa démission, le 10 juillet 2017, il exerçait la fonction de chef des ventes en Guyane, sous le statut de voyageur, représentant, placier (ci-après VRP), en vertu d’un contrat à durée indéterminée conclu le 06 juin 2014.
Ce contrat comportait une clause de non concurrence limitée à 12 mois, s’appliquant sur le département de la Guyane, et prévoyait un préavis de trois mois en cas de démission.
Il a été embauché à compter du 11 octobre 2017, soit le lendemain de l’expiration de son préavis, par la SASU Guyane Solutions Infogérance, société en cours d’immatriculation représentée par son unique associé, M. [K] [T], dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité de directeur commercial. A ce titre, il était chargé notamment de mettre en oeuvre la politique commerciale et stratégique de l’entreprise et d’animer les équipes commerciales.
Aux termes de sa lettre de démission du 10 juillet 2017, M. [Y] indiquait qu’il n’était pas en accord avec la stratégie de l’entreprise Exodis qui consistait à scinder la gestion du service client et celle du responsable technique, ce qui avait pour conséquence une baisse de qualité des interventions, le mécontentement des clients et des pertes d’affaires.
Aux termes d’une attestation datée du 11 octobre 2019, M. [Y] a indiqué qu’il avait démissionné de son poste en raison de difficultés relationnelles avec le personnel sur place, dont une partie n’avait pas accepté sa nomination en 2014. Il a contesté tout débauchage par une autre société et a affirmé qu’il avait intégré la société Guyane Solutions Infogérance en octobre 2017 en raison de ses compétences en informatique.
Contrairement à ce que soutient la société Exodis, il n’est pas établi que, dans le cadre des fonctions qu’il occupait pour elle, M. [Y] était en relation avec les responsables du Centre spatial guyanais. En effet, l’article V de son contrat de travail disposait que ‘le CNES-CSG [Centre spatial guyanais] est géré directement par la DG [direction générale].
Au cas où, à la demande de la direction, M. [Y] interviendrait sur ce compte, il pourra bénéficier d’une prime exceptionnelle déterminée par la direction en fonction de la tâche réalisée’.
Or la société Exodis ne produit aucune pièce, pas même des bulletins de salaire, permettant de prouver que, malgré ces stipulations contractuelles, M. [Y] serait intervenu sur le compte du Centre Spatial, via la relation contractuelle avec la société Serco.
Néanmoins, il convient de rappeler qu’il était responsable des ventes en Guyane et qu’il occupait donc bien un poste stratégique au sein de la société Exodis, qui lui permettait d’être identifié et connu professionnellement dans le milieu restreint dans lequel évoluent les sociétés Exodis et Imagio.
L’embauche de M. [Y] par la société en formation Guyane Solutions Infogérance s’est faite par ailleurs concomitamment à celle de M.[I] [X].
Ce dernier était ingénieur commercial au sein de l’établissement guyanais de la société Exodis depuis le 03 février 2016 et travaillait sous l’autorité de M. [Y].
Il bénéficiait également du statut de VRP et était soumis à une clause de non concurrence limitée à 12 mois, qui s’appliquait sur le département de la Guyane.
Il a démissionné par courrier du 1er août 2017, en indiquant que son départ était motivé en grande partie par celui de M. [Y] et par des problèmes d’organisation au sein de l’agence.
Il a été embauché en qualité d’ingénieur commercial par la société Guyane Solutions Infogérance suivant contrat à durée indéterminée du 02 octobre 2017.
Il convient de relever que, tant M. [Y] que M. [X], ont été embauchés par la société Guyane Solutions Infogérance, qui a été créée suivant statuts du 27 septembre 2017 par M. [K] [T], en qualité d’associé unique.
Dès le début du mois d’octobre 2017, cette société ‘agissant par l’intermédiaire de son représentant légal, M. [K] [T]’ a procédé à des embauches alors qu’elle n’était pas immatriculée, puisqu’elle ne l’a été que le 29 janvier 2018, et que les contrats conclus par une société qui n’est pas encore immatriculée sont nuls.
Par ailleurs, la société Guyane Solutions Infogérance ne disposait ni de matériel, ni de locaux. La société Imagio affirme qu’elle mettait ceux-ci à la disposition de la nouvelle structure, à laquelle elle servait de support.
Ceci expliquerait, selon elle, pour quelle raison un enquêteur privé a constaté la présence très régulière de MM. [Y] et [X] dans les locaux de la société Imagio à compter du mois de novembre 2017, puis en janvier 2018, durant les heures de bureau, l’enquêteur ayant même précisé que M. [Y] faisait régulièrement l’ouverture et la fermeture. Au mois de mai 2018, MM. [Y] et [X] étaient toujours présents dans les locaux de la société Imagio.
La société Exodis affirme, sans être contredite, que les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance n’ont pas répondu aux sommations de communiquer qui leur ont été adressées à deux reprises, le 11 décembre 2019 et le 18 mars 2021, afin d’obtenir leurs registres du personnel, les déclarations préalables à l’embauche et les bulletins de salaire d’octobre 2017 et novembre 2017 de MM. [Y] et [X], ces demandes étant destinées à vérifier l’effectivité de l’embauche de ces salariés par la société Guyane Solutions Infogérance.
En outre, contrairement à ce qu’elle soutient, la société Guyane Solutions Infogérance exerçait bien dans le même domaine d’activité que les sociétés Exodis et Imagio, puisque que son objet social est la ‘vente de matériel informatique et logiciels, service après vente, formation’, tandis que l’objet social d’Exodis est l’achat, la vente et la location de ‘matériels bureautiques, informatiques et de micrographie’, ce qui apparaît particulièrement similaire.
Enfin, deux clients de la société Imagio, M. [L] et Mme [D], ont attesté, pour le premier, avoir eu un contact ‘avec le directeur de l’agence Imagio Guyane, M. [R] [Y], le 05/01/2018″, et, pour l’autre, s’être rendue à la société Imagio pour une demande de devis pour un copieur et avoir rencontré M. [R] [Y] qui sortait de son bureau, le 20 octobre 2017. Les clients ont donc identifié M. [Y] comme un salarié de la société Imagio.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que MM. [Y] et [X], qui constituaient les éléments les plus importants du service commercial de la société Exodis en Guyane, ont démissionné de leurs emplois à quelques jours d’intervalle, pour être embauchés, dès la fin de leur préavis, par une société qui n’était même pas encore immatriculée, créée et dirigée par M. [T], ancien salarié d’Exodis et gérant de la société Imagio. Dans la mesure où, à l’exception des contrats de travail des salariés, aucun élément n’a été produit pour démontrer que la société Guyane Solutions Infogérance aurait pu avoir la moindre activité, alors que son domaine d’activité était similaire à celui de la société Imagio, et où MM. [Y] et [X] ont travaillé durant des mois dans les locaux de la société Imagio, créant une confusion dans l’esprit des clients, il y a lieu d’en déduire que la société Guyane Solutions Infogérance n’a été créée et n’a conclu les contrats de travail de ces deux salariés que pour servir d’écran à la société Imagio, concurrente de la société Exodis, au profit de laquelle ils ont en réalité travaillé dès leur embauche, après avoir démissionné de leur poste chez Exodis.
Ces faits déloyaux, qui doivent être qualifiés de débauchage, ont abouti à une désorganisation de la société Exodis, qui a perdu en quelques jours la tête de son équipe commerciale en Guyane. Ils caractérisent dès lors des agissements de concurrence déloyale de nature à engager la responsabilité de la société Imagio, qui en a tiré profit et les a manifestement organisés.
En ce qui concerne la société Guyane Solutions Infogérance, il résulte de l’article 1240 du code civil que la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes. Or, selon l’article L. 210-6 du code de commerce, les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Dès lors, une société ne peut être déclarée coupable d’actes de concurrence déloyale commis par l’intermédiaire de son dirigeant, si, à la date des faits litigieux, la société n’était pas immatriculée, de sorte que les agissements fautifs de celui qui n’en était pas encore le dirigeant, ne pouvaient engager sa responsabilité (Com. 17 mai 2023, pourvoi 22-16.031).
En conséquence, la faute précitée ne saurait constituer un acte de concurrence déloyale imputable à la société Guyane Solutions Infogérance.
Postérieurement à ces faits, la société Guyane Solutions Infogérance, qui était alors immatriculée, a embauché M. [F] [P], qui occupait un emploi d’ingénieur commercial bureautique sous le statut de VRP au sein de l’agence de la société Exodis en Guadeloupe, depuis le 28 mai 2015.
M. [P] a démissionné le 7 mai 2018, sans donner de raison, en précisant simplement qu’il effectuerait la totalité de son préavis de trois mois et que son contrat prendrait fin le 07 août 2018.
Il a pourtant été embauché en qualité d’ingénieur commercial en solutions d’entreprise par la société Guyane Solutions Infogérance par contrat du 05 juillet 2018, à effet du 09 juillet 2018, soit durant sa période de préavis.
Par ailleurs, son contrat de travail avec la société Guyane Solutions Infogérance contenait la clause suivante : ‘Le salarié est rattaché au siège [Adresse 6], étant entendu qu’il exercera ses fonctions commerciales en détachement sur le département de la Guadeloupe et ses dépendances. Cette activité se fera à partir de son domicile. Des réunions commerciales avec le gérant seront effectuées au bureau de ce denier situé [Adresse 9]’.
De fait, les investigations menées par un agent de recherches privées en janvier 2019 ont permis de constater que M. [P] se rendait très souvent à l’adresse précitée, qui correspondait en réalité aux locaux de la société Imagio en Guadeloupe.
Malgré cela, la société Imagio a répondu le 22 février 2019 à l’huissier chargé de lui délivrer une sommation interpellative que M. [P] n’était pas l’un de ses salariés.
Comme pour MM. [Y] et [X], ces agissements démontrent que la société Imagio et la société Guyane Solutions Infogérance ont agi de concert pour dissimuler le fait que M. [P] allait continuer de travailler en Guadeloupe au profit de la société Imagio après avoir démissionné de son emploi au sein de la société Exodis, mais avant même d’avoir terminé son préavis. Ces agissements sont constitutifs d’un débauchage et ont aggravé la désorganisation déjà subie par la société Exodis, qui a ainsi perdu un autre salarié stratégique de sa direction commerciale. Dès lors, ces faits de concurrence déloyale sont de nature à engager la responsabilité de chacune des deux sociétés qui y ont participé.
***
La société Exodis reproche également aux intimées d’avoir embauché MM. [Y] et [X], ainsi que M. [P], alors qu’ils étaient contractuellement soumis à une clause de non-concurrence et, pour deux d’entre eux, qu’ils n’étaient toujours pas libérés de leur préavis postérieurement à leur démission.
Elle développe cette argumentation tant au soutien de sa démonstration d’actes de débauchage constitutifs de désorganisation, et donc de concurrence déloyale, qu’au soutien d’une demande d’indemnisation distincte de ce qu’elle qualifie de ‘trouble commercial’.
En effet, il est constant que l’employeur qui participe à la violation, par un salarié, de ses obligations à l’égard de son précédent employeur, commet une faute qui engage sa responsabilité délictuelle à l’égard de cet employeur. Tel est notamment le cas lorsqu’un employeur emploie un salarié sans s’être assuré que ce dernier n’était plus lié à son ancien employeur par aucune obligation, soit au titre d’un délai de préavis, soit au titre d’une clause de non-concurrence.
Dans ce cas, il est également jugé de manière constante qu’il s’infère nécessairement de la participation du nouvel employeur à la violation par le salarié de l’obligation contractuelle souscrite par lui, un préjudice pour le précédent employeur, fût-il seulement moral.
Pour contester toute demande au titre de la violation de clauses de non-concurrence, les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance affirment que ces clauses étaient nulles.
Il convient de rappeler qu’en l’espèce les trois salariés étaient employés par la société Exodis sous le statut de VRP.
L’article 17 de l’accord interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 dispose que ‘l’interdiction contractuelle de concurrence après la rupture du contrat de travail n’est valable que pendant une durée maximale de 2 années à compter de cette rupture et qu’en ce qui concerne les secteurs et catégories de clients que le représentant de commerce était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat ou de la date d’expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable’.
Il est parfaitement constant que le contrat de travail ne peut, à peine de nullité, contenir une clause de non-concurrence dont les dispositions seraient plus contraignantes pour le salarié que celles imposées par l’accord interprofessionnel précité (Soc. 12 octobre 2011, pourvoi n°09-43.155).
Or, en l’espèce, les contrats de MM. [Y] et [X] indiquaient que l’interdiction de concurrence était limitée à 12 mois et qu’elle s’appliquait sur le département de la Guyane.
Néanmoins, les autres dispositions de ces contrats ne précisaient pas quels étaient les secteurs d’activité attribués tant à M. [Y] qu’à M. [X], ces secteurs étant qualifiés de non-exclusifs, et aucune pièce ne permet de les déterminer.
S’agissant de M. [Y], son contrat stipulait en effet, sans autre précision : ‘L’action de terrain personnelle développée par le C.V.G. [chef des ventes Guyane] et celle de son équipe se situent dans le cadre de secteurs définis et non exclusifs. Ceux-ci peuvent être modifiés par la direction générale’.
S’agissant de M. [X], son contrat stipulait : ‘Le champ d’action de l’ingénieur commercial est défini par un secteur, établi par la direction générale. Ce secteur est non exclusif et pourra être modifié par la direction générale. La direction se réserve les appels d’offres, sauf si le commercial a effectivement travaillé sur ce dossier préalablement’.
Par ailleurs, la clause de non-concurrence leur interdisait ‘d’entrer au service d’une entreprise concurrente dont l’activité serait similaire à celle de l’employeur’, soit ‘la vente, la distribution et/ou l’entretien de matériels bureautiques’.
Contrairement aux dispositions de l’accord interprofessionnel précédemment rappelé, cette clause avait une portée générale et n’était pas limitée au démarchage des catégories de clients qu’ils étaient chargés de visiter précédemment, dont la détermination ne ressort ni des termes des contrats de travail produits, ni d’aucune autre pièce.
Dès lors, il apparaît que la clause de non-concurrence à laquelle étaient soumis MM. [Y] et [X], qui s’étendait à tout le territoire de la Guyane et leur interdisait de manière générale de travailler pour toute entreprise ayant une activité similaire à celle de la société Exodis, sans aucune autre restriction quant aux secteurs, aux activités et aux catégories de clients concernés, était plus contraignante que celle prévue par l’accord interprofessionnel. A ce titre, cette clause était nulle et les sociétés intimées ne peuvent donc se voir reprocher d’avoir aidé les salariés à violer une quelconque obligation en découlant.
En ce qui concerne M. [P], l’appelante ne produit pas son contrat de travail. Elle ne produit en pièce 4 de son dossier qu’un résumé de ses conditions d’embauche, qui fait état d’une clause de non’concurrence valable sur le département de la Guadeloupe. Néanmoins, aucun élément ne précisant le secteur d’activité et les catégories de clients que M. [P] devait démarcher, la société Exodis échoue à prouver la régularité de cette clause, et donc à démontrer que les sociétés intimées auraient commis la moindre faute en embauchant M. [P] malgré cette clause de non-concurrence.
En conséquence, aucune demande indemnitaire ne pourra être fondée sur la violation d’une clause de non-concurrence, ni au titre d’une désorganisation constitutive d’une concurrence déloyale, ni au titre d’un trouble commercial.
En revanche, en ce qui concerne le délai de préavis, il a été précédemment indiqué que la société Guyane Solutions Infogérance avait embauché M. [P] afin qu’il travaille pour le compte de la société Imagio, alors que son préavis n’était pas terminé.
Ces deux sociétés, qui ont agi de façon concertée afin de débaucher M. [P] et de le faire travailler pour la société Imagio via l’écran procuré par la société Guyane Solutions Infogérance, ont commis une faute en embauchant ce salarié sans s’être assurées que son contrat de travail précédent était arrivé à son terme, alors qu’elles ne pouvaient ignorer qu’un salarié démissionnaire était nécessairement tenu à l’exécution d’un délai de préavis, sauf à en avoir été dispensé, ce qu’elles devaient lui demander de prouver.
La même situation avait déjà concerné M. [X]. En effet, en vertu de l’accord interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975, auquel son contrat de travail le soumettait, son délai de préavis était de trois mois à compter de sa démission, le 1er août 2017. Or, il a été embauché par la société Guyane Solutions Infogérance par contrat du 02 octobre 2017, à compter de la même date, pour travailler en réalité pour la société Imagio.
Dans la mesure où des faits de concurrence déloyale liés à l’embauche de ces deux salariés ont d’ores et déjà été retenus, les fautes ainsi commises pourront donner lieu à une indemnisation distincte de celle découlant de la concurrence déloyale, ainsi que cela a été précédemment rappelé.
Cette indemnisation pourra être mise à la charge de la société Imagio et de la société Guyane Solutions Infogérance, qui ont agi de concert en ce qui concerne la faute commise lors de l’embauche de M. [P], et à l’égard de la seule société Imagio en ce qui concerne la faute commise à l’occasion de l’embauche de M. [X], puisque la société Guyane Solutions Infogérance ne disposait d’aucune personnalité morale à la date de ces faits et que sa responsabilité ne peut donc être mise en cause.
***
Au-delà de ces faits, qui concernaient des salariés directement employés par la société Exodis, l’appelante reproche à la société Imagio d’avoir débauché le salarié d’une entreprise de son groupe à la fin de l’année 2017, au moment où MM. [Y] et [X] étaient embauchés par la société Guyane Solutions Infogérance, afin de lui permettre de récupérer le contrat Serco.
Il ressort des pièces produites que, le 12 décembre 2017, M. [M] a démissionné, sans fournir d’explication, du poste de technico-commercial responsable de secteur qu’il exerçait depuis le 30 novembre 2015 pour la société Copytech en Guyane, société du groupe auquel appartient la société Exodis. Il a expressément demandé à être dispensé d’effectuer son préavis de deux mois, afin que son départ soit effectif dès le 29 décembre 2017, ce que son employeur a refusé.
Il est établi que M. [M] a travaillé pour la société Imagio suite à sa démission.
Si les intimées disent qu’il est entré au service de la société Imagio ‘en 2018″, sans plus de précision, plusieurs éléments démontrent que cette embauche est intervenue au tout début de l’année 2018, peu de temps après sa démission.
En effet, il est établi à la lecture du rapport d’un agent de recherches privées mandaté par la société Exodis que, le 19 février 2018, M. [M] s’est rendu sur le site du centre spatial guyanais, alors qu’il bénéficiait à l’évidence d’un badge. Or, dans un courriel du 22 mars 2018, dont les termes n’ont jamais été contestés, le dirigeant de la société Exodis reprochait à la société Serco d’avoir délivré un badge du centre spatial à M. [M] début janvier 2018 afin qu’il intervienne sur le parc Ricoh pour le compte d’Imagio, alors qu’il venait de démissionner et n’avait pas effectué son préavis (pièce 22m).
Par ailleurs, il ressort d’un courriel de la société Copytech du 17 décembre 2017, que, dans le cadre de son emploi pour cette société, M. [M] travaillait déjà pour la société Serco, que son employeur qualifiait de ‘bon client’.
Or la société Imagio avait remporté à la fin de l’année 2017 le marché jusque-là détenu par la société Exodis avec la société Serco, destinée au fonctionnement du centre spatial, qu’elle devait assurer à partir du tout début du mois de janvier 2018.
Cependant, dans la mesure où M. [M] n’était pas un salarié de la société Exodis, son débauchage par la société Imagio n’a pas pu directement désorganiser la société appelante et ne saurait donc constituer à son égard un acte de concurrence déloyale.
Ces agissements ne peuvent pas non plus être qualifiés de parasitisme dans la mesure où la société Imagio n’a pas profité des efforts et du savoir-faire de la société Exodis, puisque M. [M] n’était pas le salarié de cette dernière.
En revanche, les agissements de la société Imagio, qui n’a pas hésité à embaucher très rapidement M. [M], alors qu’il n’avait pas encore terminé sa période de préavis, afin de le faire travailler dans le cadre du contrat qu’elle venait de remporter le 19 décembre 2017 avec la société Serco au détriment de la société Exodis, assurant ainsi à la société Serco une continuité dans le service proposé jusque-là par les sociétés Exodis et Copytech, sociétés du même groupe, attestent de la volonté de la société Imagio de constituer rapidement, dès la fin de l’année 2017, une équipe capable de travailler pour la société Serco. Cette analyse, mise en perspective avec le débauchage de MM. [Y] et [X], tend dès lors à prouver que son objectif, en procédant à ces débauchages, était bien de récupérer le marché Serco, jusque-là détenu par la société Exodis.
***
Au terme de cette analyse, il est établi :
– que la société Imagio s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale en débauchant MM. [Y], [X] et [P], avec la complicité de la société Guyane Solutions Infogérance s’agissant du dernier salarié, par l’emploi de manoeuvres déloyales ayant consisté à les faire embaucher très rapidement après leurs démissions, parfois avant l’expiration de leurs délais de préavis, par la société Guyane Solutions Infogérance, société créée peu après la démission de MM. [Y] et [X] par M. [T], ancien salarié de la société Exodis et gérant de la société Imagio, dans le but de leur permettre de travailler pour la société Imagio, concurrent direct de la société Exodis, sans que cette dernière n’apparaisse officiellement en qualité d’employeur, ces débauchages ayant désorganisé la société Exodis puisqu’elle lui a fait perdre plusieurs cadres commerciaux de premier plan, dont les deux principaux cadres de son agence de Guyane, quelques mois seulement avant la renégociation du contrat avec la société Serco,
– que la société Guyane Solutions Infogérance et la société Imagio se sont également rendues coupables d’une faute en embauchant M. [P] alors qu’il n’avait pas terminé sa période de préavis, sans procéder aux vérifications nécessaires alors qu’il leur appartenait de vérifier qu’il était bien libre de tout engagement envers son ancien employeur,
– que la société Imagio s’est rendue coupable d’une faute identique s’agissant de M. [X], en le faisant recruter par la société Guyane Solutions Infogérance avant le terme de son préavis, la responsabilité de cette dernière ne pouvant être retenue puisqu’à l’époque de ces faits, elle n’était pas immatriculée.
Sur les faits de parasitisme :
La société Exodis reproche aux intimées d’avoir bénéficié et exploité les connaissances et informations acquises par les salariés débauchés, dans le but de récupérer la clientèle sans effort, ni investissement commercial.
Il convient de rappeler que le parasitisme peut se définir comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de profiter indûment, et le plus souvent sans frais, de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements.
Or, en l’espèce, la société Exodis ne prouve pas que la société Imagio se serait contentée de se placer dans son sillage puisqu’elle a d’abord débauché ses salariés, ce qui a généré un coup financier, puis les a intégrés au sein d’une structure afin qu’ils puissent travailler pour elle, par l’intermédiaire d’une société écran.
En conséquence, la preuve des faits de parasitisme allégués n’est pas suffisamment rapportée, les agissements précités devant être sanctionnés au titre de la concurrence déloyale par désorganisation.
Sur la réparation du préjudice subi :
Conformément aux règles de la responsabilité civile, la faute doit avoir causé un préjudice dont la victime peut demander réparation.
De manière constante, il est jugé en matière de concurrence déloyale qu’il s’infère nécessairement des actes déloyaux l’existence d’un préjudice résultant des procédés fautifs utilisés.
Néanmoins, il appartient à la victime des actes de concurrence déloyale de démontrer l’étendue de son préjudice et, à défaut de le faire, elle peut être déboutée de sa demande d’indemnisation.
A ce titre, la société Exodis se prévaut de plusieurs préjudices :
– une perte de clientèle qui s’est matérialisée par :
– la résiliation anticipée de contrats de maintenance du matériel,
– la non-reconduction des contrats de location et de matériel d’une durée de 60 mois,
– la non reconduction du matériel acheté chez elle, qui faisait l’objet des contrats de maintenance résiliés ou non renouvelés,
– la perte du contrat Serco,
– un trouble commercial lié à la participation des intimées à la violation de clauses de non concurrence.
Sur la perte de clientèle :
Il n’est pas démontré que les faits de débauchage de MM. [Y] et [X], qui travaillaient exclusivement en Guyane, auraient pu avoir le moindre lien de causalité avec la perte de clientèle alléguée en Guadeloupe et en Martinique. Seule la perte du contrat Serco pourrait être imputable à ces faits.
En ce qui concerne le débauchage de M. [P], qui travaillait exclusivement en Guadeloupe, il n’est pas davantage démontré qu’il aurait pu avoir le moindre lien de causalité avec la perte de clientèle alléguée en Martinique ou avec la perte du contrat Serco en Guyane, étant précisé que ce contrat a été perdu fin décembre 2017, alors que M. [P] a été débauché en mai 2018.
Or, toutes les décisions de résiliation ou de non-renouvellement de contrats en Guadeloupe, que la société Exodis rattache aux faits de concurrence déloyale commis par les intimées, sont antérieurs au mois de mai 2018, à l’exception de la résiliation du contrat de location de matériel et du contrat de maintenance associé par l’Agence Molinard, qui est intervenue par courrier du 27 juillet 2018.
Cependant, dans la mesure où la lecture du courrier de résiliation produit en pièce 20 du dossier de l’appelante permet de constater que la décision de ce client n’était pas motivée, aucun élément ne permet de démontrer, ou même de laisser penser, qu’elle serait liée aux faits de concurrence déloyale découlant du débauchage de M. [P] commis par les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance, et non au jeu normal de la concurrence.
Toute demande au titre de la perte de clientèle en Martinique et en Guadeloupe sera donc écartée.
Sur la perte du contrat Serco :
La société Exodis indique qu’elle est la conséquence du débauchage de MM. [Y] et [X], qui n’est imputable qu’à la société Imagio.
Il est parfaitement établi que, le 14 décembre 2017, la société Serco a fait part oralement à la société Exodis de sa décision de ne pas renouveler le contrat qui les liaient depuis cinq ans et de confier ce marché à la société Imagio.
Cette décision a été confirmée par un courrier recommandé du 19 décembre 2017, qui précisait que cette décision était motivée par l’absence de réponse rapide de la part de la société Exodis à l’appel d’offre lancé courant novembre 2017.
Il ressort des échanges de courriels que la société Exodis a répondu à cet appel d’offre le 13 décembre 2017.
À aucun moment, entre le 13 et le 14 décembre, la société Serco ne s’est prévalue d’un retard dans la réponse de la société Exodis pour justifier sa décision de traiter à l’avenir avec la société Imagio.
D’ailleurs, les renouvellements antérieurs avaient toujours eu lieu le 02 janvier, de telle sorte que les propos du dirigeant de la société Exodis n’ont pas été contredits lorsqu’il a indiqué, dans son courrier du 22 décembre 2017 adressé à la société Serco, que ‘chaque année, nous avons renouvelé le contrat en janvier, après les fêtes, quand il y a moins d’urgence à gérer’.
Au contraire, dans un courriel du 30 novembre 2017, la société Serco qualifiait la société Exodis de ‘sous-traitant actuel et futur’, ce qui attestait d’une volonté de continuer à travailler avec elle.
Cette volonté affichée ressort également du courriel adressé le 13 décembre 2017 par le dirigeant de la société Exodis à la société Serco, dans lequel il lui indiquait ‘nous avons pris en compte votre demande de prorogation de la maintenance sur les mpc2800″, ce qui atteste de discussions antérieures en ce sens.
L’argument tiré du retard dans la réponse apparaît dès lors fallacieux.
La décision de la société Serco de rompre ses relations contractuelles avec la société Exodis au profit de la société Imagio apparaît d’autant plus surprenante qu’il n’est pas contesté que l’offre de la société Exodis était mieux disante.
Dans ces conditions, elle ne peut s’expliquer que par une intervention de la société Imagio.
Or, en recrutant, soit en direct, soit via la société Guyane Solutions Infogérance, MM. [Y], [X] et [M], ce dernier ayant travaillé pour la société Serco avant sa démission le 12 décembre 2017, puis à nouveau dès le début du mois de janvier 2018, la société Imagio était en mesure d’assurer à la société Serco qu’elle continuerait de disposer de la même qualité de service que ce qu’elle connaissait jusque-là avec Exodis et la société Copytech, qui appartenait au même groupe.
Dans ces conditions, les actes de concurrence déloyale dont s’est rendue coupable la société Imagio, et elle seule puisque la société Guyane Solutions Infogérance n’était pas encore immatriculée au moment du débauchage de MM. [Y] et [X], ont eu un lien de causalité avec la perte du marché Serco par la société Exodis.
Cependant, le renouvellement d’un contrat n’est jamais acquis et, jusqu’au dernier moment, le client reste libre d’y renoncer. Les chances de renouvellement seront donc retenues à hauteur de 50%.
Dès lors, s’il est établi qu’en raison des agissements de la société Imagio, la société Exodis a perdu une chance de bénéficier de la marge brute attachée à ce marché, évaluée par son expert comptable à la somme totale de 208.382 euros, et non 218.382 euros comme elle l’indique par erreur dans ses conclusions, son préjudice doit être fixé à la moitié de cette somme, soit 104.191 euros.
En conséquence, la société Imagio sera condamnée à payer cette somme à la société Exodis en réparation de son préjudice.
Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts à compter du 05 août 2022, date du jugement réformé.
Sur la demande formée au titre du ‘trouble commercial’:
La société Exodis la motive par le fait que les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance se seraient rendues coupables de la violation de l’obligation de non-concurrence imposée aux salariés débauchés.
Pourtant, ainsi que cela a été précédemment indiqué, ces sociétés ne se sont rendues coupables, ensemble ou non, que de la violation du délai de préavis imposé à MM. [P] et [X], et non de la violation de clauses de non-concurrence.
Même si ces faits ont nécessairement généré un préjudice, fût-il seulement moral, la cour ne peut allouer aucune indemnisation à ce titre à la société Exodis dès lors qu’elle ne chiffre pas, ni même n’évoque, le préjudice découlant spécifiquement de ces faits.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de toute demande au titre d’un trouble commercial.
Sur la demande reconventionnelle formée à l’encontre de la société Exodis:
Dans le cadre de leur appel incident, les sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il les a déboutées de leur demande de dommages-intérêts au titre de l’abus du droit d’ester en justice, du dénigrement et du préjudice moral occasionné par la présente action.
Cependant, la cour ayant partiellement fait droit aux demandes de la société Exodis, aucune des fautes alléguées par les sociétés intimées ne saurait être retenue à son encontre.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
Sur la publication du jugement :
Compte tenu de l’ancienneté des faits reprochés aux sociétés Imagio et Guyane Solutions Infogérance, de leur caractère limité dans le temps et de l’absence de tout impact pour le grand public, il n’y a pas lieu d’ordonner la publication du présent arrêt.
Par ailleurs, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes formées à ce titre en première instance.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Or, en l’espèce, il convient de rappeler que la société Exodis, dans le dispositif de ses conclusions, a expressément demandé à la cour ‘ d’infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a :
– débouté la SARL Imagio et la SASU Guyane Solutions Infogérance de leur demande reconventionnelle tendant à être indemnisées des conséquences d’un abus de droit, d’un dénigrement et d’un préjudice moral,
– condamné la SA Exodis à payer à la SARL Imagio et à la SASU Guyane Solutions Infogérance la somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SA Exodis, succombant à l’instance, à devoir supporter les dépens’.
En conséquence, la cour ne peut que confirmer les dispositions du jugement déféré s’agissant des frais irrépétibles et des dépens de première instance.
En revanche, dans la mesure où la société Imagio succombe essentiellement en cause d’appel, il convient de la condamner aux entiers dépens de la présente instance.
Par ailleurs, l’équité commande de la condamner à payer à la société Exodis la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel, et de la débouter de leur propre demande à ce titre, tout comme la société Guyane Solutions Infogérance, même si aucune condamnation n’est prononcée à son encontre pour des raisons de pur droit.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l’appel interjeté par la S.A. Exodis,
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– déclaré irrecevable, car prescrite, l’action en concurrence déloyale de la société Exodis dirigée contre la société Imagio,
– débouté la société Exodis de sa demande tendant à obtenir la condamnation de la société Guyane Solutions Infogérance, solidairement avec la société Imagio, au paiement de la somme principale de 218.382 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare recevable l’action formée par la S.A. Exodis à l’encontre de la SARL Imagio et de la SASU Guyane Solutions Infogérance,
Condamne la SARL Imagio à payer à la S.A. Exodis la somme de 104.191 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, outre intérêts au taux légal à compter du 05 août 2022,
Déboute la S.A. Exodis du surplus de ses demandes indemnitaires,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes de publication du présent arrêt,
Condamne la SARL Imagio à payer à la S.A. Exodis la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel,
Déboute la SARL Imagio et la SASU Guyane Solutions Infogérance de leurs propres demandes à ce titre,
Condamne la SARL Imagio aux entiers dépens de l’instance d’appel.
Et ont signé,
La greffière, Le conseiller,
P/ Le président empêché
(Article 456 du C.P.C)