Indemnité d’éviction : 9 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02110

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Indemnité d’éviction : 9 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02110

9 novembre 2022
Cour d’appel de Versailles
RG
20/02110

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 9 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/02110

N° Portalis DBV3-V-B7E-UCJZ

AFFAIRE :

[E] [C] [S]

C/

SAS DEODIS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 août 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 18/00310

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julien ESTRADE

Me Stéphanie ARENA

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [E] [C] [S]

né le 22 janvier 1976 à Casablanca (Maroc)

de nationalité française

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Julien ESTRADE de la SELARL ESTRADE, AZAD & HARUTYUNYAN, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1856

APPELANT

****************

SAS DEODIS

CNIT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 et Me Eric COHEN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1958

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [K], devenu M. [S] suite à un changement de son nom, a été engagé par la société Déodis en qualité de consultant, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 10 février 2014.

Cette société de conseil est spécialisée dans la transformation IT de Grands Comptes et dispense des formations informatiques. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective dite Syntec.

Par lettre du 31 janvier 2016, M. [S] a dénoncé à M. [B] [D], directeur général, des faits de harcèlement moral de la part de Mme [L], sa supérieure hiérarchique.

Du 11 au 19 février 2016, M. [S] a été en arrêt de travail.

Par lettre du 7 mars 2016, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 14 mars 2016.

M. [S] a sollicité et obtenu un différé de l’entretien préalable au 24 mars 2016.

M. [S] a été licencié par lettre du 1er avril 2016 pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants :

« Nous faisons suite à la convocation à un entretien préalable qui s’est tenu le jeudi 24 mars 2016, en présence de Monsieur [W] qui vous assistait et de Madame [X] [P].

Le 7 mars 2016, vous deviez présenter vos travaux concernant l’offre Big Data. Vous avez catégoriquement refusé, sans apporter la moindre explication et refusant de quitter votre poste, pourtant situé à moins de 10 mètres de la salle de réunion où vous étiez attendu.

L’intervention de Monsieur [D], Directeur général, aura été nécessaire pour que vous acceptiez enfin de vous lever pour vous entretenir avec lui dans son bureau. Non sans avoir préalablement haussé le ton dans l’open space afin de « dénoncer » ce que vous considérez être une « mascarade ».

Malheureusement, vous n’avez pas été plus loquace avec Monsieur [D], vous bornant à indiquer qu’il aurait des nouvelles de votre avocat. Alors que vous sortiez de son bureau et qu’il retournait dans la salle de réunion où on l’attendait, vous vous êtes emporté, vociférant « vous allez le payer très cher ! ».

Cette situation est d’autant plus incompréhensible que vous étiez à l’initiative de ce travail.

En effet, vous avez proposé le 26 janvier 2016 à votre manager, Madame [L] de travailler sur un projet relatif au « Big Data’ afin de « permettre aux commerciaux de porter et valoriser cette offre de services chez nos clients ». Elle a accepté votre proposition et a libéré du temps en conséquence.

Une première présentation de vos travaux a été réalisée le 8 février 2016 lors de la réunion du Comité de Direction. Il vous a cependant été demandé de retravailler certains aspects qui demeuraient très théoriques et de présenter une version plus aboutie le 7 mars 2016.

Cette échéance vous a été confirmée par Monsieur [D] le 19 février 2016. Lorsque le 7 mars 2016, Madame [L] vous demande de rejoindre la salle de réunion pour effectuer votre présentation, vous lui répondez : « Non, je n’ai rien fait » – ce qui l’a menée à vous demander de venir le signifier vous même.

Vous tentez d’atténuer votre position lors de notre entretien, prétendant désormais que vos travaux n’étaient pas finalisés.

Dans tous les cas, aviez vous prévenu quiconque de ce fait préalablement à la réunion ‘ Aucunement.

Au contraire, vous avez délibérément attendu qu’on vienne vous chercher pour refuser de restituer vos travaux et vous opposer, de manière véhémente, à votre hiérarchie.

Lors de notre entretien, vous imputez le temps qui vous a fait défaut à notre demande de construire un projet de réponse à l’appel d’offres de la Banque de France.

Votre affirmation est incompatible avec la réalité du calendrier : ce projet Banque de France ne vous a été confié qu’à compter du 23 février 2016. Vous déclarez vous-même, dans votre compte rendu d’activité, avoir travaillé 10 jours en février sur votre présentation Big Data.

Votre nouvelle présentation des faits est donc démentie par vos propres écrits.

Notre entreprise vous a dégagé le temps nécessaire pour apporter les précisions opérationnelles et modifications mineures à votre première présentation du 8 février 2016. Et même plus de temps que vous n’en aviez eu entre le 26 janvier 2016 et le 8 février 2016 pour structurer et rédiger votre dossier.

Nous nous interrogeons donc légitimement sur ce que vous avez fait durant cette période.

Malheureusement, nous n’étions pas au bout de nos déconvenues.

En effet, après quatre jours passés sur le dossier Banque de France, vous remettez le 26 février 2016 un document de 5 pages ne reprenant que de vagues généralités. Monsieur [G] vous rappelle ses attendus et vous demande, notamment, de lui adresser la liste des livrables telle qu’elle ressort de cet appel d’offres.

Il aura été nécessaire qu’il vous relance le 2 mars 2016 ‘ soit 3 jours ouvrés supplémentaires consacrés à ce projet ‘ pour que vous lui adressiez un document dénommé « Cahier des charges fonctionnelle, livrables et conditions de réponse » contenant trois tableaux : le premier, chiffrant les ressources et charges envisagées, le second listant les vingt-et-un livrables attendus ainsi que vos commentaires, le dernier n’étant que la reproduction de la grille d’analyse fournie par la Banque de France.

Lorsque au cours de notre entretien, je déplore que le temps passé soit manifestement disproportionné par rapport à la quantité et la qualité des documents produits, vous m’affirmez, tour à tour que :

– vous n’avez pas eu le temps de produire ce qui était attendu car vous travailliez également sur votre présentation Big Data.

Or, vous avez usé du même argument (vous consacrer entièrement à la réponse à l’appel d’offres Banque de France) pour expliquer avoir manqué de temps pour finaliser votre présentation. Vous contredisant vous-même, vous affirmez désormais l’inverse.

Comme nous l’avons vu, votre projet compte rendu d’activité présente un décompte précis du temps passé sur ce projet.

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que vous maniez le paradoxe pour tenter de justifier vos défaillances : vous aviez déjà invoqué des raisons similaires pour expliquer l’absence de préparation des CAB dans le cadre du projet ENGIE. Ceci étant, nous ne pouvons que déplorer la disproportion entre le temps passé et le travail fourni.

– Les tâches que nous vous avons demandées étaient incompatibles avec le délai imparti. A preuve, selon vous, votre évaluation de la charge nécessaire pour finaliser la réponse à 21 jours-homme.

Nous contestons cet argument spécieux. Les 21 jours-homme ne correspondent pas à la charge nécessaire pour effectuer le travail demandé mais englobent la mise en ‘uvre du projet. Or cette dernière ne saurait intervenir que si le marché nous était attribué.

Par exemple : installer « l’environnement disposant d’Exchange et de Lync 2010 ainsi que de Share point 2013 (version serveurs et clients) » ou « installer des versions d’évaluation des solutions d’intégration dans l’environnement de test ».

Notre demande était simplement :

(De recenser) la liste des livrables à remplir pour l’appel d’offres

(D’établir) le planning des livraisons de ces livrables par tes soins pour respecter la date de réponse du mardi 8 mars à 18h (prévoir l’envoi 2 h avant l’horaire limite)

(de) trouver des alternatives à la solution Dell que tu proposes.

Vous disposiez jusqu’au 8 mars pour faire.

– Enfin, l’argument ultime, selon vous : cette demande n’était qu’un moyen « de me mettre en défaut » fomenté par votre hiérarchie pour vous « décrédibiliser ». Et dénoncer le »projet bidon » confié, ayant « finalement pu mettre en évidence que cet appel d’offres n’était plus à l’ordre du jour puisque la limite pour le rendre était le 28 janvier ».

Cet appel d’offres s’est révélé infructueux ; il s’agit d’un fait.

Vous a-t-on caché cette information ‘ Non. Elle est publique.

A-t-on prétendu le contraire ‘ Pas plus.

Avez-vous seulement interrogé votre encadrement ou Monsieur [G] à ce sujet ‘ Nullement.

A aucun moment, (et même encore lors de notre entretien) vous n’avez songé, un seul instant, que notre entreprise bien que n’ayant pas répondu à l’appel d’offre initial, puisse se préparer, seule, ou dans le cadre d’un partenariat, à une nouvelle consultation. Ni même que le travail préparatoire qui vous était confié devait justement permettre à notre entreprise de décider de se positionner, ou non, sur ce marché public.

Vous étiez à ce point aveuglé par ce que vous pensiez être la clé dénouant le prétendu complot dont vous seriez la victime que vous n’avez pas même produit le reste des documents demandés.

L’appel d’offres a été, à nouveau, émis par la Banque de France le 7 mars 2016 à 12h21 avec une date limite de candidature fixées au 8 avril 2016.

Malheureusement, cela devient une habitude chez vous de ne pas exécuter le travail demandé en prétextant qu’il est inutile. Par exemple : « [M] me demande de travailler sur des projets bidons » prétendant qu’elle vous a demandé de « travailler sur des présentations qu’elle savait inutiles puisqu’elle avait elle-même échoué aux appels d’offres correspondant ».

« C’est étonnant, qu’avec la charge de travail qu’elle prétend avoir, elle ait autant de temps à consacrer à ses tâches sans objectifs qu’elle me demande de travailler dessus et qu’elle provoque autant de réunions autour de ces sujets ».

Tout ceci n’est pas sérieux.

Qu’elle qu’en soient les raisons, et a fortiori lorsque vos motivations sont totalement saugrenues, votre remise en cause permanent des directives de votre hiérarchie et intolérable.

Elle ne justifie, en aucun cas que vous ne réalisiez pas le travail que nous vous demandons accentuant nos interrogations quant à l’utilisation de votre temps de travail. Vous ne pouvez impunément, rejeter sur des éléments extérieurs, ou sur votre entourage professionnel les responsabilités qui sont les vôtres.

Malheureusement, votre dilettantisme et votre déni de réalité a déjà conduit le client ENGIE à interrompre très précocement votre mission. A l’époque, nous avions attiré votre attention sur la nécessité de vous ressaisir. Il n’en a rien été. L’ensemble de ces éléments justifie votre licenciement. »

M. [S] a été dispensé de l’exécution du préavis, lequel lui a été payé.

Le 12 février 2018, M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de voir reconnaître le harcèlement moral dont il a été victime rendant nul son licenciement et d’obtenir sa réintégration.

Par jugement du 20 août 2020, le conseil de prud’hommes de Nanterre a:

– dit que le licenciement de M. [S] n’est pas nul,

– dit que le licenciement pour cause réelle et sérieuse est justifié,

– débouté M. [S] de toutes demandes qui en découlent,

reconventionnellement,

– condamné M. [S] à payer à la société Déodis la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 29 septembre 2020, M. [S] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 13 septembre 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [S] demande à la cour de :

– le dire recevable et bien fondé en toutes ses prétentions,

en conséquence,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 20 août 2020 en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau, de :

à titre principal,

– dire qu’il a été victime de faits de harcèlement moral,

– prononcer en conséquence la nullité du licenciement,

– condamner la société Déodis au paiement de la somme de 162 030 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul,

– condamner la société Déodis à lui verser la somme de 24 284 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,

à titre subsidiaire,

– dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Déodis à l’ indemniser de son entier préjudice égal à la somme de 162 030 euros,

– condamner la société Déodis à lui verser la somme de 24 284 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,

en tout état de cause,

– condamner la société Déodis à lui verser les sommes de:

. 30 000 euros au titre du préjudice moral subi,

. 7 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Déodis demande à la cour de :

– déclarer irrecevable la demande nouvelle de M. [S] tendant à obtenir des dommages-intérêts au titre de la prétendue nullité de son licenciement,

– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

en conséquence,

– débouter M. [S] de l’intégralité de ses demandes,

y ajoutant,

– condamner M. [S] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la demande nouvelle

Il ressort de l’article 564 du code de procédure civile qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’employeur fait valoir que le salarié présente une demande nouvelle tendant à obtenir des dommages-intérêts au titre de la ‘prétendue nullité du licenciement’ dans son dispositif, sans présenter d’argument au fond. Toutefois, la comparaison entre les demandes formées devant les premiers juges et devant la présente juridiction conduit à retenir que le salarié n’a pas formé de demande nouvelle.

Dès lors, il convient de rejeter la fin de non- recevoir de l’employeur tirée de l’irrecevabilité de la demande de nullité du licenciement.

Sur la rupture

Le salarié expose avoir été victime d’actes de harcèlement, répétés, allant jusqu’à l’insulte et qui se sont intensifiés, de la part de plusieurs personnes, sous une forme concertée, sans qu’aucune aide ne lui soit apportée en dépit de ses nombreux signalements, et ce pour le pousser à la faute ou à la démission.

Le salarié affirme que les premiers juges ont fait une lecture ‘unidimensionnelle’ du dossier d’une part en ne prenant en considération que les relations entre M. [S] et Mme [L], en occultant la concertation intervenue entre cette dernière, M. [D], le directeur général et M. [G], le directeur des ressources humaines, s’agissant d’éléments postérieurs au premier signalement et en effectuant une lecture partielle du dossier et, d’autre part, en retenant des éléments en sa défaveur, allant même jusqu’à inventer des éléments de toute pièce afin de justifier la rupture.

L’employeur conteste avoir licencié le salarié à titre de mesure de représailles pour avoir dénoncé un ‘ prétendu harcèlement moral’ , réfute toute mesure de rétorsion. et considère démontrer le bien-fondé des griefs justifiant le licenciement.

* * *

Sur le harcèlement moral

L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du code du travail lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L. 1152-1 du même code, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il revient donc au salarié d’établir la matérialité de faits, à charge pour le juge d’apprécier si ces éléments, pris en leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Dans la négative, le harcèlement moral ne peut être reconnu. Dans l’affirmative, il revient à l’employeur de prouver que ces éléments ne constituent pas un harcèlement.

Au cas présent, la mission qui avait été confiée au salarié en avril 2015 chez ENGIE s’est achevée le 6 novembre 2015 quand ce client a sollicité l’affectation d’un autre ingénieur de la société Déodis, reprochant à M. [S] des difficultés en langue anglaise, une animation de réunion insatisfaisante et une réactivité professionnelle non suffisamment adaptée à l’environnement de GDF SUEZ, lui recommandant d’ailleurs un poste ‘avec une fréquence de charge moins élevée’.

M. [S] s’est ainsi trouvé en fin d’année 2015 en situation d’inter-mission et a exercé ses fonctions au siège de la société Déodis, Mme [L] étant sa responsable hiérarchique directe.

Dans ce contexte, le salarié évoque des faits de harcèlement moral qui se sont déroulés en deux temps et l’ont conduit à effectuer deux signalements à M. [D], directeur général,le 31 janvier 2016, puis les 2 et 4 mars 2016.

. Sur les faits survenus avant le 1er signalement du 31 janvier 2016

Dans une très longue lettre du 31 janvier 2016, le salarié demande à M. [D] son intervention pour faire cesser les agissements de Mme [L] qui lui fait subir ‘depuis plusieurs mois un pillonage psychologique …qui frôle le harcèlement’ sous la forme ‘d’attaques systématiques’ de son travail et de ses compétences.

Si le salarié reproche à Mme [L] de lui faire porter la responsabilité du non- renouvellement des missions chez Engie, de lui attribuer des tâches en dehors de son champ de responsabilité et de ‘rabaisser’ son travail, il n’apporte aucune pièce au dossier pour en justifier. Le courriel de Mme [L] du 16 novembre 2015 se borne à reprendre de manière objective et sans formuler de reproches les griefs faits par la société ENGIE à M. [S], dont il résulte, que contrairement à ce qu’il soutient, la mission s’est achevée pour des raisons structurelles.

Le salarié n’établit pas davantage que Mme [L] a adopté une attitude dénigrante et scandaleuse lors de leurs entretiens, la retranscription unilatérale par le salarié d’une rencontre le 22 janvier 2016 constituant un document dépourvu de force probante.

La circonstance que Mme [L] interroge plusieurs salariés le 18 janvier 2016, dont M. [S], pour rédiger la fiche de référence sur leurs dernières missions et qu’elle lui confie la mission d’effectuer une présentation de la ‘ gestion des actifs IT’ ne démontre pas le souhait de le voir quitter la société.

Les échanges de mails entre Mme [L] et M. [S] sont cordiaux, le ton employé par Mme [L] s’agissant des demandes de nature professionnelle adressées au salarié est respectueux et les demandes sont formées les unes après les autres, sans excès.

Le salarié conclut dans la lettre du 31 janvier 2016 que Mme [L] rencontre des problèmes psychologiques qui la conduisent ‘à s’acharner’ sur lui, ce dont il ne justifie également pas et il demande à M. [D] de ne plus ‘rapporter’ à Mme [L], l’employeur accédant à la demande du salarié dès réception de cette lettre.

Dès lors, la lettre dénonçant le harcèlement et la transcription de l’entretien du 22 janvier 2016 n’établissent pas les faits invoqués par le salarié, qui ne communique aucun autre élément.

Le comportement inacceptable de Mme [L], relevant de l’intidimation, du rabaissement et sa volonté affichée de le voir quitter l’entreprise ne sont donc pas établis.

. Sur les faits survenus après le 31 janvier 2016

Le salarié reproche d’autres faits de harcèlement survenus après sa première lettre de dénonciation impliquant notamment M. [G], le directeur des ressources humaines.

Le salarié indique d’abord avoir été ‘de plus en plus isolé’, sans définir cet isolement sauf à indiquer que deux salariés n’ont pas répondu à sa demande de conseil des 29 février et 2 mars 2016. Cette situation, non imputable à l’employeur, ne constitue pas l’isolement allégué. Le fait n’est pas établi.

Le salarié n’établit pas avoir une humiliation publique par M. [G] lors de sa présentation le 8 février 2016, dépourvue d’offre de preuve.

Plus généralement, le salarié critique la désignation de M. [G], son nouveau supérieur hiérarchique, en ce qu’il l’a ‘ staffé’et ‘fliqué’, étant rappelé qu’il a demandé la désignation d’un nouveau manager le 31 janvier 2016 en remplacement de Mme [L].

Le courriel de M. [D] le 24 février 2016 à M. [S] lui indiquant de ne pas effectuer des impressions de documents personnels ne s’apparente pas à une surveillance du salarié mais à un rappel de la réglementation de l’entreprise.

M. [S] communique les mails de M. [G] dont le nombre et le contenu ne caractérisent pas un contrôle excessif du travail du salarié.

Enfin, le salarié communique le mail de M. [G] adressé à M. [D] le 24 février 2016 alors qu’ils échangeaiant des messages à propos de l’impression de documents personnels par M. [S]. Ce mail entre M. [G] et M. [D] a été adressé par erreur à M. [S] et il y est indiqué : ‘Bonjour [B] ( M. [D]) , j’adore quand cet imbécile ( M. [S] ) te fait porter le chapeau !’

Les faits reprochés à M. [G] ne sont établis que du chef du courriel précité.

S’agissant ensuite de la surcharge de travail, également invoquée, la cour relève que les missions confiées au salarié ont reçu son agrément, ont été planifiées à l’avance avec lui, une des missions ayant même été décalée de sorte que le salarié ne justifie pas de l’existence d’une surcharge professionnelle imposée par l’employeur ni de pressions pour effectuer son travail.

S’il n’est pas contesté que la réalisation du travail pour la Banque de France n’avait pas pour objectif de répondre à un appel d’offre à très court terme, l’employeur pouvait confier ce projet au salarié puis le dessaisir du dossier s’il estimait que le travail n’était pas satisfaisant, sans que cela manifeste de sa part une intention malicieuse ou une tentative de déstabilisation.

En tout état de cause, la chronologie des faits ne démontre pas l’existence d’un stratagème ourdi par l’employeur pour ‘ pousser’ le salarié à l’erreur ou le contraindre à la démission.

Les manoeuvres reprochées à l’employeur ne sont pas établies.

Sur le plan médical, le salarié a été en arrêt de travail du 11 au 19 février 2016.

En définitive, seule est établie l’offense faite indirectement au salarié par M. [G] , ce seul fait n’étant pas de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral susceptible d’avoir eu pour effet une dégradation de l’état de santé ou des conditions de travail du salarié.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté la demande du nullité du licenciement au motif d’un harcèlement moral.

Sur le bien-fondé du licenciement

Le salarié soutient qu’aucune faute n’est véritablement mise en avant par l’employeur et que les motifs du licenciement sont flous. Il ajoute qu’au plus, il est juste coupable d’un retard de livraison de certains travaux, retard imputable en grande partie aux agissements de l’employeur.

L’employeur réplique que le licenciement résulte du fait qu’il a eu à se plaindre sur un long laps de temps du comportement défaillant du salarié dont les manquements sont matériellement avérés, le salarié n’apportant aucune justification de nature à l’exonérer de l’imputabilité des faits qui lui sont reprochés.

* * *

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

En premier lieu, l’employeur ne produit aucun élément établissant que le salarié a eu un comportement outrancier à l’encontre de M. [G].

Le fait également que le salarié a effectué des impressions de documents portant sur sa formation mais dont il pouvait avoir l’usage pour préparer la présentation sur le Big Data n’est pas constitutif d’une faute.

En outre, le salarié a livré dans le temps imparti la présentation de la ‘gestion des actifs IT’.

En revanche, le salarié n’a pas remis sa présentation du projet ‘ big data’, dont la date de délivrance a pourtant été retardée par l’employeur et son supérieur hiérarchique l’a dessaisi de la préparation de la réponse technique de l’appel d’offres de la Banque de France faute d’avoir réalisé ce qui lui avait été demandé.

Néanmois, l’employeur ne justifie pas que la remise différée ou annulée de ces deux projets a eu des conséquences négatives pour l’entreprise, notamment pour l’appel d’offres de la Banque de France, dont la date limite de dépôt n’est pas justifiée.

S’il n’est pas contesté que le salarié n’a pas rendu deux des trois travaux confiés, l’employeur ne rapporte pas la preuve des conséquences d’une telle situation.

Par ailleurs, le compte rendu de l’entretien préalable par le conseiller du salarié fait ressortir que le salarié a considéré que les travaux réclamés étaient difficiles à réaliser et qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps pour les terminer.

Certes, il a été précédemment retenu l’absence de toute surcharge de travail mais comme l’indique à juste titre le conseiller du salarié lors de l’entretien préalable, le salarié a été en difficulté, ‘en déséquilibre’ et il en a alerté sa hiérarchie ‘alertes qui ne se sont pas concrétisées ensuite par des plans d’action’.

Les événements invoqués se sont également déroulés sur un laps de temps très court et le salarié, en période d’ inter-contrat, n’avait pas une réelle visibilité sur son travail, ce qui a pu le déstabiliser, dans un contexte de message offensant ne lui étant pas destiné.

L’employeur ne justifie pas davantage que le salarié a contesté les directives de sa hiérarchie, ce dernier ayant accepté d’effectuer les missions confiées.

En tout état de cause, l’employeur n’établit pas que le salarié a fait part d’une mauvaise volonté ou a fait preuve de dilettantisme pour exécuter ces missions, la teneur des courriels de M. [S] démontrant son intérêt et son investissement pour accomplir le travail demandé.

En conséquence, par voie d’infirmation, il conviendra de dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse 

Le salarié qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement (40 ans), de son ancienneté ( 2 ans), du montant de la rémunération mensuelle qui lui était versée (4 116 euros bruts), de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle et de ce qu’il justifie avoir été inscrit à Pôle Emploi le 27 juillet 2016, perçu des indemnités de chômage puis le RSA jusqu’au mois de décembre 2018 et justifie percevoir un salaire brut de 3 667 euros depuis le 8 novembre 2021, il convient, d’allouer au salarié une somme de 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle il convient de condamner l’employeur, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Une indemnité d’éviction et les congés payés afférents ne pouvant être alloués que si le licenciement est nul et que le salarié demande sa réintégration, ce qui n’est pas ici le cas.

Le salarié, qui ne motive sa demande ni en droit ni en fait, sollicite une indemnité de congés payés au titre d’une’ période d’éviction’ qui ne trouve pas donc pas à s’appliquer, la demande au titre de la nullité du licenciement n’ayant pas été précédemment accueillie. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de cette demande.

En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités.

Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral

Le salarié sollicite la réparation du préjudice moral résultant du harcèlement moral subi.

L’issue du litige conduit à rejeter la demande du salarié et à confirmer le jugement qui l’a débouté de sa demande d’indemnisation à ce titre.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné le salarié au paiement de la somme de 100 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés en première instance et en cause d’appel non compris dans les dépens, qu’il conviendra de fixer à la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE la SAS Déodis de la fin de non -recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande de nullité du licenciement,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a condamné au paiement d’une somme de 100 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la SAS Déodis à verser à M. [S] la somme de 25 000 euros à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts aux taux légal à compter de la présente décision,

ORDONNE d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités,

CONDAMNE la SAS Déodis à verser à M. [S] la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la SAS Déodis aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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