Indemnité d’éviction : 9 juin 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00830

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Indemnité d’éviction : 9 juin 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00830

9 juin 2022
Cour d’appel de Rouen
RG
21/00830

N° RG 21/00830 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IWIG

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 9 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

19/02998

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN du 18 Janvier 2021

APPELANTE :

S.A.S. ARTMANIA

[Adresse 19]

[Localité 31]

représentée et assistée par Me Patrice LEMIEGRE de la SELARL PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

INTIMES :

Madame [W] [L] veuve [L]

née le 15 Novembre 1940 à [Localité 30]

[Adresse 20]

[Localité 2]

Madame [F] [K] divorcée [N]

née le 05 Janvier 1963 à LOS ANGELES

[Adresse 17]

ROYAUME-UNI

Monsieur [R] [K]

né le 27 Septembre 1968 à LOS ANGELES

[Adresse 24]

[Localité 15] ETATS-UNIS

Monsieur [Y] [K]

né le 22 Mai 1970 à LOS ANGELES

[Adresse 32]

[Localité 14] ETATS-UNIS

Monsieur [C] [K]

né le 16 Septembre 1980 à [Localité 26]

[Localité 33]

[Localité 10]

Madame [G] [K]

née le 01 Janvier 1985 à [Localité 26]

[Adresse 27]

[Localité 9]

Madame [Z] [H] épouse [H]

née le 08 Juin 1961 à [Localité 18]

Garos n°1

[Localité 18]

Monsieur [E] [L]

né le 02 Décembre 1963 à [Localité 18]

[Adresse 22]

[Localité 4]

Madame [M] [U] épouse [U]

née le 10 Août 1966 à [Localité 18]

[Adresse 23]

[Localité 5]

Madame [S] [P] épouse [P]

née le 03 Avril 1945 à [Localité 21]

[Adresse 29]

[Localité 8]

Monsieur [V] [P]

né le 18 Août 1967 à [Localité 16]

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 6]

Madame [J] [B] épouse [B]

née le 31 Décembre 1970 à [Localité 26]

[Adresse 3]

[Localité 12]

Monsieur [A] [P]

né le 17 Octobre 1977 à [Localité 26]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Madame [D] [K] veuve [K]

née le 13 Décembre 1946 à [Localité 28]

[Adresse 25]

[Localité 11]

représentés et assistés par Me Frédéric CANTON de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pascal MARTIN-MENARD, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Avril 2022 sans opposition des avocats devant M. MANHES, Conseiller, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame FOUCHER-GROS, Présidente

Madame PICOT-DEMARCQ, Conseillère

M. MANHES, Conseiller

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DEVELET, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 07 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Juin 2022, prorogé au 9 juin 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Rendu publiquement le 9 Juin 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame FOUCHER-GROS, Présidente et par Mme DEVELET, Greffier.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

Les consorts [L]-[O]-[K], tels que désignés en entête du présent arrêt, sont propriétaires de biens situés [Adresse 19]. Ces biens ont été donnés à bail commercial à la SAS Artmania. Les locaux sont composés d’un rez-de-chaussée, d’un étage à usage de bureau et de logement, et d’un bâtiment à usage d’entrepôt et le loyer annuel est de 26.493,60 €

Le bail a été renouvelé par acte du 10 octobre 2006 pour une durée de neuf années ayant commencé à courir le 1er février 2000 pour se terminer le 31 janvier 2009. Il s’est ensuite poursuivi par tacite reconduction.

Par acte extrajudiciaire du 31 mars 2016, les consorts [K], ont fait délivrer à leur locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 30 septembre 2016, proposant un nouveau loyer annuel à hauteur de 87.500 € HT, offre qui a été refusée.

Par acte d’huissier du 2 juin 2017, les bailleurs ont exercé leur droit d’option prévu à l’article L 145-57 du code de commerce en faisant signifier la rétractation de leur offre de renouvellement et leur décision de refuser le renouvellement du bail, informant alors le preneur du délai de deux ans prévu à l’article L 145-9 du code de commerce pour prétendre à une indemnité d’éviction.

Par acte du 30 juillet 2019, les bailleurs ont assigné leur locataire devant le tribunal judiciaire de Rouen afin de voir constater cette dernière occupante sans droit ni titre et ordonner son expulsion.

Par jugement du 18 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Rouen a :

-déclaré irrecevable comme étant prescrite depuis le 7 décembre 2019 la demande en fixation et en paiement de l’indemnité d’éviction formée par la SAS Artmania,

-dit que la SAS Artmania est dès lors occupante sans droit ni titre des locaux situés [Adresse 19],

-dit que faute de meilleur accord la SAS Artmania devra quitter les lieux deux mois après le commandement qui lui aura été signifié,

-ordonné à l’issue de ce délai l’expulsion de la SAS Artmania et de tous occupants de son chef avec l’assistance de la force publique si nécessaire,

-rejeté toute autre demande,

-condamné la SAS Artmania aux dépens.

La SAS Artmania a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 24 février 2021.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 mars 2022.

EXPOSE DES PRETENTIONS :

Vu les conclusions du 17 novembre 2021 de la SAS Artmania qui demande à la cour de :

-infirmer le jugement rendu le 18 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Rouen en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

-débouter les consorts [L], [P] et [K], propriétaires bailleurs de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-recevoir l’action de la SAS Artmania en fixation et en paiement d’une indemnité d’éviction, comme étant non prescrite, et la déclarer bien fondée,

En conséquence,

-à titre principal, condamner les consorts [L], [P] et [K] à verser à la SAS Artmania la somme de 1.124.386 € à titre d’indemnité d’éviction,

-à titre subsidiaire, ordonner une expertise judiciaire aux fins de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction,

En tout état de cause,

-condamner les consorts [L], [P] et [K] à verser à la SAS Artmania la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

La société Artmania soutient que :

*pour déclarer prescrite la demande en fixation et en paiement d’une indemnité d’éviction, le premier juge n’a pas tenu compte de la date de dépôt d’un rapport d’expertise amiable à laquelle les bailleurs ont participé, qui est de nature à interrompre le délai de prescription comme étant une reconnaissance d’un droit du preneur à une indemnité d’éviction,

*les bailleurs n’ont jamais manifesté, dans le cadre de l’expertise, une position contraire au principe du droit du preneur à une indemnité d’éviction,

*le mail de M. [E] [L], co-indivisaire des bailleurs, accusant réception le 19 janvier 2018 de bilans transmis par le locataire à l’expert, ainsi que le mail de la SAS Artmania adressé le 26 janvier 2018 à l’expert, et le dépôt lui-même du rapport d’expertise le 30 janvier 2018 constituent autant d’actes d’interruption de la prescription biennale prévue à l’article L 145-9 du code de commerce,

*un contact téléphonique intervenu en janvier 2021 entre M. [L] et M. [I], gérant de la SAS Artmania, établit que des négociations relatives à l’indemnité d’éviction sont toujours en cours,

*l’indemnité d’éviction doit être chiffrée à mi-chemin entre l’évaluation faite par l’expertise amiable de M. [X] à hauteur de 777.257 € HT et celle réalisée par le locataire à hauteur de 1.471.515 € HT, soit une somme de 1.124.386 € HT, sous réserve d’une expertise judiciaire que la cour jugerait nécessaire d’ordonner.

Vu les conclusions du 15 février 2022 de Mme [W] [K], Mme [Z] [L], M. [E] [L], Mme [M] [L], Mme [S] [K], M. [V] [P], Mme [P], M. [A] [P], Mme [T], Mme [F] [K], M. [R] [K] M. [Y] [K], M. [C] [K] et Mme [G] [K] qui demandent à la cour de :

-confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a considéré que les bailleurs avaient de nouveau reconnu le droit de la SAS Artmania à une indemnité d’éviction le 6 décembre 2017, soit postérieurement à la rétractation de leur offre de renouvellement,

Statuant à nouveau et ajoutant,

-condamner la SAS Artmania à verser aux bailleurs une astreinte de 1.000 € par jour à compter de l’expiration du délai de deux mois suivant la signification du commandement d’avoir à quitter les lieux en cas d’inexécution,

En conséquence,

-débouter la SAS Artmania de l’ensemble de ses demandes formulées à l’encontre des bailleurs.

En tout état de cause,

-condamner la SAS Artmania à verser aux bailleurs la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Les bailleurs exposent que:

*par l’acte d’huissier du 2 juin 2017, le preneur était dûment informé qu’il lui appartenait de saisir la juridiction compétente dans les deux ans pour pouvoir prétendre à une indemnité d’éviction,

*ni les échanges de mails ni le dépôt d’expertise amiable ne sont des actes interruptifs de prescription,

*l’article L 145-59 du code de commerce prévoit que la décision du bailleur de refuser le renouvellement est irrévocable, et qu’ainsi le droit du preneur à une indemnité d’éviction est inhérent à l’acte de rétractation du 2 juin 2017, le preneur ne pouvant ensuite se prévaloir d’une reconnaissance ultérieure pour interrompre la prescription,

*la participation des bailleurs à l’expertise amiable ne vaut pas reconnaissance du droit à indemnisation du preneur, reconnaissance qui d’une part ne peut émaner que du débiteur ou de son mandataire, ce que n’est pas l’expert amiable, et qui d’autre part doit être non équivoque, ce qui ne résulte pas du comportement des bailleurs, ni des mails échangés entre les parties.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à la décision critiquée et aux dernières écritures des parties.

MOTIVATION DE LA DECISION :

Sur la prescription :

Il résulte des dispositions du dernier alinéa de l’article L 145-9 du code de commerce que le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

Il résulte des dispositions de l’article L145-60 du même code que toute action en matière de bail commercial se prescrit par deux ans.

Aux termes de l’article 2240 du code civil: ‘La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.’

Les consorts [L]-[O]-[K] ayant fait délivrer à leur locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 30 septembre 2016 le délai de prescription ouvert à la société locataire pour demander le paiement d’une indemnité d’éviction expirait le 30 septembre 2018.

Par acte du 2 juin 2017, les bailleurs se sont rétractés de leur offre de renouvellement. L’acte ne comprend ni offre ni refus du principe de l’indemnité d’éviction. Il se borne à rappeler au preneur que, s’il pense pouvoir prétendre à une telle indemnité, il doit saisir la juridiction compétente dans le délai de deux années à compter de la délivrance de l’acte. A défaut de refus formel du versement de l’indemnité, le délai de prescription pouvait être interrompue pour une reconnaissance ultérieure.

Par courrier du 6 décembre 2017, le conseil des consorts [L]-[O]-[K] a écrit à celui du preneur : ‘M. [X], expert judiciaire missionné par l’indivision [K]-[L]-[O] pour effectuer une expertise amiable relative à l’indemnité d’éviction de la société Artmania se rendra sur place le lundi 11 décembre à 11h30. Je vous laisse le soin d’en informer la société Artmania afin de lui permettre d’accéder aux locaux’.

Ce courrier, qui témoigne d’une reconnaissance claire et non équivoque par les bailleurs au droit à une indemnité d’éviction du locataire, a interrompu le délai susvisé de prescription, faisant ainsi courir un nouveau délai jusqu’au 6 décembre 2019.

Pour la période postérieure au 6 décembre 2017, la société Artmania se prévaut des actes suivants:

-un mail de M. [E] [L] du 19 janvier 2018 accusant réception à M. [I] d’une communication de bilans comptables à l’expert,

-un mail du 26 janvier 2018 par lequel la société Artmania transmet des pièce à l’expert,

-un mail de M. [E] [L] du 20 mars 2018 proposant à M. [I], à l’occasion d’un passage à [Localité 31], une rencontre ‘pour discuter simplement de l’avenir’,

-le rapport d’expertise amiable de M. [X] déposé le 30 janvier 2018.

-un mail du conseil de la société Artmania à M. [I], daté du 29 mai 2018, mentionnant des négociations en cours avec l’indivision au sujet de l’indemnité d’éviction,

S’agissant des trois premiers mails, l’examen de leur contenu ne permet aucunement d’établir une reconnaissance par les bailleurs, d’un droit à une indemnité d’éviction du preneur, d’autant par ailleurs qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que l’indivision des bailleurs ait donné pouvoir à M. [E] [L] pour la représenter.

Le rapport d’expertise déposé le 30 janvier 2018 ne contient aucune réitération des bailleurs de leur reconnaissance du droit à indemnité d’occupation. Les opérations d’expertise n’étant pas en elles-mêmes, constitutives d’une telle réitération. Le dépôt du rapport relève par ailleurs des seules prérogatives de l’expert, étrangères aux parties, et n’a pas eu pour effet d’interrompre la prescription en cours.

Le mail du 29 mai 2018 est un document interne aux relations entre la société Artmania et son conseil et, si son contenu évoque effectivement la question de l’indemnité d’éviction, il ne saurait pour autant refléter l’expression d’une reconnaissance des bailleurs, étrangers à sa rédaction.

En toute hypothèse, à supposer même que la proposition d’indemnité d’éviction dont il est fait état dans ce mail puisse s’interprêter comme des pourparlers ,de tels pourparlers ne sont pas constitutifs d’une reconnaissance interruptive du délai de prescription.

Il résulte de tout ceci que le délai de prescription était expiré, lorsque la société Artmania a, pour la première fois, formé sa demande d’un droit à une indemnité d’éviction le 27 décembre 2019, dans ses conclusions déposées devant le tribunal judiciaire de Rouen, dans le cadre de l’action diligentée par le bailleur aux fins de voir ordonner son expulsion.

En conséquence le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande en fixation et en paiement d’une indemnité d’éviction.

La société Artmania n’ayant pas d’autre moyens au soutien de son appel, le jugement entrepris sera confirmé pour le surplus de ses dispositions.

Sur l’astreinte

L’article L 131-1 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision.

Le premier juge a débouté les consorts [L]-[O]-[K] de leur demande tendant à assortir d’une astreinte le prononcé de l’expulsion de la société Artmania. Les bailleurs demande que le jugement soit confirmé sur ce point. Ils seront déboutés de leur demande présentée devant la cour.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement critiqué en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute les consorts [L]-[O]-[K] de leur demande tendant au prononcé d’une astreinte ;

Condamne la société Artmania aux dépens d’appel ;

Condamne la société Artmania à payer aux consorts [L]-[O]-[K] une somme de 2 000 € au titre de leur frais irrépétibles en cause d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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