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9 janvier 2024
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
22/01586
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01586 – N° Portalis DBVH-V-B7G-INV4
YRD/JL
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES
14 avril 2022
RG :F 20/00698
[X]
C/
SAS SPIE NUCLEAIRE
Grosse délivrée le 09 JANVIER 2024 à :
– Me VAJOU
– Me POMIES RICHAUD
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 09 JANVIER 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NIMES en date du 14 Avril 2022, N°F 20/00698
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Madame Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l’audience publique du 22 Novembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 Janvier 2024.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [W] [X]
né le 12 Mars 1974 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Chrystelle MICHEL, avocat au barreau d’AVIGNON
INTIMÉE :
SAS SPIE NUCLEAIRE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me François GREGOIRE, avocat au barreau de PARIS
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 09 Janvier 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [W] [X] a été engagé à compter du 16 septembre 2002 en qualité d’agent technique en assainissement et démantèlement nucléaire par la société Spie, son contrat de travail a été transféré à plusieurs reprises avant d’être transféré en dernier lieu au sein de la SAS Spie nucléaire, établissement PEES, en octobre 2017.
Du 19 avril 2017 au 2 août 2019, M. [W] [X] a été placé en arrêt de travail.
Reconnu travailleur handicapé le 14 juin 2018, le médecin du travail l’a déclaré inapte à tout poste dans l’entreprise, le 5 août 2019.
Suite à l’entretien préalable du 11 octobre 2019, par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 octobre 2019, M. [W] [X] a été licencié pour inaptitude totale et définitive, par la SAS Spie nucléaire.
Par requête du 20 octobre 2020, M. [W] [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes aux fins de juger nul son licenciement ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse ; condamner la SAS Spie nucléaire à justifier des déclarations auprès des différentes caisses et organismes auxquels il est affilié, au titre des cotisations prélevées et condamner la SAS Spie nucléaire au paiement de diverses sommes indemnitaires.
Par jugement du 14 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :
– dit l’avis d’inaptitude en date du 5 août 2019 recevable,
– dit le licenciement de M. [W] [X] non entaché de nullité,
– débouté M. [W] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions présentées au titre de la rupture du contrat de travail,
– renvoyé pour le surplus des prétentions de M. [W] [X] et des demandes reconventionnelles de la SAS Spie nucléaire devant le juge départiteur.
Par acte du 9 mai 2022, M. [W] [X] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 23 janvier 2023, M. [W] [X] demande à la cour de :
Statuant sur son appel formé à l’encontre du jugement rendu le 14 avril 2022 par le conseil de prud’hommes de Nîmes,
Le déclarant recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
– infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– dit l’avis d’inaptitude en date du 5 août 2019 recevable,
– dit le licenciement de M. [W] [X] non entaché de nullité,
– débouté M. [W] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions présentées au titre de la rupture du contrat de travail,
Statuant à nouveau,
– juger que l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 n’est pas opposable à M. [W] [X],
– à titre principal, juger que le licenciement de M. [W] [X] est nul,
– ordonner la réintégration de M. [W] [X],
– condamner la société Spie nucléaire à payer à M. [W] [X] :
– une indemnité d’éviction égale aux salaires bruts et congés payés courant du 21 octobre 2019 au jour de la réintégration,
– 109.543,60 euros nets à titre d’indemnité d’éviction provisionnelle (au 21 juillet 2022) à parfaire au jour de l’arrêt, à valoir sur l’indemnité d’éviction,
– 55.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 9.053,19 euros bruts à titre d’indemnité de préavis,
– 905,32 euros bruts à titre de congés payés afférents,
– 15.000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
– à titre subsidiaire, juger que le licenciement de M. [W] [X] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Spie nucléaire à payer à M. [W] [X] :
– 42.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– 9.053,19 euros bruts à titre d’indemnité de préavis,
– 905,32 euros bruts à titre de congés payés afférents ,
– 15.000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
En tout état de cause,
– condamner la société Spie nucléaire à remettre à M. [W] [X] les documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision, de l’attestation Pôle emploi rectifiée mentionnant le préavis, et les salaires des 12 derniers mois précédent avril 2017,
– juger que les condamnations seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la saisine
du conseil de prud’hommes et que les intérêts légaux seront capitalisés,
– juger que le conseil de prud’hommes se réserve la liquidation de l’astreinte,
– condamner la SAS Spie nucléaire, à payer à M. [W] [X], la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel,
– condamner la société Spie nucléaire aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– débouter la SAS Spie nucléaire, de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident.
M. [W] [X] soutient que :
– son licenciement est nul au motif que l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 ne lui a pas été notifié, que l’inaptitude n’a pas été régulièrement constatée et l’avis d’inaptitude n’est pas conforme, que le licenciement a été prononcé en raison de son état de santé et que ce licenciement ne prend pas en compte son statut de travailleur handicapé,
– le licenciement jugé nul entraîne la réintégration du salarié et l’indemnisation du préjudice subi
(indemnité « d’éviction ») correspondant aux salaires qui auraient été perçus pendant la période
couverte par la nullité, à savoir du jour du licenciement au jour de la réintégration effective, il convient d’infirmer le jugement et condamner la société à le réintégrer et à lui payer une indemnité d’éviction correspondant aux salaires du jour du licenciement au jour de la réintégration, et dont le montant au 21 juillet 2022 représente la somme nette de 109.543,60 euros outre les dommages et intérêts pour licenciement nul,
– à défaut son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 ne lui a pas été notifié, cette inaptitude n’a pas été régulièrement constatée et l’avis d’inaptitude n’est pas conforme, la société n’a pas respecté son obligation de reclassement et n’a pas valablement consulté le comité social et économique.
En l’état de ses dernières écritures en date du 18 avril 2023, contenant appel incident, la SAS Spie nucléaire a demandé à la cour de :
– recevoir la société Spie nucléaire en ses conclusions et l’y déclarée bien fondée,
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nîmes (RG n°F20/00698) le 14 avril 2022 par la section industrie en ce qu’il a :
– dit l’avis d’inaptitude en date du 5 août 2019 recevable,
– dit le licenciement de M. [W] [X] non entaché de nullité,
– débouté M. [W] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions présentées au titre de la rupture du contrat de travail,
– réservé les dépens,
Statuant à nouveau,
Sur la rupture du contrat de travail,
A titre principal,
– juger le licenciement de M. [W] [X] non entaché de nullité,
A titre subsidiaire,
– juger le licenciement de M. [W] [X] légitime,
En tout état de cause,
– juger que M. [W] [X] a été rempli de ses droits au titre de la rupture du contrat de travail,
– juger M. [W] [X] mal-fondé en sa demande de dommages et intérêts pour préjudice
distinct,
– juger M. [W] [X] mal-fondé en sa demande de production de documents de fins de
contrat rectifiés,
En conséquence,
– débouter M. [W] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions présentées
au titre de la rupture du contrat de travail,
A titre reconventionnel,
– condamner M. [W] [X] à verser à la société Spie nucléaire la somme de 3.500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [W] [X] aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
Si la cour d’appel de céans décidait d’entrer en voie de condamnation :
– fixer l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 7.199,76 euros bruts,
– fixer l’indemnité compensatrice de congés payés afférents à la somme de 719,97 euros bruts,
– revoir à de plus justes proportions l’indemnité d’éviction sollicitée par M. [W] [X],
– ordonner la constitution d’une garantie réelle ou personnelle sur le fondement de l’article 517 du code de procédure civile si l’exécution provisoire est ordonnée.
La société fait valoir que :
– le licenciement de M. [X] est exclusivement fondé sur l’avis du médecin du travail déclarant le salarié inapte en une seule visite avec impossibilité de le maintenir dans un emploi,
– M. [X] ne peut sérieusement contester l’existence de cet avis d’inaptitude dont il a eu connaissance et qu’il n’a jamais contesté, celui-ci lui est parfaitement opposable,
– en raison des mentions portées par le médecin du travail elle n’avait pas à proposer un reclassement,
– elle a régulièrement consulté le comité social et économique,
– elle ne pouvait tenir compte du statut de travailleur handicapé de M. [X] qui n’a jamais repris son activité effective.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 24 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 7 novembre 2023 à 16 heures et fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 22 novembre 2023.
MOTIFS
Sur la nullité du licenciement
M. [X] soutient que son licenciement est nul au motif que l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 ne lui a pas été notifié, que l’inaptitude n’a pas été régulièrement constatée et l’avis d’inaptitude n’est pas conforme, que le licenciement a été prononcé en raison de l’état de son santé et que ce licenciement ne prend pas en compte son statut de travailleur handicapé.
– Sur l’absence de notification de l’avis d’inaptitude :
M. [X] soutient que la société produit un avis d’inaptitude du 5 août 2019 qui ne lui a jamais été ni remis, ni notifié par le médecin du travail, que ce dernier lui a uniquement remis deux attestations de suivi le 5 août 2019.
Selon l’article R. 4624-55 modifié par décret du 27 décembre 2016 : « L’avis médical d’aptitude ou d’inaptitude émis par le médecin du travail est transmis au salarié ainsi qu’à l’employeur par tout moyen leur conférant une date certaine. ».
L’inopposabilité au salarié de l’avis d’inaptitude n’est pas cause de nullité du licenciement, cet avis régulièrement transmis à l’employeur est parfaitement opposable à ce dernier qui ne pouvait l’ignorer.
Par contre le défaut de notification a pour seul effet de ne pas faire courir le délai de recours ouvert au profit du salarié par l’article R. 4624-45 du code du travail.
En outre M. [X] produit les deux attestations de suivi du 5 août 2019 en sorte qu’il est surprenant qu’il n’ait pas été destinataire également de l’avis d’inaptitude.
En tout état de cause, M. [X] reconnaît avoir été destinataire de cet avis d’inaptitude dans le cadre du présent contentieux prud’homal sans toutefois le contester. Il a été informé de l’existence de cet avis d’inaptitude au plus tard lors de l’entretien préalable au cours duquel il a été évoqué au soutien de la mesure de licenciement envisagée.
L’employeur qui n’a pas la maîtrise du déroulement des opérations médicales aboutissant à la délivrance d’un avis d’inaptitude ne peut se substituer au médecin du travail pour endosser la responsabilité de ce dernier au motif que les prescriptions de l’article R. 4624-55 n’auraient pas été observées.
M. [X] ne peut donc soutenir que cet avis d’inaptitude ne lui est pas opposable, et il ne l’a du reste jamais contesté tout au long de la procédure de licenciement.
– Sur l’absence de conformité de l’avis d’inaptitude et l’absence de constatation régulière de l’inaptitude :
M. [X] prétend que l’avis d’inaptitude produit par la société n’est pas conforme et ne permettait pas à la société de notifier un licenciement pour inaptitude.
Il rappelle les dispositions de l’article R.4624-42 du code du travail selon lesquelles :
« Le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :
1° S’il a réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
2° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;
3° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée;
4° S’il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l’employeur.
Ces échanges avec l’employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser. »
Il fait valoir que la visite du 5 août 2019 n’a pas été organisée par la société mais par le salarié
en raison de la carence de SPIE à cet égard, ce qui n’a aucune incidence sur la régularité de l’avis d’inaptitude.
Il ajoute que le médecin du travail lui a remis deux attestations de suivi ainsi qu’à la société, que ces attestations de suivi ne constituent pas l’avis d’inaptitude prévu aux articles L 4624-4 et R.4624-42 du code du travail et qu’aucun avis d’inaptitude ne lui a été remis. Or l’avis d’inaptitude est produit par la société intimée et M. [X] ne l’a jamais contesté depuis qu’il en a pris connaissance. L’existence de cet avis ne peut être occultée.
M. [X] indique que le médecin du travail n’a pas mentionné sur cet avis d’inaptitude qu’il annule et remplace les attestations de suivi du même jour.
Or, l’arrêté du 16 octobre 2017 fixant le modèle d’avis d’aptitude, d’avis d’inaptitude, d’attestation de suivi individuel de l’état de santé et de proposition de mesures d’aménagement de poste précise qu’à « l’issue de toute visite (à l’exception de la visite de pré-reprise) réalisée par le médecin du travail, celui-ci peut, s’il l’estime nécessaire, délivrer au travailleur et à l’employeur un avis d’inaptitude conforme au modèle figurant à l’annexe 3, qui se substitue à l’attestation de suivi. »
L’avis d’inaptitude du 5 avril 2019 se substitue donc aux attestations de suivi.
– Sur l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 qui ne serait pas conforme et ne permettrait pas d’engager une procédure de licenciement pour inaptitude :
M. [X] se référant aux termes des articles R. 4624-42 et R. 4624-57 du code du travail rappelle que le modèle prévu par l’arrêté du 16 octobre 2017 précise chacune des étapes obligatoires avec des cases à cocher et la date de la réalisation de l’étape correspondante à mentionner mais que l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 ne mentionne pas les étapes obligatoires suivantes :
-une étude de poste
-une étude des conditions de travail
-un échange avec la société
Outre que M. [X] n’est plus recevable à contester le contenu de cet avis d’inaptitude, l’absence de mention de date sur le formulaire ne démontre pas que le médecin du travail n’aurait pas satisfait à ces préliminaires.
En tout état de cause, l’avis d’inaptitude mentionne expressément qu’après avoir consulté le salarié, le médecin du travail a déclaré que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, ce qui rendait sans objet les démarches dont il est soutenu qu’elles n’auraient pas été accomplies.
Enfin, le défaut d’accomplissement de ces démarches par le médecin du travail ouvre droit à une action en contestation de l’avis d’inaptitude mais non à l’annulation d’un licenciement intervenu sur la base de cet avis.
– Sur la nullité du licenciement fondé sur l’état de santé du salarié :
Au visa des articles L. 1132-4, L.1132-1 et L 1235-3-1 du code du travail, M. [X] conclut à la nullité de son licenciement prononcé en l’absence d’un avis valable et régulier d’inaptitude et alors que son contrat était suspendu.
Or d’une part l’employeur avait bien été destinataire d’un avis d’inaptitude précisant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, d’autre part le contrat de travail n’était pas suspendu en raison d’un arrêt de travail consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Le licenciement repose exclusivement sur l’avis d’inaptitude qui s’impose à l’employeur.
Contrairement à ce que soutient le salarié l’avis du médecin du travail en date du 5 juillet 2019 indique qu’il s’agissait d’une visite de reprise suite à une visite de pré-reprise qui a eu lieu le 23 juillet 2019, peu importe au demeurant de qui provient l’initiative de la visite médicale.
La critique de M. [X] selon laquelle l’inaptitude n’a pas été régulièrement constatée dans le cadre d’un avis d’inaptitude mais dans le cadre d’une simple attestation de suivi ne résiste pas au constat qui précède.
– Sur l’absence de prise en compte du statut de travailleur handicapé du salarié :
Au visa de l’article L.1132-1 du code du travail M. [X] soutient qu’aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, que le licenciement est nul en l’absence de constatation par le médecin du travail de l’inaptitude du salarié à reprendre l’emploi précédemment occupé ou tout emploi dans l’entreprise, qu’est nul le licenciement d’un salarié devenu handicapé et déclaré inapte à son poste dès lors que l’employeur n’a pas pris de mesures appropriées pour préserver son emploi, même si des recherches de reclassement ont été effectuées.
Or, l’article L. 1133-3 du code du travail prévoit cependant que «Les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées».
En l’espèce le licenciement de M. [X] procède de son inaptitude médicalement constatée relevant au surplus que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
M. [X] a fait l’objet d’une décision de reconnaissance du travailleur handicapé en date du 14 juin 2018.
Toutefois dès le 5 octobre 2017, M. [X] avait été reçu par le médecin du travail dans le cadre d’une visite médicale de pré-reprise lequel avait noté :
« Je vois ce jour en visite de pré reprise à la demande du Médecin Conseil, votre salarié, Monsieur [X] [W] afin que soient étudiées toutes les possibilités de reprise du travail et notamment une reprise à mi-temps thérapeutique.
Ses problèmes de santé imposent des conditions de travail en respectant les restrictions
suivantes :
– Pas de port de charges répétitifs
– Pas de contorsions du rachis dans son ensemble.
(…)»
Le 9 octobre 2017, la société intimée répondait :
« …Comme proposé dans votre mail, nous sommes capables au travers d’un mi-temps
thérapeutique, de proposer à Mr. [X] un poste adapté aux restrictions que vous citez :
– Pas de port de charges répétitifs.
– Pas de contorsions du rachis dans son ensemble.
Ce poste adapté pourra être mis en place le temps qu’il reprenne un rythme de travail normal.»
Toutefois aucune reprise effective d’activité n’intervenait, M. [X] était en arrêt de travail ininterrompu du 19 avril 2017 au 2 août 2019.
La déclaration de travailleur handicapé est intervenue durant cette suspension du contrat de travail.
Il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir respecté les préconisations du médecin du travail alors que le salarié n’a jamais repris son travail.
La circonstance que le médecin du travail ait mentionné dans son avis : « mes demandes d’aménagement de poste sont restées sans réponse » ne saurait justifier la nullité du licenciement.
Il n’y a donc pas lieu de prononcer la nullité du licenciement de M. [X].
Sur l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement
M. [X] développe ensuite une argumentation tendant à démontrer l’absence de cause réelle et sérieuse au soutien de la mesure critiquée que :
– l’avis d’inaptitude du 5 août 2019 n’a pas été notifié au salarié, or il a été précédemment jugé que cette omission avait pour seul effet de ne pas faire courir le délai prévu à l’article R. 4624-45 du code du travail,
– l’inaptitude n’a pas été régulièrement constatée et l’avis d’inaptitude n’est pas conforme, or il a été vu ci-dessus que l’avis d’inaptitude a été régulièrement établi et qu’il s’imposait à l’employeur.
Il fait valoir également que la société n’a pas respecté son obligation de reclassement. S’il est exact que le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude et que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, le médecin du travail a mentionné dans son avis « Conclusions et indications relatives au reclassement (Art L.4624-4)) : « mes demandes d’aménagement de poste sont restées sans réponse ». M. [X] relève également que cette mention figurait également sur l’attestation de suivi remise aux deux parties.
Comme l’observe justement M. [X], le médecin du travail ne fait pas état d’une dispense de reclassement, mais il prend le soin de préciser que ses demandes d’aménagement de poste sont restées sans réponse et ce sous le visa exprès de l’article L.4624-4 du code du travail, ce qu’il n’aurait pas jugé utile s’il avait dispensé la société de tout reclassement. Au demeurant les membres du comité social et économique consultés ont émis quelques réserves en raison de cette observation portée par le médecin du travail.
Il en résulte que contrairement à ce que soutient la société intimée, aucun échange constructif n’est intervenu entre le médecin du travail et l’employeur ce qui a conduit le premier à faire le constat de l’impossibilité de maintenir le salarié dans la structure.
Cette attitude de l’employeur en ce qu’elle est au moins pour partie à l’origine de la déclaration d’inaptitude de M. [X] à tout emploi a pour effet de rendre dénué de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour ce motif.
Sur l’indemnisation du salarié
– Sur l’indemnité compensatrice de préavis :
Selon l’article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une
faute grave, le salarié a droit, s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services
continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
L’article L5213-9 du code du travail dispose qu’en cas de licenciement d’un salarié handicapé
la durée du préavis déterminée en application de l’article L. 1234-1 est doublée, sans toutefois
que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis.
L’article L1234-5 du code du travail dispose que lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il
a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
Dès lors que la déclaration d’inaptitude de M. [X] procède d’un manquement de l’employeur à ses obligations, le préavis est dû quand bien même le salarié n’est pas en état de l’effectuer.
L’indemnité compensatrice de préavis se calcule sur la base du salaire brut soumis aux cotisations sociales qu’aurait perçu le salarié s’il avait accompli son préavis.
Il convient de se reporter aux rémunérations perçues par le salarié antérieurement à son arrêt de travail.
Sur la base d’une rémunération brute de 2.784,00 euros en moyenne, M. [X] se verra allouer à ce titre la somme de 8.352,00 euros brut, outre 835,20 euros brut de congés payés afférents.
– Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En application des dispositions de l’article L.1235-3 telles qu’issues de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 tenant compte du montant de la rémunération de M. [X] ( 2.784,00 euros en moyenne) et de son ancienneté en années complètes (17 années), dans une entreprise comptant au moins onze salariés, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de M. [X] doit être évaluée à la somme de 39.000,00 euros correspondant à l’équivalent de 14 mois de salaire brut.
M. [X] soutient qu’il a subi de surcroît un préjudice distinct en raison du comportement de la
société à son égard :
‘ l’annonce de son licenciement s’est faite avant même la notification de celui-ci : outre que M. [X] ne verse aucun élément pour établir la réalité de ce grief, cela ne constituerait au mieux qu’une irrégularité de procédure ouvrant droit à indemnisation à condition de démontrer l’existence d’un préjudice particulier ce qui n’est pas le cas et de surcroît non cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ les documents de fin de contrat ont été remis tardivement générant une prise en charge tardive (fin janvier 2020) avec un préjudice financier : or M. [X] ne justifie pas dudit préjudice et la société a satisfait à l’envoi de ces documents dès le 21 octobre 2019,
‘ l’attestation destinée à Pôle emploi est erronée en ce qu’elle ne comporte pas les
salaires des 12 mois précédent le dernier jour travaillé : M. [X] ne justifie pas davantage d’un quelconque préjudice,
‘ ce n’est qu’en avril 2021 que l’attestation est transmise avec les salaires des 12 derniers
mois mais comportant toujours des mentions erronées comme l’ancienneté (la société
mentionne moins de 2 années d’ancienneté et ne mentionne pas les congés payés) : ici encore M. [X] n’établit pas la consistance de son préjudice,
‘ sur le nouvel entretien organisé par SPIE NUCLEAIRE le 08/10/2019 afin de faire annuler
le licenciement en faisant miroiter un nouveau contrat de travail dans le but de pouvoir réengager une nouvelle procédure de licenciement (alors que la société avait tout mis en ‘uvre jusqu’ici pour que M. [X] soit déclaré inapte à tous postes dans l’entreprise). La société allant jusqu’à appeler un délégué syndical par téléphone pour convaincre Monsieur [X] de déchirer la lettre de licenciement : la réalité de ces faits ne résulte d’aucun élément, la société intimée relate pour sa part que, ayant appris le statut de travailleur handicapé de M. [X] et afin de répondre à la sollicitation de son salarié, elle lui a proposé de ne pas tenir compte de sa lettre de licenciement, les délégués syndicaux ayant accompagné M. [X] au cours de la procédure ont été informés de la situation, M. [X] a toutefois refusé cette proposition qu’il avait pourtant lui-même sollicitée. Aucune conduite fautive ne peut être imputée à l’employeur,
‘ une fois sorti de l’entreprise, Mme [D] DRH, a appelé M [X] à plusieurs reprises, jusque tard le soir, pour continuer à essayer de le convaincre de déchirer sa lettre de licenciement pour reprendre la procédure : ce qui n’est pas établi,
‘ en fin d’année 2019, voulant renouveler son traitement, M [X] a appris qu’il avait été radié de la mutuelle santé car ses documents pour la portabilité avaient été égarés par la société. M [X] a donc dû faire l’avance de l’ensemble de ses frais de santé et ce jusqu’au mois de mars 2020 : toutefois M. [X] ne rapporte pas la réalité de ces faits, au contraire la société intimée réplique que le bulletin de portabilité a été adressé à M. [X] lors de l’envoi de son solde de tout compte lequel a attendu le 9 décembre 2019 pour retourner le bulletin de portabilité de la mutuelle complété par ses soins ( cf. pièce n°17 ), qu’aux termes d’un courriel du 3 septembre 2020, ProBTP a confirmé à la Société SPIE Nucléaire avoir indiqué à M. [X] les modalités de calcul de ses indemnités de prévoyance (cf. pièce n°24) et que ProBTP a informé M. [X] que : « En réponse à votre mail du 18.08.2020, je vous précise que :
Conformément à la loi du 14 juin 2013 (Article L911-8 relative à la sécurisation de l’emploi), le montant de l’indemnité journalière de BTP Prévoyance ne peut dépasser le montant des allocations chômage que vous auriez perçu pour la période, si l’événement cause de votre arrêt de travail s’est produit pendant le maintien de vos droits au titre du chômage.
Exemple de calcul pour la période du 13.08.2020 au 26.08.2020 :
Montant pour plafonnement Pôle Emploi = 46,71€
Indemnités journalières de la sécurité sociale = 39,45€
Montant de l’indemnité journalière Pro BTP = 46,71 – 39,45 = 7,25€ brut par jour», il en résulte que M. [X] a bien bénéficié de la portabilité au titre de la prévoyance puisqu’il prenait directement attache de ProBTP comme le relève justement l’employeur,
‘ A ses problèmes de dos, se sont donc ajoutés une très grosse prise de poids et surtout une forte dépression et un syndrome fybromyalgique dus au stress causé par les manquements de la société ainsi qu’un nouvel arrêt maladie au 03/03/2019 jusqu’au 31/12/2020 durant lequel M [X] a appris qu’il avait été également radié de la prévoyance ProBtp : ce faisant M. [X] n’établit pas l’existence d’un préjudice distinct de celui que lui cause la perte de son emploi et réparé ci-dessus, et le lien de causalité entre la dégradation de son état de santé et la rupture de son contrat de travail n’est pas démontré étant rappelé qu’il était en arrêt de travail depuis 19 avril 2017 sans lien avec son travail,
– il a dû effectuer de nombreuses démarches pendant plus de 6 mois afin de pouvoir obtenir les
premiers versements (août 2020) qui à ce jour ne correspondent pas à ceux perçus lorsqu’il était
salarié : ce faisant M. [X] n’établit pas l’existence d’un préjudice distinct de celui que lui cause la perte de son emploi et réparé ci-dessus.
L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la SAS Spie Nucléaire à payer à M. [X] la somme de 3.000,00 euros à ce titre.
L’entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié présentant une ancienneté de plus de deux ans, il sera fait application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
– Infirme le jugement déféré dans les limites de l’appel sauf en ce qu’il a :
– dit l’avis d’inaptitude en date du 5 août 2019 recevable,
– dit le licenciement de M. [W] [X] non entaché de nullité,
– Et statuant à nouveau,
– Juge que le licenciement de M. [W] [X] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– Condamne la SAS Spie Nucléaire à payer à M. [W] [X] :
– 39.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– 8.352,00 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 835,20 euros bruts à titre de congés payés afférents,
– Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail,
– Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s’agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu’ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus ;
– Condamne la société Spie Nucléaire à remettre à M. [W] [X] les documents de fin de contrat rectifiés, l’attestation Pôle emploi rectifiée mentionnant le préavis, et les salaires des 12 derniers mois précédent avril 2017, dit n’y avoir lieu de prononcer une astreinte,
– Condamne la SAS Spie Nucléaire à payer à M. [X] la somme de 3.000,00 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne la SAS Spie Nucléaire aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT