Indemnité d’éviction : 9 février 2024 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/06494

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Indemnité d’éviction : 9 février 2024 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/06494
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9 février 2024
Cour d’appel de Rennes
RG n°
22/06494

Chambre de l’Expropriation

ARRÊT N° 2

N° RG 22/06494 – N° Portalis DBVL-V-B7G-TID4

COMMUNE DE [Localité 10]

C/

M. [H] [U] [Y] [S]

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Heitzmann

Me Rouhaud

Cc commissaire du gouvernement

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 FÉVRIER 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Isabelle OMNES, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 Décembre 2023, devant Monsieur Fabrice ADAM, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En l’absence de Monsieur le commissaire du gouvernement représentant la direction des finances publiques de la région Bretagne et du département d’Illle et Vilaine, à qui les pièces et mémoires ont été régulièrement communiqués,

ARRÊT :

réputé contradictoire, prononcé publiquement le 09 Février 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

COMMUNE DE [Localité 10], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège,

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représenté par Me Sarah HEITZMANN de la SELARL THOME HEITZMANN SOCIÉTÉ D’AVOCATS, plaidant/postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [H] [U] [Y] [S]

né le 28 avril 1977 à [Localité 9], exploitant agricole

Le Bignon

[Adresse 6]

Représenté par Me Jean-François ROUHAUD de la SELARL LEXCAP, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Arnaud DUBUYS avocat au barreau de CAEN substituant Me David GORAND de la SELARL JURIADIS, plaidant, avocat au barreau de COUTANCES

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par délibération du 22 février 2006, le conseil municipal de [Localité 10] a décidé la création de la zone d’aménagement concertée multi-sites «[Localité 1]» (ci-après la ZAC). Le projet a été déclaré d’utilité publique par un arrêté du 30’septembre 2010, dont le délai de validité a été prorogé par arrêté du 29 septembre 2015.

Par arrêté du 19 décembre 2019 (rectifié le 22 janvier 2020), le préfet d'[Localité 7] a déclaré cessibles, au profit de la commune de [Localité 10], les emprises nécessaires à la réalisation de la ZAC, comprenant notamment les parcelles cadastrées section [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], d’une surface totale de 42 053 m².

Le juge de l’expropriation du département d’Ile et Vilaine a, par ordonnance du 3 février 2020, prononcé le transfert de propriété des parcelles [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], propriétés de M.'[H] [J] [E] [S] (père) et exploitées par M. [H] [U] [S] (fils).

La Cour de cassation a, par arrêt du 21 ‘janvier 2021, sursis à statuer sur la demande de M. [S] père en annulation de ladite ordonnance dans l’attente d’une décision de la juridiction administrative relative à la légalité de l’arrêté de cessibilité.

La commune de [Localité 10] a, par courrier du 8’juin 2020, proposé des indemnités d’éviction à M. [S] fils, exploitant des parcelles expropriées. À la suite à son refus, la commune l’a fait assigner par acte du 2’septembre 2020 devant le juge l’expropriation en fixation de l’indemnité d’éviction.

Par jugement du 9’août 2022, le juge de l’expropriation a :

– sursis à statuer dans l’attente du paiement par la commune des indemnités dues à M. [S] père,

– rappelé qu’un tel sursis ne dessaisit pas la juridiction, qu’à son expiration, l’instance est poursuivie à l’initiative des parties ou à la diligence de la juridiction,

– rappelé que la juridiction pouvait révoquer ou abréger le sursis.

Saisi par la commune de [Localité 10], le magistrat délégué par le premier président a, par ordonnance du 18’octobre 2022, autorisé la commune à interjeter immédiatement appel du jugement rendu le 9’août 2022.

La commune a, par déclaration faite au greffe le 10 novembre 2022, interjeté appel de ce jugement dont elle sollicite l’annulation et, à défaut, la réformation.

Dans ses dernières conclusions déposées le 13 octobre 2023, la commune de [Localité 10] demande à la cour de’ :

à titre principal :

– prononcer l’annulation du jugement du 9 août 2022,

– décider d’évoquer l’entier litige sur le fond et statuer sur toutes les demandes de la commune,

– rejeter les demandes d’expertise et de sursis à statuer formulées par M. [S] fils,

– constater que celui-ci ne dispose d’aucun droit indemnitaire sur la parcelle [Cadastre 5] en l’absence de bail à la date de l’ordonnance d’expropriation,

– fixer le total de l’indemnité d’éviction à un total de 22′ 179,96 euros,

à titre subsidiaire :

– réformer le jugement du 9 août 2022,

– rejeter les demandes d’expertise et de sursis à statuer formulée en première instance par M.’ [S] fils,

– constater que celui-ci ne dispose d’aucun droit indemnitaire sur la parcelle [Cadastre 5] en l’absence de bail à la date de l’ordonnance d’expropriation,

– fixer le total de l’indemnité d’éviction à un total de 22 ‘179,96 euros.

en tout état de cause :

– rejeter l’ensemble des demandes de M. [S] fils,

– condamner celui-ci au versement d’une somme de 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’appel.

La commune de [Localité 10] soutient que le sursis à statuer résulte d’un excès de pouvoir négatif du juge de l’expropriation qui a subordonné l’examen de la demande dont il était saisi au paiement des indemnités dues à M. [S] (père) et à la démonstration d’une urgence, exigences qui n’existent pas en droit positif. Elle ajoute que, si le pouvoir de surseoir à statuer est discrétionnaire, il n’est pas absolu, et rappelle, à ce titre, que le premier président a lui-même retenu un excès de pouvoir pour autoriser la commune à interjeter immédiatement appel de la décision.

Elle prétend subsidiairement que la décision est fondée sur une erreur de droit dans la mesure où le juge ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir pris possession des parcelles alors que celle-ci est conditionnée par le paiement des indemnités d’éviction tant au propriétaire qu’à l’occupant. De même, le juge ne pouvait ordonner qu’il soit sursis à statuer au seul motif que l’ordonnance a fait l’objet d’un pourvoi.

Elle ajoute que le principe de la contradiction n’a pas été observé, faute pour le juge d’avoir recueilli les observations des parties sur un éventuel sursis.

Arguant d’une bonne administration de la justice, elle demande à la cour d’évoquer le fond du dossier, rappelant l’exigence d’un délai raisonnable et l’obtention nécessaire d’une décision fixant l’indemnité d’éviction pour pouvoir prendre possession des parcelles. Elle rappelle qu’elle a saisi le juge de l’expropriation le 28 août 2020 et payé les indemnités de dépossession dues au propriétaire en juillet 2023.

Elle fait valoir que l’intimé n’est pas éligible au bénéfice des aides à la reconversion ou la réinstallation de l’article L. 352-1 du code rural et de la pêche maritime, qui sont, en outre, indépendantes de la procédure de fixation judiciaire des indemnités d’éviction et conditionnées à leur insertion dans l’arrêté déclaratif d’utilité publique. Elle considère également la demande d’expertise adverse dilatoire et infondée, observant qu’elle a pour objet de pallier la carence de l’intimé dans l’administration de la preuve.

Elle propose de fixer les indemnités conformément au protocole départemental d’indemnisation en vigueur. Elle rappelle à ce titre que M. [S] (fils) ne démontre pas qu’il disposait d’un bail rural sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] au jour de l’ordonnance d’expropriation, de même qu’il ne précise ni ne justifie les surfaces concernées par son exploitation partielle des parcelles cadastrées section [Cadastre 4] et [Cadastre 5]. Elle estime la demande de fixation adverse infondée, les préjudices moraux ne pouvant être utilement invoqués, de même que pour la perte du chemin d’exploitation, du système d’irrigation et des arbres, et encore pour le préjudice complémentaire résultant de la réduction de la surface exploitée et de la disproportion des charges qui en résulterait. Elle souligne que M. [H] [S] exerce une autre activité professionnelle, l’activité agricole étant accessoire et ne permettant pas a priori de dégager de revenus.

M.'[H] [U] [S] demande, aux termes de ses dernières écritures (27 novembre 2023), à la cour de :

à titre principal :

– confirmer le jugement du 9 août 2022,

à titre subsidiaire :

– rejeter la demande d’évocation formulée par l’appelant,

à titre très subsidiaire dans le cas où le jugement serait annulé, infirmé ou réformé :

– à titre principal, rejeter, à tout le moins, surseoir à statuer sur la demande en fixation judiciaire des indemnités d’éviction présentées par la commune,

– à titre subsidiaire, dire y avoir lieu à expertise portant sur la détermination du montant des préjudices subis par son exploitation agricole, à raison de son éviction des parcelles expropriées et commettre tel expert judiciaire pour y procéder,

– à titre infiniment subsidiaire, fixer les indemnités d’éviction lui étant dues à la somme de 102′ 723,98 euros,

– condamner la commune de [Localité 10] à lui verser la somme de 5’ 000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [S] conteste, tout d’abord, le prétendu excès de pouvoir qu’aurait commis le juge en ordonnant le sursis à statuer, cette décision ayant été rendue en considération de la bonne administration de la justice et relevant, selon la jurisprudence, de son pouvoir discrétionnaire (absence de motivation). Il observe que le juge n’a nullement refusé d’exercer son pouvoir, l’examen de la demande étant seulement différé. Il note que le premier président n’a pas constaté un tel excès de pouvoir, mais a simplement précisé ne pouvoir apprécier la pertinence des motifs de la décision.

Il relève ensuite que le juge a fondé sa décision au regard du défaut de paiement des indemnités au bailleur et non en raison de l’absence de prise de possession des parcelles par l’autorité expropriante en raison du pourvoi en cassation.

Il conteste la violation du principe du contradictoire, le sursis dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice pouvant être prononcé d’office et n’ayant pas à être motivé. Il ajoute que le moyen de l’appelante critiquant le fait que la décision a été fondée sur des déclarations orales de celles-ci, ne tend qu’à remettre en cause le pouvoir discrétionnaire du juge d’ordonner un sursis.

Il s’oppose à la demande d’évocation arguant de ce que le conseil municipal a émis le v’u de bénéficier d’un double degré de juridiction et observant qu’il n’y a aucune urgence puisque la commune pouvait dès 2009 saisir le juge de l’expropriation pour fixer les indemnités ce qu’elle n’a pas fait, attendant l’été 2023 pour consigner les sommes revenant au bailleur.

Il soutient que sa demande de rejet ou, à tout le moins, de sursis à statuer de première instance était fondée, l’expropriation mettant en cause la pérennité de son installation puisqu’elle prive son exploitation de 60 % de sa superficie et la commune s’étant, jusqu’à présent, abstenue de mettre en ‘uvre ses propositions de réinstallation.

Il fait valoir que sa demande d’expertise judiciaire est légitime, le protocole départemental sur lequel s’appuie l’autorité expropriante étant inapplicable puisque réservé aux emprises partielles ne provoquant aucun déséquilibre grave ce qui n’est pas le cas. Il ajoute qu’il loue bien à son père la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] laquelle doit évidemment être prise en compte. Il précise que devant la cour d’appel de Caen, la commune soutient d’ailleurs que cette parcelle est louée et doit être indemnisée en valeur occupée.

Il rappelle que dans son arrêt du 8 octobre 2021, la cour d’appel de Rennes a retenu un abattement de 15 % pour tenir compte de l’existence d’un bail rural, soit un abattement de 102 723,98 euros.

Le commissaire du gouvernement bien que destinataire des conclusions d’appelante (accusé de réception signé le 14 décembre 2022) n’a pas conclu devant la cour.

SUR CE, LA COUR’ :

Sur la décision de surseoir à statuer’ :

Pour surseoir à statuer sur la demande de fixation des indemnités revenant à M. [S], exploitant, le juge de l’expropriation a retenu que l’expropriante n’ayant ni réglé ni consigné l’indemnité revenant au bailleur en raison notamment de la contestation par ce dernier de l’ordonnance d’expropriation, les parties n’étaient pas dans le besoin pressant de voir fixer l’indemnité revenant à l’exploitant et que, compte tenu de l’encombrement de la juridiction, il était dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de surseoir à statuer.

Si le juge peut discrétionnairement décider de surseoir à statuer, cette décision doit cependant être motivée afin de permettre à la cour d’appel, saisie sur autorisation de son premier président, d’exercer son contrôle sur le bien fondé du sursis ordonné.

En premier lieu et contrairement à ce que soutient la commune de [Localité 10], la décision critiquée du juge de l’expropriation n’est entachée d’aucun excès de pouvoir qu’il soit positif (le juge ne s’étant pas octroyé un pouvoir que la loi ne lui attribuait pas dans la mesure où l’article 378 du code de procédure civile lui permettait de surseoir à statuer) ou négatif (le juge n’ayant pas refusé d’exercer l’une de ses compétences, mais en ayant seulement différé l’examen au fond de l’affaire).

En revanche et en second lieu, les différents éléments retenus par le juge de l’expropriation n’étaient pas de nature à justifier, au regard d’une bonne administration de la justice, le sursis à statuer qu’il a ordonné, étant relevé que ‘:

– la contestation devant la juridiction administrative de l’arrêté de cessibilité et le pourvoi formé contre l’ordonnance d’expropriation ne sont pas suspensifs et n’ont aucune incidence sur la fixation du montant des indemnités,

– le défaut de payement ou de consignation de l’indemnité d’expropriation revenant au bailleur est sans incidence sur la fixation de l’indemnité revenant à l’exploitant et ne saurait justifier que celle-ci soit différée,

– l’urgence est indifférente,

– l’encombrement de la juridiction ne peut constituer un motif pertinent de sursis (la décision rendue ayant, au demeurant, pour effet de l’encombrer encore davantage…).

Il convient donc d’infirmer le jugement du 9 août 2022 et dire n’y avoir lieu de surseoir à statuer.

Sur l’évocation’ :

Il est constant que lorsque l’appel d’un jugement de sursis à statuer a été autorisé, la cour d’appel a la faculté d’évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive (cf. notamment 2e Civ., 12 mars 1997, n° 95-11441).

En l’occurrence, la commune de [Localité 10] rappelle, à juste titre, qu’elle a saisi le juge de l’expropriation en septembre 2020 et qu’en l’absence d’évocation, elle ne peut espérer qu’un jugement soit rendu avant fin 2025 compte tenu de l’encombrement de la juridiction de première instance ce qui ne constitue pas un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (2e Civ., 21 avril 2005, 03-16466, Bull 2005 II n° 110).

Si M. [S] fait valoir que la création de ZAC remonte à près de vingt ans et la déclaration d’utilité publique à treize ans, cette circonstance est indifférente et ne peut justifier un délai de quatre voire cinq ans pour obtenir un jugement de fixation d’indemnités en première instance.

Enfin, et contrairement à ce que ce dernier prétend, la commune n’a nullement renoncé dans le procès verbal du conseil municipal du 12 juin 2023 à demander à la cour d’évoquer mais s’est seulement engagée à interjeter appel à première demande si l’aménageur le lui demandait.

En l’état de ces éléments, il convient donc d’évoquer le fond du litige.

Sur la fixation des indemnités d’éviction revenant à M. [H] [S] fils ‘:

1 ‘ sur la demande de sursis à statuer’ :

Rappelant les caractéristiques de son exploitation (environ 7 hectares sur lesquels il envisageait en 2003, lors de la reprise, une activité de maraîchage avec le label agriculture biologique) et la réponse favorable qu’il avait adressée par lettre recommandée le 9 août 2020 à l’invitation que l’expropriante lui avait adressée, par le truchement de son conseil, la Selarl Cabinet Coudray, avocats, le 8′ juin précédant quant à une éventuelle demande de réinstallation fondée sur les articles L 352-1 et R 352-3 du code rural et de la pêche maritime, non suivie à ce jour d’effet, M. [S] fils sollicite qu’il soit sursis à statuer jusqu’à la proposition de la commune.

L’article L 352-1 du code rural énonce que’:

«’Lorsque les expropriations en vue de la réalisation des aménagements ou ouvrages mentionnés aux articles L 122-1 à L 122-3 du code de l’environnement sont susceptibles de compromettre la structure des exploitations dans une zone déterminée, l’obligation est faite au maître de l’ouvrage, dans l’acte déclaratif d’utilité publique, de remédier aux dommages causés en participant financièrement à l’installation, sur des exploitations nouvelles comparables, des agriculteurs dont l’exploitation aurait disparu ou serait gravement déséquilibrée, ou, s’ils l’acceptent, à la reconversion de leur activité. S’ils le demandent, ces agriculteurs bénéficient d’une priorité d’attribution par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural sur l’ensemble du territoire, sauf si,…

La même obligation est faite au maître de l’ouvrage dans l’acte déclaratif d’utilité publique en cas de création de zones industrielles ou à urbaniser ou de constitution de réserves foncières…’».

L’article R 352-1 du code rural pris en application de ce texte dispose que ‘: «’Lorsque l’acte déclaratif d’utilité publique prévoit l’application des dispositions de l’article L 352-1, le maître de l’ouvrage est tenu, dans les conditions précisées à la présente section, de participer financièrement soit à la réinstallation sur des exploitations nouvelles, soit à la reconversion de l’activité des exploitants agricoles dont les exploitations sont supprimées ou déséquilibrées du fait des expropriations auxquelles il est procédé en vue de la réalisation des aménagement ou ouvrages soumis à évaluation environnementale en application de l’article R 122-2 du code de l’environnement.

La procédure d’expropriation et celle organisée par la présente section se déroulent indépendamment l’une de l’autre. La fixation des indemnités d’expropriation, leur paiement ou leur consignation et la prise de possession des biens expropriés interviennent conformément au droit commun, quel que soit l’état, à leur date, de la liquidation et du versement des participations prévues à l’alinéa qui précède’».

L’article R 352-2 du même code précise les critères permettant de considérer une exploitation agricole comme gravement déséquilibrée (2° Le pourcentage des terres expropriées représente une valeur de productivité supérieure à 35 p. 100 au sens de l’article L 123-4).

À rebours de ce qu’elle avait considéré dans son offre du 8 juin 2020, la commune de [Localité 10] considère dorénavant que M. [H] [S] (fils) ne peut bénéficier d’une éventuelle réinstallation.

Cette question comme l’appréciation de la bonne foi de la commune au regard de son revirement ne sont pas de la compétence du juge de l’expropriation, étant rappelé qu’aux termes des dispositions réglementaires applicables, les deux procédures (fixation de l’indemnisation devant le juge de l’expropriation/contestation relative à la participation financière à la réinstallation ou à la reconversion) sont indépendantes et nullement subordonnées l’une à l’autre puisque la fixation des indemnités d’expropriation ‘ ou d’éviction ‘ leur paiement ou leur consignation et la prise de possession interviennent quel que soit l’état, à leur date, de la liquidation et du versement des participations au titre de la réinstallation.

Il n’y a, dès lors, pas lieu à sursis à statuer de ce chef.

2 ‘ sur la demande d’expertise’ :

M.'[S] fils sollicite qu’une expertise soit ordonnée afin de déterminer son préjudice, faisant valoir que le protocole départemental (25 février 2014, actualisé depuis) sur lequel s’appuie la commune pour présenter son offre est inadapté à la situation puisqu’il ne s’applique, ainsi qu’il a été expressément convenu, qu’aux seules emprises partielles ne provocant pas de déséquilibre grave au sens de l’article L 13-11 ancien du code de l’expropriation (devenu L 242-4 à L 242-7 du code de l’expropriation dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 6 novembre 2014).

Il ressort des pièces produites et il n’est pas contesté que l’exploitation de M. [S] est une petite exploitation de 7 ha 13 a 16 ca (inférieure à la surface minimale d’assujettissement qui est, en [Localité 7] hors pays de [Localité 8], de 9 ha pour la polyculture comme c’est, en l’espèce, le cas) et que l’éviction qui porte sur 4 ha 20 a 53 ca, représente 58,97′ % de sa superficie (ce sous réserve de la parcelle cadastrée section [Cadastre 5] cf. infra), qu’il s’agit donc bien d’un déséquilibre grave, ce d’autant, comme le fait remarquer M. [S] fils, que les terres dont il est évincé sont les plus proches du siège de son exploitation (qui sera séparé des 3 ha restant par un lotissement ce qui ne lui permettra pas d’y accéder directement).

M.'[S] fils produit aux débats les deux derniers bilans de son exploitation agricole (qui constitue une activité annexe). Il en ressort que’ :

– l’exercice 2021 (1er janvier/31 décembre 2021) s’est soldé par un bénéfice de 2’591’euros (soit environ 363,50 euros/ha) pour un produit d’exploitation (subventions comprises) de 13 452’euros,

– l’exercice 2022 (clos le 31 décembre 2022) a dégagé un bénéfice de 3 021’euros (soit 423,70’euros/ha) pour un produit d’exploitation (subventions comprises) de 17’766’euros,

Il sera précisé que les exercices précédents étaient, suivant les conclusions en première instance du commissaire du gouvernement soit équilibrés (bénéfice de 61 euros en 2020), soit déficitaires (”234’euros en 2019, ”1 112’euros en 2018 et ”1’929’euros en 2017).

Ces éléments chiffrés et ceux fournis par l’expropriante ainsi que par le commissaire du gouvernement en première instance dont les conclusions sont régulièrement produites aux débats (pièce n° 10 de la commune) permettent à la cour de statuer sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une expertise. Cette demande sera donc rejetée.

3 ‘ sur le montant de l’indemnité d’éviction de M. [S] ‘:

La commune de [Localité 10] soutient que le bail rural de M. [S] fils ne porte que sur les parcelles cadastrée section [Cadastre 4], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], à l’exclusion de la parcelle [Cadastre 5] qui, convient-il de rappeler, consiste en une bande de terre en longueur de 3’930’m² située entre la parcelle cadastrée section [Cadastre 4] et une voie publique. Pour ce faire, elle vise une quittance sur laquelle cette parcelle n’apparaît pas.

Il convient toutefois de rappeler que lors de la procédure d’expropriation dirigée contre le bailleur, la commune soutenait (et a obtenu satisfaction sur ce point) que cette parcelle était, comme les autres, donnée à bail et qu’un abattement de 15’% devait être appliqué. Cette analyse résultait notamment de la déclaration, visant les quatre parcelles dont la parcelle litigieuse, adressée le 25 novembre 2019 (c’est à dire antérieurement à l’ordonnance d’expropriation du 3 février 2020) par M.'[H] [J] [E] [S], co-signée par le locataire, M. [H] [U] [S], par laquelle le premier informait l’expropriante des baux en cours et ajoutait vouloir en faire son affaire personnelle (pièce n° 7 de l’intimé). Dans son offre initiale (8’juin 2020 ‘ pièce n° 3 de l’intimé), la commune ne contestait pas l’existence d’un bail sur cette parcelle, l’indemnité d’éviction proposée étant calculée en conséquence.

Aussi, la contestation, au demeurant tardive, de l’existence de ce bail n’apparaît pas sérieuse et doit être rejetée. La parcelle cadastrée section [Cadastre 5] doit donc être prise en compte pour le calcul de l’indemnité revenant au locataire.

La commune de [Localité 10] offre une indemnité, calculée sur la base du barème départemental, de 22 179,96’euros comprenant une indemnité pour perte de marge brute de 21’630,99’euros et une indemnité pour fumures et arrières fumures de 548,97 euros.

M.'[S] fils sollicite que cette indemnité soit fixée à hauteur de la somme de 102’723,98’euros correspondant à l’abattement défalqué sur l’indemnité principale revenant au bailleur.

Pour mémoire, il sera rappelé que le commissaire du gouvernement proposait en première instance une indemnité de 24 665,50’euros, également calculée sur la base du protocole départemental dont il précisait qu’il était très favorable à M. [S] (fils) compte tenu des résultats de son exploitation.

L’analyse de M. [S] doit être rejetée, l’abattement pour occupation et l’indemnité d’éviction étant fondés sur des principes différents, le premier résultant d’une situation purement objective (existence d’un bail) alors que la seconde est fixée en fonction des résultats économiques de l’exploitation qui dépend donc de l’activité exercée.

En effet, l’indemnité pour perte d’exploitation du fermier est, en principe, calculée en fonction de la marge brute à l’hectare multipliée par un coefficient tenant compte du temps nécessaire à l’agriculteur pour retrouver des conditions normales d’exploitation.

En l’occurrence la marge brute à l’hectare de l’exploitation de M. [S] est très faible (même en retenant les chiffres les plus favorables de 2022 et non les trois années les plus favorables sur les cinq dernières comme le prévoit la charte départementale) et celui-ci ne tire aucune rémunération fixe de cette activité accessoire si ce n’est les éventuels bénéfices annuels.

Dans ces conditions et sauf à retenir une indemnité d’éviction dérisoire (puisque la perte de surface n’entraîne quasiment pas de perte de marge puisque celle-ci est très faible), l’application du barème départemental est effectivement très favorable à l’exploitant évincé. Eu égard à ce caractère, celle-ci doit être retenue. Il devra toutefois être également tenu compte, comme le fait valoir à juste titre M. [S], des difficultés liées à la séparation du siège de l’exploitation par rapport aux terres subsistantes (suppression du cheminement privé), la réparation devant être intégrale.

Il convient donc de retenir une indemnité à l’hectare de 5 674’euros calculée en fonction de la catégorie des terres et sur cinq ans pour tenir compte de la pression foncière dans le secteur considéré, soit, pour une superficie de 4 ha 20 a 53 ca, une somme de 23’860,87 euros à laquelle il convient d’ajouter’ :

– une indemnité d’arrière fumure de 607,25 euros (calculée sur la base de 144,40 euros/ha),

– une indemnité pour trouble d’exploitation (résultant de la séparation des terres subsistantes du siège de l’exploitation de 3 000 euros,

soit au total la somme de 27’468,11 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles’ :

La commune de [Localité 10] supportera la charge des dépens.

Elle devra verser à M. [H] [U] [S] une somme de 4’000’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS’ :

Statuant par arrêt rendu publiquement et réputé contradictoire’ :

Rejette la demande de nullité du jugement rendu le 9 août 2022 par le juge de l’expropriation du département d’Ille-et-Vilaine.

Infirme ce jugement et statuant à nouveau’ :

Dit n’y avoir lieu à sursis à statuer.

Évoquant’ :

Rejette les demandes de sursis à statuer et d’expertise présentées par M. [H] [U] [S].

Fixe le montant de l’indemnité revenant à M. [H] [U] [S] pour son éviction des parcelles qu’il exploite sises à [Localité 10] à la somme globale de 27 468,11 euros.

Rejette le surplus des demandes.

Condamne la commune de [Localité 10] aux dépens de première instance et d’appel.

Condamne la commune de [Localité 10] à payer à M. [H] [U] [S] une somme de 4’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,

 


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