Indemnité d’éviction : 9 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03411

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Indemnité d’éviction : 9 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03411

9 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG
21/03411

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30Z

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 FEVRIER 2023

N° RG 21/03411 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UQ65

AFFAIRE :

S.C.I. J.P.B.

C/

[P] [M]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mai 2021 par le TJ de PONTOISE

N° Chambre : 2

N° RG : 19/03125

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Stéphanie TERIITEHAU

TJ PONTOISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.C.I. J.P.B.

RCS Pontoise n° 338 289 200

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Thomas YESIL substituant à l’audience Me Christophe DELPLA de la SCP DELPLA & LAPALU, Plaidant, avocat au barreau de PONTOISE

APPELANTE

****************

Monsieur [P] [M]

né le 16 Janvier 1964 à [Localité 9] (95)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELARL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Eric PERGAMENT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1831

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Le 1er octobre 1988, Mme [Z] [Y], épouse [M], a consenti à la SCI JPB un bail commercial portant sur des locaux sis [Adresse 4] à [Localité 7] (95) pour une durée de neuf années. Ce bail a été renouvelé le 15 janvier 1998 puis a été prolongé par tacite reconduction.

Le 17 janvier 2001, M. [P] [M] est venu aux droits de sa mère Mme [Z] [M], à son décès.

En 2011, M. [M] a engagé une procédure en acquisition de la clause résolutoire et expulsion à l’encontre de la société JPB.

Par arrêt du 27 mars 2013, la cour d’appel de Versailles a débouté M. [M] de sa demande tendant à faire constater la résiliation de plein droit du bail.

Le 28 février 2018, M. [M] a mis en demeure la société JPB d’exploiter les locaux, indépendamment de la seule sous-location des locaux, mise en demeure préalable à congé du bail commercial sans indemnité d’éviction.

Le 28 mars 2018, M. [M] a délivré à la société JPB un congé pour le 30 septembre 2018, avec refus de renouvellement et sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction.

La société JPB a quitté les locaux, les clés en ont été restituées le 6 décembre 2018.

Par acte du 10 mai 2019, la société JPB a assigné M. [M] devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins de le voir condamner au paiement d’une indemnité d’éviction et au remboursement de certains travaux.

Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

– débouté la société JPB de l’ensemble de ses demandes ;

– condamné la société JPB à payer à M. [M] la somme de 4.968 € au titre de l’arriéré locatif ;

– condamné la société JPB à payer à M. [M] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire du jugement ;

– condamné la société JPB aux dépens.

Par déclaration du 27 mai 2021, la société JPB a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 4 février 2022, la SCI JPB demande à la cour de :

– Déclarer la SCI JPB recevable et bien fondée en son appel ;

– Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise en date du 10 mai 2021 en ce qu’il a :

– Débouté la SCI JPB de l’ensemble de ses demandes,

– Condamné la SCI JPB à payer à M. [P] [M] les sommes de :

– 4.968 € au titre de l’arriéré locatif,

– 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné la SCI JPB aux dépens ;

Et statuant à nouveau,

– Juger que le bail du 1er octobre 1988 renouvelé le 15 janvier 1998 consenti à la SCI JPB est soumis aux dispositions du statut des baux commerciaux régi par les articles L.145-14 et suivants du code de commerce, qui confèrent notamment au preneur le droit au renouvellement ;

– Juger que M. [P] [M] est irrecevable à contester le statut des baux commerciaux par l’effet de la prescription de son action, en application de l’article L.145-60 du code de commerce, ou subsidiairement, en vertu du principe de « l’estoppel » ;

En toutes hypothèses,

– Juger que M. [P] [M] ne justifie pas d’un motif grave et légitime, au sens de l’article L.145-17-1° du code de commerce, l’exonérant du paiement d’une indemnité d’éviction ;

En conséquence,

– Condamner M. [P] [M] à payer à la SCI JPB les sommes de :

– 200.000 € à titre d’indemnité d’éviction sur le fondement de l’article L.145-14 du code de commerce,

– 250.800 € à titre de remboursement indemnitaire des travaux d’amélioration et d’aménagement réalisés dans les locaux loués, sur le fondement des articles 1193 et suivants du code civil,

– 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Assortir les sommes allouées à la SCI JPB des intérêts au taux légal et capitalisés, à compter de l’arrêt à intervenir, en application de l’article 1154 du code civil ;

Subsidiairement, sur la demande de remboursement indemnitaire,

– Désigner tel expert qu’il plaira, avec mission d’évaluer les travaux d’amélioration et d’aménagement en question, tels que mentionnés dans « l’état des lieux et estimatif » en date du 30 octobre 2012 établi par M. [U] [D], architecte DPLG ;

En tout état de cause,

– Débouter M. [P] [M] de toutes ses demandes ;

– Condamner M. [P] [M] aux dépens de la procédure en première instance et en appel, dont le montant sera recouvré par Me Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 6 septembre 2022, M. [P] [M] demande à la cour de :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SCI JPB de l’ensemble de ses demandes ;

– Juger que la SCI JPB ne saurait bénéficier du statut des baux commerciaux ;

Subsidiairement,

– Juger que le congé délivré avec refus de renouvellement et refus de paiement de l’indemnité d’éviction est justifié ;

En conséquence,

– Débouter la SCI JPB de sa demande en paiement d’une indemnité d’éviction ;

Subsidiairement,

– Juger que l’indemnité d’éviction se limitera aux seuls frais de déménagement ;

– Constater que la SCI JPB ne justifie pas de ses frais de déménagement ;

– Débouter la SCI JPB de sa demande en paiement de l’indemnité d’éviction ;

– Débouter la SCI JPB de sa demande indemnitaire au titre du remboursement des travaux prétendument réalisés, ainsi que de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SCI JPB à verser à M. [P] [M] la somme de 4.968 € au titre de l’arriéré locatif et des indemnités d’occupation ;

Y ajoutant,

– Condamner la SCI JPB à verser à M. [P] [M] la somme de 10.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la SCI JPB aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau, agissant par Me Stéphanie Teriitehau, Avocat, et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 22 septembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l’application du statut des baux commerciaux

Sur la prescription

La société JPB rappelle que les parties ont voulu dès l’origine soumettre la location au statut des baux commerciaux, et soutient que la demande contestant l’application de ce statut est prescrite, l’article L.145-60 du code de commerce prévoyant une prescription de deux années. Elle ajoute que le droit de dénier le statut des baux commerciaux commence à courir à la conclusion du contrat de bail ou de son renouvellement, et ne peut être invoqué ‘à tout moment de la procédure en fixation d’indemnité d’éviction’.

M. [M] avance que le preneur doit rassembler les conditions nécessaires pour bénéficier du statut des baux commerciaux afin de pouvoir solliciter le paiement d’une indemnité d’éviction. Selon lui, le bailleur peut dénier au locataire le droit à ce statut tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue sur la fixation de l’indemnité d’éviction, ce qui exclut le délai prévu par l’article L.145-60 du code de commerce. Il conteste toute prescription biennale.

*****

Le bailleur qui a offert le paiement d’une indemnité d’éviction après avoir exercé son droit d’option peut dénier au locataire le droit au statut des baux commerciaux tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue sur la fixation de l’indemnité d’éviction. Il ne peut alors se voir opposer la prescription biennale.

Ainsi, la demande en dénégation du droit au statut des baux commerciaux n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.145-60 du code de commerce, prévoyant que toutes les actions relatives aux baux commerciaux se prescrivent par deux ans, dès lors que la demande de fixation de l’indemnité d’éviction a été introduite dans ce délai.

La société JPB ne peut tirer argument du fait que ce droit à dénégation du statut des baux commerciaux n’a pas été exercé au cours des deux années suivant la signature du bail, ou son renouvellement.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté la prescription soulevée par la société JPB.

Sur la reconnaissance du statut des baux commerciaux

La société JPB soutient que M. [M] a expressément reconnu que le bail relevait du statut des baux commerciaux, tant dans sa demande de révision triennale que dans son congé, de sorte qu’il est irrecevable, au vu du principe de l’estoppel, à se contredire en déniant l’application de ce statut.

M. [M] indique qu’il ne conteste pas la nature commerciale du bail, ou sa qualification, mais le droit à la propriété commerciale lors de son renouvellement. Il avance que l’application du statut des baux commerciaux pendant la relation contractuelle n’induit pas la reconnaissance du droit à la protection du statut des baux commerciaux lors du renouvellement du bail.

*****

Les défenses au fond pouvant être invoquées en tout état de cause, un bailleur qui a délivré un congé avec refus de renouvellement peut, au cours de l’instance en fixation de l’indemnité d’éviction, dénier l’application du statut des baux commerciaux.

L’estoppel tend à sanctionner le comportement contradictoire d’une partie ayant fait naître une fausse représentation chez son adversaire, et relève du principe de loyauté procédurale.

S’il peut être retenu lorsqu’une partie a, au cours du débat judiciaire, modifié ses prétentions, il ne peut être tenu compte des allégations antérieures à la procédure en cause, pour considérer que cette partie s’est contredite au détriment d’autrui.

Aussi, la société JPB ne peut tirer argument du fait que M. [M] avait, dans sa demande de révision triennale du loyer du 19 octobre 2013 comme dans son congé avec refus de renouvellement du 28 mars 2018, visé les dispositions du code de commerce applicables aux baux commerciaux, pour lui interdire de contester l’application de ce statut, cette contestation étant soulevée dans la procédure distincte, initiée par la société JPB le 10 mai 2019 et tendant à obtenir le paiement d’une indemnité d’éviction et le remboursement de certains travaux.

La société JPB sera donc déboutée de cette demande.

Sur le bénéfice par la société JPB du statut des baux commerciaux et l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés

La société JPB rappelle avoir pour activité la ‘gestion de biens immobiliers’ ce qui permettait à son gérant de gérer le fonds de commerce de son domicile, les aspects matériels et rendez-vous physiques avec les prestataires ou clients intervenant dans les locaux loués au [Adresse 4] à [Localité 7]. Il soutient que ce local était ‘accessoire’, donc dispensé d’immatriculation au RCS, et qu’il ne concernait pas une exploitation commerciale distincte de celle du siège de l’établissement principal, de sorte que le jugement a à tort retenu qu’il s’agissait d’un établissement secondaire. Elle fait état de réunions professionnelles tenues dans ces locaux, comme en attestent des clients, et du fait qu’il se trouve dans le ressort du tribunal de commerce de Pontoise comme son siège social de sorte qu’une immatriculation n’était pas nécessaire. Elle conteste son intention d’y transférer son siège social, ce que de plus ne peut savoir son bailleur.

M. [M] soutient que la société JPB ne peut bénéficier du statut des baux commerciaux, ne justifiant ni de l’immatriculation des locaux objet du bail au RCS, ni de la propriété du fonds et de son exploitation effective.

S’agissant de l’immatriculation, il avance que le commerçant doit être immatriculé pour son établissement principal comme pour chacun des établissements secondaires, et qu’en l’espèce les locaux en cause ne sont pas mentionnés sur le Kbis de la société JPB. Il conteste la qualité de ‘local accessoire’ revendiquée par la société JPB, qui indique y avoir reçu de la clientèle ce qui est incompatible avec cette qualité. Il ajoute qu’un tel local doit être inscrit au registre dès qu’il constitue un établissement soumis à inscription complémentaire, que les parties avaient manifesté leur intention d’en faire un établissement secondaire.

*****

L’application du statut des baux commerciaux est subordonnée à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés du locataire commerçant propriétaire du fonds exploité dans les lieux.

L’article L.145-1 du code de commerce prévoit notamment que ‘les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :

1° Aux baux de locaux ou d’immeubles accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire du local ou de l’immeuble où est situé l’établissement principal’.

En l’espèce, sur l’extrait Kbis du 30 janvier 2011 de la société JPB, seule est indiquée l’adresse du [Adresse 3], soit l’adresse de son gérant M. [C] [I] ; l’adresse des locaux objet du bail soit [Adresse 4] à [Localité 7] n’y figure pas. Il en est de même de l’extrait Kbis du 30 mai 2019 de cette société.

Le fait que l’activité de la société JPB ait été la gestion de biens immobiliers ne saurait la dispenser de l’exigence d’immatriculation de ses locaux.

Si la société JPB soutient que les locaux objet du bail peuvent être considérés comme accessoires, susceptibles d’être dispensés d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, les locaux sont accessoires si le fonds n’y est pas exploité distinctement.

En l’espèce, les locaux ne sont pas contigus, puisque l’adresse de l’établissement principal de la société JPB est à [Localité 10] alors que les locaux en cause sont à [Localité 7], et il ressort des conclusions de la société JPB que ces locaux étaient utilisés pour y tenir des réunions, y avoir des rendez-vous avec de la clientèle ou des prestataires, ou pour y procéder à des signatures, de sorte que la qualification de ‘locaux accessoires’ ne peut être retenue.

Par ailleurs, la société JPB ne peut prendre argument du fait que les locaux de [Localité 7] se situent dans le ressort du même tribunal que ceux de [Localité 10] pour en déduire qu’elle était ainsi dispensée de l’exigence d’immatriculation au RCS, alors que l’article R.128-23 du code de commerce prévoit expressément que ‘tout commerçant immatriculé qui ouvre un établissement secondaire dans le ressort d’un tribunal où il est déjà immatriculé demande au greffe de ce tribunal, par l’intermédiaire de l’organisme unique mentionné à l’article R.123-1 et dans le délai d’un mois avant ou après cette ouverture, une inscription complémentaire’.

Au seul vu de ce qui précède, la condition d’immatriculation des locaux au RCS n’étant pas remplie, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a, considérant que la société JPB ne répondait pas à l’une des conditions posées par l’article L.145-1 du code de commerce, rejeté sa demande d’indemnité d’éviction.

Sur la demande de remboursement des travaux

La société JPB indique avoir engagé des travaux d’aménagement de grande ampleur, qu’elle n’aurait pas entrepris sans l’assurance que son bailleur l’indemniserait, et relève que le bail de 1988 n’exclut pas l’indemnisation du preneur pour les travaux d’amélioration, lesquels ont complètement modifié l’économie générale des locaux loués. Elle rappelle que M. [T] [M] (époux de Mme [Z] [M]) s’était engagé à l’indemniser pour lesdits travaux, que cet engagement est opposable à M. [P] [M], et que l’exécution de cet engagement s’impose du fait du congé donné, mettant fin au bail. Elle avance que cet engagement tient au-delà de la durée initiale du bail du 1er octobre 1988, les clauses et conditions demeurant inchangées lors du renouvellement. Elle ajoute que la condition prévue pour l’indemnisation, soit la fin du contrat de bail sur l’initiative du bailleur, est intervenue. Elle en déduit que l’obligation de M. [M] de lui rembourser les travaux réalisés ne peut être contestée.

M. [M] avance que la société JPB ne peut se prévaloir d’un engagement de Mme [Z] [M], seule propriétaire des locaux, et que le fait que M. [T] [M] ait pris l’initiative d’indiquer que Mme [Z] [M] accepterait la prise en charge des travaux d’amélioration ne saurait engager ni celle-ci ni son héritier. Il ajoute que même à considérer l’engagement de M. [T] [M] valable, il ne peut avoir effet sur une fin de bail intervenue 30 années plus tard. Il relève que le jugement a considéré que l’engagement ne valait que pour le bail conclu en 1988, et que la condition déclenchant la prise en charge des travaux ne s’est pas alors manifestée, de sorte que la demande de prise en charge des travaux a été rejetée. Il souligne que la société JPB ne produit pas la moindre facture pour fonder une demande de 250.000 €, et ne verse qu’un état estimatif établi en 2012 par un architecte. Il conclut au débouté de la société JPB de sa demande.

*****

Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

En l’espèce, la société JPB sollicite la condamnation de M. [M] au paiement de 250.800 € au titre du remboursement indemnitaire des travaux d’amélioration et d’aménagement réalisés dans les locaux loués, en se fondant sur un ‘état des lieux et estimatif’ dressé par un architecte le 30 octobre 2012.

L’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 2 juillet 2019 indique que M. [T] [M] a toujours été l’interlocuteur de la société JPB, représentant son épouse bailleresse [Mme [Z] [M]] pour toutes les questions se rapportant à la gestion de la location, et s’était expressément présenté par courrier du 6 janvier 1989 comme mandataire de son épouse qui le chargeait de la gestion de la location, de sorte que M. [M] ne peut contester la validité des engagements pris par M. [T] [M] auprès de tiers, qui lui sont opposables.

Par ce courrier du 6 janvier 1989, M. [T] [M] a donné à la société JPB ‘l’autorisation de procéder aux travaux d’amélioration et d’aménagement intérieur des lieux loués.

Travaux dont d’ailleurs vous m’avez donné le détail lors de notre entrevue en décembre. Et ces travaux découlant du bail qui vous a été consenti en date du 1er octobre dernier.

Enfin si la bailleresse, pour toute raison sérieuse que ce soit et qui serait appréciée par la juridiction compétente entendait résilier votre bail, elle s’engageait à vous indemniser’. …

Ainsi l’autorisation apparaît avoir été donnée à la suite de la conclusion du bail le 1er octobre [1988] intervenue quelques semaines avant, et l’engagement d’indemnisation est en lien avec ‘votre bail’ soit celui du 1er octobre 1988.

La société JPB ne peut cependant soutenir que cet engagement était valable indéfiniment.

En outre Mme [M] la bailleresse n’a pas mis fin au contrat de bail conclu le 1er octobre 1988, ce bail étant arrivé à son terme et ayant été renouvelé par acte du 15 janvier 1998.

La société JPB ne peut tirer argument de la mention figurant dans ce nouveau bail que ‘toutes les clauses et conditions mentionnées au bail originel du 1er octobre 1988, enregistré le 12 janvier 1989 à [Localité 8]-Est demeurent inchangées ce dont il est accepté entre les parties’, alors que l’engagement pris par M. [T] [M] dans la lettre du 6 janvier 1989 ne fait pas partie du contrat de bail du 1er octobre 1988, n’y figure pas, et que le bail de 1998 constitue un nouveau bail, qui ne contient pas un tel engagement.

La société JPB ne saurait soutenir que l’engagement de M. [T] [M], pris peu après la conclusion du bail du 1er octobre 1988, peut produire effet lors d’une fin de bail intervenue à la fin de l’année 2018, près de 30 années après le courrier du 6 janvier 1989 contenant cet engagement, et ce alors que le bail a été entre-temps renouvelé, puis a été tacitement reconduit.

Il sera au surplus relevé, comme l’a fait le jugement, que l’hypothèse d’un défaut de renouvellement du bail au bout de trente années n’a pas été envisagée par le courrier du 6 janvier 1989.

Aussi, c’est à raison que le jugement en a déduit que la condition prévue par cette lettre du 6 janvier 1989 ne s’était pas réalisée, de sorte que la société JPB ne peut solliciter le remboursement des travaux comme elle le revendique.

Sur la demande reconventionnelle de M. [M]

Le jugement a condamné la société JPB au paiement de la somme de 4.968 € au titre de l’arriéré locatif, soit 2.035 € au titre de la taxe foncière 2018, 4.400 € au titre du loyer du 3ème trimestre 2018, 2.933 € au titre de l’indemnité d’occupation égale au montant du loyer des mois d’octobre et novembre 2018, et a déduit le montant du dépôt de garantie (soit 4.400 €).

M. [M] soutient que le montant du dépôt de garantie retenu par le jugement (4.400 €) est inexact, et qu’il convient de retenir le montant de 2.572,51 € à ce titre, mais demande, dans le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour, la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné la SCI JPB à lui verser la somme de 4.968 € au titre de l’arriéré locatif et des indemnités d’occupation. Il sollicite le maintien des autres sommes arrêtées par le jugement.

La société JPB indique que c’est à raison que le jugement a retenu le montant de 4.400 € au titre du dépôt de garantie. Elle ajoute avoir quitté les lieux le 15 novembre 2018, de sorte que la somme retenue au titre de l’indemnité d’occupation devrait être réduite d’autant. Elle conclut qu’elle ne saurait être redevable d’une somme supérieure à 4.289,77 €.

*****

Le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a retenu que la société JPB était redevable du paiement de la taxe foncière de 2.035 €, et du loyer du 3ème trimestre 2018 soit 4.400 €.

Les deux parties retiennent un dépôt de garantie payé en 1988 de 16.850 francs par la société JPB, et celle-ci produit une impression d’écran d’un convertisseur franc-euro de l’INSEE, montrant que 16.850 francs en 1988 équivalent à 4.345,23 € en 2021.

Aussi, et M. [M] ne produisant aucune pièce soutenant son estimation et susceptible de contester celle de la société JPB, la somme proposée par celle-ci sera retenue.

S’agissant de l’indemnité d’occupation pour les mois d’octobre et novembre 2018, si la société JPB soutient avoir tenté à plusieurs reprises de remettre les clés des locaux à M. [M] au cours du mois de novembre 2018, elle ne verse pour en justifier que le courrier qu’elle lui a alors adressé, portant date du 20 novembre 2018, la cour relevant que le tampon de la poste figurant sur le formulaire d’avis de réception porte la date du 24 novembre 2018.

Dans ces conditions, et alors que la réticence du bailleur à récupérer les clés ne ressort que des termes du courrier de la société JPB, c’est à raison que le jugement l’a condamnée au paiement d’une indemnité d’occupation correspondant aux mois d’octobre et novembre 2018 en leur entièreté.

Le montant ainsi déterminé étant supérieur à celui arrêté par le jugement, dont le bailleur sollicite la confirmation, il sera fait droit à sa demande et le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné le preneur au paiement de la somme de 4.968 € au titre de l’arriéré locatif et des indemnités d’occupation.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé s’agissant des dépens et frais irrépétibles de 1ère instance.

Succombant au principal, la société JPB sera condamnée au paiement des dépens d’appel, ainsi qu’au versement de la somme de 3.000 € à M. [M] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la SCI JPB à verser à M. [P] [M] la somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau, agissant par Me Stéphanie Teriitehau, Avocat, et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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