Your cart is currently empty!
7 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/09672
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 07 JUIN 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/09672 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCB2Z
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris – RG n° 18/05655
APPELANTE
S.A.R.L. CAMILLE, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 477 496 830, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité, au siège social:
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marc ARTINIAN de la SELASU MAPG Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : D1759
INTIMEE
Mme [L] [N] née [E]
née le 9 janvier 1957 à [Localité 7]
de nationalité française
décédée le 7 avril 2022
PARTIE INTERVENANTE :
Monsieur [S] [W] venant aux droit de Madame [L] [N] née [E], décédée,
né le 17 janvier 1986 à [Localité 6]
de nationalité française
demeurant:
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241
Assisté de Me Sabine CHASTAGNIER de l’AARPI CABINET BRAULT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 4 Avril 2023, en audience publique, devant Mme Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et M. Douglas BERTHE, Conseiller, rapport ayant été fait par Madame Nathalie RECOULES, conformément aux articles 804, 805 et 907 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Nathalie RECOULES, Présidente de chambre
Douglas BERTHE, Conseiller
Emmanuelle LEBÉE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier, lors des débats : Laurène BLANCO
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et par Mme Laurène BLANCO, Greffier présent lors de la mise à disposition.
Faits et procédure
Par acte sous-seing privé en date des 21 juin et 24 juillet 2007, Mme [N] a donné à bail commercial en renouvellement à la SARL Camille des locaux au rez-de-chaussée de l’immeuble sis [Adresse 2], pour une durée de neuf ans à compter du 1er août 2007. L’activité prévue au bail était « commerce de maroquinerie, bonneterie, lingerie, chemiserie, confection et accessoires ».
Par acte extrajudiciaire du 23 mai 2016, Mme [N] a fait délivrer à la société Camille un congé avec offre de renouvellement à effet du 31 décembre 2016. Par acte extrajudiciaire du 12 septembre 2016, elle a exercé le droit d’option prévu à l’article L145-47 du code de commerce en refusant le renouvellement du bail, offert le paiement d’une indemnité d’éviction et demandé le paiement de l’indemnité d’occupation prévue par l’article L145-28 du code de commerce.
Par jugement avant dire droit du 28 février 2017, le tribunal judiciaire de Paris a désigné M. [V] [F] en qualité d’expert judiciaire avec mission de fournir tous éléments permettant la fixation de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation.
Par jugement en date du 11 mai 2018, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :
– dit que l’éviction entraîne la perte du fonds de commerce exploité par la société Camille dans les locaux sis [Adresse 2] ;
– fixé l’indemnité d’éviction à la somme de 133.480 euros, soit indemnité principale : 112.000 euros, frais de remploi : 11.200 euros, trouble commercial : 2.250 euros, frais de déménagement : 1.000 euros, frais de réinstallation : 5.530 euros, frais divers : 1.500 euros, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatif ;
– dit que la société Camille est redevable à l’égard de Mme [N] d’une indemnité d’occupation, à compter du 1er janvier 2017 ;
– fixé le montant de cette indemnité à la somme de 17.350 euros par an, outre les taxes et les charges prévues au bail ;
– dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit, compte étant tenu des montants versés par la société Camille depuis le 1er janvier 2017 ;
– condamné Mme [N] aux entiers dépens, en ce compris le coût de l’expertise judiciaire ;
– condamné Mme [N] à payer à la société Camille la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration en date du 16 juillet 2020, la société Camille a interjeté appel total du jugement du 11 mai 2018.
Moyens et prétentions
Par conclusions déposées le 3 avril 2023, la société Camille, appelante, demande notamment à la cour de :
– infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris en date du 7 juillet 2020, en ce qu’il a fixé l’indemnité pour trouble commercial à la somme de 2.250 euros et celle pour frais de réinstallation à la somme de 5.530 euros, fixé le montant de l’indemnité d’occupation dont est redevable la société Camille à la somme de 17.350 euros par an, outre les taxes et les charges prévues au bail ;
Et statuant à nouveau,
– déclarer recevables les demandes présentées par la SARL Camille ;
– débouter M [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner M [N] au versement d’une indemnité pour trouble commercial d’un montant de 4.745,93 euros et pour frais de réinstallation d’un montant de 14.380 euros ;
soit une indemnité d’éviction totale d’un montant de 144.825,93 euros, outre l’indemnisation de la perte sur stocks subie par la société Camille et les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs ;
– fixer le montant de l’indemnité d’occupation dont est redevable la société Camille à la somme de 13.500 euros par an, outre les taxes et les charges prévues au bail ;
– condamner M [N] au versement d’un montant de 15.000 euros au profit de la SARL Camille en indemnisation du préjudice subi résultant de la notification du congé avec refus de renouvellement ;
– condamner M [N] à rembourser à la société Camille la somme de 5.400 euros correspondant à son dépôt de garantie ;
– condamner en cause d’appel M [N] à payer à la SARL Camille la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner en cause d’appel, M [N] aux entiers dépens de l’instance,
– le confirmer pour le surplus, notamment en ce qu’il a fixé l’indemnité d’éviction principale à la somme de 112.000 euros, celle au titre des frais de remploi à la somme de 11.200 euros, celle pour frais de déménagement à la somme de 1.000 euros.
Par conclusions déposées le 30 juillet 2022, M. [S] [W], en sa qualité d’intervenant volontaire venant aux droits de Mme [N] décédée, demande notamment à la cour de :
à titre principal,
– recevoir M. [W] venant aux droits de Mme [L] [N] en son appel incident, y faisant droit ;
– déclarer M. [S] [W] recevable et bien fondé en son intervention volontaire ;
– déclarer irrecevable et à défaut non fondée la demande de la société Camille tendant à obtenir la condamnation de M [N] à lui verser la somme de 15.000 euros en indemnisation d’un préjudice subi résultant de la notification d’un refus de renouvellement ;
– déclarer irrecevable et à défaut non fondée la demande de la société Camille tendant à obtenir la restitution du dépôt de garantie ;
– infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a fixé l’indemnité d’éviction à la somme de 133.480 euros ;
Et statuant à nouveau,
– fixer l’indemnité d’éviction revenant à la société Camille à la somme de 124.450 euros soit, indemnité principale : 104.700 euros, frais de remploi :10.470 euros, trouble commercial : 2.250 euros, frais de déménagement : 0 euros, frais de réinstallation : 5.530 euros, frais divers : 1.500 euros ;
Pour le surplus, confirmer le jugement en ses autres dispositions ;
En tout état de cause,
– débouter la société Camille de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société Camille au paiement d’une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris l’intégralité des frais d’expertise, dont le recouvrement sera poursuivi par Me Eric Allerit conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
à titre subsidiaire,
Si la cour n’entendait pas faire droit à l’appel incident de M. [S] [W] venant aux droits de Mme [N] :
– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a fixé l’indemnité d’éviction à la somme de 133.480 euros ;
-dit que la société Camille est redevable à l’égard de M. [S] [W] venant aux droits de Mme [N] d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2017 ;
– fixé le montant de cette indemnité à la somme de 17.350 euros par an, outre les taxes et charges prévues au bail ;
– dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit compte tenu des montants versés par la société Camille depuis le 1er janvier 2017 ;
En tout état de cause,
– débouter la société Camille de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
-condamner la société Camille au paiement d’une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise, dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL Taze-Bernard Allerit, en la personne de Me Eric Allerit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à la déclaration d’appel et aux conclusions déposées.
SUR CE,
Il sera pris acte de l’intervention volontaire de M [S] [W] venant aux droits de Mme [L] [N], intimée et appelante incidente dans l’affaire dont état, en sa qualité d’héritier tel que cela résulte de l’attestation dévolutive dressée par Maître [T] [C], notaire à [Localité 5] le 22 juin 2022, laquelle n’est pas demeurant pas discutée.
Sur les fins de non-recevoir
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour des prétentions nouvelles, si ce n’est pour faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Selon l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins même si leur fondement juridique est différent et l’article 566 énonce par ailleurs que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
L’article 567 du code de procédure civile dispose que les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel, recevabilité qui s’apprécie au regard de leur lien avec les prétentions originaires du demandeur initial à l’instance.
Conformément aux dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile, les parties doivent présenter dès leurs premières conclusions l’ensemble de leurs prétentions sur le fonds.
M [N] considère irrecevables à hauteur d’appel les prétentions de la société Camille en paiement de dommages et intérêts, en ce qu’elle n’a jamais été formulée, ni à titre principal, ni à titre reconventionnel en première instance, et en remboursement du montant du dépôt de garantie présentées en ce qu’elle n’a pas été formulée dans les premières conclusions signifiées par la société Camille le 15 octobre 2020.
La société Camille oppose que cette demande reconventionnelle a un lien suffisant avec la prétention d’origine de Mme [N] devant les premiers juges de voir dire que l’éviction entraînera la perte du fonds de commerce.
Il est constant qu’après avoir délivré, le 23 mai 2016, un congé avec offre de renouvellement, Mme [N] a exercé son droit d’option par acte notifié le 12 septembre 2016 à la société Camile. Par conclusions en date du 20 mars 2019, Mme [N] a sollicité du tribunal saisi au fond du litige qu’il constate que le refus de renouvellement entraînera la perte du fonds de commerce exploité par la société Camille et qu’il fixe le montant des indemnités d’éviction et d’occupation.
La demande de dommages et intérêts présentée par la société Camille devant la cour, en ce qu’elle tend à voir examiner le caractère éventuellement fautif de l’exercice du droit d’option par le bailleur ayant entraîné la perte du fonds de commerce, se rattache de ce fait par un lien suffisant à la prétention d’origine de Mme [N] et sera déclarée recevable.
En revanche, la prétention au titre du remboursement du dépôt de garantie sera déclarée irrecevable en ce qu’elle n’a pas été formulée dans les premières conclusions signifiées par la société Camile dans les trois mois de sa déclaration d’appel.
Sur l’indemnité d’éviction
Aux termes de l’article L.145-14 du code de commerce, en cas de congé avec refus de renouvellement, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction destinée à permettre à ce locataire de voir réparer l’entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. L’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Sur l’indemnité principale
Aux termes de l’article L.145-14 du code de commerce, « le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement […, laquelle] comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »
Les conséquences de l’éviction s’apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de remplacement.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’éviction de la société Camille entraînera la perte du fonds de commerce.
L’appréciation de l’indemnité de remplacement implique dans un premier temps d’étudier les caractéristiques du bail s’agissant de sa destination, des clauses usuelles ou exorbitantes de croit commun y incluses, des locaux s’agissant de leur implantation, de leur emplacement, de leur aménagement et de leur commercialité, ce que le tribunal a opéré par motifs détaillés que la cour adopte et auxquels il est renvoyé.
Du fait de la perte du fonds de commerce, l’indemnité d’éviction principale doit être estimée en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce, laquelle est au minimum équivalente à la valeur du droit au bail dans l’hypothèse d’un fonds de commerce à faible rentabilité ou déficitaire.
Il convient donc d’estimer successivement la valeur vénale du droit au bail et celle du fonds de commerce pour déterminer le montant de l’indemnité principale.
Sur la valeur du fonds de commerce
La méthode d’évaluation de la valeur du fonds de commerce par un pourcentage du chiffre d’affaires recoupée par la méthode de l’EBE n’est pas discutée.
En revanche, M [N] fait grief au tribunal d’avoir retenu le pourcentage du chiffre d’affaires proposé par l’expert à hauteur de 75%, qui conduit à une valeur du fonds de commerce de 112.171 euros, soit 5,43 fois l’excédent brut d’exploitation moyen sur trois ans (20.462 €), ce qu’il considère excessif au regard de la réalité de la rentabilité de l’exploitation et propose de fixer le pourcentage à 70%.
Cependant, c’est par motifs pertinents – que la cour adopte – que le tribunal a considéré qu’au regard des qualités de l’emplacement, de la pérennité du fonds, de la progression de son chiffre d’affaires et de l’EBE sur l’année 2017, le pourcentage de 75% proposé par l’expert devait être retenu, lequel de surcroît apparaît cohérent avec les références de fixations judiciaires pour des magasins de prêt-à-porter citées par l’expert, oscillant entre 72 et 75% pour des chiffres d’affaires entre 108.855 € HT et 222.662 € sans qu’il ne soit précisé s’il s’agit d’un chiffre d’affaires hors taxes ou toutes taxes comprises.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a entériné la valeur du fonds proposée par l’expert soit 112.000 euros.
Sur la valeur du droit au bail
La valeur du droit au bail se déduit par la différence entre la valeur locative de marché et la valeur du loyer si celui-ci avait été renouvelé, à laquelle il est d’usage d’appliquer un coefficient de situation en fonction de l’attractivité commerciale de la zone où sont situés les locaux.
Les valeurs retenues par le tribunal ne sont pas contestées et seront récapitulées :
pour une surface de 21,22 m²P ;
la valeur locative de marché :1.200 €/m² x 21,22 m²P = 25.464 € ;
la valeur locative en renouvellement : 12.301,28€ ;
un coefficient de 7,5 au regard de l’intérêt commercial de l’emplacement ;
soit une valeur du droit au bail de 100.640 euros
Sur les indemnités accessoires
Sur les frais de remploi
Ces frais comprennent les frais et droits de mutation que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller.
La valeur du fonds de commerce étant confirmée à 112.000 euros, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la proposition de l’expert de retenir un pourcentage de 10% de la valeur vénale du fond, soit la somme de 11.200 euros.
Sur le trouble commercial
Ce préjudice résulte de la gestion de son expulsion par le locataire et, faute de réinstallation, à la durée de l’arrêt de l’exploitation.
La locataire fait grief au tribunal d’avoir retenu la proposition de l’expert basée sur un mois du salaire moyen de l’exploitant contrairement aux usages et à la jurisprudence qui retiennent habituellement un résultat d’exploitation moyen sur trois mois, soit en l’espèce la somme de 4.745,93 euros.
Le trouble commercial correspond à la perte de bénéfices pendant la période écoulée entre le paiement de l’indemnité d’éviction et la réinstallation. L’exploitation du commerce étant assurée par la gérante et propriétaire du fonds de commerce, il est adéquat de retenir comme valeur de référence deux mois de salaire chargé de l’exploitante compte-tenu du temps nécessaire pour rechercher des locaux de remplacement et organiser la réinstallation du commerce, soit la somme de 4.500 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les frais de réinstallation
Ces frais sont destinés à indemniser le locataire évincé des frais nécessaires à la reprise de son activité dans de nouveaux locaux, tenant compte des aménagements perdus. Aussi, il est d’usage qu’un abattement soit appliqué aux frais justifiés ou estimés par le locataire évincé pour tenir compte de la vétusté du mobilier abandonné et de son amortissement.
Il est acquis que ces frais sont dus tant dans l’hypothèse d’un déplacement que d’un remplacement.
La locataire fait grief au tribunal de ne pas avoir retenu la méthode proposée par l’expert d’évaluation sur la base d’un prix forfaitaire d’aménagement de 1.300 €/m² pour 22,12 m²U auquel a été appliqué un coefficient de vétusté.
Le bailleur oppose que, faute de devis, les frais de réinstallation ne sont en principe pas indemnisés. En toute hypothèse, en absence de concept spécifique les aménagements constitués de quelques rayonnages et portants, ceux relevant de l’obligation de délivrance du bailleur ne pouvant être pris en compte, seront évalués sur la base d’un prix unitaire de 500 €/m²U comme retenu par le tribunal.
S’il est constant que la boutique ne fait pas partie d’une chaîne et n’est pas tenue au respect d’un concept spécifique, le coût de réinstallation doit inclure la totalité des aménagements supportés par le locataire, soit tant les portants et rayonnages que les revêtements et la climatisation récemment installée, soit la somme de 1.000 €/m²U à laquelle sera appliquée un coefficient de vétusté de 50% non discuté par les parties : (1.000 € x 22,12m²U) /2 = 11.060 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les frais de déménagement
Le bailleur fait grief à l’expert d’avoir retenu un moment forfaitaire de 1.000 euros, faute de transfert des locaux et d’une l’indemnité d’éviction fixée à la valeur du fonds de commerce.
C’est par motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a considéré que les frais de déménagement sont dus en cas de perte de fonds de commerce qui entraînera nécessairement le déménagement de stocks invendus, archives et autres effets et les a estimés à la somme forfaitaire de 1.000 euros.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la perte de stock
L’allocation d’une indemnité de ce chef de préjudice se justifie lorsque le preneur est obligé, du fait de l’éviction, de liquider ses stocks dans des conditions préjudiciables, qui doivent être attestées comptablement.
La société Camille fait grief au tribunal d’avoir considéré que le stock est un élément du fonds de commerce pris en compte dans la valorisation du fonds alors, d’une part, que cela n’est pas certain, d’autre part, que les stocks abondants ou vendus dans des conditions préjudiciables doivent être indemnisés. Aussi elle sollicite la condamnation du bailleur à l’indemniser de la perte des stocks qu’elle subira au jour de la libération des locaux.
Cependant, faute pour la locataire de justifier qu’elle ne sera pas en mesure de vendre son stock avant la libération des locaux et, dans la mesure où le stock constitue un élément corporel du fonds de commerce, c’est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande.
Les frais divers n’étant pas discutés, l’indemnité d’éviction totale due à la société Camille s’élève à la somme de :
indemnité principale : 112.000 euros ;
frais de remploi : 11.200 euros ;
trouble commercial : 4.500 euros ;
frais de déménagement : 1.000 euros ;
frais de réinstallation : 11.060 euros ;
frais divers : 1.500 euros ;
soit, la somme de 141.206 euros outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs.
Sur l’indemnité d’occupation
Conformément aux dispositions de l’article L145-28 du code de commerce, le locataire évincé qui a droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction est tenu au paiement d’une indemnité d’occupation, égale à la valeur locative de renouvellement.
La société Camille fait grief au tribunal d’avoir retenu la valeur locative de renouvellement à compter du 1er janvier 2017 à la somme de 900 euros le m²P, laquelle ne correspond pas aux termes de comparaison des fixations judiciaires figurant dans le rapport de l’expert.
L’expert a fourni deux éléments de comparaison de fixations judiciaires de loyers commerciaux, pour un bail relatif à surface de 40,70 m² fixé à 500 €/m²P HT HC et pour un autre relatif à une surface de 80 m² à 700 €/m²P HT HC.
Considérant les caractéristiques intrinsèques et extrinsèques du bien, soit un emplacement de qualité, une petite surface des locaux, un bon linéaire de façade, la présence d’une climatisation, mais uniquement accessible depuis la rue, des aménagements et décorations en état d’usage, l’absence d’arrivée d’eau et des travaux de mises en conformité nécessaires à la charge du preneur, et considérant l’ancienneté des valeurs de référence, la valeur unitaire proposée par l’expert et retenue par le tribunal est justifiée et sera confirmée, ainsi que l’abattement de 10% à appliquer, soit un loyer annuel arrondi de 17.350 €/an HT HC.
Sur les demandes accessoires
Sur la demande de dommages et intérêts
Il est constant que la bailleresse, après avoir proposé le renouvellement du bail, a exercé son droit d’option.
La société Camille considère qu’en agissant ainsi alors que la locataire avait accepté le principe du renouvellement et discutait avec le gestionnaire des locaux du montant du loyer renouvelé, la bailleresse a adopté un comportement déloyal.
Faute pour la société Camille de rapporter la preuve de discussions en cours, du mandat invoqué et des pouvoirs du mandant, de l’existence d’un préjudice, l’exercice par la bailleresse de son droit légal d’option ne peut donner lieu à indemnisation.
La demande de dommages et intérêts sera rejetée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Chaque partie succombant partiellement en ses prétentions conservera la charge de ses dépens et il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune d’elles les frais engagés dans le cadre de la présente instance au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable M [S] [W] en son l’intervention volontaire et en sa demande de dommages et intérêts ;
Déclare irrecevable la demande au titre du dépôt de garantie ;
CONFIRME le jugement rendu par le le tribunal judiciaire de Paris le 7 juillet 2020 sous le numéro RG 18/5655 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a fixé le montant du trouble commercial à la somme de 2.250 euros et de l’indemnité au titre des frais de réinstallation à la somme de 5.530 euros ;
Statuant de nouveau,
Fixe le montant de l’indemnité au titre du trouble commercial à la somme de 4.500 euros ;
Fixe le montant de l’indemnité au titre des frais de réinstallation à la somme de 11.060 euros ;
Dit que le montant de l’indemnité d’éviction s’établit à la somme de 141.206 euros outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Camille ;
Rejette la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laissons à chacune des parties la charge des dépens d’appel qu’elle a exposés.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE