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7 février 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06813
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 4
ARRET DU 07 FEVRIER 2024
(n° /2024, 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06813 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CED2U
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/03142
APPELANT
Monsieur [T] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Leila MESSAOUDI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 461
INTIMEE
S.A. LEROY MERLIN FRANCE Représentée par ses représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme. Florence MARQUES, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. DE CHANVILLE Jean-François, président de chambre
Mme. BLANC Anne-Gaël, conseillère
Mme. MARQUES Florence, conseillère rédactrice
Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Rappel des faits, procédure et prétentions des parties
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 23 février 2018, M. [T] [Z] a été engagé par la société Leroy Merlin France, en qualité d’employé logistique, niveau 3.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du bricolage (IDCC 1606).
Au dernier état de la relation de travail, la rémunération mensuelle brute de base de M. [T] [Z] s’établissait à la somme de 1 910,99 euros.
Le 2 février 2019, M. [T] [Z], à la suite d’une crise d’épilepsie, a été arrêté par son médecin traitant jusqu’au 9 février 2019. Cet arrêt de travail a été prolongé jusqu’au 17 février 2019.
Lors d’une visite chez le médecin du travail, en date du 4 mars 2019, M. [Z] a été déclaré apte à son poste avec certaines restrictions.
Le 25 avril 2019, M. [T] [Z] a été victime d’une crise d’épilepsie et a été en arrêt de travail jusqu’au 5 mai 2019.
Suivant avis du médecin du travail en date du 21 mai 2019, le salarié a été déclaré apte avec les préconisations suivantes : ‘Pas de travail isolé, pas de conduite chariot automoteur, pas de travail en hauteur, éviter si possible les transports en commun.’
Le 17 juin 2019, le médecin du travail a préconisé l’affectation du salarié sur un poste proche de son domicile,si possible.
Le 12 août 2019, M. [T] [Z] a fait une nouvelle crise d’épilespise.
M. [Z] a fait l’objet, après convocation et entretien préalable, d’un licenciement pour faute grave le 18 octobre 2019.
À la date de fin de contrat, la société Leroy Merlin France occupait à titre habituel plus de onze salariés.
Monsieur [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 26 mai 2020, aux fins de voir juger :
– A titre principal, qu’il a été victime de harcèlement discriminatoire lié à son état de santé et que son licenciement est nul et voir ordonner sa réintégration, outre des demandes indemnitaires et en rappel de salaires ;
– A titre subsidiaire, il demande à ce que son licenciement soit jugé comme dépourvu de cause réelle et sérieuse outre la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes salariales et indemnitaires.
Par jugement en date du 17 juin 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– Requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
– Condamné la SA Leroy Merlin France à payer à M. [T] [Z] les sommes suivantes :
– 831,28 euros à titre d’indemnité le licenciement légale ;
– 1 910,99 euros à titre d’indemnité compenstarice de préavis ;
– 191,09 euros au titre des congés afférents ;
– 922,22 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire ;
– 92,22 euros au titre des congés afférents ;
– 774,67 euros à titre de rappel de la prime contractuelle du 13ème mois ;
– 77,47 euros au titre des congés afférents ;
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC ;
– Ordonné à la SA Leroy merlin France de remettre à M. [Z] les documents sociaux ;
– Débouté M. [Z] du surplus de ses demandes ;
– Débouté la SA Leroy Merlin France de sa demande reconventionnelle ;
– Laisse les dépens de l’instance à la charge de la SA Leroy Merlin France.
Par déclaration au greffe en date du 27 juillet 2021, M. [T] [Z] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 octobre 2023, M. [Z] demande à la Cour de :
A titre principal :
– Infirmer la décision du Conseil des prud’hommes de Paris du 17 juin 2021 en ce qu’elle a débouté le salarié de sa demande de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement nul en raison du harcèlement discriminatoire lié à son état de santé, débouté de sa demande de réintégration sous astreinte à son poste avec poursuite du contrat de travail et débouté de ses demandes indemnitaires afférentes.
Par conséquent,
– Confirmer la décision du Conseil des prud’hommes de Paris du 17 juin 2021 en ce qu’elle a condamné la Société Leroy Merlin France à verser à Monsieur [Z] les sommes suivantes:
– Rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire : 922,22 euros ;
– Congés payés afférents : 92,22 euros ;
– Article 700 du Code de procédure civile : 1 000 euros ;
– Dépens de l’instance.
Statuer à nouveau et y ajouter :
– Dire et juger que Monsieur [T] [Z] a été victime d’un harcèlement discriminatoire lié à son état de santé au cours de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail ;
– Prononcer la nullité du licenciement pour faute grave de Monsieur [Z],
– Ordonner la poursuite du contrat de travail et la réintégration de Monsieur [Z] à un poste d’employé logistique de niveau 3 ou à un autre emploi équivalent, adapté à son état de santé, soit près de son domicile dans le magasin Leroy Merlin à [Localité 5] ou Leroy Merlin [Localité 4] ou encore celui de Leroy Merlin – [Localité 6], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement,
– Condamner la Société Leroy Merlin France à verser à Monsieur [Z] les sommes suivantes :
– Indemnité d’éviction au titre du licenciement nul, à parfaire au jour de la réintégration : 93 686,51 euros nets ;
– Dommages-intérêts pour harcèlement : 10 000 euros ;
– Dommages-intérêts pour discrimination liée à l’état de santé : 10 000 euros ;
– Dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité : 15 000 euros ;
– Remise des bulletins de salaire conformes au jugement et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du jugement.
– Dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal au jour de la saisine du Conseil,
– Condamner la Société Leroy Merlin France à verser à Monsieur [Z] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC,
A titre subsidiaire,
– Infirmer la décision du Conseil des prud’hommes de Paris du 17 juin 2021 en ce qu’elle a débouté le salarié de sa demande de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires afférentes.
Par conséquent,
– Confirmer la décision du Conseil des prud’hommes de Paris du 17 juin 2021 en ce qu’elle condamné la Société Leroy Merlin France à verser à Monsieur [Z] les sommes suivantes:
– Indemnité compensatrice de préavis : 1 910,99 euros ;
– Congés payés afférents : 191,09 euros ;
– Indemnité légale de licenciement : 831,28 euros ;
– Rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire : 922,22 euros ;
– Congés payés afférents : 92,22 euros ;
– Rappel de la prime contractuelle de 13ème mois : 774,67 euros ;
– Congés payés afférents : 77,47 euros ;
– Article 700 du Code de procédure civile : 1 000 euros ;
– Dépens de l’instance.
Statuer à nouveau et y ajouter :
– Dire et juger que le licenciement pour faute grave Monsieur [T] [Z] est sans cause réelle et sérieuse,
– Condamner la Société Leroy Merlin France à verser à Monsieur [Z] les sommes suivantes :
– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
o A titre principal : 11 465,94 euros ;
o A titre subsidiaire : 3 821,98 euros ;
– Dommages-intérêts pour l’exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 euros ;
– Dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité : 15 000 euros ;
– Remise des bulletins de salaire, une attestation pôle emploi et un certificat de travail conformes au jugement et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du jugement.
– Dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal au jour de la saisine du Conseil,
– Condamner la Société Leroy Merlin France à verser à Monsieur [Z] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 octobre 2023, la société Leroy Merlin demande à la Cour de :
À TITRE PRINCIPAL :
– Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes du 17 juin 2021 en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
– Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes du 17 juin 2021 en ses autres dispositions;
Statuant à nouveau :
– Juger que le licenciement de M. [T] [Z] est fondé sur une faute grave; – Débouter M. [T] [Z] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner M. [T] [Z] à payer à la société LEROY MERLIN France la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procdure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
À TITRE SUBSIDIAIRE :
– Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes du 17 juin 2021 en ce qu’il a fixé l’indemnité de licenciement à la somme de 831, 28 euros ;
– Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes du 17 juin 2021 en ses autres dispositions;
Statuant à nouveau :
– Limiter le montant de l’indemnité légale de licenciement et à 783,50 euros , – Débouter M. [T] [Z] du surplus de ses demandes;
À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
Sur la demande principale de nullité du licenciement
Si par extraordinaire, la Cour jugeait le licenciement nul et ordonnait la réintégration, il lui est demandé de :
– Ordonner la réintégration dans son emploi d’employé logistique au sein du magasin de la Madeleine et limiter le montant de l’indemnité d’éviction en tenant compte des revenus de remplacement et calculée entre le 19 mars 2021 et le jour où elle statuera soit la somme de 3 388,86 euros bruts .
Sur la demande au titre du défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement
Si par extraordinaire, la Cour devait juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, il lui est demandé de :
– Limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 1 mois de salaire brut soit 1 910,99 euros ;
Sur les autres demandes (dommages et intérêts pour harcèlement, discrimination, non-respect de l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail)
– Débouter Monsieur [Z] de ses autres demandes ;
Très subsidiairement,
– Limiter le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions ;
L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2023.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet du litige.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour constate que si le salarié demande des dommages et intérêts d’une part en réparation d’un harcélement moral et d’autre part en réparation d’une discrimination à raison de son état de santé, il développe son argumentation, après avoir rappelé les textes aplicables et le mode probatoire applicable, au titre d’un harcélement dicriminatoire. C’est sous ce seul prisme que la demande doit être appréhendée.
1-sur le harcélement discriminatoire à raison de l’état de santé du salarié
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’article L. 1132-1 du code du travail, dispose qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
Sur le terrain de la preuve, il n’appartient pas au salarié qui s’estime victime d’une discrimination d’en prouver l’existence. Suivant l’article L. 1134-1 du code du travail, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.
Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En cas de harcèlement discriminatoire, un seul acte suffit à laisser présumer l’existence d’une discrimination.
En l’espèce, le salarié soutient avoir été victime de harcèlement discriminatoire de son employeur caractérisé par les éléments de fait suivants :
1-le non respect successif des trois avis du médecin du travail,
2-l’inertie de l’employeur qu’il avait alerté sur son état de santé,
3-sa mise à l’écart, une surcharge de travail et son dénigrement,
4-Son licenciement abusif,
Le salarié souligne que ces éléments ont eu un impact important sur son état de santé physique et mental.
En ce qui concerne le grief n°1, le salarié établit que le médecin du travail, sur ces trois avis a précisé ‘ affecté à un poste au sol, pas de conduite chariot automoteur ‘ et également ‘ pas de travail isolé’, que sur le deuxième, il a préconisé ‘éviter les transports en commun si possible’ et que sur celui du 3 juin 2019, il a précisé qu’il serait ‘souhaitable que le salarié soit affecté à un poste de travail près de chez lui’.
Le salarié ne conteste pas que les préconisations ‘ affecté à un poste au sol, pas de conduite chariot automoteur ‘ ont été respectées.
La préconisation ‘ pas de travail isolé’ est impérative.
Le salarié soutient que son employeur l’a affecté sur un étage, seul, ce dont il ne rapporte pas la preuve .
Le 4 juin 2019, le salarié a formulé une demande de mutation sur le site d'[Localité 5] où il peut se rendre à pied ou utiliser le bus. Il établit qu’il n’a pas été fait droit à sa demande de ce chef alors que plusieurs postes ont été pourvus en CDI ou en CDD entre le 4 juin et le 8 octobre 2019. Les faits sont partiellement prouvés.
Le grief n°2 n’est pas établi par le salarié.
Le salarié n’établit pas plus sa mise à l’écart, une quelconque surcharge de travail ou son dénigrement , les attestations produites étant, insuffisantes pour établir ces griefs.
Concernant le grief n°4, aucun agissement de l’employeur ne permet de faire présumer que le licenciment est lié à un harcélement discriminatoire.
L’absence de réponse positive à la demande de mutation laisse supposer un harcèlement discriminatoire.
En réponse, l’employeur justifie que la RH du magasin d’Ivry-sur-seine a été sollicitée par celle du magasin d’affectation du salarié afin de relayer sa demande de mutation. Il indique que si 3 personnes ont été embauchées en CDI entre le 4 juin et le 8 octobre 2019, sur le magasin d’Ivry, elles détenaient une attestation d’aptitude à la conduite d’engins de manutention accompagnant, nécessaire pour travailler dans ce magasin, compte tenu de sa taille. La société indique que si la détention de cette attestation n’apparaît pas sur les offres d’emplois c’est parce qu’elle forme elle-même ses salariés à la conduite et s’assure de leur aptitude à la conduite lors de la visite médicale d’embauche.
Il est effectivement d’usage que certains employeurs délivrent une autorisation de conduite permettant d’attester de la capacité d’un employé à conduire un équipement de travail mobile (chariots élevateurs de manutention par exemple).
Les postes pourvus n’étaient ainsi pas compatibles avec les préconisations émises par le médecin du travail. Par ailleurs, l’employeur ne pouvait muter le salarié sur un contrat à durée déterminée.
L’employeur démontre que l’absence de mutation de M. [T] [Z] est étranger à tout harcélement discriminatoire.
Le salarié est débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour harcélement moral et pour discrimination.
Le jugement est confirmé.
2-Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
A titre subsidiaire, le salarié indique que si la cour ne considérait pas que les faits dénoncés constituaient un harcélement discriminatoire, il conviendra de constater que les manquements dénoncés (refus d’appliquer les avis du médecin du travail, le silence face à ses alertes en le laissant sur un poste inadapté) caractérisent une violation de l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi.
Il a été dit plus haut que les faits en question ne sont pas établis. Dès lors le salarié ne peut qu’être débouté de sa demande de ce chef.
Le jugement est confirmé de ce chef.
3-Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention
En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé physique et mentale de ses préposés. Il doit mettre en oeuvre des mesures nécessaires pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, à savoir tant des actions de prévention que l’organisation de moyens adaptés et l’amélioration des situations existantes. Il doit assurer l’effectivité des mesures tendant à identifier, prévenir et gérer les situations pouvant avoir un impact négatif sur la santé du salarié.
L’article L.4121-2 prévoit que l’employeur met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l’état d’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L.1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L.1142-2-1, rendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et donner les instructions appropriées aux travailleurs.
M. [T] [Z] demande la condamnation de la société à lui payer la somme de 15 000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité, en l’absence de prévention par l’employeur des risques psychosociaux et des faits de harcélement discriminatoire.
Il invoque l’absence de prise en considération par la société des avis du médecin du travail, son sentiment de déconsidaration et de mise à l’écart, en raison de l’absence de prise en compte de son état de santé, son isolement au travail, l’absence de réponse à ses alertes et à ses demandes de mutation.
Il a été répondu plus haut que le salarié n’a pas subi de harcèlement discriminatoire qu’il fondait sur les mêmes éléments et que l’employeur avait une raison objective pour ne pas accéder à sa demande de mutation.
Le salarié est débouté de ce chef.
Le jugement est confirmé.
4-Sur le licenciement pour faute grave
L’article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié. Aux termes de l’article L.1232-1 du même code, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise.
En l’espèce, la lettre de rupture du 18 octobre 2019 est ainsi rédigée :
‘Par la présente, nous vous rappelons les motifs pour lesquels nous vous avons entendu:
Vous occupez le poste d’employé logistique au sein de notre établissement de Leroy Merlin [Localité 7] depuis le 26/02/2018.
Le 1er octobre dernier, lors du brief équipe logistique à 6h00 auquel vous assistiez, le responsable logistique a réparti les intérimaires sur les différents rayons, en fonction des volumes d’activité.
Lorsqu’il a affecté l’un des intérimaires sur le niveau 1, au sein duquel vous exercez, vous avez violemment réagi et manifesté votre mécontentement en prononçant des insultes graves à l’égard du responsable logistique.
Votre responsable logistique, ainsi que plusieurs membres de l’équipe vous ont entendu prononcer les mots suivants : « fils de pute ».
Lors de l’entretien avec le directeur de magasin, [N] [K], vous n’avez pas reconnu ces faits, mais vous avez tenté de justifier votre emportement en évoquant un ressenti de « déconsidération et de mise à l’écart », récriminations que vous n’aviez jamais formulées jusqu’à ce jour.
Votre comportement est gravement contraire aux règles en vigueur dans l’entreprise et d’une façon générale aux règles de bonne conduite dans les relations entre collègues. Le règlement intérieur de l’entreprise prévoit, en son contenu que :
Partie II : Discipline et Vie en équipe
« Le travail en équipe suppose que chaque personne connaisse et respecte un certain nombre de règles de vie en commun dont les principales sont énoncées dans les articles qui suivent. En outre, l’entreprise souhaitant de plus en plus se distinguer par le haut niveau de satisfaction qu’elle entend offrir à la clientèle, chacun veillera à réserver à celle-ci le meilleur accueil et le meilleur service dans nos établissements.
Chacun veillera à respecter les consignes et règles communiquées par la hiérarchie pour l’exécution de son travail (entre autres, les règles de procédures liées au métier’).
De manière générale, chaque personne devra se conformer aux règles d’organisation et de fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement (en particulier, aux éventuelles notes d’information).
L’entreprise ne saura tolérer des propos ou une attitude inconvenants, qui seraient notamment négligés, discourtois, agressifs, insultants, ou menaçants à l’égard de quiconque, ni un comportement susceptible de nuire à l’image de l’entreprise.
De même, des propos ou comportements racistes, xénophobes, homophobes, irrespectueux ou discriminants ne seront pas acceptés. »
En conséquence, il n’est pas tolérable d’adopter un tel comportement sur votre lieu de travail et dans l’exercice de votre activité professionnelle.
Vos explications recueillies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation et votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.
Après réflexion, nous vous informons que nous sommes amenés à procéder à votre licenciement pour faute grave privative de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement.
Votre licenciement interviendra à compter de la date d’envoi du présent courrier. La période de mise à pied ne vous sera pas rémunérée. »
Le salarié nie avoir réagi violemment et manifesté vivement son mécontentement en insultant son responsable lorsque ce dernier, lors d’une réunion de l’équipe logistique du 1er octobre 2019, l’a informé de l’affectation d’un intérimaire à son étage. Il admet qu’il a quitté la réunion énervé lorsqu’il a compris qu’aucune aide pérenne ne lui serait accordée. Il souligne qu’aucune enquête n’a été diligentée. Il conteste les attestations versées aux débats par l’employeur le mettant en cause.
Pour preuve des faits invoqués, la société verse aux débats :
-le rapport rédigé le jour même par M. [O] [B], responsable logistique, selon lequel il a, le 1er octobre 2019, décidé de l’affectation de l’un des deux intérimaires au premier étage ou travaillait le salarié. Il est précisé que ce dernier a manifesté son désaccord avec la décison, préférant que le second intérimaire soit affecté à l’étage. Il est indiqué que devant le refus de changer sa décision, M. [T] [Z] s’est emporté et lui a dit ‘ fils de pute’.
-une attestation de l’autre responsable logistique selon lequelle M. [T] [Z] a insulté M. [O] [B] dans les termes de la lettre de licenciement,
-une attestation de M. [D] [W], employé, confirmant les faits,
-2 autres attestations d’employés présents au moment des faits qui témoignent qu’il y a eu une altercation entre les deux mais n’ont pas entendu d’insulte,
-l’attestation d’un employé qui a appris par un collègue qu’il y a eu une insulte du salarié à destination du responsable logistique, sans l’avoir entendu, ayant ses écouteurs sur les oreilles,
-l’attestation de M. [S] [V] selon lequel le responsable a voulu mettre un intérimaire qui ne connaissait pas l’étage ou travaillait le salarié, lequel a alors ‘haussé le ton’. Le témoin indique que M. [T] [Z] ne travaille jamais avec une personne à temps plein qui connaît l’étage alors qu’il souhaite avoir un étage propre et bien rangé.
La cour estime qu’en l’état des éléments produit, s’il est établi qu’une altercation a bien eu lieu entre le salarié et son supérieur hiérarchique, un doute subsiste sur la teneur des propos tenus, toutes les personnes ayant assisté au différend n’ayant pas entendu d’injures, le rapport de la ‘victime ‘, l’attestation de l’autre responsable logistique et celle de M. [D] [W], étant insuffisantes à l’établir, compte tenu du lien de subordination existant.
Dès lors, le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est infirmé en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse mais confirmé sur les montants alloués au titre du rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire et les congés payés afférents, l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents et l’indemnité de licenciement, justement appréciés.
5-Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Selon l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Le montant de cette indemnité, à la charge de l’employeur, est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par avance au dit article.
En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, l’intimé peut prétendre, au regard de son ancienneté dans l’entreprise, à une indemnité équivalente au minimum à un mois et au maximum à deux mois de salaire brut.
Le salarié demande que le plafonnement prévu par ce texte soit écarté dans la mesure ou il ne permet pas la réparation de son entier préjudice. Il invoque la convention n°158 de l’OIT et la charte sociale européenne du 3 mai 1996.
Les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne. Les dispositions de l’article L. 1235-3 dans sa version précitée, qui permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Il en résulte que les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.
Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige.
Il se déduit de ce qui précède que le barème d’indemnisation établi par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable à la cause ne peut être écarté au motif qu’il serait contraire aux normes internationales susmentionnées.
En considération notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [T] [Z] de son âge au jour de son licenciement (35 ans), de son ancienneté à cette même date (un an et 9 mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies à la cour, il y a lieu de lui allouer la somme de 3821,98 euros (deux mois de salaire) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est infirmé de ce chef.
6-Sur la demande de rappel de la prime de 13 ème mois
C’est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le conseil de prud’hommes a alloué au salarié la somme de 774,67 euros de ce chef, outre la somme de 77,47 euros au titre des congés payés afférents.
7- Sur la remise des documents de fin de contrat.
Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de paie récapitulatif, d’une attestation Pôle Emploi, devenu France Travail, et d’un certificat de travail conformes à la présente décision, celle-ci étant de droit, sans astreinte.
8-Sur les intérêts
La cour rappelle qu’en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal portant sur les créances salariales sont dus à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation et les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.
9-Sur les demandes accessoires
Le jugement est confirmé sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, la SA Leroy Merlin France est condamnée aux dépens d’appel.
L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel au profit de M. [T] [Z] ainsi qu’il sera dit au dispositif.
La SA Leroy Merlin France est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement déféré en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave de M. [T] [Z] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
REQUALIFIE le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SA Leroy Merlin France à payer à M. [T] [Z] la somme de 3821,98 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ORDONNE à la SA Leroy Merlin France de remettre à M. [T] [Z] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi, devenu France Travail, et un bulletin de salaire récapitulatif conformes au présent arrêt dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt,
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les créances de nature indemnitaire portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la SA Leroy Merlin France à payer à M. [T] [Z] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,
DÉBOUTE la SA Leroy Merlin France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,
CONDAMNE la SA Leroy Merlin France aux dépens d’appel.
Le greffier Le président de chambre